ARGENTINE | Piqueteros




Pueblada de Cutral Co. 26 de junio de 1996.


"On peut penser qu’il n’est pas juste de couper la route aux autres citoyens, mais on rétorquera que ce n’est guère plus juste de ne pas pouvoir vivre dignement de son travail."


Mouvement Gilet Jaune en France d'aujourd'hui, hier, Movimiento Piquetero en Argentine : on ne peut évidemment pas comparer ces deux mouvements, tant les différences structurelles - historique, sociale, politique, économique, etc., divergent. Cela étant, quelques points communs émergent : dont le modus operandi, bloquer les routes, agir hors partis politiques au sein d'organisations de "ceux qui restent exclus des canaux traditionnels de la mobilisation collective" et leurs relations avec les différentes classes sociales de leurs pays, entre approbation et rejet. Denis Merklen, spécialiste de l'Argentine, nous éclaire.


Une nouvelle politicité pour les classes populaires
Les piqueteros en Argentine


Denis Merklen



TUMULTES, numéro 27, 2006


Octobre 2000, deux fédérations regroupant de petites organisations populaires, essentiellement des associations de quartier de la banlieue de Buenos Aires, coupent pendant un mois la route n° 3, principale artère alimentant la métropole par l’Ouest. Initié cinq ans plus tôt par des barrages de routes dans des villes de province secouées par la fermeture d’usines pétrolières, le mouvement des piqueteros consolide ainsi sa présence dans le paysage politique national avec son arrivée dans la capitale. Un nouveau mouvement de protestation, de résistance et de mobilisation sociale émerge. L’Argentine inaugure son XXIe siècle. Après la fin des dictatures dans les années quatre-vingt, et vingt-cinq années de réformes brutales de l’économie et de l’Etat, les foules réagissent. Les piqueteros demandent davantage d’aide sociale et contestent les effets les plus dévastateurs de la mise en oeuvre des politiques néolibérales orientées par ce qu’on appelle le « consensus de Washington [1] ».

En 2002, on observait les véritables ravages produits par deux décennies d’application de cette politique. Au début des années quatre-vingt-dix, un Argentin sur cinq se trouvait sous le seuil de pauvreté, en octobre 2002 ils étaient 54,6% de la population. Le taux de chômage, qui était de 4,7% en 1983, monte à 22% en 2002. L’emploi précaire devient la règle avec plus d’un tiers de la population active dans l’économie « informelle ».

Foto : Jorge Ariza. 1996.
On a beaucoup écrit sur les piqueteros, mais une série de questions reste ouverte. Quelles ont été les conditions permettant l’articulation de ce mouvement ? En quoi hérite-t-il des traditions politiques argentines et en quoi exprime-t-il un mode de résistance face à l’appauvrissement et à l’insécurité sociale ? S’inscrit-il dans une dynamique d’extension de la démocratie ou, au contraire, s’agit-il tout simplement de « clientélisme » ? Plus précisément, nous pensons que ce mouvement représente une nouvelle politicité des classes populaires. Confrontées à une réalité sociale très violente, tant au niveau des rapports sociaux qui la constituent que du rapport avec le système institutionnel représentant l’Etat et le système politique, les classes populaires créent de nouvelles formes d’action leur permettant d’alimenter leurs stratégies de survie sans renoncer à une participation dans les processus de démocratisation de la société. Nous tenterons donc de décrire comment s’exprime dans le mouvement social cette double exigence de « survie » et de « citoyenneté » constitutive de la mobilisation. C’est à ce propos que nous nous autorisons le néologisme « politicité [2] ».

L’Argentine du tournant du siècle

Le mouvement des piqueteros accompagne donc l’Argentine vers son XXIe siècle. Il contribue à donner une nouvelle physionomie à la société, mais il ne se comprend pas si nous ne l’inscrivons pas dans le contexte des transformations radicales qui ont modifié la morphologie sociale de l’Argentine pendant les vingt-cinq dernières années du XXe siècle. Il faut, en premier lieu, se rappeler que, par rapport à la plupart des autres Latino-américains, les Argentins avaient connu une formation sociale avec des degrés de cohésion sociale importants. L’Argentine consolide sa structure sociale à l’issue des années 1930 lorsqu’elle institutionnalise un salariat de plus en plus étendu lui permettant d’intégrer socialement à la fois les migrants européens et la dernière vague de migrants ruraux arrivant dans toutes les grandes villes jusqu’aux années cinquante. Le recensement de 1946 montre déjà la physionomie qui caractérisera le pays jusqu’à la fin du siècle [3]. Le pays a déjà pratiquement achevé son urbanisation
(85% de la population vivant dans des villes de plus de 2000 habitants), 74% de sa population active s’intègre dans un salariat moderne qui s’entoure assez rapidement de protections sociales solides [4], et une situation de quasi plein-emploi s’installe [5]. Les protections sociales ont rendu possible la structuration d’une société salariale s’affirme à partir des années 1940, lors des premiers gouvernements péronistes où nombre de lois sociales ont été promulguées [6].

Le premier péronisme a pour beaucoup contribué à consolider cette morphologie sociale. Or, le principal fait social du premier péronisme fut le rôle qu’il accorda aux syndicats dans les années quarante, donnant naissance à un système social qui structura la société pendant cinquante ans, jusqu’aux années quatre-vingt-dix. En effet, Perón fit du mouvement syndical la « colonne vertébrale du mouvement péroniste » et cela sur deux plans. Premièrement, il dota les syndicats d’un immense pouvoir tant au niveau économique que social, essentiellement par la façon dont il a conçu l’institutionnalisation des protections sociales en Argentine. Une bonne partie des « acquis sociaux » n’était pas garantie par l’Etat mais par les syndicats. C’est le cas notamment de la couverture des risques contre la maladie et les accidents. Au lieu d’un système unique, les Argentins accédaient à l’assurance maladie en s’affiliant chacun à l’« oeuvre sociale » de son syndicat. Ainsi, avec une couverture assurée pour tous, un cheminot bénéficiait d’à peu près les mêmes prestations qu’un métallurgiste, un employé de commerce ou un fonctionnaire. Cette inscription syndicale est ainsi une sorte d’a􀃷filiation contrainte, car c’est elle qui donne accès aux droits sociaux, naturellement conçus dans ce contexte comme des droits de travailleurs plutôt que comme des droits de citoyens. Les syndicats deviennent ainsi d’importants prestataires de services avec un pouvoir économique considérable. Ils perçoivent 3% de la masse salariale totale, ce qui leur permet de construire non seulement des hôpitaux et des cliniques dans tout le pays, mais aussi des logements sociaux, des centres sportifs, et des centres de colonies de vacances. Véritable Etat social, le syndicalisme argentin acquiert par cette voie un pouvoir d’une autre nature que celui, plus classique, acquis par la grève et l’inffluence sur l’opinion publique. Par leur rôle dans la structuration du social, ils deviennent une composante fondamentale du système politique du pays [7].

Perón conçoit par ailleurs le mouvement social comme doté d’un rôle politique de premier ordre. Dès son premier gouvernement, le péronisme compte parmi ses élus des ministres et des législateurs syndicalistes, et ces derniers participent très activement à la désignation des candidats et à la conformation des listes électorales du parti péroniste. En même temps qu’il est pratiquement impossible d’organiser un syndicat à la filiation non péroniste, les syndicalistes deviennent une composante centrale du parti de Juan Perón. Et les syndicats vont aller jusqu’à remplacer celui-ci lorsque le parti sera proscrit et que Perón partira en exil — entre 1955 et 1973. Tantôt ils nouent des alliances avec d’autres partis, tantôt ils appellent au vote blanc et mettent ainsi à plusieurs reprises le système politique face à l’illégitimité de ces élections.

