Pierre Bourdieu | Les Jeux Olympiques



" ... et favoriser ainsi l'épanouissement des potentialités d'universalisme, aujourd'hui menacées d'anéantissement, qu'enferment les Jeux olympiques."

Pierre Bourdieu
Les Jeux olympiques
Programme pour une analyse *
Actes de la recherche en sciences sociales | juin 1994

Qu'entendons-nous exactement quand nous parlons des Jeux olympiques ? Le réfèrent apparent, c'est la manifestation «réelle», c'est-à-dire un spectacle proprement sportif, confrontation d'athlètes venus de tout l'univers qui s'accomplit sous le signe d'idéaux universalistes, et un rituel, à forte coloration nationale, sinon nationaliste, défilé par équipes nationales, remise des médailles avec drapeaux et hymnes nationaux. Le réfèrent caché, c'est l'ensemble des représentations de ce spectacle que filment et diffusent les télévisions, sélections nationales opérées dans le matériau en apparence nationalement indifférencié (puisque la compétition est internationale) qui se trouve offert sur le stade. Objet doublement caché, puisque personne ne le voit dans sa totalité et que personne ne voit qu'il n'est pas vu, chaque téléspectateur pouvant avoir l'illusion de voir le spectacle olympique dans sa vérité.

USA 1960's | Urbanisme Underground | Architectures Alternatives






« Nous sommes à l'aube d'une révolution qui sera différente de celles du passé parce qu'elle sera faite par la culture et par l'individu ; elle ne changera la structure politique qu'en dernier ressort. Elle n'aura pas besoin de la violence pour réussir et on ne pourra pas, avec succès, lui résister par la violence. »


Charles Reich, professeur de Droit à l'université de Yale.
(The Greening of America, 1970).





Les conquêtes simultanées de nouveaux territoires jamais explorés, pour la seule année 1969, effectuées par les ou aux États-Unis, stupéfièrent son peuple et le monde entier ; sans doute, la plus spectaculaire aura été la conquête spatiale concrétisée le 21 juillet avec les premiers pas d’humains sur la Lune ; peu après, le 15 août débutait le festival de Woodstock ayant réuni 500.000 spectateurs-acteurs, un évènement inédit, et un des espaces symboliques – et aussitôt mythiques - de représentation de force de la contre-culture rebelle, où à peu près toutes les valeurs de l’Amérique bien pensante conservatrice étaient bafouées publiquement : Sex, Drugs and Rock’n Roll servaient la propagande anti-militaire et anti-raciste ; un autre espace s’ouvre également à l’Humanité, immatériel et plus confidentiel mais à la portée tout aussi exceptionnelle : le réseau informatique avec la naissance le 29 octobre, d’Arpanet (Advanced Research Projects Agency Network), ancêtre d’internet et des communautés virtuelles.



Ces trois événements – Apollo (technique), Arpanet (communication), Woodstock (contre-culture)[1] – symbolisent la fin d’une longue époque emprunte de passéisme, et marquent la transition avec un Nouveau monde entièrement tourné vers un futur encore incertain, interrogeant les avenirs possibles, souhaitables de l’Humanité, et donc, naturellement, leurs caractères utopiques, futurs radieux ou irradiés, consacrés en particulier par les architectes visionnaires ou sceptiques des avant-gardes, inspirés par à la fois les nouvelles technologies et les aspirations du monde contre-culturel et de sa propre utopie, concrétisées bien avant l’année 1969, et elles-aussi, ayant interrogées ou scandalisées les Américains ; 1969, première année également de la présidence de Nixon, bien décidé à éradiquer la moindre contestation .[2]


ITALIE | la Ville selon Mussolini


Le prêtre Luigi Sturzo, membre du Parti populaire italien alors en exil à Londres, écrivait: « La finance fasciste favorise la richesse capitaliste.»  
L'Italie et le fascisme (1927). Cité par Daniel Guérin, Fascisme et grand capital (1936).

Le principal héritage de vingt années de fascisme est le spectaculaire déficit structurel à l’échelle nationale du parc de logements sociaux, qui sera un des éléments déterminant des luttes urbaines à venir. Alors que la population augmentait, l’Italie fasciste n’a pratiquement pas construit de logements - salubres et pérennes - destinés à la classe populaire, contrainte d’habiter dans des taudis à la périphérie des villes ou de s’entasser dans les centres urbains.

Le second héritage de la politique ségrégative des villes de l’ère fasciste est la multitude de foyers de pauvreté et de véritables ghettos, mais, qui seront à l’origine de la création d’organisations formant un réseau clandestin d’entraide qui deviendront l’armature des premières associations d’habitants, de résistants au régime, puis par la suite des foyers de contestation particulièrement actifs. 


