C'est
la police de Berlin-Ouest qui a inventé l'expression « Black Bloc »
(Schwarze
Block) pour désigner des squatters qui étaient descendus
dans
la rue en décembre 1980 vêtus de noir et équipés de casques, de
boucliers et de divers bâtons et projectiles, pour défendre leur
lieu d'habitation.
Francis
Dupuis-Deri
Penser
l'action directe des Black Blocs.
Politix.
N°68 | 2004.
Les
Black Blocs ont fait une entrée spectaculaire dans le mouvement
altermondialiste lors de la «Bataille de Seattle » du 30 novembre
1999 en fracassant les vitrines de Mc Donald's, Nike, Gap et de
succursales de banques. L'analyse proposée, qui s'inspire
d'entretiens avec des militants, d'analyses de leur discours et
d'observations de manifestations, a pour objectif d'identifier
l'origine et la diffusion de la tactique du Black Bloc et de
comprendre les raisons politiques qui poussent des militants à y
avoir recours. Trois questions d'ordre politique seront soulevées :
- qui doit décider des modalités d'actions au sein d'un groupe militant particulier ;
- et au sein d'une manifestation en général ;
- et qui doit décider des critères d'efficacité des actions d'un mouvement social et parler en son nom ?
Pour
y répondre, la notion de « respect de la diversité des tactiques »
et les liens entre les Black Blocs et des organisations militantes «
radicales » et « réformistes » mais aussi avec d'autres blocs
(les Tute Bianche et les Pink blocs) sont discutés.
Une
part importante des activités du mouvement altermondialiste en
Occident consiste à contester la légitimité de grands sommets des
institutions internationales associées à la mondialisation du
capitalisme, telles que l'Organisation mondiale du commerce, le Fonds
monétaire international, la Banque mondiale, le G8, l'Union
européenne, etc. Diverses coalitions organisent à ces occasions des
débats publics, des projections de films, des spectacles de musique,
des carnavals de rue, des manifestations et des actions de
perturbation, l'ensemble pouvant courir sur plusieurs journées.
C'est dans ce contexte que les Black Blocs ont fait une entrée
spectaculaire dans le mouvement altermondialiste lors de la «
Bataille de Seattle » du 30 novembre 1999 en fracassant les vitrines
de McDonald's, Nike, Gap et de succursales de banques.
Le
Black Bloc est une forme d'action collective très typée, qui
consiste pour des individus masqués et vêtus de noir à former un
cortège (un bloc noir) au sein d'une manifestation. Il n'y a pas un
Black Bloc, mais des Black Blocs, chacun se formant à l'occasion
d'une manifestation pour se dissoudre avec elle. La taille des Black
Blocs varie de quelques dizaines à quelques milliers d'individus.
Dans certains cas, plusieurs Black Blocs sont actifs en simultané au
sein d'un même événement contestataire, comme lors des
manifestations contre le Sommet des Amériques à Québec, en avril
2001. L'objectif premier d'un Black Bloc est d'indiquer la présence
dans la manifestation d'une critique radicale du système économique
et politique. Pour préciser ce message, les Black Blocs comptent
généralement leur lot de drapeaux anarchistes (noirs ou rouges et
noirs) et de banderoles frappées de slogans anticapitalistes et/ou
anti-autoritaires. Les Black Blocs ont parfois recours à la force
pour exprimer leur critique radicale, ce qui en fait l'objet de vives
polémiques. Les politiciens, les policiers, des porte-parole des
principales organisations « réformistes » du mouvement social et
même des journalistes et des universitaires 1 s'entendent pour
condamner ces manifestants qui ont recours à la force. Une voie
manque pourtant à ce choeur de critiques, celle des participant-e-s
aux Black Blocs et de leurs alliés.
Sans
prétendre épuiser le sujet, la discussion proposée ici considère
les Black Blocs comme un phénomène et un acteur politiques, et elle
explore l'hypothèse d'un lien fort entre l'action collective de type
Black Bloc et la volonté d'un ensemble de manifestant-e-s et de
militant-e-s altermondialistes de vivre « autrement » leur
participation politique. Ainsi conçu, le phénomène Black Bloc
apparaît comme un épiphénomène d'un vaste mouvement
anti-autoritaire - consciemment ou non « anarchiste » - qui
participe d'une tradition occidentale aux côtés des sans-culottes
et des enragés de la Révolution française, des socialistes
utopistes du début du XIXe siècle, des nihilistes de la fin du XIXe
siècle, des soviets, des conseils ouvriers et des anarchistes du
début du XXe siècle, des étudiant-e-s de mai 68 et de ce que les
sociologues ont nommé les « Nouveaux mouvements sociaux »
(féministes, écologistes, jeunes, homosexuel-le-s) qui ont voulu
rompre dans les années 1960-1970 avec le militantisme partisan ou
syndical et s'organiser sur un mode horizontal, égalitaire et
consensuel 2. Cette mouvance hétéroclite propose une radicalisation
de l'expérience démocratique privilégiant un processus de prise de
décision délibératif décentralisé, égalitaire et participatif
et rejetant toute référence au mythe de la représentation
politique (de la « nation », du « prolétariat », de la «
société civile » ou d'un mouvement social). Ce courant
anti-autoritaire méprise toute forme d'autorité, de hiérarchie et
de pouvoir, même celles qui trouvent à proliférer dans les
mouvements sociaux en principe égalitaires comme le mouvement
altermondialiste. Le consensus est un objectif politique et moral,
car il respecte l'autonomie et la volonté de chacun, contrairement
au règne de la majorité qui s'impose directement ou par la voix de
« représentant-e-s » et qui prétend au final exprimer la volonté
générale aux dépens de la minorité silencieuse. Cette primauté
du consensus, qui va de pair avec la liberté d'association et la
décentralisation, implique la possibilité réelle que les
associations militantes librement consenties puissent se dissoudre et
se reformer, se fédérer ou s'autonomiser 3.
Pour
appréhender le phénomène des Black Blocs sous cet angle politique,
la discussion cherchera dans un premier temps à le resituer dans son
contexte historique d'émergence, et à identifier les canaux de sa
diffusion à travers le temps et l'espace, qui relèvent déjà de
cette logique antiautoritaire. L'utilisation occasionnelle de la
force sera ensuite pensée dans le cadre normatif de l'éthique de la
délibération, et l'analyse portera principalement sur la légitimité
des processus de prise de décision. Il est important de préciser
que ce n'est pas parce qu'ils sont « anarchistes » que les
participant-e-s aux Black Blocs ont recours à la force. En effet,
toutes les idéologies politiques et religieuses ont su justifier au
moment opportun la violence souvent meurtrière de leurs partisan-e-s
et plusieurs anarchistes sont des adeptes dogmatiques de la
non-violence, c'est-à-dire qu'ils considèrent que la violence aussi
minime soit-elle est toujours illégitime 4. En référence à des
événements concrets (principalement les manifestations contre l'OMC
à Seattle [1999], contre le Sommet des Amériques à Québec [2001]
et contre le Sommet du G8 à Annemasse et Genève [2003]), il sera
possible de mieux comprendre les raisons politiques et
organisationnelles qui poussent les uns à parfois recourir à la
force et les autres à condamner publiquement cette forme d'action
collective et souhaiter son éradication. Trois questions d'ordre
politique seront soulevées :
- qui doit décider des modalités d'actions au sein d'un groupe militant particulier ?
- qui doit décider des modalités d'action au sein d'une manifestation en général ?
- qui doit décider des critères d'efficacité des actions d'un mouvement social et parler en son nom ?
Cette
discussion s'inspire de plus d'une cinquantaine d'entrevues avec des
anarchistes, dont plus d'une dizaine ayant eu recours à la force
lors de manifestations (principalement en Amérique du Nord et
quelques-uns en France), d'observation participante dans de
nombreuses manifestations comprenant un ou des Black Blocs 5 et dans
des assemblées militantes 6, et d'une analyse des textes par et sur
les Black Blocs 7. Ma connaissance des manifestations en Europe doit
aussi beaucoup à l'excellent mémoire de Clément Barette sur la
pratique de la violence politique lors des contre-sommets 8. Si C.
Barette fait référence aux Black Blocs pour désigner l'ensemble de
ceux et celles qui participent aux « émeutes politiques », ma
définition est plus restrictive et n'englobe que les manifestants
masqués et vêtus de noir. Cela dit, j'admets avec C. Barette que
ceux et celles formant les cortèges noirs ne constituent très
généralement qu'une minorité des « casseurs » dans les
manifestations. Mais ce sont les plus visibles. J'insiste encore avec
C. Barette sur la nécessité d'éviter toute généralisation au
sujet des Black Blocs. L'émeute politique en général et les
cortèges des Black Blocs en particulier sont des lieux habités par
une multitude hétéroclite. Les objectifs des participant-e-s, ainsi
que leurs histoires politiques, leurs expériences militantes et
leurs identités socioprofessionnelles, culturelles et de genre,
peuvent connaître des variations très importantes d'une
manifestation à l'autre. J'en propose ici une lecture qui n'a la
prétention ni d'offrir toutes les réponses, ni de clore le débat.
Origine,
diffusion, adaptation
C'est
la police de Berlin-Ouest qui a inventé l'expression « Black Bloc »
(en allemand Schwarze Block) pour désigner des squatters qui étaient
descendus dans la rue en décembre 1980 vêtus de noir et équipés
de casques, de boucliers et de divers bâtons et projectiles, pour
défendre leur lieu d'habitation. Les Black Blocs ont donc une
histoire politique spécifique, enracinée directement dans le
mouvement Autonome (en allemand Autonomen) de l'Allemagne de l'Ouest
des années 1980. Ce mouvement était lui-même un prolongement du
mouvement italien Autonomia des années 1960-1970, auquel participait
la frange des mouvements ouvriers et de la jeunesse se situant à
l'extrême gauche, tout en étant critique du Parti communiste
officiel. Les Autonomen s'inspiraient de diverses tendances
idéologiques (marxisme, féminisme radical, écologisme,
anarchisme), quoique l'autonomie idéologique était revendiquée
comme une garantie de liberté. En Allemagne de l'Ouest, les
Autonomen s'organisaient de façon égalitaire et libertaire et
prônaient l'autonomie individuelle (la politique se fait en son nom
propre, et non par représentation), de genre (collectifs féministes
non mixtes), décisionnelle (groupes militants sans autorité ni
hiérarchie) et politique (aucun lien avec les institutions
officielles, que ce soit l'Etat, les partis ou les syndicats). Ces
Autonomen cherchaient à expérimenter « ici et maintenant » une
politique égalitaire et participative, sans chef ni représentant,
et dans laquelle l'autonomie individuelle et l'autonomie de la
collectivité étaient complémentaires et d'égale importance.
En
termes de pratiques et d'actions collectives, les Autonomen ont
ouvert des squats par centaines et ils se sont engagés dans diverses
campagnes contre le nucléaire, contre la guerre et contre le
racisme. Ils ont opté à plusieurs reprises pour la confrontation de
rue contre des groupes néofascistes racistes et contre les policiers
qui protégeaient des centrales nucléaires ou qui venaient vider
leurs squats. C'est dans ce contexte d'affrontements que la tactique
du Black Bloc a été développée puis reprise régulièrement dans
les manifestations en Europe centrale. Un Black Bloc est ainsi entré
en action dans une manifestation qui préfigurait celles du mouvement
altermondialiste, à l'occasion d'une réunion de la Banque mondiale
et du Fonds monétaire international en 1988 à Berlin-Ouest 9.
Comment
la tactique du Black Bloc se transporta-t-elle du Berlin Ouest des
années 1980 à Seattle en 1999 ? Les sociologues Charles Tilly, Doug
McAdam et Dieter Rucht 10 ont montré qu'il existe selon les lieux et
les époques des répertoires d'actions collectives connus et jugés
efficaces et légitimes pour défendre et promouvoir une cause. Ces
répertoires se transforment et se diffusent dans le temps et
l'espace au gré des expériences militantes et des changements dans
le champ politique. La tactique du Black Bloc s'est diffusée
principalement à travers le réseau de la contre-culture punk et
d'extrême ou d'ultra-gauche, grâce à des fanzines, à des groupes
de musique en tournée et à des contacts personnels de militants
voyageurs. En Amérique du Nord, la tactique du Black Bloc semble
avoir été utilisée pour la première fois en janvier 1991, à
Washington, DC, lors d'une manifestation dénonçant la (première)
guerre contre l'Irak. Le bâtiment de la Banque mondiale a été pris
pour cible et des vitres ont volé en éclats. Des journaux
anarchistes comme Love & Rage ont ensuite facilité la diffusion
de la tactique du Black Bloc à travers le réseau anarchiste
américain11. Elle a aussi été adoptée par les activistes du
mouvement antiautoritaire et antiraciste Anti-Racist Action (ARA) aux
Etats-Unis et au Canada, qui privilégient la confrontation directe
contre les néonazis et les suprématistes « blancs ». Des membres
de la section torontoise d'ARA se sont ainsi rendus à Montréal le
22 septembre 1993 pour y former un petit Black Bloc lors d'une
manifestation contre une conférence - finalement annulée suite à
cette mobilisation - que devaient prononcer deux maires du Front
national français. Avec la popularisation du nom, des
manifestant-e-s auront parfois tendance à désigner comme « Black
Bloc » n'importe quel cortège anarchiste au sein d'une
manifestation.
