L'architecture peut-elle être "révolutionnaire" ?
Une société révolutionnaire peut-elle produire une architecture qualifiée de révolutionnaire ? Quelle est la portée du terme « révolutionnaire » lorsque celui-ci s'applique à l'architecture, avec ses implications idéologiques, fonctionnelles, esthétiques, son contenu, etc.. Peut-on appliquer valablement un tel terme à une forme détachée de son contenu idéologique ? Comment s'exprime le contenu idéologique de la nouvelle société dans l'architecture qui la représente, c'est-à-dire, comment cette architecture est-elle révolutionnaire ? Peut-on parler d'une révolution architecturale en termes de forme-espace-technique- fonction, qui ait une incidence sur la transformation de la société ? En définitive, a-t-on le droit de postuler des formes, des structures ou des espaces « révolutionnaires » en dehors d'une fonction sociale révolutionnaire qui les précède et les motive ?
Roberto
SEGRE
Signification
de l'architecture cubaine
dans
le monde contemporain
Revue
Espaces et Sociétés | n° 1, 1970
HUMANISME,
ARCHITECTURE
ET
TIERS MONDE.
L'architecture,
ou plus exactement la pratique architecturale (1), constitue un des
niveaux de la praxis sociale globale. Ce n'est pas le lieu, ici, de
postuler une hiérarchisation des niveaux, mais d'indiquer
l'importance qu'elle revêt au sein de notre milieu physique.
L'architecture
— conçue de nos jours comme environmental design (2) — constitue
le cadre et la manifestation de notre vie sociale, depuis la cellule
individuelle minimum, jusqu'à l'ensemble du territoire, que la main
de l'homme a transformé. Si la forme construite et l'espace
habitable constituent la réalité essentielle de l'architecture,
celle-ci se rattache de façon indissoluble aux exigences
fonctionnelles et esthétiques de l'homme en tant qu'être social.
L'abstraction implicite qui identifie Homme et Architecture, en
dehors de toute particularité sociale, caractérise la théorie
architecturale qui s'inspire de la philosophie idéaliste. En accord
avec l'affirmation d'une essence universelle de l'homme (3), on
proclame l'existence de valeurs éternelles, immuables — tout
particulièrement dans le domaine esthétique et dans celui de la
signification —, valeurs qui seraient demeurées semblables à
elles-mêmes tout au long du procès historique. Ce sont ces valeurs
qui font apparaître le contenu « humaniste » de l'architecture —
terme utilisé par Geoffrey Scott en 1914 (4) — et qui tout au long
du xxe siècle n'a cessé d'être proclamé par les tendances les
plus diverses (5). L'architecture rationaliste, dans la période qui
va de 1920 à 1930, s'avère humaniste dans sa volonté d'assurer les
conditions d'existence minimum indispensables à l'homme de la
société industrielle ; il en va de même du courant qualifié de «
post-rationaliste » des années cinquante, dans son désir
d'atténuer la sécheresse technique antérieure (6). Humaniste,
l'architecture « organique » l'est aussi dans son souci du milieu
et des facteurs psychologiques (F.L. Wright), comme d'ailleurs son
interprétation européenne, le « néo-empirisme Scandinave ». Les
expériences utopiques actuelles, fondées sur les conquêtes
techniques, qui créent un nouveau cadre de vie humain (s'opposant au
cadre de vie naturel) ou reposent sur la récupération du passé
(des périodes où il existait un équilibre entre l'homme et le
milieu ambiant), afin de libérer la société de son actuelle
aliénation dans la technique, peuvent aussi être qualifiées d' «
humanistes » ; il en va de même pour l'orientation prise par
l'architecture dans les pays socialistes européens (7).
Le
caractère polysémique du terme « humanisme », l'ambiguïté de
son signifié qui lui permet de servir et de soutenir les idéologies
les plus contradictoires, ont démontré la fausseté des contenus
qui prétendent se prévaloir d'un « Homme » et d'une «
Architecture » conçus abstraitement ou en termes de valeurs
universelles. Le contenu idéologique manifestement bourgeois de
telles définitions a déjà été signalé (8). On y voit
transparaître la prédominance de l'individuel sur le social, et
l'occultation de la réalité qui entoure et délimite l'action
individuelle ; autrement dit son appartenance à un groupe social
ayant des objectifs d'action concrète, définis par une pratique
idéologique de classe. En termes d'architecture, cette occultation
signifie le maintien de l'alibi de la bourgeoisie : l'identification
de son activité et de sa pratique architecturales avec les besoins
globaux de la communauté, c'est-à-dire l'intégration dans ses
propres schémas et représentations des intérêts contradictoires
des autres classes sociales.
Cette
mystification pourrait-elle transformer les conditions de vie du
prolétariat ? Les idéaux du mode de vie bourgeois ont-ils pénétré
dans les classes laborieuses ? Quelques groupes minoritaires pourront
connaître le mode de vie petit bourgeois — les ouvriers des
grandes industries des-pays développés qui obtiendront leur maison
individuelle — mais le prolétariat continuera à être soumis à
des conditions de vie inhumaines qui sont l'expression de l'aspect
caché de la réalité, du caractère mystificateur de ce prétendu
humanisme : en d'autres termes, l'affirmation de l'Homme (bourgeois)
contient implicitement la négation de l'Homme (prolétaire). Cette
situation contradictoire, en affectant directement le prolétariat,
permettra une prise de conscience qui stimulera la lutte
révolutionnaire, et incitera à clarifier le procès social, à
définir les rapports sociaux qui englobent et déterminent la vie
des individus (9).
Cependant,
les contradictions révolutionnaires entre bourgeoisie et prolétariat
tout d'abord, et entre sociétés capitaliste et socialiste ensuite —
dans le continent européen — n'aboutiront pas à faire
suffisamment la lumière en termes idéologiques et architecturaux.
La persistance du terme « humanisme » en est la preuve :
l'opposition entre humanisme bourgeois et humanisme socialiste,
coïncide avec la valorisation de l'individu au détriment du
contexte social (10), ce qui correspond, dans la problématique de
l'urbanisme, à l'accent mis sur l' « habitat » individuel, sur la
résidence, au détriment d'une structure de services qui seraient
les promoteurs d'un développement accru de nouveaux rapports
sociaux. Il s'agit là d'une ambiguïté paralysante pour la praxis
sociale révolutionnaire — comprenant une culture et une
architecture révolutionnaires — tant au sein de la société
néocapitaliste, à cause du mirage du bien-être social, que dans
les pays socialistes développés, à cause de la transposition des
valeurs nées de la compétition antithétique avec la société de
consommation, dont on tient les axiomes pour valables : en
architecture ce fait se manifeste par la transposition directe des «
styles » ou des conceptions plastiques de l'architecture formaliste
ou commerciale d'Europe ou des Etats-Unis.
Face
à cette situation, nous pouvons affirmer que l'insertion du
Tiers-monde dans le procès historique présent, a transformé
l'échelle des valeurs qui s'est constituée dans le monde développé
européen. Ont été mises en cause, non seulement la vocation
d'universalité, forgée à partir de ce centre de rayonnement
culturel, mais aussi la dévaluation des termes et des concepts
maintenant périmés dans la théorie comme dans la littérature,
concernant les conditions définies à un moment historique donné et
maintenues par la suite, nécessaires à l'affirmation de l'homme ;
et cela non pas à travers le vieil « humanisme » abstrait et
polysémique, dépourvu de toute signification correspondant à un
contexte réel, mais à travers la praxis sociale révolutionnaire
(11).
Cette
attitude s'est forgée dans la lente prise de conscience des
contradictions aiguës du monde sous-développé, qui donnent
naissance à un cadre infrahumain, et à la négation oppressive de
l'homme qui caractérise la vie sociale. Par conséquent, il s'agit
d'une conscience de la nécessité d'agir de façon révolutionnaire
sur la réalité dominante, sans faire de concessions à des
hypothèses de médiation, qui viennent freiner l'élan de l'action
transformatrice, obscurcissant la contradiction structurelle précise
qui existe entre les classes sociales, et faisant l'hypothèse d'une
relation inversée, née dans l'univers des superstructures, entre
action sociale et action culturelle.
Le
principe de libération et d'indépendance correspond au système
répressif imposé aux pays sous-développés par les pays développés
: c'est l'antithèse entre misère et opulence, qu'il est impossible
de réduire au domaine des biens ou des richesses matérielles (12).
Elle pénètre dans le domaine des valeurs humaines : la misère fait
surgir la ré-affirmation de l'homme à travers la praxis sociale
révolutionnaire, la richesse de certaines minorités au pouvoir dans
la société technologique capitaliste, richesse en biens de
consommation, engendre l'aliénation et l'agressivité des hommes
isolés, ou s'opposant au sein du corps social (13). La prise de
conscience des contradictions globales — entre sous-développement
et développement — et des contradictions particulières — au
sein même du sous-développement, mais en même temps reflet de la
contradiction globale — détermine le degré de clarté des
objectifs poursuivis, qui coïncident avec un nouveau système de
valeurs, s'exprimant, d'un point de vue linguistique, à travers la
revalorisation sémantique de la terminologie existante. Par
conséquent, la lutte pour sortir de la misère n'est pas motivée
par le désir de s'approprier les modèles valables de la société
d'abondance (14), mais par le désir d'une société radicalement
différente, qui permette le développement intégral des
potentialités créatrices de ses membres, restaurant l'équilibre
social de la communauté, rompu depuis des siècles par le
sous-développement qu'a engendré la domination coloniale.
La
libération est étroitement liée au concept de révolution, dont la
signification dans le Tiers-monde résiste à toute tentative pour le
dévaluer ou pour le rendre polysémique, afin d'évoquer ce qu'il
indique de spécifiquement transformateur dans l'action sociale, et
qui s'est maintenu immuable depuis l' « Ilustracion » jusqu'à nos
jours. L'action révolutionnaire, conçue comme méthode de
transformation des structures sociales, fut instaurée par la
bourgeoisie mais immédiatement récusée lorsqu'à son tour le
prolétariat voulut la mettre en pratique. L'action bourgeoise et
l'action prolétarienne se différencient par les trajectoires
propres aux grandes révolutions : entreprises en Angleterre et en
France par la bourgeoisie, elles se sont poursuivies en Russie et
dans le Tiers-monde par l'action du prolétariat et de la paysannerie
— cf. les Républiques Populaires de Chine, de Corée, du Viet-Nam,
de Cuba et d'Algérie (15). A ce procès ont correspondu une théorie
et une stratégie au cours du développement politico-social et de la
mise en oeuvre ultérieure des énoncés originels. Cependant, la
totalité de la praxis sociale n'a pas pris forme de façon homogène
aux différents niveaux (culturel, artistique, architectural), chacun
de ces niveaux se trouvant conditionné par les contradictions
internes et externes — d'un côté la persistance de traits
culturels petits-bourgeois (16) qui ont une incidence sur la culture
artistique, de l'autre, dans les pays de culture orientale, la
persistance des traditions ancestrales (17) — ont abouti à la
perte, dans certains pays du monde socialiste, de la cohérence
intégrale contenue dans le terme de révolution. Par ailleurs ce
terme a connu une dévaluation complète au sein de la société
bourgeoise. A cause de son usage inconsidéré dans le domaine
politique et culturel (18), son ambiguïté et sa déperdition de
sens l'ont relégué à ne caractériser que certaines expressions
culturelles inoffensives.
Le
fait qu'à une société révolutionnaire — c'est-à-dire homogène
dans sa configuration sociale — ne corresponde pas une architecture
révolutionnaire, ou qu'une société connaissant des contradictions
de classe aiguës produise une architecture qualifiée de
révolutionnaire, rend indispensable une clarification de la portée
du terme « révolutionnaire » lorsque celui-ci s'applique à
l'architecture, avec ses implications idéologiques, fonctionnelles,
esthétiques, son contenu, etc.. Peut-on appliquer valablement un tel
terme à une forme détachée de son contenu idéologique ? Comment
s'exprime le contenu idéologique de la nouvelle société dans
l'architecture qui la représente, c'est-à-dire, comment cette
architecture est-elle révolutionnaire ? Peut-on parler d'une
révolution architecturale en termes de forme-espace-technique-
fonction, qui ait une incidence sur la transformation de la société
? En définitive, a-t-on le droit de postuler des formes, des
structures ou des espaces « révolutionnaires » en dehors d'une
fonction sociale révolutionnaire qui les précède et les motive ?
Pouvons-nous affirmer que la véritable architecture révolutionnaire
ne s'est pas encore matérialisée dans la mesure où n'ont pas
encore été mis en pratique les présupposés socio-culturels qui la
fondent ? Ce sont là les questions auxquelles nous nous proposons de
répondre en suivant l'évolution qui a eu lieu depuis l' «
Ilustracion » jusqu'à nos jours,
procès évolutif d'où nous tirons aujourd'hui, dans le Tiers-monde,
les énoncés théorico-conceptuels qui, confrontés avec
l'expérience pratique quotidienne, permettront de matérialiser les
principes essentiels de la nouvelle architecture.
L'HERITAGE
DE LA REVOLUTION
BOURGEOISE
On
parle pour la première fois d'une architecture révolutionnaire à
partir du mouvement néo-classique qui coïncide avec la Révolution
Française (19), et dont Boulée et Ledoux constituent des figures
exemplaires. Leurs oeuvres expriment l'idéologie bourgeoise —
Liberté, Egalité, Fraternité — en termes de valorisation
homogène des fonctions sociales (20) contenues dans un système
géométrique, qui symbolise la régularité de l'ordre social. Ce
système géométrique résout la variation typologique des thèmes
dans l'abstraction formelle du répertoire architectural de
l'antiquité. En d'autres termes, face à la primauté des valeurs
éternelles et immuables, esthétiques, qui étaient représentées
par l'architecture classique, l'individu et la communauté se
transforment sur la base de la structuration spatiale et formelle
(21), ce qui conduit à la détérioration de la hiérarchie
symbolique des fonctions. Les bâtiments publics, religieux,
habitations rurales ou usines, se trouvent intégrés dans un langage
architectural identique, à partir de l'utilisation des formes
géométriques élémentaires (22).