Mussolini Révolutionnaire socialiste

Mussolini est issu d’une famille pauvre, dont le père est proche des milieux socialiste et anarchiste. Dans le livre qu’il consacrera en 1931 à la mémoire de son frère Arnaldo, il évoque la pauvreté des conditions de vie de la famille : « Arnaldo et moi, nous couchions alors dans la même chambre, dans le même lit de fer, construit par mon père, sans autre matelas qu’un sac de feuilles de maïs. Notre logement se composait de deux pièces au deuxième étage du Palazzo Verano et, pour y accéder, il fallait traverser la troisième pièce qui faisait salle d’école. Notre chambre servait aussi de cuisine [1] ». 

Le futur dictateur fasciste débute sa carrière politique au début des années 1900 comme syndicaliste, et il se range dans l’aile révolutionnaire du Parti Socialiste Italien. À cette époque le Parti socialiste avait pour objectif de «politiser» les classes populaires, qui pourrait permettre un continuel renouvellement de la classe dirigeante à laquelle s’agrègent, selon un mécanisme lent, graduel et moléculaire, les individus les plus remarquables provenant des basses classes de la société. Un grand nombre de politiciens de l’entre-deux guerre passèrent ainsi dans cette chambre de décantation et d’apprentissage, dont Mussolini et son futur opposant, Antonio Gramsci, un des fondateurs du Parti Communiste Italien. 

Architectures du Front populaire


Villejuif,  groupe scolaire Karl-Marx | 1933

Jean-Louis COHEN
Architectures du Front populaire
Le Mouvement social | janvier – mars 1989
La durée est à la base de toute production architecturale appréciable et il y a donc quelque paradoxe à vouloir saisir dans le champ de la construction l'effet d'un phénomène politique tel que le Front populaire, qui ne débouchera guère sur des actions publiques permettant l'essor d'une architecture spécifique. Les inflexions déterminantes en matière de politique de l'habitation et de l'urbanisme sont bien antérieures et correspondent aux lois Loucheur et Sarraut, la « pause » dans les programmes de construction consécutive à la crise ne s'achevant pas avec le Front populaire, mais avec la reconstruction d'après 1945.

Michel Foucault : Introduction à la vie non-fasciste



Michel Foucault
Introduction à la vie non-fasciste
Préface à la traduction américaine de l’Anti-Œdipe
1977
En rendant un modeste hommage à saint François de Sales, on pourrait dire que L’Anti-Oedipe* est une introduction à la vie non fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :
  • Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante.

  • Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale.
  • Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.
  • N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire.
  • N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique.
  • N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ».
  • Ne tombez pas amoureux du pouvoir.

Michel Foucault
Introduction à la vie non-fasciste
Préface à la traduction américaine de l’Anti-Œdipe, 1977

* de Gilles Deleuze et Félix Guattari.

VIETNAM | Guerre Écologique


LIFE | August 1972

La stratégie militaire de la Russie de détruire, le 6 juin 2023, le barrage de Kakhova en Ukraine afin d'inonder des terres arables et urbanisées nous rappelle celle des USA durant la guerre du Vietnam : celle condamnée par les Nations Unies.

Au Nord-Vietnam, les digues ont une importance vitale, car elles protègent des terribles crues des fleuves qui coulent au-dessus des plaines, sur une levée formée par les alluvions. Les bombardements de l'US Air Force auront ainsi pour objectif, leur destruction afin d'inonder des milliers d'hectares de terres agricoles, de rizières,  les villages et leurs habitants. La guerre du Vietnam, nouvelle forme de guerre que l'on a qualifié  d'«écologique», du fait des bombardements et plus encore, de la fabuleuse quantité de défoliants répandus méthodiquement, marque dans l'histoire une étape nouvelle : pour la première fois, des méthodes de destruction et de modification du milieu géographique, à la fois dans ses aspects «physiques» et «humains », ont été mises en oeuvre pour supprimer les conditions géographiques indispensables à la vie de plusieurs dizaines de millions d'hommes.


Lazar Khidekel | Architecture et Environnement

 


Préserver la nature au sol : une aéro-ville (1923)



Lazar Khidekel (1904 - 1986), architecte et artiste suprématiste en Union soviétique, a été le premier concepteur au milieu des années 1920, à imaginer une ville hors sol, une « aéro-ville ».

Ah, encore, songeons nous à priori, un délire d’architecte sinon une utopie irréalisable. Et bien non : son projet de cité hors sol était parfaitement réalisable : techniquement ses constructions aériennes ne comportent aucune difficulté pour leur réalisation.

Mais ce projet nous intéresse particulièrement car en effet, l’idée maîtresse de l’architecte était de protéger le sol, de le laisser libre à la nature, dans une démarche que l’on qualifie de nos jours d’environnementaliste. Pour Khidekel, l'"interaction avec la nature environnante" devait être différente de l'approche adoptée par "les artistes du passé [qui] ne percevaient que l'aspect extérieur de la nature". Il soulignait que :

"avec la découverte des forces internes et cachées de la nature, une nouvelle civilisation supérieure est née, dans laquelle l'architecture de l'avenir doit être basée sur ses propres lois qui, au lieu de détruire le milieu naturel, entreront dans une relation bénéfique et spéciale avec la nature environnante".

