ARTE POVERA : Notes sur une guérilla | Germano Celant



Flash Art n°5, 1967. Copyright Flash Art Archive.

« Ne faisant plus partie des rangs des exploités, l’artiste devient un guérillero, capable de choisir ses lieux de combat et avec les avantages que confère la mobilité, surprenant et frappant, plutôt que l’inverse.»

Germano Celant 
Notes sur une guérilla 
Flash Art, 5 novembre-décembre 1967.

L'Italie des années 1960-70 a été le berceau de deux mouvements majeurs d'avant-garde :  l'architecture radicale [1] dans les domaines de la ville et de l'architecture, et l'arte povera dans le domaine des Arts. Deux expressions inventées et mises à l'honneur par le critique d'art italien Germano Celant. Pas de véritables connivences entre ces deux avant-gardes sinon des oeuvres - et pratiques - ayant vocation, entre autre, de démolition des structures mêmes de la culture d'Etat bien au-delà de ses produits ; une critique idéologique des valeurs consuméristes et de la société des loisirs anglo-saxonne, magnifiée par le pop art.  Des critiques estiment que l’arte povera a été une des plus puissantes provocations de l’après-guerre envers la pratique artistique traditionnelle.  Dans ce contexte historique de l'Italie où l'agitation ouvrière et étudiante atteignent leur paroxysme qui peut expliquer l'humeur subversive et l'effervescence artistique contre les institutions académique et culturelle. 

Celant définissait ainsi l'arte povera (art pauvre) dans ce manifeste en tant que guérilla culturelle ; un aphorisme bien éloigné de ce que définit le terme de guérilla [2] : les artistes rassemblés sous le label arte povera n'exprimaient aucune revendication politique en tant que telle (au contraire d'autres mouvements), et leurs œuvres furent de leur vivant la proie des collectionneurs et des musées ; et dès lors,  les guérillos culturels intégrèrent l'industrie culturelle-capitaliste mondialisée, qu'ils critiquaient. L'artiste Giuseppe Penone questionnait ce dilemme :  
« Ces oeuvres étaient faites pour changer le système, et en même temps elles avaient besoin de lui. Car, sans lui, elles sont perdues. Sans les musées qui font l'histoire des pièces et qui peuvent les reconstruire, très peu de gens peuvent les reconnaître en tant qu'oeuvres d'art si elles tombent dans la rue. En conséquence, j'ai vu, dès le début, qu'il y avait là une grande limite (...).»[3]  

Germano Celant :

« D'abord vint l'homme puis le système, c'est du moins ce qui se passait dans l'Antiquité. Mais aujourd'hui, la société a la prétention de fabriquer des êtres humains pré-emballés, prêts à être consommés. Chacun peut proposer des réformes, critiquer, violer, démystifier, mais toujours avec l'obligation de rester dans le système. Il est interdit d'être libre. Une fois que vous avez créé un objet, vous devez toujours rester à ses côtés. C'est ce que le système ordonne. Cette attente n'est jamais frustrée, et une fois qu'un individu a assumé un rôle, il doit continuer à l'exercer jusqu'à sa mort. Chacun de ses gestes doit être absolument cohérent avec son comportement passé et doit préfigurer son avenir. Exister en dehors du système équivaut à une révolution.

Chanéac | Architecture insurrectionnelle










CHANEAC, architecte 
Manifeste de l'architecture insurrectionnelle


Le manifeste a été lu pour la première fois en public,
le 4 mai 1968, 
à l'Académie Royale d'Architecture de Bruxelles.


"La croissance rapide de nos agglomérations, la mutation de notre société, l'explosion démographique ont amené les pouvoirs publics à créer des plans d'urbanisme à l'échelle d'une cité, puis à l'échelle de l'aménagement du territoire. La machine administrative mise en place est devenue extrêment lourde, constituant un frein intolérable aux forces dynamiques, aux élans, aux nécessités immédiates, à la vie. D'autre part, sur le plan architectural, un énorme malentendu s'est créé. Les visionnaires du début du siècle ont dénoncé les ornementations décadentes, les espaces inutiles, les mensonges structuraux. Le combat qui était nécessaire à l'époque a donné bonne conscience à ceux qui construisent les grands ensembles d'habitations d'aujourd'hui. Les précieux espaces inutiles ont disparu, les formes ont été rendues primaires sous prétexte de rationalisation.
 