Lors
de la Bataille de Seattle, la plupart des manifestant-e-s ayant eu
recours à la force ne participaient pas au Black Bloc, mais ce
dernier a tout particulièrement attiré l'attention des médias
officiels publics ou privés qui ont, du coup, contribué à la
popularité et la diffusion de cette tactique. Ceux et celles qui ont
décidé d'adopter la tactique du Black Bloc après Seattle avaient
souvent d'abord vu des images de ce type d'action collective dans les
médias officiels. Leurs caméras cherchent d'ailleurs avidement
depuis Seattle à croquer des images spectaculaires des membres des
Black Blocs lors des manifestations altermondialistes. Je peux ici
témoigner de cette fascination des médias officiels pour les Black
Blocs, ayant été analyste-commentateur pour la chaîne de
télévision publique Radio-Canada à l'occasion de plusieurs
manifestations du mouvement altermondialiste. Lors de réunions de
planification, réalisateurs, recherchistes et journalistes me
demandaient de prévoir où surviendrait la « casse », pour
disposer en conséquence et à l'avance les caméras aux endroits
stratégiques. Lorsque des manifestations se déroulaient sans «
casse », l'équipe parlait de « no event » médiatique (un «
non-événement »). Ce sont toutefois les médias alternatifs, en
particulier le réseau électronique indépendant Indymedia 12, qui
ont permis aux militant-e-s de mieux connaître le mode
d'organisation et de fonctionnement des Black Blocs et de s'informer
des débats tactiques et stratégiques au sujet de cette forme
d'action.
Suite
à la Bataille de Seattle, on retrouve rapidement des Black Blocs un
peu partout en Amérique du Nord, en Europe, au Mexique, en Turquie
et au Brésil. La tactique du Black Bloc semble prendre un sens
particulier selon le contexte culturel local. Elle entre par exemple
en résonance au Québec avec l'imaginaire esthétique et politique
du mouvement punk, ainsi que les chansons de groupes de musique comme
Bérurier noir ou des films comme La Haine 13. Au Mexique, le Black
Bloc est d'autant plus séduisant pour les membres de la scène
anarcho-punk que son esthétique rejoint à la fois celle de la
culture punk et celle des rebelles zapatistes cagoules 14. Malgré
ces distinctions locales, et sans prétendre qu'ils sont homogènes
et tous similaires, les Black Blocs sont souvent composés en
majorité de jeunes (mais certains participants ont plus de 50 ans)
et d'hommes (plusieurs Black Blocs ne comptent que 5 % à 10 % de
femmes). Le sociologue Geoffrey Pleyers distingue au sein des
participant-e-s aux Black Blocs les jeunes peu politisés en quête
de sensations fortes des militant-e-s hautement politisés 15. En
raison de son articulation directe avec des manifestations de rue,
principalement lors de vastes mobilisations qui facilitent le recours
à cette tactique, un individu ne pourra espérer participer de façon
réaliste qu'à un nombre limité de Black Blocs, à moins d'être
disposé et d'avoir la possibilité de se déplacer de ville en
ville, voire de pays en pays, au gré des mobilisations. Si la
participation à un Black Bloc et à une émeute politique est très
marquante, le militant sera éventuellement déçu par la suite des
manifestations sans Black Bloc. Comme tant d'acteurs politiques, des
participants aux Black Blocs ont recours à une rhétorique politique
et morale creuse pour justifier ce que leur procure leur violence :
une joie fébrile, un sentiment de puissance plutôt machiste ou
encore une certitude de pureté et de radicalité politiques 16. Au
sein même des Black Blocs, des voix critiques s'élèvent contre
ceux et celles qui considèrent que le recours à la force lors de
manifestations est synonyme de grandeur politique et morale. Une
participante à plusieurs Black Blocs dira ainsi en entrevue qu'« il
y a un prestige à être sur la ligne de front, à participer à la
confrontation, à briser des vitres. Je trouve ça dommage, parce
qu'il y a plein d'autres gens qui font plein d'autres choses qui ont
autant d'importance ». D'autres critiques déplorent que la
manifestation en général et le recours à la force en particulier
soient perçus par certains comme une fin en soi. Un participant à
des Black Blocs au Québec précise qu'il ne faut pas penser que «
la manif est un truc politique suprême, ni que la casse signifie
nécessairement être radical », propos auxquels font écho ceux
d'un autre participant à des Black Blocs : « S'il y a un pacifisme
dogmatique qui me désole, il y a aussi une violence dogmatique qui
considère que la violence est le seul et unique moyen de mener la
lutte 17. » Toutefois, parmi mes interviewé-e-s, la majorité
militait sur une base régulière dans diverses organisations
communautaires ou politiques (contre les néonazis, contre le
racisme, contre la brutalité policière), et précisaient que les
membres des Black Blocs auxquels ils avaient participé étaient dans
la majorité eux aussi des militant-e-s d'expérience. Plusieurs de
mes interviewé-e-s avaient par ailleurs étudié ou étudiaient en
sciences sociales et avaient consacré certains de leurs travaux de
recherche au thème de l'utilisation de la force en politique et dans
les manifestations. Il convient de répéter toutefois qu'il n'y a
pas un profil homogène de participant qui se cache sous la cagoule
noire : on peut par exemple écouter la musique de Bérurier noir et
étudier en sociologie sans participer à des Black Blocs et
participer à des Black Blocs sans aimer la musique punk ni
l'université. . .
Qui
décide au sein
des groupes militants ?
des groupes militants ?
Environ
vingt ans après son apparition en Allemagne de l'Ouest, la tactique
du Black Bloc est maintenant reprise et adaptée en fonction du
contexte et de l'expérience politiques de la fin des années 1990,
influencée par l'histoire militante de la génération précédente.
Si quiconque masqué de noir peut se présenter à une manifestation
et se joindre au cortège noir, un Black Bloc est en principe une
convergence de plusieurs « groupes d'affinité 18 », un mode
d'organisation spécifique originaire du mouvement anarchiste
espagnol de la fin du XIXe siècle et repris en Amérique du Nord
dans les années 1970 par la frange radicale mais non violente du
mouvement pacifiste et antinucléaire, puis dans les années 1980 par
des organisations écologistes, féministes et antisida (plus
particulièrement l'organisation Act Up !) et enfin par le mouvement
altermondialiste en Occident à partir du milieu des années 1990. Le
groupe d'affinité est une unité créée par une demi-douzaine à
quelques dizaines d'amilitants et d'amilitantes qui se font confiance
et partagent une même sensibilité à l'égard des types d'action
qu'ils entendent mener. Le concept d'amilitant est proposé ici pour
évoquer en simultané l'importance du Hen amical et la négation du
militant traditionnel (le préfixe « a » pouvant signifier une
négation) dont l'action et l'identité étaient déterminées en
grande partie par un patriotisme organisationnel. Les militant-e-s
anti-autoritaires d'aujourd'hui, dont plusieurs participants aux
groupes d'affinité et aux Black Blocs, ignorent le militantisme
traditionnel qui accordait une très grande importance à la loyauté
envers l'organisation - le parti, le syndicat, etc. - et favorisait
une structuration autoritaire et hiérarchisée de la participation
et de l'expérience politique.
Plusieurs
Black Blocs ne se sont pas dotés d'une organisation interne
permettant une prise de décision collective et une action coordonnée
: composés d'individus amalgamés spontanément, ces Black Blocs se
sont laissés portés par cette spontanéité, ce qui a pu être
source de flottement et d'hésitation, de vulnérabilité tactique et
de déception pour les manifestant-e-s 19. Mais en s'organisant par
groupes d'affinité, la multitude manifestante se donne consciemment
la possibilité de coordonner son action politique dans le respect
des principes de liberté et d'égalité. La taille réduite des
groupes d'affinité permet en effet aux amilitant-e-s de décider
collectivement du cours de leurs actions par voie de délibération
consensuelle. Dans les faits, le fonctionnement par groupes
d'affinité n'empêche pas l'apparition de jeux de pouvoir informel
déterminés par le charisme, l'expérience et les compétences des
individus, ainsi que leur capital symbolique, économique et
culturel. Cependant, contrairement à ce qui se passe dans les
organisations hiérarchisées, l'individu qui évolue dans un groupe
d'affinité ou un Black Bloc ne peut utiliser son pouvoir informel
pour s'emparer d'un poste officiel d'autorité qui lui permettrait
ensuite de doubler son pouvoir informel d'un pouvoir formel et
d'imposer officiellement sa volonté à ses « subordonnés ». La
nature éphémère d'un Black Bloc limite aussi la possibilité pour
un individu influent de stabiliser et d'enraciner son pouvoir dans
l'organisation collective. Certains groupes d'affinité ont de plus
recours à des procédures spécifiques pour réduire les inégalités
de pouvoir informel : la parole peut être accordée en priorité aux
personnes qui demandent à prendre la parole pour la première fois
et /ou en alternance aux hommes et aux femmes, etc 20.
La
primauté du lien amical au sein des groupes d'affinité favorise
aussi une division volontaire du travail militant au sein d'un Black
Bloc. Selon les situations et la sensibilité de chacun, des
participant-e-s pourront opter pour des actions offensives
(s'équipant de bâtons, frondes, boules de billard, voire de
cocktails Molotov), d'autres se spécialiseront dans les actions
défensives (munis de boucliers, plastrons, gants, jambières,
casques, masques à gaz, etc.), effectueront des opérations de
reconnaissance et de communication (à pied ou à vélo et munis de
walkies-talkies ou de téléphones cellulaires), constitueront un
corps d'infirmiers volontaires (les « medics ») pour soulager les
victimes du gaz lacrymogène et du poivre de Cayenne, et pour
administrer les premiers soins aux blessés, d'autres encore pourront
se donner comme tâche de porter une banderole et des drapeaux ou
d'entretenir le moral des troupes en jouant de la musique à l'aide
de percussions. Plusieurs enfin joignent le Black Bloc simplement
vêtus et masqués de noir, sans équipement spécifique ni tâche
particulière, mais près à improviser selon le déroulement de la
manifestation. Ceux et celles qui ne désirent pas intervenir dans la
rue pourront former des groupes d'affinité d'appui légal, actifs en
cas d'arrestations, ou prendre la responsabilité du transport, de
l'hébergement, de l'approvisionnement en eau et nourriture, des
contacts avec les médias, etc.
Les
participant-e-s à un Black Bloc décident ensemble de l'orientation
de celui-ci. Divers groupes d'affinité voulant former un Black Bloc
peuvent ainsi se rencontrer pour planifier et coordonner leurs
actions quelques heures, quelques jours ou quelques semaines avant
une manifestation. Le fonctionnement par groupes d'affinité ou la
taille réduite de certains Black Blocs permettent aussi aux
amilitant-e-s de tenir des assemblées délibérantes tout juste
avant la manifestation (cela s'est vu à Calgary, lors des
manifestations contre le Sommet du G8 à Kananaskis, en juin 2002) ou
au coeur même d'une manifestation (lors de manifestations contre le
Sommet du G8 à Evian, en juin 2003). Comme chaque Black Bloc est
autonome, les actions des Black Blocs sont variées et ils n'ont pas
tous recours à la force lors des manifestations auxquelles ils
participent. A Washington, DC, en avril 2000, lors de manifestations
contre le FMI et la BM, le Black Bloc a concentré ses énergies sur
la protection des manifestant-e-s non violents des attaques de la
police. A Québec, en avril 2001, plusieurs petits Black Blocs s'en
sont pris au périmètre de sécurité et aux policiers qui le
protégeaient. A Gênes, en juillet 2001, lors d'un sommet du G8, les
Black Blocs et leurs alliés ont principalement frappé des cibles
symbolisant le capitalisme et l'Etat, dont une prison, plutôt que de
s'approcher du périmètre de sécurité. Ils ont aussi riposté
quand les policiers les attaquaient. Mais lors d'une manifestation de
solidarité envers les immigrant-e-s et les réfugié-e-s – les «
sans-papiers » - qui s'est déroulée une journée avant les
affrontements, soit le 19 juillet 2001, tout était resté calme
malgré la présence de centaines de personnes masquées en queue de
cortège. Comme un manifestant l'explique, les membres des Black
Blocs adaptent leurs actions au contexte tactique et politique. Ils
savaient qu'à cette occasion, un affrontement avec les policiers
était trop dangereux pour les sans-papiers : « Tu peux te permettre
de passer une nuit au commissariat, pas eux 21. »
La
manifestation du 21 novembre 2002 contre le sommet de l'OTAN à
Prague offre un autre exemple de la flexibilité tactique et
politique des participant-e-s aux Black Blocs. Alors qu'environ trois
mille anarcho-communistes défilaient dans une ville très
militarisée, une voiture de police s'est infiltrée dans la
manifestation, faisant monter la tension d'un cran. Flairant la
provocation et jugeant que le rapport de force rendait très risqué
tout recours à la force, les participant-e-s au Black Bloc ont
manoeuvré pour protéger le véhicule, évitant ainsi qu'il ne soit
attaqué, ce qui aurait pu justifier une répression brutale. Les
participant-e-s à un Black Bloc adoptent donc leurs actions au
contexte et à la sensibilité, la logique et l'expérience
politiques de chacun. En échos aux Autonomen de la génération
précédente et en filiation avec la tradition anarchiste, les
membres des Black Blocs et leurs alliés considèrent que ceux et
celles qui agissent politiquement doivent définir collectivement les
modalités de leurs actions pour qu'ils puissent être dits égaux et
libres. La décision d'avoir ou non recours à la force lors d'une
manifestation ne doit pas faire exception à cette règle de
l'autonomie.
