Mao Zedong : Dàzhài, une Commune populaire modèle

 Dazhai-1970

La pauvreté pousse au changement, à l'action, à la révolution. Une feuille blanche offre toutes les possibilités; on peut y écrire ou y dessiner ce qu'il y a de plus nouveau et de plus beau.
MAO ZEDONG
Présentation d'une coopérative (15 avril 1958).


Première partie | Territoire et Villes en Chine Maoïste

Dàzhài : un village – une brigade de production agricole , pauvre et isolé dans une région montagneuse, organise et débute la construction, à partir de 1952 et sous l'égide d'un pauvre paysan analphabète, d’imposantes cultures en terrasses, sans aucune aide – financière, matériel, technique - des autorités régionale ou nationale de la jeune République. Un exploit remarquable auto-initié bien avant la campagne du Grand Bond en avant décidée par Mao Zedong. Un travail titanesque, qualifié de sur-humain,  qui préserva ses habitants-agriculteurs des ravages de la Grande famine des années 1960, et força l'admiration – littéralement – des plus hauts dignitaires du régime. 

En 1964, peu avant la Révolution culturelle, Mao Zedong, en retrait de la vie politique, contesté depuis longtemps au sein du Comité central du Parti, et notamment par son adversaire Liu Shao-Chi,  érigea le village  – inconnu jusqu'alors -  de Dàzhài [ou Tachaï] en tant que modèle : « Imiter Dàzhài », avait-il ordonné dans une directive suprême. Ainsi Dàzhài, village perdu dans l'immensité,  devint le « premier village de Chine », modèle du collectivisme appliqué à l’agriculture, connu de tous les citoyens du pays, visité par des millions de visiteurs « venus étudier l’esprit de Dàzhài ». Entre 1964 et 1979, Dàzhài allait connaitre une renommée nationale puis internationale et sera une étape obligée pour les cadres du Parti, les plus hauts dignitaires de la République Populaire de Chine s'y rendent, accompagnant parfois des dirigeants et des chefs
d'État du monde entier, des
« amis étrangers » et notamment des pays « frères ».
Mao a choisi, selon la formule de R. Lowenthal, « l'utopie contre le développement », et selon Marie-Claire Bergère « en privilégiant l'idéal de justice sociale, qui avait inspiré la lutte révolutionnaire, au détriment des impératifs de la modernisation économique, auxquels la révolution triomphante avait été immédiatement confrontée. Ce faisant, Mao Zedong confirme sa propre légitimité révolutionnaire mais il s'aliène tous ceux qui dans le parti et hors du parti avaient identifié la révolution au progrès matériel ». 
La renommée du village  est intimement liée à Chen Yonggui, secrétaire du Parti à Dàzhài, depuis 1952, et qui fut hissé au rang de héros national par Mao Zedong. Aujourd'hui, les historiens - chinois et étrangers - contestent le rôle de Chen Yonggui et critiquent sévèrement les méthodes qu'il employa pour organiser le travail de cette petite communauté : il ne serait qu'un tyran brutal, forçant jusqu'à l'épuisement les paysans, exigeant d'eux une soumission totale. D'autres, au contraire, affirmaient qu'il était l'incarnation totale, parfaite, merveilleuse de l'« Homme nouveau » socialiste, offrant à la Révolution un dévouement absolu, une énergie impitoyable, une détermination à lutter contre ceux qui pendant des siècles avaient asservi le peuple et une impitoyable intransigeance pour ses ennemis, quelqu'ils soient.
 

Dàzhài 大寨

 

Dàzhài est un village de la province chinoise du Shanxi, situé dans le district de Xiyang, à cinq kilomètres du gros bourg du même nom, que l'on atteint après plusieurs de car depuis la gare de Yangchuan, à six heures de train de Pékin. Dazhai est situé à 1000 mètres d'altitude et soumis à un rude climat, si certains printemps restent sans eau les trombes de l'été peuvent tout emporter. Un district de montagne, un sol peu propice à l'agriculture et un climat particulièrement difficile déchainant régulièrement de nombreuses catastrophes et calamités naturelles : sècheresses et inondations, seront à l'origine de famines et de la pauvreté proverbial des habitants de la région. Selon la légende, Dàzhài serait à l'origine une caserne militaire établie à proximité du col Hongqiao, occupée par des troupes chinoises contre les envahisseurs nomades venus du nord au cours de la Dynastie des Song du Nord (960-1127). Les historiens supposent qu'après la guerre, la caserne abandonnée fut occupée par des réfugiés qui l'ont transformé en hameau. En raison de la pauvreté chronique, la plupart des familles pauvres habitaient des simples abris, les moins pauvres logeaient dans des maisons troglodytes, tandis que les riches familles pouvaient se permettre la construction de grandes maisons troglodytes équipées d'avancées en maçonnerie, les yaodong.


China Dazhai


Pendant l'occupation japonaise entre 1940 et 1945, la région est sous l'influence du Parti communiste chinois, une base importante de l'Armée rouge. En représailles, le village fut entièrement détruit et 42 jeunes paysans seront fusillés. Dès la fin de la guerre, une nouvelle autorité locale est officiellement établie sous la direction du PCC dans le comté de Xiyang. En 1946, la première équipe de secours mutuel " Zu biangong " est mise en place par Jia Jincai, l'un des rares membres du Parti communiste présent dans le village. Cette équipe, composée des membres de 15 familles organisa tout à la fois le travail individuel de chaque famille sur leurs propres champs pendant la morte saison, et des travaux collectifs sur l'ensemble des cultures pendant la saison des récoltes. La production agricole sur les terres des membres de cette équipe donnera un excellent rendement et en 1947, 20 autres familles avaient rejoint l'équipe.

La réforme agraire

En 1946, le Parti communiste chinois, trois ans avant la fondation de la République Populaire de Chine, instaure une réforme agraire en faveur de la paysannerie pauvre et moyennement aisée. Les terres des grands propriétaires seront en partie expropriées et redistribuées afin que chaque foyer dans chaque village rural ait - plus ou moins - la même surface cultivable. Ce n'est qu'en 1947 que la réforme agraire sera appliquée à la région ; le premier grand changement dans une société rurale et agricole, la répartition des terres - affectant les statuts socio-économiques - a bouleversé la hiérarchie sociale et les relations entre les classes, qui ont été divisé à Dàzhài, en trois grands types :
1) les propriétaires fonciers et la classe des paysans riches concernant un riche propriétaire et trois autres familles ;
2) la classe paysanne moyenne concernant 12 familles autonomes ;
3) la classe paysanne moyenne inférieure et les pauvres concernant la
plus grande majorité.

A Dàzhài la redistribution des biens – habitat, terres, bétail -, et des outils agricoles s'effectuera progressivement : 35 familles les plus pauvres auront droit à 26,5 hectares de terres agricoles, seront relogées dans des maisons troglodytes, et auront accès à des droits sociaux, enseignement primaire et santé. Une véritable révolution appréciée des plus pauvres, tandis que les familles les plus aisées – après une épuration des propriétaires fonciers contre-révolutionnaires - conservent encore un certain nombre d'avantages : économie, habitat, terres agricoles de qualité, outillage, etc.

Pas de panique !