L'apologie
du néo-classicisme révolutionnaire qu'effectue la critique
contemporaine provient de la recherche d'associations formelles, et
non d'une lecture socio-idéologique de sa transcendance théorique
et de son échec pratique. Tandis que le répertoire formel
n'échappait pas à la valorisation esthétique traditionnelle
(mimétisme, harmonie, ordre et proportions à l'échelle de l'homme)
ni aux procédés techniques traditionnels (éléments qui pour la
plupart manquaient en eux-mêmes d'un contenu idéologique
progressiste, ce dernier ayant été remplacé par l'interprétation
de la fonction), les hypothèses forgées sur la structure
fonctionnelle de la société supposée homogène et dépourvue de
classes sociales antagonistes, ne correspondaient pas au mandat
social imposé par la bourgeoisie. En effet, par sa position
économique et politique, celle-ci se fondait sur l'exploitation du
prolétariat, qui est cantonné dans une position marginale par
rapport à la culture. Celle-ci s'exprime dans l'univers des signes
architecturaux, représentatifs non plus d'une homogénéité sociale
et par là fonctionnelle, mais de l'autonomie individualiste et
différenciatrice (faisant ressortir l'existence et la pression du
prolétariat) propre au libéralisme bourgeois ; ici apparaît une
contradiction implicite au système dualiste urbain caractéristique
du xixe siècle (23).
L'harmonie
sociale que suppose Ledoux comme base de la cité idéale de Chaux,
correspond à une utopie fondée sur un ordre rationnel autonome et
fermé, surgie de postulats théoriques qui n'ont pas été vérifiés
dialectiquement dans la praxis sociale. La forme réelle (la forme
classique devait s'intégrer dans la non-forme), constituait une
nouvelle fonctionnalité imposée par la révolution industrielle,
ayant une structure ouverte, indicative de la dynamique
socio-productive de la communauté homogène, où chaque forme —
architecture-marchandise — se transformerait en
architecture-service. Mais c'est justement la valorisation maximum de
la marchandise qui conditionne l'autonomie monumentale de
l'architecture éclectique, en vigueur tout au long du xixe siècle,
esthétiquement sacralisée par la respectabilité antiplébéienne
et transformée en sauvegarde de la « sécurité » de la société,
assumant idéologiquement une partie du legs absolutiste qu'avait
combattu la bourgeoisie dans sa lutte pour le pouvoir (24).
Ce
développement annule la valeur transformatrice des formes simples,
de l'évacuation des classes, par la pure géométrie abstraite de
Boullée et Ledoux, dont on a fait des propositions esthétiques «
révolutionnaires » dont la transcendance — frustrée par le
maintien de l'éclectisme — se limitera selon certains critiques à
la signification prémonitoire de la base théorico-plastique de
l'architecture rationaliste où le purisme coïncide avec la poussée
de la bourgeoisie réformiste.
Cette
situation est reflétée au début du xxe siècle dans la réaction
des avant-gardes figuratives contre l'historicisme en architecture,
qui établit, dans la violence des antithèses, le caractère
révolutionnaire — proclamé ou non — implicite dans les
expressions formelles de ces mouvements. Sont ainsi définies deux
possibilités concrètes : une dynamique architecturale qui coïncide
avec une transformation radicale de la société, et une dynamique
autonome, qui est supposée impulser une telle transformation, toutes
deux rendues homogènes par un vocabulaire fondé sur une conception
esthétique et une réalité technico-constructive unitaire.
LES
APPORTS DE LA
REVOLUTION
D'OCTOBRE
Ce
fut le rôle de la révolution d'Octobre de fixer les traits
essentiels de la lente identification entre la nouvelle société et
l'avant-garde architecturale, assumant une valeur exemplaire au sein
de la société européenne, et indiquant une voie pour faire
coïncider les facteurs sociaux, culturels, idéologiques et
politiques (25).
Cette
voie s'avéra plus complexe et contradictoire qu'on ne l'avait prévu
; la praxis sociale et les différents niveaux de la réalité se
montrèrent peu réductibles à des schémas théoriques ou aux
conseils tirés des manuels. Le désir de supprimer radicalement les
entraves internes de la société bourgeoise (division en classes
antagonistes, propriété privée et spéculation sur les terres,
développement économique motivé par la commercialisation des
produits et non par l'intérêt global de la société), afin
d'instaurer une nouvelle société communiste, avec une organisation
socio-productive claire, ayant une finalité concrète — l'essence
idéologique de Marx, le passage du règne de la nécessité à celui
de la liberté — tout cela ne s'est pas produit de façon linéaire
et homogène dans le développement aux différents niveaux, et même
dans certains cas on a assisté à une polarisation antithétique de
certains aspects par rapport à d'autres. Les contradictions internes
ont empêché la coïncidence maximum entre le mandat social et le
groupe de décision en architecture — conçue comme un discours
technique — et le lent rapprochement entre la pratique sociale et
la pratique architecturale, intégrées dans la nouvelle
fonctionnalité sociale. Il en va de même pour la valeur de
référence qui représentait pour la communauté, l'établissement
d'un code dont le contenu sémantique des signes linguistiques devait
recouvrir l'ensemble du milieu social — ville-campagne — où se
déroule la vie collective. Les propositions théoriques devinrent
indépendantes du procès spécifique accompli dans les faits
socio-économiques, et dont l'orientation ne correspondait pas avec
les propositions architecturales qui impliquaient comme hypothèse
l'avènement rapide de la société sans classes et de la disparition
des contrastes entre ville et campagne.
Cependant,
la concrétisation limitée des « utopies » des premières années,
des propositions et des polémiques révolutionnaires, qui
succombèrent dans la crise architecturale qui durera tout au long de
la période de Staline, ainsi que les tâtonnements et les
difficultés visibles dans le monde socialiste pour dépasser cette
étape (26) ne doivent pas nous induire en erreur pour ce qui est de
la validité du chemin suivi, pas plus que ne doivent nous séduire
les chants de sirène de la critique bourgeoise qui nie le socialisme
comme: seule voie pour aboutir à l'identité entre société et
culture, entre architecture et idéologie, entre avant-garde sociale
et avant-garde artistique, et qui postule l'indépendance de
l'architecture ou de l'art par rapport à la structure
socio-économique ou lui attribue une combativité suffisante pour
transformer les contradictions sociales existant dans le monde
capitaliste. C'est au contraire la leçon que l'on peut tirer de
cette crise momentanée, ajoutée à la crise permanente que connaît
la société d'abondance, qui nous permet une fois décantée, de
tirer les conclusions nécessaires pour déterminer les perspectives
que doit se donner l'architecture dans les pays libérés du
Tiers-monde.
Leçon
qui, à un demi-siècle de distance, conserve encore aujourd'hui son
actualité théorique, et dont grâce à ce recul nous pouvons
correctement évaluer les formulations erronées et le déphasage
entre théorie architecturale et praxis sociale. Si l'on fait une
synthèse générale des concepts qui pourraient demeurer valables
pour le Tiers-monde, nous trouvons en premier, lieu la volonté de
supprimer la différence entre ville et campagne — que Marx et
Engels avaient déjà théoriquement énoncée comme étant la seule
solution pour éliminer les barrières culturelles entre les divers
groupes sociaux — et qui se matérialise dans les projets et idées
préconisant l'union entre agriculture et industrie dans un ensemble
organique. Ces principes ont été formulés par le groupe
d'architectes qu'on a nommé « désurbanistes » (27). En
développant la ville linéaire ou en concentrant les noyaux
d'habitat sur le territoire, l'architecture et l'urbanisme demeurent
partie intégrante de la planification globale du territoire qui.
reçoit une nouvelle configuration correspondant aux exigences
sociales. Ces deux disciplines assument un caractère global,
synthétique, dû à l'ampleur de l'action du dessinateur sur
l'environnement (28).
L'architecture
et l'urbanisme, lorsqu'ils ne se concrétisent pas dans des
prototypes formels — symboles thématiques ou fonctionnels —
sont élaborés à partir d'une dynamique sociale produite par
l'intégration de la vie individuelle et collective, des services de
consommation et de culture. Le centre de la ville cesse de constituer
le lieu dramatique de la vocation commerciale (29) de la cité
capitaliste, pour se transformer en centre culturel et en centre
d'échanges socio-politiques ; à son tour, l'habitation disparaît
en tant qu'unité introvertie, se suffisant à elle-même, contenant
à elle seule la vie familiale, expression typique de la tradition
petite-bourgeoise. Le noyau minimum, base de }a vie d'interrelation,
a pour complément les services externes, représentants du
collectivisme, qui prédominent sur l'individualisme dans la vie du
nouvel homme socialiste, comme le montrent les maisons-commune
projetées par Ginzbourg.
A
partir d'une structure sociale renouvelée, et en utilisant les
moyens techniques les plus avancés, les formes spécifiques ne se
transformeraient pas en une symbolisation immédiatement tangible, se
référant à chaque terme architectural : la première place
attribuée à la technique (30) et à l'organisation de la vie
fonctionnelle communautaire ouvrirait la voie à la première
configuration d'une architecture, qui pour la première fois devrait
atteindre une dimension territoriale, perdant de la sorte l'autonomie
plastique inhérente à tout édifice « monumental ». La dualité
technico-fonctionnelle permettait à travers le procès de l'habitat,
réalisé en son sein, de charger sémantiquement les signes
architecturaux, tout comme l'évolution de la société —
s'exprimant dans le nouveau contenu de la vie quotidienne — ne
permettait pas à la tendance implicite dans le contenu idéologique,
d'être représentée par des symboles ou des formes concrètes (31).
Cet
ensemble aurait pour mission d'extérioriser le système social comme
totalité : principe soutenu par les architectes du groupe OSA —
qui aspiraient à créer les nouveaux condensateurs de la vie sociale
— et qui était en vigueur dans le rationalisme européen des
années 30, attribuant une. valeur symbolique à la représentation
de la fonction (32), c'est-à-dire au cadre strict de sa propre
matérialisation.
L'extrapolation
et l'unification de ces concepts, et du réseau complexe d'idées
débattues au cours des difficiles années de la construction du
socialisme en U.R.S.S., leur confèrent une cohérence combative qui
laisserait supposer une réalisation immédiate. Cependant, les
niveaux socio-économiques n'étaient pas encore suffisamment avancés
pour correspondre à la nouvelle structure exigée par la
socialisation des services et de l'habitat, de même que l'opposition
entre ville et campagne ne s'acheminait pas vers une solution, que ce
soit en termes culturels ou productifs : d'un côté on assistait au
maintien d'anciennes traditions médiévales et de la propriété
privée à la campagne ; de l'autre, on introduisait les techniques
modernes et la socialisation de la production industrielle à la
ville (33).
On
doit ajouter à cela l'idéalisme implicite de l'action culturelle
des premières années et l'opportunisme démagogique des forces
conservatrices, qui firent obstacle à la libre confrontation des
idées en mettant à profit la conjoncture politique, ce qui met en
évidence l'union nécessaire entre action politique et action
architecturale (34) — ou, selon l'expression de Gramsci, la culture
comme politique —. Cette union n'a pas été conduite jusqu'à ses
dernières conséquences par l'avant-garde artistique et a été
utilisée par les groupes réactionnaires ; ce qui coïncidait avec
l'affaiblissement du désir de renouveau dans la nouvelle société
socialiste (35).
Il
ne fait pas de doute qu'un des points faibles de l'idéalisme des
premières années prend racine dans la recherche de l'expression
symbolique pour chaque édifice ; s'éloignant ainsi de l'étroite
relation forme-fonction ou technique-fonction, fondée sur la
composante thématique ou sur la morphologie mécanique de
l'industrie que l'on souhaitait posséder comme base productive de la
société en construction. En concentrant l'attention sur les
facteurs esthétiques et non pas sur les contenus c'est-à-dire sur
la nouvelle structure fonctionnelle de la société, en insistant sur
l'expression formelle de l'idéologie et non sur la représentation
structurelle-spatiale des postulats sociaux qui correspondaient en
pratique à la formulation idéologique, les architectes ont opéré
une distorsion entre les composants de la pratique architecturale et
le rapport dialectique entre les conditions matérielles et les
réalisations culturelles, qui engendrent la praxis sociale,
c'est-à-dire la conservation de l'équilibre entre la pratique
esthétique et la pratique constructive à partir d'un code
socialement assimilable.
Antagonisme
que rendaient plus aigu les contradictions culturelles — et par
conséquent le désajustement linguistique — entre les auteurs de
projets et le reste de la société. Cet antagonisme maintenait
l'opposition traditionnelle que l'on se proposait de détruire entre
culture d'élite et culture de masse. De sorte que la constitution
d'un code compréhensible par l'ensemble de la communauté s'effectua
au moyen des colonnes et des arcs classiques, formes resacralisées à
travers une inversion de leur contenu idéologique originaire à
l'aide d'un contenu sémantique qui demeurait vivant au sein de la
communauté. D'ailleurs, le caractère permanent, typique de la forme
classique, pouvait facilement s'identifier à la solidité
socio-économique des bases réelles du système socialiste en
vigueur ; il s'agissait de plus d'une appropriation par le
prolétariat d'un système de valeurs esthétiques réservé pendant
des siècles à l'aristocratie.
Ainsi,
au lieu d'accepter le chemin qu'indiquait l'utopie — qui s'avéra
par la suite n'être pas si lointaine, avec l'accélération du
procès d'industrialisation — les architectes préférèrent
chercher refuge dans l'esthétique du passé, niant les contenus
essentiels de la vie communiste ; mais heureusement celle-ci ne se
fossilisait pas dans la rigidité interne des contenants formels, et
préparait par son propre mouvement les conditions de la destruction
de ce répertoire formel.
D'un
autre côté, l'absence d'une théorie critique de l'architecture,
adaptée au nouveau système de valeurs inhérent à l'architecture
contemporaine, destructrice des anciennes catégories -esthétiques,
fut un facteur de retard, annulant la dynamique dialectique
nécessaire entre les deux composantes de la pratique architecturale
: la pratique constructive et la pratique théorique. Nous pouvons
citer quelques-unes des conceptions les plus significatives qui ont
fourni un alibi à l'architecture des « colonnes » :
1)
Le réalisme régnant à la fin du xixe siècle fut récupéré parce
que lié à la culture prolétarienne. Cette récupération se
fondait sur l'héritage historique et sur la thèse de Lénine
concernant la culture prolétarienne (36). La distorsion que le
réalisme a subie dans sa définition essentielle était dirigée
contre les extrémistes qui prétendaient nier en bloc toute la
culture bourgeoise, considérée comme l'expression d'une société
décadente.
2)
La persistance d'une conception classique de l'architecture, en
maintenant les principes d' « éternité » et de « monumentalité
», se référait à des formes artistiquement symboliques, et
reléguait à l'arrière-plan les fondements pratiques et
fonctionnels ; ces idées ont été soutenues en U.R.S.S., et ont été
aussi, chose curieuse, exprimées par Gramsci (37).
3)
La négation du contenu idéologique exprimé par le. caractère
symbolique de l'architecture (par les arcs et les colonnes) fut une
thèse élaborée à partir du discours de Jruschov au Congrès des
Constructeurs (1954) (38). Selon ce dernier, l'architecture se réduit
à sa matérialisation constructive rendue « artistique » a
posteriori par l'intégration des arts plastiques (39).
