Carte établie par les services municipaux de Gennevilliers [PCF] en 1966.
Le
24 décembre 1980, le maire
communiste de Vitry-sur-Seine, entreprit de démolir au bulldozer un
foyer pour travailleurs immigrés en construction, point culminant d'une lutte
engagée dès l'après seconde guerre mondiale. Sans droit de vote, les immigrés
nord-africains, vont connaître dans la banlieue rouge de
Paris, le communisme municipal : le
clientélisme et un racisme "urbain" digne de la famille Le Pen, analysé ainsi par Olivier
Masclet :
"... en
durcissant les différences de classe déjà existantes, la
rénovation urbaine des villes industrielles renforce la ligne de
démarcation entre ouvriers français et immigrés, plus que jamais
tenus à distance par le personnel politique des municipalités de
gauche."
Olivier Masclet
Du « bastion » au «
ghetto »
Le communisme municipal
en butte à l'immigration
Actes de la recherche en
sciences sociales
2005/4 - no 159
Comment rendre compte du
regard aujourd’hui porté sur les grands ensembles des banlieues
populaires comme autant de « quartiers d’exil 1 » ou de «
ghettos » dont les populations –forcément homogènes– vivraient
en marge des lois et de la République ? On peut en premier lieu
évoquer le travail de dramatisation de la réalité opéré par les
journalistes : au cours de ces 20 dernières années, les médias (en
particulier la télévision) ont imposé une représentation univoque
des cités HLM en termes de délinquance et d’insécurité (les
fameuses « violences urbaines ») en assimilant les banlieues
françaises aux ghettos noirs américains en dépit de leurs très
grandes différences sociologiques et historiques 2. De même peut-on
évoquer le rôle des « experts de la ville » dans l’imposition
des nouvelles représentations des problèmes sociaux, où l’étude
des rapports de classes est systématiquement évincée, voire
combattue, au profit d’une simple opposition entre les in et les
out.
Ces représentations ont
largement contribué à dissocier les problèmes des « quartiers »
des causes structurelles de la détérioration des conditions
d’existence des milieux ouvriers et à les imputer aux
caractéristiques de leurs habitants, de plus en plus rendus
responsables des difficultés multiples qu’ils rencontrent 3. Cette
construction multiforme du problème des « cités-ghettos » a de
nombreuses répercussions. Dans le champ politique, elle contribue à
dépolitiser les tensions observables dans les cités. Ainsi en 1991,
lors des débats parlementaires au sujet de la loi d’orientation de
la ville (LOV) visant à contraindre les communes à construire des
logements sociaux, il a été peu question des causes structurelles
de la dégradation des cités et des conditions d’existence de
celles et ceux qui y vivent : chômage de masse, précarisation des
contrats de travail, disqualification sociale des jeunes sans
formation scolaire et professionnelle, faiblesse des salaires,
multiplication des temps partiels, discrimination à l’embauche des
fils d’immigrés maghrébins, réduction considérable des dépenses
publiques pour la construction de logements sociaux, etc. Autant de
causes qui devraient être au principe du clivage d’analyse entre
la gauche et la droite et qui, lors de ces débats, semblent avoir
été reléguées loin derrière le mot d’ordre de la « mixité
sociale ». Sur fond de peur des classes dominantes à l’égard des
« nouvelles classes dangereuses », de crise du modèle économique
fordiste et de xénophobie, la « mixité sociale » est devenue
l’horizon vers lequel tendre, fût-ce au prix de la destruction
massive de grands ensembles (barres et tours).
Comment la « mixité
sociale » est-elle ainsi devenue le nouveau credo de la classe
politique ? Pourquoi les représentants politiques, de droite comme
de gauche, se sont-ils approprié ce mot d’ordre ? Il s’agit
notamment de s’interroger sur les raisons pour lesquelles
l’existence de lieux où les immigrés et leurs enfants sont
surreprésentés fait aujourd’hui problème, de tels lieux étant
loin de constituer une nouveauté.
Dans l’entre-deux-guerres,
il n’est pas rare que la population de certaines villes se compose
pour plus de la moitié d’ouvriers et de familles immigrés. Et que
dire des corons du Nord et autres cités minières de l’Est de la
fin du XIXe siècle où la proportion d’immigrés dépassait
fréquemment les 80 % 4 ? Ces cités peuplées de travailleurs
étrangers n’ont jamais fait l’objet d’interventions sociales
et politiques afin d’en « équilibrer le peuplement 5 ».
Le détour par l’histoire
urbaine de ces 50 dernières années met en lumière une coïncidence
entre la rénovation urbaine des villes ouvrières et la reprise de
l’immigration après 1945 ou, mieux, un processus de dissociation
des usines et des cités qui constitue l’arrière-fond de la
construction du problème des « cités-ghettos ». Ce n’est pas un
hasard si les parlementaires qui interviennent au sujet de la loi
d’orientation sur la ville sont souvent des maires de communes dont
l’urbanisation porte la marque des Trente Glorieuses 6. Ces maires
sont placés aux avant-postes : ayant en charge des communes
rénovées, mais à présent peuplées des familles immigrées, ils
sont en quelque sorte directement intéressés à la « réforme des
quartiers ».
D’une certaine manière,
le vote de la LOV signale la relative réussite de leur mobilisation,
c’est-à-dire la légitimation des mots d’ordre de dispersion des
plus pauvres sur l’ensemble des territoires et de la vision de la
situation en termes d’« équilibre des populations et de partage
des charges ». L’issue de cette mobilisation n’était rien moins
qu’improbable, car ce sont les maires de gauche et plus
spécialement les maires communistes, représentants politiques
détenant peu de ressources bureaucratiques et dont la légitimité,
au sein même du champ politique national, ne cesse de faire
problème, qui les premiers ont « défendu » leurs communes contre
l’installation jugée trop importante des populations pauvres et
immigrées. Pourquoi ces maires communistes se mobilisent-ils, dès
les années 1950, pour réduire le pourcentage d’immigrés dans
leurs communes ? Pourquoi, eux qui ont vocation à représenter et à
défendre la « classe ouvrière dans ses différentes composantes »,
butent-ils ainsi sur l’immigration ? Et comment leur lutte
rencontre-t-elle finalement les intérêts des édiles de droite dans
les années 1980 ?
On répondra à ces
questions à partir de l’étude d’un cas exemplaire de ces
communes de gauche confrontées à l’immigration au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale : Gennevilliers, située dans le Nord-Ouest
parisien, terrain d’une longue enquête à la fois historique et
sociologique 7. Cette ville de 45 000 habitants dévoile, de façon
particulièrement marquée, les bouleversements des conditions
d’installation des groupes ouvriers et immigrés consécutifs aux
opérations de rénovation urbaine. D’une part, en l’espace d’une
vingtaine d’années, des années 1955 aux années 1975, plus de 6
000 nouveaux logements y sont construits. Gennevilliers est l’une
des villes de France où la part du logement social est la plus
élevée : huit logements sur dix sont des logements aidés. D’autre
part, l’immigration y est ancienne, en particulier l’immigration
algérienne et marocaine dont les ressortissants représentent à la
fin des années 1990 plus du quart de la population totale.
