TAHITI | Papeete

 



Tahiti | Papeete
l.u.i. 2020


« Une chose est évidente, il n’y a rien dans ces entassements de béton qui relie l’architecture de cette ville (Papeete) à une quelconque culture particulière. Ces mêmes immeubles lépreux se retrouvent dans toutes les villes ouvrières déshéritées du monde occidental. Ce qui reste à la fin de cette courte promenade, c’est que Papeete est une ville sans âme, bruyante, sale et délabrée. Un peu comme une cité qui est lentement en train de mourir.»
Julien Gué 
To'ere
juillet 2005


Les (rarissimes) études, rapports émanant des services concernés de Polynésie et des technocrates de la Métropole, s'accordent à estimer que la population [1] à Tahiti vivant sous le seuil de pauvreté s'élève à 25 % ; estimation indécente contestée par les observateurs de la chose qui affirment une réalité plus proche des 50 %, chiffre devant être augmenté par les effets dévastateurs de la pandémie, ayant en particulier ravagé les emplois associés aux activités touristiques, principales richesses des archipels.

Mais la pandémie ne peut expliquer une situation - dramatique - d'aussi grande pauvreté, elle l'exacerbe ; la Polynésie française est en effet dotée de dispositifs fiscaux spécifiques, ayant pour conséquence le renforcement des inégalités sociales : ici, au Paradis, les aides et protections sociales accordées aux plus vulnérables et indigents mais aussi aux salariés n'existent pas, les allocations chômage, de logement, le revenu de solidarité active, etc., ces formes d'assistanat promptes à ruiner le Pays et l'ardeur des travailleurs, dit-on. A l'inverse, l’absence d’impôt sur le revenu des personnes physiques, y compris aisées, et de frais de succession en cas d'héritage grèvent le budget du Pays, compensé par des taxes douanières et indirectes, qui elles pèsent très lourdement sur celui des ménages, en particulier des plus modestes. 

D'autre part, les élites gouvernantes de Polynésie ne se sont pas privé, pendant des décennies, et dans une moindre mesure, aujourd'hui, à abuser de leurs pouvoirs afin de s'enrichir en puisant allègrement dans les aides financières offertes par les gouvernements de France, à les utiliser pour asseoir au mieux leur clientélisme, à régner.
 [2] Ainsi, selon Julien Gué [3], habitant à Tahiti, ancien journaliste de l'hebdomadaire Toere, interrogé en 2020 :
« Donc c'est cela la Polynésie, plus de la moitié de la population sous le seuil de pauvreté, c'est une élite locale qui détourne les fonds publics en toute impunité. Et rien n'est fait d'un point de vue sociale, sociétale, rien n'est fait pour l'avancée du pays.»  
Les incidences et conséquences urbaines et architecturales, et environnementales dans le Grand Papeete [4] sont à la mesure des inégalités sociales qui régissent le Pays : l'urbanisation rapide de l'agglomération dans les années 1960 s'est effectuée sans plan d'urbanisme d'ensemble, ou même communal, sinon des schémas prêtant à de multiples interprétations, sans contraintes architecturales, sinon celle de la hauteur des constructions ; une modernisation placée sous l'égide du laisser-faire, des dérogations, d'un laxisme des plus hautes autorités locale et de Paris, et sans aucun doute, de l'incompétence extravagante et notoire des administrateurs et ingénieurs, débarqués de la métropole, et n'ayant aucune connaissance de la société "indigène", qu'il s'agit de moderniser ; certes, malgré de temps à autres de grandes déclarations d'intention et, parfois, des tentatives devant ordonner les désordres, toutes vaines, ou bien sans grande portée face à la machine spéculative et celle technocratique.



Carte du Grand Papeete, 2020 : L'agglomération tentaculaire à l'attaque des collines.

Mais plus que cela, la modernisation de la capitale, qui a concentré tous les grands équipements publics sur quelques hectares seulement, s'est appropriée une part considérable des financements publics, cette catastrophe s'est répercutée sur l'ensemble des archipels de la Polynésie. L'une d'entre elles concerna la main d'oeuvre nécessaire pour bâtir la nouvelle capitale moderne, administrative, militaire et touristique : c'est ainsi que naquit, véritablement, un sous-prolétariat urbain polynésien, d'anciens cultivateurs-pêcheurs sans qualification et en majorité analphabètes issus du monde rural (-maritime) des archipels, devenus manoeuvres sur les chantiers, auquel l'administration, non sans une certaine forme de racisme indigène, n'accorda aucune attention et en particulier dans le domaine de l'habitat. Les plus méritant d'entre eux devant former non pas la future élite du Pays, sinon des localités, mais la classe moyenne indigène, grande consommatrice de plaisirs, conforts occidentaux, prisonniers des crédits que les banques leur accordaient volontiers. 