Cette approche distingue les visions futuristes de Khidekel de celles de ses contemporains, qui envisageaient la victoire de la technologie sur la nature. Khidekel anticipe les approches modernes du changement environnemental et les développements des années 1950-1960. Bien avant les projets de villes aériennes de Yona Friedman, la New Babylon de Constant et le projet Clusters in the Air d'Isozaki, Khidekel imaginait un monde de gratte-ciel horizontaux qui, en apesanteur, semblaient flotter à l'infini à la surface de la terre, préservant au mieux, son milieu naturel.






Yona Friedman - 1960's :


Constant - 1960's :


TAHITI | Papeete

 



Tahiti | Papeete
l.u.i. 2020


« Une chose est évidente, il n’y a rien dans ces entassements de béton qui relie l’architecture de cette ville (Papeete) à une quelconque culture particulière. Ces mêmes immeubles lépreux se retrouvent dans toutes les villes ouvrières déshéritées du monde occidental. Ce qui reste à la fin de cette courte promenade, c’est que Papeete est une ville sans âme, bruyante, sale et délabrée. Un peu comme une cité qui est lentement en train de mourir.»
Julien Gué 
To'ere
juillet 2005


Les (rarissimes) études, rapports émanant des services concernés de Polynésie et des technocrates de la Métropole, s'accordent à estimer que la population [1] à Tahiti vivant sous le seuil de pauvreté s'élève à 25 % ; estimation indécente contestée par les observateurs de la chose qui affirment une réalité plus proche des 50 %, chiffre devant être augmenté par les effets dévastateurs de la pandémie, ayant en particulier ravagé les emplois associés aux activités touristiques, principales richesses des archipels.

Mais la pandémie ne peut expliquer une situation - dramatique - d'aussi grande pauvreté, elle l'exacerbe ; la Polynésie française est en effet dotée de dispositifs fiscaux spécifiques, ayant pour conséquence le renforcement des inégalités sociales : ici, au Paradis, les aides et protections sociales accordées aux plus vulnérables et indigents mais aussi aux salariés n'existent pas, les allocations chômage, de logement, le revenu de solidarité active, etc., ces formes d'assistanat promptes à ruiner le Pays et l'ardeur des travailleurs, dit-on. A l'inverse, l’absence d’impôt sur le revenu des personnes physiques, y compris aisées, et de frais de succession en cas d'héritage grèvent le budget du Pays, compensé par des taxes douanières et indirectes, qui elles pèsent très lourdement sur celui des ménages, en particulier des plus modestes. 

D'autre part, les élites gouvernantes de Polynésie ne se sont pas privé, pendant des décennies, et dans une moindre mesure, aujourd'hui, à abuser de leurs pouvoirs afin de s'enrichir en puisant allègrement dans les aides financières offertes par les gouvernements de France, à les utiliser pour asseoir au mieux leur clientélisme, à régner.
 [2] Ainsi, selon Julien Gué [3], habitant à Tahiti, ancien journaliste de l'hebdomadaire Toere, interrogé en 2020 :
« Donc c'est cela la Polynésie, plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, c'est une élite locale qui détourne les fonds publics en toute impunité. Et rien n'est fait d'un point de vue sociale, sociétale, rien n'est fait pour l'avancée du pays.»  
Les incidences et conséquences urbaines et architecturales, et environnementales dans le Grand Papeete [4] sont à la mesure des inégalités sociales qui régissent le Pays : l'urbanisation rapide de l'agglomération dans les années 1960 s'est effectuée sans plan d'urbanisme d'ensemble, ou même communal, sinon des schémas prêtant à de multiples interprétations, sans contraintes architecturales, sinon celle de la hauteur des constructions ; une modernisation placée sous l'égide du laisser-faire, des dérogations, d'un laxisme des plus hautes autorités locale et de Paris, et sans aucun doute, de l'incompétence extravagante et notoire des administrateurs et ingénieurs, débarqués de la métropole, et n'ayant aucune connaissance de la société "indigène", qu'il s'agit de moderniser ; certes, malgré de temps à autres de grandes déclarations d'intention et, parfois, des tentatives devant ordonner les désordres, toutes vaines, ou bien sans grande portée face à la machine spéculative et celle technocratique.

MIKE DAVIS | Ecologie en temps de guerre

 


"La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d’écologie populaire de l’histoire des États-Unis."

Mike Davis

Écologie en temps de guerre. Quand les États-Unis luttaient contre le gaspillage des ressources

In la revue Mouvements 2008/2

Article initialement paru sous le titre « Home-Front Ecology » dans le Magazine Sierra Club (juillet-août 2007).


