Communisme Municipal | Immigration



Carte établie par les services municipaux de Gennevilliers [PCF] en 1966.

Le 24 décembre 1980, le maire communiste de Vitry-sur-Seine, entreprit de démolir au bulldozer un foyer pour travailleurs immigrés en construction, point culminant d'une lutte engagée dès l'après seconde guerre mondiale. Sans droit de vote, les immigrés nord-africains, vont connaître dans la banlieue rouge de Paris, le communisme municipal : le clientélisme et un racisme "urbain" digne de la famille Le Pen, analysé ainsi par Olivier Masclet :

"... en durcissant les différences de classe déjà existantes, la rénovation urbaine des villes industrielles renforce la ligne de démarcation entre ouvriers français et immigrés, plus que jamais tenus à distance par le personnel politique des municipalités de gauche.


Olivier Masclet
Du « bastion » au « ghetto »
Le communisme municipal en butte à l'immigration
Actes de la recherche en sciences sociales
2005/4 - no 159


Comment rendre compte du regard aujourd’hui porté sur les grands ensembles des banlieues populaires comme autant de « quartiers d’exil 1 » ou de « ghettos » dont les populations –forcément homogènes– vivraient en marge des lois et de la République ? On peut en premier lieu évoquer le travail de dramatisation de la réalité opéré par les journalistes : au cours de ces 20 dernières années, les médias (en particulier la télévision) ont imposé une représentation univoque des cités HLM en termes de délinquance et d’insécurité (les fameuses « violences urbaines ») en assimilant les banlieues françaises aux ghettos noirs américains en dépit de leurs très grandes différences sociologiques et historiques 2. De même peut-on évoquer le rôle des « experts de la ville » dans l’imposition des nouvelles représentations des problèmes sociaux, où l’étude des rapports de classes est systématiquement évincée, voire combattue, au profit d’une simple opposition entre les in et les out.


Ces représentations ont largement contribué à dissocier les problèmes des « quartiers » des causes structurelles de la détérioration des conditions d’existence des milieux ouvriers et à les imputer aux caractéristiques de leurs habitants, de plus en plus rendus responsables des difficultés multiples qu’ils rencontrent 3. Cette construction multiforme du problème des « cités-ghettos » a de nombreuses répercussions. Dans le champ politique, elle contribue à dépolitiser les tensions observables dans les cités. Ainsi en 1991, lors des débats parlementaires au sujet de la loi d’orientation de la ville (LOV) visant à contraindre les communes à construire des logements sociaux, il a été peu question des causes structurelles de la dégradation des cités et des conditions d’existence de celles et ceux qui y vivent : chômage de masse, précarisation des contrats de travail, disqualification sociale des jeunes sans formation scolaire et professionnelle, faiblesse des salaires, multiplication des temps partiels, discrimination à l’embauche des fils d’immigrés maghrébins, réduction considérable des dépenses publiques pour la construction de logements sociaux, etc. Autant de causes qui devraient être au principe du clivage d’analyse entre la gauche et la droite et qui, lors de ces débats, semblent avoir été reléguées loin derrière le mot d’ordre de la « mixité sociale ». Sur fond de peur des classes dominantes à l’égard des « nouvelles classes dangereuses », de crise du modèle économique fordiste et de xénophobie, la « mixité sociale » est devenue l’horizon vers lequel tendre, fût-ce au prix de la destruction massive de grands ensembles (barres et tours).

Comment la « mixité sociale » est-elle ainsi devenue le nouveau credo de la classe politique ? Pourquoi les représentants politiques, de droite comme de gauche, se sont-ils approprié ce mot d’ordre ? Il s’agit notamment de s’interroger sur les raisons pour lesquelles l’existence de lieux où les immigrés et leurs enfants sont surreprésentés fait aujourd’hui problème, de tels lieux étant loin de constituer une nouveauté.

Dans l’entre-deux-guerres, il n’est pas rare que la population de certaines villes se compose pour plus de la moitié d’ouvriers et de familles immigrés. Et que dire des corons du Nord et autres cités minières de l’Est de la fin du XIXe siècle où la proportion d’immigrés dépassait fréquemment les 80 % 4 ? Ces cités peuplées de travailleurs étrangers n’ont jamais fait l’objet d’interventions sociales et politiques afin d’en « équilibrer le peuplement 5 ».

Le détour par l’histoire urbaine de ces 50 dernières années met en lumière une coïncidence entre la rénovation urbaine des villes ouvrières et la reprise de l’immigration après 1945 ou, mieux, un processus de dissociation des usines et des cités qui constitue l’arrière-fond de la construction du problème des « cités-ghettos ». Ce n’est pas un hasard si les parlementaires qui interviennent au sujet de la loi d’orientation sur la ville sont souvent des maires de communes dont l’urbanisation porte la marque des Trente Glorieuses 6. Ces maires sont placés aux avant-postes : ayant en charge des communes rénovées, mais à présent peuplées des familles immigrées, ils sont en quelque sorte directement intéressés à la « réforme des quartiers ».

D’une certaine manière, le vote de la LOV signale la relative réussite de leur mobilisation, c’est-à-dire la légitimation des mots d’ordre de dispersion des plus pauvres sur l’ensemble des territoires et de la vision de la situation en termes d’« équilibre des populations et de partage des charges ». L’issue de cette mobilisation n’était rien moins qu’improbable, car ce sont les maires de gauche et plus spécialement les maires communistes, représentants politiques détenant peu de ressources bureaucratiques et dont la légitimité, au sein même du champ politique national, ne cesse de faire problème, qui les premiers ont « défendu » leurs communes contre l’installation jugée trop importante des populations pauvres et immigrées. Pourquoi ces maires communistes se mobilisent-ils, dès les années 1950, pour réduire le pourcentage d’immigrés dans leurs communes ? Pourquoi, eux qui ont vocation à représenter et à défendre la « classe ouvrière dans ses différentes composantes », butent-ils ainsi sur l’immigration ? Et comment leur lutte rencontre-t-elle finalement les intérêts des édiles de droite dans les années 1980 ?

On répondra à ces questions à partir de l’étude d’un cas exemplaire de ces communes de gauche confrontées à l’immigration au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : Gennevilliers, située dans le Nord-Ouest parisien, terrain d’une longue enquête à la fois historique et sociologique 7. Cette ville de 45 000 habitants dévoile, de façon particulièrement marquée, les bouleversements des conditions d’installation des groupes ouvriers et immigrés consécutifs aux opérations de rénovation urbaine. D’une part, en l’espace d’une vingtaine d’années, des années 1955 aux années 1975, plus de 6 000 nouveaux logements y sont construits. Gennevilliers est l’une des villes de France où la part du logement social est la plus élevée : huit logements sur dix sont des logements aidés. D’autre part, l’immigration y est ancienne, en particulier l’immigration algérienne et marocaine dont les ressortissants représentent à la fin des années 1990 plus du quart de la population totale. Gennevilliers se caractérise aussi par l’un des taux les plus importants d’étrangers. Ainsi, le détour par l’histoire du logement dans cette commune met bien au jour les transformations d’ordre structurel des territoires industriels et du logement populaire comme autant de facteurs de la survisibilité actuelle de la population immigrée. En outre, l’analyse de ce « terrain » aide à comprendre la mobilisation politique des élus communistes tant au niveau local qu’au niveau national. Gennevilliers apparaît en effet également exemplaire au regard du travail politique accompli par les porte-parole communistes pour défendre la cause d’un « juste équilibre » des populations. À plusieurs reprises, les maires de Gennevilliers font entendre leur voix à l’Assemblée nationale : lors des débats sur la LOV, mais aussi 20 ans auparavant quand les « quartiers » n’occupaient pas encore l’avant-scène médiatique et politique. À la pointe du combat mené par les élus communistes de la région parisienne pour une répartition « équitable » des immigrés, Waldeck L’Huillier, maire de Gennevilliers, rédige en 1972 une proposition de loi dont l’esprit n’est guère éloigné de la loi actuelle.

