Flash Art n°5, 1967. Copyright Flash Art Archive. |
Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel
ARTE POVERA : Notes sur une guérilla | Germano Celant
Chanéac | Architecture insurrectionnelle
CHANEAC, architecte
Manifeste de l'architecture insurrectionnelle
Le manifeste a été lu pour la première fois en public,
le 4 mai 1968,
"La croissance rapide de nos agglomérations, la mutation de notre société, l'explosion démographique ont amené les pouvoirs publics à créer des plans d'urbanisme à l'échelle d'une cité, puis à l'échelle de l'aménagement du territoire. La machine administrative mise en place est devenue extrêment lourde, constituant un frein intolérable aux forces dynamiques, aux élans, aux nécessités immédiates, à la vie. D'autre part, sur le plan architectural, un énorme malentendu s'est créé. Les visionnaires du début du siècle ont dénoncé les ornementations décadentes, les espaces inutiles, les mensonges structuraux. Le combat qui était nécessaire à l'époque a donné bonne conscience à ceux qui construisent les grands ensembles d'habitations d'aujourd'hui. Les précieux espaces inutiles ont disparu, les formes ont été rendues primaires sous prétexte de rationalisation.
Trois ans plus tard, en décembre 1971, après avoir pris connaissance de ce manifeste, Marcel Lachat accrochait clandestinement une "bulle pirate" sur la façade d'un immeuble de logements sociaux à Genève. Il était locataire d'un appartement de deux pièces au deuxième étage d'un immeuble parallélépipédique de neuf étages, dont la façade lisse et monotone est bien caractéristique des grands ensembles. A la naissance de son premier enfant, ayant éprouvé des difficultés à trouver un appartement plus vaste, Marcel Lachat n'a pas hésité à mettre en pratique les principes de l'architecture insurrectionnelle : à partir d'un ballon sonde, il a réalisé une petite cellule en polyester sur les conseils techniques de Pascal Haüsermann. Un vendredi soir, avec la complicité d'un ami compagnon charpentier, il a hissé et accroché la bulle à la structure de l'encadrement d'une fenêtre de son appartement. La bulle se projetait agressivement sur la façade, créant le choc visuel recherché. Dès le samedi matin, un représentant des services de sécurité du quartier se présenta pour demander des explications au couple. Marcel Lachat n'a accepté de décrocher sa cellule parasite qu'après avoir obtenu un nouveau logement et avoir pu expliquer sa situation aux autorités et à la presse genevoises. Cette dernière a largement diffusé l'événement et avec beaucoup d'humour. Cela a confirmé qu'il est parfois possible d'établir une communication directe avec le public qui comprenait immédiatement l'intention, en court-circuitant les institutions.
Natacha CYRULNIK | Filmer une Cité
Extrait documentaire
Les ouvriers, la zermi et la médiathèque | 2013
Cité Berthe, La Seyne-sur-MerEntretien avec Natacha CYRULNIK
DocumentaristeFévrier 2017
Natacha CYRULNIK a une longue carrière de documentariste au sein de cités d'habitat social : pendant quinze années, elle a été à la rencontre de leurs habitants, pour "faire entendre leurs paroles", successivement au sein de la Cité Berthe à La Seyne-sur-mer, de la Cité Le Carami à Brignoles, à La Ciotat et enfin à la Cité Air Bel à Marseille. [1]
LUI : Admirable discours !
NC : C’est vrai que ce jeune philosophe qui t’explique la misère – la zermi – en sept minutes, t’as tout compris… Il t’explique la vie ! Les rencontres avec ce genre de personnes là, j’adore. Ce sont mes médailles …
USA 1960's | Urbanisme Underground | Architectures Alternatives
TAHITI | Papeete
Les (rarissimes) études, rapports émanant des services concernés de Polynésie et des technocrates de la Métropole, s'accordent à estimer que la population [1] à Tahiti vivant sous le seuil de pauvreté s'élève à 25 % ; estimation indécente contestée par les observateurs de la chose qui affirment une réalité plus proche des 50 %, chiffre devant être augmenté par les effets dévastateurs de la pandémie, ayant en particulier ravagé les emplois associés aux activités touristiques, principales richesses des archipels.
