Le PARADIS Terrestre




Bronislaw Baczko, dans son article intitulé « Paradis et Utopies », constate les associations fréquentes entre Paradis terrestre et utopie, et affirme qu’assimiler l’utopie à une version laïcisée du Paradis est devenu presque un cliché. Certains penseurs osent même comparer la symbolique des mythes judéo-chrétiens avec l'idéalité du marxisme. Le jardin d'Eden, où l'âge d'or de l'humanité, trouvera une retranscription certaine dans l'idéologie naturaliste anti-urbaine - et l'on pense à cet idéal d'équilibre entre ville et campagne -, et dans l'idéalisation des sociétés primitives pré-agricoles - qui nous suggère l'idée de communautés autonomes - thématique centrale de certains courants libertaire et anarchiste, introduite par le prince Kropotkine


La conception chrétienne du Paradis n'est pas spirituelle ou symbolique : le Paradis [I] comporte une réalité authentique et jusqu'au 17e siècle, au Royaume des Cieux, correspond l'existence - quelque part - d'un Paradis terrestre, assimilé au jardin d'Eden ou des Délices, qui ne fit aucun doute pour la quasi-totalité des croyants et des esprits les plus érudits ; l'historien Jean Delumeau insiste sur le fait que le mot même Paradis évoque un jardin, terme repris du persan «pardēz», voulant dire jardin enclos, transmis au grec ancien παράδεισος «paradeisos», puis enfin au latin chrétien «paradisus».


Le paradis terrestre serait donc un jardin – le jardin d'Eden - entouré d'un mur le protégeant et où se trouvent, l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal et l'Arbre de la Vie [II], donnant l'immortalité, et seule sa localisation terrestre, son étendue, faisaient autant l'objet de discussions, d'interrogations, que de débats sur la signification réelle de la description biblique. Des expéditions seront organisées pour sa recherche ; saint Malo accompagné de saint Brendan tenteront ainsi, sur de frêles embarcations, la quête du Paradis terrestre, relatée dans un récit [III]. De même, lors de la découverte des Amériques, il était admis que certaines régions à la végétation luxuriante étaient certainement un des lieux  du Paradis perdu ; la cité d'Or, ne serait-elle pas d'ailleurs celle du mythe ?  Et les indigènes, cette "jeune humanité", les descendants d'Adam et Eve ?



Jean Delumeau prévient qu'une histoire du paradis simplifiée, c'est-à-dire découpée en tranches chronologiques trop rigides, n'est guère possible. La déconstruction des paradis – céleste et terrestre -, n'est pas un phénomène récent. Elle était déjà à l'œuvre dans les textes fondateurs ; cependant, s'il y avait danger de confusion, ce danger diminue au cours des siècles. Quelques sceptiques dès les premiers temps de l'ère chrétienne, dénonçaient l'idée de matérialité d'un Paradis terrestre [IV], mais ce n'est véritablement qu'à partir du 17e siècle, avec l'avènement des études scientifiques, que l'idée d'un Paradis terrestre sera très progressivement abandonnée - au risque cependant d'une excommunication -, au profit du paradis céleste. Les artistes – du Baroque – de cette époque, cessent de représenter le jardin des Délices, pour imager l'ascension au royaume des Cieux. L'évocation, et non plus la représentation du paradis, s'élabore sur le passage entre une vision du paradis comme lieu (topos) à celle d'un paradis comme non-lieu (Utopos). Le mythe du paradis terrestre tend à disparaître, et les découvertes de Galilée, Copernic et de Descartes, posent la question de celui céleste et de « proposer ailleurs un endroit propre à placer le séjour des bienheureux qu'on nomme vulgairement paradis... », selon Diderot [V].

Pour autant, le Paradis terrestre, traditionnellement représenté par une nature généreuse, abondante et protectrice, allait influencer un courant de pensée des progressistes du 18e siècle, idéalisant les bienfaits et les vertus de la nature sauvage contre, entre autres, les vices des grandes villes, qui connaissent alors la première ère de l'industrialisation. L'idéologie naturaliste, exprimant une conception anti-urbaine, allait succéder au mythe du Paradis terrestre, le trait d'union étant les innombrables récits utopiques à la suite de l'Utopie de Thomas More, présentant pour la plupart, des communautés vivant dans l'harmonie et la justice sociales. La disparition dans un horizon de plus en plus lointain d'un paradis qui autrefois était tout proche, incita de nombreux auteurs à créer ainsi des paradis artificiels, non pas ceux plus tardifs, chers à Baudelaire. Rousseau, parallèlement à la vogue de l'exaltation de l'état de nature et à sa propre critique de la modernité, exploitera même le mythe du Bon Sauvage.[VI] Une thématique qui sera essentielle, plus tardivement, pour de nombreux courants anarchistes et libertaires.

L'idéologie naturaliste, théorisée dès le siècle des Lumières, trouvera dans l'Amérique du 18e siècle un champ d'application approprié, porté par le président Thomas Jefferson – inspiré par Rousseau -, orientant la société dans une politique agricole et anti-urbaine, en parfaite opposition avec le capital financier et industriel – urbain - alors naissant. L'économie basée sur l'agriculture, le système démocratique basé sur l'autonomie donnée aux instances élues au niveau local et régional, la politique de restriction du développement de l'industrie, sont symptomatique de la peur de Jefferson face aux processus déclenchés par la Révolution elle-même ; il craint les dangers d'involution, et que la compétition capitaliste, le développement des villes, la naissance et la croissance du prolétariat urbain, ne transforment la Démocratie en un nouvel autoritarisme. C'est parce que Jefferson est contre la ville, contre le développement de l'économie industrielle, qu'il tente de s'opposer aux conséquences économiques inscrites dans la logique de la Démocratie. Jefferson se propose de poursuivre la « résurrection des morts » - pour reprendre les termes de Marx [K. Marx et F. Engels, 1848 en Allemagne et en France] – inventée par l'Europe des Lumières au moment de la crise révolutionnaire. Jefferson, esclavagiste affichant un racisme pour les Afro-américains, aura pourtant été un des plus grands défenseurs des tribus amérindiennes : dans sa deuxième adresse inaugurale en 1805, il déclara solennellement que les Indiens devaient être traités à égalité avec les Blancs.

Les transformations de l'imaginaire paradisiaque à l'intérieur de la culture chrétienne prendront comme contre-exemples, les cités industrielles naissantes, et l'enfer des ténébreux quartiers ouvriers, la débauche des corps des déshérités autant que les moeurs dépravées des prostituées et de leurs clients. Vient ainsi l'âge des utopistes et des réformistes sociaux, mais aussi des révolutionnaires, véritables héritiers de l'idée d'un paradis terrestre : avec Marx, une réalisation historique majeure est entrevue tandis que se dessine la promesse d’une délivrance apparaissant, pour certains, à l’évidence comme une transposition laïcisée de l’eschatologie et du salut judéo-chrétiens. Marx et Engels, proposeront cette idée d'un équilibre ville/campagne, qui n'est pas sans suggérer à nouveau, la thérapeutique de la nature, et l'inhumanité des grandes métropoles.