La visibilité nouvelle des taudis

L’attention suscitée par le rassemblement des immigrés dans cette commune où, dès les années 1920, les entrepreneurs locaux font appel à la main-d’oeuvre marocaine et algérienne, est antérieure à la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, en 1924, le maire demande au préfet « d’éviter un danger » en interdisant la construction de meublés destinés au logement d’immigrés nord-africains par des promoteurs français qui résident eux dans des communes limitrophes et une délibération du conseil municipal interdit toute nouvelle construction en bois de dortoirs ou de réfectoires 8. Une pétition lancée par les élus recueille 2 749 signatures contre « la création d’un village algérien dans notre agglomération». Mais, dans cette ville décrite par certains articles de presse comme « une grande ville arabe dans le grand Paris 9 », ce sont là les seules interventions ou presque de l’autorité publique. Trente ans plus tard, la municipalité communiste multiplie au contraire les enquêtes sociales et d’hygiène sur ce qu’elle appelle à présent les « centres nord-africains » : objet d’une visibilité nouvelle, les taudis où vivent les immigrés polarisent en effet l’attention des élus.

Pourquoi ce nouveau regard ? D’abord parce que ces élus entreprennent la rénovation urbaine de la commune, bénéficiant pour cela des dispositions juridiques héritées de l’invention du modèle de la planification urbaine et des pensées réformatrices de l’entre-deux guerres qui peu à peu ont imposé à l’État et à ses représentants locaux de nouvelles responsabilités à l’égard de l’habitat populaire et plus largement de la ville dans sa totalité 10. Cet esprit réformateur prend forme après 1945, au moment où l’engagement de l’État s’impose comme légitime. De sorte que les élus locaux ont intériorisé les nouvelles représentations urbaines et les nouvelles normes sociales de l’habitat et de la ville et disposent désormais de nouveaux outils et de nouveaux moyens financiers pour les mettre en oeuvre (plan d’aménagement communal, création d’un office public municipal d’HLM, prêts bonifiés, etc.). De ce point de vue, l’acuité du problème posé par l’existence des « centres nord-africains » résulte des possibilités de concrétisation d’un projet nouveau pour la ville. Les élus communistes de Gennevilliers deviennent en quelque sorte les agents zélés de la réforme urbaine visant à assainir les territoires et à construire un nouvel ordre social reposant sur une meilleure intégration des couches ouvrières.

La nécessité de répondre à la situation du logement à Gennevilliers, caractérisée par le manque, le vieillissement et le surpeuplement, explique le volontarisme politique du personnel politique communiste. Comme les autres maires communistes de la « banlieue rouge », il s’agit de poursuivre le travail politique débuté dans les années 1930, travail de mise en forme d’un espace communal de secours et de services (santé, culture, loisirs, etc.)11. Les élus communistes entendent conforter la représentation d’eux-mêmes en tant que « bons gestionnaires », gage de légitimation d’un personnel politique socialement discrédité et dont l’assise politique au sein des classes populaires est récente et fragile 12.

Mais c’est désormais animés d’une ambition nouvelle : faire d’une cité prolétaire une ville à part entière, dotée de tous les nouveaux équipements culturels et socio-éducatifs, qui suscite une identification positive. Débute alors un deuxième âge du « communisme municipal » au cours duquel la ville se modernise. Sous cet angle, la venue massive après guerre des Algériens et Marocains ne peut qu’être perçue comme une menace pour les projets de rénovation urbaine. La stratégie visant à élever la valeur sociale et symbolique de la commune, c’est-à-dire à opposer au stigmate de la banlieue prolétaire une représentation plus digne de la condition ouvrière, suppose en effet de construire une bonne image du groupe. Elle nécessite, comme l’écrit Jean-Noël Retière, de « faire le tri entre soi pour sauvegarder une bonne image de soi 13 ». Or, massivement embauchés comme OS et manoeuvres, les immigrés appartiennent aux fractions les plus déqualifiées et les moins considérées du groupe ouvrier et sont éloignés du modèle de respectabilité ouvrière que les élus défendent, en raison de leurs conditions de travail et d’existence mais aussi de leur statut d’immigrés et de leur mauvaise réputation héritée de la colonisation.

D’une certaine manière, ils contreviennent au but poursuivi de promotion collective de la classe ouvrière. Ainsi la visibilité nouvelle des taudis est-elle liée non seulement à la diffusion et à la concrétisation des normes d’urbanisme, mais aussi à l’entreprise communiste municipale de rénovation qui conduit les élus à contrôler le nombre d’immigrés algériens et marocains y trouvant refuge. Il s’agit pour eux de s’opposer aux logiques du regroupement territorial des immigrés.

Les conditions dans lesquelles ces immigrés arrivent à Gennevilliers contribuent à expliquer les nouvelles oppositions des élus. Liée au développement de l’activité économique, leur arrivée, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne se comprend pas indépendamment du rôle joué par la solidarité entre compatriotes, à l’origine du regroupement des émigrés originaires des mêmes villages, régions et pays, mais aussi de toutes les formes d’exploitation de la misère permises par l’absence de structures d’hébergement patronales ou étatiques. Le patronat, disposant du réservoir de l’immigration, n’a pas besoin d’intervenir dans la reproduction de la « force de travail simple ». D’autres que lui le font et participent au maintien du coût de la force de travail immigrée à un niveau minimal. Ainsi, ceux que les élus et la presse communistes nomment les « marchands de sommeil », souvent eux-mêmes des Algériens et des Marocains installés de longue date en France, jouent un rôle essentiel dans le rassemblement du prolétariat nord-africain dans les zones industrielles via les hôtels et les meublés qu’ils gèrent. Dans la commune, seuls trois foyers pour « travailleurs nord-africains » ont été construits dans les années 1920 sous l’égide de l’État et déjà sous la pression des élus locaux, qui attendaient de l’autorité centrale qu’elle encadre la présence de ces nouveaux ouvriers.

Réservés aux seuls « célibataires nord-africains », c’est-à-dire algériens, ces foyers visent, dès le départ, à empêcher qu’ils ne fassent venir leur famille. Le souci humanitaire qui préside à leur construction se double en effet de la volonté de limiter l’installation dans la métropole des ressortissants d’Algérie en les contraignant à l’usage d’un espace censé leur rappeler que seul le travail justifie leur présence 14. Mais les 400 lits disponibles dans ces foyers ne peuvent répondre aux besoins des Algériens et des Marocains qui représentent plus du tiers de la population de Gennevilliers au milieu des années 1970. Le nombre des « marchands de sommeil » ne fait donc qu’augmenter après guerre, comme le constate une enquête des services municipaux, réalisée en 1962, qui estime à une cinquantaine le nombre de propriétaires qui, tenant entre leurs mains un véritable marché du logement insalubre, participent de près ou de loin à l’installation dans la ville des travailleurs maghrébins.