4)
Le langage architectural contemporain fut condamné — le
rationalisme — sous l'accusation de froideur et de technicité
deshumanisante. Cette interprétation vient d'une évaluation erronée
des objectifs et des conceptions des pionniers des années 20 à 30.
Cette erreur repose sur l'utilisation mercantile ultérieure du
répertoire formel qui se manifeste dans la majorité des
constructions dans les grandes métropoles européennes. Le refus des
configurations géométriques de l'architecture contemporaine,
attitude commune à Lukacs, Sedlmayr et Ortega y Gasset (40),
provient d'une conception traditionaliste du contenu anthropomorphe
de la forme et de l'espace. Dans cette conception subsiste de façon
inconsciente, le critère de l'universalité des valeurs classiques.
Par ailleurs l'idée du mimétisme avec la réalité environnante,
naturelle, demeure et se trouve niée par le caractère
icono-symbolique de l'architecture, dont l'essence ne transcende pas
sa forme et son propre espace construits. On oublie ainsi que de
telles formes « abstraites » proviennent pour la plupart d'une
réponse scientifique aux fonctions essentielles de l'homme, telles
qu'elles se sont développées dans sa vie communautaire. Nous avons
vu comment la révolution sociale a objectivé tous les prémisses
indispensables pour atteindre une architecture révolutionnaire, non
seulement en termes formels, esthétiques ou constructifs, mais en
répondant à une nouvelle organisation de l'espace social, à partir
de la transformation radicale du modèle de la société bourgeoise
telle qu'elle s'était jusqu'alors maintenue. Il ne fait pas de doute
que la société socialiste imposa toute une série d'options
différentes quant à l'organisation des fonctions sur le territoire,
mais sans en tirer toutes les conséquences, c'est-à-dire sans
détruire les schémas typiques de la société bourgeoise, à partir
d'une conception renouvelée de la fonctionnalité sociale et du
rapport entre l'individu — ou sa cellule minimale, la famille —
et la communauté. En conséquence de quoi, on assiste d'abord à une
fossilisation du style architectural, puis à une modernisation
postérieure à travers un répertoire de formes, significativement
neutres même lorsqu'elles sont techniquement avancées. Néanmoins,
l'héritage révolutionnaire, contenu dans les propositions des
premières années, demeure aujourd'hui plus que jamais actuel,
faisant partie des orientations fondamentales qui doivent permettre
de réaliser le cadre de vie du nouvel homme communiste. '
LES
CONTRADICTIONS
DU
MONDE DEVELOPPÉ
Avant
de traiter du développement spécifique de l'architecture
révolutionnaire dans le Tiers-monde, — analysée à travers
l'expérience cubaine — nous devons rappeler certaines des
formulations surgies dans la société capitaliste, qui mettent en
évidence les contradictions qui existent entre les niveaux de la
pratique architecturale — théorie, technique, esthétique — et
qui coïncident avec les contradictions de la société globale (41).
Depuis
cinquante ans on insiste sur l'existence d'une architecture
révolutionnaire en soi, ou qui engendrerait dans la société des
transformations capables de permettre le dépassement progressif des
antagonismes de classe, des antagonismes économiques, etc.. Le
Corbusier prétend éviter la révolution grâce à l'architecture
(42) : la construction massive d'habitations atténuerait la
situation explosive qui existe dans les grandes villes ; cette
initiative abstraite laisse de côté les intérêts économiques qui
sont en jeu au sein de l'économie capitaliste, pour lesquels
l'architecture n'a qu'une valeur marchande, correspondant à la
demande, à l'idéologie et à la culture de la classe dominante.
L'habitat égalitaire de la « Ville Radieuse » ne correspond pas à
la réalité urbaine actuelle, où coexistent les résidences
luxueuses de la ville et les banlieues grises, l'entassement compact
au centre et l'habitation individuelle dans les environs, conçue en
termes de loisirs (43).
A
Le Corbusier succède Gropius, qui pense trouver le salut dans la
méthodologie des projets et l'interdisciplinarité ; Mies van der
Rohe, pour qui le salut réside dans la forme esthético-constructive,
etc.. Cette action, réalisée sur le plan technique ou culturel, est
stérilisée par la contamination qu'implique le compromis politique
ou idéologique ; elle suppose une révolution idéale opérée par
les techniciens, ou l'abandon, par leurs dirigeants, de la direction
des entreprises, aux techniciens et aux urbanistes (44).
Une
fois invalidé le fondement technico-socio-fonctionnel du
rationalisme, que soutenait son impulsion révolutionnaire, et qui a
été médiatisé par son compromis avec le réformisme bourgeois,
l'espoir de salut se porte vers l'esthétique, vers les nouvelles
valeurs de « style » imposées à travers l'héritage du Cubisme,
du Néo-plasticisme, du Constructivisme. Cette évolution a permis à
des critiques et à des architectes de répandre l'idée d'une crise
du mouvement et de la faible vigueur des principes énoncés au cours
des années de lutte, et cela grâce à la déformation mercantile du
langage et à la rapide implantation du courant orgahiciste, dont les
valeurs esthétiques ont pu se maintenir sans être contaminées
pendant une longue période. Le fait que ceux qui dirigent la
spéculation urbaine se soient approprié ces signes architecturaux,
dépourvus de tout pouvoir pour désigner et qualifier (45), ne
suffit pas à détruire l'hypothèse fondamentale du mouvement,
encore aujourd'hui valable, selon laquelle on peut obtenir une
configuration homogène du milieu urbain, au sein duquel une
fonctionnalité complexe, dynamique et entretenant des rapports dans
l'espace, aurait créé la différenciation des « signes »
souhaitée.
De
même la soi-disant crise du contenu idéologique de l'architecture
qu'impliquerait l'échec du rationalisme, apparaît aussi comme une
mystification de la réalité : l'architecture ne pouvait pas
promouvoir la bataille idéologique, mais au contraire, était
contrainte de se limiter à la formulation de modèles spatiaux
utopiques, en partant des conditions réelles dérivant du mouvement
de transformation de la société à partir d'objectifs concrets
postulés par l'idéologie, et atteints à travers la praxis
révolutionnaire. Ces objectifs ne s'identifiaient pas avec un
langage formel spécifique, mais avec un système de formes et
d'espaces correspondant à la nouvelle fonctionnalité de la société.
Si
l'on met en cause la réalité en vigueur dans la société
capitaliste à partir du terrain spécifique de l'architecture, on
voit apparaître les différents niveaux — théorique, esthétique,
effectif, etc.. — auxquels se déroule la pratique architecturale.
Ceci implique :
1)
L'acceptation du système, qui intègre l'architecture en termes
d'alternative technico-esthétique opposée à la pauvreté et à la
médiocrité du tissu urbain (46).
2)
Le refus de l'héritage rationaliste se manifeste dans les textes
lyriques des « Maîtres » comme dans la commercialisation
bourgeoise de l'architecture, à travers la revalorisation du concept
de « monument », situé dans la « ville artefact » (47). Dans
cette tendance, se situe la recherche d'une esthétique de
l'expression — niant tout contenu idéologique — dont les racines
remontent dans le passé historique — Louis Khan — ou dans les
hypothèses sur le futur que représente l'appropriation des
techniques industrielles avancées (48).
3)
L'adoption de la culture populaire urbaine des pays industrialisés,
comme dynamique formatrice d'une nouvelle esthétique de la ville
tertiaire — position considérée comme révolutionnaire par Robert
Venturi ou Reyner Banham, face au conservatisme schématique de
l'héritage puriste (49) — où l'architecture conçue comme mass
média, ainsi que les signes commerciaux, les signes de la
circulation, etc.. établissent les termes d'une configuration
renouvelée.
4)
L'image récurrente de la ville future, depuis la « Città Nuova »
jusqu'à Archigram, où disparaissent toutes les contradictions
réelles internes — socio-économico-culturelles — grâce à la
valeur purificatrice de la technologie industrielle. Villes que seuls
les consommateurs habitent, villes du loisir où la force productive
de l'homme est prise dans un procès qui transforme en objet de
consommation tout l'environnement architectural et urbanistique (50).
Ainsi
apparaissent différents aspects d'une voie qui s'avère être une
impasse, n'intégrant pas dans ses propositions les faits réels,
actuels ou possibles, qui déterminent la transformation de la
société, et donnent ainsi une signification — ou un contenu —
aux propositions architecturales. Tandis que les architectes assument
abstraitement les termes d'Homme, d'Humanisme et d'Architecture —
abstraction vide de toute particularité sociale concrète — les
polarités extrêmes de la configuration architecturale ou
territoriale apparaissent également non susceptibles de
transcendance, face à l'unicité de l'action ou à la théorisation
impraticable : la récupération d'un « ordre » formel qui
systématiserait l'expression linguistique, héritée de la tradition
classique, et qui donnerait une signification esthétique à la
complexité de la vie sociale contemporaine (Louis Khan) ou
l'évacuation de toute référence formelle dans la recherche d'une
organisation de l'espace physico-géographique — point de départ
pour réaliser l'unité entre la culture et l'environnement (51). On
aboutit donc à la suspension du sens, qui coïncide avec la perte de
l'intentionnalité par la société bourgeoise — mort de
l'idéologie — avec une société de masse conçue comme une «
société nue », régie par un système de valeurs reposant sur la
recherche du bien-être, la sécurité et la consommation (52). Cette
soumission est pour une grande part obtenue à travers la
médiatisation des mass média, dont le contenu s'identifie avec les
termes qui caractérisent l'architecture actuelle (53). Elle est
intégrée au « système », dont les paramètres sont suffisamment
flexibles pour intégrer des orientations opposées : la définition
d'une architecture prenant son origine dans les contenus
démocratiques de la nouvelle culture « mid-cult » et intégrant
les figures de la consommation ou de l'affrontement total, ce qui en
termes d'architecture signifie la révolution par la forme, qui
libère de la répression à laquelle est quotidiennement soumis
l'individu (54). L'architecte veut ainsi avoir le rôle d'une soupape
de sûreté — c'est l'éternelle récurrence de l'alternative
proposée par Le Corbusier — sans percevoir le caractère aliénant
de son attitude — aliénation d' « ordre supérieur » — plus
subtilement absorbée par une société où chaque proposition, avant
même de se concrétiser, perd toute sa force subversive, tout son
contenu destructeur (55). Situation qui montre la fausseté des
accusations portées contre le rationalisme, au nom de la pauvreté
expressive de ses formulations plastiques, encore qu'indubitablement
imprégnées de l'esthétisme idéaliste — alors qu'elles ne
constituent qu'une schématisation qui indique la fonctionnalité
humaine et sociale et porte une charge révolutionnaire, à savoir
l'homogénéité formelle, produit de l'homogénéité sociale,
inexistante dans l'architecture actuelle. Celle-ci en effet est
surtout élaborée en termes spaciaux et formels mais s'opposant à
la systématisation et à l'interrelation de la fonctionnalité
sociale ; architecture qui est soumise aux priorités hiérarchiques
et symboliques qui n'extériorisent pas les aspirations de la
collectivité si ce n'est la façon tendancieuse (idéologique et
économique), qui convient au groupe de décision, c'est-à-dire de
la minorité au pouvoir, architecture hésitant sur les hypothèses,
réelles ou utopiques, masquées par l'idéologie bourgeoise, et
imposées aux architectes de manière autoritaire ; ces hypothèses
sont représentatives d'une conception biaisée de la praxis sociale,
praxis sur laquelle pourrait se fonder une pratique architecturale.
La
situation de crise généralisée qui apparaît à travers l'analyse
de la crise des fondements théoriques et de la réalisation pratique
de l'architecture actuelle, pourrait impliquer un certain nihilisme
pour ce qui est de la possibilité de surmonter les contradictions
existantes : une nouvelle société qui n'ose pas encore s'exprimer
en termes architecturaux ; une société en crise d'où cependant
surgissent des idées qui parviennent rarement à prendre forme. Face
à cette dualité contradictoire se situe le Tiers-monde avec une
problématique et une dynamique propres, capables de redonner vie et
de réélaborer un héritage que l'on pourrait tenir pour périmé et
n'ayant plus cours, et qui cependant garde sa possibilité de donner
une impulsion, à partir d'une reformulation où l'on inverse ses
contenus idéologiques, sociaux et culturels. Dès lors, lorsque nous
parlons du Tiers-monde, nous ne procédons pas à une classification
qui tende à le situer en marge, à l'isoler en tant que phénomène,
détaché des courants culturels nés dans les pays développés, et
qui l'ont pénétré au cours de la domination coloniale.
En
d'autres termes, nous voulons montrer que les éléments
représentatifs de la culture universelle, inhérents au niveau
d'évolution maximum du système social, peuvent être assimilés aux
différents stades de développement — par exemple, l'appropriation
de la technologie avancée (56) — par l'intermédiaire de la
communication à double sens qui se maintient entre le monde
développé et le monde sous-développé, par un rapport dialectique
constant entre idéologie et technologie. La conception
traditionnelle qui assignait un caractère indiscutable au modèle
inhérent au monde développé, et que le monde sous- développé
devait suivre strictement, est devenue caduque lorsque les
transformations révolutionnaires produisirent des modèles sociaux
et des fondements idéologiques différents qui se montrent
parfaitement actuels même au sein du monde développé, et mettent
en crise la structure des valeurs établies (57).
Il
s'ensuit que tout isolationnisme — de caractère nationaliste ou
folklorique — possède un caractère réactionnaire, qui tend à
éviter toute contamination idéologique, et qui nie l'universalité
de l'antithèse : affirmation de l'homme ou négation de l'homme,
opprimés contre oppresseurs, monde infra-humain qui veut
s'humaniser, en arrachant les privilèges à tous ceux qui prétendent
conserver à leur profit exclusif le niveau suprahumain (58).
LE
CHEMIN PARCOURU PAR CUBA
Les
transformations qui se sont produites à Cuba au cours de ces dix
dernières années ont montré la force mobilisatrice d'une action
révolutionnaire et sa capacité destructrice des valeurs
traditionnelles remplacées maintenant par d'autres entièrement
nouvelles. Ce n'est pas le lieu ici de faire une description des
conditions concrètes qui ont précédé le triomphe de la
révolution, mais il est intéressant d'en noter certains aspects qui
entretiennent une relation étroite avec la culture et
l'architecture.
La
culture coloniale hispanoaméricaine s'est maintenue en vigueur à
Cuba au cours du xrxe siècle, imprégnant de façon homogène les
diverses classes sociales et inscrivant en son sein les éléments
qui la caractérisaient, toutefois elle maintenait en marge les
traditions africaines de la communauté esclave qui se trouvait
exclue (59). Son assimilation ultérieure dans le cadre du procès de
libération du colonialisme espagnol, de même que le surgissement
d'une culture locale, forgée dans les guerres d'indépendance, se
cristalliseront dans la formation d'une culture cubaine propre, qui
s'exprimera avec plus de force dans une pensée politique, qui
contribuera à la faire survivre de façon combative face au
colonialisme espagnol du xrxe siècle et à l'impérialisme
nord-américain du xxe siècle (60).