Gennevilliers se caractérise aussi par l’un des taux les plus
importants d’étrangers. Ainsi, le détour par l’histoire du
logement dans cette commune met bien au jour les transformations
d’ordre structurel des territoires industriels et du logement
populaire comme autant de facteurs de la survisibilité actuelle de
la population immigrée. En outre, l’analyse de ce « terrain »
aide à comprendre la mobilisation politique des élus communistes
tant au niveau local qu’au niveau national. Gennevilliers apparaît
en effet également exemplaire au regard du travail politique
accompli par les porte-parole communistes pour défendre la cause
d’un « juste équilibre » des populations. À plusieurs reprises,
les maires de Gennevilliers font entendre leur voix à l’Assemblée
nationale : lors des débats sur la LOV, mais aussi 20 ans auparavant
quand les « quartiers » n’occupaient pas encore l’avant-scène
médiatique et politique. À la pointe du combat mené par les élus
communistes de la région parisienne pour une répartition «
équitable » des immigrés, Waldeck L’Huillier, maire de
Gennevilliers, rédige en 1972 une proposition de loi dont l’esprit
n’est guère éloigné de la loi actuelle.
La visibilité nouvelle
des taudis
L’attention suscitée par
le rassemblement des immigrés dans cette commune où, dès les
années 1920, les entrepreneurs locaux font appel à la main-d’oeuvre
marocaine et algérienne, est antérieure à la Seconde Guerre
mondiale. Ainsi, en 1924, le maire demande au préfet « d’éviter
un danger » en interdisant la construction de meublés destinés au
logement d’immigrés nord-africains par des promoteurs français
qui résident eux dans des communes limitrophes et une délibération
du conseil municipal interdit toute nouvelle construction en bois de
dortoirs ou de réfectoires 8. Une pétition lancée par les élus
recueille 2 749 signatures contre « la création d’un village
algérien dans notre agglomération». Mais, dans cette ville décrite
par certains articles de presse comme « une grande ville arabe dans
le grand Paris 9 », ce sont là les seules interventions ou presque
de l’autorité publique. Trente ans plus tard, la municipalité
communiste multiplie au contraire les enquêtes sociales et d’hygiène
sur ce qu’elle appelle à présent les « centres nord-africains »
: objet d’une visibilité nouvelle, les taudis où vivent les
immigrés polarisent en effet l’attention des élus.
Pourquoi ce nouveau regard ?
D’abord parce que ces élus entreprennent la rénovation urbaine de
la commune, bénéficiant pour cela des dispositions juridiques
héritées de l’invention du modèle de la planification urbaine et
des pensées réformatrices de l’entre-deux guerres qui peu à peu
ont imposé à l’État et à ses représentants locaux de nouvelles
responsabilités à l’égard de l’habitat populaire et plus
largement de la ville dans sa totalité 10. Cet esprit réformateur
prend forme après 1945, au moment où l’engagement de l’État
s’impose comme légitime. De sorte que les élus locaux ont
intériorisé les nouvelles représentations urbaines et les
nouvelles normes sociales de l’habitat et de la ville et disposent
désormais de nouveaux outils et de nouveaux moyens financiers pour
les mettre en oeuvre (plan d’aménagement communal, création d’un
office public municipal d’HLM, prêts bonifiés, etc.). De ce point
de vue, l’acuité du problème posé par l’existence des «
centres nord-africains » résulte des possibilités de
concrétisation d’un projet nouveau pour la ville. Les élus
communistes de Gennevilliers deviennent en quelque sorte les agents
zélés de la réforme urbaine visant à assainir les territoires et
à construire un nouvel ordre social reposant sur une meilleure
intégration des couches ouvrières.
La nécessité de répondre
à la situation du logement à Gennevilliers, caractérisée par le
manque, le vieillissement et le surpeuplement, explique le
volontarisme politique du personnel politique communiste. Comme les
autres maires communistes de la « banlieue rouge », il s’agit de
poursuivre le travail politique débuté dans les années 1930,
travail de mise en forme d’un espace communal de secours et de
services (santé, culture, loisirs, etc.)11. Les élus communistes
entendent conforter la représentation d’eux-mêmes en tant que «
bons gestionnaires », gage de légitimation d’un personnel
politique socialement discrédité et dont l’assise politique au
sein des classes populaires est récente et fragile 12.
Mais c’est désormais
animés d’une ambition nouvelle : faire d’une cité prolétaire
une ville à part entière, dotée de tous les nouveaux équipements
culturels et socio-éducatifs, qui suscite une identification
positive. Débute alors un deuxième âge du « communisme municipal
» au cours duquel la ville se modernise. Sous cet angle, la venue
massive après guerre des Algériens et Marocains ne peut qu’être
perçue comme une menace pour les projets de rénovation urbaine. La
stratégie visant à élever la valeur sociale et symbolique de la
commune, c’est-à-dire à opposer au stigmate de la banlieue
prolétaire une représentation plus digne de la condition ouvrière,
suppose en effet de construire une bonne image du groupe. Elle
nécessite, comme l’écrit Jean-Noël Retière, de « faire le tri
entre soi pour sauvegarder une bonne image de soi 13 ». Or,
massivement embauchés comme OS et manoeuvres, les immigrés
appartiennent aux fractions les plus déqualifiées et les moins
considérées du groupe ouvrier et sont éloignés du modèle de
respectabilité ouvrière que les élus défendent, en raison de
leurs conditions de travail et d’existence mais aussi de leur
statut d’immigrés et de leur mauvaise réputation héritée de la
colonisation.
D’une certaine manière,
ils contreviennent au but poursuivi de promotion collective de la
classe ouvrière. Ainsi la visibilité nouvelle des taudis est-elle
liée non seulement à la diffusion et à la concrétisation des
normes d’urbanisme, mais aussi à l’entreprise communiste
municipale de rénovation qui conduit les élus à contrôler le
nombre d’immigrés algériens et marocains y trouvant refuge. Il
s’agit pour eux de s’opposer aux logiques du regroupement
territorial des immigrés.
Les conditions dans
lesquelles ces immigrés arrivent à Gennevilliers contribuent à
expliquer les nouvelles oppositions des élus. Liée au développement
de l’activité économique, leur arrivée, dès la fin de la
Seconde Guerre mondiale, ne se comprend pas indépendamment du rôle
joué par la solidarité entre compatriotes, à l’origine du
regroupement des émigrés originaires des mêmes villages, régions
et pays, mais aussi de toutes les formes d’exploitation de la
misère permises par l’absence de structures d’hébergement
patronales ou étatiques. Le patronat, disposant du réservoir de
l’immigration, n’a pas besoin d’intervenir dans la reproduction
de la « force de travail simple ». D’autres que lui le font et
participent au maintien du coût de la force de travail immigrée à
un niveau minimal. Ainsi, ceux que les élus et la presse communistes
nomment les « marchands de sommeil », souvent eux-mêmes des
Algériens et des Marocains installés de longue date en France,
jouent un rôle essentiel dans le rassemblement du prolétariat
nord-africain dans les zones industrielles via les hôtels et les
meublés qu’ils gèrent. Dans la commune, seuls trois foyers pour «
travailleurs nord-africains » ont été construits dans les années
1920 sous l’égide de l’État et déjà sous la pression des élus
locaux, qui attendaient de l’autorité centrale qu’elle encadre
la présence de ces nouveaux ouvriers.
Réservés aux seuls «
célibataires nord-africains », c’est-à-dire algériens, ces
foyers visent, dès le départ, à empêcher qu’ils ne fassent
venir leur famille. Le souci humanitaire qui préside à leur
construction se double en effet de la volonté de limiter
l’installation dans la métropole des ressortissants d’Algérie
en les contraignant à l’usage d’un espace censé leur rappeler
que seul le travail justifie leur présence 14. Mais les 400 lits
disponibles dans ces foyers ne peuvent répondre aux besoins des
Algériens et des Marocains qui représentent plus du tiers de la
population de Gennevilliers au milieu des années 1970. Le nombre des
« marchands de sommeil » ne fait donc qu’augmenter après guerre,
comme le constate une enquête des services municipaux, réalisée en
1962, qui estime à une cinquantaine le nombre de propriétaires qui,
tenant entre leurs mains un véritable marché du logement insalubre,
participent de près ou de loin à l’installation dans la ville des
travailleurs maghrébins.