Mais la pandémie ne peut expliquer une situation - dramatique - d'aussi grande pauvreté, elle l'exacerbe ; la Polynésie française est en effet dotée de dispositifs fiscaux spécifiques, ayant pour conséquence le renforcement des inégalités sociales : ici, au Paradis, les aides et protections sociales accordées aux plus vulnérables et indigents mais aussi aux salariés n'existent pas, les allocations chômage, de logement, le revenu de solidarité active, etc., ces formes d'assistanat promptes à ruiner le Pays et l'ardeur des travailleurs, dit-on. A l'inverse, l’absence d’impôt sur le revenu des personnes physiques, y compris aisées, et de frais de succession en cas d'héritage grèvent le budget du Pays, compensé par des taxes douanières et indirectes, qui elles pèsent très lourdement sur celui des ménages, en particulier des plus modestes.
D'autre part, les élites gouvernantes de Polynésie ne se sont pas privé, pendant des décennies, et dans une moindre mesure, aujourd'hui, à abuser de leurs pouvoirs afin de s'enrichir en puisant allègrement dans les aides financières offertes par les gouvernements de France, à les utiliser pour asseoir au mieux leur clientélisme, à régner. [2] Ainsi, selon Julien Gué [3], habitant à Tahiti, ancien journaliste de l'hebdomadaire Toere, interrogé en 2020 :
« Donc c'est cela la Polynésie, plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, c'est une élite locale qui détourne les fonds publics en toute impunité. Et rien n'est fait d'un point de vue sociale, sociétale, rien n'est fait pour l'avancée du pays.»Les incidences et conséquences urbaines et architecturales, et environnementales dans le Grand Papeete [4] sont à la mesure des inégalités sociales qui régissent le Pays : l'urbanisation rapide de l'agglomération dans les années 1960 s'est effectuée sans plan d'urbanisme d'ensemble, ou même communal, sinon des schémas prêtant à de multiples interprétations, sans contraintes architecturales, sinon celle de la hauteur des constructions ; une modernisation placée sous l'égide du laisser-faire, des dérogations, d'un laxisme des plus hautes autorités locale et de Paris, et sans aucun doute, de l'incompétence extravagante et notoire des administrateurs et ingénieurs, débarqués de la métropole, et n'ayant aucune connaissance de la société "indigène", qu'il s'agit de moderniser ; certes, malgré de temps à autres de grandes déclarations d'intention et, parfois, des tentatives devant ordonner les désordres, toutes vaines, ou bien sans grande portée face à la machine spéculative et celle technocratique.
Pierre Bourdieu | Les Jeux Olympiques
" ... et favoriser ainsi l'épanouissement des potentialités d'universalisme, aujourd'hui menacées d'anéantissement, qu'enferment les Jeux olympiques."
ITALIE | la Ville selon Mussolini
1944-2014 | 70 années d'HABITAT Public en France
Architectures du Front populaire
Villejuif, groupe scolaire Karl-Marx | 1933 |
Michel Foucault : Introduction à la vie non-fasciste
- Libérez l’action politique de toute forme de paranoïa unitaire et totalisante.
- Faites croître l’action, la pensée et les désirs par prolifération, juxtaposition et disjonction, plutôt que par subdivision et hiérarchisation pyramidale.
- Affranchissez-vous des vieilles catégories du Négatif (la loi, la limite, la castration, le manque, la lacune) que la pensée occidentale a si longtemps tenu sacré en tant que forme de pouvoir et mode d’accès à la réalité. Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à l’uniformité, les flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes. Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire mais nomade.
- N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable. C’est le lien du désir à la réalité (et non sa fuite dans les formes de la représentation) qui possède une force révolutionnaire.
- N’utilisez pas la pensée pour donner à une pratique politique une valeur de Vérité ; ni l’action politique pour discréditer une pensée, comme si elle n’était que pure spéculation. Utilisez la pratique politique comme un intensificateur de la pensée, et l’analyse comme un multiplicateur des formes et des domaines d’intervention de l’action politique.
- N’exigez pas de la politique qu’elle rétablisse les « droits » de l’individu tels que la philosophie les a définis. L’individu est le produit du pouvoir. Ce qu’il faut, c’est « désindividualiser » par la multiplication et le déplacement, l’agencement de combinaisons différentes. Le groupe ne doit pas être le lien organique qui unit des individus hiérarchisés, mais un constant générateur de « désindividualisation ».
- Ne tombez pas amoureux du pouvoir.
VIETNAM | Guerre Écologique
Lazar Khidekel | Architecture et Environnement
Préserver la nature au sol : une aéro-ville (1923)
Ah, encore, songeons nous à priori, un délire d’architecte sinon une utopie irréalisable. Et bien non : son projet de cité hors sol était parfaitement réalisable : techniquement ses constructions aériennes ne comportent aucune difficulté pour leur réalisation.