Mais ce seront les libertaires et anarchistes qui dès la fin du 19e siècle, porteront un grand intérêt aux études concernant les sociétés primitives, des premiers ethnologues, géographes et voyageurs libertaires, en les érigeant comme modèle idéal d'une société rurale pré-capitaliste, ou bien pour les plus radicaux pré-agricole, toutes anti-autoritaires. Les frères Élie et Élisée Reclus, le prince russe anarchiste Pierre Kropotkine étudieront certaines sociétés primitives, et en Nouvelle Calédonie, Charles Malato et Louise Michel, condamnés au bagne, qui soutiennent l'insurrection de 1878 du peuple Kanak, feront œuvre anthropologique et ethnologique en étudiant leur langue et leurs mœurs, les rapportant dans des publications confidentielles.

Tandis que l’écrivain libertaire russe Tolstoï, excommunié en 1901, inspiré d'un idéal anarcho-chrétien, appelle au messianisme révolutionnaire :

« Je crois qu’à cette heure précise commence la grande révolution, qui se prépare depuis 2000 ans dans le monde chrétien, la révolution qui substituera au christianisme corrompu et au régime de domination qui en découle, le véritable christianisme, base de l’égalité entre les hommes et de la vraie liberté, à laquelle aspirent tous les êtres doués de raison ».


LE PARADIS TERRESTRE


Pour les théologiens catholiques unanimes et les fidèles, le ciel (le paradis céleste) a, du moins jusqu'à une période récente, toujours représenté le séjour de Dieu, de la Vierge-Marie, des Anges, des Saints et Bienheureux, et celui des âmes des Justes attendant la résurrection des corps. C'est un lieu de délices où les Bienheureux voient Dieu face à face, communient avec Lui et jouissent d'un bonheur éternel, récompense de leur fidélité sur la terre. C'est l'opposé de l'Enfer : il est situé dans les sphères supérieures et hors du monde. Après la Résurrection de la fin des temps, l'homme y sera présent avec la totalité de lui-même : corps et esprit.

À ce royaume céleste, auquel on accède post mortem, s'érige le paradis originel, le paradis terrestre, le jardin d’Éden où Adam et Ève avaient fait l’expérience de l’innocence. La Genèse décrit un jardin dans lequel Dieu a placé le premier homme et la première femme, un jardin irrigué par quatre fleuves et pourvu d’une abondante végétation. D'autres textes de la Bible viennent compléter ultérieurement ce récit avec ses données géographiques. Dans Ésaïe il est dit à propos de Sion que « le Seigneur rend son désert pareil à un Éden et sa steppe pareille à un Jardin du Seigneur ; on y retrouvera enthousiasme et jubilation, action de grâces et son de la musique ». (Is 51, 3). Ézéchiel annonçant la chute du roi de Tyr parle aussi du jardin de Dieu :

« Tu étais en Éden, dans le jardin de Dieu entouré de murs en pierres précieuses : sardoine, topaze et jaspe, chrysolithe, béryl et onyx, lazulite, escarboucle et émeraude ; et l'or dont sont ouvragés les tambourins et les flûtes fut préparé le jour de ta création. Tu étais un chérubin étincelant, le protecteur que j'avais établi ; tu étais sur la montagne sainte de Dieu, tu allais et venais au milieu des charbons ardents. Ta conduite fut parfaite depuis le jour de ta création jusqu'à ce qu'on découvre en toi la perversité. » (Ez 28, 13-15)

Poussée par le mauvais conseil du serpent, Ève convainc Adam de goûter au fruit prohibé de l’arbre de la connaissance du Bien et du Mal. La punition est immédiate : Adam et Ève sont expulsés du jardin des délices, dont l’accès est dès lors interdit à l’humanité entière.

Le paradis terrestre est désormais interdit aux hommes, mais il n'a – surement - pas disparu ou été anéanti pour autant, malgré le Déluge : si on le cherche, il doit être possible de retrouver des vestiges, des traces, et peut-être l'Arbre de vie qui offre l'immortalité.



Le Moyen Âge, de façon presque générale, estima avec saint Thomas d'Aquin que le paradis terrestre, interdit depuis le premier péché, subsistait toujours sur notre terre. Beaucoup de cartes médiévales lui faisaient une place dans l'Orient lointain et, pour cette raison, plaçaient l'Est en haut. Jean Delumeau analyse que « Les hommes du Moyen Âge l’imaginaient comme une ville aux murs d’or, un royaume des cieux où les élus contemplaient Dieu et connaissaient le bonheur éternel. Un lieu dont les visionnaires ont donné de surprenantes descriptions et dont les beautés ont inspiré pendant des siècles, enlumineurs, peintres, sculpteurs et musiciens.»

L’exacte position du paradis terrestre restait cependant inconnue, mais les fleuves mentionnés dans la Genèse – le Pison (le Gange), le Gichon (le Nil), le Tigre et l’Euphrate –, prenant leur origine à l’intérieur du paradis puis, après un trajet souterrain, remontant à la surface dans les lieux de leurs sources connues, indiquaient l'Orient. Isidore, évêque de Séville au VIIe siècle, estimait que le paradis terrestre se situait en Asie, entouré par un anneau de feu qui atteignait le ciel. Dans plusieurs cartes médiévales, par exemple la mappemonde de Hereford (vers 1300), on trouve une représentation de l’île du jardin d’Éden ; l’idée que le paradis terrestre pût être une île au milieu de l’océan fut confirmée au VIIIe siècle par Bède le Vénérable. Ce docteur de l’Église écrivait que le paradis était un lieu très étendu, agréable et délicieux. À son avis, ce lieu extraordinaire se trouvait à l’Orient, mais seul Dieu en connaissait la position précise. Le paradis terrestre était séparé du monde connu par une ample région de terre ou de mer. L’hypothèse que le paradis était une île s’accordait avec l’idée qu’il se trouvait au-delà du monde habité, situé dans la partie septentrionale du globe, à son tour entourée par l’océan. Le symbole de l’île exprimait aussi la dimension foncièrement « autre » de l’Éden, différent du monde ordinaire.

Les localisations sont si nombreuses que l'évêque Pierre-Daniel Huet, les passe en revue dans son Traité de la situation du Paradis Terrestre publié en 1691 :

« On l'a placé, dit-il, dans le troisième ciel, dans le quatrième, dans le ciel de la lune, dans la région moyenne de l'air, hors de la terre, sous la terre, dans un lieu caché et éloigné de la connaissance des hommes. On l'a mis sous le Pôle Arctique... sur les bords du Gange ou dans l'isle de Ceilan, faisant mesme venir le nom des Indes du mot Eden... D'autres dans l'Amérique, d'autres en Afrique sous l'équateur, d'autres à l'Orient équinoxial, d'autres sur la montagne de la lune d'où l'on a cru que sortait le Nil ; la plupart dans l'Asie, les uns dans l'Arménie majeure, les autres dans la Mésopotamie ou dans l'Assyrie, ou dans la Perse, ou dans la Babylonie, ou dans l'Arabie, ou dans la Palestine. Il s'en est mesme trouvé qui ont voulu faire honneur à notre Europe, ce qui passe toutes les bornes de l'impertinence ».

La Renaissance puis l'âge classique abandonnèrent progressivement cette géographie paradisiaque. En revanche, plus que jamais, les érudits tentèrent de situer au plus près l'endroit où Dieu avait planté le jardin d'Eden et leur érudition s'efforça d'éliminer les localisations fantaisistes.