Une lutte sans relâche est
donc menée contre ces promoteurs de logements pour immigrés, afin
de les contraindre à renoncer à leur activité et de faire
disparaître les taudis. Cette lutte passe par la multiplication des
rapports d’hygiène et des interventions auprès du préfet pour
empêcher les immigrés de se porter acquéreurs de tous les biens
immobiliers pouvant être transformés en de nouveaux « centres
nord-africains ». Elle passe aussi, à partir des années 1960, par
la construction de nouveaux foyers pour « travailleurs
nord-africains ». Facilitant leur construction, en mettant à la
disposition des services préfectoraux les terrains dont elle est
propriétaire, la municipalité espère ainsi se débarrasser des
bidonvilles et des vieux immeubles reconvertis dans le logement pour
immigrés.
Dans le même temps, elle
réclame la répartition équilibrée des immigrés dans l’ensemble
des communes de la région parisienne. Réaction de défense face aux
services de la préfecture qui cherchent à augmenter le nombre de
ces foyers dans les villes où les immigrés vivent déjà ou qui les
utilisent pour reloger les immigrés expulsés des bidonvilles qui
existent un peu partout en région parisienne 15. Contre ces
pratiques, affectant plus ou moins directement aux villes de gauche
la gestion des « populations encombrantes 16 », la municipalité se
mobilise dès les années 1950 pour défendre ses intérêts et ses
projets urbains. Ainsi les archives municipales révèlent-elles les
nombreux courriers que le maire adresse au préfet pour lui demander
de réserver « en priorité » les chambres des foyers aux immigrés
vivant dans les bidonvilles de Gennevilliers et refuser la
construction de foyers supplémentaires.
Cette lutte contre la
multiplication des taudis et des foyers pour immigrés est un des
fronts de l’action municipale. Un autre s’ouvre avec
l’installation des familles immigrées qui débute bien avant que
les politiques de regroupement familial accompagnant la fermeture des
frontières en 1974 ne précipitent la venue en France de nombreuses
familles étrangères.
« Conséquence sociologique
de la guerre en Algérie 17 », le nombre de femmes algériennes
augmente en effet subitement entre la fin des années 1950 et le
début des années 1960 dans les villes comme Gennevilliers, où
l’immigration en provenance des pays du Maghreb se composait
jusque-là quasi exclusivement d’hommes seuls 18. De sorte que
l’arrivée de ces femmes et de leurs enfants s’effectue au moment
même où s’ouvrent les premiers logements neufs des grands
ensembles.
Ces familles ne se voient
cependant accorder qu’une toute petite place dans les cités
nouvelles, si l’on en juge par les chiffres disponibles à
Gennevilliers. En 1962, 6 % des familles installées dans les 2 400
logements alors disponibles sont étrangères, principalement
algériennes; en 1973, elles sont un peu moins de 5%. Les élus
ferment l’entrée des HLM aux familles immigrées, appliquant au
fil des années 1960 un quota à leur relogement. Dans les années
1960 – 1970, il n’est pas encore question de défendre la «
mixité sociale » des grands ensembles, qui attirent alors une
clientèle nombreuse d’ouvriers qualifiés, d’employés et de
membres des classes moyennes ; le problème réside dans la «
logeabilité » des familles algériennes. L’essor du logement
social améliore les conditions générales de logement des classes
populaires, mais il entraîne également de nouveaux principes de «
construction des populations » sur une base tout à la fois
nationale, politique et sociale 19. Les familles immigrées sont
particulièrement pénalisées par la bureaucratisation des
procédures d’accès au logement et le rôle nouveau, dans son
ampleur, des offices municipaux.
Elles le sont d’abord en
raison du processus historique de « nationalisation du monde social
20 » auquel contribue le vote de la loi Siegfried, donnant naissance
aux HBM (Habitations à bon marché) en 1894. L’entrée dans les
logements neufs est en premier lieu surdéterminée par les
intentions politiques qui traversent l’histoire du logement social
à la fin du XIXe siècle. La loi Siegfried vise à offrir aux
citadins des conditions dignes de logement qui assurent l’intégration
sociale et politique des « citoyens ». En ne s’adressant plus
prioritairement aux ouvriers et aux démunis, mais aux habitants des
villes exposés aux « miasmes des taudis », elle marque un
changement majeur dans la pensée et l’action réformatrice. Les
catégories de bénéficiaires sont dorénavant les « citoyens
modestes », ceux qui, dotés de droits politiques, doivent être
reconnus comme des membres à part entière de la société 21.
La prise en compte de cet
héritage juridique, intériorisé par les agents de l’État, à
quelque niveau que ce soit, est nécessaire pour comprendre dans
quelle mesure les personnels des offices HLM, comme à Gennevilliers,
sont conduits à réserver en priorité les logements sociaux aux
Français modestes, premiers bénéficiaires des HLM pour lesquels
les législateurs les ont initialement conçues. Cet héritage
incorporé dans des dispositions bureaucratiques contribue en effet à
diviser les demandeurs en deux populations : la population française
appartenant à la « communauté des citoyens » bénéficiant de
droit des avantages consubstantiellement liés à l’appartenance
nationale, et la population étrangère qui, exclue de cette
appartenance, l’est aussi potentiellement des biens publics. Si les
responsables communistes de Gennevilliers incluent formellement les
immigrés au sein de la classe ouvrière, ils ne peuvent donc pas les
traiter à l’égal des ouvriers français : la bureaucratisation de
l’accès au logement accroît l’« étrangeté » des étrangers
aux yeux du personnel politique de la ville. D’autant que la
concurrence est très forte pour l’obtention des logements et que
la guerre d’Algérie, contemporaine de l’ouverture des premiers
logements, pose d’une manière dramatique la question de l’identité
nationale française et algérienne.
Les élus communistes de
Gennevilliers ne peuvent pas échapper aux tensions inhérentes à ce
conflit, passer outre aux réactions des ouvriers français
manifestant très peu de solidarité à l’égard des Algériens
contre lesquels eux-mêmes ou leurs fils sont susceptibles de
combattre. Les militants du PC qui témoignent aujourd’hui
insistent sur l’espèce d’indifférence hostile que les ouvriers
manifestaient à leur encontre lors des distributions de tracts
appelant à la mobilisation contre cette nouvelle guerre coloniale.
Il était donc difficile pour la municipalité d’afficher une
solidarité plus grande à l’égard des Algériens.
À ce premier clivage sur
une base nationale, hérité de la conception du logement social,
s’en ajoute un autre, d’ordre politique ou électoral. Conçue,
entre autres choses, comme instrument politique permettant de
fidéliser l’électorat populaire, la ville moderne porte
l’empreinte des fractions supérieures de la classe ouvrière que
les dirigeants communistes représentent et valorisent. En 1962, les
ouvriers qualifiés, contremaîtres, employés, techniciens sont
ainsi surreprésentés dans les grands ensembles par rapport au poids
de leur catégorie d’appartenance dans la population totale des
ménages de la ville, à l’inverse des OS, des manoeuvres et des
personnels de services. Dans ces conditions, les nouveaux logements
procurent à la municipalité une légitimité électorale inédite.
Ses scores – comme ceux des autres municipalités PC de la «
banlieue rouge » – augmentent fortement dans la seconde moitié
des années 1950. Élue dès le premier tour, la liste communiste
rassemble ensuite souvent plus de 70 % des voix jusqu’en 1983.