A
partir des débuts du xxe siècle, Cuba dépendra économiquement des
Etats-Unis, et c'est alors que seront introduits les modèles
provenant du monde développé, qui remplaceront les modèles
antérieurs. La pénétration matérielle et culturelle du monde
développé dans le monde sous-développé possède un caractère
dominant, qui soumet et annule toute participation populaire réelle,
niant le maintien des traditions propres et indépendantes. Ces
dernières subsistent en fonction d'une base dualiste et antagoniste.
Dans un cas, produit du refus de la réalité environnante, la
tradition se transforme en défense et autonomie d'un groupe social
face aux autres, — la culture afro-cubaine — ou dans
l'extériorisation combative face à la pseudo-culture qui tente de
s'imposer. Dans un autre cas, elle est médiatisée par les groupes
de décision, dont les motivations sont essentiellement économiques,
c'est le cas du pseudo-folklore tropical qui s'est développé à La
Havane pour les touristes nord-américains et qui confère à la
ville une valeur exotique, qui la différencie du caractère
stéréotypé de Las Vegas ou de Miami.
La
déformation de la culture correspond à une structure sociale
précise, qui valorise le groupe détenteur du pouvoir face au reste
de la population — rurale et urbaine — prolétarisée et soumise
à une intense exploitation. C'est-à-dire que l'on donne naissance à
une société répressive où la minorité dominante réprime la
masse laborieuse avec tous les moyens dont elle dispose. En termes
culturels l'action des mass média prend une importance fondamentale
dans la constitution des modèles — homme-type, économie-type,
objet-type — qui canalisent à leur tour l'absorption des « objets
» provenant du monde industriel développé, établissent la
structure en vigueur, et qui sont déversés massivement sur la
société sous-développée. Tout ceci donne naissance au mythe de la
société d'abondance, en déformant toute culture esthétique et
formelle. D'un côté, on trouve l'anesthésie et la passivité
sociale — fondées idéologiquement de façon claire (61) — de
l'autre, la création d'un goût dirigé par autrui, fondé sur une
interprétation biaisée des éléments traditionnels, afin de
transformer au maximum l'objet en marchandise : il en est ainsi de la
fausse culture « pop » où prédomine le concept de kitch comme
expression de l'infraculture (62).
La
pression des mass média, niant toute action culturelle positive,
atteint aussi la bourgeoisie, porte-parole des principes qui émanent
de cette source de diffusion, autrement dit, des intérêts
nord-américains. Le cinéma, la télévision, la radio, la presse,
et à son échelle, l'architecture, reproduisent les modèles de
l'american way of life auxquels on aspire à tous les niveaux de la
vie sociale. La Havane reflète clairement sa fonction de centre
tertiaire, qui n'est pas un centre de production ni de consommation
de marchandises mais un centre consacré au loisir conçu à
l'échelle des Etats-Unis. Tandis qu'à l'intérieur du pays
l'environnement formel continue à être dominé par la tradition
agricole, qui correspond au manque de ressources et au manque de
services, La Havane centralise les structures commerciales et celles
du temps libre, dans des hôtels monumentaux et luxueux, dans le
style sucré de Las Vegas-Miami ; il en est encore ainsi pour les
grands supermarchés, centres de consommation, pour les hautes tours
d'habitation au centre de la ville, qui sont la matérialisation de
l'image-rêve de l'habitation bourgeoise en hauteur (63) ; pour les
grandes résidences des faubourgs luxueux, autre alternative de
l'habitation image-évasion. Se consacrant à ces thèmes, les
architectes ne conçoivent pas la société comme un ensemble
fonctionnel homogène — ce serait l'inspiration utopique qui
inciterait à la transformation — répondant ainsi à une demande
mystificatrice du contenu idéologique de l'architecture
contemporaine, qui opère des distorsions dans le vocabulaire formel
qui la fonde. Aliénation qui leur permet de manipuler les formes
architecturales, indépendamment du contenu, progressiste ou
réactionnaire, de base. A la détérioration du milieu produite par
les « objets » culturels — depuis l'équipement jusqu'aux
grossières affiches réalistes qui occupent les rues — on peut
mesurer la détérioration architecturale, conceptuelle et formelle,
c'est-à-dire donnant une image urbaine qui ne coïncide pas avec les
exigences de la communauté — et la détérioration de l'urbanisme,
produite par l'autonomie absolue de l'initiative privée.
La
révolution surgit d'une impulsion essentiellement humaine, fondée
sur l'action de l'homme, jusqu'alors soumis et tenu à l'écart, qui
se propose de détruire la réalité régnante, forgeant de ses
propres mains la nouvelle réalité (64). Cette action est le fait de
l'avant-garde révolutionnaire, qui assumant les intérêts de la
classe exploitée, — prolétariat et paysannerie —, ne lutte pas
en vue d'une récupération « humaniste », abstraite, théorique
(65), mais en vue de la destruction de la société bourgeoise,
répressive, inhumaine et aliénante, maintenant remplacée par le
pouvoir populaire, sur lequel repose la nouvelle société
socialiste, qui intègre en son sein l'individu libéré (66).
Le
réveil de la société, anesthésiée et atomisée par les
instruments de soumission idéologique, donne naissance à la
rencontre des membres de la communauté et à la polarisation autour
des idées motrices qu'engendre la finalité sociale et la nouvelle
idéologie transformatrice (67). Celles-ci ont pour objet de mettre
fin à l'assujettissement imposé par le sous-développement —
retard économique et technologique — et recherchent la
participation consciente de l'individu au procès collectif à
travers la stimulation morale née de l'intégration dialectique
entre individu et masse sociale.
Cela
constitue un processus dont la finalité est la formation d'un homme
nouveau, membre de la société communiste, processus au cours duquel
on abandonne progressivement les contradictions héritées de la
société antérieure. La configuration de la réalité prochaine
encore hypothétique se matérialise dans les méthodes mises en
oeuvre pour rendre réelle la composante utopique, conçue comme
formulation d'un modèle futur et non en termes abstraits et évasifs
(68).
La
nouvelle société repose sur la conception égalitaire des fonctions
: sur la valeur du travail de chaque individu et sur le compromis
moral qu'il assume pour jouer un rôle moteur et dynamique dans
l'effort nécessaire pour passer du règne de la nécessité à celui
de la liberté, aiguillonné par la situation de sous-développement.
Cette action revêt une nouvelle signification, en faisant du travail
un plaisir et non plus seulement un devoir, en canalisant dans le
travail les potentialités créatrices des individus, à travers sa
hiérarchie technico-scientifique, c'est-à-dire en supplantant la
simple activité physique et routinière (69). Bien que cette
situation de sur-travail exige une tension sur- humaine, qui doit
être maintenue aussi longtemps que la communauté ne dispose pas des
moyens techniques et matériels qui lui permettront de remplacer le
travail humain par des machines et une technologie avancée, le
caractère volontaire de la participation sociale n'oblige pas à une
compensation, à une désaliénation dans des activités de loisir et
de temps libre, comme cela se produit dans les pays développés
(70). La valeur de la praxis dans la constitution de la conscience,
de même qut l'interchangeabilité des fonctions communautaires —
l'intercommunication constante entre la théorie et la pratique ou
entre les activités urbaines et rurales — permettent la
disparition progressive des catégories sociales — intellectuels et
travailleurs manuels —. De plus, dans la mesure où la société
transforme les biens disponibles en services communautaires, les
différences de niveau économique sont éliminées, et ce ne sont
plus les motivations matérielles mais les motivations morales qui
régissent l'action. Ces motivations sont constituées à travers la
formation de la conscience sociale, base sur laquelle se constitue la
richesse nécessaire pour forger la société communiste (71).
Le
sous-développement est défini par les contrastes aigus existant à
tous les niveaux de la pratique sociale : la structure économique
dépendante qui ne joue pas de rôle moteur dans le développement
interne de la communauté ; la richesse accumulée dans les villes et
la pauvreté qui sévit dans les campagnes ; la constitution d'une
élite intellectuelle spécialisée et l'analphabétisme de la
majorité de la population ; la culture conçue comme le privilège
d'une minorité et la sous-culture généralisée et maintenue par
les mass média. Si toute l'énergie de la révolution se tourne vers
la restructuration de la base économique nécessaire pour obtenir un
développement interne équilibré, capable de rationaliser les
procès de production à travers la mise en oeuvre des dernières
découvertes de la science et de la technique, il est nécessaire de
créer parallèlement à la base économique une infrastructure
culturelle qui fasse disparaître les dénivellations au sein de la
société et qui développe la capacité technique nécessaire pour
faire face à la spécialisation des tâches nouvelles chaque jour
plus complexes. C'est pour cela qu'au cours de ces dix dernières
années on a porté une attention toute particulière au
développement de l'éducation, arrachant ainsi la masse de la
population, encore analphabète, aux ténèbres de l'ignorance. La
lutte pour une culture révolutionnaire, actualisée à travers le
développement des capacités rationnelles de l'individu, constitue
l'accès aux plus hautes réalisations accumulées par l'héritage
social —nié dans la société bourgeoise (72) — c'est la lutte
pour que l'individu se libère des mythes, des falsifications, des
fétiches, qui maintiennent une pseudo-culture imposée de
l'intérieur ou de l'extérieur. C'est une culture intégrée,
unifi-catrice des différents niveaux de formation des divers groupes
sociaux, qui annule de façon accélérée les contrastes entre le
groupe de décision et l'imaginaire collectif.
La
configuration d'une authentique culture populaire ne s'identifie pas
avec la vulgarisation, ni avec l'acceptation de dogmes ou de
limitations dans l'expression (73), mais au contraire repose sur la
capacité créatrice des techniciens qui doivent fixer le sens des
signes et des symboles socialement reconnus et intégrés au sein du
code existant et qui participent de la « haute » tradition
intellectuelle universelle. C'est une action qui se développe dans
deux directions : vers l'éducation massive à tous les niveaux
scolaires — commencée en 1961 avec la gigantesque mobilisation
nationale pour la campagne d'alphabétisation, l'accent étant mis
tout particulièrement sur le milieu rural, mais qui s'est poursuivie
jusqu'au niveau universitaire ; dans la diffusion constante des
expressions les plus avancées de la culture contemporaine. Pour cela
des moyens de communication massifs furent mis en oeuvre, transformés
en instruments d'éducation. Une fois disparue la structure
économique et idéologique qui filtrait à travers les messages
transmis dans la société bourgeoise, l'ensemble de ces moyens sont
utilisés pour le développement de la culture sociale ; ce sont des
instruments de formation, de libération, qui permettent d'amplifier
les nouveaux rapports communautaires avec lesquels s'identifie chaque
membre de la communauté (74).
Un
des principes fondamentaux de l'action culturelle consiste dans
l'intervention massive dans tous les domaines et dans l'homogénéité
du niveau des images émises dans les divers secteurs. Ainsi se
trouve éliminée l'alternative entre la « haute » culture et le
kitch ; entre des images dépourvues de tout sens plastique que l'on
peut voir quotidiennement et le domaine circonscrit des arts
plastiques relégué dans des musées ou des galeries ; entre des
bandes dessinées destinées aux masses et la littérature réservée
à la minorité intellectuelle ; dix années de promotion réussie de
l'environnement tendent à arracher, tout particulièrement chez les
jeunes générations, les tares et les déformations conservées dans
la société bourgeoise. La communication esthétique — forme et
contenu — se manifeste aux divers niveaux de l'assimilation
culturelle quotidienne. La présentation d'un livre ou d'un journal,
d'un film, ou le graphisme urbain, constituent des références
visuelles qui maintiennent un niveau cohérent des images, produit
d'une culture plastique intégrale. Ces images ne sont pas
circonscrites à des zones spécifiques de concentration culturelle ;
des éléments visuels identiques sont distribués de façon homogène
dans tout le pays, à la ville comme à la campagne. Le cinéma, le
graphisme, les expositions et la muséographie constituent les moyens
d'expression qui reflètent l'évolution vertigineuse du goût et de
la culture figurative cubaine.
Les
diverses tendances plastiques sont influencées par les courants
universels qui s'intègrent dans la particularité du médium et se
chargent de la signification conceptuelle qui transforme les images
en signes assimilés d'un point de vue sémantique dans l'apparence
formelle et idéologique. La vie révolutionnaire, la problématique
politique, la participation aux événements fondamentaux qui
affectent l'humanité (75) atteignent leur vigueur sociale maximale à
travers les canaux de communication qui transforment les
idées-concepts en images-symboles dont la forme plastique résume de
façon synthétique au moyen de signes articulateurs indicatifs,
l'idée totale exprimée. Une fois créé le code linguistique et ses
fondements idéologiques, le dialogue possède un niveau
d'abstraction, qui montre son maniement social, et rend inutile le
réalisme pragmatique. La communauté d'intérêts — une
intentionnalité sociale à laquelle tous participent — a créé la
base de l'imaginaire collectif que définit l'orientation des
techniques du discours (76). Les avant-gardes qui ont donné
naissance au dessin de l'environnement ont réussi à transformer le
système précédent de valeurs négatives en élaborant un cadre
esthétique accessible et compréhensible socialement.
Cela
invalide la thèse qui justifie le chaos et la laideur des villes
capitalistes comme étant une nouvelle expression esthétique
correspondant aux mass média ou au goût « mid-cult » ; ou encore,
la position opposée — soutenue dans certains pays socialistes —
qui consiste à recourir à un langage élémentaire, réaliste,
comme moyen de communication avec la masse de la population ; en
effet, celle-ci conserve de manière statique une figuration
plastique qui représente une culture esthétique aujourd'hui
révolue.
Par
ailleurs, les difficultés matérielles qui caractérisent les
premières années de tout procès révolutionnaire, se reflètent
dans la production des objets de consommation, où le soin apporté
aux aspects formels se trouvant réduit, dans la mesure où la
demande l'emporte sur l'offre, un certain primitivisme est conservé
dans le dessin des rares objets de consommation produits,
primitivisme qui a été dépassé dernièrement à travers
l'impulsion donnée au Dessin Industriel et à la production en série
de meubles, d'objets manufacturés, etc., de même que par le soin
apporté au dessin des éléments qui font partie de la sphère
collective (77).
La
tendance générale du dessin repose sur une stricte et ascétique
économie de formes et de matériaux, afin de réduire au minimum les
coûts, et dans une fonctionnalité qui nie toute référence
symbolique ou stylistique, s'opposant comme une alternative
éducative, fonctionnelle et morale (78) au prestige que conserve
encore l'objet manufacturé « artistique » ou « de style ».