Une lutte sans relâche est donc menée contre ces promoteurs de logements pour immigrés, afin de les contraindre à renoncer à leur activité et de faire disparaître les taudis. Cette lutte passe par la multiplication des rapports d’hygiène et des interventions auprès du préfet pour empêcher les immigrés de se porter acquéreurs de tous les biens immobiliers pouvant être transformés en de nouveaux « centres nord-africains ». Elle passe aussi, à partir des années 1960, par la construction de nouveaux foyers pour « travailleurs nord-africains ». Facilitant leur construction, en mettant à la disposition des services préfectoraux les terrains dont elle est propriétaire, la municipalité espère ainsi se débarrasser des bidonvilles et des vieux immeubles reconvertis dans le logement pour immigrés.

Dans le même temps, elle réclame la répartition équilibrée des immigrés dans l’ensemble des communes de la région parisienne. Réaction de défense face aux services de la préfecture qui cherchent à augmenter le nombre de ces foyers dans les villes où les immigrés vivent déjà ou qui les utilisent pour reloger les immigrés expulsés des bidonvilles qui existent un peu partout en région parisienne 15. Contre ces pratiques, affectant plus ou moins directement aux villes de gauche la gestion des « populations encombrantes 16 », la municipalité se mobilise dès les années 1950 pour défendre ses intérêts et ses projets urbains. Ainsi les archives municipales révèlent-elles les nombreux courriers que le maire adresse au préfet pour lui demander de réserver « en priorité » les chambres des foyers aux immigrés vivant dans les bidonvilles de Gennevilliers et refuser la construction de foyers supplémentaires.

Cette lutte contre la multiplication des taudis et des foyers pour immigrés est un des fronts de l’action municipale. Un autre s’ouvre avec l’installation des familles immigrées qui débute bien avant que les politiques de regroupement familial accompagnant la fermeture des frontières en 1974 ne précipitent la venue en France de nombreuses familles étrangères.

« Conséquence sociologique de la guerre en Algérie 17 », le nombre de femmes algériennes augmente en effet subitement entre la fin des années 1950 et le début des années 1960 dans les villes comme Gennevilliers, où l’immigration en provenance des pays du Maghreb se composait jusque-là quasi exclusivement d’hommes seuls 18. De sorte que l’arrivée de ces femmes et de leurs enfants s’effectue au moment même où s’ouvrent les premiers logements neufs des grands ensembles.

Ces familles ne se voient cependant accorder qu’une toute petite place dans les cités nouvelles, si l’on en juge par les chiffres disponibles à Gennevilliers. En 1962, 6 % des familles installées dans les 2 400 logements alors disponibles sont étrangères, principalement algériennes; en 1973, elles sont un peu moins de 5%. Les élus ferment l’entrée des HLM aux familles immigrées, appliquant au fil des années 1960 un quota à leur relogement. Dans les années 1960 – 1970, il n’est pas encore question de défendre la « mixité sociale » des grands ensembles, qui attirent alors une clientèle nombreuse d’ouvriers qualifiés, d’employés et de membres des classes moyennes ; le problème réside dans la « logeabilité » des familles algériennes. L’essor du logement social améliore les conditions générales de logement des classes populaires, mais il entraîne également de nouveaux principes de « construction des populations » sur une base tout à la fois nationale, politique et sociale 19. Les familles immigrées sont particulièrement pénalisées par la bureaucratisation des procédures d’accès au logement et le rôle nouveau, dans son ampleur, des offices municipaux.

Elles le sont d’abord en raison du processus historique de « nationalisation du monde social 20 » auquel contribue le vote de la loi Siegfried, donnant naissance aux HBM (Habitations à bon marché) en 1894. L’entrée dans les logements neufs est en premier lieu surdéterminée par les intentions politiques qui traversent l’histoire du logement social à la fin du XIXe siècle. La loi Siegfried vise à offrir aux citadins des conditions dignes de logement qui assurent l’intégration sociale et politique des « citoyens ». En ne s’adressant plus prioritairement aux ouvriers et aux démunis, mais aux habitants des villes exposés aux « miasmes des taudis », elle marque un changement majeur dans la pensée et l’action réformatrice. Les catégories de bénéficiaires sont dorénavant les « citoyens modestes », ceux qui, dotés de droits politiques, doivent être reconnus comme des membres à part entière de la société 21.

La prise en compte de cet héritage juridique, intériorisé par les agents de l’État, à quelque niveau que ce soit, est nécessaire pour comprendre dans quelle mesure les personnels des offices HLM, comme à Gennevilliers, sont conduits à réserver en priorité les logements sociaux aux Français modestes, premiers bénéficiaires des HLM pour lesquels les législateurs les ont initialement conçues. Cet héritage incorporé dans des dispositions bureaucratiques contribue en effet à diviser les demandeurs en deux populations : la population française appartenant à la « communauté des citoyens » bénéficiant de droit des avantages consubstantiellement liés à l’appartenance nationale, et la population étrangère qui, exclue de cette appartenance, l’est aussi potentiellement des biens publics. Si les responsables communistes de Gennevilliers incluent formellement les immigrés au sein de la classe ouvrière, ils ne peuvent donc pas les traiter à l’égal des ouvriers français : la bureaucratisation de l’accès au logement accroît l’« étrangeté » des étrangers aux yeux du personnel politique de la ville. D’autant que la concurrence est très forte pour l’obtention des logements et que la guerre d’Algérie, contemporaine de l’ouverture des premiers logements, pose d’une manière dramatique la question de l’identité nationale française et algérienne.

Les élus communistes de Gennevilliers ne peuvent pas échapper aux tensions inhérentes à ce conflit, passer outre aux réactions des ouvriers français manifestant très peu de solidarité à l’égard des Algériens contre lesquels eux-mêmes ou leurs fils sont susceptibles de combattre. Les militants du PC qui témoignent aujourd’hui insistent sur l’espèce d’indifférence hostile que les ouvriers manifestaient à leur encontre lors des distributions de tracts appelant à la mobilisation contre cette nouvelle guerre coloniale. Il était donc difficile pour la municipalité d’afficher une solidarité plus grande à l’égard des Algériens.

À ce premier clivage sur une base nationale, hérité de la conception du logement social, s’en ajoute un autre, d’ordre politique ou électoral. Conçue, entre autres choses, comme instrument politique permettant de fidéliser l’électorat populaire, la ville moderne porte l’empreinte des fractions supérieures de la classe ouvrière que les dirigeants communistes représentent et valorisent. En 1962, les ouvriers qualifiés, contremaîtres, employés, techniciens sont ainsi surreprésentés dans les grands ensembles par rapport au poids de leur catégorie d’appartenance dans la population totale des ménages de la ville, à l’inverse des OS, des manoeuvres et des personnels de services. Dans ces conditions, les nouveaux logements procurent à la municipalité une légitimité électorale inédite. Ses scores – comme ceux des autres municipalités PC de la « banlieue rouge » – augmentent fortement dans la seconde moitié des années 1950. Élue dès le premier tour, la liste communiste rassemble ensuite souvent plus de 70 % des voix jusqu’en 1983.