Il devient alors facile de faire les plans, il devient rassurant de métrer, d'évaluer et de contrôler avec précision... Il devient difficile d'y habiter. Comment prendre possession d'espaces aussi pauvres ? Contre les entraves administratives, contre la masse réactionnaire des professionnels du bâtiment, je propose la stratégie suivante : la création d'une architecture insurrectionnelle. Lorsque je contemple un grand ensemble, j'ai envie de donner à ses habitants les moyens de réaliser leurs rêves et leurs besoins du moment en mettant à leur disposition ou en leur donnant les moyens techniques pour réaliser clandestinement des "cellules parasites". Ils pourraient agrandir leur appartement à l'aide de cellules ventouses fixées sur les façades. Les enfants pourraient recréer l'univers poétique des greniers d'autrefois en implantant des cellules sur les terrasses des immeubles. Des chambres d'amis apparaîtraient sur les pelouses. On assisterait à l'explosion d'une architecture insurrectionnelle."




Marcel Lachat


Trois ans plus tard, en décembre 1971, après avoir pris connaissance de ce manifeste, Marcel Lachat accrochait clandestinement une "bulle pirate" sur la façade d'un immeuble de logements sociaux à Genève. Il était locataire d'un appartement de deux pièces au deuxième étage d'un immeuble parallélépipédique de neuf étages, dont la façade lisse et monotone est bien caractéristique des grands ensembles. A la naissance de son premier enfant, ayant éprouvé des difficultés à trouver un appartement plus vaste, Marcel Lachat n'a pas hésité à mettre en pratique les principes de l'architecture insurrectionnelle : à partir d'un ballon sonde, il a réalisé une petite cellule en polyester sur les conseils techniques de Pascal Haüsermann. Un vendredi soir, avec la complicité d'un ami compagnon charpentier, il a hissé et accroché la bulle à la structure de l'encadrement d'une fenêtre de son appartement. La bulle se projetait agressivement sur la façade, créant le choc visuel recherché. Dès le samedi matin, un représentant des services de sécurité du quartier se présenta pour demander des explications au couple. Marcel Lachat n'a accepté de décrocher sa cellule parasite qu'après avoir obtenu un nouveau logement et avoir pu expliquer sa situation aux autorités et à la presse genevoises. Cette dernière a largement diffusé l'événement et avec beaucoup d'humour. Cela a confirmé qu'il est parfois possible d'établir une communication directe avec le public qui comprenait immédiatement l'intention, en court-circuitant les institutions.


Natacha CYRULNIK | Filmer une Cité



Extrait documentaire

Les ouvriers, la zermi et la médiathèque | 2013

Cité Berthe, La Seyne-sur-Mer

Entretien avec Natacha CYRULNIK

Documentariste
Février 2017

Natacha CYRULNIK a une longue carrière de documentariste au sein de cités d'habitat social : pendant quinze années, elle a été à la rencontre de leurs habitants, pour "faire entendre leurs paroles", successivement au sein de la Cité Berthe à La Seyne-sur-mer, de la Cité Le Carami à Brignoles, à La Ciotat et enfin à la Cité Air Bel à Marseille. [1]

LUI : Admirable discours !
NC : C’est vrai que ce jeune philosophe qui t’explique la misère – la zermi – en sept minutes, t’as tout compris… Il t’explique la vie ! Les rencontres avec ce genre de personnes là, j’adore. Ce sont mes médailles …

USA 1960's | Urbanisme Underground | Architectures Alternatives






« Nous sommes à l'aube d'une révolution qui sera différente de celles du passé parce qu'elle sera faite par la culture et par l'individu ; elle ne changera la structure politique qu'en dernier ressort. Elle n'aura pas besoin de la violence pour réussir et on ne pourra pas, avec succès, lui résister par la violence. »


Charles Reich, professeur de Droit à l'université de Yale.
(The Greening of America, 1970).





Les conquêtes simultanées de nouveaux territoires jamais explorés, pour la seule année 1969, effectuées par les ou aux États-Unis, stupéfièrent son peuple et le monde entier ; sans doute, la plus spectaculaire aura été la conquête spatiale concrétisée le 21 juillet avec les premiers pas d’humains sur la Lune ; peu après, le 15 août débutait le festival de Woodstock ayant réuni 500.000 spectateurs-acteurs, un évènement inédit, et un des espaces symboliques – et aussitôt mythiques - de représentation de force de la contre-culture rebelle, où à peu près toutes les valeurs de l’Amérique bien pensante conservatrice étaient bafouées publiquement : Sex, Drugs and Rock’n Roll servaient la propagande anti-militaire et anti-raciste ; un autre espace s’ouvre également à l’Humanité, immatériel et plus confidentiel mais à la portée tout aussi exceptionnelle : le réseau informatique avec la naissance le 29 octobre, d’Arpanet (Advanced Research Projects Agency Network), ancêtre d’internet et des communautés virtuelles.