Mais ce projet nous intéresse particulièrement car en effet, l’idée maîtresse de l’architecte était de protéger le sol, de le laisser libre à la nature, dans une démarche que l’on qualifie de nos jours d’environnementaliste. Pour Khidekel, l'"interaction avec la nature environnante" devait être différente de l'approche adoptée par "les artistes du passé [qui] ne percevaient que l'aspect extérieur de la nature". Il soulignait que :
"avec la découverte des forces internes et cachées de la nature, une nouvelle civilisation supérieure est née, dans laquelle l'architecture de l'avenir doit être basée sur ses propres lois qui, au lieu de détruire le milieu naturel, entreront dans une relation bénéfique et spéciale avec la nature environnante".
Cette approche distingue les visions futuristes de Khidekel de celles de ses contemporains, qui envisageaient la victoire de la technologie sur la nature. Khidekel anticipe les approches modernes du changement environnemental et les développements des années 1950-1960. Bien avant les projets de villes aériennes de Yona Friedman, la New Babylon de Constant et le projet Clusters in the Air d'Isozaki, Khidekel imaginait un monde de gratte-ciel horizontaux qui, en apesanteur, semblaient flotter à l'infini à la surface de la terre, préservant au mieux, son milieu naturel.
MIKE DAVIS | Ecologie en temps de guerre
"La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d’écologie populaire de l’histoire des États-Unis."
Écologie en temps de guerre. Quand les États-Unis luttaient contre le gaspillage des ressources
In la revue Mouvements 2008/2
Mike Davis nous a quitté ce 25 octobre 2022.
Aux États-Unis, les générations actuelles sont-elles équipées pour répondre au défi homérique que représente le réchauffement climatique ? Si les grands médias glosent à longueur de pages sur les « crédits de carbone », les « voitures hybrides » et l’« urbanisme intelligent », il n’en reste pas moins que notre empreinte écologique ne cesse d’augmenter. À titre d’exemple, la maison américaine typique est aujourd’hui 40 % plus grande qu’il y a vingt-cinq ans, alors même que la taille de chaque foyer s’est réduite. Dans le même temps, les mammouths du genre 4×4 (qui représentent 50 % des voitures particulières) ont envahi les autoroutes, tandis que la taille des surfaces commerciales par habitant – un moyen indirect, mais fiable, de mesurer l’augmentation de la consommation – a quadruplé.
2Autrement dit, nous sommes trop nombreux à parler d’écologie tout en conservant un mode de vie surdimensionné – donnant ainsi du grain à moudre aux conservateurs qui multiplient les tribunes fustigeant cyniquement les factures d’électricité d’Al Gore. Nous sommes désespérément drogués aux énergies fossiles, au shopping compulsif, à l’expansion suburbaine et au régime carnivore. Les Américains pourront-ils jamais renoncer volontairement à leurs 4×4, à leurs hamburgers, à leurs énormes manoirs de banlieue et à leurs sacro-saintes pelouses ?
3Surprise : la bonne nouvelle nous vient du passé. Dans les années 1940, les Américains combattaient simultanément le fascisme à l’étranger et le gaspillage chez eux. Mes parents, leurs voisins, et des millions d’autres Américains laissaient la voiture au garage pour se rendre au travail à vélo, retournaient leur pelouse pour planter des choux, recyclaient les tubes de dentifrice et l’huile de cuisson, prêtaient bénévolement leurs services aux crèches et aux centres de l’United Service Organization, offraient le gîte et le couvert à des inconnus, et s’efforçaient consciencieusement de réduire leur consommation et d’éviter le gaspillage inutile. La Seconde Guerre mondiale donna ainsi lieu à la plus grande expérience d’écologie populaire de l’histoire des États-Unis. Lessing Rosenwald, le directeur du Bureau pour la conservation des matériaux industriels, exhortait ses compatriotes « à passer d’une économie de gaspillage – et on connaît les habitudes de ce pays en matière de gaspillage – à une économie de préservation. » Une majorité de civils répondit à l’appel, certains à contrecœur, d’autres avec beaucoup avec enthousiasme.
Godard | La Gestapo des structures : l'Aménagement de la Région de PARIS
Jean-Luc Godard filme La Courneuve en 1966 |
"Apprenez en silence deux ou trois choses que je sais d’elle.
Elle, la cruauté du néo-capitalisme.
Elle, la prostitution.
Elle, la région parisienne.
Elle, la salle de bains que n’ont pas 70% des Français.
Elle, la terrible loi des grands ensembles.
Elle, la physique de l’amour.
Elle, la vie d’aujourd’hui."
10 ANS !
« La critique radicale tant de la philosophie de la ville que de l’urbanisme idéologique est indispensable sur le plan théorique et sur le plan pratique. Et elle peut passer pour une opération de salubrité publique ».
