Edward SOJA | Justice Spatiale

Hong Kong

Le concept de Justice spatiale, énoncé par Le droit à la ville d'Henri Lefevbre en 1968, n'est autre qu'une tentative de la grande tradition figurative bourgeoise à résoudre, sur le plan d'une idéologie anachronique, les déséquilibres, les contradictions et les dysfonctionnements sociaux des villes ; et à la manière de Le Corbusier, l'on pourrait leur adjoindre le slogan : Urbanisme ou Révolution ! L'idée d'une Ville Juste est bien la preuve d'une contorsion intellectuelle pseudo-humaniste névrotique ;  car l'on sait qu'il est illusoire de proposer des contre-espaces architecturaux, et plus encore urbains : la recherche d'une alternative inscrite au sein même de structures libérales qui conditionnent toute la nature de la condition du projet, est dans les termes une contradiction évidente et historique. L'arriération politique de ce groupe d'intellectuels est marqué par leur relance de l'éthique de l'architecture et de l'urbanisme, en leur assignant des missions politiques destinées à apaiser les tensions, un réformisme érigeant l'Existenz minimum urbain plutôt qu'une ville - une vie - idéales. 


ISRAËL | Le Concept de Sécurité dans les Projets Territoriaux







EYAL WEIZMAN

Le concept de sécurité
dans les projets territoriaux israéliens
La pensée de midi | 2006


Quand l’architecture des colonies de peuplement et la construction du mur obéissent à une stratégie militaire rien moins que “provisoire”.


Bien qu’équipée de capteurs électroniques et d’appareils de surveillance, l’armée moderne continue de concevoir ce qui relève de l’observation et du contrôle en termes topographiques. A propos de l’avantage stratégique actuel des montagnes de Cisjordanie, un groupe d’experts israéliens sur la sécurité déclare : “En raison de leur altitude et de la zone qu’ils commandent […], les sommets [de Cisjordanie] jouent un rôle crucial dans trois domaines au moins : alertes électroniques des services de renseignements, surveillance au loin et construction de stations radar de défense aérienne pour être rapidement informé et mener la guerre électronique.”

IRLANDE du Nord | Architecture Politique (et Militaire)




Golf Five Zero watchtower 
Crossmaglen, South Armagh, Northern Ireland,  'Borucki Sanger' 
1999


Jonathan Olley
Castles Of Ulster

En 1997, le photographe Jonathan Olley obtient l'autorisation de photographier les casernes fortifiées et les tours de contrôle encore en service de l'armée britannique en Irlande du Nord.   Nouveaux châteaux forts de l'Ulster pour Olley, Tom Paulin les qualifient de Martian spacecraft, symbolisant la complète défaite de la politique et des valeurs civiques. Aujourd'hui, la plupart de ces fortifications militaires ont été démantelées en réponse aux accords de paix. 

Israël | Contrôle Territorial, Urbanisation Périphérique et Ségrégation Ethnique


Jerusalem | 1972 | Carte US Army

« Le territoire avec son espace et sa population est non seulement la source de toute force militaire mais il fait aussi partie des facteurs agissant sur la guerre, ne serait-ce que parce qu'il constitue le théâtre des opérations. »
Carl von Clausewitz.



Mikhaël ELBAZ
Contrôle territorial, urbanisation périphérique et ségrégation ethnique en Israël
Revue Anthropologie et sociétés | 1980


L'étude des formes et des modes de regroupement urbains dans les sociétés industrielles renvoie à celle de la pénétration du capitalisme en largeur et en profondeur. Nous entendons par là que les processus d'urbanisation sont déterminés par un double procès, d'une part la dé-territorialisation graduelle des producteurs des formes de production pré-capitalistes et d'autre part, la fixation-concentration tendancielle des travailleurs qui n'ont que leur force de travail à vendre dans des branches et secteurs de la production qui ont nécessairement une inscription spatiale. Cependant, la division socio-spatiale du travail au sein d'une formation sociale donnée demeure un procès complexe que seule une analyse historique du développement inégal et combiné du capitalisme peut éclairer. En effet, nous partons du postulat que le déploiement du capitalisme s'est fondé historiquement à partir de la constitution d'un marché et de la soumission des modes de production antérieurs, de la montée de la bourgeoisie comme classe hégémonique qui tente de contrôler et de clôturer une base d'accumulation au sein de laquelle elle nationalise les sujets et définit l'espace du droit.