Ces trois événements – Apollo (technique), Arpanet (communication), Woodstock (contre-culture)[1] – symbolisent la fin d’une longue époque emprunte de passéisme, et marquent la transition avec un Nouveau monde entièrement tourné vers un futur encore incertain, interrogeant les avenirs possibles, souhaitables de l’Humanité, et donc, naturellement, leurs caractères utopiques, futurs radieux ou irradiés, consacrés en particulier par les architectes visionnaires ou sceptiques des avant-gardes, inspirés par à la fois les nouvelles technologies et les aspirations du monde contre-culturel et de sa propre utopie, concrétisées bien avant l’année 1969, et elles-aussi, ayant interrogées ou scandalisées les Américains ; 1969, première année également de la présidence de Nixon, bien décidé à éradiquer la moindre contestation .[2]

TAHITI | Papeete

 



Tahiti | Papeete
l.u.i. 2020


« Une chose est évidente, il n’y a rien dans ces entassements de béton qui relie l’architecture de cette ville (Papeete) à une quelconque culture particulière. Ces mêmes immeubles lépreux se retrouvent dans toutes les villes ouvrières déshéritées du monde occidental. Ce qui reste à la fin de cette courte promenade, c’est que Papeete est une ville sans âme, bruyante, sale et délabrée. Un peu comme une cité qui est lentement en train de mourir.»
Julien Gué 
To'ere
juillet 2005


Les (rarissimes) études, rapports émanant des services concernés de Polynésie et des technocrates de la Métropole, s'accordent à estimer que la population [1] à Tahiti vivant sous le seuil de pauvreté s'élève à 25 % ; estimation indécente contestée par les observateurs de la chose qui affirment une réalité plus proche des 50 %, chiffre devant être augmenté par les effets dévastateurs de la pandémie, ayant en particulier ravagé les emplois associés aux activités touristiques, principales richesses des archipels.

Mais la pandémie ne peut expliquer une situation - dramatique - d'aussi grande pauvreté, elle l'exacerbe ; la Polynésie française est en effet dotée de dispositifs fiscaux spécifiques, ayant pour conséquence le renforcement des inégalités sociales : ici, au Paradis, les aides et protections sociales accordées aux plus vulnérables et indigents mais aussi aux salariés n'existent pas, les allocations chômage, de logement, le revenu de solidarité active, etc., ces formes d'assistanat promptes à ruiner le Pays et l'ardeur des travailleurs, dit-on. A l'inverse, l’absence d’impôt sur le revenu des personnes physiques, y compris aisées, et de frais de succession en cas d'héritage grèvent le budget du Pays, compensé par des taxes douanières et indirectes, qui elles pèsent très lourdement sur celui des ménages, en particulier des plus modestes. 

D'autre part, les élites gouvernantes de Polynésie ne se sont pas privé, pendant des décennies, et dans une moindre mesure, aujourd'hui, à abuser de leurs pouvoirs afin de s'enrichir en puisant allègrement dans les aides financières offertes par les gouvernements de France, à les utiliser pour asseoir au mieux leur clientélisme, à régner.
 [2] Ainsi, selon Julien Gué [3], habitant à Tahiti, ancien journaliste de l'hebdomadaire Toere, interrogé en 2020 :
« Donc c'est cela la Polynésie, plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, c'est une élite locale qui détourne les fonds publics en toute impunité. Et rien n'est fait d'un point de vue sociale, sociétale, rien n'est fait pour l'avancée du pays.»  
Les incidences et conséquences urbaines et architecturales, et environnementales dans le Grand Papeete [4] sont à la mesure des inégalités sociales qui régissent le Pays : l'urbanisation rapide de l'agglomération dans les années 1960 s'est effectuée sans plan d'urbanisme d'ensemble, ou même communal, sinon des schémas prêtant à de multiples interprétations, sans contraintes architecturales, sinon celle de la hauteur des constructions ; une modernisation placée sous l'égide du laisser-faire, des dérogations, d'un laxisme des plus hautes autorités locale et de Paris, et sans aucun doute, de l'incompétence extravagante et notoire des administrateurs et ingénieurs, débarqués de la métropole, et n'ayant aucune connaissance de la société "indigène", qu'il s'agit de moderniser ; certes, malgré de temps à autres de grandes déclarations d'intention et, parfois, des tentatives devant ordonner les désordres, toutes vaines, ou bien sans grande portée face à la machine spéculative et celle technocratique.

Pierre Bourdieu | Les Jeux Olympiques



" ... et favoriser ainsi l'épanouissement des potentialités d'universalisme, aujourd'hui menacées d'anéantissement, qu'enferment les Jeux olympiques."

Pierre Bourdieu
Les Jeux olympiques
Programme pour une analyse *
Actes de la recherche en sciences sociales | juin 1994

Qu'entendons-nous exactement quand nous parlons des Jeux olympiques ? Le réfèrent apparent, c'est la manifestation «réelle», c'est-à-dire un spectacle proprement sportif, confrontation d'athlètes venus de tout l'univers qui s'accomplit sous le signe d'idéaux universalistes, et un rituel, à forte coloration nationale, sinon nationaliste, défilé par équipes nationales, remise des médailles avec drapeaux et hymnes nationaux. Le réfèrent caché, c'est l'ensemble des représentations de ce spectacle que filment et diffusent les télévisions, sélections nationales opérées dans le matériau en apparence nationalement indifférencié (puisque la compétition est internationale) qui se trouve offert sur le stade. Objet doublement caché, puisque personne ne le voit dans sa totalité et que personne ne voit qu'il n'est pas vu, chaque téléspectateur pouvant avoir l'illusion de voir le spectacle olympique dans sa vérité.