L'équipement individuel ou social fait partie d'un modèle
d'environnement homogène, dont la signification prend ses racines
dans sa valeur d'usage à travers son appropriation collective par la
communauté. Avec lui a été détruit le fétichisme de l'objet et
l'identification de l'individu — unité isolée ou autonome au sein
du contexte social — avec la particularité des objets possédés
ou la différenciation en catégories qu'ils établissent dans
l'échelle du prestige social, facteurs qui jouaient un rôle
fondamental à Cuba avant la révolution, promus par l'économie de
consommation, où le mythe de l'automobile et son obsolescence
imposée fournissaient le rythme de la mise au rebut de l'équipement
qui environne l'homme. Si cette conception peut être valable dans le
monde développé — ce dont on peut douter — elle ne l'est
absolument pas dans un pays sous-développé, où l'unité sociale
qui tend à absorber les différences entre les catégories
artistiques high, middle, et low-brow (79) et le manque de moyens,
ainsi que l'effort fait pour consolider la structure économique
fondamentale, limitent la production et la consommation des objets
d'usage dans une perspective de stricte fonctionnalité.
Si
la transformation de la culture sociale, du contenu des mass média
et de la signification du design, correspondent à un procès
accéléré, qui atteint une rapide concrétisation visuelle dans un
milieu ambiant grâce à la répétition fugace des images visuelles,
avec la planification ce n'est plus la même chose, ni avec
l'urbanisme et l'architecture, qui dépendent d'une base économique
qui impose un rythme de changement plus lent et plus médité. Par
ailleurs, adopter une politique culturelle lors de changements
d'orientation successifs, qui tiennent compte des expériences faites
et des erreurs commises, l'incidence des éléments préexistants
étant relativement réduite, semble plus facile que de modifier une
perspective de développement de l'organisation du territoire, dont
les méthodes appliquées à la construction ou à l'établissement
d'une typologie, se réfère à une autre thématique architecturale.
Si
l'on se réfère plus particulièrement à la planification, on peut
affirmer qu'avant la révolution il n'existait pas de conception
globale du territoire. Celui-ci était fragmenté et divisé par la
propriété privée, traversé par des voies et des chemins de fer
librement tracés par l'initiative privée, qui ne participaient pas
d'un plan d'ensemble. Les grands latifundia de bétail et de canne
constituaient les seules surfaces organisées de façon
scientifiquement fonctionnelle, les zones productives fournissant les
centrales sucrières, et formaient des unités closes dans leur
propre cycle productif ; unités ayant surgi indépendamment des
conditions physiques ou des particularités régionales et qui par
conséquent détruisaient la physionomie géographique originaire,
imposant la culture extensive de la canne à sucre. Villes et
villages se développaient sans contrôle aucun, occupant le
territoire rural, par une croissance continuelle et désorganisée de
la périphérie. La Havane constituait un phénomène complètement
autonome, en raison de la disproportion de son développement par
rapport aux conditions réelles du pays, en raison aussi du niveau de
vie et des services en contradiction avec l'aspect primitif de la vie
rurale, enfin parce que sa fonction tertiaire était à l'échelle du
monde extérieur, et qu'elle jouait le rôle de centre de jeu et de
loisir pour les touristes nord-américains.
La
disponibilité presque complète du territoire urbain et rural donnée
par les lois révolutionnaires, constitue la base essentielle pour
aboutir à une planification intégrale. Des initiatives partielles
se concrétisent immédiatement et soulagent les tensions existant à
la campagne comme à la ville : suppression des quartiers insalubres,
construction d'habitations et de petits ensembles pour les paysans,
création de nouveaux « standards » typologiques qui remplacent
ceux qui étaient en vigueur dans les demeures bourgeoises, produit
de la spéculation. Il est évident que les moyens dont on dispose ne
permettent pas de changer la physionomie des villes telle qu'elle a
été héritée du régime précédent, ni de créer le nouveau
profil que permettrait, selon Kevin Lynch, la référence urbaine
communautaire. Cependant, la persistance de la forme ne coïncide pas
avec la persistance des fonctions, le changement de contenu de
celles-ci donne une valeur nouvelle aux formes préexistantes. Un des
premiers objectifs consiste à supprimer à La Havane la double
structure antérieure — ville bourgeoise et ville prolétaire — à
travers l'intégration de nouveaux ensembles dans les zones
résidentielles et en logeant dans les habitations abandonnées par
la bourgeoisie des étudiants boursiers, éliminant ainsi le
caractère « exclusif » que conservaient encore les quartiers «
luxueux » de la ville. D'un autre côté, le centre commercial perd
de sa vigueur, complété qu'il est par deux nouveaux pôles
d'attraction : le centre de la vie politique et de la communauté
(80). De même l'intensité de l'usage des services vient à changer
: l'exclusivité qu'avait la bourgeoisie des structures du Temps
Libre disparaît, les services étant maintenant utilisés par toute
la population urbaine.
Aux
initiatives partielles qui ont été menées à bien à La Havane, il
faut ajouter celles qui ont été prises à la campagne. Depuis le
début, le paysan, à cause de sa signification dans le procès
révolutionnaire, sera l'objet de toute l'attention de la révolution
: distribution d'habitations isolées, qui laissent intacts les
schémas traditionnels qui correspondent aux aspirations matérielles
des paysans, reposant sur des hypothèses individualistes, valables
dans un système capitaliste mais caduques dans un système
socialiste. Cette réponse immédiate était en partie le produit de
l'accélération du procès révolutionnaire et des promesses qui
avaient été faites avant le triomphe de la rébellion (81).
L'absence
d'une perspective dans le développement agricole jouait son rôle
dans la mesure où tous les efforts portaient sur la constitution
d'une base industrielle qui devrait permettre de sortir le plus
rapidement possible de la situation de sous-développement. Mais le
développement économique interne, ainsi que les relations
extérieures — l'intégration de Cuba dans le système économique
des pays socialistes — montrèrent que les schémas théoriques ne
pouvaient s'appliquer directement sans une étroite vérification de
ce qu'était la réalité concrète. Le dépassement du
sous-développement ne constituait pas un problème portant sur la
contradiction entre agriculture et industrie, mais sur un processus
dialectique entre les deux, où l'agriculture, source de richesse
fondamentale dans l'économie cubaine, en s'industrialisant, se
transformerait en une activité hautement technique, détruisant
l'opposition traditionnelle entre industrie et agriculture, de même
que, par ailleurs, la réorganisation du territoire devrait éliminer
la contradiction traditionnelle entre ville et campagne.
L'atomisation
du territoire en petites cellules agricoles, telle qu'elle avait été
réalisée au début, fut remplacée par une conception globale de
l'île, restructurant les fonctions territoriales sur la base de la
spécialisation de la production et de la technicité croissante des
opérations. On assiste alors à une restructuration totale du cadre
agricole, à laquelle participent des architectes pourvus de
responsabilités fondamentales, qui dépassaient les limitations qui
donnent traditionnellement à la profession une primauté urbaine
(82). La planification ne correspond pas uniquement à l'organisation
des fonctions, mais aussi en partie aux motivations et aux prémisses
imposées par la recherche d'une nature humanisée et rendue
esthétique, expression de la nouvelle échelle de la dynamique
sociale qui s'exerce sur le territoire, à laquelle correspond une
nouvelle dimension dans la perception du paysage (83). L'agriculture
et l'élevage intensifs imposent l'établissement d'industries de
transformation situées à la campagne, qui constituent des pôles
d'attraction, autour desquels naissent les centres de services et les
centres d'habitat collectif, l'alternative de l'habitation
individuelle librement éparpillée ayant été éliminée. Mais on
ne peut pas considérer ces pôles comme se suffisant à eux-mêmes,
il faut les intégrer dans un « système » d'urbanisation de la
campagne, où les villes traditionnelles continuent encore à
conserver leur importance comme lieux où la concentration des
services est maxima. La communication capillaire entre tous les
centres se résoud au moyen d'un système de routes ultrarapides, —
dont les projets existent, certains étant déjà en voie de
réalisation — leur tracé correspond aux nécessités économiques
et aux besoins de mobilité sociale qui détruit l'autonomie
fonctionnelle des communautés isolées, en les intégrant dans une
dynamique sociale unificatrice. Lors d'un mouvement de
transformations radicales comme il s'en produit actuellement à Cuba,
la population assume un ensemble de responsabilités qui l'obligent à
de nombreux déplacements à travers le territoire. Par ailleurs les
différences entre travailleur urbain et rural tendent à disparaître
; d'abord toute la population participe aux travaux agricoles, et
tout particulièrement les nouvelles générations, ensuite,
l'installation dans les nouveaux centres ruraux d'ensembles scolaires
intègrent en leur sein les activités d'enseignement et de
production, sans que l'extension de la décentralisation affecte le
niveau technique de l'enseignement, qui est rendu homogène au niveau
national grâce aux mass média — cinéma, radio, télévision,
etc..
Une
autre caractéristique de la restructuration du territoire, c'est
l'organisation du Temps Libre, qui alterne avec les structures de
production : les rapports actifs et contemplatifs entretenus avec la
Nature deviennent ainsi simultanés (84). A La Havane est en train de
se matérialiser un ambitieux plan d'intégration entre la ville et
la campagne environnante, à partir des prémisses que nous venons
d'énumérer. Les parcelles individuelles ou les terrains
improductifs ont été remplacés par une surface productive
homogène, et par les nouvelles zones de distraction (bois, lacs
artificiels, jardin zoologique et botanique, etc..) qui donnent à la
ville une nouvelle dimension territoriale : un sens communautaire
avec la participation sociale au travail agricole et un équipement
fonctionnel diversifié pour le loisir de la population. Le kitsch
des grands hôtels (centres traditionnels de distraction) a été
remplacé par la nature humanisée et conditionnée par les nouvelles
exigences esthétiques et fonctionnelles de la communauté.
En
résumé, la planification territoriale constitue actuellement la
grande action qui catalyse la révolution, intégrant dans une
synthèse homogène tous les niveaux de la praxis sociale : les
niveaux esthétique, économique, culturel, etc.. La transformation
du mode de vie se réalise en rapport avec la nouvelle structure des
forces productives dont l'objectif, en plus du fait d'obtenir le
maximum de rendement et de rationalisation économique du territoire,
consiste à réussir l'intégration et l'unification sociale,
éliminant toute indépendance de l'individu hors de la communauté,
ainsi que toute différenciation hiérarchique du travail. En partant
de ces concepts, l'alternative entre travail -urbain et travail
rural, entre travail manuel et intellectuel, établit une
interpénétration des fonctions, et l'identité nationale de la
communauté, véritable base d'un urbanisme et d'une architecture «
révolutionnaires », qui ne se sont pas encore matérialisées, mais
qui peuvent naître à partir des principaux postulats issus de
l'unité socio-économico-culturelle. En ce sens la vision
esthético-productive intégrale du territoire coïncide avec
l'utilisation accrue des techniques dans l'activité agricole, —
qui délivrent l'homme de son assujettissement physique à la terre —
et la décentralisation des centres universitaires (85) par laquelle
on voudrait aboutir à la fusion entre la haute culture et les
activités productrices. Culture, technique et société homogène
constituent les éléments fondamentaux pour réussir à dépasser le
sous-développement et l'héritage traditionnel sous forme de vieux
schémas et de formes du passé, c'est-à-dire l'essence génératrice
du procès qui dessine l'environnement physique.
De
sorte que les principes dont il vient d'être question demeurent
encore théoriques — ce sont des formulations utopiques qui
correspondent à la réalité prochaine — toute l'action
transformatrice de l'environnement est orientée dans ce sens, le
maximum d'effort se trouvant actuellement concentré sur les
structures productives. Entre la théorie et la pratique il n'y a pas
d'inconnue qui invalide les formulations utopiques postulées dans
les pays capitalistes : à savoir la façon de résoudre les
contradictions sociales, qui permette à la société dans son
ensemble de se diriger en fonction d'une hypothèse établie, sans
interférences, pour restaurer et transformer un environnement dont
la détérioration physique se poursuit depuis deux siècles.
Nous
pouvons affirmer que les points extrêmes du dessin-projet — du
dessin-projet industriel et de la planification — ne sont pas
séparés dans les fondements méthodologiques et les perspectives
établies. L'organisation générale et la planification ne possèdent
que de rares antécédents qui puissent agir comme freins à l'égard
des innovations ; tous deux reposent sur des conditions matérielles
ou culturelles nouvelles, qui exigent des réponses révolutionnaires,
d'un point de vue formel et conceptuel.
Dans
l'architecture, au contraire, nous nous trouvons à mi-chemin ; des
facteurs intermédiaires agissent en son sein — hypothèses
culturelles, moyens disponibles, traditions dans la construction —
qui limitent le processus de transformation, le passage d'une
conception traditionnelle à des propositions révolutionnaires, qui
correspondent aux nouvelles structures de base. En premier lieu la
persistance des traditions aussi bien dans le domaine professionnel
comme dans la situation sociale joue un rôle important. Parler
d'architecture à Cuba, avant la révolution, cela signifiait se
référer à un nombre réduit d'oeuvres — bureaux, habitations de
luxe, appartements — concentrées dans la ville de La Havane. Dans
le reste du pays, les oeuvres correspondaient à une action de
construction non transcendante : de même, le thème du contenu
social en était absent. En conséquence de quoi, l'architecture
contemporaine se matérialisait du seul point de vue du style, car il
manquait une base conceptuelle qui puisse valider un langage formel
et spatial. C'est tellement vrai que dès que l'on définit le
caractère socialiste de la révolution, presque tous les architectes
liés aux mouvements d'ayant-garde quittent le pays, contredisant les
postulats idéologiques qui leur auraient en fin de compte permis de
produire concrètement une architecture d'avant-garde en accord avec
un contenu social. En résumé, l'architecture de La Havane
constituait le type même du produit-marchandise, qui trouvait son
fondement dans le mandat social de la bourgeoisie, pour qui les
valeurs esthétiques donnaient une signification sociale ou une
sacralisation de l'objet, qui devait le différencier des
constructions amorphes qui l'entouraient. La valeur symbolique de La
Havane, le prestige de la ville-capitale, conservé au cours des
premières années, justifieront les prémisses originales de la
construction de deux ensembles importants où furent essayées
certaines formules esthético-conceptuelles. Dans un cas — l'unité
proche de La Havane de l'Est, conçu pour 10.000 habitants — il
s'est agi d'opposer au chaos urbanistique de la ville bourgeoise,
l'ordre et la structure équilibrée de l'hypothétique ville
socialiste, en appliquant les principes essentiels de l'urbanisme
contemporain. Dans l'autre — les Ecoles Nationales d'Art — la
recherche, caractérisée par des contraintes matérielles
considérables — l'emploi de la brique dû au manque d'acier et de
ciment — fut orientée vers la rupture avec les composantes
rationnelles qui prédominaient à Cuba et la récupération d'une
structure urbaine où puissent s'exprimer quelques composantes de la
culture cubaine laissée en marge par la pénétration culturelle
nord-américaine : par exemple, la tradition noire, l'intégration du
facteur climatique et écologique ayant aussi une valeur essentielle
; ou le rapport entre architecture et nature. Oeuvres où a prédominé
une intention d'ordre linguistique, y compris la symbolisation
formelle, transcendant la simple fonctionnalité en vue d'aboutir à
une signification qui pourrait s'identifier avec les contenus
révolutionnaires. Ces expériences ne furent pas poursuivies, la
révolution cubaine prenant soin de ne pas répéter les erreurs
commises dans la recherche d'une symbolisation formelle des contenus
idéologiques, et qui sont visibles dans le Tiers-monde ou dans
certains pays socialistes européens. En postulant la primauté de la
fonction sans forme sur la forme-symbole, on essaie d'exprimer
l'existence d'une réalité concrète par rapport à laquelle doivent
se situer les formes architecturales. En faisant prévaloir le
concept d'une trame-structure de base — une architecture conçue
comme mass média — face à l'individualisation monumentale de la
fonction, apparaissent divers aspects définis par la pratique
architecturale, niveau spécifique de la praxis sociale : la
disponibilité limitée des moyens humains techniquement aptes, ce
qui oblige à une simplification des procédés de construction et de
dessin ; la rareté des moyens matériels et l'adaptabilité des
schémas typologiques définis à des systèmes de construction
divers ; la réponse à des problèmes différents, nouveaux dans le
domaine rural ; l'homogénéité des fonctions qui se caractérisent
par la notion d'architecture-service, s'opposant à celle
d'architecture-produit ; l'assimilation culturelle des signes
architecturaux, qui revêtent la valeur d'indicateurs, de propulseurs
de la fonction, quasiment inexistante, dans le milieu où s'intègre
l'oeuvre.