Une stratégie d'ordre militaire [5] employée dans d'autres contrées colonisées dont les objectifs ont été l'opposition entre les classes sociales, l'antagonisme entre Français et Polynésiens et pour ces derniers les lignes de clivage entre pro et anti français (et entre pro et anti essais atomiques), alimentant la fracture autonomistes et indépendantistes. Stratégie à l'oeuvre dès les premiers temps de la colonie, selon Vaki Gleizal :

«  En définitive, la société coloniale tahitienne connut des tensions raciales comme pouvaient en connaître d’autres colonies. Seulement, en Polynésie, le problème se posa d’une manière plus complexe, car ces tensions se manifestèrent sous différentes formes : à travers les colons et les administrateurs blancs d’une part, entre les métis et les autochtones d’autre part. Ces tensions, animées par des arguments essentiellement économiques et entretenues politiquement, dévoilaient la fragilité et les limites de la colonisation française dans les Établissements français de l’Océanie. Les difficultés économiques, le poids de l’administration, l’éloignement et le microcosme colonial amplifiaient les haines et les antagonismes entre les communautés.» 
Gleizal Vaki, Regnault Jean-Marc. Tahiti et ses îles (1880-1914).Une micro-société coloniale aux antipodes de la métropole. In: Outre-mers, n°376-377, 2012.


Nous retrouvons les mêmes mécanismes à l'oeuvre de l'urbanisme colonial dans les îles lointaines colonisées, aux Caraïbes, etc., (les indépendantistes de Corse le suggère également), qui consiste à imposer aux populations des décisions prises unilatéralement par le gouvernement parisien, appuyées par les élites locales françaises et, souvent, autochtones alliées. L’urbanisation s’avère un outil de colonisation décisif, le programme d'assimilation spatial consiste à importer des modèles métropolitains étrangers à la culture, à l'histoire du Pays, aux mode et philosophie de vie des autochtones, considérés indigènes, condamnés à s'y adapter, plutôt que l'inverse. L'urbanisme colonial a des mécanismes communs d’exclusion mis en œuvre : l'apparition ou le développement exponentiel des bidonvilles, zones de taudis, d'habitat indigne, précaire, insalubre, vétuste, etc., au sein de quartiers déshérités, dégradés, etc., tolérés, dont l'objectif est de concentrer le nouveau sous-prolétariat urbain, qui justement a été la main d'oeuvre idéale pour l'édification de la ville moderne. Selon Gustave Massiah et Jean- François Tribillon :

«  Revenons au principe fondateur de l'urbain colonial, principe si évident qu'on ne prend pas toujours la peine d'en rappeler l'existence : la ville coloniale – son emplacement comme son organisation – résulte d'une projection extérieure ; la décision qui la crée est formulée au loin et s'impose au territoire qui la subit. (..) Les mutations urbaines (qui s'accompagnent d'autres mutations en milieu rural) se conjuguent à un fort exode rural et à la constitution en ville d'un important sous-prolétariat urbain qui bientôt submergera l'agglomération et installera ses bidonvilles dans les moindres recoins. L'urbain colonial moderne doit donc, très tôt, faire face à la modernisation de la ville et, dans le même mouvement, à l'appauvrissement d'une partie de la ville qui se déclare hors-la-loi. (...) la ville est très vite submergée par les bidonvilles que l'urbanisme colonial ne peut ni “traiter” ni contenir. Il y a là une évidente impossibilité des urbanistes et des administrateurs à sortir du concept typiquement colonial de la ville comme ensemble des quartiers légalement lotis ou reconnus. Cette conception est à l'origine d'une pratique soit de la méconnaissance (“ces gens-là ne sont pas des habitants mais des occupants sans droit ni titre, sans droit à la ville”), soit du déguerpissement (avec ou sans recasement) lorsque l'envahissement devient menaçant. (...) La ville européenne devient la ville moderne, la ville par excellence, l'idéal vers lequel doit tendre toute formation urbaine. La ville indigène est considérée tantôt comme le purgatoire de la modernité urbaine, tantôt comme le lieu de cantonnement des pauvres. Quant à la ville illégale elle est désormais non seulement hors-la-loi mais aussi indigne : politiquement, socialement et sanitairement. Cette doctrine continue de fasciner tous ceux qui persistent à penser l'urbanisme comme une technique d'ordonnancement de la ville, une technique foncière d'installation d'une population pionnière composée de catégories sociales – et non plus raciales – à traiter différentiellement en fonction de leur mérites : revenus, privilèges, statut...» 
Le modèle colonial, un modèle fondateur, In Villes en développement, 1988.


HABITAT PRECAIRE & TAUDIS


Partout, dans le Grand Papeete, et au-delà, s'érigent des zones d'habitat précaire et des taudis isolés, côtoyant des immeubles d'habitations insalubres, et d'autres en ruine squattés ; la plupart de ces habitations de fortune sont en situation de surpopulation. Selon Julien Gué :
« Donc si tu veux, on compte 50 pour 100 de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté ; et tu ne les vois pas. Ce qui se passe en réalité, c'est que quand tu te promènes dans les rues, derrière les murs, derrière la végétation luxuriante, tu as une multitude de taudis. Et on ne les voit pas ; les gens qui sont propriétaires de la terre, elle leur vient de la famille,  là, pour le coup, ils sont en situation légale par rapport à l'occupation du terrain, mais ils ont pas un rond pour investir dans leur habitat. Et ça, c'est des milliers de logements. Et quand tu regardes une vue aérienne de la ville, et bien ils sont couverts par la végétation, tu distingues des toits en tôle, mais c'est tout. » 
Entretien, Papeete, 2020.