ITALIE | la Ville selon Mussolini


Le prêtre Luigi Sturzo, membre du Parti populaire italien alors en exil à Londres, écrivait: « La finance fasciste favorise la richesse capitaliste.»  
L'Italie et le fascisme (1927). Cité par Daniel Guérin, Fascisme et grand capital (1936).

Le principal héritage de vingt années de fascisme est le spectaculaire déficit structurel à l’échelle nationale du parc de logements sociaux, qui sera un des éléments déterminant des luttes urbaines à venir. Alors que la population augmentait, l’Italie fasciste n’a pratiquement pas construit de logements - salubres et pérennes - destinés à la classe populaire, contrainte d’habiter dans des taudis à la périphérie des villes ou de s’entasser dans les centres urbains.

Le second héritage de la politique ségrégative des villes de l’ère fasciste est la multitude de foyers de pauvreté et de véritables ghettos, mais, qui seront à l’origine de la création d’organisations formant un réseau clandestin d’entraide qui deviendront l’armature des premières associations d’habitants, de résistants au régime, puis par la suite des foyers de contestation particulièrement actifs. 


Mussolini Révolutionnaire socialiste

Mussolini est issu d’une famille pauvre, dont le père est proche des milieux socialiste et anarchiste. Dans le livre qu’il consacrera en 1931 à la mémoire de son frère Arnaldo, il évoque la pauvreté des conditions de vie de la famille : « Arnaldo et moi, nous couchions alors dans la même chambre, dans le même lit de fer, construit par mon père, sans autre matelas qu’un sac de feuilles de maïs. Notre logement se composait de deux pièces au deuxième étage du Palazzo Verano et, pour y accéder, il fallait traverser la troisième pièce qui faisait salle d’école. Notre chambre servait aussi de cuisine [1] ». 

Le futur dictateur fasciste débute sa carrière politique au début des années 1900 comme syndicaliste, et il se range dans l’aile révolutionnaire du Parti Socialiste Italien. À cette époque le Parti socialiste avait pour objectif de «politiser» les classes populaires, qui pourrait permettre un continuel renouvellement de la classe dirigeante à laquelle s’agrègent, selon un mécanisme lent, graduel et moléculaire, les individus les plus remarquables provenant des basses classes de la société. Un grand nombre de politiciens de l’entre-deux guerre passèrent ainsi dans cette chambre de décantation et d’apprentissage, dont Mussolini et son futur opposant, Antonio Gramsci, un des fondateurs du Parti Communiste Italien. 

1944-2014 | 70 années d'HABITAT Public en France




La brochure au format PDF
consultable en ligne ou téléchargeable,
est ICI. (Via Google Drive sécurisé).


1944 - 2014
70 années d’Habitat public

70 années de politique de l’habitat depuis le premier Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme créé en 1944, ont fabriqué un système de pénurie permanente, un processus de reproduction des inégalités et de relégation spatiales dont les conséquences en 2014 irradient maints autres domaines de la société : crise exceptionnelle du logement touchant 10 millions de français, reléguant 3,5 millions de français dans des conditions de pénibilité résidentielle, 700.000 sans abri et très mal-logés dans les «zones grises» du logement (ces chiffres proviennent du rapport mal-logement 2014 de la Fondation Abbé Pierre), saturation des Centres d’hébergement et d’urgence, réapparition sous diverses formes de l’habitat précaire et de micro-bidonvilles, précarité énergétique, crise latente des quartiers dits «sensibles» irrésolue depuis 1981, mobilité résidentielle plus restreinte et réduction des surfaces habitables dans les programmes neufs de logements HLM, et au contraire augmentation des loyers des charges, et des temps de déplacement, etc., faisant contraste saisissant avec l’embourgeoisement des quartiers populaires des centres-villes, et les gated communities périphériques des classes aisées. À cet inventaire non exhaustif, s’ajoute encore un «cadre de vie» dégradé, régulièrement dénoncé par la presse et l’édition : celui d’une «France moche» ou «défigurée».