La nécessité d’accumuler et de préserver ce capital politique contribue à accentuer les différences entre deux classes ouvrières : la première disposant du droit de vote, défendue et organisée syndicalement et politiquement, qui a toute sa place dans les cités nouvelles ; la seconde, démunie de porte-parole reconnus, exclue de la citoyenneté politique et cantonnée au marché du logement insalubre, tant son insertion comporte le risque d’une dégradation symbolique de tout ce par quoi les élus tentent de valoriser politiquement « la » classe ouvrière.


UN DOUBLE MOT D’ORDRE. Cette déclaration des élus communistes de la région parisienne, publiée en octobre 1969 dans un bulletin du PCF, est révélatrice de l’imbrication des politiques de rénovation urbaine et des politiques de gestion des populations immigrées.


UNE GÉOGRAPHIE SOCIALE. Cette carte établie par les services municipaux de Gennevilliers en 1966 montre que la concentration (et donc la répartition) des immigrés dans la ville est devenue une préoccupation pour la municipalité.


AFFICHE MUNICIPALE ANNÉES 1950. Appel à la lutte contre la « souillure de la ville » qu’entraînent les bidonvilles et par assimilation leurs habitants.




QUARTIER DES AGNETTES ET QUARTIER DU FOSSÉ DE L’AUMÔNE (GENNEVILLIERS). Socialement loin des bidonvilles et des cités de transit et pourtant tout proches spatialement : les nouveaux grands ensembles, fleurons du communisme municipal, auxquels les familles immigrées ont très peu accès dans les années 1960.


On mesure ainsi combien, en durcissant les différences de classe déjà existantes, la rénovation urbaine des villes industrielles renforce la ligne de démarcation entre ouvriers français et immigrés, plus que jamais tenus à distance par le personnel politique des municipalités de gauche. Mais cette division entre ces deux fractions du groupe ouvrier ne découle pas seulement des contraintes électorales et du projet politique visé par les élus communistes. Elle est aussi la conséquence des critères explicites et implicites réglementant l’accès aux HLM. Les nouvelles normes de logement accentuent le clivage, d’ordre social cette fois, entre les différentes composantes du monde ouvrier en imposant dans une certaine mesure le profil des bénéficiaires 22.

C’est, en premier lieu, le coût des loyers qui, tendanciellement, maintient à l’écart des logements neufs les familles immigrées et favorise au contraire les catégories moyennes du salariat. Leurs salaires étant inférieurs à ceux des familles ouvrières françaises, les familles immigrées et plus généralement d’ouvriers non qualifiés se heurtent à la cherté du logement social. Leur maintien à l’écart des HLM découle en second lieu des attentes inscrites dans le logement lui-même, en termes de style de vie et de style de famille. Occuper un logement neuf, c’est d’abord être capable d’acquitter régulièrement les loyers et donc de prévoir et d’organiser son budget en conséquence. C’est ensuite respecter l’ensemble des exigences dont ce logement est porteur, la somme des usages prédéfinis de l’espace d’habitation qui sont autant d’injonctions à se plier à la manière légitime d’habiter. Les nouvelles normes de logement, bien plus élevées et codifiées que dans l’habitat ancien, creusent la distance entre les grands ensembles et les familles immigrées. Le nombre d’enfants, les taudis qu’elles habitent, leur faiblesse économique, les manières d’être héritées des zones rurales reculées d’où elles sont originaires, tout les désigne comme « inadaptées » au logement neuf qu’elles prétendent occuper.

Ces familles font donc l’objet d’une sélection accrue de la part des services municipaux qui voient en elles une menace pour la qualité des lieux. À Gennevilliers, les familles immigrées relogées en HLM dans les années 1960 – 1970 apparaissent ainsi sursélectionnées parmi l’ensemble des familles placées dans des conditions sociales proches : elles disposent en moyenne de revenus supérieurs et comptent un nombre d’enfants plus faible que celui des autres familles immigrées. Le droit d’entrée est ainsi pour elles bien plus élevé que pour les familles françaises de même niveau social depuis longtemps installées dans la commune et pour qui il existe plusieurs bâtiments à « normes réduites », où les loyers et les règles implicites d’occupation du logement sont moins sélectifs qu’en HLM.

« Pas de ghettos à Gennevilliers »

Perçues comme « inadaptées », ces familles font l’objet d’une prise en charge étatique spécifique qui renforce leur mise à l’écart et leur désignation comme « familles à problèmes ». Tout au long des années 1950 – 1960, un secteur HLM « inférieur » (cités d’urgence, cités de transit, puis HLM à normes réduites 23) se structure en effet, destiné aux familles qui, en raison de la faiblesse de leurs revenus, de leur taille, de leurs comportements supposés ou de leur origine étrangère, ne trouvent pas place dans les grands ensembles. Si l’on en juge par l’augmentation importante du nombre d’immeubles à normes réduites que l’État finance à la fin de cette période, les décideurs politiques nationaux semblent envisager d’institutionnaliser plus fortement l’existence de ce marché du logement au rabais. Mais une autre logique se développe, notamment sous l’effet de la critique du sort réservé aux fractions démunies des classes populaires. Il s’agit désormais d’orienter les « exclus urbains » vers les HLM, les grands ensembles étant ainsi potentiellement appelés à devenir les nouvelles zones à « vocation sociale ».

L’arrêté d’octobre 1968 qui contraint les organismes HLM à faire entrer dans leur parc immobilier un contingent important de « mal logés » (30 %) est un premier facteur de cette évolution possible et redoutée par les élus communistes de la région parisienne qui n’auront de cesse de lutter contre. Cet arrêté répond à la multiplication des opérations de rénovation urbaine entraînant l’expropriation des quartiers anciens de Paris et des communes de banlieue de milliers de ménages. Si une grande partie d’entre eux parvient à intégrer les grands ensembles, restent « sur le carreau » tous ceux dont les caractéristiques sociales ne sont pas conformes aux normes objectives et subjectives des organismes HLM. C’est donc pour forcer ces organismes à admettre ces ménages démunis parmi lesquels la part d’immigrés est prépondérante que l’arrêté est pris. Il aboutit au relogement effectif de milliers de « mal logés ». Ainsi, dans le quartier du Luth à Gennevilliers, pour partie géré par des sociétés HLM privées, gestionnaires du 1 % patronal, bon nombre de « mal logés » sont rapidement affectés, en dépit des protestations de ces organismes.


En assurant le relogement de familles jusque-là maintenues à distance des HLM, la préfecture joue un rôle décisif dans le déclenchement des départs des familles françaises de ce quartier. Entre 1973 et 1980, période durant laquelle les familles immigrées sont plus fréquemment relogées par les services de l’État, ce sont en effet les bâtiments qui les accueillent qui se vident le plus rapidement des ménages des couches moyennes. Fuite classique des ménages dotés de capitaux face à l’installation des familles de rang inférieur dont la proximité présente le risque d’une dégradation statutaire, mais qui ne peut pas laisser indifférents les responsables des organismes HLM : il va de la défense de leurs propres intérêts que de contrôler la composition des voisinages. Ainsi, particulièrement menacés par l’arrêté de 1968, les organismes gestionnaires privés de logement ne peuvent que s’associer à la municipalité pour tenter de convaincre les services de la préfecture de placer ailleurs leurs candidats à un relogement. Au début des années 1970, ils forment une « union sacrée » comme le montrent les courriers qu’ils adressent à la préfecture afin qu’elle disperse les familles immigrées dans l’ensemble du département.