L’impossible démocratie argentine acquiert alors l’une de ses principales caractéristiques. Le politique ne prend pas la forme que la philosophie lui accorde. La politique se fait dans d’autres lieux et transite par d’autres canaux que ceux que la science politique aime lui voir fréquenter. D’un côté, en alliance avec les grands propriétaires terriens, les militaires assument le rôle d’arrêter ce mouvement politique imbattable par le vote [8]. De l’autre côté, sans être un parti, les syndicats représentent de fait une majorité proscrite en même temps qu’ils détiennent le contrôle de l’appareil de protection sociale, avec pour conséquence l’effacement de la frontière entre l’Etat et la société civile (notamment du point de vue des classes populaires).

Cette structuration politico-sociale trouve sa fin dans les années quatre-vingt-dix avec l’achèvement de la grande transformation libérale mise en oeuvre à partir des années soixante-dix. Pendant essentiellement deux périodes, la dernière dictature militaire d’abord (1976-1983) puis les deux gouvernements de Carlos Menem (1989-1994 et 1994-1999), l’Etat mène une véritable révolution par le haut qui finit par saper les fondements de la société salariale argentine. L’Etat se retire complètement de l’économie par la privatisation de toutes les entreprises publiques (des services urbains aux banques en passant par la sidérurgie, les ports et les aéroports, le pétrole, le gaz, les chemins de fer, les routes et les autoroutes), déplaçant le centre de gravité social vers le marché. L’économie se restructure visant le marché international, donnant la prééminence aux secteurs agricole, minier (gaz et pétrole) et financier suite à une désindustrialisation brutale. Rappelons qu’en 2002, le bilan est sans appel : seul un tiers de la population active est dans le salariat classique, près de 40% de la population active subsiste dans l’économie informelle et le chômage touche près d’un travailleur sur quatre. Alors qu’elle était résiduelle jusqu’aux années soixante-dix, la pauvreté touche près d’un Argentin sur deux au tournant du XXIe siècle [9]. Les bases du pouvoir syndical se sont naturellement affaiblies avec cette transformation radicale de la société.

Or, la grande transformation libérale de l’Argentine n’agit pas seulement sur l’économie, elle s’inspire aussi de l’autre versant, politique cette fois, de ce courant de pensée. En effet, la démocratie ne domine le système politique que depuis la fin de la dernière dictature en 1983 où elle semble enfin définitivement installée [10]. Libertés civiles et politiques s’institutionnalisent définitivement, le système se consolide et quelques retards sont rattrapés, notamment avec la réforme constitutionnelle de 1994 qui sépare l’Eglise de l’Etat et légalise le divorce. Nombre de mouvements sociaux jouent alors un rôle politique majeur, surtout dans l’installation des droits de l’homme au coeur de l’agenda politique. Parmi eux, les Mères de la place de Mai font le tour du monde obligeant à la reconnaissance internationale de la « disparition » comme « crime contre l’humanité », et inaugurant une voie démocratique sans précédent qui fait de l’Argentine le premier pays à soumettre ses tortionnaires à la justice civile et à les condamner en 1987 sans ingérence d’une puissance étrangère.

Cette démocratisation radicale a été mise à dure épreuve lors de la banqueroute financière de 2001 où le système institutionnel a assuré une sortie de crise dans
l’ordre après la démission du président Fernando De La Rua, le 21 décembre de cette année. Non sans paradoxes, le libéralisme des années quatre-vingt et quatre-vingt dix apporta ainsi démocratie et pauvreté en Argentine. Ce paradoxe définit le cadre essentiel du mouvement des piqueteros car il y détermine le terrain de leur action.

Couper la route

Une fois le cadre général établi, orientons maintenant notre regard vers l’univers plus précis du mouvement social. Le mouvement des piqueteros ne se comprend ni par une idéologie ni par un objectif politique ou social. Il prend son identité de la méthode, le piquet. Un groupe d’habitants coupe une route, un pont, un axe de circulation plus ou moins important, la sortie d’une usine ou l’entrée d’un bâtiment public. La plupart du temps, il attire ainsi l’attention de l’opinion publique sur un déficit dans l’organisation matérielle du quotidien d’un secteur de la population, et adresse de cette façon une « demande » aux autorités. Le fait est loin d’être nouveau. Couper une route pour protester contre une injustice ou pour forcer l’attention de l’Etat sur un problème touchant à la survie ou à l’accès à des services urbains n’est pas une invention sud-américaine. D’où le cas argentin tire-t-il alors son importance ? Les piqueteros constituent un mouvement social identifié comme tel sur la scène publique nationale et ainsi connu même au-delà des frontières de l’Argentine. Ils ont très vite dépassé le stade où des individus réclamaient quelque chose au gouvernement par l’obstruction de la circulation pour devenir un mouvement avec un nom, piqueteros, avec leurs leaders, leurs organisations, leur modus operandi, leur base sociale. Tout comme « guérillero », piquetero désigne un mode d’action, mais il s’élargit tout de suite pour devenir une catégorie sociale permettant d’identifier à la fois les individus qui prennent part à l’action collective et le mouvement lui-même.

En effet, afin de saisir la nature de ce mouvement, il est important de décrire son historicité, son évolution, d’observer le passage d’un ensemble d’actes ponctuels (les barrages de routes) à un mode d’action (le piquet) jusqu’à la formation d’un mouvement clairement identifié sur l’espace public. Les piqueteros ont réussi un mouvement qui conjugue à la fois une résistance à l’appauvrissement et à la désaffiliation, et une articulation des demandes de ceux qui restent exclus des canaux traditionnels de la mobilisation collective. C’est que, d’un côté, ils sont parvenus à redonner du sens au rapport Etat/société civile à partir de la manière dont celui-ci avait été structuré par le péronisme à travers les syndicats, et de l’autre, ils sont arrivés à alimenter avec des ressources nouvelles les structures territoriales de solidarités fixées au niveau du quartier. En effet, nous pourrions dire avec Charles Tilly que le mouvement des piqueteros représente un nouveau répertoire d’action, qu’il élargit les possibilités d’action des classes populaires en dotant les organisations de quartier d’un nouvel outil de mobilisation.

Les sciences sociales argentines ont contribué à produire cette unité. Cette contribution à l’existence du mouvement social porte essentiellement sur trois aspects. Premièrement, par leur travail, les sociologues ont rendu publiquement accessible une description des piqueteros [11]. Leur mode de fonctionnement, leurs modalités d’organisation, les formes de leadership qui leur sont caractéristiques, le discours dont ils sont producteurs, leur rapport au politique, toutes les composantes de ce que la sociologie considère comme un « mouvement social » ont été décrites.

Ensuite, la sociologie a identifié la base sociale du mouvement. Les sociologues ont classé sous la catégorie de desempleados [12] une série hétérogène de situations sociales se caractérisant toutes par le manque de travail, certes, mais également par beaucoup d’autres maux provoqués par la déstructuration de la formation sociale ayant prévalu en Argentine entre 1940 et 1990. Ils ont décrit l’importance de l’inscription territoriale du mouvement au niveau du quartier. Finalement, et c’est certainement là que se trouve leur contribution décisive, les sociologues ont identifié l’émergence du mouvement, ils lui ont trouvé une date de naissance, un moment clé à partir duquel décrire son évolution.