Comment et Pourquoi, la France, grande puissance économique, est-elle parvenue à de tels exploits ? Les historiens de l’économie urbaine - libéraux, marxistes et néo-marxistes - isolent ainsi les grandes causes de la révolution urbaine française et de ses maux, initiée après la seconde guerre mondiale :

Architectures du Front populaire


Villejuif,  groupe scolaire Karl-Marx | 1933

Jean-Louis COHEN
Architectures du Front populaire
Le Mouvement social | janvier – mars 1989
La durée est à la base de toute production architecturale appréciable et il y a donc quelque paradoxe à vouloir saisir dans le champ de la construction l'effet d'un phénomène politique tel que le Front populaire, qui ne débouchera guère sur des actions publiques permettant l'essor d'une architecture spécifique. Les inflexions déterminantes en matière de politique de l'habitation et de l'urbanisme sont bien antérieures et correspondent aux lois Loucheur et Sarraut, la « pause » dans les programmes de construction consécutive à la crise ne s'achevant pas avec le Front populaire, mais avec la reconstruction d'après 1945.

Michel Foucault : Introduction à la vie non-fasciste



Michel Foucault
Introduction à la vie non-fasciste
Préface à la traduction américaine de l’Anti-Œdipe
1977
En rendant un modeste hommage à saint François de Sales, on pourrait dire que L’Anti-Oedipe* est une introduction à la vie non fasciste.
Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles soient déjà installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :
  • Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante.

  • Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale.
  • Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.
  • N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire.
  • N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique.
  • N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ».
  • Ne tombez pas amoureux du pouvoir.

Michel Foucault
Introduction à la vie non-fasciste
Préface à la traduction américaine de l’Anti-Œdipe, 1977

* de Gilles Deleuze et Félix Guattari.

VIETNAM | Guerre Écologique


LIFE | August 1972

La stratégie militaire de la Russie de détruire, le 6 juin 2023, le barrage de Kakhova en Ukraine afin d'inonder des terres arables et urbanisées nous rappelle celle des USA durant la guerre du Vietnam : celle condamnée par les Nations Unies.

Au Nord-Vietnam, les digues ont une importance vitale, car elles protègent des terribles crues des fleuves qui coulent au-dessus des plaines, sur une levée formée par les alluvions. Les bombardements de l'US Air Force auront ainsi pour objectif, leur destruction afin d'inonder des milliers d'hectares de terres agricoles, de rizières,  les villages et leurs habitants. La guerre du Vietnam, nouvelle forme de guerre que l'on a qualifié  d'«écologique», du fait des bombardements et plus encore, de la fabuleuse quantité de défoliants répandus méthodiquement, marque dans l'histoire une étape nouvelle : pour la première fois, des méthodes de destruction et de modification du milieu géographique, à la fois dans ses aspects «physiques» et «humains », ont été mises en oeuvre pour supprimer les conditions géographiques indispensables à la vie de plusieurs dizaines de millions d'hommes.


Lazar Khidekel | Architecture et Environnement

 


Préserver la nature au sol : une aéro-ville (1923)



Lazar Khidekel (1904 - 1986), architecte et artiste suprématiste en Union soviétique, a été le premier concepteur au milieu des années 1920, à imaginer une ville hors sol, une « aéro-ville ».

Ah, encore, songeons nous à priori, un délire d’architecte sinon une utopie irréalisable. Et bien non : son projet de cité hors sol était parfaitement réalisable : techniquement ses constructions aériennes ne comportent aucune difficulté pour leur réalisation.

Mais ce projet nous intéresse particulièrement car en effet, l’idée maîtresse de l’architecte était de protéger le sol, de le laisser libre à la nature, dans une démarche que l’on qualifie de nos jours d’environnementaliste. Pour Khidekel, l'"interaction avec la nature environnante" devait être différente de l'approche adoptée par "les artistes du passé [qui] ne percevaient que l'aspect extérieur de la nature". Il soulignait que :

"avec la découverte des forces internes et cachées de la nature, une nouvelle civilisation supérieure est née, dans laquelle l'architecture de l'avenir doit être basée sur ses propres lois qui, au lieu de détruire le milieu naturel, entreront dans une relation bénéfique et spéciale avec la nature environnante".

Cette approche distingue les visions futuristes de Khidekel de celles de ses contemporains, qui envisageaient la victoire de la technologie sur la nature. Khidekel anticipe les approches modernes du changement environnemental et les développements des années 1950-1960. Bien avant les projets de villes aériennes de Yona Friedman, la New Babylon de Constant et le projet Clusters in the Air d'Isozaki, Khidekel imaginait un monde de gratte-ciel horizontaux qui, en apesanteur, semblaient flotter à l'infini à la surface de la terre, préservant au mieux, son milieu naturel.






Yona Friedman - 1960's :


Constant - 1960's :


MIKE DAVIS | Ecologie en temps de guerre

 


"La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d’écologie populaire de l’histoire des États-Unis."

Mike Davis

Écologie en temps de guerre. Quand les États-Unis luttaient contre le gaspillage des ressources

In la revue Mouvements 2008/2

Article initialement paru sous le titre « Home-Front Ecology » dans le Magazine Sierra Club (juillet-août 2007).