Henri Lefebvre
IBIZA : Ile Paradis HIPPIE
IBIZA 1968, image du film MORE
|
Puis, comme Saint Tropez ou l’île de Capri, Ibiza a été sur l’itinéraire de la jet-set des années 1950, stars du cinéma, de la chansonnette et milliardaires, portés par leurs yachts jettent l’ancre ici, profitant de la relative tranquillité d’une île sauvage encore préservée du tourisme ; ont-ils influencés les premiers freaks à venir la visiter ? Nul ne le sait exactement, mais en ce milieu des années 1960, commence l'invasion hippie.
L'île littéralement colonisée par l'utopie immédiate et anti-autoritaire exigeant l'amour, la fraternité, l'esprit de la fête permanente, et au-delà "The Death of Money", devint mythique, et plus encore Formentera, la petite soeur d'Ibiza. C'est sur cette île minuscule, pauvre, aux terres désertiques et aux plages de rêve, habitée par deux mille habitants seulement, que s'exprimera au mieux la radicalité hippie dans son refus de participer à la société de consommation. Au-delà des clichés, la petite communauté hippie résidente à Ibiza et Formentera organisera entre 1967 et 1975, des structures tout à fait originales permettant à ses membres et à leurs enfants de vivre sinon en autarcie mais en marge du système et des institutions de l'Espagne qui, rappelons-le, était sous le contrôle de la dictature de Franco. Une dictature qui avait abandonné les îles Baléares à leur sort, pauvreté qui explique, en partie, les bonnes dispositions des Ibicencos à accepter l'arrivée de cette étrange population, très différente et insolente mais qui se révèle être bonne et fidèle cliente.
Plus tard, victime de son succès, Ibiza devint alors la proie du tourisme de masse mais orienté vers la folklorisation du mouvement hippie qui s'exprima par la commercialisation de ces valeurs : l'amour libre se métamorphosa en tourisme sexuel, l'esprit festif improvisé en boîtes de nuit et de jour gigantesques, les drogues en un commerce lucratif, les fantaisies vestimentaires remplacées par ceux des drag-queens, les écoles internationales destinées aux enfants et aux adolescents fermeront une à une, et les portes ouvertes au monde entier des vieilles masures retapées se transformeront en vastes demeures luxueuses fermées et sécurisées, pour certaines habitées par d'anciens hippies huppés ayant fait fortune...
Que reste-t-il de la grande communauté hippie ? Quelques marchés hippies pathétiques rappelant, avec tristesse, leur grande aventure aussi belle qu’éphémère, où les personnes ne se différenciaient pas par leurs classe ou origine sociales, mais à leur appartenance à un mouvement, une nébuleuse désirant une autre vie, et la construire.
Michel Foucault | Quadrillage spatial et Panoptisme
POLYNÉSIE | Habitat insalubre, Habitat précaire
POLYNÉSIE
Habitat Précaire - Habitat Insalubre
Chine Maoïste | Une Dictature Ecolo ?
« Des cités rurales et des villages urbains. »
Certes, en aucune manière, les dirigeants révolutionnaires maoïstes ne se préoccupèrent d’écologie et d’environnement. Et au contraire, les premières années de la République Populaire de Chine auront donné lieu dans le secteur de l’agriculture à des expérimentations suivies d’insensés programmes parfaitement catastrophiques pour l’environnement et le Peuple chinois ; la Chine maoïste n’échappa pas au modèle d’un productivisme exacerbé, même restreint et limité, et Mao Zedong et ses partisans ont adopté le modèle stalinien, d’une nature devant être soumise et transformée aux impératifs productifs. Nous y reviendrons.
Mais au-delà, Mao, plus qu’aucun autre dirigeant planétaire de l’ère moderne se sera fait l’apôtre du désurbanisme, et à sa mort en 1976, la Chine présentait toutes les caractéristiques, dans les domaines de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, d'un pays ayant réussi un développement équilibré du territoire ; « équilibré » ? Un sociologue comprendra sans doute qui assure à tous les ménages des niveaux de vie semblables ; pour les géographes, il s’agit plutôt d'une répartition de la population et des activités aussi également que possible sur tout le territoire. En Chine maoïste, cette définition se réfère explicitement à la pensée – plus que théorie – de Marx et Engels concernant l’opposition ville-campagne ; et Mao Zedong bâtira ses programmes politiques selon une doctrine anti-urbaine ruralophile oscillant selon les événements et les époques entre idéologie et utopie, entre incitation, invitation et despotisme.