Israël | La conquête de la Palestine

Homa Ve Migdal  [Tour & Enceinte]


Alain Dieckhoff
Les trajectoires territoriales du sionisme
Vingtième Siècle. Revue d'histoire. n°21 |1989


Dépouiller le sionisme du principe territorial et vous avez détruit son caractère et effacé ce qui le distingue des périodes précédentes.

C'est ainsi que l'essayiste Jacob Klatzkin définit l'or iginalité profonde de l'entreprise sioniste : parce qu'elle a une visée politique, celle de la réunification de la nation juive, elle a nécessairement une dimension territoriale puisque le rassemblement des dispersés ne pourra se faire qu'à l'intérieur d'un espace clos et autonome. Le sionisme se présente, ainsi, comme un projet avant tout géographique. On peut dès lors se demander comment ce projet a été, historiquement, mis en oeuvre : de quelle façon l'espace de la Palestine a-t-il été façonné, utilisé, travaillé par des pratiques pour devenir un territoire dans lequel s'inscrit un pouvoir politique ? Autrement dit, sur quelles stratégies territoriales le sionisme a-t-il dû s'appuyer pour réaliser son objectif national ? C'est à repérer les modalités d'organisation de l'espace, tant dans le Yichouv (communauté juive de Palestine d'avant 1948) que dans l'Etat d'Israël, et à mettre en lumière leurs incidences politiques que nous nous emploierons.


Exécution | Espace Public






La Révolution de 1789 avait abrogé les supplices des condamnés infligés sur la place publique, et adopté la guillotine : la mort par décapitation qui jusqu'alors était réservée à la noblesse se démocratise et se mécanise. En 1939, le ministre socialiste Daladier interdit la mise à mort publique ; en 1981, le président socialiste Mitterrand abolit la peine de mort ; dans les deux cas, le retard est considérable par rapport aux autres pays démocratiques. Parallèlement, le système pénitentiaire, loin de s'"humaniser", instaura dans le confinement et la discrétion des maisons d'arrêt, des maisons de redressement et des prisons, une « pénalité de l'incorporel », celle de la torture psychologique qui s'adresse autant au corps qu'à l'âme du détenu.  


Michel Foucault
Surveiller et punir
1975

Damiens avait été condamné le 2 mars 1757, à « faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris », où il devait être « mené et conduit dans un tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres » ; puis « dans le-dit tombereau, à la place de Grève, et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée de feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et du soufre fondus ensemble et ensuite son corps tiré et démembrer à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent [1] ».

Gabriele BASILICO

Beyrouth 1991

Gabriele BASILICO

Ce grand « Photographe d’architecture » né à Milan est décédé en ce 13 février 2013.


TOKYO | Capitale Post-Moderne



Tôkyô | Sweets Paradise

« Nulle par ailleurs les valeurs foncières n’ont atteint de tels sommets : à Tokyo en 1990, le prix du mètre carré de terrain à usage de bureaux caracolait à 360.000 francs dans les 23 arrondissements de Tôkyô, après avoir triplé en cinq ans. Un niveau tel que, selon ses propres estimations officielles, le Japon pouvait théoriquement s'acheter le territoire des États-Unis en vendant celui de Tôkyô, ou bien s'offrir le Canada avec les seuls terrains du palais Impérial. »
Natacha Aveline, La bulle foncière au Japon

Tokyo, l'une des trois grandes métropoles mondiales de la Triade aux côtés de New York et de Londres, symbolisa les excès frénétiques du grand capital [zaïkaï] post-industriel et financier. Durant plus deux décennies, en tant que deuxième puissance économique mondiale – la Chine aujourd'hui occupe cette place -, Tokyo aura été considérée comme La capitale du capitalisme libéral-libertaire alors triomphant, supplantant même New York ; et la japonolâtrie déferla, tel un tsunami intellectuel dans la pensée européenne : le[s] chaos urbain et architectural de Tokyo, sublimant la déréglementation des Walfare states, seront érigé comme modèle de mégapole possible ou souhaitable, celle du 21e siècle, plébiscitée par une pléiade d'architectes ayant adapté l'ultra-libéralisme nippon à la ville [privatisation parc social, flexibilité des plans d'urbanisme, partenariat public-privé, urbanisme de la déréglementation et de la dérogation, architecture verticale, marketing urbain et concurrence entre les villes, via la sous-traitance des concours internationaux, star-architecture, etc.]. 