La nécessité d’accumuler
et de préserver ce capital politique contribue à accentuer les
différences entre deux classes ouvrières : la première disposant
du droit de vote, défendue et organisée syndicalement et
politiquement, qui a toute sa place dans les cités nouvelles ; la
seconde, démunie de porte-parole reconnus, exclue de la citoyenneté
politique et cantonnée au marché du logement insalubre, tant son
insertion comporte le risque d’une dégradation symbolique de tout
ce par quoi les élus tentent de valoriser politiquement « la »
classe ouvrière.
UN
DOUBLE MOT D’ORDRE. Cette déclaration des élus communistes de la
région parisienne, publiée en octobre 1969 dans un bulletin du PCF,
est révélatrice de l’imbrication des politiques de rénovation
urbaine et des politiques de gestion des populations immigrées.
UNE GÉOGRAPHIE SOCIALE.
Cette carte établie par les services municipaux de Gennevilliers en
1966 montre que la concentration (et donc la répartition) des
immigrés dans la ville est devenue une préoccupation pour la
municipalité.
AFFICHE MUNICIPALE ANNÉES
1950. Appel à la lutte contre la « souillure de la ville »
qu’entraînent les bidonvilles et par assimilation leurs habitants.
QUARTIER DES AGNETTES ET
QUARTIER DU FOSSÉ DE L’AUMÔNE (GENNEVILLIERS). Socialement loin
des bidonvilles et des cités de transit et pourtant tout proches
spatialement : les nouveaux grands ensembles, fleurons du communisme
municipal, auxquels les familles immigrées ont très peu accès dans
les années 1960.
On mesure ainsi combien, en
durcissant les différences de classe déjà existantes, la
rénovation urbaine des villes industrielles renforce la ligne de
démarcation entre ouvriers français et immigrés, plus que jamais
tenus à distance par le personnel politique des municipalités de
gauche. Mais cette division entre ces deux fractions du groupe
ouvrier ne découle pas seulement des contraintes électorales et du
projet politique visé par les élus communistes. Elle est aussi la
conséquence des critères explicites et implicites réglementant
l’accès aux HLM. Les nouvelles normes de logement accentuent le
clivage, d’ordre social cette fois, entre les différentes
composantes du monde ouvrier en imposant dans une certaine mesure le
profil des bénéficiaires 22.
C’est, en premier lieu, le
coût des loyers qui, tendanciellement, maintient à l’écart des
logements neufs les familles immigrées et favorise au contraire les
catégories moyennes du salariat. Leurs salaires étant inférieurs à
ceux des familles ouvrières françaises, les familles immigrées et
plus généralement d’ouvriers non qualifiés se heurtent à la
cherté du logement social. Leur maintien à l’écart des HLM
découle en second lieu des attentes inscrites dans le logement
lui-même, en termes de style de vie et de style de famille. Occuper
un logement neuf, c’est d’abord être capable d’acquitter
régulièrement les loyers et donc de prévoir et d’organiser son
budget en conséquence. C’est ensuite respecter l’ensemble des
exigences dont ce logement est porteur, la somme des usages
prédéfinis de l’espace d’habitation qui sont autant
d’injonctions à se plier à la manière légitime d’habiter. Les
nouvelles normes de logement, bien plus élevées et codifiées que
dans l’habitat ancien, creusent la distance entre les grands
ensembles et les familles immigrées. Le nombre d’enfants, les
taudis qu’elles habitent, leur faiblesse économique, les manières
d’être héritées des zones rurales reculées d’où elles sont
originaires, tout les désigne comme « inadaptées » au logement
neuf qu’elles prétendent occuper.
Ces familles font donc
l’objet d’une sélection accrue de la part des services
municipaux qui voient en elles une menace pour la qualité des lieux.
À Gennevilliers, les familles immigrées relogées en HLM dans les
années 1960 – 1970 apparaissent ainsi sursélectionnées parmi
l’ensemble des familles placées dans des conditions sociales
proches : elles disposent en moyenne de revenus supérieurs et
comptent un nombre d’enfants plus faible que celui des autres
familles immigrées. Le droit d’entrée est ainsi pour elles bien
plus élevé que pour les familles françaises de même niveau social
depuis longtemps installées dans la commune et pour qui il existe
plusieurs bâtiments à « normes réduites », où les loyers et les
règles implicites d’occupation du logement sont moins sélectifs
qu’en HLM.
« Pas de ghettos à
Gennevilliers »
Perçues comme « inadaptées
», ces familles font l’objet d’une prise en charge étatique
spécifique qui renforce leur mise à l’écart et leur désignation
comme « familles à problèmes ». Tout au long des années 1950 –
1960, un secteur HLM « inférieur » (cités d’urgence, cités de
transit, puis HLM à normes réduites 23) se structure en effet,
destiné aux familles qui, en raison de la faiblesse de leurs
revenus, de leur taille, de leurs comportements supposés ou de leur
origine étrangère, ne trouvent pas place dans les grands ensembles.
Si l’on en juge par l’augmentation importante du nombre
d’immeubles à normes réduites que l’État finance à la fin de
cette période, les décideurs politiques nationaux semblent
envisager d’institutionnaliser plus fortement l’existence de ce
marché du logement au rabais. Mais une autre logique se développe,
notamment sous l’effet de la critique du sort réservé aux
fractions démunies des classes populaires. Il s’agit désormais
d’orienter les « exclus urbains » vers les HLM, les grands
ensembles étant ainsi potentiellement appelés à devenir les
nouvelles zones à « vocation sociale ».
L’arrêté d’octobre
1968 qui contraint les organismes HLM à faire entrer dans leur parc
immobilier un contingent important de « mal logés » (30 %) est un
premier facteur de cette évolution possible et redoutée par les
élus communistes de la région parisienne qui n’auront de cesse de
lutter contre. Cet arrêté répond à la multiplication des
opérations de rénovation urbaine entraînant l’expropriation des
quartiers anciens de Paris et des communes de banlieue de milliers de
ménages. Si une grande partie d’entre eux parvient à intégrer
les grands ensembles, restent « sur le carreau » tous ceux dont les
caractéristiques sociales ne sont pas conformes aux normes
objectives et subjectives des organismes HLM. C’est donc pour
forcer ces organismes à admettre ces ménages démunis parmi
lesquels la part d’immigrés est prépondérante que l’arrêté
est pris. Il aboutit au relogement effectif de milliers de « mal
logés ». Ainsi, dans le quartier du Luth à Gennevilliers, pour
partie géré par des sociétés HLM privées, gestionnaires du 1 %
patronal, bon nombre de « mal logés » sont rapidement affectés,
en dépit des protestations de ces organismes.
En assurant le relogement de
familles jusque-là maintenues à distance des HLM, la préfecture
joue un rôle décisif dans le déclenchement des départs des
familles françaises de ce quartier. Entre 1973 et 1980, période
durant laquelle les familles immigrées sont plus fréquemment
relogées par les services de l’État, ce sont en effet les
bâtiments qui les accueillent qui se vident le plus rapidement des
ménages des couches moyennes. Fuite classique des ménages dotés de
capitaux face à l’installation des familles de rang inférieur
dont la proximité présente le risque d’une dégradation
statutaire, mais qui ne peut pas laisser indifférents les
responsables des organismes HLM : il va de la défense de leurs
propres intérêts que de contrôler la composition des voisinages.
Ainsi, particulièrement menacés par l’arrêté de 1968, les
organismes gestionnaires privés de logement ne peuvent que
s’associer à la municipalité pour tenter de convaincre les
services de la préfecture de placer ailleurs leurs candidats à un
relogement. Au début des années 1970, ils forment une « union
sacrée » comme le montrent les courriers qu’ils adressent à la
préfecture afin qu’elle disperse les familles immigrées dans
l’ensemble du département.