Malgré la redistribution des terres, la mise en commun des rares outils, des disparités subsistaient encore au sein de la communauté : dont celle notamment de la force ou de la condition physique d'un individu. Les familles traditionnellement pauvres et qui étaient principalement composées de personnes âgées, de femmes et d'enfants, n'étaient pas invitées ou plus ou moins acceptées à rejoindre l'équipe de secours mutuel " Zu biangong ". Chen Yongguiqui n'avait guère d'expérience agricole, pauvre mais véritable force de la nature, décida alors d'organiser une nouvelle équipe de coopération, qui fut plus tard connu sous le nom « Équipe des personnes âgées et des jeunes », avec les familles les moins favorisées : sa propre famille, quatre anciens de cinquante ans, six adolescents âgés de huit ans à quatorze et dix autres de familles pauvres. Selon les recherches de l'historien Song Liansheng, « même si Chen Yonggui n'avait jamais eu la chance d'aller à l'école, il montra de sérieuses aptitudes en matière d'organisateur et avait une bonne compréhension de la psychologie humaine et de la dialectique. Il savait très bien qu'au sein d'une telle équipe composée de personnes âgées et de jeunes, le plus important était la solidarité et l'enthousiasme, qui pourraient générer une force devant compenser les handicaps physiques. »
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Chen Yongguiqui
 
Une fois l'équipe constituée, - la risée du village - Chen Yonggui réconforta ses membres : " Pas de panique ! Les personnes âgées ont plus d'expériences, les jeunes vont grandir et nous allons à coup sûr les surpasser ". D'une certaine manière, parce que personne dans l'équipe voulait être à la “ traine ” des autres, tous acceptèrent de travailler pendant de longues heures tous les jours de la semaine. Chen venait le plus souvent en aide aux retardataires, en plus de sa charge de travail. Il imagina également de nouvelles méthodes, ainsi par exemple, celle d'organiser une chaine humaine pour le transport des engrais dans les champs. Avec ses nouvelles solutions à la fois pragmatiques et créatives, Chen et son équipe opposèrent une sorte de concurrence acharnée avec l'équipe de Jia. Le résultat de cette concurrence sera que les deux équipes améliorèrent leur efficacité et la productivité, ce qui encore une fois confirmait l'importance de l'organisation coopérative. Quand on y regarde de plus près, la productivité de l'équipe Zu laoshao de Chen semblait être plus impressionnante : le rendement de leur production par mu augmenta considérablement, passant de 50 kg à plus de 100 kg, atteignant même 250 kg : leur production moyenne par mu était plus élevée de 15 kg. Sans surprise, et progressivement d'autres familles rejoindront l'équipe de Chen : 49 ménages (70% du total des ménages) à la fin de 1949, qui lui assurèrent une base plus large pour démontrer sa capacité organisationnelle et sa créativité.


A cette époque, Chen était considéré comme un farouche opposant des plus riches paysans, sensible à la Révolution mais pas encore membre du Parti communiste. Il y a eu des interprétations différentes pour ce qui concerne les méthodes de Chen Yonggui, certains auteurs interprètent la concurrence entre les deux équipes non pas comme une rivalité physique mais plutôt sociale : une concurrence entre deux classes sociales – entre familles aisées et pauvres, ou plutôt, entre deux modèles de développement. Les historiens notent également deux facteurs importants décisifs : la reconnaissance de Chen envers les femmes qu'ils l'avaient recueilli étant orphelin, la dette d'honneur envers la gentillesse des plus pauvres du village qui s'étaient occupés de lui étant jeune, et notamment les personnes âgées. L'autre étant bien évidement son mépris pour les familles aisées qui l'avaient tenu en esclavage. La haute moralité de Chen et sa capacité d'organisateur dans le processus de coopération lui ont permis de gagner la confiance des autorités locales et des habitants. En bref, la réforme agraire et la réorganisation basée sur l'entraide, avaient contribué à créer une distribution plus ou moins égale de la production au sein de l'ensemble de la population. Et le succès de l'équipe dirigée par Chen confirma l'avantage et l'importance de la coopérative et des méthodes collectives. La mise en place de deux équipes de coopération, réorganisa complètement la communauté et des personnalités comme Jia Jincai et Chen Yonggui, avec des antécédents familiaux de pauvre, sont devenus les nouveaux dirigeants pour guider et organiser le développement de Dàzhài.

Réorganisation sociale


La réforme agraire de 1950 constitue l’un des moments fondateurs du projet révolutionnaire chinois. Après la première réforme – timide – de 1946, l'objectif est de faire disparaitre l’ennemi économique et politique qu’incarnent les «propriétaires fonciers féodaux » qui opposaient naturellement une résistance – passive - aux réformes du nouveau régime ; la réforme consiste à la redistribution des terres ayant appartenu à la catégorie des « propriétaires fonciers » ou « paysans riches » et à juger ceux qui avaient exercés des responsabilités dans la gestion des affaires communes. Des  réunions furent organisées dans les villages, au cours desquelles les familles, et notamment les familles sans terres et les ouvriers agricoles, prirent la parole pour décrire leur situation matérielle et pour proposer que leur soit attribué un statut de classe particulier. Les terres et le petit outillage agraire furent à nouveau redistribués.