Friedrich Nietzsche | Architecture




Friedrich Nietzsche
Architecture pour ceux qui cherchent la connaissance
La gaya scienza  | 1882


Il serait nécessaire de comprendre un jour, et probablement ce jour est-il proche, ce qui manque avant tout à nos grandes villes : des lieux de silence, spacieux et forts étendus, destinés à la méditation, pourvus de hautes et de longues galeries pour les intempéries ou le trop ardent soleil, où ne pénètre nulle rumeur de voitures ni de crieurs, et où une bienséance plus subtile interdirait même au prêtre l’oraison à voix haute : des édifices et des jardins qui dans leur ensemble exprimeraient la sublimité de la réflexion et de la vie à l’écart ! Les temps sont révolus où l’Église possédait le monopole de la méditation, où la vita contemplativa était toujours en premier lieu vita religiosa : et tout ce que l’Église a construit dans ce genre exprime cette pensée. Je ne saurais dire comment nous pourrions bien nous satisfaire de ses édifices même désaffectés de leur destination ecclésiale : ces édifices parlent un langage beaucoup trop pathétique et contraint en tant que maisons de Dieu et en tant que lieux somptueux d’un commerce avec l’au-delà pour que nous autres sans-dieu puissions y méditer nos propres pensées. Notre désir serait de nous voir nous-mêmes traduits dans la pierre et dans la plante, de nous promener au-dedans de nous-mêmes, lorsque nous irions de-ci de-là dans ces galeries et dans ces jardins.


Jean-Pierre Le Dantec



Du GP à UP. 6
De la Révolution à l'Institution 
Jean-Pierre Le Dantec



Les mouvements de la Gauche radicale des années 1968, auront fourni un contingent non négligeable de hauts responsables politique convertis au socialisme ; on peut citer Pierre Moscovici, actuel Ministre de l'Economie et des Finances [!] qui débuta sa carrière au sein de la Ligue Communiste Révolutionnaire,  Lionel Jospin qui participa à l’Organisation Communiste Internationaliste. Les « renégats » de l'intransigeante Gauche Prolétarienne, appartiennent davantage au monde culturel et médiatique : Serge July, Gérard Miller, André Glucksman, Marin Karmitz [MK2], etc., et Jean-Pierre Le Dantec, enseignant puis directeur de l'Ecole d'architecture de Paris La Villette [Unité Pédagogique n° 6], entre 2001 et 2006.

Gare à l'urbanisme

Neufert

La vision architecturale avait été largement relativisée, au bénéfice de l'activisme de rue, au bénéfice de l'activisme d'une reconquête de l'espace généralisé de la société. Là, il n'était plus question d'architecture. L'architecture était à la limite relative, subsidiaire. C'était même un bouche-trou, on n'en avait plus rien à faire. Ce n'était pas ça le bon enjeu. L'enjeu était la reconquête de l'espace social total, sous d'autres formes, selon d'autres régimes.

Daniel Guibert
Gare à l'urbanisme

Propos recueillis par
 Pierre Vincent Cresceri et Stéphane Gatti
La Parole Errante

Apprendre à lire la ville, y déchiffrer la spatialisation des pouvoirs : du groupe Utopie à la revue Gare à l'ubanisme, Daniel Guibert s'inscrira dans ce projet né à l'institut Tony-Garnier, devenu Institut d'urbanisme de Dauphine après Mai 68. Les questions de la ville, l'organisation du territoire et la reconquête d'un espace social total relativisent la vision architecturale : inspirée par les dérives psycho-géographiques et l'urbanisme unitaire inventés par les situationnistes, cette exploration de l' « être urbain » prolonge ainsi la critique de la vie quotidienne d'Henri Lefebvre. Jusqu'à la restauration post-moderniste de la fin des années 70.

Hocquenghem | Roland CASTRO




A Roland Castro, « architecte du roi » [1]
& à son concubin Régis Debray


Cette violente tribune contre l'architecte Roland Castro* a été écrite en 1986, par Guy Hocquenghem – ancien camarade maoïste -, décédé en 1988 ; il n'aura donc pas pu juger de l'ascension de l'architecte  dans les salons feutrés des ministères de la présidence chiraquienne, puis de Sarkozy – Grand Paris -, et sans doute de Hollande ; mais Hocquenghem le prédisait ou le présentait déjà : Heureusement que nous ne vivons ni sous Staline ni sous Mussolini. Parce que tu irais tout droit proposer tes services, tout pareil, « de chef à chef ».