Le "contrat de ville" 2015 - 2020 pour le Grand Papeete a été élaboré (en 2014) en partenariat avec une mission d'expert de l'Agence Nationale de la Rénovation urbaine (ANRU) en préfiguration de projets de renouvellement urbain pour des quartiers déterminés concentrant de "forts handicaps", dont ceux de l'habitat insalubre et du surpeuplement, ou du taux de chômage. Selon ces experts, les personnes habitant ces dits quartiers "prioritaires", au nombre de huit pour la seule commune de Papeete représenterait 43 % de la population, soit 11.000 habitants ; pour l'agglomération du Grand Papeete, 37 % de la population  vivraient au sein de 76 quartiers "prioritaires", résidant dans 10.000 "toits en situation d'habitat défectueux", selon leur terminologie. Mais outre ces zones prioritaires, bien délimitées, des habitations indignes, isolées, se retrouvent en nombre dans les autres quartiers "normaux ?", en particulier dans le coeur même de Papeete. 

Fare taudis en hypercentre-ville 
à deux pas de la mairie de Papeete

(Toutes les photographies présentées sont de 2020, copyright l.u.i., sauf mention contraire).







Fare taudis en centre-ville














Quartier dit " sensible",
dans l'hypercentre-ville de Papeete, réputé dangereux y compris en journée : pour y pénétrer, il faut obligatoirement être accompagné d'un habitant. Les demeures et taudis qui composent ce quartier sont surpeuplés.












Fare taudis en ville,
commune de Pirae






Squat abandonné,
commune de Pirae




Fare taudis en ville,
commune de Faaa



« Il en résulte une ségrégation sociale grandissante, les plus démunis attirés par la ville étant rejetés dans ses zones ingrates au fond de vallées insalubres où ils s’entassent dans des bidonvilles...»

Croissance urbaine et dépendance économique en Polynésie. Direction, Jacques Champaud, 1992.


Zone d'habitat précaire en ville,
commune de Faaa,
située entre la piste de l'aéroport et une rocade












IMMEUBLES INSALUBRES



Nous n'avons pas été en mesure de visiter des cités d'habitat social, véritables ghettos urbains et dégradés et surpeuplés pour les plus anciens, car en effet, pour y pénétrer faut-il obligatoirement être accompagné d'un résident connu. Dans le cas contraire, l'intrus  peut se trouver dans une situation très délicate.


L'intérieur d'un logement insalubre d'habitat collectif, le "Las Vegas"  en centre-ville, aujourd'hui démoli. L'état de délabrement n'est pas rare dans les immeubles d'habitat collectif anciens, y compris dans les résidences d'étudiants. 
Photographies, Julien Gué.









Des taudis verticaux surpeuplés, conséquence directe d'un déficit structurel de logements sociaux, sous le règne de l'OPH (Office polynésien de l’habitat est un établissement public industriel et commercial placé sous la tutelle du Pays. Celui-ci tient une place essentielle dans la conduite de la politique du logement social en Polynésie française). L'OPH a été et demeure encore une calamité épinglée par un rapport daté de 2019 de l'impartiale chambre territoriale des comptes (CTC) ayant examiné à la loupe la politique du logement social de 2013 à 2018 :
« L’OPH, en tant que bailleur social, souffre de manquements sérieux, qui le disqualifient alors qu’il s’agit de son coeur de métier.»
Ces experts très critiques - et incorruptibles, chose rare ici - n'ont cependant pas abordé le problème majeur de l'OPH, les conditions d'attribution des logements sociaux (entre autres) exclusivement basées sur le clientélisme : Gaston Flosse s'en défendait :
« Mais pas du tout ! Les gens viennent me trouver pour me demander un emploi, un logement. Si je peux, je le leur donne. Je fais du social. Alors, si faire du social, c'est faire du clientélisme, alors, oui, je fais du clientélisme !...»
Selon Julien Gué :
« Là tu mets le doigt sur un autre problème qui est la corruption systémique en Polynésie, l'OPH a toujours été un outil du pouvoir. Pour pouvoir donner des postes fictifs aux copains. L'OPH n'a jamais eu pour vocation réelle de loger les polynésiens ; c'est une vache à lait. Il faut savoir que actuellement des logements sociaux sont loués une fortune par mois ; il y a des gens qui paye un fardeau pour un 4 pièces ; et tu as plus de 50 % de ses loyers qui sont impayés.»