Respect
de la diversité des tactiques
La
question de la frontière politique surgit lorsqu'il convient de
déterminer les limites de cette collectivité deliberative et
autonome. Un groupe de quelques dizaines d'amilitant-e-s, par
exemple, peut-il légitimement décider d'avoir recours à la force
lorsqu'il participe à une manifestation comptant des milliers de
manifestants non violents, au risque de transformer ces derniers -
sans leur consentement - en cible de la violence policière ? Pour
tenter de résoudre cette problématique politique, la Convergence
des luttes anticapitalistes (CLAC) de Montréal a proposé le
principe de « respect de la diversité des tactiques », qui évoque
une valorisation de l'autonomie politique tout en soulignant la
légitimité de l'hétérogénéité des formes de contestation au
sein d'un même mouvement.
La
CLAC a été fondée en avril 2000 pour organiser des manifestations
« radicales » conjointement avec le Comité d'accueil du Sommet des
Amériques (CASA) de la ville de Québec 22. Les membres de la CLAC
ne planifient pas nécessairement d'actions spécifiques, sinon la
manifestation elle-même, mais le respect d'une diversité des
tactiques - doublé de l'absence voulue de tout service d'ordre -
signifie que ceux et celles qui participent à leurs manifestations
peuvent en principe mener des actions s'inscrivant dans un spectre
très large, allant du théâtre de rue aux frappes contre des cibles
symboliques (le périmètre de sécurité lors du Sommet des
Amériques à Québec, des McDonald's, des banques, des véhicules de
médias commerciaux ou d'Etat, etc.) et à l'affrontement avec les
policiers. La CLAC a aussi articulé le respect de la diversité des
tactiques dans l'espace, identifiant lors de vastes mobilisations
trois zones : « verte », « jaune » et « rouge ». La première
est un sanctuaire où les manifestant-e-s ne risquent pas de se faire
arrêter, la seconde un espace où il y a des risques mineurs
d'arrestation et la troisième est destinée aux groupes d'affinité
et aux individus privilégiant des tactiques plus musclées. Ce
découpage doit permettre en principe à des individus ou des groupes
ne voulant pas participer à des affrontements ou risquer
l'arrestation de s'associer explicitement à une organisation
idéologiquement radicale comme la CLAC (à noter que les policiers
ne respectent pas nécessairement ce découpage, arrêtant par
exemple 240 personnes rassemblées dans la zone verte lors des
manifestations contre l'OMC à Montréal, en juillet 2003).
La
diversité des tactiques s'est incarnée dans la rue bien avant la
création de CLAC, mais c'est cette organisation qui est parvenue à
formuler explicitement ce principe en s'inspirant de l'expérience
militante internationale montréalaise et du contexte politique de
l'an 2000. Les membres de la CLAC ont suivi avec attention les
manifestations contre l'OMC à Seattle en novembre 1999 et contre le
FMI et la BM à Washington, DC en avril 2000 et à Prague en
septembre 2000. Dans chaque cas, ces villes avaient été la scène
de manifestations fracturées selon les choix tactiques et les
objectifs des divers manifestant-e-s. De grandes organisations
sociaux-démocrates (syndicats, confédérations paysannes,
fédérations de groupes féministes, partis politiques de gauche,
etc.) se retrouvaient dans une marche « unitaire » non violente,
encadrée par un service d'ordre. En simultané ou en différé,
d'autres groupes militants - parfois rejoints par des membres
d'organisations sociaux-démocrates - menaient des actions de
confrontation, avec recours à la force ou non. La CLAC croit que
cette diversité tactique qui se constatait dans les faits devait
être facilitée par une mobilisation, une organisation et un
discours adéquats.
L'idée
du « respect de la diversité des tactiques » a aussi été
inspirée par l'expérience historique particulière du militantisme
à Montréal. Plusieurs membres de la CLAC avaient milité à la fin
des années 1990 dans Salami, une organisation née pour dénoncer
l'Accord multilatéral sur les investissements (AMI) et pratiquant la
désobéissance civile non violente avec arrestations de masse
volontaires. Au cours des ans, les dirigeants de Salami avaient
adopté une approche de plus en plus autoritaire à l'interne et «
moralisante » à l'égard de la « non-violence », critiquant à
plusieurs reprises publiquement les « casseurs » d'autres
organisations militantes. Le 15 mars 2000, une manifestation
organisée par le Collectif opposé à la brutalité policière
(COBP) à Montréal s'était terminée par l'arrestation de plus de
cent personnes, des accrochages avec les policiers et des attaques
contre un McDonald's et des banques. Les dirigeants de Salami, mais
aussi du Mouvement action justice (MAJ), avaient alors pris la parole
publiquement pour condamner une fois de plus les « casseurs » et
faire porter le blâme à COBP et aux manifestant-e-s. Cette approche
dogmatique et polémique de la non-violence et la structure de
l'organisation de plus en plus autoritaire ont provoqué la défection
de plusieurs militant-e-s qui rejoindront la CLAC ou d'autres groupes
militants et y favoriseront le respect de la diversité des
tactiques.
Au
final, plusieurs participant-e-s aux Black Blocs s'accommodent bien
du respect de la diversité des tactiques et d'un pluralisme des
formes d'actions collectives dans les manifestations. Un participant
à divers groupes d'affinité au sein de Black Blocs dira en entrevue
: « Je n'ai jamais obligé quelqu'un à lancer quelque chose, je
suis pour la diversité des tactiques et il y a des membres de Black
Blocs qui ne veulent pas avoir recours à la force et qui se
regroupent, par exemple, au sein des groupes d'affinité d'infirmiers
volontaires ». Le respect de la diversité des tactiques relève
donc en principe d'un idéal d'autonomie s'articulant autour d'une
définition radicale des principes de liberté et d'égalité. C'est
ainsi qu'une militante ayant participé à plusieurs groupes
d'affinité sans jamais avoir recours à la force considère « que
le respect de la diversité des tactiques est essentiel. Chacun doit
faire ce qu'il sent qui est juste. (...) Quant à la violence [...]
[j]e suis tout à fait consciente de ne pas avoir toutes les réponses
au sujet du débat violence /non-violence, et je ne vais donc pas
empêcher des gens de faire ce qu'ils veulent faire : je ne veux pas
de ce genre de pouvoir ». Le principe du respect de la diversité
des tactiques évoque donc la maxime de George Orwell : « Ce n'est
pas entre violence et non-violence que passe la grande différence,
mais entre avoir ou ne pas avoir le goût du pouvoir 23 ». En dépit
d'un discours saturé de références à l'égalité et à la
participation citoyenne, bien rares toutefois sont les organisations
altermondialistes qui respectent la diversité des tactiques et se
réjouissent d'un tel pluralisme militant.
Soif
de violence ou soif de pouvoir ?
Il
convient maintenant d'analyser la dynamique manifestante dans son
rapport politique avec les « autres », soit les « dirigeants » du
mouvement altermondialiste, les autorités politiques et l'« opinion
publique ». L'enjeu ici est de taille : qui dirige et représente le
mouvement et qui parle en son nom ?
Les
propos de Susan George, vice-présidente d'ATTAC, révèlent
explicitement et de façon exemplaire une attitude qui consiste à
discréditer les Black Blocs et leurs alliés pour faciliter une
instrumentalisation d'un vaste mouvement à titre de « dirigeante »
ou de « représentante » autoproclamée. Susan George propose ainsi
de discuter de la violence militante d'un point de vue politique et «
[e]n dehors de toute question morale 24 », disant condamner « cette
violence pour des raisons politiques, pratiques et tactiques 25 ».
Elle est contre le bris de vitres lors de manifestations ou la
confrontation avec les policiers, parce que « la violence détourne
les médias, donc l'opinion, du message que portent 99 % des
participants du mouvement 26 ». Mentionnant l'exemple du Sommet de
l'Union européenne à Göteborg, en juin 2001, S. George se désole
que les actions de rue aient privé d'attention publique un débat
télévisé auquel participaient des politiciens européens et sept
représentants du mouvement, dont... elle-même ! Fabien Lefrançois,
du groupe français Agir ici, admet pour sa part que « les actions
violentes du Black Bloc nous ont servi à un moment donné. [...]
Mais elles risquent de nous desservir à terme 27 ». Ces
déclarations renvoient à la question de l'efficacité et à la
représentativité des mouvements sociaux en général et des formes
d'action collective en particulier.
La
sociologie n'offre malheureusement pas de réponse précise quant à
la question de l'« efficacité » des mouvements sociaux, de leurs
manifestations et des tactiques violentes et non violentes. Les
analyses à ce sujet sont rares et leurs résultats ne concordent pas
28. Dans tous les cas, 1'« efficacité » d'une action militante ou
d'un mouvement social doit toujours être qualifiée. Parle-t-on de
capacité de mobilisation ? De désir de se faire voir par les médias
? De créer un rapport de force face à des « ennemis » ?
D'entraîner des « alliés » ou de s'imposer à eux ? D'offrir un
exemple à des populations que l'on prétend représenter ? De se
voir attribuer des ressources tirées des fonds publics ?
D'influencer le jeu électoral ? L'« efficacité » d'un mouvement
social ou d'une manifestation doit, de plus, tenir compte de
l'hétérogénéité des acteurs. Elle sera sans doute définie
différemment par un nouvel adhérant au mouvement, une militante
d'expérience, un militant caressant une carrière politique dans un
parti, une militante affublée par son organisation d'un titre
officiel (« présidente », « trésorière », porte-parole média,
etc.), etc. Les universitaires et les « dirigeant-e-s » des
mouvements sociaux ont toutefois tendance à penser l'efficacité en
termes de gains systémiques, soit un avantage électoral et/ou une
plus grande représentation au sein des institutions officielles
et/ou une part plus importante dans l'allocation des ressources
collectives 29. Bien sûr, les dirigeant-e-s du mouvement peuvent
être convaincus sincèrement qu'ils sont les plus aptes à
comprendre les enjeux économiques et politiques de la «
mondialisation », à représenter le mouvement et à promouvoir et
obtenir des réformes qui rendraient le système économique et
politique plus égalitaire, plus démocratique et plus juste. Mais
c'est précisément parce qu'ils définissent l'efficacité du
mouvement altermondialiste en termes de sa capacité éventuelle à
permettre aux « représentant-e-s » du mouvement de participer aux
processus de prise de décision officiels au sein des institutions
gérant la mondialisation économique que les dirigeant-e-s
d'organisations sont moins enclins à respecter la diversité des
tactiques. Cette attitude n'est pas propre aux « représentant-e-s »
du mouvement altermondialiste : des sociologues 30 ont indiqué que
des structures sociales et politiques inspirent chez des acteurs
politiques contestataires un fort désir de paraître respectables
aux yeux de l'Etat pour obtenir puis sécuriser un ensemble de
ressources financières, institutionnelles, organisationnelles,
médiatiques, voire personnelles (avancement de carrière militante
et « gloire » médiatique). L'Etat met d'ailleurs en place tout un
appareil normalisateur et encadre le champ politique officiel à
l'aide de politiques gouvernementales, de canaux de communications
officiels, de subventions et de critères d'exclusion. La survie
financière et/ ou politique des porte-parole de diverses
institutions dépend souvent des subventions gouvernementales, tout
autant que le succès éventuel de leurs actions. Dans le cas
spécifique du mouvement altermondialiste, les Sommets des peuples et
Forums sociaux sont en partie financés par les Etats, les ONG
reçoivent des subventions des Etats, des représentant-e-s d'ONG
sont invités à des discussions informelles au Sommet du G8, à des
débats au Forum économique mondial de Davos et certain-e-s sont
même recrutés par la Banque mondiale. L'élite politique officielle
exprime par ailleurs publiquement son désir de voir les
dirigeant-e-s du mouvement discipliner les manifestant-e-s et se
démarquer publiquement des « casseurs ». « Je veux entendre les
responsables de tous les mouvements et partis démocratiques, partout
dans le monde, prendre leurs distances avec les casseurs », exige
ainsi le Premier ministre belge et président de l'Union européenne,
Guy Verhofstadt, suite aux troubles en marge du Sommet du G8 à Gênes
en juillet 200131. Aucune surprise, donc, à ce que Juan Tortosa,
coordinateur du Forum social lémanique en marge du G8 à Evian en
juin 2003, trace une frontière claire entre le mouvement
altermondialiste et les « casseurs », lorsqu'il déclare : « Nous
condamnons fermement ce type d'actions violentes totalement
étrangères au mouvement altermondialiste 32 ». Dans le même
esprit, Christophe Aguiton, « responsable relations internationales
» d'ATTAC et pourtant plus radical que Susan George, dénonce la
violence des policiers à Gênes, mais affirme du même souffle que
le Forum social « a été légitimé, en Italie et bien au-delà,
par sa capacité à se démarquer des violences commises par certains
groupes de manifestants 33 ».