Mike Davis nous a quitté ce 25 octobre 2022.

Aux États-Unis, les générations actuelles sont-elles équipées pour répondre au défi homérique que représente le réchauffement climatique ? Si les grands médias glosent à longueur de pages sur les « crédits de carbone », les « voitures hybrides » et l’« urbanisme intelligent », il n’en reste pas moins que notre empreinte écologique ne cesse d’augmenter. À titre d’exemple, la maison américaine typique est aujourd’hui 40 % plus grande qu’il y a vingt-cinq ans, alors même que la taille de chaque foyer s’est réduite. Dans le même temps, les mammouths du genre 4×4 (qui représentent 50 % des voitures particulières) ont envahi les autoroutes, tandis que la taille des surfaces commerciales par habitant – un moyen indirect, mais fiable, de mesurer l’augmentation de la consommation – a quadruplé.

2Autrement dit, nous sommes trop nombreux à parler d’écologie tout en conservant un mode de vie surdimensionné – donnant ainsi du grain à moudre aux conservateurs qui multiplient les tribunes fustigeant cyniquement les factures d’électricité d’Al Gore. Nous sommes désespérément drogués aux énergies fossiles, au shopping compulsif, à l’expansion suburbaine et au régime carnivore. Les Américains pourront-ils jamais renoncer volontairement à leurs 4×4, à leurs hamburgers, à leurs énormes manoirs de banlieue et à leurs sacro-saintes pelouses ?

3Surprise : la bonne nouvelle nous vient du passé. Dans les années 1940, les Américains combattaient simultanément le fascisme à l’étranger et le gaspillage chez eux. Mes parents, leurs voisins, et des millions d’autres Américains laissaient la voiture au garage pour se rendre au travail à vélo, retournaient leur pelouse pour planter des choux, recyclaient les tubes de dentifrice et l’huile de cuisson, prêtaient bénévolement leurs services aux crèches et aux centres de l’United Service Organization, offraient le gîte et le couvert à des inconnus, et s’efforçaient consciencieusement de réduire leur consommation et d’éviter le gaspillage inutile. La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d’écologie populaire de l’histoire des États-Unis. Lessing Rosenwald, le directeur du Bureau pour la conservation des matériaux industriels, exhortait ses compatriotes « à passer d’une économie de gaspillage – et on connaît les habitudes de ce pays en matière de gaspillage – à une économie de préservation. » Une majorité de civils répondit à l’appel, certains à contrecœur, d’autres avec beaucoup avec enthousiasme.

Godard | La Gestapo des structures : l'Aménagement de la Région de PARIS


Jean-Luc Godard filme La Courneuve en 1966


"Apprenez en silence deux ou trois choses que je sais d’elle.
Elle, la cruauté du néo-capitalisme.
Elle, la prostitution.
Elle, la région parisienne.
Elle, la salle de bains que n’ont pas 70% des Français.
Elle, la terrible loi des grands ensembles.
Elle, la physique de l’amour.
Elle, la vie d’aujourd’hui."

Jean-Luc Godard
2 ou 3 choses que je sais d'elle
Le film 2 ou 3 choses que je sais d’elle, est un ambitieux plan documentaire, car Elle, n'est autre que la région parisienne, qui en 1966 faisait l'objet de grands travaux (cités d'habitat, autoroutes, périphérique, etc.),  dans le cadre de son aménagement. L’objectif réel, pour Jean-Luc Godard, est d’observer et de critiquer cette grande mutation, entre fiction et documentaire, nous rappelant au passage les atrocités de la guerre du Vietnam. Un Jean Luc Godard alors engagé dans la voie maoïste, et filmant pour la première fois, quelques scènes dans la cité des 4000 à La Courneuve, là où vit l'héroïne ;  une des opérations emblématiques puis symboliques de la politique de l'Etat, en matière d'aménagement de territoire.

10 ANS !

 



10 années !


    « La critique radicale tant de la philosophie de la ville que de l’urbanisme idéologique est indispensable sur le plan théorique et sur le plan pratique. Et elle peut passer pour une opération de salubrité publique ».

Henri Lefebvre
Le droit à la ville
1968



IBIZA : Ile Paradis HIPPIE

IBIZA 1968, image du film MORE

Every day is my day

Pink Floyd


"Un des plus beaux spectacles auxquels on puisse assister est leur bain matinal qui ressemble à un rire. Celui qui les voit pense inévitablement que c'est ainsi que s'éveillaient nos ancêtres au Paradis."