« Sans dramatiser la situation, écrivent plusieurs bailleurs privés au préfet, on peut craindre que l’application de la réglementation ne soit en train de créer des îlots où se trouveront regroupées une trop forte proportion de familles présentant les mêmes caractéristiques, alors que la situation la meilleure serait au contraire de les répartir afin de créer un amalgame favorable à l’élévation de leur comportement, à l’art d’habiter, qu’il serait plus facile de leur apprendre dans des conditions plus favorables […]. L’une de ces mesures serait de limiter le pourcentage des familles étrangères, de façon à ne pas dépasser 10 % à 15 %, même si cette limitation a pour résultat de ne pas ainsi atteindre les pourcentages réglementaires. »

S’adressant en 1972 à la mairie de Gennevilliers, ces mêmes organismes, via la plume d’un responsable, l’assurent de leur soutien:

« J’ai bien compris que vous souhaitiez progressivement contrôler, limiter puis diminuer le taux de population migrante vivant dans votre commune […] dans le but d’intégrer cette population en fonction de son lieu de travail et d’éviter les réactions de rejet de la part de la population française, la naissance de réflexes, puis de raisonnements à caractère raciste. À l’appui de cette politique vient l’expérience née de notre qualité de gérants d’un patrimoine important de logements sociaux pour la plus grande part locatifs. Nous considérons, en effet, que les familles de migrants ne s’adaptent et ne s’intègrent que dans la mesure où le nombre des logements qu’elles occupent n’excède pas 7 %, que la population correspondante n’excède pas 10 % à 12 %, que ce contingent soit fractionné en fonction des pays d’origine – pour moitié d’origine européenne (portugaise, espagnole, yougoslave), pour moitié d’origine africaine (Maghreb, pays de l’Organisation commune africaine et mauricienne) ; enfin, il convient d’éviter que ne se reconstituent clans ou sous-groupes de familles qui se seraient connues sur leur lieu d’habitation précédent. »

D’autres courriers mentionnent explicitement les propos du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas posant comme préalable à « la bonne insertion des familles migrantes » leur dilution dans le corps national. C’est toute la thématique de « l’adaptation des familles » qui est convoquée par les organismes logeurs pour obtenir qu’elles ne soient pas placées dans les mêmes bâtiments, thématique d’État qui justifiait quelques années plus tôt l’ouverture des cités de transit destinées à les initier à « l’art d’habiter » et à les socialiser aux normes de la vie moderne.

Mais l’arrêté de 1968 n’est que l’un des éléments par lesquels se décide peu à peu le sort des grands ensembles. À la fin des années 1960, la construction des HLM stagne et faiblit dans la décennie suivante et les loyers enregistrent une brutale augmentation : conséquences de la diminution des crédits accordés par l’État qui, plus que jamais, encourage les particuliers à s’orienter vers le marché privé du logement. Comme l’écrivent Michel Pialoux et Bruno Théret :

« De Chalandon à Guichard, du concours de maisons individuelles (dites “chalandonnettes”) à la dénonciation des grands ensembles “inhumains” (circulaire Guichard), jusqu’à l’apologie par Giscard des nouveaux “villages” (où l’on doit retrouver le sens de la vie “communautaire” grâce à un harmonieux équilibre entre pavillons et “petits collectifs”), la politique de l’État vise à faciliter la production industrialisée de logements individuels à bon marché, produits à un prix qui permette de garantir aux promoteurs et aux constructeurs un profit “suffisant”24. »

Les classes moyennes, les employés et les fractions supérieures du groupe ouvrier, qui avaient trouvé une solution à leur problème de logement du côté des HLM, sont ainsi vivement encouragés à s’adresser au marché privé.

Ce tournant libéral des politiques du logement s’accompagne de la dénonciation multiforme des « privilégiés » bénéficiant du logement social. Sur fond de stigmatisation de « l’embourgeoisement de la classe ouvrière » qui vivrait repue dans les grands ensembles, les secteurs étatiques acquis au libéralisme pointent les « rentes de situation » des ménages des classes moyennes et d’ouvriers qualifiés logés en HLM dont ils souhaitent augmenter le « taux d’effort 25 ». Au nom d’un certain humanisme, ces critiques mettent en cause la « ségrégation » et l’exclusion des plus faibles par les organismes HLM, privés ou publics, et rencontrent ainsi pour partie celles des associations et des partis d’extrême gauche qui militent en faveur des immigrés dans les taudis, les bidonvilles et les cités de transit. Ce changement d’orientation des politiques du logement représente de fait pour les élus de Gennevilliers – comme pour l’ensemble des municipalités communistes dont la politique de promotion du logement social nourrit la légitimité – une réelle menace : la transformation des quartiers en « cités » pour les exclus de la mobilité résidentielle et la déstabilisation corrélative de leur assise politique.

Dans cette conjoncture, la mobilisation des élus communistes se restructure du niveau local au niveau national. En 1969, les maires communistes de la région parisienne et des élus de Paris publient une « déclaration » dans laquelle ils affirment leur opposition à la politique d’immigration de l’État et du patronat et leur refus de la délégation à leurs communes des « travailleurs immigrés ». Ces maires accusent les « communes riches » de ne pas construire de logements sociaux et, de ce fait, de laisser aux « commune pauvres» toute la charge du relogement des «pauvres» et des « immigrés ». Dénonçant les inégalités entre les communes et le mépris pour les villes ouvrières, les maires communistes semblent ainsi acculer à renoncer à considérer les populations immigrées comme incluses dans la classe ouvrière. Il s’agit bien pour ces maires de se défendre face à l’afflux du nombre de travailleurs immigrés et de familles postulant à un logement HLM ou en passe d’être relogés sur leur territoire :

« À l’heure où des centaines de milliers de familles françaises attendent un logement, le financement du relogement des travailleurs immigrés ne peut et ne doit en aucun cas être à la charge du budget communal. »

Ces maires revendiquent « des mesures exceptionnelles », parmi lesquelles « des fonds supplémentaires pour construire les foyers ou logements nécessaires », la répression accrue des « marchands de sommeil» et «une répartition équilibrée des travailleurs immigrés dans les différentes communes de la banlieue parisienne » : la dispersion des immigrés et des familles immigrées devenant dès lors un leitmotiv dans les prises de position des maires communistes.

Le député-maire de Gennevilliers, Waldeck L’Huillier, est l’un des principaux artisans de cette déclaration. Secrétaire général de l’Association des maires de la Seine, qui regroupe principalement des maires communistes, il bénéficie d’une importante notoriété au sein du comité central. C’est aussi lui qui organise la campagne pour « lutter contre les ghettos » à Gennevilliers au début des années 1970. Il s’agit de faire pression sur les services de la préfecture qui traînent les pieds face aux « marchands de sommeil » et dont les pratiques en matière de relogement contribuent au marquage « ethnique » de certains quartiers.