Jean Delumeau

La nouvelle érudition ( XVIe - XVIIe siècles) et le paradis terrestre.
Journal des savants | 1991, N°3-4.


« Tant d'érudits, constate au milieu du XVIIe siècle le prêtre sicilien Agostino Inveges, ont écrit sur le paradis terrestre que le nombre des volumes rédigés sur la question est proprement infini ; aussi « le paradis » peut-il être appelé un labyrinthe plutôt qu'un jardin 1. Alors pourquoi tant d'efforts au cours des âges pour éclairer cette histoire des origines ?

Walter Raleigh au début du 17e siècle et le pasteur anglican Marmaduke Carver en 1666 répondent que « nous avons tous profondément ancré en nous le désir de connaître le lieu où habitèrent nos premiers parents 2 ». Mais la réponse la plus habituelle, sur laquelle s'accordent aux 16e et 17e siècles la plupart des catholiques et des protestants, est qu'il s'agit là d'un sujet religieux majeur. Suarez est très net à cet égard :

« la connaissance du paradis terrestre, écrit-il, est importante pour la foi et est nécessaire quand on doit traiter de ce que fut le statut de l'humanité avant le péché 3 ».

Plus loin il ajoute, s'agissant cette fois de l'emplacement du jardin d'Eden, « J'estime que cette question ne fait pas partie des choses indifférentes, mais qu'elle est matière de foi ou peu s'en faut 4 ». Walter Raleigh consonne à cet égard avec Suarez.

« On peut objecter, écrit-il, ... que la curiosité qui pousse à rechercher avec diligence quelle fut la place du paradis et que la connaissance de celle-ci sont peu utiles, voire inutiles. A quoi je réponds qu'il n'y a rien dans les Écritures qui n'ait été écrit pour notre instruction 5 ».

Dans une thèse soutenue en 1676 devant la Faculté de théologie protestante d'Ièna et consacrée à

« l'emplacement d'Eden, Ophir et Tarsis », l'auteur, Matthias Beck, estime que Dieu n'a pas voulu nous cacher l'endroit du jardin d'Eden contrairement à ce qu'il a fait pour le tombeau de Moïse. Son dessein à l'inverse a été de nous faire connaître le paradis terrestre, « comme un mémorial de notre désobéissance. C'est pourquoi il a fait décrire par Moïse et placé devant nos yeux avec tant de soin et de précision ce jardin devenu lieu de malheur par la triste faute du genre humain 6 ».

Le même sentiment et la même logique sont exprimés en 1617 dans le Treatise of Paradise du pasteur anglican John Salked. C'est seulement, explique-t-il, en considérant « toutes les excellences de l'endroit où nous étions avant le péché que nous pouvons comprendre qu'un Dieu si bon et si miséricordieux ait infligé à l'humanité une punition si longue et si grande qui durera jusqu'à la fin des temps 7 ». Soulignons donc l'importance de l'enjeu, tel que l'apercevaient presque unaniment les théologiens catholiques et protestants d'autrefois : l'énormité du premier péché et la gravité du châtiment qui le suivit ne deviennent intelligibles que par référence à la situation idyllique dont bénéficièrent d'abord Adam et Eve. Une anthropologie pessimiste et une certaine conception de la rédemption découlèrent de l'image communément reçue du paradis terrestre.

À une question de cette importance il convenait d'apporter le plus grand soin possible et toutes les ressources intellectuelles disponibles. La Renaissance, suivie à cet égard par l'âge classique qui lui emboîta le pas, mobilisa les savoirs du temps pour faire toute la lumière sur le paradis des origines. Son approche se voulut « multidisciplinaire » en croisant toutes les informations que l'érudition de l'époque pouvait demander aux langues anciennes mieux connues, en particulier à l'hébreu, à l'histoire exaltée par la culture humaniste, à la géographie renouvelée par les voyages de découvertes. Ainsi les milliers et les milliers de pages qui furent consacrées pendant plus de deux cents ans au jardin d'Eden furent le produit d'enquêtes qui se voulaient rigoureuses et techniques et qui accumulèrent les citations, les références et, en même temps, les connaissances les plus récentes pour éclairer de façon définitive les débuts de l'humanité. Beaucoup de commentateurs de la Genèse auraient pu prendre à leur compte la formule de Cornelius a Lapide (f 1637) qui voulait «donner solidement, brièvement, méthodiquement et clairement le sens originel et littéral » du texte sacré 8.

On peut dès lors parler d'une « rationalité » et d'une « scientificité » des nombreux travaux qui prirent le paradis terrestre comme objet « historique». Ils se voulaient, certes, apologétiques. Mais leur théologie « positive » entendait intégrer les méthodes les plus sûres de l'exégèse et les acquis les plus récents de la géographie et de l'histoire. Le texte de Moïse était assurément inspiré. Mais la seule démarche valable à son endroit consistait à en retrouver le vrai sens par un mot-à-mot rigoureux et en établissant des façon précise en quel endroit et à quelle période Moïse avait écrit. Raleigh, au début de son Histoire du monde, s'en prend de façon significative à ceux qui ont parlé du paradis terrestre « sans égard pour la géographie, sans respect pour l'Est et pour l'Ouest, sans considérer où Moïse écrivait » et à partir d'où il indiquait le chemin pour retrouver l'endroit du jardin d'Eden, alors qu'il est à cet égard « tout à fait précis ». Raleigh critique aussi ceux qui traitent de cette question « sans connaître l'hébreu », ou qui, trop sûrs d'eux, « confondent un lieu avec un autre 9 ». Dans le même esprit Marmaduke Carver assure :
« Sans l'aide de la géographie sacrée, le sens immédiat et littéral du texte (qui est la base de toute interprétation correcte) ne peut en beaucoup d'endroits être dégagé, ni l'histoire clarifiée, ni discutées les questions qui bien évidemment en surgissent comme d'elles-mêmes 10 ».

À la fin du 17e siècle l'évêque d'Avranches Pierre-Daniel Huet avertit son lecteur que sa méthode pour localiser avec exactitude le paradis terrestre sera austère :

« Préparez-vous, lui dit-il, à une lecture sèche, à une recherche épineuse, à l'ennuy des citations, et à essuyer quelque Grec et quelque Ébreu. Une matière aussi obscure que celle-cy ne peut s'éclairer que par ce secours 10 ».

Si paradoxal que cela puisse paraître, des précisions, qui nous semblent d'une surprenante naïveté, témoignèrent d'un esprit différent de celui du Moyen Âge. Il s'agissait d'évacuer des légendes, d'en finir avec des localisations fantaisistes, d'établir avec exactitude la chronologie des jours de la création, de fixer avec certitude le moment du premier péché. L'énormité de ces ambitions nous fait aujourd'hui sourire. Elle explique en tout cas l'épuisant travail auquel se livrèrent avec le plus grand sérieux les meilleures intelligences du temps.

Et d'abord, soucieuses de réalisme, elles rejetèrent le plus souvent avec vigueur les interprétations allégoriques du paradis terrestre qu'avaient jadis données Philon, Origène ou Ephrem. Le texte de la Genèse constituait pour les hommes de la Renaissance un document crédible, racontant une histoire qui s'était réellement passée. La science humaniste confirma donc à cet égard et renforça la tradition d'Isidore de Seville et de saint Thomas d'Aquin. Il y eut bien au 17e siècle quelques « indépendants » anglais, quelques « blasphémateurs » pour affirmer le caractère allégorique du récit de la Genèse. Mais de façon massive la science du temps, soucieuse d'objectivité, proclama haut et clair que le Pentateuque tout entier doit être pris au pied de la lettre.