Diario de Ibiza, 6 septembre 1969



Baignées dans les eaux méditerranéennes, les Iles Baléares ont été à plusieurs reprises la proie d'envahisseurs : phéniciens, grecs, romains, arabes, pirates, avant de connaître de nouvelles invasions pacifiques cette fois ; ce fut une terre d'exil pour les réfugiés fuyant l'Allemagne nazie, fréquentée également par l’intelligentsia européenne, tombée sous le charme de l’île : de grands écrivains français, en particulier, y vinrent, nous laissant de précieux témoignages.  Tout pareil que les architectes sous le charme des formes épurées des habitations ancestrales : un modèle pour ceux défendant et inventant le mouvement moderne naissant.

Puis, comme Saint Tropez ou l’île de Capri, Ibiza a été sur l’itinéraire de la jet-set des années 1950, stars du cinéma, de la chansonnette et milliardaires, portés par leurs yachts jettent l’ancre ici, profitant de la relative tranquillité d’une île sauvage encore préservée du tourisme ; ont-ils influencés les premiers freaks à venir la visiter ?  Nul ne le sait exactement, mais en ce milieu des années 1960, commence l'invasion hippie. 

L'île  littéralement colonisée par l'utopie immédiate et anti-autoritaire exigeant l'amour, la fraternité, l'esprit de la fête permanente, et au-delà "The Death of Money", devint mythique, et plus encore Formentera, la petite soeur d'Ibiza. C'est sur cette île minuscule, pauvre, aux terres désertiques et aux plages de rêve, habitée par deux mille habitants seulement, que s'exprimera au mieux la radicalité hippie dans son refus de participer à la société de consommation. Au-delà des clichés, la petite communauté hippie résidente à Ibiza et Formentera organisera entre 1967 et 1975, des structures tout à fait originales permettant à ses membres et à leurs enfants de vivre sinon en autarcie mais en marge du système  et des institutions de l'Espagne qui, rappelons-le, était sous le contrôle de la dictature de Franco. Une dictature qui avait abandonné les îles Baléares à leur sort, pauvreté qui explique, en partie, les bonnes dispositions des Ibicencos à accepter l'arrivée de cette étrange population, très différente et insolente mais qui se révèle être bonne et fidèle cliente. 

Plus tard, victime de son succès, Ibiza devint alors la proie du tourisme de masse mais orienté vers la folklorisation du mouvement hippie qui s'exprima par la commercialisation de ces valeurs : l'amour libre se métamorphosa en tourisme sexuel, l'esprit festif improvisé en boîtes de nuit et de jour  gigantesques, les drogues en un commerce lucratif,  les fantaisies vestimentaires remplacées par ceux des drag-queens, les écoles internationales destinées aux enfants et aux adolescents fermeront une à une, et les portes ouvertes au monde entier des vieilles masures retapées se transformeront en vastes demeures luxueuses fermées et sécurisées, pour certaines habitées par d'anciens hippies huppés ayant fait fortune... 

Que reste-t-il de la grande communauté hippie ? Quelques marchés hippies pathétiques rappelant, avec tristesse, leur grande aventure aussi belle qu’éphémère, où les personnes ne se différenciaient pas par leurs classe ou origine sociales, mais à leur appartenance à un mouvement, une nébuleuse désirant une autre vie, et la construire.

Michel Foucault | Quadrillage spatial et Panoptisme



Michel Foucault
 In : Surveiller et punir
1975

Le panoptisme est capable "de réformer la morale, préserver la santé, revigorer l'industrie, diffuser l'instruction, alléger les charges publiques, établir l'économie comme sur le roc, dénouer, au lieu de trancher,
le noeud gordien des lois sur les pauvres,
tout cela par une simple idée architecturale."

Le panoptisme

Voici, selon un document de la fin du XVIIe siècle, les mesures qu'il fallait prendre quand la peste se déclarait dans une ville [1] :

D'abord, un strict quadrillage spatial : fermeture, bien entendu, de la ville et du « terroir », interdiction d'en sortir, sous peine de la vie, mise à mort de tous les animaux errants ; pouvoir d'un intendant. Chaque rue est placée sous le conseil d'un syndic ; il la surveille ; s'il la quittait, il serait puni de mort. Le jour désigné, on ordonne à chacun de se renfermer dans sa maison : défense d'en sortir sous peine de la vie. Le syndic vient lui-même fermer, de l'extérieur, la porte de chaque maison ; il emporte la clé qu'il remet à l'intendant de quartier ; celui-ci la conserve jusqu'à la fin de la quarantaine. Chaque famille aura fait ses provisions ; mais pour le vin et le pain, on aura aménagé entre la rue et l'intérieur des maisons, des petits canaux de bois, permettant de déverser à chacun sa ration sans qu'il y ait une communication entre les fournisseurs et les habitants. ; pour la viande, le poisson et les herbes, on utilise des poulies et des paniers. S'il faut absolument sortir des maisons, on le fera à tour de rôle, et en évitant toute rencontre. Ne circulent que les intendants, les syndics, les soldats de la garde et aussi entre les maisons infectées, d'un cadavre à l'autre, les « corbeaux » qu'il est indifférent d'abandonner à la mort ; ce sont « des gens de peu qui portent les malades, enterrent les morts, nettoient et font beaucoup d'offices vile et abject ». Espace découpé, immobile, figé. Chacun est arrimé à sa place. Et s'il bouge, il y va de sa vie, contagion ou punition.