Cette
dynamique impulsée par les autorités politiques officielles
s'inscrit dans une logique politique propre aux divers mouvements
sociaux qui se sont peu à peu institutionnalisés au XXe siècle en
Occident et elle a des répercussions importantes dans la rue. Une
routine entre élites militantes, élites politiques officielles et
policiers s'est en effet installée, comprenant des demandes de
permis de manifester, des négociations au sujet des lieux de départ
et d'arrivée et des trajets, ainsi que de l'organisation d'un
service d'ordre qui permet aux organisateurs de discipliner leurs
troupes, les policiers n'intervenant - en principe - que si ce
service d'ordre est débordé. Le politiste Olivier Fillieule parle
d'un « esprit de connivence » entre organisateurs et policiers et
la politiste Isabelle Sommier note que « les exigences de l'ordre
interne du défilé » organisé par de grandes institutions
militantes correspondent maintenant aux « exigences de l'ordre
public », puisqu'ils sont « menacés l'un et l'autre par les
"éléments perturbateurs", "incontrôlés" ou
autres "casseurs 34" ». Une telle convergence d'intérêts
est à l'oeuvre dans toutes les grandes mobilisations, de Seattle à
Evian en passant par Washington, Québec et Gênes. A chaque fois,
une manifestation légale, autorisée et non violente, cherche non
seulement à éviter tout affrontement, mais s'interdit d'approcher
de l'objet de la contestation - le centre des congrès où avait lieu
le sommet officiel, par exemple, ou la clôture de sécurité. En
simultané ou en différé, d'autres manifestations ont lieu qui ne
sont pas autorisées par les autorités officielles ni négociées
avec elles, et qui se permettent de contester en transgressant la
loi.
Les
mobilisations contre le Sommet des Amériques, en avril 2001 à
Québec, sont un cas d'école. Québec est une ville à deux niveaux,
divisée entre la haute et la basse ville. Le trajet de la « Marche
des peuples » avait été négocié avec les autorités. Il avait
été décidé qu'elle se cantonnerait à la basse ville, alors que
le Sommet officiel était logé dans la haute ville. Ceux et celles
qui ont participé à la Marche des peuples ont tourné le dos au
Sommet et à la haute ville - alors entourée d'un nuage de gaz
lacrymogène bien visible du lieu de départ de la Marche des peuples
- et se sont dirigés en direction opposée, pour s'arrêter à
plusieurs kilomètres du Sommet, dans un terrain vague. Le syndicat
de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) assurait le
service d'ordre qui avait pour mandat d'expulser toute personne
pouvant être susceptible de troubler la manifestation (les jeunes
vêtus de noir, cagoules, et munis de bâtons). Simultanément, dans
la haute ville, plusieurs organisations radicales dont la CLAC et une
multitude de groupes d'affinité et d'individus - dont certains
syndiqués, par exemple, qui avaient déserté la Marche des peuples
- tentaient de renverser la clôture du périmètre de sécurité et
affrontaient les policiers. Plutôt que d'admettre que le mouvement
altermondialiste est hétérogène et polysémique et que les Black
Blocs et leurs alliés participent à leur manière à ce mouvement
des mouvements, l'élite du mouvement altermondialiste a publiquement
condamné les « casseurs », réaffirmant par effet de distanciation
leur respect du cadre légal et officiel. Françoise David,
porte-parole du Sommet des peuples - subventionné par les
gouvernements du Canada et celui du Québec - dira ainsi « non à
cette violence » orchestrée selon elle par « un très petit groupe
35 ». En conclusion de quatre jours de manifestations, dont deux
d'affrontements entre manifestant-e-s et policiers, les plus hautes
autorités du pays exprimèrent leur jugement, légitimant les uns et
condamnant les autres. « J'en profite pour remercier la FTQ, qui
avait ses propres gardes de sécurité », a ainsi déclaré le
Premier ministre canadien Jean Chrétien 36.
Les
« dirigeant-e-s » du mouvement altermondialiste en Occident tirent
donc avantage à procéder en simultané à une mise à distance très
explicite des éléments « violents » et à une tentative
revendiquée de contrôle du mouvement. Ainsi, José Bové, membre de
la Confédération paysanne et sans doute le porte-parole le plus
célèbre du mouvement altermondialiste, dénonce à l'occasion d'une
entrevue à la chaîne France 2 « les tentatives de déstabilisation
par un certain nombre de groupes incontrôlés » des manifestations
contre le Sommet du G8 à Gênes (je souligne). Susan George déclare
pour sa part qu'il faut « imposer totalement la non-violence dans
nos rangs » pour obtenir un « militantisme discipliné 37 ». Pour
ceux et celles qui se présentent comme les dirigeant-e-s de ce
mouvement, l'enjeu est bien de contrôler la base et de la rendre
homogène, quitte à pratiquer le dénigrement et l'exclusion. Au
sujet plus spécifiquement des Black Blocs, Susan George dit qu'il
s'agit d'« une poignée d'individus qui, effectivement, ne proposent
rien du tout 38 » et elle indique, en parlant des manifestations
contre le G8 à Evian, que les « casseurs » participaient à une «
sous-culture minoritaire [...] les "cuir noir heavy metal spike
hair" crasseux de Zurich, dont l'unique but dans la vie est
apparemment de casser. Seul un psychologue ou anthropologue qualifié
pourrait dire si le politique leur inspire le moindre intérêt 39 ».
Présentés publiquement comme le résultat d'une déviance
culturelle doublée d'une pathologie psychologique, les Black Blocs
et leurs alliés sont des repoussoirs pour des dirigeant-e-s
d'organisations qui cherchent à les neutraliser ou à tout le moins
à s'en dissocier pour donner une image homogène, respectable et
calme du mouvement qu'ils veulent représenter. Un discours si
critique et méprisant envers les Black Blocs et leurs alliés
facilite - en la légitimant implicitement ou explicitement – la
répression et la criminalisation des « casseurs 40 ». La
convergence d'intérêts entre l'élite politique, l'élite du
mouvement social et les policiers pousse certains militants à se
transformer en auxiliaires de la police, d'où les services d'ordre
des syndicats à Seattle, Québec, Annemasse et ailleurs. Le cas de
Lori Wallach, lobbyiste américaine et directrice de Global Trade
Watch, est à ce titre exemplaire. Elle explique en entrevue que la
veille des actions directes du 30 novembre à Seattle, des «
anarchistes » ont voulu fracasser des vitrines lors d'un événement
où José Bové distribuait du Roquefort devant un McDonald's. «
Nous avions avec nous des travailleurs de l'acier et des dockers au
gabarit impressionnant, trois à quatre fois plus larges que les
jeunes. Nous leur avons demandé de s'emparer d'un anarchiste que
nous avons emmené aux policiers, un syndiqué des teamsters
l'encadrant de chaque côté. Nous avons dit aux policiers que ce
garçon venait de briser une vitre et qu'il n'était pas avec nous.
"Nous détestons l'OMC, tout comme lui, mais nous ne brisons pas
des choses. Arrêtez-le, s'il vous plaît". » La militante se
désole toutefois que « les policiers n'ont pas voulu arrêter qui
que ce soit 41 » ce jour-là, ce qui aurait pourtant pu éviter
selon elle les débordements du lendemain 42.
Les
partisan-e-s des Black Blocs s'inscrivent dans une logique politique
tout autre. Ils n'ont pas comme objectif de placer leurs porte-parole
dans les médias ou aux tables de négociations des sommets officiels
43. Ils ne considèrent pas les politiciens ou les policiers comme
des partenaires avec qui il faudrait cogérer la contestation, ni la
loi comme un marqueur de légitimité politique et morale. Un sommet
officiel offre une occasion privilégiée pour se faire voir et
entendre et créer des alliances, mais l'engagement politique et
social le plus important doit se déployer dans les communautés
locales, ou sur des fronts de lutte comme l'antiracisme,
l'écologisme, le logement ou la culture. Dans tous les cas, la
politique doit être participative et deliberative. Deux conceptions
de la démocratie s'affrontent au sein du mouvement. La conception de
la démocratie représentative est défendue par des « représentants
» autoproclamés du mouvement. Or, pour représenter une communauté
- que ce soit une nation ou un mouvement social -, il convient de
dire que cette unité politique est homogène et qu'elle peut
s'exprimer d'une seule voix (celle de son représentant). Parlant
spécifiquement de la « diversité des tactiques », Susan George
affirme ainsi que cette approche ne peut fonctionner parce qu'« il
n'y aura aucune unité dans la manifestation et aucun message clair à
transmettre au monde extérieur 44 ». S. George laisse ici entendre
qu'elle peut parler au nom de l'ensemble du mouvement, duquel elle a
exclu les déviant-e-s. Les « représentant-e-s » comme Susan
George démontrent par de tels propos qu'ils ne peuvent ni ne veulent
représenter sur la scène publique les Black Blocs et leurs alliés,
qui n'ont du coup plus aucune raison de leur accorder leur confiance.
Cette confiance, les participant-e-s aux Black Blocs n'étaient de
toute façon pas près à leur accorder puisqu'ils entretiennent une
autre vision de la démocratie, qui ne peut être, selon eux,
légitime que sous sa forme directe.
Plusieurs
théoriciens 45 et politiciens ont souligné depuis plus de deux
cents ans la nature fictive - voire mensongère - de la
représentation de la souveraineté populaire. Maximilien Robespierre
affirmait que « c'est seulement par fiction que la loi est
l'expression de la volonté générale 46 ». Benjamin Constant
précisait quant à lui que lorsque l'individu moderne exerce sa
souveraineté, « ce n'est jamais que pour l'abdiquer 47 » car
«l'exercice de la souveraineté [...] par la représentation» est
"fictive 48" ». Pierre Paul Royer-Collard parlait pour sa
part de la « doctrine magique de la représentation 49 ». Du côté
des anarchistes, Murray Bookchin, après Elisée Reclus et Proudhon,
affirme que « le slogan "Pouvoir au peuple" peut seulement
être mis en pratique lorsque le pouvoir exercé par les élites
sociales se dissout dans le peuple. [...] Si "pouvoir du peuple"
signifie rien de plus que "pouvoir pour les leaders du peuple",
alors le peuple reste une masse indifférenciée et manipulable 50 ».
C'est le baron Pierre Victor Malouet, un monarchiste de la période
révolutionnaire, qui a identifié le plus clairement - dans un
discours à l'Assemblée constituante en 1791 - la tension inhérente
qui habite l'idée de « représentation » de la souveraineté,
selon lui dangereuse car « il est difficile de tenir dans la
condition de sujet celui auquel vous ne cessez de dire : tu es
souverain 51 ».