En
d'autres termes, l'abandon de la symbolisation monumentale coïncide
avec la substitution du milieu urbain par le milieu rural et par la
suppression de l'écart qui existe entre ces deux cultures
architecturales. A partir de là, la signification symbolique de la
fonction, exprimée dans l'acte même de sa réalisation — dans la
structure minimum indispensable à sa réalisation — implique le
passage de la non-fonction à la fonction sociale, c'est-à-dire, le
passage de l'infra-culture à la culture sociale ; l'architecture
apparaît alors comme le résultat d'une réponse
technico-fonctionnelle, indicative, indication typologique
schématique de la fonction spécifique, qui peut pour la première
fois entrer en vigueur dans le cadre rural.
La
faible influence des traditions locales, comme le lent dépassement
des schémas typiques de l'organisation sociale, libèrent
l'architecture de ses références limitatives, qui inhibent la
créativité à l'échelle de l'urbanisme. Cependant, le
développement technologique n'a pas encore permis la matérialisation
des nouveaux concepts fondamentaux, qu'il est impossible de réaliser
avec les moyens techniques traditionnels. Il s'ensuit que tout
l'effort actuel se trouve centré sur la formation de cadres
connaissant la technologie la plus avancée — dans le domaine des
projets comme dans celui de la construction — appliquée dans des
systèmes ouverts, dont la souplesse permette la concrétisation par
étapes des projets prospectifs, tout en conservant l'étroite unité
des ensembles et sans tomber dans une figuration technocratique
aliénante qui annule la symbolisation communicative de la vie
sociale. Dans la mesure où la société, au cours de son
développement, va vers des transformations radicales nécessaires
pour se libérer des entraves du passé et des schémas caducs, dans
la mesure aussi où la vie collective domine sur la vie individuelle,
l'architecture pourra apporter sa réponse grâce aux nouveaux
condensateurs de la vie sociale, dont les formes surgiront des
composantes fonctionnelles renouvelées, où les figurations
symboliques ou monumentales, gratuites ou autonomes, passeront au
second plan.
L'héritage
historique reçu montre l'unité indissoluble entre les nouvelles
conditions d'existence et une architecture révolutionnaire, qui le
soit, non seulement d'un point de vue formel, mais encore parce
qu'elle imprime sa forme à l'espace existentiel de la vie sociale.
Seul le développement unitaire de la communauté peut déterminer le
domaine homogène, où les signes architecturaux répondront à la
complexité sémiotique de la culture interdisciplinaire reposant sur
des fondements scientifiques et sur la dynamique sociale
révolutionnaire.
Les
aspirations d'Hannes Meyer (86), voulant aboutir à une architecture
créée à partir de la souplesse révolutionnaire et d'une
objectivité scientifique, cadre de l'homme nouveau, doivent encore
se concrétiser. Le Tiers-monde est capable de montrer que
l'affirmation de l'homme à travers le travail créateur
révolutionnaire peut donner une nouvelle signification à
l'environnement constitué de façon homogène à partir du concept
renouvelé d'intégration sociale et d'assimilation de la pratique
technique et esthétique aux conditions objectives de la praxis
sociale. Elle perd de la sorte tous les attributs aliénants;
pseudo-symboliques, sacralisants, qui caractérisent l'architecture
actuelle, faussement « humanisée » et s'opposant au contenu
authentique produit par l'activité sociale révolutionnaire. En se
fondant sur ces principes, l'homme nouveau qui tente de forger une
société où la participation globale déracine toute action
agressive, peut engendrer une architecture révolutionnaire. Il doit
pour cela, déterminer l'orientation dialectique du développement
souhaité, en engendrant les contenants spaciaux représentatifs et
déterminants de la vie fonctionnelle de la communauté à partir du
contenu social.
La
Havane
juillet
1969
Traduit
de l'espagnol par Nello Zagnoli.
NOTES
(1)
Il n'existe pas actuellement de terminologie adéquate, relevant
d'une interprétation marxiste, du « niveau architectonique ».
C'est pourquoi, lorsque nous utilisons le terme de « pratique
architecturale », nous nous référons à une classification
élaborée par Hubert Tonka, Jean-Paul Jungman et Jean Aubert qui
analysent la situation de l'architecture dans le monde développé,
et tout particulièrement en France (L'Architecture d'aujourd'hui, n°
139, septembre 1968, p. 81 : « L'architecture comme problème
théorique »). Les auteurs ont mis au point une terminologie
permettant de classer les différents niveaux (activité
architectonique, pratique architectonique et pratique architecturale)
et qui correspond aux conditions de la société bourgeoise. Elle ne
peut donc être directement transposée dans une société
socialiste. Nous nous servons de ce terme, dont nous acceptons la
valeur globale, la portée générale, tout en étant conscients
qu'il est nécessaire de clarifier les divers facteurs qui composent
la « pratique architecturale ».
(2)
Il existe actuellement une tendance à remplacer le terme d' «
architecture », dont la portée est limitée, par celui plus large
de « composition de l'environnement», qui a l'avantage d'intégrer
les divers niveaux auxquels on opère, depuis le dessin industriel
jusqu'à la planification territoriale.
(3)
C'est le principe d'une essence de l'homme comme attribut d' «
individus pris isolément * (Althusser) sans pour autant nier
l'existence de principes qui extériorisent la particularité de
l'homme : le travail, son être social, son être historique
(Garaudy).
(4)
Geoffrey Scott, The architecture of Humanism. Londres, Doubleday &
Co. N.T., p. 159 :
«
Nous transcrivons l'architecture en des termes qui nous sont propres.
C'est cela l'humanisme en architecture. C'est la tendance à projeter
l'image de nos fonctions dans des formes concrètes. C'est là la
base de l'architecture ou du dessin créateur».
(5)
Nous faisons allusion au fait que les valeurs humaines sont
soulignées dans l'architecture, et non à la signification
historique « de l'architecture de l'humanisme » qui correspond à
la Renaissance florentine. Cf. Rudolf Wittkower, La arquitectura en
la edad deî Humanismo, Edit. Nueva Vision, Bs. As. 1958.
(6)
Matthew Nowicki, « Function and Form », dans Roots of Contemporary
American Architecture, Recueil de Lewis Mumford, Reinhold, N.Y. 1952,
p. 404. « L'humanisme peut être tenu pour le principe fondamental
du nouveau mouvement, contrairement à ce qu'indique son titre
officiel de fonctionnalisme ».
(7)
La possibilité de faire appel au contenu « humaniste » de
l'architecture à partir des positions les plus diverses a été très
bien montrée dans une série d'articles sur « Architecture et
Humanisme » parus dans Architecture Formes-Fonctions, n° 14,
1967-68, Lausanne, et écrits par des architectes et des critiques
appartenant à des pays capitalistes et socialistes.
(8)
Louis Althusser, Pour Marx, Paris 1965, François Maspero, p. 246 : «
Mais il pourrait être également dangereux d'user sans
discrimination ni réserves, comme si c'était un concept théorique,
d'un concept idéologique comme l'humanisme, chargé, quoi qu'on
fasse, des associations de l'inconscient idéologique, et qui recoupe
trop aisément les thèmes d'inspiration petite bourgeoise ».
(9)
Georg Lukacs, Histoire et conscience de classe, Paris, 1960, Ed. de
Minuit, p. 41 : « ... parce que, dans les conditions de vie du
prolétariat, sont résumées dans leur paroxysme le plus inhumain,
toutes les conditions de vie de la société actuelle ; parce qu'en
lui, l'homme s'est perdu lui-même, mais en même temps, a non
seulement acquis la conscience théorique de cette perte mais a été
contraint immédiatement, par la misère qui ne peut plus être
rejetée ni embellie, et qui est devenue absolument impérieuse —
expression pratique de la nécessité — à la
[défaut d'impression]
(10)
Adam Schaff, La fïlosofia del hombre, Editions Lautaro, 1964, Bs.
As., p. 166 : « La quintessence du socialisme scientifique réside
dans son humanisme, et la quintessence de cet humanisme, c'est sa
conception du bonheur individuel ». Il y a dans cette affirmation
une ambiguïté qui la rapproche des postulats moteurs de la société
capitaliste de consommation.
(11)
Louis Althusser, op. cit p. 227 : « De fait, la lutte
révolutionnaire eut toujours pour objectif la fin de l'exploitation
et donc la libération de l'homme ».
(12)
Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Petite collection Maspero,
Paris, 1969, p. 54 : « Monde sous-développé, monde de misère et
inhumain. Mais aussi monde sans médecins, sans ingénieurs, sans
administrateurs. Face à ce monde, les nations européennes se
vautrent dans l'opulence la plus ostentatoire. Cette opulence
européenne est littéralement scandaleuse car elle a été bâtie
sur le dos des esclaves, elle s'est nourrie du sang des esclaves,
elle vient en droite ligne du sol et du sous-sol de ce monde sous-
développé ».
(13)
Herbert Marcuse et autres, La sociedad industrial contemporanea, Ed.
Siglo XXI., Mexico, 1967. « Libertad y agresion en la sociedad
tecnologica », p. 55. Nous n'entendons pas nier par là l'existence
de l'agressivité au sein de la société socialiste, en particulier
au cours de la période de transition entre les vieilles et les
nouvelles structures. Les déboîtements structurels produits par le
changement, en particulier dans le domaine social et dans le domaine
de la production, déterminent des carences matérielles et des
frictions sociales qui engendrent l'agressivité. Mais celle-ci n'a
pas les mêmes caractéristiques que l'agressivité dans la société
« technologique » néo-capitaliste : tandis que cette dernière
tend à devenir plus aiguë avec l'accroissement des contradictions,
l'équilibre lentement atteint dans la société socialiste tend à
éliminer cette agressivité.
(14)
André G. Frank, « Sociologïa del desarrollo y subdesarollo de la
sociologïa ». Pensamiento critico, n° 22, La Havane, 1968, p. 192.
C'est là la thèse que soutiennent certains économistes et
sociologues, qui estiment que le sous-développement peut être
dépassé grâce à la promotion strictement économique, intégrée
dans le cadre fixé par les pays développés.
(15)
Nous nous référons aux pays du Tiers-.monde où s'est produit une
révolution qui a débouché sur une structure politique socialiste.
L'Algérie constituerait une exception, dans la mesure où elle n'a
pas conduit ce mouvement tout à fait à son terme.
(16)
Georg Lukacs, op. cit. p. 106 : « La lutte pour cette société,
dont .aussi la dictature du prolétariat n'est qu'une simple phase,
n'est pas seulement une lutte contre l'ennemi extérieur, la
bourgeoisie, mais elle est en même temps une lutte du prolétariat
contre lui-même : contre les effets dévastateurs et dégradants du
système capitaliste sur la conscience de classe ».
(17)
Il est impossible de généraliser pour ce qui est d'une orientation
unitaire de la culture du Tiers-monde « libéré ». Chaque pays
possède ses caractéristiques propres en rapport avec le procès de
développement inégal, et selon qu'il s'agit de pays encore
dépendants ou qui sont en voie de libération. C'est pour cela que
les affirmations générales que l'on trouvera dans le présent essai
seront faites à partir de l'analyse spécifique de l'expérience
cubaine, c'est-à-dire d'un pays libéré, en voie de développement
et qui participe aux traditions culturelles de l'Occident.
(18)
C'est un phénomène caractéristique de l'Amérique latine, où les
coups d'état militaires prétendent s'institutionaliser comme
expression d'un procès révolutionnaire, ce qui est complètement
faux, étant donné qu'ils ne partent pas d'une action populaire, et
ne transforment pas la structure économique et sociale régnante. On
trouve un exemple caractéristique de ce phénomène dans la
terminologie des militaires argentins : Révolution libératrice,
Révolution argentine, etc..
(19)
Emil Kauffmann, « Three revolutionary archïtects », Transactions
of the American Philoéophical Society, 1952, vol. 42, 3e partie.
Nous ne faisons aucune référence à l'Angleterre étant donné que
la prise du pouvoir par la Bourgeoisie au xvne siècle n'offre pas de
correspondance architecturale représentative du nouveau contenu
idéologique, ni une image urbaine qui exprime en termes fonctionnels
ou formels la nouvelle société. Le goût bourgeois s'identifiera
avec le goût artistique dont le ton sera donné par la pratique
constructive urbaine.
(20)
Manfredo Tafuri, « Simbolo e ideologia nell ' architettura dell '
Illuminismo ». Comunità 124/125, Nov.-Déc. 1964, p. 76.
(21)
Giulio Carlo Argan, El concepto del espacio arquitectonico desde el
Barroco a nuestros dias, Ed. Nueva Vision, Bs. As., 1966, p. 139. Le
même concept d' « ordre social » se trouve exprimé dans le traité
de Ledoux : « L'architecture considérée sous le rapport de l'Art,
des Moeurs et de la Législation ». Cf. Marcel Raval et J.-Ch.