Deux dates vont structurer un passé commun pour les piqueteros. La première fixera le moment de sa naissance comme mouvement en 1996, la seconde la consolidation de sa force et son implantation sur la scène nationale en 2000. « Le mouvement des piqueteros est né en 1996 lorsque les habitants de Cutral-co, une petite ville minière de la Patagonie, dans la province de Neuquén, ont coupé la route qui traverse le village pour protester contre la fermeture de l’exploitation pétrolière qui structurait jusqu’alors leur mode de vie ». Ainsi peut maintenant commencer l’histoire. Nous sommes tous d’accord sur ce fait, sociologues, journalistes, hommes politiques, à commencer bien sûr par les piqueteros eux-mêmes. Le mouvement se répliqua ensuite à General Mosconi, autre petite ville minière avec également un gisement pétrolier, cette fois au Nord du pays, dans la province de Salta, toute cette région se trouvant sous la menace de licenciements massifs. Après ces exemples, pendant toute l’année 1997, les coupures de route se reproduisent dans de nombreuses villes, où l’on enregistre plus d’une cinquantaine de barrages. C’est alors que la presse commence à employer le mot de piqueteros. Mais c’est en 2000 que le fait de couper des routes cesse d’être seulement un acte, ou une technique employée par les différents mouvements sociaux, comme cela peut être le cas ailleurs lorsque des routiers, des paysans, des organisations antinucléaires ou encore des syndicalistes ou des étudiants manifestent en bloquant une route ou un chemin de fer. Effectivement, dans toutes ces manifestations de province, précédant le piquet de 2000 dans la banlieue de Buenos Aires, les barrages sont le fait d’organisations sociales diverses (syndicats, partis, associations d’habitants), mais il n’existe pas encore un mouvement de piqueteros. Ce n’est que rétrospectivement que la date de 1996 est attribuée à sa naissance.

A partir du 30 octobre 2000 et pendant tout le mois de novembre de cette année, la route nationale n° 3 est coupée à la hauteur du département de La Matanza. Le fait réunit plusieurs ingrédients, hautement significatifs dans le contexte argentin. Premièrement, la route nº 3 est une artère d’une très grande importance économique, reliant la capitale du pays avec la Terre de Feu et traversant toute la Patagonie ainsi que la richissime province de Buenos Aires. Deuxièmement, à sa sortie de la capitale, la route nº 3 traverse l’une des zones les plus pauvres et les plus emblématiques de la « banlieue » argentine, La Matanza. Or, ce district fut jadis l’un des exemples de l’industrialisation du pays avec l’implantation d’un véritable parc industriel réduit à la fin des années quatre-vingt-dix à un vaste territoire pratiquement déserté par l’activité industrielle où près des deux tiers des 1,2 millions d’habitants ont cessé d’être « ouvriers » pour être réduits à la catégorie de « pauvres » [13]. Enfin, ce qui est aisément compréhensible pour qui sait ce que « Saint-Denis » ou « 93 » veulent dire en France dans le sens commun de la question sociale, « La Matanza » porte également en lui un nombre considérable de fantasmes collectifs aux multiples contenus sociaux et politiques. Qui plus est, tout comme Saint-Denis catalyse le contenu non moins fantasmagorique de « la banlieue », La Matanza
représente en Argentine son équivalent « conurbano », ceinture urbaine censée être à la source de tous les maux sociaux, du moins lorsqu’elle est évoquée du point de vue du « centre ». Il serait trop long de décrire ici ces fantasmes (tâche cependant essentielle à une bonne ethnographie du mouvement), mais il est important de noter la nature mythologique de ce territoire de banlieue populaire où les piqueteros enracinent leur mouvement.

Deux organisations sociales se sont alliées dans le fameux piquet de La Matanza, la Fédération Terre et Logement (FTV [14]) et le Courant Classiste et Combatif (CCC). Toutes les deux fonctionnent comme des fédérations regroupant chacune une véritable myriade de petites organisations de quartier, les représentant et leur donnant accès à un rapport à l’Etat auquel aucune d’entre elles n’aurait accès par ses seules forces. Après avoir barré la route pendant un mois et avoir conquis une présence continue dans la presse nationale, les actions se soldent par un résultat exceptionnel : les organisations de piqueteros obtiennent la gestion de 10% des allocations connues alors comme les Planes trabajar (« Plans travailler ») devenus par la suite Planes Jefes y Jefas de Hogar (« Plans chefs et cheffesses de foyer »). Il s’agit d’une somme de 150 pesos par mois (moins de 38 euros) accordée par l’Etat à près de deux millions de sans-emploi en échange d’un travail d’utilité publique. Le
mouvement social obtient, d’une part, le droit de désigner les bénéficiaires de 200000 allocations. D’autre part, ce qui est plus important encore, l’Etat reconnaît que la participation aux activités du mouvement social vaut un « travail » d’utilité publique.

Tout de suite après le piquet d’octobre 2000, la CCC et la FTV convoquent une «
assemblée nationale des organisations piqueteras » à La Matanza. Le mouvement social est né et reconnu. Il est capable d’une action de force prolongée, il arrache une source de pouvoir considérable à l’Etat et il arrive à se rassembler pour discuter d’un programme commun. Le mot piquetero se détache des actes et des revendications singulières qu’il désignait jusqu’alors pour devenir le signifiant qui donne son sens à un mouvement, à un type de con􀃸lit social, à une forme émergente de faire du politique [15]. C’est pourquoi il est indispensable de tenir deux plans dans la description. Il faut, d’un côté, essayer d’identifier ce qu’il y a derrière le mot en inscrivant le mouvement dans son histoire, et de l’autre, maintenir les effets pragmatiques de la désignation « piqueteros » par son inscription dans le présent. L’exercice n’est pas sans risque, mais il devrait permettre de décrire comment le nom confère une unité à ce qui ne l’aurait pas sans lui.

Les legs de l’Argentine péroniste

Le péronisme a profondément changé la physionomie de la société argentine. En ce qui concerne l’évolution des classes populaires, son intervention dans les années quarante et cinquante agit essentiellement sur les modalités d’intégration sociale et politique des travailleurs. D’un côté, le processus d’intégration sociale, initié au début du siècle par la protection du travail salarié et accéléré après la crise de 1929, se voit approfondi dès l’arrivée du colonel Perón au Secrétariat au travail en 1943, puis avec la promulgation d’une série importante de lois dont la liste serait longue à énumérer ici mais qui concerne des domaines comme la sécurité sociale, le repos hebdomadaire, la durée du temps de travail et la retraite [16]. De l’autre côté, un changement de sens est imprimé à l’intégration des classes populaires à travers l’intégration des syndicats à l’Etat, ce qui rendit indissociables les domaines de l’action politique et sociale, et souvent difficile à identifier la nature des acteurs collectifs au sein de l’espace public. Le social n’a jamais été conçu en Argentine comme une protection des individus et des familles directement assurée par l’Etat. Entre les deux, il y a « toujours » [17] eu des « entités intermédiaires » ou des «organisations sociales » — pour reprendre les formules employées par la tradition péroniste — perçues comme représentant légitimement les travailleurs.
Le mouvement des piqueteros ne peut se comprendre que comme une forme de
mémoire de ce passé incarné en lui. L’empreinte laissée sur l’identité populaire fut tellement profonde que, même après la destruction de ce modèle social, d’abord par les militaires (1976-1983), ensuite par le gouvernement de Carlos Menem (1989-1999), et alors que la morphologie des classes populaires est devenue méconnaissable, un double héritage continue à s’imposer aux mouvements sociaux.