Luther est formel à cet égard.
« Origène, écrit-il, se représente que le paradis, c'est le ciel, que les arbres sont des anges, les fleuves étant la sagesse. De telles frivolités conviendraient peut-être à la fantaisie d'un poète : elles sont indignes du théologien. Origène ne vit pas que Moïse écrivait une histoire, et une histoire de faits passés depuis longtemps 12 ».

Calvin n'est pas moins catégorique lorsqu'il affirme :
« Quand aux allégories d'Origène et de ses semblables, il les faut entièrement rejeter, car Satan par une méchante astuce s'est efforcé de les introduire en l'Église, afin que la doctrine de l'Écriture fût ambiguë et n'eût rien de ferme ni de certain 13 ».

À la fin du 17e siècle l'orientaliste Hopkinson s'en prend, quant à lui, à Philon qui, poussé par « un malin génie » a cru pouvoir nier le caractère « terrestre » du paradis. Or « du contexte lui-même il ressort clairement qu'il a existé sur terre 14 ». Raleigh dans son Histoire du monde cite cette phrase de Hopkinson et ajoute :
« Je m'étonne grandement que des hommes instruits — il songe notamment à Philon et à Origène — aient pu errer si grossièrement et si aveuglément 15 ».

Salked, pour prouver que le paradis terrestre à été « un lieu réel et corporel », s'appuie sur de nombreuses autorités (saint Augustin, saint Basile, Épiphane, Isidore de Seville, etc.) et cite une homélie de saint Jean Chrysostome où il est dit que
« Moïse a si manifestement décrit le paradis, ses rivières, ses arbres, ses fruits et tout ce qui s'y rapportait que même les simples et les ignorants ne devraient pas être abusés par les allégories fabuleuses et les rêveries radotantes que certains présentent comme l'unique vérité que cache la description figurée et concrète du paradis 16 ».

Carver, à son tour, se plaint de ce que certains « ont évacué la lettre pour la remplacer par un paradis cabalistique et allégorique de leur crû 17». Jacques Basnage enfin, pour clore cette liste d'auteurs protestants, conseille de « suivre exactement » la description que Moïse a donnée dans son « histoire 18 ».

La position catholique officielle à l'époque est exactement semblable. Donnons-en pour preuve ces déclarations de Suarez, autorité de grand poids du côté romain :
« La principale question (au sujet du jardin d'Eden), écrit-il, et presque la seule qui importe à la foi est de savoir si le paradis fut vraiment terrestre, c'est-à-dire planté sur terre, et donc si tout ce qui est dit de lui dans la Genèse est à prendre à la lettre, tel que notre oreille l'entend, ou au contraire dans un sens métaphysique et mystique ».

Suarez rappelle les erreurs de Philon et d'Origène, discute les opinions qu'on a prêtées à saint Ambroise, puis exprime la position officielle :
« La doctrine catholique, déclare-t-il, est que le paradis que Dieu planta au début fut un lieu terrestre et que tout ce qui a été dit de sa création doit être entendu au sens propre et littéral. Cette affirmation est de foi et prouvée par l'Écriture 19 ».

Suarez, lui aussi, oppose aux partisans de l'allégorie les Pères grecs et latins, et renvoie notamment à saint Jérôme et à saint Thomas. Faisant le point sur la question au milieu du xvne siècle, l'érudit sicilien Inverges mobilise
« Irénée, Tertullien, Épiphane, Augustin et Jérôme ». C'est dans leurs écrits que les modernes — Sixte de Sienne, Pereira, Bellarmin, Malvenda — ont puisé les arguments qui confondent les allégoristes et font ressortir « leur erreur manifeste », voire leur « hérésie ». « La raison » de cette condamnation est que « Moïse a dit que le paradis a été planté d'arbres, qu'il a porté des fruits beaux à voir et suaves à manger ; qu'il a été irrigué par des fleuves ; qu'Eve a vu, touché et goûté le fruit de la science. Ces mots ne sont pas allégorie mais histoire 20 ».

L'étude rigoureuse de la Genèse conduit aussi la science de la Renaissance et de l'âge classique à évacuer plusieurs naïvetés médiévales relatives à la localisation du paradis terrestre. Et d'abord comment aurait-il pu être situé haut dans l'air, à proximité de la lune ? Dans les Chroniques de Nuremberg (1492) un chapitre au début de l'ouvrage est consacré « au paradis et à ses quatre fleuves ». On y mentionne encore, il est vrai sans prendre parti, la conception (attribuée notamment à Bède le Vénérable, mais sans vérification) qui situe le jardin des délices à une « altitude inaccessible », c'est-à-dire dans une zone « très élevée de l'éther ». Les eaux qui en descendent font un tel bruit à leur arrivée sur terre que les hommes qui habitent à proximité de cette cascade en perdent l'ouïe. En tout cas, elles « génèrent quatre fleuves », dont le Phisôn qui est le Gange et le Guihôn qui est le Nil 21 . Un tel discours sera bientôt dénoncé comme obscurantiste tant par les Protestants que par les Catholiques.

Pour Calvin « le jardin a été situé sur la terre et non pas en l'air, comme d'aucuns le songent 22 ». Hopkinson et Raleigh abondent dans le même sens. A ceux qui ont placé le paradis terrestre hors d'atteinte « sur une montagne très élevée, dans l'orbite lunaire », Hopkinson répond en s'appuyant sur les calculs de Ptolémée : selon celui-ci la distance entre la terre et la lune est de 327381 milles anglais. Pour que le paradis terrestre atteigne cette altitude du ciel il devrait avoir pour base toute la surface de notre planète. En outre, il nous cacherait la lumière du soleil 23. Salked et Carver, entre autres, sont du même avis et se trouvent à cet égard en compagnie de Pereira, Bellarmin et Suarez. Ce dernier explique longuement que l'opinion qui situe le paradis terrestre à proximité de la lune ne se trouve ni dans V Hexaemeron de saint Basile ni, comme on le dit souvent, dans le commentaire de Bède sur la Genèse. En revanche, on peut tirer dans le sens de cette interprétation des textes de Jean Damascène, du De Paradiso de saint Basile (mais nous savons aujourd'hui que cet ouvrage n'est pas de lui), de Rupert et de Moses Bar Cephas. Mais comment ne pas voir les difficultés que soulève une telle doctrine ? Un lieu si élevé n'aurait pas été « salubre ni adapté à l'habitat humain tant à cause de la proximité du soleil, des étoiles et de l'élément igné qu'en raison de l'agitation perpétuelle de l'air provoquée par le mouvement du ciel 24 ». Au milieu du XVIIe siècle le Récollet Eugène Roger n'évoque plus qu'avec condescendance l'ancienne hypothèse d'un paradis terrestre situé en plein ciel. « Je ne m'arrête pas, écrit-il, à cette opinion frivole de ceux de ceux qui l'ont placé dans la concavité de la lune ; n'y ayant point d'apparence qu'on l'eust appelé terrestre et fust placé dans les choses célestes 25 ».