Mareux : C.N. Ledoux, 1756-1806, Arts et Métiers Graphiques, Paris,
1945.
(22)
L'hypothèse de l'inspiration puisée dans les habitations paysannes,
qui aurait motivé le langage élémentaire, ou celui de la « marque
de la technique » dans le traitement industriel, paraît hasardeuse
parce qu'elle projette sur une autre époque notre propre
problématique, qui s'oppose aux projets de Ledoux, qui consistaient
dans la simplification des formes classiques afin d'aboutir à une
référence symbolique et visuelle immédiate, perçue comme une
unité monumentale et constituée d'éléments indépendants. Cf.
Helen Rosenau, Boullée's Treatise on Architecture, Alec Tiranti,
Londres, 1953, et Enzio Bonfanti, « Emblemàtica délia teenica »,
Edilizia Moderna, n° 86, p. 14.
(23)
Françoise Choay, « Sémiologie et Urbanisme », L'Architecture
d'Aujourd'hui, n° 132, Juin-Juillet 1967, p. 136.
(24)
Georg Lukacs, Estética, la peculiaridad de la estético, Tome IV,
Ed. Grijalbo, Barcelone, 1967, p. 136.
(25)
Renato de Fusco, L'idea di architettura, Storia délia critica da
Viollet-le-Duc a Persico, Ed. Comunità, Milan, 1964, p. 205.
(26)
Les premiers tâtonnements se manifestèrent par l'abandon des arcs
et colonnes dans les édifices, mais en conservant encore les volumes
et la composition traditionnels. Puis on vit les modèles
occidentaux, depuis Mies van des Rohe jusqu'à Niemeyer, ainsi qu'une
plus grande souplesse dans les éléments préfabriqués. Néanmoins,
la transformation de la « pièce » architecturale autonome pour en
faire une composante d'une nouvelle structure urbaine dynamique, ne
se manifeste encore que sous forme de proposition théorique sans
dépasser les formulations des années trente. On peut citer les
expériences d'Oskar Hansen en Pologne — le grand ensemble de
Lublin — ; le projet pour la nouvelle ville d'Etarea en
Tchécoslovaquie ; l'organisation urbaine proposée en U.R.S.S. —
(NER) nouvelle unité d'établissement urbain — par un groupe de
jeunes architectes de Moscou, ou les projets de l'équipe
interdisciplinaire dirigée par l'architecte André Meyerson, dont
les résultats concrets n'ont pas égalé les prémisses. Néanmoins
les symboles monumentaux demeurent présents en U.R.S.S. — sauf
pour l'ensemble de l'avenue Kalinine à Moscou — comme on peut s'en
apercevoir dans le livre récent : V.A. Shkvaricov, N.Ia. Kolli, V.A.
Lavrov, M.O. Xauke, L.N. Kulaga, O.V. Smirnov, E.B. Sokolov, I.N.
Maguidin, Construcciones urbanas en la V.B.8.S., 1917-1967. Editorial
de littérature sur la construction, Moscou. 1967. Voir aussi Anatole
Kopp, Ville et Révolution, Editions Anthropos, Paris, 1967, et A.
Buburov, G. Djumenton, A. Gutnov, S. Kharitonova, I. Lezaya, S.
Sadovskij, Idée per la città comunista, Il Saggiatore, Milan, 1968.
(27)
Anatole Kopp, op. cit. p. 258. Lettre de Guinzbourg à Le Corbusier :
« ...Mais nous, en U.R.S.S., nous devons quoi qu'il en coûte faire
accéder à la culture toute notre population et pas seulement les
citadins... Et pour cela, il faut créer des conditions nouvelles,
socialistes, un nouveau mode d'aménagement du territoire sur la base
de l'élimination des disparités entre la ville et la campagne ».
(28)
Léon Trotsky, Letteratura, Arte, Libertà, Ed. Schwarz, Milan, 1958,
p. 103 : « L'homme se chargera de la restructuration des monts et
des fleuves, et il corrigera continuellement la nature. La terre sera
transformée à son image, ou du moins à son goût... L'homme
socialiste dominera la nature dans toute son étendue... L'homme
nouveau qui seulement maintenant commence à apparaître et à
prendre conscience de lui-même ». Voir aussi Vittorio Gregotti «
Survival and Growth », Marcatrê 37-40 Lerici, Milan, Mai 1968, p.
43 : « Je crois que cette essence constitue à proprement parler la
notion de milieu physique pour l'habitat comme pour l'existence de
l'homme sur terre, et que la spécificité de l'architecture consiste
précisément dans la construction de ce milieu ».
(29)
Augusto Perilli, « Poetiche del planning contemporaneo ».
Casabeïla-continuità, n° 292, p. 41.
(30)
L'importance attribuée à la technique correspond à
l'identification de l'architecture avec la science, en d'autres
termes il s'agit, au sein d'une conception marxiste de ce niveau de
la pratique spécifiquement artistique, de réduire au minimum les
éléments subjectifs et intuitifs, tout particulièrement par
rapport au procès de production industrielle. On trouve une claire
synthèse de cette conception dans les 13 principes de l'architecture
marxiste énoncés par Hannes Meyer. Cf. Claude Schnaidt, Hannes
Meyer, Buildings, Projects and Writings, A. Nigli, Teufen, 1965.
(31)
K. Zelinskij, « Ideologia e compiti dell' architettura sovietica»,
Rassegna Sovietica, n° 1, Rome, 1964, p. 64 : « Un édifice peut-il
exprimer la conception du monde du prolétariat ? Le pro- létariat
peut seulement indiquer à l'architecture un objectif de caractère
général, que l'architecture réalisera sur le plan de sa logique
technique, c'est-à-dire en adaptant cet objectif aux lois et aux
particularités de la construction ».
(32)
Christian Norberg-Schultz, Intenzioni in architettura, Ed. Lerici,
Milan, 1967, p. 162.
(33)
Isaac Deutscher, La Révolution inachevée 1917-1967, Robert Laffont,
Paris, 1967, p. 60 : « Le marxisme en effet, considère
l'épanouissement du caractère « social » du mode de production
comme la condition historique essentielle de l'avènement du
socialisme. Sans cette condition, le socialisme ne peut être qu'un
château en Espagne. Tenter d'imposer un contrôle social à un mode
de production qui n'est pas intrinsèquement social est aussi
incongru et anachronique que de maintenir un contrôle privé et
compartimenté sur un mode de production déjà socialisé. En
Russie, cette condition préalable à l'avènement du socialisme
n'existait pas, et elle ne peut d'ailleurs exister dans aucun pays
sous-développé. L'agriculture dont vivaient les trois quarts de la
population comprenait 23 à 24 millions de minuscules exploitations
soumises aux fluctuations imprévues du marché. L'industrie d'Etat
ne constituait qu'une petite enclave dans cette économie primitive
et anarchique ».
(34)
Ce qui s'est produit en U.R.S.S. et les contradictions du monde
capitaliste montrent l'impossibilité d'éviter le compromis
politique et idéologique, comme cela s'est aussi produit dans
certaines expériences concrètes dans le Tiers-monde. C'est pour
cela que nous ne suivons pas de Fusco lorsqu'il soutient qu' «
aujourd'hui il est probable que de nouvelles utopies, de nouvelles
indications idéologiques qui dépassent les schémas des
institutions périmées et sclérosées, puissent naître plus
facilement dans le monde de la culture que dans celui de la politique
active. De là la raison d'être d'une culture autonome
phénoménologique, ou mieux, sans adjectifs ». Cf. Renato de Fusco,
Architettura corne mass média. Note per una semiologia
architettonica, Dedalo Libri, Bari, 1967, p. 37.
(35)
Anatole Kopp, op. cit. p. 265. Décision du Comité Central du Parti
Communiste Bolchevik, Pravda, 29 Mai 1930 : « Le Comité Central
note que parallèlement au mouvement pour un mode de vie socialiste,
des tentatives extrémistes, non fondées et semi-fantastiques, et
par là même extrêmement nuisibles, sont faites par certains
camarades (Sabsovitch, Larine et d'autres) dans le but de franchir «
d'un seul bond» les obstacles rencontrés sur le chemin de la
transformation socialiste du mode de vie ; obstacles qui ont leurs
racines, d'une part dans l'arriération économique et culturelle du
pays, et d'autre part, dans la nécessité, à l'étape actuelle, de
consacrer l'essentiel des ressources à l'industrialisation accélérée
du pays qui seule créera les bases nécessaires à une
transformation radicale du mode de vie ».
(36)
V.I. Lénine, Sur la littérature et l'art, textes choisis, Ed.
Sociales, Paris, 1957, p. 167.
(37)
Antonio Gramsci, Literatura y vida nacional, Ed. Lautaro, Bs. As.,
1961, p. 49 : « ... dans une civilisation qui connaît un
développement rapide, où le « panorama urbain » doit être très
« élastique », ne peut pas surgir un grand art architectural, car
il est difficile de concevoir des édifices construits pour l' «
éternité ». Selon moi, un grand art architectural ne peut
apparaître qu'après une étape transitoire de caractère «
pratique » où l'on essaiera seulement de satisfaire au maximum les
besoins élémentaires de la population de la façon la meilleure...
».
(38)
Cf. Casabella-continuità, n° 208, Nov.-Déc. 1955, p. 3, E.N.
Rogers, « Politica e architettura ». Délibération du C.C. du
P.C.U.S. et du Conseil des Ministres de l'U.R.S.S. sur l'élimination
du superflu dans les projets et dans la construction ; et aussi
Rassegna Sovietica, n° 2, Fév. 1955.
(39)
Académie des Beaux-Arts de l'U.R.S.S., Ensayos de estética
marxista-leninista, Ed. Pueblos Unidos, Montevideo, 1961, p. 222 : «
La tendance à la représentation de caractère symbolique,
habituelle aux premières étapes de l'architecture, est un signe du
manque de maturité de l'art en question ; de plus, dans les temps
modernes, la tendance à la représentation symbolique possède un
caractère ouvertement formaliste et conduit à la construction
d'édifices absurdes, incommodes, faux du point de vue idéologique
et esthétique, édifices qui enlaidissent les villes... Les
architectes tendent à rendre manifeste de façon explicite l'énorme
contenu idéologique de la construction, en la complétant
directement avec des éléments empruntés aux arts plastiques ».
(40)
Georg Lukacs, op. cit. tome TV, p. 139. Cf. aussi Hans Sedlmayr, El
arte descentrado, Ed. Labor, Madrid, 1958, et Ortega y Gasset, La
deshumanizacion del arte, Revista de Occidente, Madrid, 1962.
(41)
Hubert Tonka, Jean-Paul Jungmann, Jean Aubert, op. cit. p. 81.
(42)
Le Corbusier, Towards a new architecture, The architectural Press,
Londres, 1948, p. 251.
(43)
Henri Lefebvre, « Claude Lévi-Strauss et le nouvel éléatisme »,
L'Homme et la Société, Ed. Anthropos, nos 1-2, 1966, Paris.
(44)
Giulio Carlo Argan, Salvacion y caida del arte modemo, Ed. Nueva
Vision, Bs. As., 1966, p. 55 : « La possibilité d'éduquer, de
former ou de reformer la société through design, c'est-à-dire à
travers un training de projets et de technique, se trouvait
subordonnée à la possibilité pour l'artiste qui fait un projet de
contrôler et d'orienter le développement progressif de la
technique, et, de façon plus générale, le comportement actif ou
productif de la société : en d'autres termes, d'assumer la
direction politique de la production ». Hypothèse inconcevable dans
un système où l'industrie n'est pas animée par des motivations
sociales, mais par des motivations économiques.
(45)
Giovanni Klaus Koenig, L'invecchiamento dell'architettura moderna,
Libreria Editrice Fiorentina, 1963, p. 16.
(46)
C'est la classification de l'architecture actuelle, menée à partir
de critères d'évolution technico-esthético-formels, qu'effectue
curieusement F. Choay, qui invalide ses expériences antérieures de
critique structuraliste. Françoise Choay, « Venti anni di
architettura », Revue d'Esthétique, n° 4, 1967. Cité dans op.
cit. n° 12, Mai 1968, p. 54.
(47)
Guido Canella, « Mausolées contre computers ». L'Architecture
d'aujourd'hui, n° 139, Sept. 1968, p. 5.
(48)
Patrizia Pizzinato, Angelo, Villa, « Anni 60 : architettura corne
sospensione del senso », Marcatré 37-40, Lerici, Milan, 1968.
(49)
Robert Venturei, Denise Scott Brown, « A significance for A and P
parking lots or learning from Las Vegas », Architectural Forum, Mai
1968, p. 36. Cf. aussi Reyner Banham, « Towards a million-volt light
and Sound culture », Architectural Revicw, n° 843, Mai 1967, p.
331.
(50)
P. Pizzinato, A.A. Villa, «Archigram», Marcatré, 34-35-36, Lerici,
Milan, 1967, p. 180.
(51)
Vittorio Gregotti, op. cit. p. 43.
(52)
Renato de Fusco, op. cit. p. 33.
(53)
Selon de Fusco, « les conditions précaires de la forme
architecturale dénotent essentiellement trois facteurs, typiques de
tout mass médium : 1) l'hédonisme absolu ; 2) le dégagement de
toute idéologie ; 3) la réduction au présent de toute autre
dimension temporelle. Op. cité. p. 15.
(54)
Vittorio Gregotti, « Les nouvelles tendances de l'architecture
italienne ». L'Architecture aujourd'hui, n° 139, Sept. 1968, p. 8.
(55)
Herbert Marcuse, L'homme unidimensionnel. Essai sur l'idéologie de
la société industrielle avancée. Paris, 1968, p. 86 : « Dans le
domaine de la culture, le système totalitaire nouveau se manifeste
précisément sous la forme d'un pluralisme harmonieux ; les oeuvres
et les vérités les plus contradictoires coexistent paisiblement,
dans l'indifférence ».
(56)
Herbert Marcuse, et autres, La sociedad industrial contemporanea, op.
cit. « Les pays sous-développés, précisément à cause de leur
situation, peuvent avoir la possibilité d'éviter l'étape de la
société d'abondance avec ses aspects répressifs et inhumains ».
(57)
Un exemple que l'on peut tenir pour classique, qui rend compte de
cette remarque, c'est le soulèvement de Paris en Mai 1968, qui «
ébranla » le système, en opérant une synthèse entre les
contradictions internes et l'expérience des peuples du Tiers-monde
en lutte. On peut en trouver la transcription en termes
d'architecture dans : Le Carré Bleu, n° 3, Paris, 1968.
(58)
Frantz Fanon, op. cit.