Il faut considérer en premier lieu la mémoire de l’intégration sociale. Ce qui est socialement « digne », n’est pas nécessairement ce qui est perçu comme « juste ». La conscience sociale se fonde sur la certitude que l’Argentine est une grande nation et qu’en conséquence, le peuple travailleur mérite de vivre dans la dignité. Cette conception imprime une marque forte à la vie politique en même temps qu’elle donne lieu à une forme particulière de con􀃸lit social. C’est dans cette conception de la dignité que certaines formes de l’action illégale trouvent une légitimité reconnue, de l’occupation illégale de terrains urbains aux branchements clandestins sur les réseaux de services pour aboutir au barrage de routes des piqueteros. On peut penser qu’il n’est pas juste de couper la route aux autres citoyens, mais on rétorquera que ce n’est guère plus juste de ne pas pouvoir vivre dignement de son travail. Plus profondément encore, la misère n’est pas digne des Argentins et l’exigence d’une gouvernance qui tienne compte de la situation des plus démunis n’est rien d’autre qu’une exigence de respect. « Nous vivons tous, répètent-ils, dans un pays qui n’est pas un pays pauvre. » Ainsi se mêlent les sources de légitimité concernant les droits de l’individu. Aux droits des travailleurs, on ajoute déjà depuis longtemps le fait d’être Argentin, assurant aussi une forme de dignité, une base pour l’action et aidant à définir une limite morale à l’action des gouvernants. Ce sera sur cette base que la conception de la citoyenneté se déclinera lors de son entrée dans l’univers populaire.

Le peuple représenté par les piqueteros est un peuple composé de « désaffiliés », en ce sens que le concept forgé par Robert Castel tire toute sa force heuristique du préfixe « dés- ». Celui-ci vient nous dire que le sujet désaffilié porte en lui la mémoire, sinon l’expérience, d’une forme plus ou moins accomplie d’intégration sociale. Il se trouve peut-être soumis, dans une situation déterminée par le non-emploi et la pauvreté, mais il sait qu’un autre mode de vie est possible, et qu’il le mérite. Les hommes et les femmes que nous voyons mobilisés dans le mouvement piquetero sont fondamentalement des jeunes, des familles jeunes ayant grandi dans une maison digne, ayant écouté leurs pères dire je vis de mon travail et pas du vol et s’étant fait raconter que, comme a dit le Général [Perón], le travail « dignifie » (« el trabajo dignifica »).

La sociologie nous a appris depuis longtemps que la trajectoire d’un individu est aussi importante que sa position dans la structure sociale. Nous devons maintenant tirer toutes les conséquences de cet acquis théorique sur le plan politique. Si elle a une histoire politico-sociale singulière, l’Argentine fait partie des pays connaissant la grande pauvreté et la fracture sociale après l’intégration. Sa situation présente doit se lire comme rupture, comme bifurcation. Sa conjoncture se différencie ainsi de celle des sociétés où la pauvreté renvoie à une situation stable, où les choses ont toujours été comme ça. Ces dernières doivent lire leur conjoncture dans la régularité, dans la continuité. Il paraît évident que les piqueteros tirent une partie de leur force morale de cette mémoire d’une intégration rompue, à partir de laquelle ils luttent pour la reconnaissance de leurs droits sociaux. Car effectivement, comme l’a souligné Axel Honneth, les motifs moraux de l’action collective se trouvent souvent au sein d’une expérience commune du mépris [18].

Or, dans le rapport entre les piqueteros et l’Etat se nourrit la mémoire d’un autre
passé. Les pauvres, les travailleurs, les nécessiteux doivent être représentés par leurs organisations populaires, seuls garants du respect de leurs intérêts. De la même façon que les syndicats représentent les travailleurs, dans les années quatre-vingt émerge une nouvelle catégorie d’association. Les organisations territoriales représentent au niveau du quartier tous ceux qui sortent de l’orbite de l’action syndicale, soit par la force du chômage, soit parce que leurs luttes concernaient d’autres thèmes comme le logement, le cadre de vie ou les équipements et les services urbains.

Cette forme d’organisation populaire des années 1980 constitue le maillon qui fait le passage entre la tradition populaire incarnée par les syndicats et l’émergence des piqueteros. Elle hérite de la mémoire syndicale la conviction que les organisations populaires sont des « entités intermédiaires », ce qui veut dire que tout transfert de ressources de la part de l’Etat doit d’abord se faire vers les associations, et que dans un second temps seulement celles-ci les transfèrent aux individus. Le point est d’une importance majeure, car il donne sa complexité au système politique, et nous devons le lire à la manière dont Antonio Gramsci étudiait la construction d’une « hégémonie » en prêtant une attention particulière au rôle de l’Etat et à la formation des personnels politiques.

Pendant les années quatre-vingt, un groupe de militants et de dirigeants a pu bâtir un certain pouvoir grâce à l’administration de ces ressources. Vers 1986, celui qui est aujourd’hui l’un des principaux leaders des piqueteros, était un jeune dirigeant des quartiers issus d’occupations illégales de terrains urbains [19]. Le mouvement se battait face au tout récent gouvernement démocratique pour obtenir la propriété des terres envahies. Mais il refusait que le gouvernement vende les terres directement aux occupants. Ce dirigeant nous a dit : « Il faut que l’Etat vende d’abord aux entités intermédiaires (une association représentant chaque quartier), ensuite ce sera à l’association de vendre à chaque habitant. C’est la seule façon de construire du pouvoir populaire. Si l’Etat vend directement aux habitants, nous n’existons plus. » Il
mesurait le pouvoir qu’il gagnerait si son organisation devenait intermédiaire de la vente. Il y voyait non seulement un gain de légitimité immense, il s’assurait, de surcroît, d’un rapport avec les habitants pendant les vingt ou trente années pendant lesquelles ces derniers auraient à payer des mensualités à l’association (qui ensuite les transférerait aux caisses de l’Etat). Le gouvernement de l’époque n’a pas voulu donner raison aux occupants. C’était trop demander pour la jeune démocratie récemment installée. Non seulement il cautionnerait un mouvement fondé sur des actes illégaux (l’occupation de terres), mais il créerait un interlocuteur qu’il allait institutionnaliser et un pouvoir intermédiaire qui, raisonnait-il, s’opposait à l’idée d’un citoyen autonome. En 1987, le péronisme gagna les élections régionales pour revenir au gouvernement national en 1989 : ce fut chose faite. Il concéda tout, aux occupants la propriété des terres et aux organisations le droit d’administrer le transfert. Les associations de quartier étaient ainsi reconnues comme un acteur légitime, même lorsque leurs quartiers résultaient d’une occupation illégale de terrains.

Plus profondément, cette forme d’action collective correspond à ce que nous avons développé sur le thème de « l’inscription territoriale » des classes populaires [20]. Dans ce registre, l’action des piqueteros n’est plus orientée par la recréation d’une tradition sociale, sur le plan des formes d’intégration et de solidarité, non plus que d’une tradition politique, dans la façon dont les organisations populaires s’intègrent au système politique.