Mais il s’agit aussi de rassurer un électorat qui, écrit le député-maire, « ne comprend pas » et manifeste de « l’inquiétude » face à l’augmentation du nombre d’immigrés dans les grands ensembles : « demain ce sera pire 26 ». Ainsi, dans un tract rédigé en 1973 et intitulé « Pas de ghettos à Gennevilliers », on peut lire :

« Nous appelons la population tout entière à soutenir l’action du conseil municipal pour stopper d’abord et réduire ensuite le pourcentage de l’immigration dans notre ville. »

Ainsi, dès la fin des années 1960, la dispersion des immigrés dans l’ensemble des communes de la région parisienne s’impose aux maires communistes comme une solution nécessaire aux tensions entre Français et immigrés – qu’ils sont conduits à anticiper et à redouter – et à la préservation de leur entreprise de rénovation urbaine. Mais force est de constater sa très faible audience dans le champ politique national. Au début des années 1970, sur la base de la déclaration des maires communistes, le député-maire de Gennevilliers soutient une proposition de loi visant à imposer la construction de foyers et de logements accessibles aux ouvriers et aux familles immigrés dans toutes les communes. Cherchant à faire reconnaître cette cause au-delà du PCF, condition de la réussite de la lutte contre les « ghettos », il rencontre à plusieurs reprises le maire de droite de la commune voisine d’Asnières, Michel Maurice Bokanowski, lui aussi député et ancien résistant. Les quartiers nord d’Asnières regroupent en effet un nombre élevé d’immigrés, ce qui explique l’intérêt de l’élu de droite pour l’action du député-maire communiste. Mais M. Bokanowski ne peut obtenir des députés de la majorité qu’ils soutiennent cette proposition de loi. La mesure préconisée, censée permettre un meilleur « équilibre des populations », est contraire aux intérêts de la plupart des élus qui s’opposent à la construction de logements sociaux sur leur territoire.

La généralisation du « problème des ghettos »

Vingt ans plus tard, les prises de position lors des débats sur la loi d’orientation sur la ville de 1991 font pourtant étrangement écho à la déclaration des maires communistes de 1969. Ainsi tel sénateur justifiant l’adoption de nouvelles mesures pour « répartir de façon équilibrée les familles étrangères » et « prévenir les regroupements trop importants de celles-ci dans les mêmes immeubles immobiliers ou les mêmes communes 27 ». Députés et sénateurs semblent ainsi conduits à défendre la cause de la « lutte contre les ghettos » par-delà les oppositions partisanes.

Cette généralisation du problème de la concentration des populations immigrées est inséparable des transformations du peuplement des grands ensembles qui ont résulté des nouvelles politiques pavillonnaires et, ceci étant lié à cela, des changements de majorité dans de nombreuses communes. L’élan donné par l’État à l’accession à la propriété individuelle du logement, avec le vote de la loi Barre en 1977, provoque le départ massif des quartiers HLM des ménages des couches moyennes et d’ouvriers qualifiés qui constituaient la base sociale et électorale des municipalités de gauche. Les communes acquises à la droite au début des années 1980 sont ainsi souvent celles que le PC avait gagnées dans les années 1960 – 1970, grâce au renfort de la population nouvelle des grands ensembles 28. La droite profite politiquement du déclassement des quartiers HLM dans la hiérarchie des formes et des statuts d’habitat.

Mobilisation des abstentionnistes de droite en réaction à la dégradation de l’environnement, départ des couches sociales acquises à la gauche, démoralisation des électeurs captifs des cités, installation de nouveaux ménages sans tradition politique constituée et aspirant à quitter au plus vite le logement en HLM : autant de raisons au basculement des majorités municipales. Le « retournement de l’effet politique des grands ensembles 29 » apparaît ainsi comme l’un des facteurs décisifs de la généralisation de la « lutte contre les ghettos » : des maires de toute appartenance politique sont désormais confrontés à l’apparition de nouvelles « zones de répulsion ».

La commune de Gennevilliers, bien que toujours de gauche, en raison notamment de l’ancienneté de la tradition du communisme municipal, offre un bon terrain d’observation des processus de dégradation de l’univers des cités tels qu’ils sont à l’oeuvre un peu partout : les grands ensembles étant devenus les lieux de fixation des familles « indésirables ». Les quartiers les plus affectés par ces processus sont ceux que la municipalité contrôle le moins, comme le quartier du Luth où, dès le début des années 1980, les familles immigrées sont appelées à remplacer les premiers occupants, très majoritairement des familles françaises d’ouvriers qualifiés, d’employés et des classes moyennes. Les organismes HLM privés, déjà contraints par la préfecture à reloger les familles immigrées, sont particulièrement affectés par le départ de ces familles. Perdant toute une partie de leur clientèle et tout spécialement celle composée des ménages ouvriers français cumulant deux salaires, ils ne peuvent que s’adapter à la nouvelle donne du marché du logement en ouvrant plus largement leurs portes aux salariés inscrits sur les listes d’attente des services sociaux des entreprises. Les ménages dont le chef est un OS immigré se substituent ainsi à ceux dont le chef est un ouvrier qualifié ou un employé et qui formaient jusque-là la clientèle prioritaire des attributions de logement par les entreprises.

Cette affectation des familles immigrées dans des quartiers comme le Luth témoigne des stratégies des organismes logeurs visant à défendre la valeur globale de leur parc immobilier : ils en sacrifient les secteurs les moins attractifs car dépourvus de moyens de transport, éloignés des lieux de travail et des centres urbains, concentrant déjà des ménages cumulant un capital symbolique négatif. Les ménages immigrés sont d’autant plus nombreux dans les immeubles du Luth gérés par les organismes HLM privés que ces derniers représentent le pôle dévalué du parc de logements possédé par ces organismes. Des motifs d’ordre économique les conduisent à « faire le plein » de locataires dans des bâtiments délaissés. D’où l’espèce de sélection à l’envers à l’oeuvre pour des logements qui accueillaient initialement la clientèle des employés supérieurs et des cadres. Les familles immigrées non européennes, comptant de nombreux enfants et qui auparavant avaient le moins de chances d’accéder à ce type de bâtiment, en composent aujourd’hui la clientèle la plus « intéressante » : les allocations familiales assurent au propriétaire le paiement de loyers élevés. Tels de nouveaux « marchands de sommeil », certaines sociétés privées n’ont ainsi aucun intérêt à limiter le surpeuplement des logements et le développement d’activités clandestines (ateliers de confection, fabrication de produits alimentaires) grâce auxquelles certains locataires acquièrent ou complètent leurs revenus. Si la population de certains immeubles a quasiment doublé en 20 ans, les moyens alloués aux nettoyage et autres réparations n’ont cessé de diminuer : effet d’une gestion minimaliste qui a pour seule finalité la rentabilisation maximale des logements. La concentration des familles comptant de nombreux enfants s’est alors traduite par une dégradation accélérée des parties communes des bâtiments dévolus aux immigrés, de plus en plus assimilés à des « lieux pourris » par les autres locataires. Ce quartier semble ainsi pris dans la spirale du déclin : la mauvaise réputation en détourne à présent les catégories moyennes du salariat.