L'idéologie
de la démocratie « représentative » porte donc en soi un paradoxe
qui permet de justifier la démocratie directe : les représentants
affirment que la communauté (nation, classe, mouvement social) est
souveraine et du même souffle prétendent représenter sa volonté
et ses intérêts. Mais la réalité sociale et politique est
nécessairement hétérogène et complexe et des membres de cette
communauté une fois assemblée réalisent qu'ils peuvent se passer
de représentants puisqu'ils ont la capacité de délibérer et
d'agir collectivement. Le danger appréhendé par le réactionnaire
Malouet s'est incarné dès l'époque de la Révolution dans la
mouvance radicale des enragés, dont l'un des membres les plus
influent, Leclerc, déclarait « qu'un peuple représenté n'est pas
un peuple libre [...]; la volonté ne peut se représenter 52 ». A
leur manière, les participant-e-s aux Black Blocs participent de
cette tradition de la démocratie directe. Ils démontrent au sein de
leurs groupes d'affinité que la multitude peut collectivement
délibérer et que l'énergie du « souverain » se trouve très
souvent à déborder - et à faire éclater - le cadre politique de
la représentation dans lequel les dirigeant-e-s tentent de la
contenir pour légitimer leur fonction de « représentant-e-s ».
Aux
yeux de participant-e-s aux Black Blocs et de leurs alliés, le
mouvement est hétérogène - un mouvement des mouvements - et cette
multitude ne peut être « représentée » sans qu'il y ait
nécessairement simplification par le représentant de la volonté
générale elle-même nécessairement hétérogène. Un représentant
développe par ailleurs immanquablement des intérêts personnels
distincts du « bien commun » de ceux et celles qu'il entend
représenter. Les « organisateurs », les « dirigeants » ou les «
représentants » capitalisent sur le mouvement altermondialiste pour
leur bénéfice personnel (gloire médiatique, réseautage
sociopolitique, financement, etc.) et mobilisent la base avant tout
pour montrer à leurs interlocuteurs – d'autres « représentants »
de la nation ou du capital - qu'ils parlent d'une voix forte.
Ayant
des intérêts distincts, il n'est que normal que les dirigeant-e-s
d'organisation et les membres des Black Blocs ne s'entendent pas sur
l'efficacité des formes d'actions militantes. Devant cette
divergence, les membres des Black Blocs tendent à privilégier le
pluralisme et l'autonomie de choix, alors que les dirigeant-e-s
cherchent à discipliner leurs manifestant-e-s et à condamner
publiquement les actions des Black Blocs. Se sentant trahis, des
participant-e-s aux Black Blocs et leurs alliés agissent parfois
volontairement pour perturber la prise de parole des « dirigeant-e-s
» du mouvement. Un Français qui a participé à plusieurs
manifestations, dont celle de Nice en décembre 2000 contre l'Union
européenne, explique ainsi : « Nous étions environ deux cents
personnes à dormir dans le sous-sol d'un parking. J'ai vécu
l'horreur du clochard qui dort sur un carton, avec le froid qui brûle
le dos. J'étais là parce qu'on pouvait discuter de violence. Nous
nous étions autoexclus du gymnase, où il y avait des gens comme
Susan George et Alain Krivine 53 qui avaient pris la parole. C'avait
été la première fois que je pensais que l'on pouvait perturber des
gens. Alors que d'habitude, ce sont eux - sur le thème des
sans-papiers, ou autres - qui nous court-circuitent, qui nous
récupèrent, qui se réapproprient les mouvements en envoyant leurs
jeunes dans nos assemblées générales, cette fois-là, nous les
avons insultés, nous les avons hués. »
Ce
qui est reproché ici aux « représentant-e-s » du mouvement, c'est
de nier que le mouvement des mouvements est diversifié et comprend
une vague radicale, c'est-à-dire foncièrement anticapitaliste et
anti-autoritaire, que le discours de ces « représentant-e-s » ne
représente pas. Pire, aux yeux des radicaux, ces dirigeant-e-s
cherchent à s'arrimer au mouvement populaire et à récupérer son
énergie militante pour leur bénéfice personnel ou pour celui de
leurs organisations spécifiques.
Selon
la conception radicale et directe de la démocratie, un mouvement
social est un espace qui peut et doit être organisé de façon telle
que chacun puisse participer au processus de prise de décision et
s'exprimer, en son nom propre, vers l'intérieur aussi bien que vers
l'extérieur de cette collectivité. Des partisan-e-s des Black Blocs
et du fonctionnement militant par groupes d'affinité considèrent
qu'ils ont les capacités politiques de décider collectivement de
leurs choix tactiques, par voie de délibération. Les arguments pour
justifier - ou rejeter - le recours à la force peuvent être de
l'ordre de la référence historique, de l'expérience militante, ou
du témoignage psychopolitique54, un individu riche d'une longue
expérience militante et ayant participé à des Black Blocs révélant
ainsi que « tous ceux et celles que je connais et qui participaient
à des Black Blocs sont des militants, souvent de longue date. Ils
sont en quelque sorte désillusionnés car ils sont arrivés à la
conclusion que les moyens pacifistes sont trop limités et qu'ils
font le jeu du pouvoir. Ils décident alors d'utiliser la violence
pour ne plus être victimes 55 » [BB2]. Les arguments peuvent aussi
relever de l'évaluation tactique et stratégique, de l'analyse
politique ou économique, C. Barette notant que le pillage d'un
supermarché permet l'apparition d'une « société d'abondance de
quelques minutes » qui offre la possibilité d'expérimenter le
partage et la joie d'appartenir à une communauté solidaire 56. Il
importe de noter que les Black Blocs et leurs alliés ne se
considèrent pas « révolutionnaires » (sauf en de rares exceptions
57). Leur violence - d'intensité relativement réduite - n'est pas
meurtrière : elle est avant tout symbolique et s'inscrit dans une
volonté de communication politique. Le recours à la force est
identifié comme un moyen « efficace » pour exprimer une dissidence
ou une critique, perturber l'image publique d'un événement officiel
jugé illégitime et participer à la vieille tradition du droit et
du devoir de contestation de l'autorité illégitime et de résistance
58. Bref, l'action directe permet à l'acteur d'indiquer ici et
maintenant le jugement critique qu'il porte à l'égard d'un système
immoral. C. Barette note que « tous [les] enquêtes affirment
choisir leurs cibles selon la charge symbolique qu'ils leur imputent.
Presque tous insistent sur une certaine éthique de leur destruction
et ce, autant dans un souci de l'image à donner de l'émeute que de
"morale" personnelle, politique et sociale 59 ». Ce
processus de justification concorde avec les observations
d'historiens et de sociologues qui ont noté que le recours à la
force par des manifestant-e-s est généralement motivé par des
considérations morales et politiques au sujet des principes de
liberté, d'égalité et de justice 60. Les grands sommets
économiques symbolisent parfaitement aux yeux des anarchistes
l'illégitimité et la violence de l'Etat 61, ainsi que sa nature
autoritaire et hiérarchique et sa collusion avec le capital 62. Les
participant-e-s aux Black Blocs et leurs alliés insistent à
plusieurs reprises pour distinguer la nature illégitime et violente
de l'Etat de celle de leurs actions. « Je suis un pacifiste, un
non-violent, c'est-à-dire que je rêve d'un monde sans violence »,
explique un participant aux Black Blocs de Québec, avant d'ajouter :
« Mais le monde dans lequel je vis actuellement est violent et non
pacifiste, et je considère donc qu'il est légitime pour moi
d'utiliser la force pour ne pas laisser le monopole de la violence à
l'Etat et parce que la simple désobéissance civile pacifiste ne
fait qu'établir un rapport de force de victime. » II conclut de
façon surprenante que si « [l]'Etat n'a pas le choix d'utiliser la
violence, l'Etat ne nous laisse pas le choix d'utiliser nous aussi la
violence contre lui. C'est l'Etat, par ce qu'il est, qui a créé le
Black Bloc ». Les participant-e-s aux Black Blocs perçoivent donc
la force qu'ils utilisent occasionnellement comme étant d'une nature
politique et morale qualitativement supérieure 63 à celle de la
violence de leurs ennemis en raison de son amplitude (la force des
Black Blocs n'a jamais été meurtrière ; contrairement à la
violence de l'Etat et du Capital 64) et des cibles contre lesquelles
elle est dirigée (à savoir des symboles d'injustice comme le
capitalisme ou l'Etat).
Cette
force des Black Blocs serait aussi plus légitime que la violence des
policiers ou des militaires, par exemple, parce qu'elle est utilisée
par des individus et des groupes égalitaires et autonomes, alors que
les employés de l'Etat ne font qu'obéir aux ordres, violentant ou
tuant à la demande de leur supérieur hiérarchique. Pour les
manifestants interviewés par C. Barette, « l'autonomie d'action et
de décision » est « l'exigence première [...] lorsqu'il s'agit de
faire de la politique ou encore d'exercer la violence 65 ». L'action
des Black Blocs est directe, parce qu'elle est menée par l'acteur
lui-même et non par un de ses « représentant-e-s », mais aussi
parce que l'objet d'injustice - l'Etat, le Capital ou la «
Mondialisation » - s'incarne dans un policier, une vitrine d'un
McDonald's ou la clôture de sécurité entourant un sommet et peut
être directement ciblé. « C'est la première fois que le pouvoir
n'était plus quelque chose au-dessus de moi. Il était là, en face
», dira ainsi un manifestant français au sujet d'une émeute
politique à laquelle il a participé 66. L'Etat « démocratique »
libéral qui déploie alors sa violence contre cette partie du peuple
souverain dévoile ce faisant l'absence de correspondance entre
l'abstraction légitimante de la souveraineté représentée et la
réalité d'une multitude dotée d'une autonomie de décision et
d'action politiques 67. Pareil dévoilement s'effectue aussi lorsque
des « représentant-e-s » d'un mouvement social se dissocient d'une
partie du mouvement qu'ils disent représenter.
Anarchie
sous tension
Curieusement,
à première vue, la diversité des tactiques est respectée par peu
d'organisations antiautoritaires ou anarchistes, comme le Direct
Action Network (DAN) à Seattle ou la Convergence des luttes
antiautoritaire et anticapitaliste contre le G8 (CLAAACG8), en
France. Pour les manifestations du 30 novembre 1999, à Seattle, les
groupes d'affinité coalisés sous la bannière du DAN avaient
publiquement annoncé des actions « non violentes ». Plusieurs
participant-e-s ont été choqués de l'action du Black Bloc,
considérant que les « casseurs » avaient le devoir de respecter le
consensus au sujet de la non-violence et d'attendre le lendemain pour
recourir à la force 68. Les participant-e-s au Black Bloc se sont
disculpés en affirmant ne pas s'être senti tenus de respecter le
consensus atteint au sein du DAN puisqu'ils agissaient de façon
autonome hors de cette coalition et dans un autre quartier de la
ville. Dans le cas du DAN, la condamnation de la diversité des
tactiques est à la fois morale (plusieurs participant-e-s à la
coalition étant des adeptes dogmatiques de la non-violence),
tactique (plusieurs considérant, à tort, que la violente répression
policière a été provoquée par l'action des Black Blocs),
stratégique (plusieurs considérant, avec raison, que les Black
Blocs sont parvenus à attirer de façon disproportionnée à leur
nombre l'attention des médias) et politique (plusieurs considérant
le DAN comme la communauté politique de référence détenant
l'autorité de définir les choix d'action pour la journée du 30
novembre).
Dans
le cas de la CLAAACG8, l'explication est plus systémique.
Contrairement à la CLAC de Montréal formée d'individus et de
groupes d'affinités autonomes, la CLAAACG8 était une organisation
parapluie qui regroupait diverses organisations anarchistes
françaises et européennes 69. Elle avait été fondée en amont du
sommet du G8 d'Evian pour que ces groupes organisent et participent à
la grande marche « unitaire ». L'objectif de la CLAAACG8 était
avant tout de supplanter par la grosseur du cortège rouge et noir
les autres institutions participant à la marche unitaire (ATTA C,
LCR, Verts, etc.). Ce choix politique impliquait un encadrement des
manifestants anarchistes par les organisateurs qui ne voulaient
permettre une autonomie au sein de leur cortège, pensant que des
débordements auraient miné leur stratégie médiatique. Tout en se
proclamant du bout des lèvres pour la diversité des tactiques, la
CLAAACG8 s'était dotée de son propre service d'ordre qui devait
empêcher que le cortège rouge et noir serve de point de départ ou
de repH - de « porte-avion », avait dit un organisateur - pour ceux
et celles voulant mener des actions autonomes. L'identité anarchiste
ne conduit donc pas nécessairement au respect de la diversité des
tactiques, surtout lorsque des contraintes systémiques de type
organisationnel viennent influencer les choix politiques.