Mike Davis nous a quitté ce 25 octobre 2022.

Aux États-Unis, les générations actuelles sont-elles équipées pour répondre au défi homérique que représente le réchauffement climatique ? Si les grands médias glosent à longueur de pages sur les « crédits de carbone », les « voitures hybrides » et l’« urbanisme intelligent », il n’en reste pas moins que notre empreinte écologique ne cesse d’augmenter. À titre d’exemple, la maison américaine typique est aujourd’hui 40 % plus grande qu’il y a vingt-cinq ans, alors même que la taille de chaque foyer s’est réduite. Dans le même temps, les mammouths du genre 4×4 (qui représentent 50 % des voitures particulières) ont envahi les autoroutes, tandis que la taille des surfaces commerciales par habitant – un moyen indirect, mais fiable, de mesurer l’augmentation de la consommation – a quadruplé.

2Autrement dit, nous sommes trop nombreux à parler d’écologie tout en conservant un mode de vie surdimensionné – donnant ainsi du grain à moudre aux conservateurs qui multiplient les tribunes fustigeant cyniquement les factures d’électricité d’Al Gore. Nous sommes désespérément drogués aux énergies fossiles, au shopping compulsif, à l’expansion suburbaine et au régime carnivore. Les Américains pourront-ils jamais renoncer volontairement à leurs 4×4, à leurs hamburgers, à leurs énormes manoirs de banlieue et à leurs sacro-saintes pelouses ?

3Surprise : la bonne nouvelle nous vient du passé. Dans les années 1940, les Américains combattaient simultanément le fascisme à l’étranger et le gaspillage chez eux. Mes parents, leurs voisins, et des millions d’autres Américains laissaient la voiture au garage pour se rendre au travail à vélo, retournaient leur pelouse pour planter des choux, recyclaient les tubes de dentifrice et l’huile de cuisson, prêtaient bénévolement leurs services aux crèches et aux centres de l’United Service Organization, offraient le gîte et le couvert à des inconnus, et s’efforçaient consciencieusement de réduire leur consommation et d’éviter le gaspillage inutile. La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d’écologie populaire de l’histoire des États-Unis. Lessing Rosenwald, le directeur du Bureau pour la conservation des matériaux industriels, exhortait ses compatriotes « à passer d’une économie de gaspillage – et on connaît les habitudes de ce pays en matière de gaspillage – à une économie de préservation. » Une majorité de civils répondit à l’appel, certains à contrecœur, d’autres avec beaucoup avec enthousiasme.

Godard | La Gestapo des structures : l'Aménagement de la Région de PARIS


Jean-Luc Godard filme La Courneuve en 1966


"Apprenez en silence deux ou trois choses que je sais d’elle.
Elle, la cruauté du néo-capitalisme.
Elle, la prostitution.
Elle, la région parisienne.
Elle, la salle de bains que n’ont pas 70% des Français.
Elle, la terrible loi des grands ensembles.
Elle, la physique de l’amour.
Elle, la vie d’aujourd’hui."

Jean-Luc Godard
2 ou 3 choses que je sais d'elle
Le film 2 ou 3 choses que je sais d’elle, est un ambitieux plan documentaire, car Elle, n'est autre que la région parisienne, qui en 1966 faisait l'objet de grands travaux (cités d'habitat, autoroutes, périphérique, etc.),  dans le cadre de son aménagement. L’objectif réel, pour Jean-Luc Godard, est d’observer et de critiquer cette grande mutation, entre fiction et documentaire, nous rappelant au passage les atrocités de la guerre du Vietnam. Un Jean Luc Godard alors engagé dans la voie maoïste, et filmant pour la première fois, quelques scènes dans la cité des 4000 à La Courneuve, là où vit l'héroïne ;  une des opérations emblématiques puis symboliques de la politique de l'Etat, en matière d'aménagement de territoire.

10 ANS !

 



10 années !


    « La critique radicale tant de la philosophie de la ville que de l’urbanisme idéologique est indispensable sur le plan théorique et sur le plan pratique. Et elle peut passer pour une opération de salubrité publique ».

Henri Lefebvre
Le droit à la ville
1968



IBIZA : Ile Paradis HIPPIE

IBIZA 1968, image du film MORE

Every day is my day

Pink Floyd


"Un des plus beaux spectacles auxquels on puisse assister est leur bain matinal qui ressemble à un rire. Celui qui les voit pense inévitablement que c'est ainsi que s'éveillaient nos ancêtres au Paradis."