C'est la principale raison qu'évoque l'OPH pour expliquer, se justifier, de la dégradation avancée de ses logements les plus anciens ; et, de fait, que certains lotissements étant dans un tel état de délabrement qu’un projet de démolition-reconstruction serait plus adapté que des travaux de rénovation. Le rapport de la Chambre territoriale des comptes de Polynésie  jugeait dans un sous chapitre intitulé, Un parc de logements en partie détérioré :
« L’état du parc de logements administré par l’OPH subit l’inaction de l’OPH, et cela est connu par l’OPH et le Pays : "l’OPH qui est propriétaire de plus de 80 lotissements, compte parmi eux près de 60 lotissements anciens qui ont peu ou prou, plus de 30 ans. Ces nombreux lotissements n’ont malheureusement pas bénéficié de travaux de réhabilitation par le passé." A cet égard, l’OPH ne connaît pas, en temps réel, le taux de vacances de son parc de logements groupés. (...) Le parc "ancien" est défini par l’OPH comme l’ensemble des logements construits avant la nouvelle réglementation sur le logement social mise en place par le Pays en 1999. Cet ensemble, qui est composé de 46 lotissements, n’a jamais été réhabilité, hormis le lotissement Hamuta Val. (...) car cela pose en substance le problème de la sécurité même des installations : certains réseaux dans les lotissements ne seraient pas aux normes techniques. Au surplus, des travaux d’aménagements non déclarés par les locataires sous diverses formes dits " extensions sauvages " (abris en tôle, terrasses en maçonnerie, murets, grilles métalliques…) n’ont jamais été traités par l’OPH. Sur ce point, l’office semble désemparé quant au type d’intervention à envisager sur les extensions sauvages, et privilégie le statu quo, en lieu et place d’imposer les travaux de démolition aux occupants, ou de régulariser les constructions illicites. (...) En conséquence, par son inaction, l’OPH a contribué et contribue toujours à la dégradation de son parc, favorisant dans certains cas une situation de mal logement de ses locataires.
A l’appui de ce qui précède, la Chambre formule la recommandation suivante : Recommandation n°9 : Concevoir et appliquer dès 2019 un programme pluriannuel d’entretien, de rénovation, et de démolition-reconstruction du parc de logements groupés existants, cela en lien avec les outils stratégiques de l’OPH, qui restent à définir. » 
Ce même rapport s'étonnait également du nombre d'occupants étant hébergés de facto à titre gratuit (c'est-à-dire sans régler les loyers) depuis de nombreuses années, sans pour autant être inquiétés.


Immeubles d'habitat en centre ville












CLOAQUE URBAIN



Tous les Polynésiens, sans aucune exception, reconnaissent que l'hyper centre ville, Papeete, est une abomination, une horreur, une ville laide, sans charme, inhumaine et dangereuse même, un cloaque où s'y érigent des aberrations et autres monstruosités architecturales ; d'ailleurs les touristes eux-mêmes ne la visitent pas. Les photographies ci-dessous n'ont pas été capturées dans la lointaine banlieue de l'agglomération, mais au coeur même de Papeete, à quelques encablures de l'embarcadère touristique et de la cathédrale.  La multitude des parkings en surface symbolisent au mieux l'urbanisme des dérogations à l'oeuvre dans le Grand Papeete. 




La romancière Monak, habitant à Pirae (Tahiti), est l'auteur d'un roman intitulé Coup de soleil sous un bananier (2020) [6] présentant l'envers ou l'enfer de Tahiti, à qui nous empruntons tout au long de ce texte quelques passages :
" Sauf que le lundi parait toujours aussi morne sur les parkings du centre-ville. L’aménité proverbiale en a pris un grand coup. On ne se salue plus vraiment, on chipote, on se sent agressé à la moindre question. On joue les individualistes et les offusqués. Entre actifs et SDF, le clivage se creuse. Le travail, tel qu’il est conçu impose ses règles anonymes. La machine administrative ses codes de désaffection." 













En arrière plan, la mairie de Papeete : les espaces publics du centre ville sont quasi exclusivement dédiés à l'automobile, s'y côtoient nombre de parkings de longue durée en surface et un mobilier urbain de type autoroutier.





Il n'est pas rare, à Papeete comme à Tahiti et Polynésie, de ne pas trouver de simples trottoirs pour les piétons, comme dans cette rue située en hyper centre-ville, et "réaménagée" depuis peu...






Un dimanche à Papeete, centre-ville déserté, l'on peut apprécier au mieux les qualités urbaine et architecturale de la capitale de la Polynésie :












Julien Gué
Article paru dans l'hebdomadaire To'ere 
juillet 2005

Papeete
Vitrine du Fenua


Chaque touriste qui vient pour des vacances en Polynésie passe, en moyenne, entre 24 et 48 heures à Tahiti. Pourquoi n’y reste-t-il pas plus longtemps ? Une petite promenade d’une heure seulement sur le trajet qu’emprunte tout visiteur de Papeete apporte quelques éléments de réponse. Ce que nous y avons vu est édifiant et explique, en partie, pourquoi les touristes ne reviennent pas en Polynésie.

L’itinéraire que nous avons suivi est simple : de la rue Jeanne d’Arc, nous avons emprunté le front de mer jusqu’à la place Vaiete. Là, nous avons remonté l’avenue du prince Hinoï sur une centaine de mètres, puis direction le marché par la rue Leboucher. Ensuite nous avons suivi la rue Paul Gauguin jusqu’au rond-point du Pont de l’Est et retour jusqu’à la rue Lagarde en passant devant la cathédrale pour rejoindre le front de mer. Le bilan est affligeant, c’est le moins que l’on puisse dire, pour une ville qui est la capitale de la région insulaire la plus riche du Pacifique Sud, Hawaï mise à part.