Foto : Jorge Ariza. 1996.


L’inscription territoriale des classes populaires

Le mouvement des piqueteros ne se comprend pas si nous ne tenons pas compte de la nature du quartier populaire en Argentine, tel qu’il se présente dans l’immense banlieue de Buenos Aires (12 millions d’habitants, dont 3 pour la capitale et 9 pour sa banlieue) et dans les principales villes du pays (Rosario, Córdoba, Tucumán, Mendoza, Santiago del Estero, Neuquén, Salta, etc.). Bien qu’il trouve un second versant dans quelques petites villes minières de province où il s’est enraciné, ce n’est pas là que le mouvement trouve ses bases principales. Comme nous l’avons vu, le mouvement prend de l’ampleur quand il migre vers les villes et que la méthode du barrage est utilisée par les centaines d’organisations de quartier qui préexistaient à la naissance du mouvement et qui étaient déjà fortement mobilisées avant d’être connues comme des « organisations piqueteras ».

L’Argentine possède une forte tradition d’organisations de quartier. Celles-ci prennent la plupart du temps la forme d’associations et s’occupent de la promotion du cadre de vie local. Le coeur de cette tradition se trouve dans deux types différents de quartier. D’une part, dans les quartiers pavillonnaires, où est né ce qu’on nomme le « fomentismo », des sociétés locales de promotion de la vie du quartier (les « sociedades de fomento »), implantées dans beaucoup de quartiers dès l’expansion de la ville vers 1910 suite à la première grande vague migratoire d’origine européenne. D’autre part dans les bidonvilles, sous la forme d’organisations de quartier multiformes consolidées vers les années soixante : associations mais aussi soupes populaires, églises, locaux politiques, groupes de carnaval, de bailanta ou de rock. Ce double mouvement renaît au début des années quatre-vingt en reprenant une nouvelle force, une plus vaste extension et une richesse donnée par la diversité d’acteurs que connaît cette vie locale.

C’est le mouvement de quartiers issus d’occupations illégales de terres connus sous le nom d’asentamientos qui donne le nouvel élan. Face à la crise sociale qui est aussi une crise du logement, un secteur de l’Eglise catholique se lance dans les invasions de terrains avec le double objectif de bâtir des quartiers pour les dizaines de milliers de jeunes familles sans logement, et de donner une nouvelle impulsion au mouvement populaire anéanti par la dictature [21]. Un véritable mouvement d’« organisations territoriales », comme les appellent ses militants, se développe dans tous les quartiers populaires de la banlieue de Buenos Aires, au-delà des seuls asentamientos, avec le soutien de plusieurs partis, d’ONG, et notamment du péronisme qui y voit la possibilité d’établir un lien avec un secteur social qui montre une forte potentialité politique et une grande capacité d’innovation.

Ce mouvement populaire résulte d’un processus profond d’inscription territoriale des classes populaires — en même temps qu’il l’alimente. Cette forme d’inscription sociale contraint le mouvement par deux exigences résultant de la nature de l’action collective qui l’anime. La première exigence est donnée par un besoin de coopérer. Les familles habitant ces quartiers dépendent de manière croissante d’une solidarité localement structurée. Plusieurs moments ont ponctué une conjoncture dans laquelle la collaboration entre habitants d’un même quartier s’est avérée cruciale. En 1978, en pleine dictature, plusieurs milliers d’habitants des bidonvilles de la capitale furent expulsés à la veille du Championnat mondial de football, leurs maisons rasées par des bulldozers, et les familles jetées loin dans la banlieue. Déposés par les militaires aux lisières de la ville, ils ont dû organiser collectivement des lieux d’habitation là où tout manquait. Abris, sanitaires, accès à l’eau potable et à l’électricité… tout dépendait de l’entraide et de la coopération. Puis la crise sociale aggrave la dépendance mutuelle des pauvres [22]. En 1989, avec une hyper-inflation
qui a fait fondre la monnaie et littéralement laissé sans ressources une bonne partie de la population, on assiste à une véritable crise allant jusqu’à provoquer à grande échelle la famine et ce pour la première fois dans l’histoire de l’Argentine [23]. Encore une fois, fabrication de pain, soupes populaires, prise en charge des enfants et des plus démunis nécessitent des liens de solidarité solidement structurés. Le pays connaît alors aussi pour la première fois de véritables « émeutes de la faim », des foules parties de ces quartiers saccageant commerces et supermarchés [24]. Puis, la récession de 1998-2002 reproduira un scénario identique du point de vue des classes populaires, bien que provoqué par des causes économiques diverses. On compte maintenant les pauvres par millions. Au plus dur de la crise, pour la seule banlieue de Buenos Aires, on estime le nombre de pauvres à plus de 4 millions, dont 2,5 millions sont dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins nutritionnels, et considérés comme « indigents » selon le classement de l’institut national des statistiques [25].
La déstructuration du monde du travail et la désagrégation des formes de protection sociale ont soumis beaucoup de gens à la dépendance et à la pauvreté. Mais cette transformation s’est accompagnée, non de la disparition du rôle social de l’Etat, mais de son évolution. Il a certes cessé d’être un Etat social fondant son action sur le principe de la protection contre les risques, mais il a accru son rôle d’assistance. Décentralisation et ciblage des politiques sociales ont été les concepts à travers lesquels le secteur public a réorienté son action dans une nouvelle conception de la question sociale ne visant plus à protéger le travail, mais à « lutter contre la pauvreté [26] ». Cette réorientation de l’action de l’Etat va mettre des ressources à la disposition des organisations populaires, et constituer l’une des clefs de la nouvelle politicité. La deuxième exigence de l’inscription territoriale est de « sortir » du quartier pour aller chercher des ressources dans le système institutionnel. En effet, si les associations de quartier doivent d’une part répondre aux exigences de la structure de solidarités locales dont elles sont issues, elles doivent d’autre part se projeter vers le système politique afin d’y trouver les ressources dont on a nécessairement besoin dans le quartier.

La terre et les étoiles, agir au sein du système politique

Comprendre le mode d’action des mouvements sociaux, dont les piqueteros sont un versant important dans le cas argentin, c’est comprendre la façon dont les classes populaires font du politique. C’est ce que nous appelons la « politicité » populaire, concept visant à éclairer la nature du lien politique constitutif des classes populaires. Nous proposons d’employer le mot politicité dans le même sens qu’on utilise en sociologie les notions de « sociabilité » ou de « culture » populaire. Il devrait nous permettre de sortir de la situation d’extériorité dans laquelle on met les classes populaires lorsque nous parlons du « rapport au politique », comme si le politique était une substance ou un univers extérieur, à la fois à leur identité et à leurs pratiques, avec lequel les individus entreraient en rapport « après ». Après quoi ?