POLYNÉSIE | Habitat insalubre, Habitat précaire

 



Île de MOOREA
Habitat insalubre en bord de lagon


POLYNÉSIE 
Habitat Précaire - Habitat Insalubre


En Polynésie, le Paradis côtoie l'Enfer, la richesse exagérée la plus grande misère, inégalités extrêmes matérialisées, entre autres, par les luxueuses demeures, les hôtels pompeux et les masures et taudis érigés en bordure de lagons idylliques, côte à côte ; mais, cette apparente - où plutôt dissimulée par la végétation - pauvreté peut se révéler être source de richesse, car en effet, ces parcelles en bordure de lagon - terres rares à présent - où s'érigent ces humbles demeures atteignent des sommes considérables, susceptibles de métamorphoser leurs propriétaires en personnes nanties. 
Certains, d'ailleurs, le sont déjà [1] ; d'autres, moins bien nantis, mais attachés à leur héritage ancestral, presque sacré - et souvent disputé en famille -, n'ont d'autres choix que d'y demeurer humblement voire pauvrement, ou bien, de le louer à bon prix pour une demeure confortable, à bon marché pour une masure délabrée. Peu de squatters dans ces secteurs en bord de lagon, indésirables, ils s'installent le plus discrètement possible dans les lieux délaissés en bord de route, sinon là où la distance entre route et lagon est la plus mince, ou bien parfois, dans ce que l'on nomme les "ruines touristiques", soit les ruines des grands hôtels luxueux ravagés par une tempête, y compris économique. 

Ces situations de grande pauvreté (nous n'avons pas abordé ici celles de l'île de Tahiti et de l'agglomération du grand Papeete, bien plus graves encore) sont complètement méconnues en France métropolitaine, la Polynésie demeurant toujours et encore une destination paradisiaque qu'il convient de préserver, et de protéger en tant que telle, tourisme oblige, d'ailleurs son gouvernement à dissimuler, minimiser au mieux cette grande pauvreté qui, selon de fortes probabilités - faute de recensement -, atteint 55 % de la population ; un Paradis terrestre ?




Île de MOOREA
Taudis en bord de lagon

Chine Maoïste | Une Dictature Ecolo ?



« Une autre politique de développement existe déjà, dans le pays le plus peuplé du monde, qui permet une croissance mesurée certes, mais sans aide extérieure, sans chômage, sans gaspillages, avec très peu de pollutions : celui de la Chine [maoïste] .»

René Dumont
1er Candidat écolo à la présidence de la France (1974).



« Des cités rurales et des villages urbains. »




Certes, en aucune manière, les dirigeants révolutionnaires maoïstes ne se préoccupèrent d’écologie et d’environnement. Et au contraire, les premières années de la République Populaire de Chine auront donné lieu dans le secteur de l’agriculture à des expérimentations suivies d’insensés programmes parfaitement catastrophiques pour l’environnement et le Peuple chinois ; la Chine maoïste n’échappa pas au modèle d’un productivisme exacerbé, même restreint et limité, et Mao Zedong et ses partisans ont adopté le modèle stalinien, d’une nature devant être soumise et transformée aux impératifs productifs. Nous y reviendrons.

Mais au-delà, Mao, plus qu’aucun autre dirigeant planétaire de l’ère moderne se sera fait l’apôtre du désurbanisme, et à sa mort en 1976, la Chine présentait toutes les caractéristiques, dans les domaines de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, d'un pays ayant réussi un développement équilibré du territoire  ; « équilibré » ? Un sociologue comprendra sans doute qui assure à tous les ménages des niveaux de vie semblables ; pour les géographes, il s’agit plutôt d'une répartition de la population et des activités aussi également que possible sur tout le territoire. En Chine maoïste, cette définition se réfère explicitement à la pensée – plus que théorie – de Marx et Engels concernant l’opposition ville-campagne ; et Mao Zedong bâtira ses programmes politiques selon une doctrine anti-urbaine ruralophile oscillant selon les événements et les époques entre idéologie et utopie, entre incitation, invitation et despotisme.