Bien évidement, ces réunions seront l'occasion pour certains d'une vengeance contre les classes possédantes qui depuis des siècles et des siècles les avaient contraint à l'esclavage, aux humiliations, à une mort vivante. La vengeance des plus pauvres contre les propriétaires fonciers et les paysans riches sera à la mesure des injustices qu'ils avaient du subir et les violences physiques et psychologiques seront considérées légitimes.
C'est à cette époque que les autorités locales recrutent de nouveaux militants « activistes » issus de la population ordinaire au sein des couches les plus pauvres de l'ancienne société, Mao proclame l’importance qu’il accorde à cette catégorie :  Il faut essentiellement prendre appui sur les membres du Parti, les cadres ruraux et ceux qui, parmi les paysans, se distinguent comme activistes. On trouve ces activistes parmi les paysans pauvres, les paysans moyens et dans les foyers qui manquent de grains. Le texte, d’où est tirée cette citation, précise qu’il s’agit de prendre les organes de pouvoir du Parti et du gouvernement comme noyau dirigeant, et de sélectionner, parmi la population locale, 10 à 20 % d’activistes. Le noyau dirigeant doit s’appuyer sur les activistes pour diffuser, au sein du peuple, les différentes mesures politiques adoptées. Dans une étude, Hua Linshan précise : les activistes sont choisis avec attention par les cadres du Parti et forment un groupe social spécifique ayant reçu une formation systématique. On compte aussi, parmi eux, des membres du Parti ou de la Ligue de la jeunesse communiste qui ont également fait l’objet d’une sélection et d’une formation mais qui n’ont pas encore été promus cadres. Hua Linshan parle à ce propos de la formation d’une catégorie spécifique au sein de la société chinoise : celle du « peuple avancé ». Le Parti souligne régulièrement que ceux qui sont choisis comme activistes sont  plus progressistes que les autres, insistant par là-même sur leur comportement politique plutôt que sur leur statut social. L’historien décrit également comment les cadres du parti s’efforcent effectivement, dès leur arrivée au pouvoir, de former un groupe représentant environ 10 à 20 % de la population locale, dans chaque village, dans chaque canton, dans chaque district. C’est en prenant appui sur ce « peuple avancé » que le Parti gouverne et contrôle le reste de la population. Mao a nommé ce modèle de gouvernement particulier « la dictature des masses » pour bien le distinguer du modèle soviétique. Les critères des autorités communistes pour sélectionner les éléments du « peuple avancé » sont officiellement, outre la fiabilité politique (soit l’obéissance au Parti), « les compétences, l’équité et l’estime accordée par les masses ». Ceux qui possèdent des savoir-faire ou des compétences techniques spécifiques sont souvent sollicités. Les documents officiels étudiés par Hua Linshan montrent également que le mode de distribution des biens et ressources rares, disponibles au sein de la société, privilégie ce groupe social et encourage donc les individus à essayer d’en faire partie. Que ce soit pour l’affectation à un emploi rémunéré, pour une promotion ou pour une nomination à un poste de cadre, les membres du « peuple avancé » sont prioritaires. Par ailleurs, il est absolument nécessaire d’avoir été activiste pour pouvoir envisager devenir membre du Parti, puis cadre.
Chen Yonggui disposait de toutes les conditions requises pour devenir membre du Parti et Jia Jincai, sera l'introducteur de Chen au PCC en 1948. Après une formation, il  rejoindra avec d'autres compagnons le groupe d'activistes de Dàzhài. Chen Yonggui, était déjà, à l’époque du tonggou tonxiao, un activiste réputé dans toute la région. Sa formation à peine terminée, son premier geste fut de vendre à l’État 5 500 livres de grains sur les 6 000 que possédait sa famille. Un autre activiste du village, Li Xiqing, livra, quant à lui, 6 000 livres de grains. Les 14 membres locaux du Parti remirent, en tout, 12 200 livres de céréales à l’État, soit deux fois plus que ce qui leur était demandé. Un document signalait que « Le village devait remettre au total 35 000 livres de grains, mais le secrétaire du Parti s’engagea avec confiance à remettre en tout 60 000 livres. » Le quota finalement atteint fut de 45 000 livres. Les activistes ne se sont pas contentés de donner l’exemple en livrant à l’État des quantités supérieures à celles qui étaient réclamées. Les mesures qui accompagnaient la mise en place du nouveau dispositif spécifiaient que les grains vendus à l’État devaient être ceux qui restaient une fois que « les grains pour la bouche » (ceux nécessaires à la consommation familiale) avaient été mis de côté.
L’estimation, pour chaque foyer, du volume de céréales à remettre à l’État impliquait donc toute une série de calculs sur lesquels il fallait s’entendre : le montant de la production par mu selon la qualité des parcelles ; la quantité de grains à conserver pour les semences et pour le bétail ; celle à retrancher pour la consommation familiale (à raison de 360 livres par individu et par an). La production totale devait être évaluée en fonction des résultats de l’année précédente et des variations enregistrées pendant les premiers mois de l’année en cours. Pour diminuer la quantité de céréales qu’ils devaient vendre à l’État au prix faible imposé, les foyers furent enclins à annoncer des chiffres de production inférieurs à la réalité. Sans l’engagement radical des activistes, qui vivaient aux côtés des paysans ordinaires, le « système d’achat et de ravitaillement unifié » n’aurait pu être adopté avec une telle rapidité et une telle efficacité. Les archives administratives ainsi que les entretiens réalisés sur place soulignent que les activistes ont bel et bien fourni des quantités de céréales supérieures à ce qui était attendu. L’un des habitants de Dazhai raconte aujourd’hui :
Les activistes montraient l’exemple tout en sachant pertinemment que, sur le plan des grains, c’était à leur détriment. Et c’est bien parce qu’ils acceptaient, eux, ce sacrifice, qu’il devenait plus difficile pour nous autres de prendre la parole pour nous opposer à cette mesure. L’activiste Chen Yonggui n’a gardé que 500 livres pour sa famille de 4 personnes. Mais on sait très bien chez nous qu’il faut environ 360 livres par personne pour survivre. Quelques mois après le mouvement, toute sa famille n’avait plus de quoi manger : il a fallu qu’ils trouvent toutes sortes de moyens pour survivre.
En 1952, Chen Yonggui, activiste local,  a 36 ans, est fort comme un bœuf et analphabète, mais convaincu par ses talents d'organisateur, Jia Jincai, l'introducteur de Chen au PCC en 1948, propose son élection en tant que secrétaire de la section du Parti à Dàzhài. A une période où le régime décide le renforcement des mesures de collectivisation des terres ; la mise en place en 1953 du « système d’achat et de ravitaillement unifié » qui établit le monopole de l’État sur l’acquisition et la distribution des produits agricoles, le mouvement de collectivisation lancé à grande échelle à la fin de l’année 1955, lequel aboutira, fin 1956, à l’organisation en coopératives de la totalité des 120 millions de familles rurales, obligeant les exploitants isolés à se joindre aux coopératives, qui à leur tour seront regroupés en 1958 en Communes populaires, sous contrôle centralisé des droits de propriétés et principe égalitaire de redistribution de la production.
Après le processus national de collectivisation agricole, les autorités décidèrent d'organiser l'institution de coopératives agricoles. La majorité des familles – pauvres - de Dàzhài, était impatiente de fonder la nouvelle coopérative, tandis que d'autres – les plus aisés - préféraient cultiver leurs terres individuellement. Les membres de la coopérative réussirent à doubler le rendement annuel moyen de 70 kg par mu à 131 kg, une productivité plus élevée par rapport aux 125 kg par mu en moyenne des paysans hors coopérative. À la fin de 1955, tous les familles (73) sauf une famille aisée d'ex-propriétaire, avaient rejoint la coopérative. Dàzhài n'était plus un village traditionnel mais un nouveau type de communauté
rurale fonctionnant en coopérative.
Ce changement structurel et organisationnel produira un grand changement de mentalité parmi les paysans : une grande ferveur, un véritable espoir dans la communauté et une grande confiance.  Ce qui n'était déjà plus le cas dans nombre de villages car au fil du temps et des réformes, les paysans montraient de moins en moins d'enthousiasme au travail ;   une des principales raisons qui expliquait leur manque d’ardeur à produire tenait à ce que les foyers, qui produisaient plus, n’en tiraient aucun avantage  tandis que les foyers, qui produisaient moins, ne s’en sortaient pas plus mal. Quel que soit le travail fourni, le résultat était le même, mais les premiers avaient dépensé plus d’énergie.



Les cultures en terrasses


Les contraintes topographiques de Dàzhài faisaient que la plupart des terres cultivables étaient morcelées, sur les flancs des montagnes, au fond des ravins, non véritablement protégées contre les inondations, le vétuste système d'irrigation était en partie inefficace : les cultures vont jaunir s'il n'y a pas de pluie dans trois jours, mais une forte pluie peut facilement éroder le sol (Song). Grâce aux efforts collectifs de la coopérative, les familles parvenaient à maintenir l'approvisionnement en denrées alimentaires de base et à constituer des réserves : il était à présent temps de penser – du fait de la collectivisation des terres - à un plan de développement global des surfaces cultivées et à la création de nouvelles, à plus grande échelle. Selon les historiens Chen Yonggui sera à l'origine d'un plan audacieux, en gestation depuis longtemps : remodeler le relief, les flancs des montagnes et des ravins ; à ses yeux, l'environnement montagneux avait un potentiel unique et à partir de 1952, très progressivement, les paysans, sous la direction de Chen Yonggui, décidèrent de modifier le relief escarpé et improductif des sept ravines et huit crêtes, des terres de qualité médiocre et, de surcroit, situées à flanc de montagne, afin de construire des cascades de champs et de rizières en terrasses. Un projet très ambitieux.

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Dàzhài : les  terrasses en cours de construction


Les paysans de Dàzhài, en plus des travaux agricoles quotidiens, entamèrent les premières constructions de murs de pierres hauts de 2 à 3 mètres qui délimitaient des parcelles de terre très étroites qui se succédaient en grimpant le long des flancs escarpés de la montagne. Aucun explosif, pas de machines, seulement une volonté inébranlable, la force des pelles et des pioches, qui s'attaquèrent au relief pour construire ce qui deviendra par la suite les fameuses terrasses de Dàzhài. Avec les expériences et les leçons accumulées au cours de cette première période, le plan des aménagements devient plus clair et définitif. En 1954, Chen Yonggui présenta son plan à la Direction de district du Parti qui est accepté. Il ne restait plus qu'à mobiliser – ou convaincre – les paysans de la coopérative, pour l'organisation du gigantesque chantier à venir : car certains le considéraient comme trop ambitieux, d'autres s'interrogeaient sur son efficacité. Néanmoins, à force de persuasion, les travaux débutèrent.

Défis sur-humains ?