« Sans dramatiser la
situation, écrivent plusieurs bailleurs privés au préfet, on peut
craindre que l’application de la réglementation ne soit en train
de créer des îlots où se trouveront regroupées une trop forte
proportion de familles présentant les mêmes caractéristiques,
alors que la situation la meilleure serait au contraire de les
répartir afin de créer un amalgame favorable à l’élévation de
leur comportement, à l’art d’habiter, qu’il serait plus facile
de leur apprendre dans des conditions plus favorables […]. L’une
de ces mesures serait de limiter le pourcentage des familles
étrangères, de façon à ne pas dépasser 10 % à 15 %, même si
cette limitation a pour résultat de ne pas ainsi atteindre les
pourcentages réglementaires. »
S’adressant en 1972 à la
mairie de Gennevilliers, ces mêmes organismes, via la plume d’un
responsable, l’assurent de leur soutien:
« J’ai bien compris que
vous souhaitiez progressivement contrôler, limiter puis diminuer le
taux de population migrante vivant dans votre commune […] dans le
but d’intégrer cette population en fonction de son lieu de travail
et d’éviter les réactions de rejet de la part de la population
française, la naissance de réflexes, puis de raisonnements à
caractère raciste. À l’appui de cette politique vient
l’expérience née de notre qualité de gérants d’un patrimoine
important de logements sociaux pour la plus grande part locatifs.
Nous considérons, en effet, que les familles de migrants ne
s’adaptent et ne s’intègrent que dans la mesure où le nombre
des logements qu’elles occupent n’excède pas 7 %, que la
population correspondante n’excède pas 10 % à 12 %, que ce
contingent soit fractionné en fonction des pays d’origine – pour
moitié d’origine européenne (portugaise, espagnole, yougoslave),
pour moitié d’origine africaine (Maghreb, pays de l’Organisation
commune africaine et mauricienne) ; enfin, il convient d’éviter
que ne se reconstituent clans ou sous-groupes de familles qui se
seraient connues sur leur lieu d’habitation précédent. »
D’autres courriers
mentionnent explicitement les propos du Premier ministre Jacques
Chaban-Delmas posant comme préalable à « la bonne insertion des
familles migrantes » leur dilution dans le corps national. C’est
toute la thématique de « l’adaptation des familles » qui est
convoquée par les organismes logeurs pour obtenir qu’elles ne
soient pas placées dans les mêmes bâtiments, thématique d’État
qui justifiait quelques années plus tôt l’ouverture des cités de
transit destinées à les initier à « l’art d’habiter » et à
les socialiser aux normes de la vie moderne.
Mais l’arrêté de 1968
n’est que l’un des éléments par lesquels se décide peu à peu
le sort des grands ensembles. À la fin des années 1960, la
construction des HLM stagne et faiblit dans la décennie suivante et
les loyers enregistrent une brutale augmentation : conséquences de
la diminution des crédits accordés par l’État qui, plus que
jamais, encourage les particuliers à s’orienter vers le marché
privé du logement. Comme l’écrivent Michel Pialoux et Bruno
Théret :
« De Chalandon à Guichard,
du concours de maisons individuelles (dites “chalandonnettes”) à
la dénonciation des grands ensembles “inhumains” (circulaire
Guichard), jusqu’à l’apologie par Giscard des nouveaux
“villages” (où l’on doit retrouver le sens de la vie
“communautaire” grâce à un harmonieux équilibre entre
pavillons et “petits collectifs”), la politique de l’État vise
à faciliter la production industrialisée de logements individuels à
bon marché, produits à un prix qui permette de garantir aux
promoteurs et aux constructeurs un profit “suffisant”24. »
Les classes moyennes, les
employés et les fractions supérieures du groupe ouvrier, qui
avaient trouvé une solution à leur problème de logement du côté
des HLM, sont ainsi vivement encouragés à s’adresser au marché
privé.
Ce tournant libéral des
politiques du logement s’accompagne de la dénonciation multiforme
des « privilégiés » bénéficiant du logement social. Sur fond de
stigmatisation de « l’embourgeoisement de la classe ouvrière »
qui vivrait repue dans les grands ensembles, les secteurs étatiques
acquis au libéralisme pointent les « rentes de situation » des
ménages des classes moyennes et d’ouvriers qualifiés logés en
HLM dont ils souhaitent augmenter le « taux d’effort 25 ». Au nom
d’un certain humanisme, ces critiques mettent en cause la «
ségrégation » et l’exclusion des plus faibles par les organismes
HLM, privés ou publics, et rencontrent ainsi pour partie celles des
associations et des partis d’extrême gauche qui militent en faveur
des immigrés dans les taudis, les bidonvilles et les cités de
transit. Ce changement d’orientation des politiques du logement
représente de fait pour les élus de Gennevilliers – comme pour
l’ensemble des municipalités communistes dont la politique de
promotion du logement social nourrit la légitimité – une réelle
menace : la transformation des quartiers en « cités » pour les
exclus de la mobilité résidentielle et la déstabilisation
corrélative de leur assise politique.
Dans cette conjoncture, la
mobilisation des élus communistes se restructure du niveau local au
niveau national. En 1969, les maires communistes de la région
parisienne et des élus de Paris publient une « déclaration » dans
laquelle ils affirment leur opposition à la politique d’immigration
de l’État et du patronat et leur refus de la délégation à leurs
communes des « travailleurs immigrés ». Ces maires accusent les «
communes riches » de ne pas construire de logements sociaux et, de
ce fait, de laisser aux « commune pauvres» toute la charge du
relogement des «pauvres» et des « immigrés ». Dénonçant les
inégalités entre les communes et le mépris pour les villes
ouvrières, les maires communistes semblent ainsi acculer à renoncer
à considérer les populations immigrées comme incluses dans la
classe ouvrière. Il s’agit bien pour ces maires de se défendre
face à l’afflux du nombre de travailleurs immigrés et de familles
postulant à un logement HLM ou en passe d’être relogés sur leur
territoire :
« À l’heure où des
centaines de milliers de familles françaises attendent un logement,
le financement du relogement des travailleurs immigrés ne peut et ne
doit en aucun cas être à la charge du budget communal. »
Ces maires revendiquent «
des mesures exceptionnelles », parmi lesquelles « des fonds
supplémentaires pour construire les foyers ou logements nécessaires
», la répression accrue des « marchands de sommeil» et «une
répartition équilibrée des travailleurs immigrés dans les
différentes communes de la banlieue parisienne » : la dispersion
des immigrés et des familles immigrées devenant dès lors un
leitmotiv dans les prises de position des maires communistes.
Le député-maire de
Gennevilliers, Waldeck L’Huillier, est l’un des principaux
artisans de cette déclaration. Secrétaire général de
l’Association des maires de la Seine, qui regroupe principalement
des maires communistes, il bénéficie d’une importante notoriété
au sein du comité central. C’est aussi lui qui organise la
campagne pour « lutter contre les ghettos » à Gennevilliers au
début des années 1970. Il s’agit de faire pression sur les
services de la préfecture qui traînent les pieds face aux «
marchands de sommeil » et dont les pratiques en matière de
relogement contribuent au marquage « ethnique » de certains
quartiers.
Mais il s’agit aussi de
rassurer un électorat qui, écrit le député-maire, « ne comprend
pas » et manifeste de « l’inquiétude » face à l’augmentation
du nombre d’immigrés dans les grands ensembles : « demain ce sera
pire 26 ». Ainsi, dans un tract rédigé en 1973 et intitulé « Pas
de ghettos à Gennevilliers », on peut lire :
« Nous appelons la
population tout entière à soutenir l’action du conseil municipal
pour stopper d’abord et réduire ensuite le pourcentage de
l’immigration dans notre ville. »
Ainsi, dès la fin des
années 1960, la dispersion des immigrés dans l’ensemble des
communes de la région parisienne s’impose aux maires communistes
comme une solution nécessaire aux tensions entre Français et
immigrés – qu’ils sont conduits à anticiper et à redouter –
et à la préservation de leur entreprise de rénovation urbaine.