SILENT WORLD | Lucie & Simon



Silent Work (2008 - 2012) :

« Dans ces villes fantomatiques et abandonnées, nous mettons en scène un ou plusieurs personnages symboles, comme les derniers témoins d’un Monde disparu. Ces personnages, souvent des enfants, viennent ici se confronter à un monde nouveau où le temps est comme suspendu, et apparaissent comme un signe d’espoir ou de vie».
Lucie de Barbuat et Simon Brodbeck
Prix HSBC de la Photographie 2010



This Is Not an Atlas





This Is Not an Atlas gathers more than 40 counter-cartographies from all over the world. This collection shows how maps are created and transformed as a part of political struggle, for critical research or in art and education: from indigenous territories in the Amazon to the anti-eviction movement in San Francisco; from defending commons in Mexico to mapping refugee camps with balloons in Lebanon; from slums in Nairobi to squats in Berlin; from supporting communities in the Philippines to reporting sexual harassment in Cairo. This Is Not an Atlas seeks to inspire, to document the underrepresented, and to be a useful companion when becoming a counter-cartographer yourself.



Site internet
Atlas PDF (en anglais, en accès libre)



AMSTERDAM en LUTTES


Photo : © Hans van den Bogaard

« Qu’est-ce que le néolibéralisme ?
Un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur.»
Pierre Bourdieu
L’essence du néolibéralisme
1998


Amsterdam, la belle capitale rebelle du royaume des Pays-Bas est devenue sage et soumise. 
L’on peut juger, sans paraître excessif, que l’héritage de quatre décennies de glorieuses luttes urbaine et écologique, pour le droit au logement et au squat – entre autres luttes -, ce précieux héritage a été balayé en une dizaine d’années...

...faute de résistance, les quartiers centraux d’Amsterdam, là où la résistance est née, encerclant le vieux centre historique, sont à présent embourgeoisés ou en passe de l’être totalement, les plus pittoresques sont à la merci et sous la pression d’un tourisme de masse tout aussi destructeur que pouvaient l’être jadis les bulldozers (avec ses conséquences sur la mutation du commerce, la pression hôtelière sur le logement, maisons de ville transformées en Bed & Breakfast, programmes d’hôtel des investisseurs, exacerbé par les offres d’Airbnb, saturation des espaces publics et nuisances dues à la surconsommation des lieux, etc.), tandis que les plus grands squats de jadis, dont les anciennes friches portuaires squattées, là où soufflait le vent libertaire, ont été évacués pour faire place, souvent, à des équipements ludico-touristiques, ou touristico-artistiques, aux côtés de nouveaux sièges sociaux de multinationales, objets spectaculaires tentant de capturer l'attention mondiale, symbolisant la nouvelle IAMsterdam. C'est-à-dire l'embourgeoisement de la ville et la grande pénurie de logement abordable, la destruction littérale du parc de logements sociaux mis en vente, la spéculation forcenée et la hausse véritablement vertigineuse de l’immobilier, les privatisations à outrance des services publics, les programmes d'éviction des indésirables, marginaux, délinquants et squatters, entre autres abominations urbaines ; tout ceci ne suscite aucune réaction d’opposition telle qu’elle s’exprimait jadis : la police, sans doute elle aussi nostalgique, n’a plus aucune tête subversive sur laquelle abattre sa matraque ; la contestation n’est même pas muselée, elle n’existe plus, sauf parfois, en réaction contre une nouvelle loi par trop libérale (notamment celle concernant l’université), à l’occasion d’un mouvement des mouvements, tel Occupy, mais sans lendemain sérieux, lutte inorganisée et inorganique. Certes, la pratique du squat perdure, tant bien que mal après la loi de 2010 l’interdisant et la pénalisant, mais comme la contestation, elle tient plus de l’anecdote marginale individualiste que du grand discours libertaire collectif, occupe illégalement l’espace artistique plutôt que l’espace social.

Si cette contradiction éclaire le malaise d’une jeunesse amorphe, par rapport aux décennies précédentes, et au-delà la démobilisation de « l’intelligentsia de masse », elle laisse dans l’obscurité le problème de savoir pourquoi la jeunesse révoltée formant des mouvements protestataires et rebelles est progressivement rentrée dans les rangs, alors que les contradictions fondamentales de la société néerlandaise, dans les domaines urbain et architectural, entre autres, s’aggravent. Ce fut d’ailleurs une question récurrente dans les débats contradictoires des intellectuels progressistes aux Pays-Bas : Pourquoi un tel spectaculaire et non moins rapide revirement ?

Amsterdam
30 april 1980 | émeute couronnement de la reine Beatrix
© Hans van Dijk

PEROU | DICTATURE & ARCHITECTURE SOCIALISTES | 1968 - 1975








En 1963, au Pérou, le candidat socialiste – et architecte – Fernando Belaúnde Terry est élu président de la République, mais plutôt que d’appliquer les belles promesses qu’il avait adressé au Peuple, il composera d’abord, puis pactisera ensuite avec l’oligarchie, les clans les plus libéraux et rétrogrades du pays, et son gouvernement décréta une série de lois à l’opposé de l’idéologie socialiste, programme politique critiqué au sein même de son parti (Acción Popular Socialista) [1], comme d’ailleurs les retentissants scandales politico-financiers symbolisant son alliance avec le diable. Les « injustices » sont telles, qu’elles décident de jeunes révolutionnaires [2], dès 1965, à s’engager dans la voie de l’insurrection armée, qui sera vite maîtrisée par les Forces Armées.