Ce
choix stratégique de la CLAAACG8 a été dénoncé par plusieurs
groupes et individus autonomes (ainsi que certains membres des
organisations de la CLAAACG8 s'exprimant en leur nom propre), déçus
de constater que des organisations anarchistes calculent le succès
de leur manifestation en se comparant aux autres organisations
politiques et à l'aune des commentaires dans les médias officiels
privés ou publics. Au cours de la manifestation elle-même, une
poignée d'anarchistes de Strasbourg et d'ailleurs a formé un petit
cortège autoproclamé « CLAAAC réfractaire » qui a marché
derrière le service d'ordre anarchiste, scandant régulièrement des
slogans caustiques à l'égard des « policiers libertaires » ; le
Houmos Bloc a diffusé pour sa part au VAAAG un communiqué ironique
au sujet de « la manifestation sécurisée en accord avec les flics
pour éviter toute action "terroriste" de "casseurs"
», se demandant s'il est « nécessaire de négocier l'autogestion
des manifestations avec les flics ?» ; et d'autres débats ont eu
cours dans les médias alternatifs et anarchistes. Les partisan-e-s
de l'approche stratégique de la CLAAACG8 se sont tout de même
félicités d'avoir atteint leur objectif : le cortège rouge et noir
comptait environ 5 000 à 6 000 manifestant-e-s, ce qui en faisait un
des plus grand cortège anarchiste de l'histoire de France et le
cortège le plus important de la marche « unitaire », comme l'ont
d'ailleurs souligné des journaux comme Le Monde. Même au sein des
anarchistes, il n'y a donc pas de consensus lorsqu'il s'agit de
définir l'« efficacité » d'une manifestation ; et des
considérations ou des justifications liées à l'histoire et à la
dynamique d'une l'organisation militante anti-autoritaire ou
anarchiste peuvent mettre sous tension ses principes d'égalité et
de liberté.
Autres
blocs
Le
mouvement altermondialiste comprend trois autres types de « blocs »
pour ceux et celles qui privilégient la confrontation, mais que ne
se sentent pas au diapason des Black Blocs. Le « Bloc Blanc », dit
« Tute Bianche » (Combinaisons blanches) sont issus des centres
sociaux italiens (squats politiques) et sont très proches des
Jeunesses communistes, des mouvements de chômeurs et des zapatistes
au Chiapas. Tout comme les Black Blocs, leur tenue homogène leur
assure l'anonymat. Partisans de la « non-violence », ils se
distinguent de l'approche de Gandhi ou de Martin Luther King en
adoptant une attitude offensive. Ils se fabriquent des armures
artisanales (matelas en caoutchouc mousse, casques, gants, masques,
jambières) et ils avancent en se tenant bras dessus bras dessous
pour bousculer les lignes des policiers par la force même de leur
corps et parfois en lançant des chambres à air. Les Tute Bianche
sont entrés en action à Prague, en septembre 2000, mais leur
bataille la plus importante a eu lieu à Gênes à l'occasion du
sommet du G8 en juillet 2001. Ils sont parvenus à mobiliser environ
15 000 personnes pour leur marche vers la clôture de sécurité, qui
ont avancé massées derrière des panneaux protecteurs en plexiglas
montés sur roulettes. Parti du stade Carlini, le cortège a très
rapidement été attaqué par les policiers avec violence, ce qui a
provoqué une dispersion en divers groupes, certains optant pour la
fuite, d'autres pour l'affrontement. Des groupes similaires ont été
formés en Australie, en Espagne, en Finlande et en Grande-Bretagne.
En
plus des Blocs noirs et des Blocs blancs, les Blocs roses, connus
sous le nom de « Pink Blocs » ou « Pink and silver blocs » ou «
Carnaval blocs », regroupent des militant-e-s qui entendent faire
cohabiter en une seule action la politique, l'art et le plaisir et
qui se costument de façon fantaisiste et carnavalesque 70. Les
tâches y sont divisées entre groupes d'affinité : érection de
barricades, théâtre de rue et marionnettes géantes, musique des «
samba bands » et premiers soins. Le Pink Bloc trouve son origine
chez Reclaim the Streets, un groupe britannique connu pour ses
carnavals anticapitalistes, et Rythms of Resistance, une troupe de
militant-e-s percussionnistes qui ont adopté une attitude plus
mobile et offensive, se portant vers les lignes des policiers. Le
Pink Bloc a attiré l'attention une première fois à Prague, en
septembre 2000, où il était parvenu à contourner les policiers et
à s'approcher si près du centre des congrès qu'il en a forcé
l'évacuation, ce qui a mené à l'annulation de la fin de la
réunion.
Ces
divers blocs, dont les rapports entre eux ne sont pas toujours
harmonieux, cultivent chacun à leur manière l'idée du respect de
la diversité des tactiques. En marge du Sommet du G8 à Evian, un
Pink Bloc d'environ 1 500 personnes a coordonné ses manoeuvres et
ses actions de blocage à Lausanne (le 1er juin 2003) avec celles
d'un Black Bloc de 500 personnes 71. Les frontières entre ces blocs
sont poreuses et permettent des expériences hybrides. A Montréal,
par exemple, les Panthères roses - un groupe d'affinité queer - ont
organisé lors de la marche « unitaire » du dimanche 7 mars 2004
célébrant la journée internationale des femmes un « Pink Bloc »
qui se situait à la frontière entre le Pink Bloc traditionnel et le
Black Bloc. Les militant-e-s s'étaient costumé-e-s de vêtements de
couleurs éclatantes et s'étaient coiffé-e-s de cagoules... roses
72. Des membres du service d'ordre ont tenté de les intimider, mais
sans parvenir à les empêcher de tenir un « kiss-in » devant
l'estrade d'honneur pour révéler la présence queer au sein du
mouvement des « femmes ».
Enfin,
des organisations communistes autoritaires de tendance maoïste ont
copié l'organisation des Black Blocs pour mieux structurer leur
participation aux manifestations altermondialistes. Le parti
communiste révolutionnaire du Canada explique ainsi dans sa revue
Socialisme maintenant ! Comment former des « poings rouges » dans
les manifestations, sortes de groupes d'affinité constitués de «
cinq camarades » qui ont une tache spécifique : porter une
bannière, distribuer des tacts ou des journaux, attaquer des
policiers ou des cibles symboliques. Mais l'organisation est ici
autoritaire et hiérarchisée. Contrairement aux groupes d'affinité
constituant les Black Blocs, « le poing rouge ne décide pas de
lui-même quelle sera la tâche à laquelle il va se consacrer 73 ».
L'analyse
proposée ici est un encouragement à la réflexion et au débat,
mais ne prétend pas tout expliquer des Black Blocs, dont le recours
à la force soulève de nombreuses questions : encourage-t-il ou non
la répression 74 ? Donne-t-il une mauvaise image du mouvement dans
les médias 75 ? Exclut-il de facto des individus de leurs groupes en
particulier et du mouvement en général 76 ? Constitue-t-il une
étape anticipant la lutte armée et le « terrorisme 77 » ? De
plus, l'image présentée ici des Black Blocs peut donner
l'impression qu'ils sont toujours très bien organisés, ce qui n'est
bien sûr pas le cas. Certains Black Blocs ne sont pas même
structurés en groupes d'affinité, ce qui réduit d'autant la
capacité de ses participants à prendre des décisions de façon
égalitaire et à agir de façon coordonnée. Malgré ces
problématiques complexes, toute une mythologie simpliste s'est
développée autour de l'image
des
Black Blocs qui peut entraîner des choix militants malheureux.
L'enthousiasme
au sujet des Black Blocs a ainsi poussé certains militant-e-s à
former un Black Bloc au sein de manifestations de taille très
réduite. La police a alors pu les interpeller avant même le début
de la manifestation (même s'ils n'avaient commis aucune infraction à
la loi), le rapport de force ne leur permettant pas de se défendre
efficacement 78. De plus, l'histoire politique avance rapidement. La
tactique du Black Bloc en a étonné plus d'un à Seattle en 1999,
mais elle est maintenant anticipée par les policiers, qui ont même
utilisé l'esthétique des Black Blocs pour infiltrer et manipuler
certaines manifestations. A Genève, en juin 2003, en marge des
manifestations contre le Sommet du G8 à Evian, une quinzaine de
policiers ont ainsi déjoué la surveillance des militant-e-s en se
déguisant en Black Bloc pour pénétrer dans le squat « l'usine »
où se trouvait le centre de convergence et des médias alternatifs,
et ils ont procédé à de violentes arrestations. « Le Black Bloc
est mort », ont lancé des anarchistes 79 pour indiquer que cette
tactique n'est plus adaptée au contexte politique et au rapport de
forces d'après la Bataille de Gênes et d'après les attaques du 11
septembre 2001 contre les Etats-Unis.
La
stratégie de dérobade adoptée par les élites après la sanglante
Bataille de Gênes, et qui consiste à tenir les Sommets dans des
lieux inaccessibles aux manifestant-e-s, brouille aussi le sens des
tactiques d'affrontement direct et réduit les capacités de
mobilisation militante. Au-delà de la question insoluble de
l'efficacité, des manifestant-e-s ayant recours à la force ainsi
que plusieurs de leurs alliés précisent qu'il faut penser l'action
directe dans une perspective d'éthique politique, en cherchant à
favoriser les valeurs d'égalité et de liberté. Lors de leurs
délibérations, amilitantes et amilitants devraient aussi tenter
dans la mesure du possible de tenir compte du contexte et de la
capacité de mobilisation des coalitions militantes, de la symbolique
des cibles, de la sensibilité des autres manifestants, des forces
policières, etc. Evidemment, même quand les membres d'un Black
Blocs s'offrent un cadre organisationnel pour pouvoir délibérer, il
est possible qu'ils prennent de mauvaises décisions. Ce sont au
moins leurs décisions.
Annexe
Informations
sur les personnes interviewées
AD1
: Homme 27 ans. Il a participé à des actions directes à Gênes
(Sommet du G8), Bruxelles (Sommet européen), Rome (avec des Kurdes
pour protester contre l'arrestation d'Ochalla), à la construction de
barricades, à tenir des rues, à tagguer et à lancer des frappes
contre des bâtiments (hôtel de luxe, agence intérimaire,
supermarché). Entretien réalisé à Strasbourg, 23 juin 2003.
AD3
: Homme, environ 20 ans, militant antiraciste et antinéonazis. Il a
participé à un groupe d'affinité contre le Sommet des Amériques à
Québec (avril 2001) ayant mené des attaques contre les policiers.
Entretien réalisé en mars 2002 à Montréal.
BB1
: Homme, une vingtaine d'années. Il a participé aux Black Blocs
contre le G20 (novembre 2000, Montréal) et contre le Sommet des
Amériques (Québec, avril 2001). Entretien réalisé en septembre
2002, à Montréal.
BB2
: Homme, 20 ans, ayant participé à de nombreux groupes d'affinité
au sein de plusieurs Black Blocs : contre le G20 à Montréal
(novembre 2000), contre le Sommet des Amériques à Québec (avril
2001), et à Porto Alegre, en marge du Forum social mondial (2003).
Entretien réalisé à Montréal en octobre 2002.
BB3
: Femme, 23 ans. Elle a participé à trois Black Blocs :
manifestation contre le G20 (Montréal, novembre 2000) ;
manifestation organisée par le Collectif opposé à la brutalité
policière (Montréal, 15 mars 2001) ; manifestations contre le
Sommet des Amériques (Québec, avril 2001). Entretien réalisé en
décembre 2002 à Montréal.
BB5
: Femme de 36 ans, ayant participé à des Black Blocs et milité
principalement à New York et Toronto. Entretien réalisé par
courriel en janvier 2004.
F7
: Femme, 23 ans. Elle a milité dans des associations étudiantes et
à Salami, puis dans divers groupes anarchistes et /ou féministes :
la CLAC, les Sorcières et le comité Rebelles sans frontières.
Entretien réalisé à Montréal le 25 avril 2004.
GA7:
Femme, 24 ans, vivant à Boston. A participé à un premier groupe
d'affinité en 2001, lors d'une occupation de bureaux administratifs
à Harvard pour exiger de meilleures conditions de travail pour les
concierges. Participation à d'autres groupes lors des manifestations
contre le Forum économique mondial à New York (hiver 2002), des
manifestations contre la guerre en Irak (à Boston, 2003) et des
manifestations anti-G8 en France (juin 2003). Entretien réalisé à
Paris en juin 2003.
V10
: Homme, 24 ans. Il a mené des actions directes - destruction de
propriété et pillage - à Nice (décembre 2000), à Gênes (juillet
2001) et à Annemasse (juin 2003) et il a participé au VAAAG.
Entretien réalisé à Paris le 11 décembre 2003.
NOTES
*
Ce texte - qui approfondit et complexifie certaines pistes explorées
dans « Black Blocs. Bas les masques », Mouvements, 25, 2003 - a été
rédigé alors que l'auteur était chercheur affilié au département
de science politique du Massachusetts Institute of Technology à
Boston et boursier du Conseil de recherches en sciences humaines du
Canada. L'auteur tient à remercier J. Clark, O. Fillieule et les
évaluateurs anonymes de la revue Politix pour leurs commentaires et
leurs critiques portant sur une version préliminaire de ce texte.
1.
