Entretien avec Bertrand Sassoye
2013
L'histoire de la guérilla révolutionnaire en Europe de l'Ouest fait toujours l'objet d'un véritable refoulement. Les causes de cette amnésie proviennent, à divers degrés selon les pays, d'un cadre législatif oppressif, limitant le droit aux anciens militants de s'exprimer sur leur passé révolutionnaire (en France de “s’abstenir de toute intervention publique relative à l’infraction commise”[1]), interdisant la remise en question de l'historiographie “officielle” (en Allemagne ceux qui affirment publiquement que les prisonniers de la Fraction Armée Rouge détenus à Stammheim ont été « suicidés » peuvent être poursuivis et condamnés suivant le §90a du code pénal ''insulte à l'Etat'' ou suivant le §129 “propagande pour une organisation terroriste”), ou bien encore en accordant une remise de peine à un prisonnier politique qui renie publiquement son engagement dans la “violence armée”, le "terrorisme" (en Italie, loi sur la “dissociation” de 1987).
Cette forme insidieuse d'état d'exception laisse ainsi aux journalistes, spécialistes et historiens anti-révolutionnaires (capitalistes et communistes), la plus grande liberté d'expression, refusée à d'autres, un espace public hégémonique – dans le sens de Gramsci - pour l'élaboration, la production historiographique, mémorielle – et “émotionnelle” - d'un passé conforme à l'idéologie dominante [2] et pour sa diffusion. Cette hygiénisation ou hypertrophie historiographique complète les dispositifs judiciaires visant à littéralement s'acharner contre d'anciens militants aujourd'hui inoffensifs citoyens (les extraditions par exemple), à les maintenir en prison pendant des décennies (24 ans pour Jean-Marc Rouillan, 30 ans pour Georges Ibrahim Abdallah, etc.). Au-delà, l'« affaire Tarnac » démontre à l'évidence, l'appréhension des gouvernements de voir surgir des cendres politico-idéologiques d'hier, des groupes radicaux, ou selon le philosophe Agamben « que les peuples eux-mêmes se radicalisent devant l'évident scandale qu'est l'ordre présent des choses.»