Mais force est de constater sa très faible audience dans le champ
politique national. Au début des années 1970, sur la base de la
déclaration des maires communistes, le député-maire de
Gennevilliers soutient une proposition de loi visant à imposer la
construction de foyers et de logements accessibles aux ouvriers et
aux familles immigrés dans toutes les communes. Cherchant à faire
reconnaître cette cause au-delà du PCF, condition de la réussite
de la lutte contre les « ghettos », il rencontre à plusieurs
reprises le maire de droite de la commune voisine d’Asnières,
Michel Maurice Bokanowski, lui aussi député et ancien résistant.
Les quartiers nord d’Asnières regroupent en effet un nombre élevé
d’immigrés, ce qui explique l’intérêt de l’élu de droite
pour l’action du député-maire communiste. Mais M. Bokanowski ne
peut obtenir des députés de la majorité qu’ils soutiennent cette
proposition de loi. La mesure préconisée, censée permettre un
meilleur « équilibre des populations », est contraire aux intérêts
de la plupart des élus qui s’opposent à la construction de
logements sociaux sur leur territoire.
La généralisation du «
problème des ghettos »
Vingt ans plus tard, les
prises de position lors des débats sur la loi d’orientation sur la
ville de 1991 font pourtant étrangement écho à la déclaration des
maires communistes de 1969. Ainsi tel sénateur justifiant l’adoption
de nouvelles mesures pour « répartir de façon équilibrée les
familles étrangères » et « prévenir les regroupements trop
importants de celles-ci dans les mêmes immeubles immobiliers ou les
mêmes communes 27 ». Députés et sénateurs semblent ainsi
conduits à défendre la cause de la « lutte contre les ghettos »
par-delà les oppositions partisanes.
Cette généralisation du
problème de la concentration des populations immigrées est
inséparable des transformations du peuplement des grands ensembles
qui ont résulté des nouvelles politiques pavillonnaires et, ceci
étant lié à cela, des changements de majorité dans de nombreuses
communes. L’élan donné par l’État à l’accession à la
propriété individuelle du logement, avec le vote de la loi Barre en
1977, provoque le départ massif des quartiers HLM des ménages des
couches moyennes et d’ouvriers qualifiés qui constituaient la base
sociale et électorale des municipalités de gauche. Les communes
acquises à la droite au début des années 1980 sont ainsi souvent
celles que le PC avait gagnées dans les années 1960 – 1970, grâce
au renfort de la population nouvelle des grands ensembles 28. La
droite profite politiquement du déclassement des quartiers HLM dans
la hiérarchie des formes et des statuts d’habitat.
Mobilisation des
abstentionnistes de droite en réaction à la dégradation de
l’environnement, départ des couches sociales acquises à la
gauche, démoralisation des électeurs captifs des cités,
installation de nouveaux ménages sans tradition politique constituée
et aspirant à quitter au plus vite le logement en HLM : autant de
raisons au basculement des majorités municipales. Le « retournement
de l’effet politique des grands ensembles 29 » apparaît ainsi
comme l’un des facteurs décisifs de la généralisation de la «
lutte contre les ghettos » : des maires de toute appartenance
politique sont désormais confrontés à l’apparition de nouvelles
« zones de répulsion ».
La commune de Gennevilliers,
bien que toujours de gauche, en raison notamment de l’ancienneté
de la tradition du communisme municipal, offre un bon terrain
d’observation des processus de dégradation de l’univers des
cités tels qu’ils sont à l’oeuvre un peu partout : les grands
ensembles étant devenus les lieux de fixation des familles «
indésirables ». Les quartiers les plus affectés par ces processus
sont ceux que la municipalité contrôle le moins, comme le quartier
du Luth où, dès le début des années 1980, les familles immigrées
sont appelées à remplacer les premiers occupants, très
majoritairement des familles françaises d’ouvriers qualifiés,
d’employés et des classes moyennes. Les organismes HLM privés,
déjà contraints par la préfecture à reloger les familles
immigrées, sont particulièrement affectés par le départ de ces
familles. Perdant toute une partie de leur clientèle et tout
spécialement celle composée des ménages ouvriers français
cumulant deux salaires, ils ne peuvent que s’adapter à la nouvelle
donne du marché du logement en ouvrant plus largement leurs portes
aux salariés inscrits sur les listes d’attente des services
sociaux des entreprises. Les ménages dont le chef est un OS immigré
se substituent ainsi à ceux dont le chef est un ouvrier qualifié ou
un employé et qui formaient jusque-là la clientèle prioritaire des
attributions de logement par les entreprises.
Cette affectation des
familles immigrées dans des quartiers comme le Luth témoigne des
stratégies des organismes logeurs visant à défendre la valeur
globale de leur parc immobilier : ils en sacrifient les secteurs les
moins attractifs car dépourvus de moyens de transport, éloignés
des lieux de travail et des centres urbains, concentrant déjà des
ménages cumulant un capital symbolique négatif. Les ménages
immigrés sont d’autant plus nombreux dans les immeubles du Luth
gérés par les organismes HLM privés que ces derniers représentent
le pôle dévalué du parc de logements possédé par ces organismes.
Des motifs d’ordre économique les conduisent à « faire le plein
» de locataires dans des bâtiments délaissés. D’où l’espèce
de sélection à l’envers à l’oeuvre pour des logements qui
accueillaient initialement la clientèle des employés supérieurs et
des cadres. Les familles immigrées non européennes, comptant de
nombreux enfants et qui auparavant avaient le moins de chances
d’accéder à ce type de bâtiment, en composent aujourd’hui la
clientèle la plus « intéressante » : les allocations familiales
assurent au propriétaire le paiement de loyers élevés. Tels de
nouveaux « marchands de sommeil », certaines sociétés privées
n’ont ainsi aucun intérêt à limiter le surpeuplement des
logements et le développement d’activités clandestines (ateliers
de confection, fabrication de produits alimentaires) grâce
auxquelles certains locataires acquièrent ou complètent leurs
revenus. Si la population de certains immeubles a quasiment doublé
en 20 ans, les moyens alloués aux nettoyage et autres réparations
n’ont cessé de diminuer : effet d’une gestion minimaliste qui a
pour seule finalité la rentabilisation maximale des logements. La
concentration des familles comptant de nombreux enfants s’est alors
traduite par une dégradation accélérée des parties communes des
bâtiments dévolus aux immigrés, de plus en plus assimilés à des
« lieux pourris » par les autres locataires. Ce quartier semble
ainsi pris dans la spirale du déclin : la mauvaise réputation en
détourne à présent les catégories moyennes du salariat.
L’office municipal n’est
pas plus en mesure que les autres organismes HLM de maintenir une
«mixité sociale » dans les deux immeubles qu’il gère dans ce
quartier (totalisant 895 logements), c’est-à-dire de permettre un
renouvellement par le haut des premiers habitants. À partir des
années 1980, les ménages qui accèdent aux bâtiments municipaux du
Luth, en remplacement des premiers locataires, apparaissent
globalement plus démunis que ceux des autres grands ensembles dont
les accès dépendent plus étroitement de la municipalité. Si deux
sur trois cumulent deux revenus, ils ne peuvent pour autant caresser
le rêve d’habiter un pavillon : les revenus sont bas et incertains
du fait de la croissance du chômage et du travail à temps partiel.