Premier constat, les rues sont sales et défoncées, visiblement pas entretenues, et les trottoirs quasiment impraticables tant ils sont abîmés et encombrés par les poubelles collectives et autres déchets plus ou moins volumineux. En cette fin de semaine, les rideaux de fer qui ferment toutes les boutiques sans exception sont baissés. Ajoutés aux portes d’immeubles fermées par d’imposantes grilles, cette grisaille métallique donne le sentiment de se promener dans une ville en état de guerre. Il est vrai que l’effet est différent lorsque les commerces sont ouverts, mais tout de même : cela est très révélateur de l’insécurité générale qui règne dans la ville.

Impossible non plus de voir la misère présente partout. Entre ceux qui fouillent les poubelles pour y trouver subsistance, les prostituées de tous les sexes qui arpentent déjà les trottoirs en ce début d’après-midi et ceux qui visiblement, vivent là, sur le trottoir, on a du mal à croire tout ce que racontent les prospectus publicitaires à partir desquels, rappelons-le, chaque touriste à acheté son séjour chez nous. Devant un tel spectacle, ni les valeurs de la République (Liberté, Egalité, Fraternité…) ni celles que l’on attribue habituellement à la Polynésie (accueil, solidarité, famille…) ne sont présentes. Ce que l’on voit dès les premiers regards est le portrait type d’une société qui exploite les plus démunis pour le bénéfice et le confort de quelqu’un.

Afin d’oublier cela et pour s’offrir une autre vision de la cité, nous levons les yeux pour voir à quoi ressemble ce qui se trouve au-dessus du niveau commercial et qui n’est pas (pour combien de temps?) écrasé par des buildings en béton de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Hélas, ce que nous découvrons est à l’exacte image du reste. Les immeubles sont sales, souvent délabrés voire misérables. De plus, il est évident que l’anarchie la plus totale règne dans les services qui attribuent les permis de construire tant la laideur des immeubles n’est occultée que par l’absence totale d’unité architecturale et d’appartenance à une quelconque identité culturelle. Une chose est évidente, il n’y a rien dans ces entassements de béton qui relie l’architecture de cette ville à une quelconque culture particulière. Ces mêmes immeubles lépreux se retrouvent dans toutes les villes ouvrières déshéritées du monde occidental. Ce qui reste à la fin de cette courte promenade, c’est que Papeete est une ville sans âme, bruyante, sale et délabrée. Un peu comme une cité qui est lentement en train de mourir. Il est de la responsabilité des élus que de maintenir en état les équipements et les bâtiments publics, biens de la collectivité. Les édiles disposent pourtant de gros moyens financiers et de tout un arsenal juridique qui leur permettrait d’abord d’entretenir ce qui existe, ensuite, d’embellir ou de transformer ce qui le nécessiterait, et enfin d’obliger les propriétaires à entretenir ce qui leur appartient en respectant un minimum d’unité. Pour finir, il revient aux services de l’urbanisme de réfléchir à ce que pourrait être une ville polynésienne moderne et d’en imposer le principe pour que cette ville puisse être réellement accueillante. Mais pour cela, il faut une véritable volonté politique de la ville et de la qualité de la vie qui ne repose pas sur des visées politiques à court terme.

Il faut savoir mécontenter un promoteur lorsqu’il présente un projet qui va enlaidir la cité. Quel que soit son compte en banque ou le poids de ses amis.


To'ere (hebdomadaire)
juillet 2005
Julien Gué.



L'héritage architectural des commerçants de souche chinoise, qui bâtirent des immeubles, les shophouses, aux alentours du marché couvert, comprenant un magasin, restaurant ou atelier au rez-de-chaussée, et un appartement d’habitation au premier étage, avec une avancée sur le trottoir pour protéger les clients des intempéries et du soleil ; un type architectural fort répandu en Chine du sud, importé à Papeete. Ces shophouses en bois ont disparu, mais le modèle d'un trottoir couvert a été conservé par les bâtisseurs de l'époque moderne ; la promenade y est malaisée car ces trottoirs sont d'une manière générale, défoncés, non entretenus par les propriétaires, et les services municipaux. C'est ici qu'en soirée - ces rues sont désertées dès la fermeture des boutiques - viennent s'installer les sans domicile fixe cherchant un abri.









Ainsi, de l'ancienne Papeete, rien ne subsiste, sinon le tracé des voiries d'antan, dont nombreuses ont été élargies, la cathédrale en son centre, et non loin, une maison coloniale en bois et son jardinet, abandonnée.



La cathédrale mise en valeur, et une des, sinon la, dernières maisons coloniales à Papeete... 




Peu de monuments historiques, aussi, après les massacres architecturaux de la modernité, ayant enlaidis la ville, les élites gouvernantes ont un temps privilégier le pastiche. Telle la mairie de Papeete : une aberration architecturale inaugurée en mai 1990 en présence de F. Mitterand, sur le modèle des demeures coloniales. Le grand parvis et le jardin sont clos, nul ne peut y pénétrer sans autorisation. Notons que le maire d'alors était, bien entendu, anti-indépendantiste, partisan de l'autonomie du Pays.