Montes (J.)/ w Mouvements antimondialisation. La crise de la
démocratie représentative », Etudes internationales, XXXIII (4),
2001.
2.
Cf. le chapitre 6 - « Social Movements and Organizational Form » -
in Delia Porta (D.), Diani (M.), Social Movement. An Introduction,
Oxford, Blackwell publishers, 1999, ainsi que Polletta (F.), Freedom
Is an Endless Meeting, Columbia University Press, 2003 ; Pleyers
(G.), « Des Black Blocks aux alter-activistes. Pôles et formes
d'engagement des jeunes altermondialistes », Lien social et
politique, 51, 2004, p. 127 et Jordan (T.), S'engager ! Les nouveaux
militants, activistes, agitateurs..., Paris, Autrement, 2003.
3.
Colson (D.), » La force radicale de l'anarchie », Réfractions, 12,
2004, p. 101-103 et p. 108-110.
4.
Beaucoup de textes ont été publiés sur le thème de l'anarchisme
et de la violence. On lira avec intérêt Carter (A.), « Anarchism
and violence », Nomos. Anarchism, 19, 1978, p. 324-325 ; le chapitre
« Is anarchism violence ? », in Berkman (A.), What Is communist
Anarchism?, New York, Dover Publications, 1972 ; le chapitre 40, «
Ends and Means », in Marshall (P.), Demanding the Impossible. A
History of Anarchism, Londres, Fontana Press, 1993 ; et le dossier «
Violence, contreviolence, non violence anarchistes » de la revue
Réfractions, 5, 2000. Pour un exemple historique fascinant d'un
débat au sein d'un mouvement social antiautoritaire non-violent au
sujet de l'utilisation d'une pince pour découper une clôture
entourant le site d'une centrale nucléaire, cf. Epstein (B.),
Political Protest & cultural Revolution. Nonviolent Direct Action
in the 1970s and 1980s, Berkeley, University of California Press,
1991.
5.
Contre des délégués élus du Front national français (Montréal,
septembre 1993), contre le Sommet des Amériques à Québec (avril
2001), contre le FMI et la BM (Ottawa, novembre 2001), contre le
Forum économique mondial (New York, janvier 2002), contre le G8
(Calgary, juillet 2002), contre le G8 à Annemasse (juin 2003),
contre l'Organisation mondiale du commerce (Montréal, juillet 2003).
6.
Principalement de la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC)
de Montréal, de 2001 à 2002, et du comité de Paris du Village
alternatif anticapitaliste et antiguerre (VAAAG) de Paris, de mars à
juin 2003, et au VAAAG.
7.
Plusieurs de ces textes sont repris dans Dupuis-Déri (F.), dir., Les
Black Blocs, Montréal, Lux, 2003 et dans David (M.), ed., The Black
Blocs Papers, Baltimore, Black Cover Press, 2002.
8.
Barette (C), La pratique de la violence politique par l'émeute. Le
cas de la violence exercée lors des contre-sommets, Mémoire de DEA,
sociologie politique, Université Paris 1, 2002.
9.
Cette histoire de l'origine des Black Blocs s'inspire largement de
Katsiaficas (G.), The Subversion of Politics: European Autonomous
Social Movements and the Decolonization of Everyday Life, New Jersey,
Humanities Press International Inc., 1997 ; Katsiaficas (G.), « The
necessity of Autonomy », New Political Science, 23 (4), 2001 ; des
documents visuels dans Grauwacke (A. G.), Autonome in Bewegung : Aus
Den Ersten 23 Jahren, Berlin, Assoziation A et d'un entretien réalisé
à Montréal, le 26 novembre 2003, avec un homme de 42 ans
d'Amsterdam ayant participé à des Black Blocs pendant les années
1980, dans le mouvement des squats en Allemagne et en Hollande.
10.
Tilly (C), « Les origines du répertoire d'action collective
contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle,
4, 1984 ; McAdam (D.), Rucht (D.), « The Cross-National Diffusion of
Movement Ideas », Annals of the American Academy of Political and
Social Sciences, 528, 1993.
11.
Ickibob, « On the Black Bloc », Love & Rage, juillet-août,
1992, repris dans San Filippo (R.), A New World in Our Heart. Eight
Years of Writings From the Love and Rage Revolutionnary Anarchist
Federation, Oakland (CA), AKPress, 2003, p. 39-40.
12.
Le premier centre Indymedia est d'ailleurs fondé à l'occasion de la
Bataille de Seattle. Kidd (D.), « Indymedia.org. A new
communications commons », McCaughey (M.), Ayers (M. D.), eds,
Cyberactivism. Online Activism in Theory and Practice, New
York-Londres, Routledge, 2003.
13.
Presque toutes les personnes qui ont eu recours à la force lors de
manifestations et que j'ai interviewées ont identifié le groupe de
musique Bérurier noir et le film de M. Kassovitz, La Haine, comme
référents culturels importants.
14.
O'Connor (A.), « Punk Subculture in Mexico and the
Anti-Globalization Movement. A Report from the Front », New
Political Science, 25 (1), 2003.
15.
Pleyers (G.), « Des black blocks aux alter-activistes. . . », art.
cité, p. 125-126.
16.
A l'inverse, l'option de la non-violence souvent perçue comme plus «
rationnelle » et moralement supérieure peut, elle aussi, être
déterminée par des émotions comme la peur de la turbulence ou de
la police, une préférence esthétique pour l'ordre, une tendance
psychologique à l'obéissance (à la police, la loi, etc.), un désir
de conformité envers des modèles non violents, etc.
17.
Cf. aussi Barette (C), La pratique de la violence politique par
l'émeute, op. cit., p. 105.
18.
Pour une discussion détaillée au sujet des groupes d'affinité et
de l'anarchisme, cf. Dupuis-Déri (F.), « L'héritage anarchiste »,
in Agrikoliansky (E.), Fillieule (O.), Mayer (N.), dir.,
L'altermondialisme en France. Genèse et dynamique d'un mouvement
social, Paris, Flammarion, à paraître en 2005.
19.
Cf. Ickibob, « On the Black Bloc », art. cité, p. 39-40.
20.
L'impossibilité d'empêcher l'apparition de pouvoirs informels est
sans doute la critique la plus commune à l'égard de l'anarchisme.
Les anarchistes et autres antiautoritaires - dont les féministes
radicales des années 1970 jusqu'à aujourd'hui - ont toutefois
réfléchi au problème et proposé des solutions diverses. Portant
sur les problèmes de pouvoir informel, cf., entre autres, Freeman
(].), « The Tyranny of Structurelessness », Dark Star, eds, Quiet
Rumors. An Anarcha-Feminist Reader, San Francisco, Dark Star/AK
Press, 2002. Plus spécifiquement, sur l'avantage général des
hommes face aux femmes dans les délibérations, cf. Eliasoph (N.) «
Politeness, Power, and Women's Language. Rethinking Study in Language
and Gender », Berkeley Journal of Sociology, vol. 32, 1987. Pour une
réflexion récente sur l'autorité dans les groupes anarchistes, cf.
Coûtant (P.), « L'autorité dans les groupes militants, les groupes
libertaires ? », Les temps maudits, 12, 2001. Des solutions pour
réduire l'inégalité des pouvoirs informels y sont proposées,
ainsi que dans Baba (M.), Guérilla kit. Ruses et techniques des
nouvelles luttes anticapitalistes, Paris, La Découverte, p. 151-161
et dans Herngren (P.), Path of Resistance. The Practice of Civil
Desobedience, Philadelphie, New Society Publishers, 1993.
21.
Barette (C), La pratique de la violence politique par l'émeute. . .,
op. cit., p. 103 et 105.
22.
Pour une description des événements, cf. Milsten (C), « Something
Did Start in Quebec City. North America's Revolutionary
Anticapitalist Movement», Yuen (E.), Burton-Rose (D.), Katsiaficas
(G.), eds, Confronting Capitalism. Dispatches From a Global Movement,
New York, Soft Skull Press, 2004, p. 126-133. Dans les mois et les
années qui ont suivi les manifestations de la CLAC-CASA contre le
Sommet des Amériques, une série de convergences anticapitalistes
(en anglais : Anti-Capitalist Convergence [ACC]) sont apparues à New
York, Washington, Chicago, Seattle, Calgary et ailleurs, qui
reprenaient les principes de la CLAC - copiés de son site internet
-, dont le « respect de la diversité des tactiques ». Le CASA
s'est dissout en août 2001.
23.
Orwell (G.), Dans le ventre de la baleine et autres essais, cité par
C. Barette, La pratique de la violence politique par l'émeute, op.
cit.
24.
George (S.), Wolf (M.), La mondialisation libérale, Paris, Bernard
Grasset-Les Echos, 2002, p. 166.
25.
George (S.), Un autre monde est possible si. .., Paris, Fayard, 2004,
p. 255.
26.
Ibid., p. 262.
27.
Cité par Losson (C.) et Quinio (P.), Génération Seattle. Les
rebelles de la mondialisation, Paris, Grasset, 2002.
28.
Pour une synthèse récente de l'état partiel des connaissances, cf.
Barkan (S. E.), Snowden (L. L.), Collective Violence, Boston, Allyn
and Bacon, 2001 ; Giugni (M.), « Was it Worth the Effort? The
Outcomes and Consequences of Social Movements », Annual Review of
Sociology, vol. 24, 1998.
29.
Pour une conclusion qui relève de cette sensibilité analytique et
politique, cf. la section « Un impact politique limité », dans
Pleyers (G.) « Des black blocks aux alter-activistes », art. Cité,
p. 130.
30.
Cf. McAdam (D.), Tarrow (S.), Tilly (C), Dynamics of Contention,
Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 146 et 147 et Piven
(F. F.), Cloward (R. A.), Poor People's Movements. Why They Succeed,
How They Fail, New York, Vintage Books, 1979.
31.
Spillmann (G), « Gênes. Violences, discorde, les dirigeants du G8
n'ont pas de quoi pavoiser », AFP, 22 juillet 2001.
32.
Budry (E.), « Choc et stratégie - Les altermondialistes refusent le
piège des groupuscules violents », Tribune de Genève, 2 juin 2003.
A noter que le titre du journal implique que les « casseurs » sont
étrangers au mouvement. . .
33.
Aguiton (G), « Quelques éléments pour la discussion après Gênes
», Gênes 19-20-21 juillet 2001. Multitudes en marche contre
l'Empire, Paris, Editions Reflex, 2002.
34.
Fillieule (O.)/ Stratégies de la rue. Les manifestations en France,
Paris, Presses de Sciences po, 1997, p. 273 ; Sommier (I.), «
Paradoxes de la contestation. La contribution des services d'ordre
syndicaux à la pacification des conflits sociaux », Actes du IIe
congrès mondial de l'ASEVICO, Violence et coexistence humaine, vol.
IV, Montréal, Montmorency, 1995, p. 333. Cf. également Cardon (D.),
Heurtin (J.-P.), « "Tenir les rangs". Les services
d'encadrement des manifestations ouvrières (1909-1936) », Favre
(P.), dir., La manifestation, Paris, Presses de Sciences po, 1990.
35.
Propos prononcés en conférence de presse et reproduits dans le
documentaire radiophonique d'A. Chénier et F. Emond, « La
répression atteint un sommet à Québec », radio CIBL (Montréal),
23 avril 2001, ainsi que dans le film Zones grises de D. Nadeau et N.
Bélanger, Québec, productions Hoboygays et Paysdenvie, 2002.
36.
Cité dans Le Journal de Montréal, 22 avril 2001. L. Moutinot,
président du Conseil d'Etat de Genève, au sujet de la grande
manifestation contre le G8, en juin 2003, dira dans le même esprit :
« Pour ce qui est de la manifestation elle-même, il est difficile
de reprocher quelque chose aux organisateurs [...]. Ils ont tenu les
accords que nous avions convenus avec eux. Mais ils ont été
confrontés à des gens qui utilisent ce type d'événements à leurs
propres fins. C'est un phénomène similaire à celui des hooligans »
(cité par Budry (E.), « Les altermondialistes refusent le piège
des groupuscules violents », Tribune de Genève, 2 juin 2003, p. 3).
37.
George (S. ), Un autre monde est possible si. ..,op. cit., p. 270.
38.
Ibid., p. 262.
39.
Ibid., p. 263. Des propos qui font écho à un rapport de la police
suisse, où l'on s'inquiète d'« une folie destructrice, apparemment
sans raison » et « des actes de vandalisme, sans aucune motivation
politique ou idéologique ». Office fédéral de la police,
Département fédéral de Justice et Police, Service d'analyse et de
prévention, « Le potentiel de violence résidant dans le mouvement
antimondialisation », Berne, juillet 2001 (merci à O. Fillieule
pour cette référence).
40.
Frank (J. A.), « La dynamique des manifestations violentes », Revue
canadienne de science politique, 17 (2), 1984.