Ces nouveaux ménages sont rarement des ménages immigrés avec de
nombreux enfants, la municipalité cherchant par-dessus tout à
éviter le marquage du quartier dans son entier comme « quartier
immigré ». Si les Français restent majoritaires dans les immeubles
municipaux, ce sont donc à présent plus souvent des ménages de
salariés pauvres, de retraités, de divorcés, séparés, formés de
personnes seules et de plus en plus fréquemment de femmes seules
avec enfants. C’est dire si le rassemblement de ménages français
composés de salariés fragilisés et de parents isolés menace
l’équilibre financier des immeubles. Le taux d’endettement des
locataires des bâtiments municipaux du Luth est, en 1992, près de
deux fois plus élevé que le taux moyen (12 %) d’endettement de
l’ensemble des locataires de l’office. La volonté des
responsables de la ville de s’opposer à la « ghettoïsation » de
leur patrimoine immobilier dans ce quartier les conduit à assumer
des pertes économiques importantes. Ils expliquent ne pas avoir
d’autres choix : en refusant d’augmenter le nombre de familles
immigrées qui présenteraient pourtant des garanties plus grandes de
solvabilité 30, ils affirment refuser de « construire des ghettos
». Les pertes économiques engendrées par leur politique de
sélection des ménages sur une base indissociablement sociale,
familiale et nationale s’avèrent à leurs yeux moins élevées que
les pertes électorales qu’une politique plus ouverte pourrait
occasionner.
La hausse des impayés et la
fuite éventuelle des ménages moins démunis ne constituent en effet
qu’un aspect de la pression qui s’exerce sur les élus. Cette
pression se manifeste aussi et peut-être surtout sur le terrain
électoral. Les bâtiments municipaux du Luth sont parmi ceux qui, à
Gennevilliers, fournissent au Front national le plus de suffrages 31.
Ces électeurs ne sont pas seulement perdus pour la municipalité,
ils sont aussi les porte-parole de la cause sécuritaire qui s’est
imposée à l’ensemble des locataires. Contraints de vivre à
proximité des bâtiments peuplés de familles immigrées, se sentant
menacés par des jeunes qui « traînent » près de chez eux, les
locataires français font en permanence état de leur peur et de leur
ressentiment. On mesure ainsi les contradictions dans lesquelles les
élus sont pris : cherchant à défendre la valeur sociale du
quartier et à contrôler le mécontentement des locataires français,
ils sont conduits à durcir les critères d’attribution des
logements aux familles immigrées. Mais d’un autre côté, cette
politique de sélection des ménages favorise, à la manière d’un
effet pervers, le durcissement des opinions contre les immigrés et
leurs enfants devenus pour certains les délinquants. Le
rassemblement de retraités, de femmes seules, de ménages ouvriers
pauvres, de Français aux revenus moyens qui n’ont pas pu suivre la
sortie collective des HLM aboutit en effet à coaliser en une même
expression de rejet des « Arabes » (et des élus de gauche supposés
les soutenir) les ressentiments engendrés par la solitude, le
vieillissement, la précarisation de la condition salariale, le
dénuement familial, l’élévation des normes de consommation en
matière d’habitat. De sorte que l’exacerbation des sentiments
xénophobes et la pression sécuritaire poussent les élus à se
désolidariser plus fortement encore des populations issues de
l’immigration et à se rapprocher des prises de position
répressives qui relèvent traditionnellement d’un registre de
droite.
La fragilisation électorale
des communes rénovées, le basculement à droite de certaines
d’entre elles, le nouvel intérêt des élus locaux de droite pour
les questions relatives à la composition sociale des cités sont
comme autant d’effets politiques et électoraux liés aux
évolutions du peuplement des quartiers HLM. Tout se passe comme si
les élus de droite s’étaient rapprochés de ceux de gauche en «
découvrant » les cités autant que ceux-ci s’étaient rapprochés
d’eux sous la pression d’un électorat dont les repères
politiques sont devenus flous 32. À gauche comme à droite, le
traitement des causes des « problèmes des cités » est ainsi passé
derrière celui de leur peuplement. En valorisant la « mixité
sociale », les maires tentent surtout d’attirer les catégories
stables du salariat dans des quartiers où vivent aujourd’hui les
fractions des classes populaires qui composent massivement le
salariat d’exécution plus ou moins exposé à la précarité. La
gauche semble ainsi renoncer à voir dans les quartiers populaires
ses « bastions » et ses plus sûrs alliés 33. Les quartiers et
leurs habitants tendent à redevenir l’objet de crainte qu’ils
représentaient avant l’implantation du mouvement ouvrier en
banlieue 34. Dans tous les cas, ils sont perçus comme une charge
qu’il s’agit de partager « équitablement ».
La lutte contre les ghettos
menée par les municipalités communistes, prélude à la conquête
actuelle de la « mixité sociale » dans les quartiers populaires, a
pour effet de faire passer au second plan les intérêts communs aux
différentes catégories d’habitants. Négligeant leur réelle
diversité, en termes d’origines nationales et de trajectoires
scolaires et professionnelles, l’objectif de la « mixité »
contribue aussi à occulter ce qui les réunit du point de vue de
leurs conditions d’existence et de travail et à marginaliser les
dynamiques de mobilisation observables dans les quartiers 35. Parce
que les quartiers sont de plus en plus perçus en termes exclusifs de
problèmes ou de « ghettos », leurs porte-parole sont en effet
frappés d’illégitimité. C’est tout particulièrement le cas
des enfants d’immigrés algériens et marocains qui, des années
1980 aux années 1990, ont renouvelé le militantisme social dans les
cités en devenant animateurs et responsables de nombreuses
associations de jeunes, de femmes, de promotion par l’école et le
sport, etc., et qui n’ont pas pu accéder à la représentation
politique 36. Payant au prix fort les logiques ségrégatives sur le
marché du logement social, la montée du FN, la dislocation de « la
» classe ouvrière, la paupérisation des fractions inférieures des
classes populaires et son cortège de délinquance et d’abandon de
soi (toxicomanie…), ils ont été voués aux postes subalternes du
travail social ou purement et simplement mis sur le côté. Les «
militants de cité » ont été renvoyés à leurs origines sociales
et « ethniques » par une classe politique qui, au final, s’est
montrée impuissante à voir en eux de nouveaux relais possibles
entre la gauche et les quartiers, c’est-à-dire autre chose que des
« beurs en galère ».
NOTES
1.
Voir
François Dubet et
al., Les Quartiersd’exil, Paris,
Seuil, 1992.
2.
Loïc
Wacquant, « Pour en finir avec lemythe des “cités-ghettos”. Les
différencesentre la France et les États-Unis », Annalesde
la recherche urbaine, 54,
mars 1992,p. 21-30 ; Patrick Champagne, « Laconstruction médiatique
des “malaisessociaux” », Actes
de la recherche ensciences sociales, 90,
décembre 1991.
3.
Annie
Collovald, « Des désordres sociauxà la violence urbaine », Actes
de larecherche en sciences sociales, 136-137,mars
2001, p. 104-113.
4.
Voir
Gérard Noiriel, « Les espaces del’immigration ouvrière, 1830 –
1930 », inÉtat,
nation et immigration. Vers une histoiredu pouvoir, Paris,
Belin, 2001.
5.
Ce
qui ne signifie pas que les immigrésprécédents aient pu échapper
au racisme,particulièrement virulent lors des baisses del’activité
économique. Voir Gérard Noiriel,Le
Creuset français, Histoire de l’immigrationXIXe–XXe siècles,
Paris,
Seuil, 1988, et RalphSchor, L’Opinion
française et les étrangers 1919 – 1939, Paris,
Publications de la Sorbonne, 1985.
6.