Au premier recensement national effectué en 1953, la population chinoise se composait d'environ 600 millions d'habitants ; la surface moyenne de terre cultivable estimée par habitant était seulement de 2,5 mu (0,17 hectare), bien en-deçà de la moyenne mondiale. Le développement, la modernisation de l'agriculture représentaient ainsi un véritable défi pour le gouvernement.  A Dàzhài, la réponse sera pragmatique : augmenter les surfaces cultivables et leur productivité avec les moyens disponibles, c'est-à-dire, sans véritables connaissances des nouvelles techniques de modernisation de l'agriculture, des systèmes d'irrigation, sans électricité, sans engins, etc. : les agriculteurs ne pouvaient compter que sur les expériences ancestrales et les récentes expériences – expérimentations plutôt – de culture en terrasses. D'autres expériences seront également tentées pour améliorer le système d'irrigation et la qualité des sols par l'utilisation d'engrais organiques fermentés en paille et fumiers.
Entre l'hiver 1954 et le printemps 1955, les travaux concernent les quatre plus importantes ravines, et le plus grand défi auquel seront confrontés les paysans de Dàzhài : la transformation du ravin le plus grand - Langwozhang (l’abri des loups) ; 1,5 kilomètre de long, 13 mètres de largeur et une différence de hauteur de 200 mètres. Lors des fortes pluies, l'important débit d'eau et de boue représentait une menace pour les champs voisins : un barrage pouvait permettre tout à la fois de sécuriser la zone et constituer une retenue d'eau utile pour le système d'irrigation. Les deux premières tentatives avaient échoué, les nouveaux barrages et les polders construits dans le ravin avaient été emportés par les graves inondations de la saison des pluies de l'année 1956 et 1957. Chen Yonggui imagina alors une nouvelle solution inspirée de l'arc des voutes, principe constructif fréquent dans l'architecture vernaculaire des maisons troglodytes, et des ponts. Il suggéra de construire le barrage en forme d'arche qui rendrait le barrage plus solide et résistant. Il parvint à convaincre les paysans et la construction du nouveau barrage débuta à l'hiver 1957, qui résista par la suite aux torrents de boue déferlant des pentes du ravin. Un travail harassant, sans équipements sophistiqués dans des conditions climatiques difficiles achevé en 27 jours.

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Dàzhài





Après cinq années consécutives, entre l'hiver 1953 et le printemps 1958, les habitants de Dàzhài avaient construit quelque 180 barrages de pierres pour une longueur totale de 15 kilomètres dans les sept ravines, deux canaux, deux réservoirs, et plus de 3000 petits bassins. Ils ont transformé 300 mu (20 hectares) de terres en pente en terrasses cultivées, et récupéré 80 mu (6 hectares) de terres cultivables dans les ravines.

A la fin des années 1950, le district s'ouvrait progressivement à la modernisation, le nouveau réseau routier à l'échelle nationale et régionale, le développement du parc mécanique  – camions, tracteurs, moissonneuses, moto-culteurs, pompes à eau, etc. – facilitaient l'accessibilité et la modernisation des villages isolés amenant la mécanisation agricole, des équipements modernes, des technologies nouvelles (irrigation, graine, etc.).


1958-60 :
Le Grand Bond en avant (dayuejin)
Le Grand Bond en avant imaginé par Mao Zedong, est centré sur un nouveau système socio-économique créé dans les campagnes et quelques espaces urbains : les communes populaires. À la fin de 1958, 750 000 coopératives agricoles sont regroupées en 23 500 communes. Chaque commune contrôle tous les moyens de production et opère indépendamment des autres. Le modèle prévoit que les communes seront (théoriquement) auto-suffisantes en ce qui a trait à l'agriculture, aux petites industries (dont les fonderies d'acier de fonds de cours), aux écoles, à l'administration et à la sécurité locale (via une milice). Le système est aussi basé sur l'espoir qu'il permettra de libérer des ressources pour les travaux d'infrastructure, partie prenante du plan de développement. Ce fut une des périodes les plus noires de l'histoire de la Chine, de trois années consécutives de graves catastrophes naturelles [inondations et sècheresse, selon les régions] entrainant une extraordinaire diminution de la production dont la conséquence fut la Grande Famine [三年大饥荒] faisant, selon les historiens, entre 15 [officiellement] et 36 millions de morts.

La brigade de Dàzhài , associée à sept autres villages environnants, constituera ainsi une Commune populaire, dont l'épicentre est le village de Wujiaping, regroupant 1.370 personnes réparties dans 809 ménages. Cette réorganisation a permis aux populations locales de prendre conscience de la nécessité de la mise en place d'équipements collectifs pour améliorer leurs conditions de vie, les activités liées à la vie quotidienne, et non plus seulement de travail. Ainsi, en 1961, seront construites de nouvelles maisons et une salle à manger collective qui, contrairement à d'autres ayant souffert de la Grande famine, réussira à maintenir, par une planification rigoureuse et une économie scrupuleuse, un équilibre entre la demande et l'offre pour les repas quotidiens au sein de la communauté.

Auto-évaluation


Pendant cette période difficile, la direction locale du Parti réorganisa la procédure d'attribution des points de travail, et en 1960, Dàzhài organisa un système d'auto-évaluation : une nouvelle méthode pour la redistribution des revenus en fonction de la force d’un individu, de la nature et de la valeur de son travail. Des réunions périodiques sont organisées où chaque membre de  la brigade juge devant l'assemblée le travail qu'il a produit et décide de lui-même du montant de sa rétribution (des points-travail modèles). Le système de calcul ne repose plus sur la journée de travail de base, ce qui avait pour effet de stimuler le travail des paysans mais aussi de différencier les individus selon leur force physique, leur âge, leur niveau technique, le nombre de membres de la famille, et de favoriser la quantité davantage que la qualité. A présent, le calcul repose sur la journée effective de travail  : " ce qui revient à dire que l'on garantit le travail et que les points de travail sont donnés selon le comportement de chacun, ce qui est une méthode simple et juste. Ainsi peu importe que l'on soit fort ou faible, il faut seulement que l'on soit capable de travailler. " nous explique Maria-Antonietta Macciocchi. Une méthode destinée à  faire échec à l'« individualisme »,  à éliminer les différences en luttant contre les « riches » que l'on amène à se dénoncer eux-mêmes : il s'agit d'aider les pauvres à prendre en main leur propre développement et faire échec aux éléments riches de la paysannerie, perçus comme une menace pour l'ordre nouveau de la collectivisation.

Cette méthode de répartition des revenus sera par la suite étendue à toutes les communes populaire de la Chine et sera considérée par les observateurs étrangers, après les efforts faits pour la construction des cultures en terrasses, comme une des principales avancées de l' « Esprit  Dàzhài », le « maximum de maturité politique » selon Maria-Antonietta Macciocchi :

« Ils ont ouvert les esprits à la générosité socialiste de la gestion collective, par laquelle tout est répartit. Ils ont compté les journées de travail d'après des points-travail modèles que le paysan s'octroie lui-même une fois par mois, lors d'une discussion publique avec l'ensemble de la brigade. »



L'autonomie comme principe


En 1963, après sept jours et nuits de fortes pluies continues, équivalent au total des précipitations de l'année entière de 1962, le village connaît une inondation dévastatrice - la plus importante depuis cent ans. Selon les archives, l'ensemble des parcelles de terre agricole a été endommagé à des degrés divers : 540 mu (36 hectares) des terres agricoles ont été inondés, 180 mu (12 hectares) ont été gravement endommagé. Les habitations étaient aussi sévèrement endommagées, dont 113 des 140 maisons troglodytes, et 77 maisons sur 125 sont en ruine.

Une fois le déluge passé, les habitants de Dàzhài décidèrent de donner priorité au sauvetage des récoltes de l'année : 60% des effectifs de la population étaient consignés à la restauration à la fois des murs et des cultures et à la préparation de nouvelles cultures, 20% était affectés à la fabrication de l'engrais organique nécessaire pour la prochaine récolte, et 20 % devaient préparer et fabriquer les matériaux - briques et calcaire - pour la construction de maisons troglodytes. Ainsi, selon la propagande, Chen Yonggui sauva la récolte. Mieux encore, puisqu'il refusa toute aide extérieure de l'Etat, lançant le mot d’ordre qui fit sa gloire : « Comptons sur nos propres forces » : " Pas de nourriture de secours de l'Etat, aucun fonds de secours de l'Etat, pas de fournitures de secours de l'Etat ; même ration alimentaire aux membres de la commune, et même salaire. ", sans aucun doute, un écho et une stricte mise en pratique du vigoureux plaidoyer de Mao Zedong à propos d'autonomie. Enfin, Chen Yonggui suggéra d'effectuer des heures supplémentaires et de travailler la nuit à la re-construction des habitations ; une suggestion plutôt controversée et longuement discutée ; mais acceptée par la suite, Chen montrant l'exemple chaque soir, en ramenant des champs d'énormes pierres... L'historien Song Liansheng, note que ce dévouement exemplaire, est peut-être la mise en pratique des enseignements des conférences ou des réunions organisées par le Parti communiste du comté de Xiyang ; comme il le disait souvent : " Les actions parlent mieux que les mots" et " Les cadres du parti doivent toujours aller de l'avant et contribuer plus que les autres ".