S'agissant de la géographie paradisiaque, une autre solution, connue du Moyen Âge et reprise, nous allons le voir, par quelques auteurs postérieurs, fut rejetée aux 16e et 17e siècles par la majorité des commentateurs de la Genèse : elle assimilait paradis terrestre et terre entière et s'appuyait notamment sur les Annotationes in Genesim (ch. 2) de Hugues de Saint- Victor 26. L'humaniste réformé Vadian la reprend à son compte. Il rappelle que dans la Genèse (1, 28-29) Dieu commanda à l'homme de « remplir la terre » et lui donna « toute herbe qui porte semence sur toute la surface de la terre ». Pour Vadian cela signifie que la terre entière était le jardin d'Adam et de sa postérité, la fontaine (ou le fleuve) du paradis devant être entendue comme l'océan 27. Plus encore que le Suisse Vadian c'est le Flamand Goropius qui offre à l'époque « la théorie la plus développée de la terre entière comme paradis 28 ». On lit dans ses Origines antwerpianae (1569) :

« Le paradis, c'est-à-dire le jardin des délices, fut la terre entière, destinée à fournir la nourriture aux hommes sans fatigue de leur part mais au contraire dans un contentement perpétuel. La fontaine qui l'irriguait était le grand océan, source des fleuves arrosant les quatre parties du monde ».

A l'appui de cette affirmation Goropius rappelle les évocations antiques des Champs Elysées et de l'âge d'or. Il continue en montrant qu'Adam et Eve n'ont pas été « chassés d'un lieu mais d'une nature bénie » qui suppléait à tous leurs besoins sans qu'ils connussent la peine du travail. Ils n'ont pas changé d'espace mais de condition. « Je ne vois pas pourquoi, conclut-il, je n'affirmerais pas que la terre entière fut le paradis avant la malédiction divine ». Quant à la formule « Dieu planta le paradis ab oriente », elle signifie que c'est dans cette partie du monde que l'homme a été créé. Autrement dit, il fallait bien que Dieu plaçât Adam quelque part, mais cela n'implique pas que toute la terre n'était pas paradisiaque 29.

À la fin du 16e siècle, un Jésuite espagnol, Juan de Pineda, défend comme Goropius la doctrine assimilant paradis terrestre et terre entière et il s'appuie sur des arguments de bon sens. S'il n'y avait pas eu la faute originelle l'humanité innocente se serait tout de même multipliée. Comment aurait-elle pu se loger dans l'enclos étroit d'un jardin ? Y aurait-il eu distinction entre des privilégiés qui y auraient eu leur habitation et des élus de seconde zone qui n'y seraient venus que pour manger du fruit de l'arbre de vie ? En outre, ceux qui auraient logé à deux ou trois mille lieues de celui-ci auraient-ils pu commodément venir s'y ravitailler 30 ?

Pereira, Raleigh et Suarez répondent d'abord à cette logique par la soumission au texte même de la Genèse : Adam a été expulsé d'un jardin, non de la terre entière, et un chérubin a été placé à son entrée pour l'interdire. Ensuite ils argumentent à leur tour : « le paradis terrestre devait avoir des dimensions importantes, « au moins celles d'un royaume assez grand », estime Suarez. L'humanité y aurait tenu à l'aise. Et cela pour deux raisons :
a) sous le règne du péché les élus sont beaucoup moins nombreux que les réprouvés ; or, sous le règne de la grâce, il n'y aurait eu que des élus ; donc leur nombre aurait été assez limité ;
b) ceux-ci, au bout d'un certain temps au paradis terrestre, auraient été régulièrement transportés dans la gloire du ciel. Place aurait ainsi été laissée aux nouvelles générations.

C'est aussi l'avis de l'Anglican Salked 31. L'immense majorité des spécialistes des 16e- 17e siècles concluent donc que le paradis terrestre a été « une région particulière ». Cette formule vient, entre autres, sous les plumes de Calvin, Steuchus Eugubinus, Oleaster, Raleigh, Suarez, Diodati, etc. 32 : liste très succincte où se confondent Protestants et Catholiques. Enfin, certains auteurs anciens, notamment Ephrem et Cosmas Indicopleustès, avaient imaginé l'oecoumène entouré par l'océan, au delà duquel aurait été situé le paradis terrestre. Cette géographie est, elle aussi, rejetée aux 16e et 17e siècles comme non scientifique. Le Protestant allemand Pareus la qualifie d' « utopie transmarine 33 » et Raleigh d' « opinion ridicule 34 ». Pereira et Bellarmin expliquent pourquoi elle n'a « aucune vraisemblance » et ne comporte « aucune espèce de probabilité ». « De notre temps, constatent-ils, les navigations des Espagnols et des Lusitaniens ont parcouru tout l'océan et fait le tour de la terre 35 ». Elles n'ont découvert « ni que la terre était entourée par l'océan, ni qu'au-delà de l'océan se trouve une autre terre 36 ». En outre qui peut croire que celle-ci, « qui serait beaucoup plus grande que la nôtre, serait restée vide et sans habitat humain depuis le début du monde jusqu'à aujourd'hui ? 37 ».



Les découvertes géographiques récentes et le bon sens conduisent donc au rejet de cette doctrine périmée. Quand jadis on situait le paradis terrestre à proximité de la lune ou dans un continent séparé de l'oecoumène par l'océan, on pouvait imaginer qu'il subsistait encore, inaccessible sans doute, mais préservé. En outre, la cartographie médiévale ne se fit pas faute de maintenir son existence actuelle quelque part dans les profondeurs de l'Asie. La Renaissance et l'âge suivant discutèrent âprement de cette question. Ce qui peut nous surprendre mais qui s'explique par l'enracinement profond d'une croyance : plusieurs esprits éminents maintinrent la doctrine traditionnelle à cet égard. Dans leur groupe on trouve notamment le Protestant Junius qui écrivait en 1589 :

« Je ne suis pas impressionné par l'opinion de plusieurs qui ont estimé que le paradis terrestre avait été seulement transitoire et qu'il avait été détruit au bout de quelques années : soit après la mort d'Adam, soit par la submersion du déluge. Cela n'est dit nulle part par Moïse et n'est confirmé par aucun témoignage de la Sainte Ecriture. Son maintien paraît mieux s'accorder à la gloire de Dieu, comme preuve de sa colère, que sa disparition 38. »

Cependant Junius fait plutôt figure d'exception parmi les commentateurs protestants de la Genèse et c'est en général sous des plumes catholiques qu'on trouve la persistance de la conviction médiévale relative à l'existence continuée du paradis, souvent qualifiée à l'époque d' « erreur papiste ». Les Jésuites Malvenda, Bellarmin et Suarez tiennent ferme à cette doctrine ancienne et affirment que « le jardin des délices n'a pas péri sous les eaux du déluge, mais qu'il existe encore à notre époque 39 » (Malvenda). Significative est la position de Bellarmin. Après avoir mentionné plusieurs écrivains catholiques selon qui plus aucune trace ne subsiste de la beauté et du charme du paradis terrestre, il déclare :

« Pour de multiples raisons cette opinion ne me paraît pas prouvée et d'abord parce qu'elle est nouvelle et contraire au sentiment commun des docteurs, soit pères de l'Église, soit scolastiques 40».