Hocquenghem | Du col Mao au Rotary




Et observant en ces trois-là « la rencontre entre la gauche et le capitalisme », Hocquenghem s’assigna une mission de salubrité élémentaire : « Cerner l’adversaire, puisque nul n’ose le faire. »


Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary

Serge Halimi
Préface du livre de Guy Hocquenghem * (1986)
(Ré) Editions AGONE | 2003


Des millions de français ont vécu leur première expérience politique d’adulte pendant les années 1980. Celles de la gauche au pouvoir, celles du désenchantement et du cynisme, celles qui métamorphosèrent les valeurs les plus inégalitaires en signe de « modernité ». Pour les générations précédentes, les générations militantes, comme ils avaient pourtant résonné, ces quelques mots prononcés à Château-Chinon un soir de victoire, le 10 mai 1981. Le nouveau président y remerciait de leur patience et de leur dévouement « ces femmes, ces hommes, humbles militants pénétrés d’idéal qui, dans chaque commune de France, dans chaque ville, chaque village, toute leur vie ont espéré ce jour où leur pays viendrait enfin à leur rencontre 1 ». Ces mots, sans doute résonnent-ils encore. Mais tout autrement.


RECORRIDO por el TERRITORIO CAPITALISTA



Estimadas/os, con mucha alegría compartimos un nuevo número de CUADERNOS DE NEGACIÓN. En esta ocasión realizamos un recorrido por el territorio capitalista para explorarlo radicalmente y dejar en evidencia que las cosas no están allí por casualidad o azar: casas, calles, cárceles, automóviles, rutas, edificios, plazas -incluidos nosotros y nuestros recorridos- estan en íntima relación con las necesidades del Capital.

Particularmente en este número abundan las descripciones, debido a la intención de quitar el velo de la normalidad y ver lo que nos rodea críticamente. Si bien ello puede asustarnos un poco al comienzo, lo hacemos no para paralizarnos frente a esta plataforma mundial de la economía en la que han convertido la Tierra, sino para continuar aprendiendo y para emancipar definitivamente nuestro planeta de esta época asquerosa.

¡Por el fin del mundo capitalista!

Diciembre 2012

REISER | Anti-Huissiers




REISER 
Pilote 584 | 1971

Solution concrète pour l'année 2013, qui selon le président de la République, François Hollande,  va être "dure".

BERQUE | Ville-Campagne

Proposition Nogovoyages | 2009 *


Les trois sources de la ville-campagne et ce à quoi elle aboutit

conférence d’Augustin BERQUE
2005
Fin de la distinction ville/campagne
et perte du lieu

L’extension toujours plus poussée de l’habitat non agricole dans les campagnes est sans doute le trait le plus remarquable de l’évolution du peuplement dans les pays riches. Ce phénomène 1, qui semble voué à se répandre avec la progression des niveaux de vie, a reçu des noms divers selon que les auteurs insistent sur tel ou tel de ses aspects : fin des villes, rurbain, périurbain, métropolisation, exurbanisation, edge city puis edgeless city, campagnes urbaines, ville-pays, ville territoire, città diffusa, ville émergente, ville-campagne, ville franchisée, etc. Lié à l’usage massif de l’automobile, il s’est d’abord manifesté aux États-Unis, et c’est l’urbaniste américain Melvin Webber qui, en 1964, a été le premier à le souligner, dans un article qui pose explicitement la question du lieu (place) : « The urban place and the non-place urban realm » ; sa thèse étant que la ville de naguère, bien circonscrite et distincte des campagnes, a laissé place à une « communauté sans base territoriale », qu’il baptise « domaine urbain » (urban realm) 2.
Proposition Nogovoyages | 2009 *

Jacques ELLUL | Villes | Théologie | Révolution

DIEU | Urbaphobe


Le christianisme est la pire trahison du Christ.
La ville est morte, faite de choses mortes et pour des morts. Elle ne peut pas produire ni entretenir quoi que ce soit. Tout ce qui est vivant doit lui venir de l’extérieur.
Jacques Ellul