(59)
A Cuba cette homogénéité s'est faite aux dépens des esclaves qui
se trouvaient confinés à l'extérieur de la société comme de la
culture. C'est-à-dire qu'ils possédaient une culture propre, qui
s'est opposée dialectiquement à la culture espagnole, constituant
la base des racines locales de la culture cubaine, libérée de son
isolement forcé à la fin du xixe siècle. « L'idéologie du groupé
dominant créole blanc au cours de la première moitié du xvme
siècle reflète la super-structure de la société coloniale, la
stratification inflexible de la structure sociale. Il en ira ainsi
jusqu'à la guerre de Dix Ans, où sont rompues les chaînes de
l'esclavage, où se constituent de nouvelles relations dans la
société cubaine ». Jorge Ibarra, Ideologia mambista, Instituto del
Libro, La Havane, 1967, p. 21.
(60)
C'est la persistance d'une culture politique révolutionnaire,
anticolonialiste, et anti-impérialiste qui apparaîtra dans les
moments culminants de la lutte politique cubaine, à travers trois
figures de premier plan : José Marti au cours des Guerres
d'Indépendance ; Julio A. Mella au cours des mouvements populaires
des années 20 à 30, et Fidel Castro dans la révolte contre la
dictature de Battista.
(61)
Nous ne sommes pas d'accord avec la thèse du manque de contenu
idéologique des mass média, étant donné qu'au contraire, toute
l'information qui en provient doit produire un modèle de
comportement individuel, au sein de la communauté, ce qui l'assimile
à une orientation idéologique, imposée par la bourgeoisie.
(62)
Dans le monde sous-développé, l'art « pop » constitue le pire
héritage légué par la pénétration de la haute technologie
industrielle, et il n'opère pas dans le sens de l'intégration de la
culture, mais il tend à conserver l'antithèse entre la culture
élitaire — qui demeure inchangée — et la culture des masses.
Nous sommes en ce sens d'accord avec G. Dorfles sur le caractère «
snob » et décadent qu'implique la revalorisation du kitsch, dont le
contenu est déterminé par la bourgeoisie commerciale et
monopoliste. Cf. Gillo Dorfles, Il Kitsch, Antologia des cattivo
gusto, G. Mazzotta, Ed. Milan, 1968, et aussi Gillo Dorfles, Nuovi
miti, nuovi riti, Einaudi, Turin, 1965, p. 181.
(63)
P. Parât, Ch.-H. Arguillère, « l'individuel », rêve, cauchemar,
tendances ». L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 136, Fév.-Mars 1968.
(64)
Ernesto Che Guevara, Le Socialisme et l'homme à Cuba. OEuvres III —
Textes politiques — Petite collection Maspero, Paris, 1968, p. 27 :
« Puis vint l'étape de la guérilla... Et, à mesure que nous
faisions nôtres les idéaux du prolétariat, qu'une révolution
s'opérait dans nos habitudes et dans nos esprits, l'individu restait
encore un facteur fondamental ».
(65)
Le prétendu contenu « humaniste » des premières années de la
Révolution constitue encore un sujet de polémiques. Il s'agissait
en fait d'une formulation vague qui permettait une stratégie
politique bien définie. Les déclarations de Fidel Castro lors du
jugement des attaquants de la Moncada en 1953, ne laissaient pas de
doute quant au contenu de classe du procès révolutionnaire : «
Lorsque nous parlons de peuple, nous n'entendons pas des secteurs
aisés et conservateurs de la nation... Nous entendons par peuple,
lorsque nous parlons de lutte, la grande masse insoumise... Nous nous
référons aux six cent mille Cubains qui sont chômeurs et qui
désirent gagner leur pain honorablement sans devoir émigrer de leur
patrie à la recherche de travail ; nous nous référons aux cinq
cent mille ouvriers agricoles qui habitent dans les bohios
misérables, qui travaillent quatre mois par an et qui le reste du
temps meurent de faim, partageant leur misère avec leurs enfants...
». Fidel Castro, La historia me absolvera, Editora politica, La
Havane, 1964, p. 73.
(66)
Ernesto Che Guevara, op. cit. p. 285 : « L'important, c'est que les
hommes acquièrent chaque jour une plus grande conscience de la
nécessité de leur incorporation dans la société et en même temps
de leur importance comme moteur de celle-ci ».
(67)
En aucune façon, on ne peut imaginer la mort de l'idéologie, ou la
disparition de l'idéologie dans une société révolutionnaire,
comme le montre bien Althusser : « Il est clair que l'idéologie
(comme système de représentations de masse) est indispensable à
toute société pour former les hommes, les transformer et les mettre
en état de répondre aux exigences de leurs conditions
d'existence... C'est dans l'idéologie que la société sans classes
vit l'inadéquation — adéquation de son rapport au monde, en elle
et par elle —, qu'elle transforme la « conscience » des hommes,
c'est-à-dire leur attitude et leur conduite, pour les mettre au
niveau de leurs tâches et de leurs conditions d'existence ». Louis
Althusser, op. cit. p. 242.
(68)
L'utopie ne constitue pas ici la formulation d'un idéal impossible,
ou d'une société abstraite, dominée par la technique ; elle n'est
pas non plus conçue en contradiction avec l'idéologie, comme le
soutient Argan, mais comme la construction d'un modèle théorique,
ou socio-économico-culturel, qui constitue un défi pour la praxis
sociale, en accélérant le temps historique, c'est-à-dire la
continuité du temps révolutionnaire. C'est pour cela que nous
partageons l'utopisme de Lefebvre — le possible est partie
intégrante du réel — alors que nous ne sommes pas d'accord avec
la négation de l'utopie comme idée-force. Cf. Henri Lefebvre, «
Propositions », L'Architecture d'Aujourd'hui, n° 132, Juin-Juil.
1967, p. 14, et Giulio Carlo Argan, Progetto e Destino, Il
Saggiatore, Milan, 1965, p. 12.
(69)
Fidel Castro, Discours sur les marches de l'Université de La Havane,
pour commémorer les martyrs du 13 Mars. Granma, 14 Mars 1969. «
Nous ne pouvons pas fonder le devoir sur la vieille conception qui
voyait dans le devoir un sacrifice. Il faut qu'il se fonde sur une
conception nouvelle, équivalente du travail. Et il est vraiment
admirable de voir que les hommes peuvent trouver dans le contenu du
travail un des principaux stimulants... Si nous voulons qu'un jour
tous les hommes travaillent avec cet esprit, le sentiment du devoir
ne suffira pas, le concept moral ne suffira pas : il faudra que le
contenu du travail lui-même, dirigé par l'intelligence de l'homme,
que le contenu merveilleux du travail, devienne une des motivations
fondamentales. Et cela ne sera possible que dans la mesure où toute
la société sera capable d'assimiler ce contenu, de dominer ce
contenu, et de découvrir ce contenu ».
(70)
Claude Schnaidt, « Architecture and political commitment», ULM, nos
19-20, Août 1967, p. 26.
(71)
C'est vouloir qu'un jour il n'existe plus de différence entre les
conditions de vie d'un technicien universitaire et d'un travail
manuel, qui doit lui-même disparaître en tant que tel ; il en va de
même pour la nouvelle conception du travail, conçu comme une
nouvelle catégorie du devoir social, Fidel Castro, « Discours
commémoratif du 26 Juillet à Santa Clara», Granma, 27 Juillet
1968. « Donner à un homme plus de richesse collective parce qu'il
remplit son devoir et produit plus et accroît son travail créateur
pour la société, c'est transformer la conscience en richesse ».
(72)
Léon Trotsky, op. cit. p. 70 : « Le prolétariat est obligé
d'abord de conquérir le pouvoir, bien avant de s'être approprié
les éléments fondamentaux de la culture bourgeoise : il est
justement obligé de renverser par la violence la société
bourgeoise parce que cette société lui barre le chemin de la
culture ».
(73)
Fidel Castro, Paroles aux intellectuels, 30 Juin 1961. Conseil
National de la Culture, « nous devons créer les conditions
favorables pour que tous ces biens culturels atteignent le peuple.
Cela ne veut pas dire que l'artiste doive sacrifier la valeur de ses
créations, et qu'il doive nécessairement sacrifier la qualité.
Cela veut dire que nous devons lutter à tous les points de vue pour
que le créateur produise pour le peuple et que le peuple à son tour
élève son niveau culturel afin de se rapprocher des créateurs...
».
(74)
La radio, la télévision, les journaux, le cinéma, etc., ont été
utilisés pour développer la formation politique de la population,
établissant les bases d'une maturité théorique que fonde la praxis
quotidienne. Par ces moyens, par exemple, celui de la télévision,
Fidel Castro est arrivé à une véritable communication avec le
peuple, infirmant le point de vue de McLuhan selon qui la télévision,
médium froid, affaiblit cette relation. Par ailleurs, la
communication n'est pas à sens unique, mais il y a toujours
participation de ceux qui reçoivent l'information. On en trouvera un
exemple récent dans la création d'un émetteur de radio, Radio
Cordon de La Habana, lequel, à travers les dialogues, les enquêtes,
les entrevues, en plus de la communication culturelle, sonde les
opinions, les problèmes des travailleurs, donnant au travail le sens
d'une participation communautaire. Ce qui fait que l'affirmation
d'Umberto Eco est elle aussi démentie. En effet, ce dernier écrit :
« ...A la limite on peut soupçonner que les moyens de communication
sont des moyens aliénants, même s'ils appartiennent à la
communauté ». Cf. Marshall McLuhan, Gli strumenti del communicare.
Il Saggiatore, Milan, 1967 et Umberto Eco, « Il médium e il
messagio », Marcatré, 37-40, Mai 1968, p. 36.
(75)
La communication graphique a cessé d'exprimer la réification de
l'homme ou des hiérarchies sociales que soutient la publicité. Le
contenu commercial a été remplacé par un contenu moral : « la
base de la morale socialiste est constituée par la solidarité,
l'impatience, l'insatisfaction pour ce qui existe. La morale
socialiste est la morale de la transformation révolutionnaire de
tous les rapports sociaux, en se fondant sur la solidarité toujours
plus grande entre les hommes. A partir de ce contenu, la
communication devient toujours plus intense parce qu'elle correspond
aux nouvelles conditions de l'urbaniste, qui ne doit plus se
prostituer pour vendre ses idées afin d'atteindre les objectifs sans
scrupules de la commercialisation ». Cf. Robert Havemann, Dialectica
senza dogma, Einaudi, Turin, 1965, p. 165.
(76)
L'indépendance entre un art populaire et un art obéissant à des
motivations politiques ou économiques qui lui sont extérieures se
trouve niée. Le colonialisme ayant détruit toute tradition
folklorique ou locale, la nouvelle synthèse s'effectue à un niveau
supérieur, une fois effacées les les tares du passé. C'est pour
cela que la classification de E. Estival, concernant l'art populaire,
nous paraît schématique. Cf. R. de Fusco et G. Mottura, «
Artisticità dei Mass Media », op. cit. n° 8, Janv. 1967,, p. 20.
(77)
L'accent mis sur les éléments collectifs par rapport aux éléments
individuels a pour objectif la création d'une conscience sociale qui
considère le monde des objets comme des instruments nécessaires
pour la vie pratique, refusant de la sorte l'aliénation ou la
réification, qui se produit à travers la possession d'objets
engendrant l'avidité imitative de consommer que connaissent les pays
capitalistes, comme cela s'est produit dans d'autres pays
socialistes. Cf. André Gorz : « Le socialisme difficile » dans La
sociedad industrial contemporanea, Ed. Siglo XXI, 1967, Mexico, p.
127.
(78)
C'est la destruction de l'art-trésor ou du dessin-symbole social,
qui deviennent dessin-fonction ou art-fonction, expressifs du point
de vue de l'éducation. Giulio Carlo Argan, « Design e Mass Media »,
op. cit. n° 2, Janv. 1965, p. 11.
(79)
Gillo Dorfles, « Crëscita e soprawivenza nella civiltà tecnologica
», Marcatré 37-40, Lerici, Milan, 1968, p. 35.
(80)
Ce procès ne correspond, pas à une volonté se manifestant par un
programme théorique, mais aux facteurs réels qui déterminent la
vie de la cité : la diminution de la consommation individuelle rend
inutile la structure commerciale du centre ; le choix du plus vaste
espace libre urbain de la ville en fait le centre politique ; les
services commerciaux de distraction de la bourgeoisie dans le
quartier du Velado font de cette zone le nouveau centre culturel. Les
urbanistes assumeront cette réalité « de fait » et créeront les
formes qui recevront et caractériseront les diverses fonctions.
(81)
Fidel Castro, La Historia me absoïvera, Edicion Révolutionaria, La
Habana. Dans cet écrit furent formulés les principes fondamentaux
que par la suite la Révolution devait mettre en pratique une fois
renversé le régime en place.
(82)
Fidel Castro. Discours pour l'inauguration d'une école primaire en
semi-internat dans El Cangre, Guïnes, 5 Janvier 1969. « De cette
façon les plans agricoles sont déjà en quelque sorte sous forme de
maquettes, et ce sont des architectes qui travaillent à la
planification physique ; ils indiquent les chemins, les rideaux
d'arbres contre le vent, l'emplacement des installations, des canaux
d'irrigation, des canaux de drainage, l'emplacement de chaque chose.
»
(83)
Emilio Battisti, Sergio Crotti, « Note sulla lettura del paesaggio
antropogeografico », Edïlizia Moderna 87-88, p. 59. « L'homme en
rapport avec le paysage découvre que sa confrontation éventuelle
avec la nature est riche de possibilités et que ce paysage n'est
rien de plus que le support potentiel de la totalité de ses actes
vitaux. »
(84)
Herbert Marcuse, Eros et Civilisation, Paris, 1969, p. 166. « Etabli
comme principe de civilisation, l'instinct de jeu transformerait
littéralement la réalité. La nature, le monde objectif ne seraient
alors vécus ni comme dominant l'homme (comme dans la société
primitive) ni comme étant dominés par l'homme (comme dans la
civilisation d'aujourd'hui) mais plutôt comme objets de «
contemplation ». Chez nous, nous arriverons à une synthèse plus
complète que celle formulée par Marcuse, on intégrant « action-
contemplation » dans une relation dialectique, niant ainsi la
passivité complète inhérente à la contemplation.
(85)
Fidel Castro. Discours pour la remise de diplômes à 455 élèves
pour l'année 1967-68 à l'Université d'Oriente, Décembre 1968. «
De sorte qu'à l'avenir pratiquement chaque usine, chaque zone
agricole, chaque hôpital, chaque école sera une université. Et les
diplômés de niveau moyen accéderont aux études supérieures. Et
que deviendront alors les actuelles universités ?... Elles
demeureront comme centres supérieurs d'études pour les diplômés.
»
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