Le poids de la tradition pèse aussi très lourdement sur le raisonnement de Suarez qui expose longuement le pour et le contre. « De graves auteurs », reconnaît-il, estiment que le paradis terrestre n'existe plus, car il a été détruit par les eaux du déluge qui dépassèrent de quinze coudées les plus hautes montagnes ; en outre, personne ne l'a retrouvé. Mais l'opinion contraire lui paraît « plus vraie ». Justin, Athanase, Augustin, Jérôme et Isidore de Seville autrefois, Bellarmin aujourd'hui tiennent que « le paradis existe toujours dans l'état où il fut créé avec ses délices et sa beauté ». Il est probable qu'Élie et Hénoch s'y trouvent ; l'Écriture ne dit rien de sa destruction mais indique au contraire l'intention divine de le conserver. Enfin si Dieu avait voulu le détruire, pourquoi aurait-il attendu le déluge ? Il pouvait l'anéantir tout de suite après la faute ou en arracher l'arbre de vie. Or il l'a fait garder spécialement par un ange.

« Donc, selon les indications de l'Écriture, l'opinion la plus crédible est que le paradis subsiste toujours 41 ».

Du côté protestant on a été, naturellement, beaucoup plus libre vis-à-vis de la tradition. Luther, sur cette question, veut coller à « l'histoire ». « J'y insiste, écrit-il, pour qu'un lecteur irréfléchi ne soit pas surpris par l'autorité des Pères qui s'écartent de l'histoire...42 ». Or celle-ci invite à renoncer aux rêveries paradisiaques et à avoir les pieds sur terre :

« Un débat est oisif dès lors que l'objet n'en existe plus. Car Moïse rapporte des choses qui se sont passées avant le péché et avant le déluge. Nous, en revanche, ce n'est que des choses telles qu'elles sont après le péché et après le déluge que nous pouvons parler... Le temps et la malédiction qui est le salaire du péché consument tout. Ainsi, tout le monde a été détruit par le déluge, hommes et bêtes compris ; le fameux jardin a subi le même sort et a péri... Maintenant donc, après le déluge, quand nous avons à parler du paradis, nous parlons de ce paradis historique qui était et qui n'est plus 43. »

Cette lucidité et ce discours de la méthode méritent d'être soulignés. Car la volonté novatrice de Luther, en ce domaine comme en beaucoup d'autres, contrastait fortement avec les attachements traditionnels de l'époque. Elle le conduisait même à considérer comme sans objet la curiosité de ceux qui veulent à tout prix enquêter sur « qui n'existe plus nulle part depuis le péché et le déluge 44 ». Cette position négative et décapante est reprise par Du Bartas dans sa Deuxième semaine. Le poète y donne ce conseil :

« Curieux, cependant ne cherche en quel lieu. Ce parterre fut fait des mains propres de Dieu, Sur un mont voisin des cornes de Latone, Si dessous l'équateur, si près de Babylone, Si sur le clair Levant. Humble, contente-toy De savoir que ce parc, dont Dieu fit l'homme roy estoit un beau terroir... Mais plus tôt, s'il te plaît user de conjecture, Presume que le flot qui noya la nature, Vengeur, n'espargna point les beautez de ce lieu Qui, premier, vid forcer les sainctes loix de Dieu. Pense qu'il arracha la plupart de ses plantes, Estouffa les esprits des fleurs plus odorantes 45. »

La conviction que le paradis terrestre avait été détruit a été presque générale chez les commentateurs protestants de la Genèse. Diodati, par exemple, avertit qu'on ne pourra retrouver le fleuve du jardin d'Eden qui se divisait en quatre branches.

« À cela rien d'étonnant, tant les choses ont changé depuis : d'abord à cause du déluge et ensuite en raison des tremblements de terre qui ont modifié le cours des fleuves et leurs noms 46 ».

Quant à Salked, qui rassemble et résume sur cette question les sentiments les plus habituels en son temps et en son pays, il écrit :

« ce qui semble le plus probable, c'est que le paradis dans lequel Adam avait été créé ne peut plus maintenant être découvert et qu'il a été détruit par le déluge universel 47 ».

En dépit de l'autorité de Malvenda, de Bellarmin et de Suarez, les commentateurs catholiques, en nombre croissant, rejoignirent sur cette position leurs adversaires protestants. Dès 1531 Steuchus Eugubinus, évêque italien d'un diocèse de Crète, avait déclaré :
« Je pense que les arbres si agréables (du jardin d'Eden) furent arrachés par le débordement des eaux, et que la terre (paradisiaque) elle même, qui nourrissait des herbes suaves, fut détruite par des tourbillons très rapides. Ainsi fut dévasté le lieu des délices. Il disparut aux yeux des mortels, de sorte qu'après le déluge il n'en est plus demeuré aucun vestige 48 ».

À un demi siècle de distance, Pereira, généralement cité avec éloge par les Protestants eux-mêmes, reprend le même discours :
« Si le paradis n'a pas été retrouvé et ne peut pas l'être, la raison tout à fait vraisemblable en est qu'il a péri par le déluge et que par le débordement général des eaux qui inondèrent toute la terre et en recouvrirent les sommets, les beautés, charmes et agréments du paradis furent totalement anéantis et supprimés 49 ».

Cornelius a Lapide tient le même raisonnement, avec peut-être un peu plus de prudence :
« Si on pose la question, écrit-il, est-ce que les douceurs du paradis existent encore ? Je réponds : le lieu oui ; la douceur, c'est douteux ».

Il considère en effet comme « la plus probable » l'opinion de ceux qui pensent que le paradis a subsisté avec ses délices des premiers jours jusqu'au déluge ; puis qu'il a été « ruiné, violé et détruit » par les eaux qui recouvrirent la terre « pendant une année entière 50 ». Au milieu du 17e siècle Inveges, résumant le débat sur cette question, rappelle la position de Malvenda — le jardin des délices subsiste encore — , puis constate que « la plupart des érudits la rejettent » et lui-même la juge « dure » à admettre 51.

Ainsi se trouvait consommée la rupture avec une croyance qui avait perduré pendant un millénaire.

Jean Delumeau.



Cependant, c'est essentiellement à partir du XVIIIe siècle que cette rupture sera pleinement consommée, par les nombreuses découvertes scientifiques remettant en cause les légendes ancestrales. D’abord, au fil des siècles, à mesure que progressaient les connaissances géographiques, le site du Paradis terrestre ne cessait de s’éloigner. La diversité de l’humanité, de mieux en mieux connue, posait la question incontournable: était-il possible que tous les hommes, de cultures et couleurs différentes et dispersés sur le globe entier, eussent-ils le même ancêtre ? Les Egyptiens, les Mexicains et, tout particulièrement, les Chinois, qui au XVIIIe siècle captivaient les curiosités, se réclamaient d’un passé comptant par des dizaines de milliers d’années donc plus ancien que la Bible. En outre, leurs chroniques ne font état ni d’Adam ni de Moïse.

Avec l’abondance du livre, l’esprit critique et « scientifique » se développe en Europe occidentale. Mais ce sont surtout les grands recensements des connaissances qui marquent le Siècle des Lumières, en particulier vers 1750 quand Buffon publie le premier des trente-six tomes de son Histoire naturelle et surtout quand paraît le premier tome de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une Société de Gens de lettres de Diderot et d’Alembert. En deux générations seulement, le goût des belles pensées s’écarte de l’indécidable, des discussions scolastiques, se porte sur la « science », comme l’atteste la multiplication des cabinets de curiosité.