Diario de Ibiza, 6 septembre 1969



Baignées dans les eaux méditerranéennes, les Iles Baléares ont été à plusieurs reprises la proie d'envahisseurs : phéniciens, grecs, romains, arabes, pirates, avant de connaître de nouvelles invasions pacifiques cette fois ; ce fut une terre d'exil pour les réfugiés fuyant l'Allemagne nazie, fréquentée également par l’intelligentsia européenne, tombée sous le charme de l’île : de grands écrivains français, en particulier, y vinrent, nous laissant de précieux témoignages.  Tout pareil que les architectes sous le charme des formes épurées des habitations ancestrales : un modèle pour ceux défendant et inventant le mouvement moderne naissant.

Puis, comme Saint Tropez ou l’île de Capri, Ibiza a été sur l’itinéraire de la jet-set des années 1950, stars du cinéma, de la chansonnette et milliardaires, portés par leurs yachts jettent l’ancre ici, profitant de la relative tranquillité d’une île sauvage encore préservée du tourisme ; ont-ils influencés les premiers freaks à venir la visiter ?  Nul ne le sait exactement, mais en ce milieu des années 1960, commence l'invasion hippie. 

L'île  littéralement colonisée par l'utopie immédiate et anti-autoritaire exigeant l'amour, la fraternité, l'esprit de la fête permanente, et au-delà "The Death of Money", devint mythique, et plus encore Formentera, la petite soeur d'Ibiza. C'est sur cette île minuscule, pauvre, aux terres désertiques et aux plages de rêve, habitée par deux mille habitants seulement, que s'exprimera au mieux la radicalité hippie dans son refus de participer à la société de consommation. Au-delà des clichés, la petite communauté hippie résidente à Ibiza et Formentera organisera entre 1967 et 1975, des structures tout à fait originales permettant à ses membres et à leurs enfants de vivre sinon en autarcie mais en marge du système  et des institutions de l'Espagne qui, rappelons-le, était sous le contrôle de la dictature de Franco. Une dictature qui avait abandonné les îles Baléares à leur sort, pauvreté qui explique, en partie, les bonnes dispositions des Ibicencos à accepter l'arrivée de cette étrange population, très différente et insolente mais qui se révèle être bonne et fidèle cliente. 

Plus tard, victime de son succès, Ibiza devint alors la proie du tourisme de masse mais orienté vers la folklorisation du mouvement hippie qui s'exprima par la commercialisation de ces valeurs : l'amour libre se métamorphosa en tourisme sexuel, l'esprit festif improvisé en boîtes de nuit et de jour  gigantesques, les drogues en un commerce lucratif,  les fantaisies vestimentaires remplacées par ceux des drag-queens, les écoles internationales destinées aux enfants et aux adolescents fermeront une à une, et les portes ouvertes au monde entier des vieilles masures retapées se transformeront en vastes demeures luxueuses fermées et sécurisées, pour certaines habitées par d'anciens hippies huppés ayant fait fortune... 

Que reste-t-il de la grande communauté hippie ? Quelques marchés hippies pathétiques rappelant, avec tristesse, leur grande aventure aussi belle qu’éphémère, où les personnes ne se différenciaient pas par leurs classe ou origine sociales, mais à leur appartenance à un mouvement, une nébuleuse désirant une autre vie, et la construire.

Michel Foucault | Quadrillage spatial et Panoptisme



Michel Foucault
 In : Surveiller et punir
1975

Le panoptisme est capable "de réformer la morale, préserver la santé, revigorer l'industrie, diffuser l'instruction, alléger les charges publiques, établir l'économie comme sur le roc, dénouer, au lieu de trancher,
le noeud gordien des lois sur les pauvres,
tout cela par une simple idée architecturale."

Le panoptisme

Voici, selon un document de la fin du XVIIe siècle, les mesures qu'il fallait prendre quand la peste se déclarait dans une ville [1] :

D'abord, un strict quadrillage spatial : fermeture, bien entendu, de la ville et du « terroir », interdiction d'en sortir, sous peine de la vie, mise à mort de tous les animaux errants ; pouvoir d'un intendant. Chaque rue est placée sous le conseil d'un syndic ; il la surveille ; s'il la quittait, il serait puni de mort. Le jour désigné, on ordonne à chacun de se renfermer dans sa maison : défense d'en sortir sous peine de la vie. Le syndic vient lui-même fermer, de l'extérieur, la porte de chaque maison ; il emporte la clé qu'il remet à l'intendant de quartier ; celui-ci la conserve jusqu'à la fin de la quarantaine. Chaque famille aura fait ses provisions ; mais pour le vin et le pain, on aura aménagé entre la rue et l'intérieur des maisons, des petits canaux de bois, permettant de déverser à chacun sa ration sans qu'il y ait une communication entre les fournisseurs et les habitants. ; pour la viande, le poisson et les herbes, on utilise des poulies et des paniers. S'il faut absolument sortir des maisons, on le fera à tour de rôle, et en évitant toute rencontre. Ne circulent que les intendants, les syndics, les soldats de la garde et aussi entre les maisons infectées, d'un cadavre à l'autre, les « corbeaux » qu'il est indifférent d'abandonner à la mort ; ce sont « des gens de peu qui portent les malades, enterrent les morts, nettoient et font beaucoup d'offices vile et abject ». Espace découpé, immobile, figé. Chacun est arrimé à sa place. Et s'il bouge, il y va de sa vie, contagion ou punition.