Après avoir été socialement déterminés ? Pour sortir de l’impasse, je suis tenté de dire que « pour sortir du sens commun sociologique », il faut penser le rapport au politique de classes populaires à travers la façon dont elles pratiquent le politique (ce qui implique de donner une lecture politique de ce qu’habituellement nous appelons leurs pratiques sociales), à partir du mode dont ses individus et ses groupes conçoivent la citoyenneté et la mettent en acte. L’action politique des classes populaires ne se comprend pas si nous la pensons de manière classique à partir de son seul rapport à l’Etat. Afin de restituer la complexité de sa conjoncture, nous devons placer l’Etat au sein d’un système politique qui l’excède. En effet, les institutions publiques et les autorités nationales et locales se trouvent, du point de vue des classes populaires, au sein d’un système d’acteurs où agissent les partis politiques, les ONG, les églises, les entreprises de services publics privatisés, les syndicats et toute une panoplie d’organisations territoriales. Le point de vue des classes populaires définit ainsi ses opposants et ses partenaires, car bien que l’Etat joue dans le cas de l’Argentine un rôle prépondérant et que sa présence soit incontournable dans le contexte des quartiers, l’accès aux ressources indispensables à la survie ne peut pas se faire par une action visant uniquement l’Etat. Celui-ci est perçu comme étant incapable de garantir à lui seul la distribution des biens et des services essentiels. L’Etat a perdu le monopole de l’assistance sociale qui se fait aujourd’hui aussi par le biais d’entreprises privées qui contrôlent l’accès à l’eau potable ou à l’électricité, d’ONG ou d’églises qui organisent des soupes populaires ou la distribution d’aliments, de partis ou de réseaux politiques qui contrôlent les systèmes d’accès à l’aide sociale. Les classes populaires connaissent la marge réduite dont disposent les autorités dans la régulation sociale. Cet éclatement de l’interlocuteur classique face aux mouvements sociaux est l’un des éléments essentiels de la nouvelle politicité populaire.

A cet éclatement des acteurs intervenant sur le social s’ajoute la nature de cette action. Dans une logique de garantie de droits à prétention universelle, le
mouvement social a pour but de faire reconnaître « ses droits » — ou ceux auxquels il croit pouvoir légitimement prétendre — et, a fortiori, de réclamer la garantie de l’accès à ses bénéfices, leur mise en oeuvre, etc. Dans le cadre, en revanche, d’une action sociale définie par la « lutte contre la pauvreté », l’« aide » ou l’« assistance » sociales, l’action échappe à la logique de droits qu’on aurait pu, un jour, considérer comme « acquis ». Dans le système actuel il s’agit au contraire toujours d’une aide ponctuelle, ciblée sur un territoire ou pointée sur un besoin, mais qui sera toujours limitée dans le temps. Ce qui guide l’agir des institutions publiques tout comme celui des ONG de tous genres, c’est une logique de « projets » financés pour une durée déterminée. Une fois le financement terminé, il faut passer à autre chose ou recommencer.
Du point de vue du quartier, cela provoque une situation d’indétermination rendant très difficile la construction d’une logique de « progrès », ou tout au moins de stabilisation de l’action publique. A l’opposé, les classes populaires sont condamnées à perpétuité à la mobilisation. Il faut toujours bouger pour trouver une allocation, un subside, une intervention, une aide, et il faut le faire vite avant que l’aide n’aille à l’organisation des autres ou au quartier d’à côté. C’est ce que les politiques « incitatives » provoquent la plupart du temps quand elles poussent à la « participation ». Et comme l’accès aux ressources s’est décentralisé, cette mobilisation est devenue d’ancrage territorial. On lutte aujourd’hui pour obtenir un soutien pour la cantine populaire, on protestera demain parce que le dispensaire n’a plus de médecin, parce que l’école n’a plus d’eau potable ou parce que le ramassage d’ordures s’est interrompu. Lorsqu’une ONG propose de l’argent pour lutter contre le sida, on le prend, car on sait que ce sera fini quelques mois plus tard et qu’il faudra prendre alors ce qu’on proposera pour le quartier, que cela convienne ou pas, car tout est bon à prendre quand on manque de tout ou presque. Quelle possibilité y a-t-il pour un
quartier de la périphérie de Buenos Aires d’agir sur les lignes de financement qui
seront déterminées l’année suivante à Bruxelles ou à Washington ? PNUD, Banque mondiale, Unesco, Unicef, BID, Union européenne sont les nouveaux acteurs des démocraties locales, agissant par le biais des ONG qui mettent en place leurs objectifs, mais, notons-le au passage, ce sont là des acteurs échappant tous à une quelconque possibilité d’action politique sur eux. Le système politique déborde amplement l’Etat, même lorsque celui-ci est fort et sa présence étendue, et rend le jeu politique local extrêmement complexe.

A cette présence institutionnelle correspond une myriade d’organisations de quartier vivant chacune d’un lien politique particulier. Le groupe de la cantine est financé par l’église pentecôtiste, le groupe de femmes qui distribue le lait à travers le « Plan vida » est financé par la Province [27], les coopératives faisant les canalisations pour l’accès à l’eau potable vivent des subsides de la mairie, l’église catholique a acheté les équipements pour la radio FM des jeunes et leur prête ses locaux où le dimanche un groupe lié au SERPAJ (une ONG de défense des droits de l’homme) distribue des repas et des aliments… Ainsi apparaissent et disparaissent, se réunissent et se divisent les groupements au sein de chaque quartier, s’affiliant aux différentes fédérations de piqueteros, qui leur fournissent le gros des ressources arrachées à l’Etat grâce aux barrages de routes.

En février 2004, quelques mois après avoir pris le pouvoir et quelques mois avant les élections législatives de novembre 2005, le président Kirchner se déplace à La Matanza où il se réunit avec les leaders des deux principales fédérations de piqueteros, la CCC et la FTV. Le gouvernement demande du soutien. Les piqueteros exigent un plan d’eau potable. En effet, l’entreprise Aguas Argentinas [28] n’a prévu l’arrivée de l’eau qu’en 2023 alors que 500 000 habitants de La Matanza n’y ont pas encore accès. La décision est prise et le plan Agua + trabajo (« Eau + travail ») est lancé. Une centaine de coopératives réaliseront les travaux nécessaires à la mise en place du réseau pendant un an dans 200 quartiers défavorisés, tandis que l’Etat et l’entreprise cofinancent et codirigent la mise en place du réseau. L’eau arrivera juste avant novembre 2005. C’est-à-dire juste avant l’été où la diarrhée tue des dizaines d’enfants et où l’hépatite se répand, et juste avant les élections qui font craindre au gouvernement l’arrivée d’autres catastrophes. Ce sera aussi juste avant que
gouvernement national et entreprise multinationale aient à décider du
renouvellement ou pas du contrat concernant la plus grande concession d’eau
potable du monde. Dans ce contexte, un détail de la mise en oeuvre du plan est
décisif. Puisque le plan n’est pas prévu pour couvrir tout le territoire, comment
décider dans quels quartiers l’eau arrivera et lesquels seront laissés à leur soif ? Et comment va-t-on décider qui composera les coopératives ? Le partage est simple. Il y a vingt-cinq quartiers où domine la CCC, vingt-cinq où c’est plutôt la FTV qui est implantée, et cinquante pour la municipalité. Même partage pour les coopératives : 25 pour la CCC, 25 pour la FTV et 50 pour la municipalité de La Matanza. Chaque coopérative de travail étant composée de 16 membres, leur contrôle permet à chaque groupe de piqueteros de « donner » du travail à 400 personnes pendant 18 mois.