LES SOCIETES PRIMITIVES


La conviction du Jésuite espagnol, Juan de Pineda, qui défend comme Goropius la doctrine assimilant paradis terrestre et terre entière, est particulièrement intéressante ; elle sera par la suite reprise et le paradis terrestre correspondrait, en fait, au temps mythique où les hommes vivaient de la générosité divine, les chasseurs et cueilleurs dits « primitifs » le réalisant supposément sans peine, par opposition au « labeur » de l'agriculture, que les peuples « civilisés » ont l'obligation de faire, en punition de la désobéissance de l'homme, ayant mangé le fruit de l'arbre de la connaissance.

Une proposition cependant combattue : Kant, en 1785, tout en restant fidèle à la doctrine chrétienne suivant laquelle l'homme est porteur d'un « mal radical », récuse formellement, l'idée d'un paradis originel où les hommes « pouvaient passer leur existence à rêver et à folâtrer dans une égalité parfaite et une paix perpétuelle ». Ce n'était que « création de leur imagination ». Il faut rejeter, dit-il : « la vaine nostalgie de l'âge d'or tant célébrée par les poètes ».

Un âge d'or, mythe que l'on retrouve dans d'autres religions plus anciennes encore, repris, comme tant d'autres mythes, par le christianisme. Certains anthropologues voient donc l'humanité comme se souvenant culturellement d'un ancien passage de désorganisation primitive, une vie facile, vers l'ordre de la civilisation du labeur, perçu comme une souffrance ; au contraire des érudits juifs comme chrétiens qui perçoivent dans le récit de la Genèse l'exact inverse : l'expulsion d'un couple, et non l'humanité, d'un « jardin » ordonné et civilisé, l'homme vivant en harmonie non seulement avec lui-même mais avec les animaux et parlant directement avec Dieu, vers une jungle sauvage, la chasse et la cueillette étant une condition plus primitive de lutte, de mort, une nouvelle lutte incessante pour la survie. Cependant, le Livre de la Genèse formule clairement que la culture, voire l'agriculture, existaient aussi bien avant qu'après la vie dans le jardin.

Des auteurs ont fait de nombreuses interprétations du meurtre fratricide de Caïn. Il s'agirait en fait, de la trace de conflits anciens entre les cultures de type Chasseur-cueilleur ou d'éleveurs nomades, et les cultures nouvelles se développant chez les peuples se sédentarisant grâce à l'agriculture et à un élevage non nomade. Caïn est agriculteur, et tue son frère pasteur. L'agriculteur interdit à son frère nomade l'accès aux terres et eaux les plus riches, désormais réservées à l'agriculture, la pisciculture, la coupe du bois et la sylviculture par exemple, et cela au détriment des nomades et possesseurs de troupeaux itinérants. On peut aussi voir dans ce mythe l'opposition entre d’une part les cultures nouvelles de l'espace privatisé (marqué par les clôtures, les contrats de propriété et une gestion défensive de l’espace) et d’autre part les cultures de l'espace partagé (géré selon la coutume et d’autres modes de gestion des conflits). Plus largement, ce mythe peut évoquer l'opposition entre « culture » et « nature » ou entre « exploitation rationalisée de l'environnement » et « reconnaissance de la naturalité » de l'Homme et de sa relation à la Nature. Il peut symboliser un choc culturel plus ancien ayant opposé des peuples chasseurs-cueilleurs itinérants (représentés par Abel) et les premiers éleveurs nomades (la descendance de Caïn est présentée par la Bible comme nomade). Dieu agrée Abel et son offrande, mais dans le Nouveau Testament, le pasteur et le sacrifice de l'agneau sont des thèmes récurrents, le Christ étant fréquemment présenté comme un pasteur et son peuple comme un troupeau d'agneaux.

Baudelaire a écrit le poème Abel et Caïn, qui fait partie de la section Révolte de son recueil Les Fleurs du mal. La race de Caïn, laborieuse et affamée, écrasée par la punition séculaire pesant sur elle, y côtoie la race d'Abel, qui s'engraisse indéfiniment dans la grâce de Dieu. Mais Baudelaire termine le poème en annonçant la révolte des déshérités divins, gagnant le Ciel en balayant Dieu et ses favoris. Il est difficile de ne pas y voir l'influence de 1848, de ses idéaux trahis par une république embourgeoisée, et du socialisme naissant.


NOTES

[I] Dans les autres traditions moyen-orientales, les notions de perfection et de béatitude des commencements sont également très présentes. Elles ont sans doute contribué aussi à l’élaboration du mythe hébreu. Dans l'Égypte ancienne, cette époque heureuse était appelée Tep zepi, La Première Fois. Commencée avec l'apparition du dieu créateur au-dessus des Eaux Primordiales, elle constituait l'Âge d'Or de la perfection absolue. Ni mort, ni maladie ne survenait au cours de ce temps merveilleux désigné comme le temps de Rê. En ce qui concerne les traditions mésopotamiennes, certains textes gravés il y a près de 4000 ans en caractères cunéiformes et rapportés par Kramer évoquent le règne d’abondance et de paix que connaissait l’humanité avant d’être déchue : « Autrefois, il fut un temps où il n’y avait pas de serpent, il n’y avait pas de scorpion. Il n’y avait pas de hyène, il n’y avait pas de lion. Il n’y avait pas de chien sauvage ni de loup. Il n’y avait pas de peur ni de terreur. L’homme était sans rival ». Dans le Poème de Gilgamesh, « le vrai Paradis est Dilmum, pays où n'existe ni maladie, ni mort et où ni le lion ni le loup n'emporte l'agneau ». Dans l’Avesta iranien, on parle aussi d'un jardin merveilleux situé sur une haute montagne avec des arbres magiques - notamment l'arbre de vie - et une eau abondante apportant la fertilité à toute la terre dans un printemps perpétuel. Yima, premier homme, est le souverain de ce paradis. Créé mortel contrairement à Adam, il tentera, à l'instar de Prométhée, de dérober aux dieux l'immortalité. Si l'on remarque que dans les religions de l'Inde, où le temps est conçu comme cyclique, l'âge d'or doit revenir périodiquement, si l'on note aussi qu'il en est de même en Grèce, on peut voir que de nombreuses civilisations ont cru à un paradis primordial, royaume de bonheur et de paix dans l'absence de contraintes et de conflits.

[II] « Le Seigneur Dieu planta un jardin en Eden, à l'Orient, et y plaça l'homme qu'il avait formé. Le Seigneur Dieu fit germer du sol tout arbre d'aspect attrayant et bon à manger, l'arbre de vie au milieu du jardin et l'arbre de la connaissance du bonheur et du malheur. » Genèse, 2, 8-9, in Traduction Œcuménique de la Bible, éd. SBF/Cerf, 1978, p. 26

[III] Sept années sont consacrées à ses pérégrinations à travers l'Océan (550-557). Nous avons ici le seul récit un peu ancien de ces Pérégrinations mystérieuses qui ont tant exercé les romanciers du moyen-âge.