Un nouveau scandale, concernant un accord commercial concédé à une compagnie nord-américaine particulièrement défavorable pour le pays, et contraire aux engagements du p-résident, provoque l’indignation nationale, (un acto de traición a la patria) et déclenche, le 3 octobre 1968, un coup d'Etat militaire institutionnelgolpe - porté par le Jefe del Estado Mayor peruano, le général Juan Velasco Alvarado [3], accompagnés par les généraux les plus progressistes de l’État major, une « révolution » (comme ils l’affirment) devant, enfin, mettre un terme à la« traición de los partidos políticos reformistas » et de l'oligarchie, accusée elle, de tous les maux. Les plus sensés de l'époque qualifient cette dictature comme étant progressiste, nationaliste, réformiste socialiste, une « dictature de gauche » de type « populiste », conduite par le « Gouvernement révolutionnaire des Forces armées », le Gobierno Revolucionario de las Fuerzas Armadas (GRFA), qui osa le sacrilège de s'opposer de façon autoritaire à la suprématie des intérêts étrangers et, mieux encore, à l'oligarchie péruvienne, afin d'éliminer « la dependencia externa y la dominación interna », causes de la « desunión nacional ». Le « Manifiesto del Gobierno Revolucionario de la Fuerza Armada » résumant le programme social de la révolution reprenait dans un curieux mélange, les propositions de réformes faites depuis des années par les mouvements politiques socialistes, le Partido Democrata Cristiano, l'Alianza Popular Revolucionaria Americana, et l'Acción Popular de Belaúnde, le président destitué. Les historiens jugent que ce qui distinguait la révolution de la Junte n'était pas l'originalité du programme social, mais bien la capacité des militaires à appliquer effectivement les promesses électorales des socialistes, et celles plus théoriques du Movimiento Social Progresista, bloquées par le viejo orden oligárquico.


JOHN TURNER au PEROU




Il n’y a pas de 
société, 
il n’y a que des 
individus.

Margaret  Thatcher

Premier ministre, 
Royaume britannique 


If you wait for the authorities to build new towns you will be older than Methuselah before they start. 
The only way to get anything done is to do it yourself.

Ebenezer Howard to Frederic Osborn



Au Pérou, la politique des gouvernements démocratiques et des dictatures militaires qui se succèdent entre l’après seconde guerre mondiale et la révolution socialiste de 1968, pour ce qui concerne l’habitat social, peut être résumée simplement : laisser libre cours à la puissance et au marché privés, privilégier le propriétarisme «populaire» au détriment de l’habitat locatif. Confrontés à un déficit spectaculaire de logements, les millions de péruviens mal-logés et sans logis n’eurent guère d’autre choix, que d’entrer dans l’illégalité : pour échapper aux dangereux taudis urbains, infectés de maladies mortelles, des groupes solidaires parfois de plusieurs centaines de personnes déterminées, se constituèrent pour squatter des terres libres, et y bâtir leurs baraques, avec l’espoir d’obtenir une régularisation, et cela acquis, de réaliser leur rêve : construire une vraie maison. Généralement, le président, ou le dictateur y consentait, prouvant ainsi ses nobles intentions à l’égard de ses administrés-électeurs. De là est né ce que l’on nomme l’urbanisation populaire, l’urbanizacion de tipo popular [1], programme porté par le gouvernement ultra-libéral de Manuel Prado, basé sur les expériences de site and service et de self-help housing de l’après guerre, et adapté au contexte péruvien par de jeunes architectes et sociologues. C’est dans ce contexte que débarque le jeune architecte britannique déclaré anarchiste, John F.C. Turner, invité à venir travailler au Pérou. 


Après plusieurs années d’expériences il devint l’apôtre de l’habitat informel, le Don Quichotte des immeubles d’habitations modernes, orthonormés, inhumains, représentant un gaspillage gigantesque en efforts humain et financier, et le partisan convaincu de la participation populaire. Pour l’architecte en reprenant les mots du sociologue et ami William Mangin, le bidonville était moins le problème, que la solution, tout du moins si l’on s’occupait de l’« organiser » en « Slum of Hope », les bidonvilles - en réalité - de l’espoir, construits et gérés par et pour ses communautés d’habitants sans qu’interviennent de manière - trop - autoritaire, l’Etat. Ce n’est plus l’architecture qui est au centre de ses préoccupations mais bien l’homme, ou plus exactement la collectivité d’individus, et il tentera de résoudre la difficile équation d’accorder les principes anarcho-libertaires qu’il défend, aux exigences légitimes des pobladores,  au marché de la construction, et dans une moindre mesure, en l’occurence, à l’autoritarisme de l’Etat.