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Dàzhài : les “Femmes de fer”


Les dures années qui suivirent servirent d’exemple à la nation entière : « Pendant trois ans, on a travaillé le jour dans les champs, et la nuit à reconstruire le village. De 10 à 70 ans, tous les habitants étaient obligés de s’y mettre », témoigne Mme Lei ; et admet que ce fut « très dur », en ajoutant aussitôt qu’elle est « très fière ». Jia Xiu Lan, 13 ans lors de l’inondation, raconte : « On était 23 enfants, toutes des filles. Aucune d’entre nous n’a voulu abandonner les parents qui travaillaient jour et nuit, on les a aidés même l’hiver, par moins 23 degrés. Cela nous a valu notre surnom, les “Femmes de fer”». Car en effet, le travail des femmes, à cette époque, consistait davantage à s'occuper des tâches ménagères ou ne nécessitant pas de vigoureux efforts physiques. Les “ Femmes de fer ” - d'autres plus âgées rejoindront les plus jeunes - commencèrent à apprendre les rudiments des travaux agricoles, y compris le transport des céréales, de l'eau et des engrais dans un premier temps, puis par la suite des travaux plus habiles et physiques comme le labour profond des terres. Peu à peu, il sera reconnu que ses jeunes filles étaient une force indispensable pour la communauté.

C'est à cette époque également que le Comité local du Parti de Dàzhài décide de collectiviser l'ensemble des cultures - des lopins de terre étaient à disposition exclusive d'une famille y compris sa production - et des animaux de ferme - une famille ou un individu pouvait posséder un cochon, des poules, etc. Enfin, certains habitants décidèrent d'acheter avec leurs propres économies les matériaux et les outils nécessaires aux constructions, une sorte de prêt fait à la coopérative qui s'engageait à les rembourser.

A propos de l'”autonomie”


On reprocha souvent à Chen Yonggui, son insistance à refuser des aides quelconques de l'Etat, son intransigeance à propos de l'autonomie du village. Ces visions n'étaient pas partagées par l'ensemble des habitants et lorsque les cadres du Parti du district eurent vent des plaintes ou de l'opposition de certains sur une telle décision, sept réunions seront organisées en interne ; puis lors d'une réunion plénière conviant la communauté tout entière à s'exprimer, Chen après avoir rappelé l'histoire de Dàzhài, développa avec ferveur les avantages de l'"autonomie" pour le bien de la nation toute entière. Les explications de Chen semblent avoir convaincu tout le monde, car plus aucune plainte ne sera faite. Mais certains historiens affirment, bien au contraire, que les opposants auraient été soumis à toutes sortes de pressions et de menaces ; le travail de mobilisation s’effectuait lors de réunions publiques dont le but était de convaincre les membres de la collectivité de faire ce que l’on attendait d’eux ; mais le but aussi de ces réunions était de faire en sorte que soient considérés comme allant de soi, et seuls pertinents, certains modes d’expression et d’interprétation. Selon eux, il ne s’agissait plus de contraindre les foyers à se conformer à une action précise telle que vendre leurs grains à l’État : les réunions organisées à Dàzhài pendant plus d’une décennie visaient à réduire, en amont, les possibilités d’action des paysans, à restreindre les choix pouvant être publiquement identifiés.

L'autonomie du village peut être relativisée car Dàzhài, à partir de la fin des années 1950, et plus encore après la catastrophe de 1963, pouvait bénéficier d'aides extérieures des villages et des villes de la région qui fourniront les matériaux nécessaires pour la construction des murs de soutènement des terrasses et des bâtiments tels que l'acier, le ciment, les tuiles, le bois, etc. Une aide de solidarité faite dans le cadre d'échanges mutuels, Dàzhài la payant en produits agricoles. D'autre part, contrairement à ce que l’on a longtemps prétendu, le village a bénéficié d’une aide spécifique de l’État chinois. Selon les recherches de Song Liansheng, Dàzhài fut équipé en camions, tracteurs, autres machines agricoles et bulldozers. L'armée, par la suite, sera appelée en renfort, pour venir en aide aux habitants pour la construction d'un aqueduc et de réservoirs d'eau. D'autres auteurs affirment - sans réelle preuve - que quelque 844.565 yuans auraient été versés à la brigade de production, c’est-à-dire 10 000 yuans par foyer, et 1 750 yuans par personne. De plus, comme l’attestent de nombreux témoignages, pour ce qui est de la production, les chiffres étaient régulièrement gonflés par la propagande.

Il n’en demeure pas moins que la somme de travail qu’ont exigée les réalisations de Dàzhài reste impressionnante. On ne peut qu’admirer l’endurance et le courage des dizaines d’hommes et de femmes qui ont réalisé cet ouvrage, qui deviendront bientôt un modèle dans la province du Shanxi et, enfin, l'ensemble du pays. Autant de dévouement, de ferveur révolutionnaire, d'exploits ne pouvaient pas être ignorés, dans une jeune République où les positions des dirigeants politiques du Comité central s'opposaient sur le [ir]-réalisme de certaines réformes décidées par Mao Zedong, de plus en plus contesté.


Mao Zedong and Chen Yonggui at Dazhai- 1969
Dàzhài :  Mao Zedong  et Chen Yonggui

Mao Zedong : Imiter Dàzhài !


En Novembre 1963, dans un communiqué publié par le Comité du Parti de la province du Shanxi, Dàzhài et Chen sont cités comme modèles pour le reste des provinces. La renommée de Dàzhài s'amplifie en mars 1964, quand le président Mao Zedong – qui a eu écho des exploits par la presse - demande à Zhou Enlai d'enquêter sur ce village. Le secrétaire du Parti de la province, Tao Lujia, le ministre de l'Agriculture, Liao Luyan s’y rendent, confirment les faits et établissent un rapport positif au sujet de Dàzhài. En décembre, Zhou Enlai donne les conclusions de son rapport à propos de Dàzhài à la première session de la Troisième Assemblée populaire nationale, où Chen a été invité à y assister. Le 26 Décembre, il est invité au banquet d'anniversaire du président Mao.

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Mao Zedong et Chen Yonggui







En 1964, lors du moment du mouvement d’éducation socialiste, qui visait à modifier, de façon irréversible, les organisations et les techniques, et ce en mettant l’accent sur l’idéologie et la morale révolutionnaire, Dàzhài fait, à Pékin, l’objet d’une exposition. On y montrait comment les membres de la brigade de production avaient, grâce à d’impressionnants travaux de terrassement, réussi à obtenir des rendements extraordinaires sur des terres de qualité médiocre et, de surcroît, situées à flanc de montagne. Cette exposition a donné lieu à une campagne nationale, connue sous l’appellation « Imiter Dàzhài ».  En Janvier 1965, Mao Zedong préside à la compilation des "questions soulevées du Mouvement d'éducation socialiste à la campagne ". Ce fut la première fois que «Apprenez de Dàzhài » a eu lieu jusqu'à l'échelle nationale dans un document écrit du gouvernement central. "Apprenez de Dàzhài», une campagne nationale, a atteint son apogée.