POLYNÉSIE | Habitat insalubre, Habitat précaire

 



Île de MOOREA
Habitat insalubre en bord de lagon


POLYNÉSIE 
Habitat Précaire - Habitat Insalubre


En Polynésie, le Paradis côtoie l'Enfer, la richesse exagérée la plus grande misère, inégalités extrêmes matérialisées, entre autres, par les luxueuses demeures, les hôtels pompeux et les masures et taudis érigés en bordure de lagons idylliques, côte à côte ; mais, cette apparente - où plutôt dissimulée par la végétation - pauvreté peut se révéler être source de richesse, car en effet, ces parcelles en bordure de lagon - terres rares à présent - où s'érigent ces humbles demeures atteignent des sommes considérables, susceptibles de métamorphoser leurs propriétaires en personnes nanties. 
Certains, d'ailleurs, le sont déjà [1] ; d'autres, moins bien nantis, mais attachés à leur héritage ancestral, presque sacré - et souvent disputé en famille -, n'ont d'autres choix que d'y demeurer humblement voire pauvrement, ou bien, de le louer à bon prix pour une demeure confortable, à bon marché pour une masure délabrée. Peu de squatters dans ces secteurs en bord de lagon, indésirables, ils s'installent le plus discrètement possible dans les lieux délaissés en bord de route, sinon là où la distance entre route et lagon est la plus mince, ou bien parfois, dans ce que l'on nomme les "ruines touristiques", soit les ruines des grands hôtels luxueux ravagés par une tempête, y compris économique. 

Ces situations de grande pauvreté (nous n'avons pas abordé ici celles de l'île de Tahiti et de l'agglomération du grand Papeete, bien plus graves encore) sont complètement méconnues en France métropolitaine, la Polynésie demeurant toujours et encore une destination paradisiaque qu'il convient de préserver, et de protéger en tant que telle, tourisme oblige, d'ailleurs son gouvernement à dissimuler, minimiser au mieux cette grande pauvreté qui, selon de fortes probabilités - faute de recensement -, atteint 55 % de la population ; un Paradis terrestre ?




Île de MOOREA
Taudis en bord de lagon

Chine Maoïste | Une Dictature Ecolo ?



« Une autre politique de développement existe déjà, dans le pays le plus peuplé du monde, qui permet une croissance mesurée certes, mais sans aide extérieure, sans chômage, sans gaspillages, avec très peu de pollutions : celui de la Chine [maoïste] .»

René Dumont
1er Candidat écolo à la présidence de la France (1974).



« Des cités rurales et des villages urbains. »




Certes, en aucune manière, les dirigeants révolutionnaires maoïstes ne se préoccupèrent d’écologie et d’environnement. Et au contraire, les premières années de la République Populaire de Chine auront donné lieu dans le secteur de l’agriculture à des expérimentations suivies d’insensés programmes parfaitement catastrophiques pour l’environnement et le Peuple chinois ; la Chine maoïste n’échappa pas au modèle d’un productivisme exacerbé, même restreint et limité, et Mao Zedong et ses partisans ont adopté le modèle stalinien, d’une nature devant être soumise et transformée aux impératifs productifs. Nous y reviendrons.

Mais au-delà, Mao, plus qu’aucun autre dirigeant planétaire de l’ère moderne se sera fait l’apôtre du désurbanisme, et à sa mort en 1976, la Chine présentait toutes les caractéristiques, dans les domaines de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, d'un pays ayant réussi un développement équilibré du territoire  ; « équilibré » ? Un sociologue comprendra sans doute qui assure à tous les ménages des niveaux de vie semblables ; pour les géographes, il s’agit plutôt d'une répartition de la population et des activités aussi également que possible sur tout le territoire. En Chine maoïste, cette définition se réfère explicitement à la pensée – plus que théorie – de Marx et Engels concernant l’opposition ville-campagne ; et Mao Zedong bâtira ses programmes politiques selon une doctrine anti-urbaine ruralophile oscillant selon les événements et les époques entre idéologie et utopie, entre incitation, invitation et despotisme.


SILENT WORLD | Lucie & Simon



Silent Work (2008 - 2012) :

« Dans ces villes fantomatiques et abandonnées, nous mettons en scène un ou plusieurs personnages symboles, comme les derniers témoins d’un Monde disparu. Ces personnages, souvent des enfants, viennent ici se confronter à un monde nouveau où le temps est comme suspendu, et apparaissent comme un signe d’espoir ou de vie».
Lucie de Barbuat et Simon Brodbeck
Prix HSBC de la Photographie 2010