[IV] Au Ier siècle, Philon, un juif de la diaspora, affirme sans ambages que croire à un paradis « fait de vignes, d'oliviers, de grenadiers ou d'arbres de ce genre, relève d'une grande naïveté difficilement curable ». Origène, docteur chrétien du IIIe siècle, plaide aussi pour une interprétation symbolique : « Qui sera assez sot pour penser que Dieu, à la manière d'un agriculteur, a planté un jardin en Éden du côté de l'Orient ?... ou que quelqu'un participe au bien et au mal pour avoir mangé le fruit pris à cet arbre ? » Pour Saint Ephrem, au Ive siècle, même si, d'après les mots, l'Éden semble terrestre, il est en son essence pur et spirituel, c'est avec l'œil de l'esprit, que je vois le paradis. Mais les auteurs en question n'eurent guère d'influence...

[V] à l'article « paradis » de l'Encyclopédie, Diderot écrit que le système de Copernic et Descartes « a non seulement renversé l'ancienne hypothèse de Ptolémée sur l'ordre et la structure de ce monde ; mais il a encore mis dans la nécessité de proposer ailleurs un endroit propre à placer le séjour des bienheureux qu'on nomme vulgairement paradis... »

[VI] Rousseau dans son Discours sur l'origine de l'inégalité (1755) considère que l'homme primitif « en se rassasiant sous un chêne, en se désaltérant au premier ruisseau, en trouvant son lit au pied du même arbre qui lui a fourni le repas », vivait heureux au milieu d'une nature très généreuse. « La terre, abandonnée à sa fertilité naturelle et couverte de forêts immenses que la cognée ne mutila jamais offre à chaque pas des magasins et des retraites aux animaux de toutes espèces [...] Accoutumés dès l'enfance aux intempéries de l'air et à la rigueur des saisons, les hommes se forment un tempérament robuste et presque inaltérable [...] Chez les vieillards qui agissent et transpirent peu, le besoin d'aliments diminue avec la faculté d'y pourvoir et, comme la vie sauvage éloigne d'eux la goutte et les rhumatismes et que la vieillesse est de tous les maux celui que les secours humains peuvent le moins soulager, ils s'éteignent enfin, sans qu'on s'aperçoive qu'ils cessent d'être, et presque sans s'en apercevoir eux-mêmes ».

1. A. Inveges, Historia sacra paradisi terrestris, Palerme, 1649, « lectori », s. p.
2. M. Carver, A Discourse of the terrestrial Paradise, Londres, 1666, « To the reader », s.p. W. Raleigh, The History of the World, t. 2, Oxford, 1829, p. 78.
3. F. Suarez, Opera omnia, éd. Vives, Paris, 1856, III, « De hominis creatione... ».
4. Ibid..
5. W. Raleigh, The History of the World..., II.
6. M. Beck, Schediasma hagriographicum de locis Eden, Ophir atque Tarsis, léna, 1676, eh. i : dans Thèses d'Ièna (Fac. Th. Paris), t. IV.
7. J. Salked, A Treatise of Paradise, Londres, 1617.
8. Cornelius A Lapide, « Proemium et Encomium S. Scripturae », in Commentarlian Pen tateuchum Mosis, éd. consultée, Anvers, 1671.
9. W. Raleigh, The History of the World..., II.
10. M. Carver, A Discourse... « To the reader », s.p.
11. P. D. Huet, Traité de la situation du paradis terrestre, 1691. Edit, citée : 1701. Cf. J. R. Massimi, « Montrer et démontrer : autour du Traité de la situation du Paradis terrestre de P. D. Huet, 1691, dans A. Desreumaux et Fr. Schmidt, Moïse géographe (ouvr. coll.), Paris, Vrin, 1988.
12. Luther, Commentaires du livre de la Genèse, Genève, Labor et Fides, 1975.
13. Calvin, Commentaires sur l'Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 1961.
14. J. Hopkinson, Synopsis paradisi, éd. Lyon, 1598.
15. W. Raleigh, The History of the World, II.
16. J. Salked, A Treatise of Paradise.
17. M. Carver, A Discourse of the Terrestrial Paradise, avis au lecteur, s. p.
18. J. Basnage, Histoire du Vieux et Nouveau Testament, Amsterdam, 1705.
19. Fr. Suarez, Opera omnia, III.
20. A. Inveges, Historia sacra...
21. Schedel, Chronique de Nuremberg.
22. Calvin, Commentaires sur l'Ancien Testament.
23. J. Hopkinson, Synopsis paradisi.
24. Fr. Suarez, Opera omnia, III.
25. E. Roger, La Terre saincte, Paris, 1646.
26. B. Pereira (Pererius), Commentar iorum et disputationum in Genesim..., éd. Consultée, Mayence, 1612, III, P 97 et Fr. Suarez, Opera omnia, III, p. 201, renvoient en effet à Hugues de Saint-Victor lorsqu'ils exposent cette opinion.
27. Vadian, Epitome trium terrae partium, Asiae, Africae et Europae compendiarium locorum descriptionem, Zurich, 1534, p. 183-187.
28. J. Duncan, Milton's Paradise, Minneapolis, Univ. of Minnesota Press, 1972, p. 200.
29. J. Goropius, Origines antwerpianae, Anvers, 1589, p. 481-482.
30. De Pineda, Los Treynta libros de la monarchia ecclesiastica o historia universal del mundo, Salamanque, 1588, I, p. 16-17. J. Duncan, Milton's..., p. 200-201.
31. Fr. Suarez, Opera omnia, III, p. 202-204. J. Salked, A Treatise of Paradise, p. 26.
32. Calvin, Commentaires sur l'Ancien Testament..., p. 47. A. Steuchus Eugubinus, Recognitio Veteris Testamenti ad hebraicam veritatem, Lyon, 1531, p. 83-84. J. Oleaster, Commentario in Moïsis Pentateuchum, Lisbonne, 1556, p. 58. W. Raleigh, The History of the World, II, p. 66-67. G. DiODATi, Annotations upon all the Books of the Old and New Testament, Londres, 1657, s. p. eh. 11 v. 8.
33. D. Pareus, In Genesim Mosis commentarius, Genève, 1614, c. 316.
34. W. Raleigh, The History of the World, II, p. 77.
35. B. Pereira, Commentariorum..., P 98.
36. R. Bellarmin, Opera omnia, IV, c. 50.
37. B. Pereira, Commentariorum..., P 98.
38. Fr. Junius, Protoktisia seu Creationis... historia, Heidelberg, 1589, p. 107.
39. Th. Malvenda, De Paradiso voluptatis, Rome, 1605, ch. 8, p. 279.
40. R. Bellarmin, Opera omnia, IV, c. 51.
41. Fr. Suarez, Opera omnia, III, p. 209-210.
42. Luther, Commentaire du livre de la Genèse, p. 97.
43. Ibid., p. 93.
44. Ibid., p. 95.
45. Du Bartas, La Deuxième semaine (ier jour : Eden), Rouen, 1608, v. 125 et suiv.
46. G. DiODATi, Annotationes upon all the Books..., s. p. eh. 11.
47. J. Salked, A Treatise of Paradise, p. 39.
48. A. Steuchus Eugubinus, Recognitio, p. 98.
49. B. Pereira, Commentar iorum..., f° 101.
50. Cornelius A Lapide, Commentar ia..., p. 85.
51. A. Inveges, Historia sacra, p. 93.




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