Au chapitre IV de la Genèse, est écrit que Caïn, le cultivateur sédentaire, tua son frère Abel, le pasteur nomade. Dieu le condamna alors à l'errance en pays de Nod - nod ou nad, en hébreux, se traduit par vagabondage, errance. Mais Caïn n'accepte plus l'autorité divine, refuse l'errance et décide de fonder la première ville de l'humanité : Hénoc. Caïn - premier révolutionnaire contre une autorité suprême ? -, est ainsi désigné par le texte génésiaque comme le fondateur de la première ville, et à l’origine de la civilisation : celle urbaine des arts et des techniques. Jacques Ellul dans son ouvrage Sans feu ni lieu [1] interprète ainsi la fondation d'Hénoc  :

PARIS | Haussmann - Révolution



Opéra de Paris | Charles Garnier | 1861

Réunir à la Ville de Paris, à cette Cité Reine comme on l'appelle, des localités si délaissées, d'un aspect si triste et si misérable, c'était coudre des haillons sur sa robe de pourpre.

Il fallait, dès le jour où cette grande mesure de l'extension des limites de Paris était arrêtée en principe, s'abstenir de toute opération luxueuse dans les quartiers riches ou aisés, en vue d'économiser les ressources de la ville pour donner le strict nécessaire aux quartiers pauvres.

Louis Lazare | 1870

Philharmonique de Paris | Jean Nouvel | 2011


Jacques Rougerie interprète la Commune, comme « une tentative de réappropriation populaire de l'espace urbain » ; un des rares historiens soulignant la relation de cause à effet entre les travaux du préfet Haussmann, menés à bien de 1852 à 1870, et la Révolution de 1871. Mais, d'autres travaux d'aussi grande ampleur ont autant d'importance dans le mécontentement du Peuple parisien : l'enceinte de Thiers [1], construite entre 1841 et 1844, une gigantesque couronne elliptique de près de 34 km, sur une largeur de 140 m, couvrant le rempart, son fossé et glacis, et les 16 forts détachés implantés en banlieue.

Walter Benjamin | Expérience et pauvreté



 Le verre, ce n’est pas un hasard, est un matériau dur et lisse sur lequel rien n’a prise. Un matériau froid et sobre, également. Les objets de verre n’ont pas d’« aura ». Le verre, d’une manière générale, est l’ennemi du mystère. Il est aussi l’ennemi de la propriété. Le grand écrivain André Gide a dit un jour : chaque objet que je veux posséder me devient opaque. 

Walter Benjamin [*]
Expérience et pauvreté | Erfahrung und Armut
1933

Dans nos manuels de lecture figurait la fable du vieil homme  qui sur son lit de mort fait croire à ses enfants qu’un trésor est caché dans sa vigne. Ils n’ont qu’à chercher. Les enfants creusent, mais nulle trace de trésor. Quand vient l’automne, cependant, la vigne donne comme aucune autre dans tout le pays. Ils comprennent alors que leur père a voulu leur léguer le fruit de son expérience : la vraie richesse n’est pas dans l’or, mais dans le travail. Ce sont des expériences de ce type qu'on nous a opposées, en guise de menace ou d’apaisement, tout au long de notre adolescence : « C’est encore morveux et ça veut donner son avis. » « Tu en as encore beaucoup à apprendre. » L’expérience, on savait exactement ce que c’était : toujours les anciens l’avaient apportée aux plus jeunes. Brièvement, avec l’autorité de l’âge, sous forme de proverbes ; longuement, avec sa façon de, sous forme d’histoires ; parfois dans des récits de pays lointains, au coin du feu, devant les enfants et les petits-enfants. - Où tout cela est-il passé ? Trouve-t-on encore des gens capables de raconter une histoire ? Où les mourants prononcent-ils encore des paroles impérissables, qui se transmettent de génération en génération comme un anneau ancestral ? Qui, aujourd’hui, sait dénicher le proverbe qui va le tirer d’embarras ? Qui chercherait à clouer le bec à la jeunesse en invoquant son expérience passée ?