L’enjeu est de taille. Ceux qui militent avec d’autres groupes politiques n’auront rien, ni l’eau ni le travail, et les autres districts de la banlieue non plus. C’est inscrit dans la logique de l’action telle qu’elle se voit structurée. C’est ce qui est à l’origine d’une concurrence qui se multiplie à l’infini entre associations de quartiers, églises, partis politiques, provinces, municipalités et groupes de piqueteros — au-delà des deux puissantes fédérations citées, il y a des dizaines d’autres groupes de piqueteros, chacun implanté dans un territoire : Barrios de pie, Movimiento Teresa Rodriguez, Movimiento de trabajadores desocupados, Polo obrero, Movimiento Independiente de Jubilados y Desocupados, etc., pour n’en citer que quelques-uns [29].

Nous pouvons maintenant tenter une synthèse en disant que le mouvement des
piqueteros doit répondre dans son action à une série d’exigences, les unes
individuelles, les autres collectives, qui tirent son évolution dans des sens divers et provoquent des tensions en son sein. Mais bien qu’elles agissent sur l’action
collective dans des sens fréquemment divergents, c’est parce qu’il arrive à articuler ces exigences que le mouvement se maintient comme une forme valable de mobilisation et de représentation du monde populaire.

La conjoncture libérale dans laquelle se constitue la politicité des classes populaires en Argentine impose la démocratie comme horizon de toute mobilisation collective. Les piqueteros se mobilisent ainsi au nom du Droit, et l’action collective doit être comprise sur ce plan comme une lutte pour la reconnaissance, au sens donné par Axel Honneth à cette expression. Le mouvement social vise ici une reconnaissance des droits sociaux tout comme une reconnaissance de l’estime sociale des individus, ce qui se présente sous le thème de la « dignité » ou des conditions de vie « dignes ».

Or, nous avons vu que le thème de la « citoyenneté » ne vint en Argentine pleinement à la conscience collective qu’à partir des années quatre-vingt avec le thème des droits de l’homme, et qu’il se présente avant tout comme associé à des libertés politiques (liberté d’expression et d’association, non à la répression, etc.). Cela semble constituer un acquis s’imposant même au sein des mouvements sociaux qui ont une organisation interne basée sur des normes démocratiques (assemblées, vote, liberté d’expression, etc.). Dans un schéma classique, c’est ce contexte de liberté politique qui a rouvert pour les classes populaires la légitimité d’une action en vue de la reconnaissance de « droits sociaux ».

Mais cette lutte pour la citoyenneté sociale peut être longue et hasardeux le chemin à parcourir pour assurer l’institutionnalisation effective des droits. Et les classes populaires en sont conscientes. Le principal problème est moins de faire inscrire de nouveaux droits dans la loi que de rendre « réels » ceux qui sont déjà inscrits dans les textes. Il faut entre-temps assurer la survie et mener à bras-le-corps une lutte pour la subsistance. Cet autre combat obéit aux exigences de l’inscription territoriale. Le mouvement social agit ici entre les exigences imposées par la structure de solidarités locales, au niveau du quartier, et les exigences du système politique et institutionnel où il doit trouver les ressources pour ramener au quartier la subvention pour la cantine, quelques allocations pour les sans-emploi, une possibilité d’améliorer le ramassage des ordures ménagères ou encore l’éclairage pour ce secteur resté obscur et éloigné de l’avenue...

La mobilisation sociale se structure ainsi comme une bataille sans fin. Les pauvres sont condamnés à la participation, ce qui explique le caractère endémique des piqueteros. Le travail ne donnant plus accès à une quelconque sécurité sociale, les individus et les foyers sont contraints de s’organiser sur une base territoriale pour agir sur le système politique afin d’en obtenir tout le reste, tout ce qu’on peut en récupérer. Mais ce complexe institutionnel ne donne accès qu’à des bénéfices la plupart du temps limités dans le temps et dans l’espace. Le résultat des luttes sociales n’a que très rarement vocation à l’universalité, il ne peut s’inscrire dans le droit et il est à « durée déterminée ».

Cette mobilisation contrainte, à perpétuité, où s’inscrit la politicité populaire,
s’appuie sur trois types d’action. Les actions de force, comme les coupures de routes ou les invasions de terrains, l’organisation locale — essentiellement au niveau du quartier — et le vote comme monnaie d’échange avec les partis politiques. En effet, en Argentine (comme dans beaucoup d’autres pays d’Amérique latine), le vote reste obligatoire, ce qui constitue une force considérable pour les classes populaires. Les partis se disputent donc cette force électorale, ce qui permet aux mouvements de quartier de négocier leurs voix en échange de bénéfices plus ou moins importants pour leur secteur, selon la conjoncture politique. C’est ce que beaucoup n’hésiteraient pas à qualifier de « clientélisme », un clientélisme qui serait, tel qu’on l’a vu pour le cas argentin, à deux étages : depuis les partis, l’Etat ou les ONG vers les quartiers, puis depuis les organisations locales vers les habitants. Cependant, les choses semblent plus complexes que ce mot ne le donne à voir. En effet, la charge péjorative de la notion de « clientélisme » est tellement importante que le qualificatif risque d’aplatir totalement les plis et les reliefs de la mobilisation populaire. Sans cette capacité de négociation, la mobilisation sociale serait réduite à la protestation face à un Etat aux pouvoirs dramatiquement limités. C’est ce que nous disent les dirigeants de quartier, dans les mots de l’un des leaders du mouvement piquetero : « Pour nous c’est du pouvoir populaire, sinon, on serait morts ! » Ainsi vont les choses dans une démocratie socialement fracturée. La survie quotidienne devient essentiellement politique, mais la politique est loin de se faire exclusivement sur l’agora ou sous la forme d’une communauté de dialogue libre.

Cutral Co : Foto Jorge Ariza. 1996.