La mairie de Pirae, véritable palais pseudo colonialiste surdimensionné pour une commune peu peuplée, mais profitant à un politicien peu scrupuleux et soucieux de sa magnificence : Gaston Flosse.



La présidence de la Polynésie à Papeete : un édifice néo-colonial récent : pastiche qui présente la particularité urbaine, comme tous les édifices publics, de ne pas disposer d'un espace public digne de ce nom : pas d'esplanade, de place, sinon un parvis d'entrée clos au public. 




La mairie de Faa'a, bien au contraire, était et est encore le fief des indépendantistes d'Oscar Temaru, maire, ayant préféré un bâtiment construit avec des matériaux traditionnels. Mais les espaces publics qui entourent ce bel ouvrage sont consacrés, ici aussi, au stationnement des véhicules...




ARCHITECTURE & TOURISME



Dès les années 1950, une nouvelle force politique exigeait l'indépendance de la Polynésie, et siégeant au sein de l'Assemblée territoriale s'opposait fermement au grand programme des autorités françaises de développer, où plutôt de créer, une industrie touristique grâce à l'aéroport international. 
 Le député Pouvanaa, père de l'indépendantisme déclarait en 1953 : « Si la France veut absolument un aérodrome, elle le paiera !... Il ne faut pas que la piste coûte un sou au Territoire... Il n’en n’a que faire !... ». Deux ans plus tard, il affirmait : « Cet aérodrome est absolument inutile. D’ailleurs les Tahitiens n’en veulent pas !... L’aérodrome de Tahiti ne nous intéresse pas ! » [7] 

Pour le gouvernement français et l’élite "économique" tahitienne, elle aussi fortement opposée à l'indépendance, l’intérêt du tourisme résidait non seulement dans sa promesse de fer de lance économique (à défaut d'autres industries) et de création d’emplois mais aussi dans l’occasion qu’il offrait de célébrer et neutraliser tout à la fois, les valeurs culturelles censément traditionnelles formant le cœur de la rhétorique des indépendantistes, voire de l'élite intellectuelle. 

Dans ce cadre de reconnaissance, renaissance même commercialo-touristico-culturelle (culture détruite par les Eglises car considérée comme païenne), l'architecture touristique elle-même allait être concernée :  peu avant la construction de l'aéroport, Tahiti ne disposait que de 200 chambres d’hôtel et l'Etat incita les promoteurs à bâtir de nouveaux ensembles hôteliers. Ainsi, les pro-touristes, sous la houlette du gouverneur de Polynésie et du ministère parisien de l’Outre-mer, suggérèrent pour ces nouveaux programmes hôteliers, une architecture pastiche devant s'inspirer, au sens large du terme, du caractère pittoresque des constructions ancestrales. C'est-à-dire, autant que possible, des bungalows espacés construits en matériaux traditionnels, des espaces extérieurs plantés, et une intégration parfaite dans le paysage ; sur le modèle du village vacances du Club Méditerranée ayant ouvert - déjà - en 1955 sur l'île de Tahiti à une dizaine de kilomètres de Papeete.  
Puis, face aux massacres urbains et architecturaux défigurant Papeete, unique porte d'arrivée des touristes étrangers - arrivant par avion ou bien navire de croisière -, et de l'île de Bora Bora, dénaturée elle par le tourisme de masse, principalement nord-américain, les rapports officiels concernant le développement touristique s'en alarmaient et préconisaient la nécessité de préservation des beautés naturelles et paysagères de l'île de Tahiti et en particulier de sa soeur voisine, Moorea.


EGLISES & TEMPLES


" Parce que de la culture originelle, il ne reste rien ou pas grand chose ! Tout a été détourné. Imposer une religion ça n’a jamais été un progrès ! Tout le monde l’a oublié."
Monak, Coup de soleil sous un bananier, 2020.





Pimpantes et comme neuves sont les églises et temples de Tahiti et au-delà de Polynésie, sans exception, et y compris les bâtisses les plus anciennes. Car en effet, les missionnaires catholiques et protestants ont réalisés de véritables prouesses en Polynésie : l'on estime que 95% de sa population est sous l'emprise plus ou moins sérieuse d'une de ses deux religions, majoritaires, aux côtés des pentecôtistes et des chrétiens de sensibilité charismatique, des Témoins de Jehova, etc.

La religion est omniprésente dans la vie des Polynésiens, et dans la vie politique du Pays : au sommet, l’hymne territorial fait référence à Dieu dès le premier vers ; Édouard Fritch, un président de la Polynésie française, comme ses prédécesseurs, a ainsi prononcé son discours d’investiture, en invoquant "notre Dieu" et un "peuple uni, chrétien et solidaire" ; ou bien encore, par exemple, une cérémonie religieuse est organisée lors de l'inauguration d'un bâtiment public, d'une grande surface commerciale, et souvent, une prière est dite en introduction des meetings politiques.