Spring in Dazhai-1970
Dàzhài : Chen Yonggui et une délégation 
Une campagne orchestrée à un moment critique pour Mao Zedong, contesté pour sa politique générale et critiqué pour les échecs successifs de ces réformes agraires. Une période où des dirigeants au sein du Parti, comme Liu Shaoqi, prônaient une voie capitaliste : l'expansion des terres cultivées pour un usage privé et à la vente, les marchés libres, les petites entreprises individuelles, le développement des villes, l'utilisation de main-d'œuvre salariée, l'achat et la vente de terrains, etc. La réussite de Dàzhài pouvait, autant que peut, contrebalancer les échecs des réformes agraires décidées par Mao Zedong et surtout servir de prodigieux contre-exemple. Pourtant le prestige personnel de Mao est tel que l'appareil ne peut l'évincer sans compromettre son unité, sa légitimité, son existence même. Car Mao Zedong, malgré les attaques de plus en plus vives de ses adversaires politiques, n'en restait pas moins pour les classes populaires, et notamment les paysans, le guide suprême et incontesté. Ainsi, après ces déclarations, Dàzhài deviendra une étape obligée pour les dignitaires, les cadres du Parti, les responsables de coopérative agricole, venus dans ce village célèbre pour «apprendre de Dàzhài ». Zhou Enlai y séjourne à plusieurs reprises, d'autres dirigeants le suivent, des chefs d'État étrangers y passent une journée. Mao Zedong n'y viendra jamais, mais sa dernière épouse, Jiang Qing de la « Bande des quatre », y a été photographiée pendant la Révolution culturelle, creusant une tranchée « contre les attaques militaires ». Cette campagne, qualifiée de « mouvement », touchera le pays tout entier et ne prendra fin qu’en
1979, bien après la mort de Mao. Pendant longtemps, pour le monde entier, en particulier les pays du tiers-monde, Dàzhài sera considéré comme "la Mecque" dans le domaine de l'agriculture collectiviste.


Walk the road of Dazhai-1965
Dàzhài : Chen Yonggui au travail
  
La nouvelle colonie


Après les inondations de 1963, il sera décidé de construire un nouveau village. Dans un premier temps, la re-construction d'urgence s'opéra en grande partie la nuit après les heures de travail agricole, et 60 nouvelles habitations sont construites.  Lorsque l'on juge de l'ampleur des nouvelles constructions, de leur typologie, on peut avancer l'idée que des ingénieurs et des architectes ont certainement participé à l'élaboration, ou bien ont conseillé les habitants-constructeurs, mais des témoignages affirment que les premières constructions, dont les logements collectifs ont été conçus sans aide extérieure ; l’historien Hua Lanhong assure que la construction et la planification a été faite sans l'appui de professionnels, sauf un hôtel conçu plus tard.  Certains auteurs, à ce propos, regrettent qu'aucun professionnel n'ait prit part à la conception, et Hua Lanhong dénonce ainsi la qualité architecturale des constructions, et notamment celles des habitations collectives, plutôt "ennuyeuses" qui contrastent avec la beauté du site. Il ne fait aucun doute que les grandes lignes du plan, la logique d'organisation, les nouvelles configurations spatiales ont été pensé et élaboré par le " bon sens " des habitants ; et il est logique encore plus de supposer que les habitants, en particulier les dirigeants, étaient probablement confiant dans leurs connaissances et compétences pour prendre conseils auprès d'experts extérieurs.

Dàzhài : plan année 1970

Les principes du plan urbain

Au-delà de la fonctionnalité du plan, la condition première exigée par le régime – règle obligatoire et commune à tous les établissements urbains de la République Populaire de Chine – était l'obligation de loger décemment tous les habitants et de leur fournir les équipements publics nécessaires. Les habitations appartiennent à la coopérative et sont louées pour une somme représentant, généralement, 5 à 10 % du salaire mensuel.  Le second grand principe devait répondre à une des préoccupations majeures des agriculteurs : privilégier les surfaces cultivées qui impliquait que le village devait donc être, autant que possible, compact et dense, et détermina la préférence pour des habitations collectives plutôt qu'individuelles. Néanmoins, la typologie de l'habitat traditionnel vernaculaire, les maisons troglodytes, des  yaodong,  sera encore employée. Le principe de densité s'appliquera également aux espaces publics : les espaces dédiées aux activités agricoles ont été planifié à des fins multiples – les espaces de séchage des cultures, de stockage temporaire des marchandises, pouvaient également être utilisés comme lieux où se tenaient les réunions, les fêtes, les activités culturelles - cinéma en plein air - et sportives - terrain de basket, etc. En outre, l'organisation générale du plan, sera déterminée par l'orientation des nouvelles constructions par rapport au soleil et aux vents dominants.

Dàzhài
Le principe d'autonomie impliquait que la communauté puisse vivre en quasi autarcie, et notamment pour ce qui concerne les ressources en vivres. La programmation incluait ainsi une ferme et des enclos d'élevage - cochons, vaches, chevaux, volailles, etc. - des entrepôts pour le stockage des grains et des récoltes fruitières, la construction d'une petite usine de pâte alimentaire destinée à l'auto-suffisance de la communauté. De même, une fabrique de briques et un atelier de réparation mécanique seront installés dans le village. Ce principe d'autonomie impliquait également la construction d'équipements publics destinés notamment à l'éducation des enfants, à la santé des habitants mais également à des activités de loisirs. Ainsi, une série de bâtiments publics sera construite au fil du temps : dispensaire, maternelle, école primaire, école du soir, clinique, bibliothèque, librairie, club de jeunes, centre culturel, boutique, restaurant, bureau de poste, terrains de jeux, etc.

Les activités culturelles matérialisées par une série de bâtiments seront les plus grandes nouveautés pour les habitants : pour la première fois depuis la fondation du hameau, les habitants pouvaient bénéficier de tels lieux ; plus qu'une réponse aux nouveaux besoins des habitants pour agrémenter leur vie quotidienne, ces activités collectives - nouvelles et modernes - devaient être des espaces où les idées et les pensées étaient échangées et où la propagande devait s'effectuer.

 Dàzhài
La propagande faite par les plus hauts dignitaires du Parti, nous l'avons évoqué, attira quotidiennement de très nombreux visiteurs venus étudier et «apprendre de Dàzhài » ; ainsi, seront construits des chambres d’hôte pour les recevoir et un auditorium destiné aux colloques organisés pour les délégations. Selon les études de Song Liansheng,  des professionnels ont été invités pour concevoir et construire des résidences pour les hauts dignitaires et les dirigeants étrangers. Plus tard, un nouvel hôtel plus moderne sera construit par un architecte ; unique témoignage de la participation des professionnels "extérieurs" dans la reconstruction de Dàzhài.

L'organisation

Dàzhài sera divisée en zones distinctes : un quartier d'habitations, une zone où se concentre les équipements et les services publics et une zone pour les activités comprenant les espaces publics pouvant être utilisés à d'autres fins. Les installations concernant la ferme, les entrepôts, les ateliers de réparation et les fabriques sont implantés près des champs tandis que les habitations et les services publics prennent place le long de la route principale qui relie le village au monde extérieur. Une donnée importante pour un village devant recevoir chaque année des dizaines de milliers de visiteurs et de journalistes du monde entier.




SECONDE VICTOIRE


En 1972, une seconde grande victoire est remportée  : après avoir résisté à l'inondation de 1963, Dàzhài résiste à la grave sécheresse : la brigade avait depuis les reconstructions de 1963 prévu un réservoir collinaire alimenté par un canal et un aqueduc, le tout mis en oeuvre au niveau du district dans la triple union des cadres administratifs des cadres techniques et des paysans,  et avec l'aide de l'armée. En complément de cette seconde grande étape « vaincre la sécheresse » apparaît un nouveau mot ordre lancé par Dàzhài : « produire de façon durable des récoltes à haut rendement »,  mot d'ordre qui va amorcer la phase de la
mécanisation agricole travers la Chine.


Les habitants continueront tout au long des années 1970 la construction de cultures en terrasses et de nouvelles constructions mais en bénéficiant, à présent, d'engins mécaniques, de l'aide de l'armée, de bénévoles et de "ruralisés" ; entre 1970 et 1974, ils auront ainsi déplacer 700.000 mètres cubes de terres et pierres, combler 15 ravines pour générer 200 mu supplémentaires de terres cultivables. Les 2900 lopins de terre morcelés, isolés (le plus grand étant inférieure à 5 mu, 0,33 hectares dans la région) de 1946, ont été fusionnés en 900 champs, et des dizaines d'entre eux disposaient d’une surface de plus de 10 mu (3,3 hectares). De plus, l'application de nouvelles techniques agricoles - systèmes d'irrigation par pulvérisation et ruisselant, engrais, etc. – contribuèrent à augmenter encore la production. À la fin de 1974, Dàzhài avait réalisé quelque progrès remarquable : 1) un aqueduc de 7000 mètres de long ; 2) trois réservoirs d’eau au sommet de la montagne du Tigre sur le ; 3) cinq remontées mécaniques sur un total longueur de 2.400 mètres ; 4) une ferme de plus de 400 animaux ; 5) 40.000 arbres fruitiers et 80000 pins; 6) 770 chambres pour les habitants et les hôtes.