L’office municipal n’est pas plus en mesure que les autres organismes HLM de maintenir une «mixité sociale » dans les deux immeubles qu’il gère dans ce quartier (totalisant 895 logements), c’est-à-dire de permettre un renouvellement par le haut des premiers habitants. À partir des années 1980, les ménages qui accèdent aux bâtiments municipaux du Luth, en remplacement des premiers locataires, apparaissent globalement plus démunis que ceux des autres grands ensembles dont les accès dépendent plus étroitement de la municipalité. Si deux sur trois cumulent deux revenus, ils ne peuvent pour autant caresser le rêve d’habiter un pavillon : les revenus sont bas et incertains du fait de la croissance du chômage et du travail à temps partiel. Ces nouveaux ménages sont rarement des ménages immigrés avec de nombreux enfants, la municipalité cherchant par-dessus tout à éviter le marquage du quartier dans son entier comme « quartier immigré ». Si les Français restent majoritaires dans les immeubles municipaux, ce sont donc à présent plus souvent des ménages de salariés pauvres, de retraités, de divorcés, séparés, formés de personnes seules et de plus en plus fréquemment de femmes seules avec enfants. C’est dire si le rassemblement de ménages français composés de salariés fragilisés et de parents isolés menace l’équilibre financier des immeubles. Le taux d’endettement des locataires des bâtiments municipaux du Luth est, en 1992, près de deux fois plus élevé que le taux moyen (12 %) d’endettement de l’ensemble des locataires de l’office. La volonté des responsables de la ville de s’opposer à la « ghettoïsation » de leur patrimoine immobilier dans ce quartier les conduit à assumer des pertes économiques importantes. Ils expliquent ne pas avoir d’autres choix : en refusant d’augmenter le nombre de familles immigrées qui présenteraient pourtant des garanties plus grandes de solvabilité 30, ils affirment refuser de « construire des ghettos ». Les pertes économiques engendrées par leur politique de sélection des ménages sur une base indissociablement sociale, familiale et nationale s’avèrent à leurs yeux moins élevées que les pertes électorales qu’une politique plus ouverte pourrait occasionner.

La hausse des impayés et la fuite éventuelle des ménages moins démunis ne constituent en effet qu’un aspect de la pression qui s’exerce sur les élus. Cette pression se manifeste aussi et peut-être surtout sur le terrain électoral. Les bâtiments municipaux du Luth sont parmi ceux qui, à Gennevilliers, fournissent au Front national le plus de suffrages 31. Ces électeurs ne sont pas seulement perdus pour la municipalité, ils sont aussi les porte-parole de la cause sécuritaire qui s’est imposée à l’ensemble des locataires. Contraints de vivre à proximité des bâtiments peuplés de familles immigrées, se sentant menacés par des jeunes qui « traînent » près de chez eux, les locataires français font en permanence état de leur peur et de leur ressentiment. On mesure ainsi les contradictions dans lesquelles les élus sont pris : cherchant à défendre la valeur sociale du quartier et à contrôler le mécontentement des locataires français, ils sont conduits à durcir les critères d’attribution des logements aux familles immigrées. Mais d’un autre côté, cette politique de sélection des ménages favorise, à la manière d’un effet pervers, le durcissement des opinions contre les immigrés et leurs enfants devenus pour certains les délinquants. Le rassemblement de retraités, de femmes seules, de ménages ouvriers pauvres, de Français aux revenus moyens qui n’ont pas pu suivre la sortie collective des HLM aboutit en effet à coaliser en une même expression de rejet des « Arabes » (et des élus de gauche supposés les soutenir) les ressentiments engendrés par la solitude, le vieillissement, la précarisation de la condition salariale, le dénuement familial, l’élévation des normes de consommation en matière d’habitat. De sorte que l’exacerbation des sentiments xénophobes et la pression sécuritaire poussent les élus à se désolidariser plus fortement encore des populations issues de l’immigration et à se rapprocher des prises de position répressives qui relèvent traditionnellement d’un registre de droite.

La fragilisation électorale des communes rénovées, le basculement à droite de certaines d’entre elles, le nouvel intérêt des élus locaux de droite pour les questions relatives à la composition sociale des cités sont comme autant d’effets politiques et électoraux liés aux évolutions du peuplement des quartiers HLM. Tout se passe comme si les élus de droite s’étaient rapprochés de ceux de gauche en « découvrant » les cités autant que ceux-ci s’étaient rapprochés d’eux sous la pression d’un électorat dont les repères politiques sont devenus flous 32. À gauche comme à droite, le traitement des causes des « problèmes des cités » est ainsi passé derrière celui de leur peuplement. En valorisant la « mixité sociale », les maires tentent surtout d’attirer les catégories stables du salariat dans des quartiers où vivent aujourd’hui les fractions des classes populaires qui composent massivement le salariat d’exécution plus ou moins exposé à la précarité. La gauche semble ainsi renoncer à voir dans les quartiers populaires ses « bastions » et ses plus sûrs alliés 33. Les quartiers et leurs habitants tendent à redevenir l’objet de crainte qu’ils représentaient avant l’implantation du mouvement ouvrier en banlieue 34. Dans tous les cas, ils sont perçus comme une charge qu’il s’agit de partager « équitablement ».

La lutte contre les ghettos menée par les municipalités communistes, prélude à la conquête actuelle de la « mixité sociale » dans les quartiers populaires, a pour effet de faire passer au second plan les intérêts communs aux différentes catégories d’habitants. Négligeant leur réelle diversité, en termes d’origines nationales et de trajectoires scolaires et professionnelles, l’objectif de la « mixité » contribue aussi à occulter ce qui les réunit du point de vue de leurs conditions d’existence et de travail et à marginaliser les dynamiques de mobilisation observables dans les quartiers 35. Parce que les quartiers sont de plus en plus perçus en termes exclusifs de problèmes ou de « ghettos », leurs porte-parole sont en effet frappés d’illégitimité. C’est tout particulièrement le cas des enfants d’immigrés algériens et marocains qui, des années 1980 aux années 1990, ont renouvelé le militantisme social dans les cités en devenant animateurs et responsables de nombreuses associations de jeunes, de femmes, de promotion par l’école et le sport, etc., et qui n’ont pas pu accéder à la représentation politique 36. Payant au prix fort les logiques ségrégatives sur le marché du logement social, la montée du FN, la dislocation de « la » classe ouvrière, la paupérisation des fractions inférieures des classes populaires et son cortège de délinquance et d’abandon de soi (toxicomanie…), ils ont été voués aux postes subalternes du travail social ou purement et simplement mis sur le côté. Les « militants de cité » ont été renvoyés à leurs origines sociales et « ethniques » par une classe politique qui, au final, s’est montrée impuissante à voir en eux de nouveaux relais possibles entre la gauche et les quartiers, c’est-à-dire autre chose que des « beurs en galère ».