Ainsi, quelque soit l'Eglise, elles exigent de leurs paroissiens une participation financière, et « il arrive que l’on soit désigné en plein office si l’on donne moins que le voisin, si bien que certaines familles s’endettent pour ne pas subir l’opprobre », affirme Vahi-Sylvia Richaud, professeure de civilisation polynésienne à l’université de Papeete. Ces donations d'ouailles, et celles des entreprises, des politiciens, etc., expliquent la richesse des Eglises et l'excellent entretien de leurs bâtisses, travaux d'ailleurs parfois effectués gratuitement par des artisans et des paroissiens.

En contrepartie, les Eglises occupent la place laissée vacante par les autorités en services publics (et de façon notable dans les archipels éloignés de Tahiti) : écoles et collèges, classe de soutien scolaire, activités sportives (terrains de sport) et ludiques, différentes aides dont alimentaire aux familles indigentes, aux sans abris, location de logements ou de terrains, etc. 
; les mormons s’octroient directement un pourcentage sur le salaire, et peuvent décider de financer en partie les études des élèves les plus brillants, à l'étranger, avec l’espoir d’en faire les cadres de demain. En fait, d'autres réseaux clientélistes, réservés aux ouailles - donatrices - les plus ferventes.

Il est à considérer que les classes privilégiées et dirigeantes de Polynésie ont pu s'appuyer sur leurs alliés naturels, les toutes puissantes Eglises catholiques et protestantes, compatissantes avec les indigents mais davantage préoccupées par leurs richesses et emprises sur les populations, qui d'ailleurs appartiennent au cercle fermé des grands propriétaires terriens. 

Ce sont elles qui ont assuré la paix sociale dans le Pays. Et elles aussi ont craint de perdre leurs emprises sur les nouvelles classes sociales salariées et - mieux - éduquées, au contact d'Européens païens arrivés après 1960.


UNE VILLE D'ENCEINTES



Bien évidemment, les familles fortunées et celles appartenant à la classe moyenne ont déserté ce cloaque urbain depuis longtemps, préférant habiter de belles résidences en bord de mer dans les communes périphériques, voire plus lointaines, puis partir à l'assaut des collines, dans des quartiers résidentiels, ou à présent, des gated communities sécurisées. 
«... les plus favorisés s’échappant du centre gagné par les immeubles administratifs et commerciaux en direction d’une périphérie plus souriante où se multiplient les résidences de luxe sises en bord de mer ou sur des terrains aménagés à flanc de montagne.»

Croissance urbaine et dépendance économique en Polynésie. Direction, Jacques Champaud, 1992. 


Quelque ce soit le niveau de richesse, les demeures des habitants de Tahiti sont protégées par des murs et enceintes, des clôtures, complétés par des systèmes de sécurité sophistiqués et par la présence - systématique - d'un ou de plusieurs chiens de garde agressifs, en tout cas dissuasifs. C'est une capitale de demeures emmurées, symboles révélateurs de psychose généralisée d'une population apeurée par les cambrioleurs. 

Mais cette psychose résonne en écho à l'augmentation exponentielle des actes de délinquance - en particulier juvénile -, observée dès le début des années 1960, en parallèle à l'accroissement des français de métropole, les popaa, venus s'installer à Tahiti, considérés comme étant à la source même de tous les maux du Pays, d'autant plus que leur pouvoir d'achat était sans commune mesure avec les Polynésiens les plus humbles, d'ailleurs confortés dans leur jugement par le discours des indépendantistes.  Cette arrivée était ainsi considérée pour les Polynésiens comme étant une seconde période de colonisation. Ainsi, était-il, est-il fortement déconseillé aux popaa de s'aventurer dans certains quartiers le soir venu, de fréquenter tel ou tel établissement nocturne, sous peine d'être agressé ; de même, l'augmentation des actes de cambriolage, et ce y compris pour les Polynésiens aux revenus modestes, suscita psychose généralisée et pour s'y prémunir, édification systématique de murs d'enceinte, et très souvent la garde de leur demeure par un ou plusieurs molosses ; protection réservée aux villas cossues et aux hôtels, puis généralisée à toute l'île : Chacun chez soi.

Franz Fanon expliquait ce ressentiment des colonisés à l'égard des  colonisateurs, propos qui peuvent s'appliquer à Tahiti :
« Aux colonies, l'étranger venu d'ailleurs s'est imposé à l'aide de ses canons et de ses machines. En dépit de la domestication réussie, malgré l'appropriation le colon reste toujours un étranger. Ce ne sont ni les usines, ni les propriétés, ni le compte en banque qui caractérisent d'abord la "classe dirigeante". L'espèce dirigeante est d'abord celle qui vient d'ailleurs, celle qui ne ressemble pas aux autochtones, "les autres" ».