Eisenstein | Glass House

Sergueï Eisenstein, croquis pour le film Glass House 


" Vivre dans une maison de verre est, par excellence,
une vertu révolutionnaire. "

Walter Benjamin

L'architecture de verre aura été dans les années 1920, un domaine intéressant également la politique et le monde intellectuel, notamment auprès de l'intelligentsia radicale allemande et révolutionnaire soviétique, qui y voient  soit la concrétisation d'une utopie d'harmonie sociale et cosmique, soit un geste révolutionnaire capable de rompre avec le passé ; pour d'autres ce n'est que la manifestation d'un cauchemar totalitaire. Où se situe le projet de film Glass Housedu réalisateur soviétique Eisenstein [Le cuirassé Potemkine, Ivan le Terrible, Viva Mexico, etc.]  entre le socialisme rural de Tchernychevsky et les villes du futur de Khlebnikov, entre le rêve cristallin de Taut et de la Gläserne Kette et le monde dystopique de Zamiatine ? L'architecture de verre joue-t-elle, chez lui, le rôle de « vertu révolutionnaire » qui lui est attribué par Benjamin ? 

Antonio SOMAINI
Utopies et dystopies de la transparence.
Eisenstein, Glass House,
et le cinématisme de l'architecture de verre.
Revue Appareil - n° 7 | 2011
[Extraits]

1. L'architecture ouverte et la transformation
de l'espace cinématographique

En 1946, forcé d'abandonner tout projet de direction de film à cause de la censure sous laquelle était tombée la deuxième partie d'Ivan le Terrible et d'un infarctus qui l'avait obligé à suivre un régime de vie beaucoup plus limité qu'auparavant, Eisenstein se plonge dans le projet d'écrire une histoire du cinéma.

Darfour | Guerre Villes-Campagnes ?


Darfour | village traditionnel abandonné

Darfour : une guerre villes-campagnes ?

Marc Lavergne
Revue Géographique de l'Est | 2009

La guerre du Darfour, qui a entraîné le déplacement d’un tiers de la population, et un bouleversement général de l’économie agro-pastorale, a brutalement accéléré l’urbanisation de la région. Ce mouvement de regroupement de la population a été favorisé et rendu irréversible par l’intervention militaire et humanitaire internationale, la population déplacée étant désormais tributaire de l’aide et des modes de vie nouveaux qu’elle a introduit. Pour le gouvernement soudanais, les villes sont les lieux du contrôle de la population et de l’uniformisation des valeurs au niveau national, par l’éradication des identités et des sentiments régionaux, et les centres d’une économie coloniale d’un type nouveau, où la prédation de la caste dirigeante du centre se fait en fonction des impératifs et des contraintes de la mondialisation.

Le Maquis du Vercors




Traiter du maquis du Vercors, forme de guérilla en milieu rural, peut paraître bien anachronique ; d'autant plus que dans l'imaginaire collectif européen, la grande ville est considérée comme l'espace privilégié de l'insurrection et, peut-être, d'une Révolution marxiste future, un espace labyrinthique où il est encore matériellement et tactiquement possible d’affronter l'ultra technologie des forces armées : la jungle urbaine sera, à coup sur, le prochain maquis des insurgés, comme elle l'avait déjà été pour la Rote Armee Fraktion ou les Brigades Rouges. Aussi peux-t-on imaginer,  en Europe, des zones rurales où s'établiraient la révolution marxiste, laissant les villes aux insurrections sociales ?


Arundhati ROY





Je pense que les insurrections qui ont lieu dans les campagnes s’achemineront vers les villes, pas forcément sous une seule bannière, pas forcément de façon disciplinée ou révolutionnaire.
Ce ne sera pas joli.
Mais c’est inévitable.

Arundhati Roy
Ceux qui ont tenté de changer le système au moyen des élections ont fini par
être changés par lui
Outlook India| 26 novembre 2012
Traduction et PDF : Secours Rouge |Belgique

En août l’année dernière, Arundhati Roy a écrit un article soulevant d’importantes questions à propos du mouvement Anna Hazare. Beaucoup de choses ont changé depuis lors, et Arvind Kejriwal et Anna ont suivi des voies divergentes. Kejriwal lancera un parti politique le 26 novembre et au cours des quelques derniers mois, il a, avec l’avocat Prashant Bhushan, embauché de puissants politiciens et sociétés. Saba Naqvi a envoyé cinq questions à Arundhati par e-mail pour avoir son opinion sur ce qui est une situation en évolution qui a des répercussions sur la politique, les médias et le discours national. Voici les réponses très détaillées d’Arundhati.