Notes

1. Ouverture de l’économie, orientation de la base productive à l’exportation,
réduction du déficit fiscal, contrôle de l’inflation, « flexibilisation » et diminution
du coût de la main-d’oeuvre, « ajustement structurel » de la taille de l’Etat et
réduction de la fiscalité…, telles sont les mesures principales de ce « consensus » réunissant l’opinion du gouvernement des Etats-Unis et des dirigeants des
principaux organismes financiers internationaux. L’expression « consensus de
Washington » fait partie du langage commun journalistique, politique et des
sciences sociales depuis les années 1990 en Amérique latine. Cf. J. Williamson : « The Washington Consensus revisited », in Development Thinking and Practice
Conference, IDP, Washington DC, Sept. 3-5 , 1996.
2.  La patience du lecteur est ici sollicitée car ce n’est qu’en parcourant la totalité du texte qu’il pourra approcher d’une « définition » du néologisme que je ne pourrais résumer en quelques lignes.
3. Pour une vision détaillée de l’évolution de la structure sociale, cf. : Gino Germani, Estructura social de la Argentina. Análisis estadístico, Buenos Aires, Editorial Raigal, 1955 ; Susana Torrado, La estructura social de la Argentina 1945-1983, Buenos Aires, Ediciones de la Flor, 1994, 2da. Edición.
4. Avec un déclin de 2,5% vers les années 1970, cette proportion entrera en déclin à partir des années 1980 alors qu’elle est déjà à 66%. Cf. S. Torrado, op. cit.
5. De fait, le chômage ne dépasse jamais 7% de la population active entre 1940 et 1980.
6. Juan Domingo Perón gouverna trois fois l’Argentine : de 1946 à 1952, puis en 1955, où il fut réélu puis déchu par un coup d’Etat militaire, enfin de 1973 à sa mort, en 1974. D’autres gouvernements péronistes sont celui de sa deuxième femme, Isabel Perón (1974-1976), celui de Carlos Menem (1989-1999), celui de Eduardo Duhalde (2002-2003) et celui de Nestor Kirchner (2003-). Le péronisme fut proscrit de 1955 à 1973 et de 1976 à 1983.
7. Le syndicalisme péroniste est l’un des objets privilégiés de la sociologie et de
l’historiographie argentines. Citons seulement les travaux majeurs de Juan Carlos Portantiero et Miguel Murmis : Estudio sobre los orígenes del peronismo, Buenos Aires, Siglo XXI, 1971; de Juan Carlos Torre : La formación del sindicalismo peronista, Buenos Aires, Legasa, 1988, et Los sindicatos en el gobierno, 1973-1976, Buenos Aires, CEAL, 1989.
8. Perón n’a jamais perdu une élection. Il remporta la dernière en 1973 avec 64% des voix. En outre, toute élection libre fut promise à une victoire péroniste jusqu’en 1983, date à laquelle Raúl Alfonsín remporta l’élection présidentielle. Cette défaite du péronisme intervint après la mort de Perón et fait suite à la très dure dictature de 1976-1983 (sans doute l’une des plus sanglantes qu’ait connues l’Amérique latine), dont l’un des objectifs était d’en finir avec l’Argentine péroniste. En outre, le péronisme a gouverné pendant quinze des vingt-deux années écoulées depuis la démocratisation de 1983.
9. La récupération économique a permis de ramener cette proportion à un peu plus d’un tiers de la population (34% en 2006). Quant au chômage, il était de 13% en 2005.
10.  Jamais un président démocratiquement élu ne passa le pouvoir à un président d’un autre parti avant 1983, et jamais un président élu ou réélu n’a pu finir son mandat avant 1999.
11.  Plusieurs livres et des dizaines d’articles ont été publiés en Argentine sur le
phénomène. Le travail de référence est celui de Maristella Svampa et Sebastián
Pereyra : Entre la ruta y el barrio. La experiencia de las organizaciones piqueteras, Buenos Aires, Biblios, 2003.
12.  En espagnol d’Argentine, desempleado (« sans-emploi ») est le mot couramment utilisé pour désigner le « chômeur », tout comme desempleo (« non-emploi ») désigne la situation de « chômage ». Toutefois, il est important de préciser que les « chômeurs » argentins ne bénéficient point d’allocation spécifique. Sans travail et sans revenu, la position du sans-emploi se définit ainsi entièrement par sa négativité. Nous revenons plus bas sur cette question.
13. Entre autres fleurons de l’industrie, Mercedes Benz, Volkswagen, M.A.N., Borward et Chrysler étaient implantés à La Matanza, pour ne citer que l’automobile, mais le parc industriel concernait également le textile, la métallurgie et la chimie. Seule l’usine de Mercedes Benz située au kilomètre 36 de la route n° 3 reste en activité à la fin des années 1990.
14.  Federación Tierra y Vivienda.
15. Ernesto Laclau montre comme une dimension constitutive de la politique la
capacité des acteurs à produire des « signifiants vides » capables d’engendrer une « chaîne d’équivalences » entre des demandes se présentant jusqu’alors comme singulières, ponctuelles ou hétérogènes. C’est parce qu’il donne unité à ce qui était jusqu’à ce moment perçu de façon différenciée que le signifiant rend possible l’émergence de l’acteur collectif. Ernesto Laclau, On populist reason, London–New York, 2005.
16.  Nous devons rappeler ici que l’Argentine prépare sa première loi nationale du travail dès 1904 — sous le gouvernement de Julio A. Roca. L’une des lois les plus symboliques sanctionnées par le premier péronisme au début des années 1940 est celle dite du « Statut des travailleurs ruraux » (Estatuto del peón rural) qui mit fin à une exploitation de type féodal ou traditionnel dans le milieu rural, permit de consolider l’agriculture moderne et favorisa le dernier exode rural.
17.  Comme nous l’avons indiqué, l’histoire sociale argentine ne commence pas avec l’oeuvre du Colonel (plus tard Général) Perón à la tête du « Secrétariat au travail » de 1943 à 1945. Mais le péronisme est parvenu à faire que la mémoire collective attribue à sa seule initiative l’institutionnalisation des droits sociaux dans le pays — et cela pendant cinquante ans, jusqu’à ce que le péroniste Carlos Menem vienne démolir l’oeuvre des années quarante et cinquante.
18. Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000, 1ère édition allemande, Kampf um Anerkennung, Frankfurt-am-Main, 1992.
19.  Il s’agit de Luis D’Elia, actuel dirigeant de la FTV, l’un des principaux leaders des piqueteros nommé au Secrétariat à la terre et au logement en 2006 par le
gouvernement Kirchner.
20.  Denis Merklen, Inscription territoriale et action collective. Les occupations illégales de terres urbaines depuis les années 1980 en Argentine, Lille, ANRT, 2006.
21.  Le premier asentamiento fut organisé par des curés de la zone Sud de la banlieue de Buenos Aires en 1981, dans le district de Quilmes. L’initiative est fortement réprimée par les militaires. Puis le mouvement trouve un ancrage à La Matanza où il réapparaît en 1986, déjà en démocratie, avant de se répandre dans toute la banlieue avec des centaines de quartiers abritant parfois plusieurs milliers de personnes. L’asentamiento « 22 de Enero » par exemple abrite plus de 10 000 habitants. Malheureusement, il est impossible de fournir des chiffres sur la population de ces quartiers car selon la manière dont on produit les données en Argentine, il est impossible d’établir leur population à partir des recensements.
22.  Les expulsions vers la périphérie de Buenos Aires continuèrent pendant tout le régime militaire avec les grands travaux de rénovation, notamment la démolition de milliers de logements pour la construction d’autoroutes.
23.  Avec un taux d’augmentation des prix de 4 000 % par an au moment le plus dur, la crise dura près de trois ans entre 1989 et 1991 avec des effets dévastateurs sur le système social argentin dont le pays ne se remettra plus.
24.  Marie-France Prévôt Schapira, « Pauvreté, crise urbaine et émeutes de la faim dans le Grand Buenos Aires », Problèmes d’Amérique latine 95, Paris, 1er trimestre 1990.
25.  Cf. INDEC, plusieurs séries de l’« Encuesta permanente de hogares ».
26. Denis Merklen, « Du travailleur au pauvre. La question sociale en Amérique latine », Etudes rurales, n° 165-166, Paris, Editions de l’EHESS, 2003, pp. 171-196.
27. L’Etat argentin est un Etat fédéral structurant son administration sur trois
niveaux : national (ou fédéral), provincial (la Province représentant chaque Etat
fédéré) et municipal (chaque mairie dépendant d’une province). Souvent les trois instances superposent leurs actions sur un même point du territoire, ce qui est le cas dans les programmes d’action sociale.
28.  Consortium dominé par Suez, avec une participation importante de Aguas de Barcelona, et une fraction minoritaire de capitaux locaux.
29.  Je m’appuie ici, pour la description du Plan Agua + Trabajo, sur l’enquête que j’ai menée en Argentine sur ce projet entre mai 2004 et décembre 2005, conjointement avec Marie-France Prévôt Schapira. Un rapport est en cours de rédaction.

Denis Merklen
Université Paris 7

TUMULTES, numéro 27, 2006




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