Caza,
UN des plus grands maîtres de la Bande Dessinée de science fiction,
imagine depuis quarante années maintenant des mondes wagnérien, un
univers proche de Druillet et du regrétté
Moebius. C'est à partir de 1975 que Caza nous offre les plus belles
planches de la bande déssinée à propos de la ville et notamment
des Habitations à Loyer Modéré [HLM] : la science fiction s'invite
dans la vie quotidienne des citadins mis en cage. Les Scènes de la
vie de banlieue sont une chronique d'une époque, qui annonçait les catastrophes urbaines de la ville modernisée offerte au capitalisme ; une critique politique inédite dans le monde de la bande dessinée, véritable pavé dans la mare du conformisme ambiant, qui le place aux côtés du dessinateur américain Robert Crumb, autre grand pourfendeur de la vie et ville moderne. Une critique corrosive qui prolonge celle du monde absurde des Shadocks, qui s'imprègne du dessin de Gébé et de la satire de Reiser - et d'autres - contre la même middle-class et influencée, pour un temps, par le " Pop Art " et la libération sexuelle, elle nous offre de sublimes corps féminin dénudés s'opposant à la laideur des HLM et de leurs habitants. Des hlmiens qui à cette époque ne sont pas encore des "relégués", pauvres et immigrés. Ces fantastiques histoires ont maintenant valeur de
documents historique, ethnologique, politique et drôlatique, incontournables.
Caza,
se met en scène et ne s'épargne rien des méandres de la vie
occidentale moderne. Dans ces histoires courtes, qui paraissent dans
Pilote, on croisera des flibustiers à la barre de leur HLM de
banlieue arborant l'étendard noir de la révolte, des nymphettes au
bord du suicide sauvées in extremis par des VRP de l'amour et une
critique corrosive contre la middle-class française, symbolisé par
le contre héros Pierre Miquelon et son épouse et ses enfants.
Caza, dans une interview décrit ces scènes ainsi : "
Parallèlement,
dans Pilote, j'attaque une série d'histoires courtes dans un style
plus caricatural, intitulées "Scènes de la vie de banlieue".
Dans ces chroniques, basées sur une satire acerbe de la vie moderne
et sur l'intrusion du fantastique dans le quotidien, je me mets
moi-même en scène comme personnage principal de mes histoires (déjà
égocentrique), en éternelle opposition à mon voisin du dessous (ou
du dessus, ça dépend), Marcel Miquelon, archétype de français
(très) moyen." Un
dessinateur que j’aimais beaucoup, c’était Gébé. Son dessin
était tout sauf "joli" ou esthétique, mais il avait une
manière de voir la réalité avec un décalage qui faisait émerger
une profondeur philosophique. Ne rien considérer comme "allant
de soi". D’autres comme Reiser aussi… Ce sont des gens que
je n’ai pas vraiment côtoyé mais dont l'état d'esprit m'a
nourri, et ce n'est pas fini !!
Une occasion pour ceux qui ont vécu mai 68 et sa vague contestataire
de faire le plein de souvenirs. Pour les autres, une psychédélique
visite guidée au royaume de ceux qui voulaient changer la vie.
Caza
nous intérresse également en tant qu'être humain ; né en 1941, il
travaille à Paris dans les années 1960 comme graphiste publicitaire
free-lance, puis est engagé dans un atelier de pube parisien, le
Studio EKO. Puis, vers
1968, lassé de 10 ans dans la duplicité parisienne, je décide de
me recycler (déjà écolo!).
J’avais
travaillé durant 10 ans dans le monde de la pub. Cela m’a permis
d’avoir un salaire bien sûr, mais aussi de connaître les
techniques de maquette, de graphisme, etc. J'y ai aussi développé
mes capacités d’adaptation et de survie en milieu capitaliste
urbain. Mais l’illustration m'attirait — plus de liberté
créative ! Mon recyclage professionnel s'accompagne d'un départ
pour les Cévennes, d'où je continuerai ma production graphique
entre deux fromages de chèvre. (Si on vous dit que c'est à cette
époque-là que j'adoptai le pantalon avec des poches sur les cotés,
comme les légionnaires, n'en croyez rien! (...). Je souhaitais
gagner de la liberté. Pouvoir choisir l’endroit où vivre.
Beaucoup de gens partaient vers la campagne. Je me suis installé
dans les Cévennes avec plusieurs amis, une barbe et des cheveux
longs. J’ai appris à traire les chèvres, à jardiner. Au début,
nous n’avions pas d’électricité, ni le téléphone… C’était
le temps des Beatles et les Pink Floyds. Je faisais mes planches
originales à la maison et je les envoyais par la poste en espérant
qu’elles ne s’égarent pas. Pas de "sauvegardes" : il
n'y avait pas de photocopieuse à moins de 40 km ! Et ensuite je
recevais les "bleus" et je faisais la couleur… Il
m’arrivait parfois de finir à la lampe butagaz. ! Il
retrouve le monde civilisé urbain dans les années 1980. Je
n’ai aucun regret de cette période. L'isolement, on le cherchait,
et puis c'était pas la préhistoire, il y avait la radio, les
journaux et le train pour Paris, assez régulièrement. D'autres
communautés et familles d'installés, les paysans du coin, les
touristes belges… Même dans les Cévennes, on perçoit le monde. Y
a pas d'île déserte ! Et puis on s'amusait bien — en bossant
beaucoup.
Nous sommes loin de
l'imagerie pacifique " baba-cool ", ce néo-rural barbu
avec des lunettes rondes, qui sent bon la chèvre, car Caza nous
offre une des plus virulentes critiques contre la ville moderne et
ses Habitations qui, notons-le, n'ont guère besoin de déformations
graphiques fantasmagoriques pour paraître inquiétantes, inhumaines
et monstrueuses, et surtout imagine un déchaînement de violence où
le pauvre Miquelon se voit, lui et sa famille, trucidés par des
pirates urbains d'une nouvelle race. C'est un point important, car il
s'agit, pour Caza, à la fois de représenter le monde réel-irréel
et de le combattre physiquement.
Deux autres auteurs vont à la même époque, chacun à leur manière, affronter la modernisation des villes et le nouveau Homo Urbanus. Un autre Grand maître de la
bande dessiné, Bilal dont les histoires [La croisière des oubliés
(1975), Le vaisseau de pierre (1976), La ville qui n'existait pas
(1977)] mettent en scène la ville, ou le village, partagait cette
même singularité de confronter le monde très réel à celui de la
science fiction mais avec un pessimisme tragique ; ces héros
fatigués font appel à la magie pour lutter contre les spéculateurs
tandis que d'autres résignés préfèrent quitter ces lieux maudits.
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