NOTES

1. Voir François Dubet et al., Les Quartiersd’exil, Paris, Seuil, 1992.
2. Loïc Wacquant, « Pour en finir avec lemythe des “cités-ghettos”. Les différencesentre la France et les États-Unis », Annalesde la recherche urbaine, 54, mars 1992,p. 21-30 ; Patrick Champagne, « Laconstruction médiatique des “malaisessociaux” », Actes de la recherche ensciences sociales, 90, décembre 1991.
3. Annie Collovald, « Des désordres sociauxà la violence urbaine », Actes de larecherche en sciences sociales, 136-137,mars 2001, p. 104-113.
4. Voir Gérard Noiriel, « Les espaces del’immigration ouvrière, 1830 – 1930 », inÉtat, nation et immigration. Vers une histoiredu pouvoir, Paris, Belin, 2001.
5. Ce qui ne signifie pas que les immigrésprécédents aient pu échapper au racisme,particulièrement virulent lors des baisses del’activité économique. Voir Gérard Noiriel,Le Creuset français, Histoire de l’immigrationXIXe–XXe siècles, Paris, Seuil, 1988, et RalphSchor, L’Opinion française et les étrangers 1919 – 1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985.
6. Pour une analyse de ces débats et descaractéristiques sociales de ces maires, voir Sylvie Tissot, « Réformer les quartiers.Enquête sociologique sur une catégorie del’action publique », Paris, thèse sous la direction de Christian Topalov, EHESS, 2002, enparticulier le chapitre 1.
7. Olivier Masclet, La Gauche et les cités.Enquête sur un rendez-vous manqué, Paris, La Dispute, 2003.
8. Archives municipales de Gennevilliers, fonds Waldeck L’Huillier.
9. « Une grande ville arabe dans le grand Paris. Parmi les cabanes des Grésillons : 2 000 Africains et deux Africaines »,L’Intransigeant, 11 février 1933.
10. Susanna Magri et Christian Topalov, «De la cité-jardin à la ville rationalisée. Un tournant du projet réformateur, 1905 – 1925. Étude comparative France, Grande-Bretagne, Italie, États-Unis », Revue française de sociologie, XXVIII, 1987, p. 417-451; Jean-Paul Flamand, Loger le peuple. Essai sur l’histoire dulogement social, Paris, La Découverte, 1989.
11. Pour une analyse du communisme municipal, voir Annie Fourcaut, Bobigny, banlieue rouge, Paris, Éd. ouvrières, 1986.
12. Sur l’illégitimité du personnel politique communiste, voir Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de la FNSP, 1989.
13. Voir Jean-Noël Retière, Identités ouvrières. Histoire sociale d’un fief ouvrier en Bretagne 1900 – 1990, Paris, L’Harmattan, 1994.
16. Emmanuel Soutrenon, « Faites qu’ils (s’en) sortent… À propos du traitement réservé aux sans-abri dans le métro parisien», Actes de la recherche en sciences sociales, 136-137, mars 2001, p. 38-48.

14. Sur ce traitement de l’immigration algérienne par l’État avant les années 1970, voir Abdelmalek Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.
15. Sur les enjeux politiques liés à la construction des foyers durant les années 1960 – 1970, voir Marc Bernardot, « Chroniques d’une institution : la Sonacotra (1956 – 1976) », Sociétés contemporaines, 33-34, janvieravril 1999.
16. Emmanuel Soutrenon, « Faites qu’ils (s’en) sortent… À propos du traitement réservé aux sans-abri dans le métro parisien», Actes de la recherche en sciences sociales, 136-137, mars 2001, p. 38-48.
17. Pierre Bourdieu, « Guerre et mutation sociale en Algérie », Études méditerranéennes, 7, printemps 1960.
18. En région parisienne, les bidonvilles de Nanterre sont les lieux initiaux de leur regroupement, où femmes et enfants découvrent la France. Voir Abdelmalek Sayad (avec Éliane Dupuy), « Un Nanterre algérien, terre de bidonvilles », Autrement, 85, avril 1985, et les romanciers passés par ces bidonvilles, notamment Brahim Benaïcha, Vivre au paradis, Paris, Épi, Desclée de Brouwer, 1992.
19. Jean-Claude Chamboredon, « Construction sociale des populations », in Marcel Roncayolo (éd.), Histoire de la France
urbaine, t. 5, Paris, Seuil, 1985.
20. Selon l’expression de Gérard Noiriel, voir « Nations, nationalités, nationalismes. Pour une socio-histoire comparée», in État, nation et immigration, op. cit., p. 125.
21. Voir Susanna Magri, « Des “ouvriers” aux “citoyens modestes”, naissance d’une catégorie : les bénéficiaires des habitations à bon marché au tournant du XXe siècle », Genèses, 5, septembre 1991.
22. Voir Michel Pialoux et Bruno Théret, « État, classe ouvrière et logement social », Critique de l’économie politique, 9, octobredécembre 1979, p. 43-89, et 10, janvier mars 1980, p. 53-93, et Henri Coing, Rénovation urbaine et changement social, Paris, Éd. ouvrières, 1966.
23. Sur les politiques de gestion des exclus des HLM dans les années 1960-1970, voir Michel Pialoux, Politique du logement et genèse de l’habitat dépotoir, ronéo, CSE et ministère de l’Équipement, 1977, et Jean-Pierre Tricart, « Genèse d’un dispositif d’assistance : les cités de transit », Revue française de sociologie, XVIII, 1977, p. 611-625.
24. M. Pialoux et B. Théret, op. cit., p. 77.
25. Sur la lutte entre les agents de l’État pour la définition de la politique du logement dans ces années-là, voir Pierre Bourdieu et Rosine Christin, « La construction du marché. Le champ administratif et la production de la “politique du logement” », Actes de la recherche en sciences sociales, 81-82, mars 1990.
26. Ce sont les annotations de Waldeck L’Huillier en marge d’un document préparant la mobilisation des électeurs pour « diminuer le pourcentage de travailleurs immigrés ». Nous avons présenté ce document dans : « Une municipalité communiste face à l’immigration algérienne et marocaine. Gennevilliers 1950 – 1972 », Genèses, 45, décembre 2001, p. 150-164.
27. Ce sont les termes d’un amendement visant un meilleur équilibre de peuplement déposé par un sénateur de droite lors de l’examen de la LOV. Voir la thèse de S. Tissot, op. cit., p. 64.
28. Pour une analyse de ces phénomènes en région parisienne, voir Raymond Guglielmo et Brigitte Moulin, « Les grands ensembles et la politique », Hérodote, 43, 1986, p. 39-74.
29. Selon l’expression de R. Guglielmo et B. Moulin, op. cit.
30. Outre le soutien des allocations familiales, ces familles ont des enfants qui, différant leur autonomisation pour toutes sortes de raisons, restent au domicile de leurs parents et participent au règlement des loyers.
31. C’est vrai jusqu’en 1995. Aux élections municipales de 2001, aucun candidat de ce parti n’était en lice à Gennevilliers.
32. Avec le recul, on observe que les électeurs acquis au PC n’ont pas basculé vers la droite et l’extrême droite ainsi que l’avaient pronostiqué nombre de commentateurs politiques. Mais leur analyse a très certainement contribué à la surestimation par les élus de gauche des attitudes xénophobes ou sécuritaires des habitants des cités. Voir à ce sujet Annie Collovald, Le « Populisme du FN » : un dangereux contresens, Broissieux, Éd. du Croquant, 2004.
33. Au sein du PC, des prises de position sont apparues contre les implications sociales et politiques de la « mixité sociale ». C’est le cas de Patrick Braouzec, maire de Saint-Denis (93), d’Alain Bertho, architecte-urbaniste, et de Makan Rafatdjou, qui ont signé le 23 octobre 2000 une tribune dans L’Humanité intitulée « Changer le peuple ou changer la vie ? Face au consensus autour de l’objectif de “mixité sociale”, une refondation du communisme municipal ».
34. Voir Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer, « Affiliations et désaffiliation en banlieue. Réflexions à partir des exemples de Saint-Denis et d’Aubervilliers », Revue française de sociologie, 42-2, 2001.
35. Voir Michel Kokoreff, La Force des quartiers. De la délinquance à l’engagement politique, Paris, Payot, 2003.
36. Sur le militantisme des générations issues de l’immigration maghrébine, voir O. Masclet, op. cit., et Saïd Bouamama, Vingt ans de marche des beurs, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

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