Dàzhài
Les leçons de Dàzhài
 
A partir de 1964, Dàzhài fera l'objet d'une somme d'études conséquente dans plusieurs domaines : idéologique, politique, sociologique et ceux des techniques agricoles. Des rapports officiels de cadres du Parti, des actes de colloques, des articles et des interviews de la presse nationale et internationale ainsi que des rapports d'experts chinois et étrangers, de pays "frères" ou même capitalistes, méditeront sur le modèle Dàzhài.

En parcourant cette littérature, et en évitant soigneusement la propagande officielle comme celle d'aujourd'hui de la pensée réactionnaire ou anti-communiste, un point important se dégage, plus ou moins commun - selon les domaines - aux conclusions des uns et des autres : la relative autonomie  idéologique  et administrative des premières années de la Révolution qui a permis l'auto-organisation et l'auto-gestion des habitants. Les décisions ne venaient pas d'en "haut", c'est-à-dire d'une ou plusieurs administrations ou de bureau politique mais d'en "bas", des habitants de la communauté (tout du moins de ceux pauvres qui avaient pendant des décennies subis le système féodal des plus riches).

Mais, " l'esprit Dàzhài ", victime de son succès, sera soumis aux passions des uns et aux convoitises de réussite politique de certains qui, semble-t-il, engageront des travaux pharaoniques parfaitement inutiles  pour prolonger le mythe et par pure ambition d'apparaître politiquement.



Post-Mao


Dans les années 1970, plusieurs colloques seront organisés à propos de Dàzhài auxquels participeront plusieurs hauts dignitaires. En 1975, s'était tenu un colloque ayant pour thème  la mobilisation pour développer l'agriculture et la construction de coopératives sur le modèle de Dàzhài à travers le pays. Le rapport de cette conférence sera écrit par Hua Guofang, futur Premier ministre de la République populaire. Une deuxième conférence sur eut lieu à Pékin en 1976 et le rapport publié le 20 Décembre, 1976, écrit par Zhen Yunguai, ancien secrétaire du Parti à Dàzhài, réaffirme l'orientation prise en 1975 : les six critères pour l'organisation d'un communauté agricole de "type Dàzhài" doivent être :
  1. Le comité du Parti du district doit être un noyau dirigeant qui adhère fermement à la ligne du Parti ;
  2. Il convient d'établir la domination des paysans pauvres et moyen-inférieur en tant que classe, de manière à être en mesure de mener des luttes résolues contre les activités capitalistes et d'exercer un contrôle effectif sur les ennemis de classe ;
  3. Les cadres du comté, de la commune et de la brigade doivent, comme ceux de Xiyang, participé régulièrement au travail productif collectif ;
  4. Des progrès rapides et des résultats substantiels doivent être accomplis dans la construction des terres agricoles, la mécanisation de l'agriculture, et de l'agriculture scientifique ;
  5. L'économie collective devrait être progressivement élargie et la production et des revenus devrait atteindre ou dépasser le niveau actuel des communes pauvres et les brigades de la localité ;
  6. Tout-cycle de développement devrait être faite dans l'agriculture, la
    sylviculture, l'élevage, la pêche et de professions secondaires avec des augmentations considérables de la production, les contributions de grands à l'amélioration constante de l'état et les conditions de vie des membres de la commune.

A relire de près les discours de Hua Guofeng, le nouveau président après Mao, aux conférences d'étude de Dàzhài de 1975 et plus encore de 1977, on s'aperçoit que les connotations politiques l'emportent sur la rationalité économique. Pour Hua Guofeng, le problème est moins de savoir si la généralisation des districts de type Dàzhài est possible, que de souligner la nécessité de montrer les capacités mobilisatrices des structures collectives des communes populaires, de procéder à une purge des dirigeants locaux pour mettre fin « à la mollesse, au laissez-faire et à la paresse », de rassembler sous leur direction raffermie les masses paysannes n'ayant que trop tendance à fuir les communes pour vaquer à des occupations plus lucratives. Plus soumis à une pression politique que désireux d'efficience économique, les dirigeants locaux, de communes, de districts, sont amenés à se lancer dans des travaux conçus à la hâte sur la base de la circonscription où ils ont pouvoir de lever la main-d'oeuvre, sont peu soucieux de dépenser leurs ressources limitées pour des tâches de completion qui ne se « voient pas » : l'essentiel est de ne pas passer « pour un timoré ou  pour un paresseux » (nuofu lanhan), l'important est d'avoir un ouvrage à montrer, des nombres importants de jours de travail dépensés et de mètres cubes de terre déplacés à déclarer.

Enfin, si dans les premiers temps, le « bricolage » des brigades autonomes ont permis d'améliorer les cultures d'un district, l'absence de coordination entre les brigades d'une même région aboutira par la suite à des erreurs ou des projets aberrants. Les rapports entre les experts, les cadres du parti et les masses resteront un problème de fond même dans la société chinoise d'après la Révolution Culturelle. Claude Aubert critiquait ces projets et réalisations qui « semblent avoir procédé d'abord de carences notoires au niveau de la conception des projets entrepris. L'exemple le plus fameux en a été donné par le district modèle de Xiyang lui-même où fut commencée, puis abandonnée après dépense de trois millions de journées de travail et de plusieurs dizaines de millions de yuans, la réalisation aberrante d'un canal de « transfert d'eau d'ouest en est ». Réalisation aberrante en effet, puisqu'elle conduisait à priver d'eau les régions sises en aval du projet, tandis que le coût de revient de l'irrigation dans les champs bénéficiaires était prohibitif. Un projet coûteux et peu efficace. Et c'est à la lumière du développement anarchique de ce type de travaux qu'il faut comprendre le sens des mises en garde multipliées par la suite, appelant à une planification préalable « à l'échelle d'un bassin versant dépassant les entités administratives », rappelant la nécessité de calculs prévisionnels de rentabilité économique du périmètre irrigué... Les gaspillages sont enfin ceux de la main-d'oeuvre que l'on soustrait en masse aux travaux des champs, au risque de négliger les travaux minima d'entretien des cultures en hiver, main-d'oeuvre qui travaille mal, car on ne la paie guère ou sans rapport avec la tâche effectuée. »

La Révolution n'est pas un diner de gala


Les ennemis de la Révolution dans les campagnes seront nombreux en République populaire de Chine : les paysans riches et moyens riches, ceux effrayés par la collectivisation des terres ou contre la suppression des parcelles et des marchés privés, les anti-maoïste, les pro-Staline et bien sûr, les contre-révolutionnaires qui espéraient en la chute du socialisme. Mao pouvait ainsi apprécier la situation :



Il y a une sérieuse tendance au capitalisme chez les paysans aisés. Elle se donnera libre cours si nous relâchons tant soit peu notre travail politique parmi les paysans pendant le mouvement de coopération et dans une longue période à venir.
Note sur l'article : «Une lutte résolue doit être menée contre la tendance au capitalisme» (1955)»L'Essor du socialisme dans les campagnes chinoises.