Argentine | Le SANTIAGUEÑAZO


La politique économique de type néolibéral mise en oeuvre en Argentine dans la décennie 90 visait à réduire drastiquement le périmètre d’intervention de l’Etat. Les organismes multilatéraux de crédit exigeaient des mesures de rigueur fiscale de plus en plus dures comme condition du refinancement de la dette externe. Cette rigueur était présentée comme un remède nécessaire, le seul possible.

El SANTIAGUEÑAZO | Estallido Populare

L'Argentine, depuis maintenant des décennies, est un véritable laboratoire expérimental de formes inédites de révoltes, de luttes non conventionnelles, ou bien encore de méthodes déjà éprouvées mais portées à leur paroxysme ; depuis 1983, date du retour à la démocratie après la dictature, et de la libéralisation de son économie, le répertoire protestataire et subversif s'est enrichi : des concerts de casseroles, aux barrages routiers des piqueteros, et aux expropriations de terrains, entre autres, l'imagination de la révolte a été mise à rude épreuve. C'est en décembre 1993, qu'une forme plus ou moins inédite de révolte urbaine d'envergure embrase Santiago del Estero - 340.000 habitants : soit la population de Nice -, capitale régionale d'une province du nord de l'Argentine ; révolte que l'on baptisera par la suite du nom d'estallido populare, « explosion » populaire, ou sociale, estallido social. 

EMMAÜS Société Anonyme


Camps de fortune Emmaüs | Noisy-le-Sec


« Je m’inquiète d’une société qui consomme si avidement l’affiche de la charité qu’elle en oublie de s’interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites. J’en viens à me demander si la belle et touchante iconographie de l’abbé Pierre n’est pas l’alibi dont une bonne partie de la nation s’autorise pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice. »

Roland Barthes
Mythologies | 1957

« Comme en 1954 où l'abbé Pierre avait lancé son appel, il nous faut aujourd'hui un vrai  choc de la solidarité » : 

La ministre du Logement Cécile Duflot ne déroge pas au traditionnel appel type hiver 54, [1] un rituel hivernal déclaré par quantité de ministres, lors de crise grave ou d'hiver trop rude, prouvant ainsi autant leur compassion - saisonnière -, que leur échec -permanent - à pouvoir - vouloir - mettre fin à une injustice fondamentale, emportant chaque hiver son lot de morts de froid.  Sa déclaration assortie d'une critique sévère contre l'archevêché de Paris, de ne pas venir en aide hivernale aux sans-abris, fait directement référence à l'Appel de l'abbé Pierre de l'hiver 54, annoncé par les quotidiens de l'époque comme étant une « insurrection de la bonté ». Ainsi près de soixante années séparent l'« insurrection de la bonté » du « choc de la solidarité », et l'on peut juger, des méthodes aujourd'hui rétrogrades et démagogiques, de la continuité idéologique d'une « fausse conscience » conservatrice et bourgeoise, ne proposant aucune alternative innovante, aucun nouvel instrument d'équilibre social [iste], qu'il soit du domaine législatif ou architectural, et aucun changement de "méthode" pourtant nécessaire avec les sombres prévisions du ministère de l'Economie pour les prochaines années. Il s'agit toujours de modèles élaborés à partir de la crise et non, abstraitement, contre la crise.

Ordres mendiants et Urbanisation dans la France médiévale

Le prêteur sur gage et sa femme | Quentin Metsys | 1514


Des serfs du moyen âge naquirent les petits bourgeois des premières villes ; de cette population municipale sortirent les premiers éléments de la bourgeoisie.

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant . Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

Le manifeste du parti communiste

Karl Marx, Friedrich Engels | 1848

Les siècles de la fin du Moyen Âge (XIIIe -XVe siècles) sont ceux, selon l'historien Thierry Dutour, du triomphe de l’Europe urbaine [I], marqués par une évolution sociale majeure : l’affirmation de la ville comme l’organisme où confluent, se forment et se transforment toutes les élites, dont celle de la bourgeoisie [II] – les habitants des bourgs - et, de plus en plus, toutes les dimensions de la supériorité sociale. Au 13e siècle, le retour à une paix relative favorise la démographie, la circulation des marchandises, des idées et des hommes, et le fort développement des villes de l'Europe entière, déjà amorcé au siècle précédent.