Pour
une analyse de ces débats et descaractéristiques sociales de ces
maires, voir Sylvie Tissot, « Réformer les quartiers.Enquête
sociologique sur une catégorie del’action publique », Paris,
thèse sous la direction de Christian Topalov, EHESS, 2002,
enparticulier le chapitre 1.
7.
Olivier
Masclet, La
Gauche et les cités.Enquête sur un rendez-vous manqué, Paris,
La Dispute, 2003.
8.
Archives
municipales de Gennevilliers, fonds Waldeck L’Huillier.
9.
«
Une grande ville arabe dans le grand Paris. Parmi les cabanes des
Grésillons : 2 000 Africains et deux Africaines »,L’Intransigeant,
11
février 1933.
10.
Susanna
Magri et Christian Topalov, «De la cité-jardin à la ville
rationalisée. Un tournant du projet réformateur, 1905 – 1925.
Étude comparative France, Grande-Bretagne, Italie, États-Unis »,
Revue
française de sociologie, XXVIII,
1987, p. 417-451; Jean-Paul Flamand, Loger
le peuple. Essai sur l’histoire dulogement social, Paris,
La Découverte, 1989.
11.
Pour
une analyse du communisme municipal, voir Annie Fourcaut, Bobigny,
banlieue rouge, Paris,
Éd. ouvrières, 1986.
12.
Sur
l’illégitimité du personnel politique communiste, voir Bernard
Pudal, Prendre
parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris,
Presses de la FNSP, 1989.
13.
Voir
Jean-Noël Retière, Identités
ouvrières. Histoire sociale d’un fief ouvrier en Bretagne 1900 –
1990, Paris,
L’Harmattan, 1994.
16. Emmanuel Soutrenon, «
Faites qu’ils (s’en) sortent… À propos du traitement réservé
aux sans-abri dans le métro parisien», Actes de la recherche en
sciences sociales, 136-137, mars 2001, p. 38-48.
14.
Sur
ce traitement de l’immigration algérienne par l’État avant les
années 1970, voir Abdelmalek Sayad, La
Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de
l’immigré, Paris,
Seuil, 1999.
15.
Sur
les enjeux politiques liés à la construction des foyers durant les
années 1960 – 1970, voir Marc Bernardot, « Chroniques d’une
institution : la Sonacotra (1956 – 1976) », Sociétés
contemporaines, 33-34,
janvieravril 1999.
16.
Emmanuel
Soutrenon, « Faites qu’ils (s’en) sortent… À propos du
traitement réservé aux sans-abri dans le métro parisien», Actes
de la recherche en sciences sociales, 136-137,
mars 2001, p. 38-48.
17.
Pierre
Bourdieu, « Guerre et mutation sociale en Algérie », Études
méditerranéennes, 7,
printemps 1960.
18.
En
région parisienne, les bidonvilles de Nanterre sont les lieux
initiaux de leur regroupement, où femmes et enfants découvrent la
France. Voir Abdelmalek Sayad (avec Éliane Dupuy), « Un Nanterre
algérien, terre de bidonvilles », Autrement,
85,
avril 1985, et les romanciers passés par ces bidonvilles, notamment
Brahim Benaïcha, Vivre
au paradis, Paris,
Épi, Desclée de Brouwer, 1992.
19.
Jean-Claude
Chamboredon, « Construction sociale des populations », in
Marcel
Roncayolo (éd.), Histoire
de la France
urbaine,
t.
5, Paris, Seuil, 1985.
20.
Selon
l’expression de Gérard Noiriel, voir « Nations, nationalités,
nationalismes. Pour une socio-histoire comparée», in État,
nation et immigration, op. cit., p.
125.
21.
Voir
Susanna Magri, « Des “ouvriers” aux “citoyens modestes”,
naissance d’une catégorie : les bénéficiaires des habitations à
bon marché au tournant du XXe siècle », Genèses,
5,
septembre 1991.
22.
Voir
Michel Pialoux et Bruno Théret, « État, classe ouvrière et
logement social », Critique
de l’économie politique, 9,
octobredécembre 1979, p. 43-89, et 10, janvier mars 1980, p. 53-93,
et Henri Coing, Rénovation
urbaine et changement social, Paris,
Éd. ouvrières, 1966.
23.
Sur
les politiques de gestion des exclus des HLM dans les années
1960-1970, voir Michel Pialoux, Politique
du logement et genèse de l’habitat dépotoir, ronéo,
CSE et ministère de l’Équipement, 1977, et Jean-Pierre Tricart, «
Genèse d’un dispositif d’assistance : les cités de transit »,
Revue
française de sociologie, XVIII,
1977, p. 611-625.
24.
M. Pialoux et B. Théret, op. cit., p. 77.
25.
Sur la lutte entre les agents de l’État pour la définition de la
politique du logement dans ces années-là, voir Pierre Bourdieu et
Rosine Christin, « La construction du marché. Le champ
administratif et la production de la “politique du logement” »,
Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, mars 1990.
26.
Ce sont les annotations de Waldeck L’Huillier en marge d’un
document préparant la mobilisation des électeurs pour « diminuer
le pourcentage de travailleurs immigrés ». Nous avons présenté ce
document dans : « Une municipalité communiste face à l’immigration
algérienne et marocaine. Gennevilliers 1950 – 1972 », Genèses,
45, décembre 2001, p. 150-164.
27.
Ce sont les termes d’un amendement visant un meilleur équilibre de
peuplement déposé par un sénateur de droite lors de l’examen de
la LOV. Voir la thèse de S. Tissot, op. cit., p. 64.
28.
Pour une analyse de ces phénomènes en région parisienne, voir
Raymond Guglielmo et Brigitte Moulin, « Les grands ensembles et la
politique », Hérodote, 43, 1986, p. 39-74.
29.
Selon l’expression de R. Guglielmo et B. Moulin, op. cit.
30.
Outre
le soutien des allocations familiales, ces familles ont des enfants
qui, différant leur autonomisation pour toutes sortes de raisons,
restent au domicile de leurs parents et participent au règlement des
loyers.
31.
C’est
vrai jusqu’en 1995. Aux élections municipales de 2001, aucun
candidat de ce parti n’était en lice à Gennevilliers.
32.
Avec
le recul, on observe que les électeurs acquis au PC n’ont pas
basculé vers la droite et l’extrême droite ainsi que l’avaient
pronostiqué nombre de commentateurs politiques. Mais leur analyse a
très certainement contribué à la surestimation par les élus de
gauche des attitudes xénophobes ou sécuritaires des habitants des
cités. Voir à ce sujet Annie Collovald, Le
« Populisme du FN » : un dangereux contresens, Broissieux,
Éd. du Croquant, 2004.
33.
Au
sein du PC, des prises de position sont apparues contre les
implications sociales et politiques de la « mixité sociale ».
C’est le cas de Patrick Braouzec, maire de Saint-Denis (93),
d’Alain Bertho, architecte-urbaniste, et de Makan Rafatdjou, qui
ont signé le 23 octobre 2000 une tribune dans L’Humanité
intitulée
« Changer le peuple ou changer la vie ? Face au consensus autour de
l’objectif de “mixité sociale”, une refondation du communisme
municipal ».
34.
Voir
Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer, « Affiliations et
désaffiliation en banlieue. Réflexions à partir des exemples de
Saint-Denis et d’Aubervilliers », Revue
française de sociologie, 42-2,
2001.
35.
Voir
Michel Kokoreff, La
Force des quartiers. De la délinquance à l’engagement politique,
Paris,
Payot, 2003.
36.
Sur
le militantisme des générations issues de l’immigration
maghrébine, voir O. Masclet, op.
cit., et
Saïd Bouamama, Vingt
ans de marche des beurs, Paris,
Desclée de Brouwer, 1994.
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