Depuis quelques années, la tendance spontanée au capitalisme s'affirme chaque jour davantage dans les campagnes; partout on voit apparaître de nouveaux paysans riches, beaucoup de paysans moyens aisés s'efforçant de devenir des paysans riches. D'autre part, de nombreux paysans pauvres, ne disposant pas de moyens de production suffisants, sont encore dans le besoin; certains ont des dettes, d'autres ont vendu ou loué leur terre. Si on laisse se poursuivre cette évolution, le phénomène de différenciation, de glissement vers les deux pôles, ira inévitablement en s'aggravant. Les paysans qui ont perdu leur terre et ceux qui vivent encore dans la pauvreté nous reprocheront de ne pas les secourir et de ne pas les aider à surmonter leurs difficultés. Les paysans moyens aisés, qui ont tendance à s'engager dans la voie du capitalisme, seront eux aussi mécontents de nous; nous ne pourrons jamais, en effet, satisfaire leurs exigences puisque nous n'avons nulle intention de suivre cette voie.
Dans une telle situation, l'alliance des ouvriers et des paysans pourrait-elle encore être solidement maintenue ?
Evidemment pas.
Le problème ne peut être résolu que sur une nouvelle base: tout en procédant
graduellement à l'industrialisation socialiste et à la transformation socialiste de l'artisanat ainsi que de l'industrie et du commerce capitalistes, il faut réaliser progressivement la transformation socialiste de l'agriculture dans son ensemble, c'est-à-dire réaliser la coopération et liquider l'économie des paysans riches et l'économie individuelle dans les régions rurales, afin d'assurer l'aisance à tout le peuple de nos campagnes.
Nous estimons que c'est le seul moyen de consolider l'alliance des ouvriers et des
paysans.
«Sur le problème de la coopération agricole» (31 juillet 1955).

De nombreux écrits de Mao soulignent l’importance extrême que celui-ci accordait, au rapport de force numérique instauré entre les partisans et les opposants d’une politique donnée. Il estimait pour la population rurale à 10 % le nombre de contre-révolutionnaires, à 30 % celui des paysans riches et aisés opposés aux réformes, à 30 % celui des "neutres" favorables au Parti, et enfin à 30 %  le nombre de révolutionnaires acquis à sa cause.



A propos de l'éducation,
de la propagande et de la politique


Le grand problème, c'est l'éducation des paysans. L'économie paysanne est dispersée, et la socialisation de l'agriculture, à en juger par l'expérience de l'Union soviétique, exigera un temps très long et un travail minutieux. Sans socialisation de l'agriculture, il ne peut y avoir de socialisme intégral, solide.

Mao Zedong
«Intervention à la Conférence nationale du Parti communiste chinois sur le Travail de Propagande» (12 mars 1957).


Le mythe de Dazhai symbolisa, dans ces premiers temps et avant que n'arrive la propagande,  l'utopie maoïste pour ce qui concerne l'agriculture socialiste : les pauvres qui se saisissent du développement; une organisation collective fondée sur la brigade; une prospérité créée « en comptant sur ses propres forces », un engrenage du développement à base de travaux d'infrastructure des champs que viennent ensuite compléter engrais et tracteurs  : " Le président Mao demande au pays entier de répondre à ce grand appel : Dans l'agriculture, apprenez de Dazhai. Le parcours de Dazhai est le parcours de la construction socialiste sous la direction des pensées de Mao Zedong." (Quotidien du Peuple, septembre 1970) 



Dàzhài traduit la conviction de Mao selon laquelle une mobilisation politique exceptionnelle peut pousser les individus à se surpasser, leur permettant ainsi de l’emporter sur des techniques de production arriérées. Avec pareille mobilisation populaire, tout devient possible. Pour Mao zedong, et au contraire du système soviétique, à long terme, le régime de bureaucratie aléatoire ne tyrannise pas seulement le peuple ; il affaiblit les structures d'un appareil soumis à une succession rapide d'exigences contradictoires : les changements de ligne. Dans les années 1950 et 1960 la lutte entre les deux lignes apparaît surtout, comme nous l'avons noté plus haut, comme un conflit entre Mao et l'ensemble de l'appareil. Le factionnalisme a installé au sein du parti et du gouvernement des cliques personnelles qui trouvent leur cohésion interne dans la communauté des intérêts plus que dans celle des idées ou des projets politiques.

Ainsi la stratégie de Mao Zedong,  sera de  s'appuyer sur les masses — plutôt que sur une police secrète de type soviétique — pour réduire un appareil indocile et de, selon la  formule officielle « Procéder à une critique intense pour promouvoir un travail intense » (Dapi cu dagan). Cette mobilisation s’appuie sur, d’un côté, la « critique intense », qui porte sur le capitalisme et sur le révisionnisme, de l’autre, le « travail intense », nécessaire à l’édification du socialisme. Dans cette perspective, les cadres à l'intérieur du parti ont pour tâche de convaincre les éléments les plus arriérés des secteurs populaires, travailler parmi eux, élever leur conscience politique et ne pas s'isoler d'eux .  Charles Bettelheim donna une analyse pertinente du rôle de l'éducation politique, de l'idéologie et de l'organisation :


D'une façon générale un des traits les plus frappants de la construction du socialisme en Chine est la pénétration profonde des mots d'ordre dans les masses, l'assimilation par elles de ces mots d'ordre et la traduction de ceux-ci en une pratique quotidienne, tant à la ville qu'à la campagne. Ceci, on peut le constater en visitant les usines et les communes populaires. Ici, encore une fois, on constate que lorsque les idées s'emparent des masses, elles deviennent en quelque sorte des forces matérielles.
Le passage du mot d'ordre au niveau de la pratique quotidienne est assuré en Chine par un effort constant d'éducation politique, de formation idéologique et d'organisation. C'est à travers ces trois sortes d'activité sociale que la conscience révolutionnaire contribue à l'élévation des forces productives.

S'il peut en être ainsi, c'est, évidemment, que les masses ne sont pas mues principalement par l' « intérêt matériel », mais aussi, et surtout, par un idéal ; c'est ce qu'oublient facilement ceux qui n'ont vu dans le matérialisme économique qu'une conception étroitement « matérialiste », c'est-à-dire finalement mécaniste.
La formation idéologique et l'éducation politique, qui permettent aux mots d'ordre de se transformer en une force vive sur une large échelle sociale, ne se développent durablement que grâce au support de l'organisation (organisation du Parti et organisation de masses).

Mais ce support n'est lui-même efficace que si l'organisation est correctement structurée et animée, et si elle jouit de la confiance des masses. Cette confiance ne peut être acquise que dans les circonstances historiques données, celles où l'organisation a pu démontrer clairement sa capacité ; elle ne peut être conservée que par une étroite liaison avec les masses, par un effort incessant en vue de faire participer celles-ci à la compréhension des événements, des mots d'ordre et des décisions. Faute de cette participation, l'organisation devient un organe de « commandement » et les masses se rétractent, c'est-à-dire ne suivent plus qu'avec réticence ou même avec mauvaise volonté les mots d'ordre venus d'en haut. Le rôle de l'organisation, de l'explication et, finalement, des idées est donc décisif pour assurer le succès d'un style de travail et de direction comme celui qui caractérise le style de travail en Chine.

D'où, précisément, la place si large faite dans ce pays aux campagnes d'explication, ainsi que l'effort constant de formation idéologique, effort auquel sont appelés à concourir aussi tous ceux qui sont susceptibles d'exercer une influence sur les masses : écrivains, auteurs dramatiques et d'opéras, producteurs de films, etc. Il est donc juste de dire que, dans une large mesure, les succès remportés dans l'édification du socialisme en Chine sont le résultat, d'une part, de la pénétration profonde dans les masses des idéaux du socialisme et, d'autre part, d'attitudes conformes à ces idéaux. Par des voies multiples, des jugements de valeur et des « modèles » de comportement, jugés conformes aux exigences de l'édification du socialisme, sont constamment présentés aux masses.

SOURCES et EXTRAITS



Song Liansheng

Wu Si
Chen Yonggui: gaizao zhongguo de shiyan | 2002
Beijing Qingnian Bao

William Hinton (1919-2004)
Fanshen: A Documentary of Revolution in A Chinese Village | 1966
Dazhai Revisited: 1987

Violette Rey
Visites dans les campagnes chinoises | 1976
Annales de Géographie

Claude Aubert
Agriculture : la voie chinoise reste à trouver. |1981
Tiers-Monde, n°86.

Marie-Claire Bergère
Les incertitudes de l'ère post-maoïste. | 1979
Politique étrangère n°2

Charles Bettelheim
La nouvelle échelle de valeurs sociales en Chine

Isabelle Thireau et Chang Shu
La parole comme arme de mobilisation politique | 2007
Editions de l'E.H.E.S.S. | Etudes rurales

Maria-Antonietta Macciochi
De la Chine  | 1974

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