41.
Noim (M.), « Lori's War », Foreign Policy, printemps 2000, p. 28.
42.
Et le lendemain, précisément, c'est au tour de Medea Benjamin,
dirigeante de l'organisation Global Exchange, basée à San
Francisco, et qui milite contre les sweatshops qui fournissent Nike,
de s'interposer pour protéger les vitrines de Nike, McDonald's et
Gap. Face aux « casseurs », elle dira avoir alors pensé : « Où
sont les policiers ? Ces anarchistes devraient avoir été arrêtés
» (Egan (T.), « Talks and Turmoil. The Violence », The New York
Times, 2 décembre 1999).
43.
Des participant-e-s à un Black Bloc déclarent : « Nous ne
cherchons pas à trouver une place au sein des discussions entre les
maîtres du monde, nous voulons qu'il n'y ait plus de maîtres du
monde » (cf. le communiqué « Pourquoi nous étions à Gênes »,
dans Dupuis-Déri (F.), dir., Les Black Blocs, op. cit., p. 178).
44.
George (S.), Un autre monde est possible si. ..,op. cit., p. 267.
45.
Au sujet de la tension inhérente entre la démocratie politique et
le mythe de la représentation de la souveraineté et de la volonté
du peuple, cf. Dupuis-Déri (F.), « L'esprit antidémocratique des
fondateurs de la "démocratie" moderne », Agone, 22, 1999.
C. Castoriadis précise : « II y a plusieurs justifications
empiriques de l'idée de démocratie représentative chez les
Modernes, mais nulle part chez les philosophes politiques ou
prétendus tels une tentative de fonder en raison la démocratie
représentative, n y a une métaphysique de la représentation
politique qui détermine tout, sans jamais être dite ou explicitée.
[...] On se borne à dire que, dans les conditions modernes, la
démocratie directe est impossible, donc qu'il faut une démocratie
représentative » (La montée de l'insignifiance. Les carrefours du
labyrinthe, TV, Paris, Le Seuil, 1996, p. 164-165).
46.
Cité par Jaume (L.), Le discours jacobin et la démocratie, Paris,
Fayard, 1989, p. 82.
47.
Constant (B.), « De la liberté des anciens comparée à celle des
modernes », dans Colas (D.), dir., La pensée politique, Paris,
Larousse, 1992, p. 419.
48.
Constant (B.), De l'esprit de conquête et de l'usurpation, Paris,
GF-Flammarion, 1986, p. 166.
49.
Royer-Collard (P.-P.), « Pour l'hérédité de la pairie », in
Manent (P.), dir., Les Libéraux, vol. II, Paris, Hachette, 1986, p.
123.
50.
Bookchin (M.), Post-Scarcity Anarchism, Berkeley (CA), Ramparts
Press, 20, 1971, (ma traduction).
51.
Malouet, « Opinion sur l'acte constitutionnel » (8 août 1791),
Furet (F.), Halévi (R.), dir., Orateurs de la Révolution française.
Les Constituants, vol. I, Paris, Gallimard, 1989, p. 503.
52.
Dans L'Ami du peuple, 21 août 1793, repris par A. Soboul, «
Démocratie représentative ou démocratie directe. L'exemple de la
démocratie populaire en l'an II », Raison présente, 49, 1979.
53.
Fondateur et dirigeant du parti trotskyste de la Ligue communiste
révolutionnaire.
54.
Les émotions jouent souvent un rôle important lors d'une
manifestation, qu'elle soit violente ou non-violente, et les
participant-e-s aux Black Blocs soulignent régulièrement ce ressort
émotif. Cela ne signifie pas que leur action soit dénuée de raison
économique ou politique : les émotions participent à la pensée
humaine et structurent les perceptions et les analyses des militants
et des manifestants, influençant leurs choix tactiques et
stratégiques. G. Katsiaficas parle de « rationalité émotionnelle
» (« The Eros effect », conférence présentée au colloque
national de l' American sociological association en 1989, à San
Francisco, et disponible sur le site Internet www.eroseffect.com).
Cf. aussi Jasper (].), « L'art de la protestation collective »,
Cefaï (D.), dir., Les formes de l'action collective, Paris, Editions
de l'EHESS, 2001 ; Braud (P.), L'émotion en politique, Paris,
Presses de Sciences po, 1996.
55.
Même constat chez des militants français (Barette (C), La pratique
de la violence politique par l'émeute..., op. cit., p. 93).
56./Wd.,p.80.
57.
Cf. « Pourquoi étions-nous à Gênes ? », Dupuis-Déri (F.), Les
Black Blocs, op. cit., p. 181 et Dupuis-Déri (F.), « En deuil de
révolution ? », Argument, 6 (2), 2004 (à paraître en France dans
Réfractions).
58.
Marcuse (H.), Vers la libération, Paris, Minuit, p. 91 ; Marcuse
(H.), « Le problème de la violence dans l'opposition », in La fin
de l'utopie, Paris, Le Seuil, 1968, p. 49. Arendt (H.), Du Mensonge à
la violence, Paris, Calmann-Lévy, 1972; Turchetti (M.) Tyrannie et
tyrannicide de l'Antiquité à nos jours, Paris, PUF, 2001.
59.
Barette (C), La pratique de la violence politique par l'émeute.
..,op. cit..
60.
Pour une analyse historique dans le contexte français, cf. Dupuy
(R.), La politique du peuple. Racines, permanences et ambiguïtés du
populisme, Paris, Albin Michel, 2002 ; pour les Etats-Unis, cf. Gilje
(P. A.), Rioting in America, Bloomington (IN), Indiana University
Press, 1996.
61.
Sur le rapport entre l'anarchisme et la « démocratie » libérale,
cf. le dossier « Démocratie, la volonté du peuple ? » de la revue
Réfractions, 12, 2004.
62.
Un interviewé [AD1] précise : « J'ai travaillé ou je travaille
encore dans des bars, sur des chantiers, à l'usine. Là, je constate
que mes intérêts ne sont pas ceux du patron. Il y a donc une
véritable guerre sociale : ce sont toujours mes proches - parents,
amis - qui souffrent, toujours les mêmes qui sont les victimes au
quotidien, au travail, etc. ». A la question « Pourquoi mener des
actions directes contre des symboles du capitalisme ? », il répond
: « Des raisons ? Il y en a des millions. Le capitalisme ne produit
que des raisons de se révolter contre lui. Toute production
capitaliste crée des douleurs [...]. Ce monde te fait vomir, et les
horreurs que l'on voit au quotidien justifient une réponse. »
63.
Je m'inspire ici d'A. Carter, « Anarchism and violence », Nomos.
Anarchism, 19, 1978.
64.
L'interviewé BB2 précise : « La vraie violence, c'est celle de
l'oppression de l'Etat et du capitalisme. Cette oppression est
d'ailleurs toujours visible : tous les jours, on passe devant un McDo
qui nous rappelle qu'il y a de l'exploitation et certains se font
harceler continuellement par les policiers, mais le rapport de force
est alors à notre désavantage. Ces situations d'exploitation et
d'oppression provoquent des frustrations qui nous poussent à
chercher un exutoire que l'on trouve dans la casse ». Cf. aussi : «
Pourquoi nous étions à Gênes ? », F. Dupuis-Déri, Les Black
Blocs, op. cit., p. 181 et dans le même ouvrage « Communiqué du
Black Bloc du 30 novembre par le collectif ACME », p. 168-169.
65.
Barette (C), La pratique de la violence politique par l'émeute.
..,op. cit.
66.
Ibid., p. 53.
67.
Benjamin (W.), « On the Critique of Violence » [1923], Reflections,
New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1978, p. 279 et Buck-Morss (S.),
Dreamworld and Catastrophe : The Passing of Mass Utopia in East and
West, Cambridge (MA), MIT Press, 2000, p. 2-10.
68.
Pour avoir une bonne idée des débats, cf. Parrish (G.), «
Anarchists, Go Home ! », Seattle Weekly, 9-15 décembre 1999 (site
internet : http://www.seattleweekly.com) et le communiqué de membres
d'un groupe d'affinité du Black Bloc de Seattle et la réplique par
Albert (M.), dans Dupuis-Déri (F.), dir., Les Black Blocs, op. Cit.
69.
Alternative libertaire, Confédération nationale du travail,
Fédération anarchiste, Federazione anarchisti italiani,
Organisation communiste libertaire, Organisation socialiste
libertaire, Red libertaria, Réseau No passaran, etc.
70.
Pour plus d'information sur cette forme d'action collective, cf. le
site internet, www.rhythmsofresistance.co.uk
71.
Cf. le texte « Lausanne : des Blacks & Pinks témoignent et
revendiquent » (site internet : http:/ / www.paris.indymedia.org).
72.
Ce Pink Bloc d'à peine quelques membres va voler la vedette et faire
la « une » de La Presse (8 mars 2004).
73.
Anonyme, « Les poings rouges. L'organisation des communistes dans
les
74.
A Seattle, la violence policière a débuté plusieurs heures avant
l'entrée en scène des Black Blocs et elle était dirigée contre
les manifestant-e-s pratiquant la désobéissance civile non
violente.
75.
Les rapports entre les mouvements sociaux et les médias ont été le
sujet de plusieurs études en sciences sociales qui laissent penser
que les manifestant-e-s ayant recours à la force obtiennent une
couverture médiatique relativement plus importante que les
manifestant-e-s non violent-e-s, mais il n'y a toutefois pas de
consensus au sujet des retombées qualitatives de l'utilisation de la
force (Cluttbuck (R.), The Media and Political Violence, Londres,
MacMillan Press, 1983 [2e éd.] ; Hocke (P.), « Determining the
Selection Biais in Local and National Newspaper Reports on Protests
Events », in Rucht (D.), Koopmans (R.), Neidhardt (F.), dir., Acts
of Dissent, Lanham (MD), Rowman & Littlefield, 1998 ; Hug (S.),
Wisler (D.), « Correcting for the Selection Bias in Social Movement
Research », Mobilization, 3 (2), 1998 ; Molotch (H.), « Media and
Movements », in Zald (M. N.), McCarthy (J. D.), eds, The Dynamics of
Social Movement, Cambridge (MA), Winthrop Publisher, 1979; Wolfsfed
(G.), «Media, Protest, and Political
Violence.
A Transactional Analysis », Journalism Monographs, 127, 1991). Ici
encore, la notion d'» efficacité » médiatique d'un mouvement
social et de ses actions doit être précisée. Les Black Blocs et
leurs alliés ont par ailleurs su s'attirer certaines sympathies,
même aux yeux de certains membres de la classe moyenne (au sujet des
réactions enthousiastes et de fierté de leur famille et de leurs
collègues au retour de Seattle d'un groupe de syndiqués ayant
participé aux combats de rue, cf. Cockburn (A.), St-Clair (J-),
Sekula (A.), 5 Days that Shook the World: Seattle and Beyond,
Londres, Verso, 2000, p. 69). Pour un survol des débats au sujet de
la « violence » qui ont eu lieu au sein du Forum social, cf.
Mendicino (F.), « Le recours à la violence "acceptable"
divise les altermondialistes. De jeunes militants de gauche et de
droite critiquent les incidents survenus en marge du G8 », Tribune
de Genève, 23 juin 2003.
76.
Des militantes féministes accusent les Black Blocs d'être peu
accueillants pour les femmes. Certains Black Blocs comptent toutefois
des groupes d'affinité composés uniquement de femmes. Au sujet de
la violence militante et du machisme, cf. Morgan (R.), The Demon
Lover. The Roots of Terrorism, Paperback, Washington Square Press,
1989 et Quinby (L.), « Taking the Millennialist Pulse of Empire's
Multitude. A Genealogical Feminist Diagnosis », in Passavant (P.
A.), Dean (J.), eds, Empire's New Clothes. Reading Hardt and Negri,
Londres, Routledge, 2004.
77.
Ma connaissance du phénomène Black Bloc me laisse croire qu'il est
très peu probable qu'il débouche sur l'option terroriste. Pour
l'opinion inverse, cf. Albert (M.), « Saccager ou construire un
mouvement», Dupuis-Déri (F.), dir., Les Black Blocs..., op. cit.,
et «Black Bloc. De l'altermondialisme au terreau d'un futur
terrorisme ? », sur le site internet : www.terrorisme.net, 8 mai
2003.
78.
En ce sens, la tactique du Black Bloc est peut-être moins bien
adaptée aux manifestations qu'à la défense d'un lieu précis,
comme un squat (objectif pour lequel cette forme d'action était
née).
79.
Crimethlnc, « Black Bloc. A Primer », Profane Existence, 43, 2003,
p. 10.
Francis
Dupuis-Deri
Penser
l'action directe des Black Blocs.
Politix.
N°68 | 2004.
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