« Le regard que le colonisé jette sur la ville du colon est un regard de luxure, un regard d'envie. Rêves de possession. Tous les modes de possession : s'asseoir à la table du colon, coucher dans le lit du colon, avec sa femme si possible. Le colonisé est un envieux. Le colon ne l'ignore pas qui, surprenant son regard à la dérive, constate amèrement mais toujours sur le qui-vive : "Ils veulent prendre notre place." C'est vrai, il n'y a pas un colonisé qui ne rêve au moins une fois par jour de s'installer à la place du colon. »

« Le monde du colon est un monde hostile, qui rejette, mais dans le même temps c'est un monde qui fait envie. Nous avons vu que le colonisé rêve toujours de s'installer à la place du colon. Non pas de devenir un colon, mais de se substituer au colon. Ce monde hostile, pesant, agressif, parce que repoussant de toutes ses aspérités la masse colonisée, représente non pas l'enfer duquel on voudrait s'éloigner le plus rapidement possible mais un paradis à portée de main que protègent de terribles molosses.» 
Les damnés de la terre, 1961.

 


Murs d'enceintes de demeures du Grand Papeete.





















Les résidences d'habitat collectif n'échappent pas aux murs d'enceinte.





Pour les habitants peut-être les moins fortunés ne pouvant édifier un mur, ou une clôture, l'alternative la plus économique est de planter de la végétation impénétrable et surtout, de s'assurer de la garde de féroces molosses. Les taudis, en Polynésie, sont souvent enclos de végétation dense leur permettant de se dissimuler.






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PLAGES DE REVE ?



Papeete, il y a longtemps, pouvait profiter de très nombreuses plages où il était encore possible de s'y baigner. Julien Gué :
« Quand tu regardes des photos de Tahiti, de Papeete, entre 1950 et 60, le front de mer est une pure merveille ; c'est des arbres, c'est la plage de sable, les voiliers qui viennent mouiller au bord de la ville... Et puis ensuite, on a bétonné la plage, on a construit une six voies, quatre au début, on a entièrement bétonné le front de mer de la ville ; et puis maintenant on refabrique des plages, on va chercher du sable ailleurs, pour recréer des fausses plages.»

La rocade "urbaine" composée de 6 voies et d'un terre plein central prive Papeete de son rivage. Notons que la photographie a été prise un dimanche...



... mais celle-ci, en semaine, à l'heure des embouteillages, l'une des plaies de Papeete.






Olivier Bon, géographe, nous renseigne :

« Le touriste en partance pour Tahiti, bercé par les récits qui ont fait le mythe de la nouvelle Cythère, ne peut pas imaginer que son futur séjour sera ponctué par de nombreux et monstrueux embouteillages qui rythment la vie quotidienne des habitants de l’île. (...) Le littoral de Tahiti est devenu un vaste territoire urbain sous l’influence de Papeete. L’île porte les stigmates d’une urbanisation non maîtrisée qui a accompagné une politique des transports uniquement basée sur la mise en place d’infrastructures de type voies rapides. Cela a produit les effets habituels : captivité de la population face au mode de transport automobile, abandon résidentiel du centre-ville, mitage des espaces périurbains. Cependant la spécificité de l’agglomération de Papeete repose dans son étalement qui a conduit à l’occupation continue de la plaine côtière dans un corridor de quelques centaines de mètres sur plus de 60 km de long. Cela a engendré un besoin élevé en déplacements quotidiens, ce phénomène étant renforcé par la concentration des emplois, des équipements et des services dans le centre-ville. Le réseau de transport collectif étant abandonné à son sort, il ne permet pas d’offrir à la collectivité une réelle alternative à l’automobile. Ceci explique la surcharge du réseau de voirie, sa capacité d’évolution étant fortement contrainte dans cet espace clos. Ainsi le grand Papeete semble pris au piège de la congestion. Pourtant ce sont les échanges de la périphérie avec le centre-ville, et les crochets à travers celui-ci, qui en sont la cause. En effet, les déplacements domicile-travail se font majoritairement en automobile et sont encouragés par un second aspect de la logique circulatoire qui vise à offrir l’espace public du centre-ville au stationnement automobile de longue durée.»

L’insoutenable développement urbain de l’île de Tahiti : politique du "tout automobile" et congestion des déplacements urbains, Les Cahiers d’Outre-Mer,  Avril-Juin 2005.



Entre le rivage, le port de plaisance, et la rocade s'érige l'unique grand espace public, c'est-à-dire interdit aux véhicules, de Papeete ; esplanade et parc urbain désertés car soumis à la pollution visuelle et sonore du trafic autoroutier de la rocade... Les toilettes publiques et les fontaines d'eau potable profitent cependant aux sans domicile fixe.






Requalification de l'espace public : une vaine tentative pour tenter d'atténuer les nuisances de la rocade côté ville, le front de mer, également déserté....




Une plage publique dans le Grand Papeete, sans charme.





Bord de mer non loin de cette plage, préservé de l'urbanisation mais en triste état...








Car en effet, les rivages, espaces très convoités, ont été privatisé depuis longtemps par les familles aisées et les hôtels ; laissant à la population de Papeete des interstices, ou zones de baignade, entre les îlots de résidences.










A-t-on jamais vu en France métropolitaine des résidences privées s'appropriant ainsi en toute impunité le rivage ? A Tahiti, l'accaparement privatif du rivage est, où plutôt a été, toléré, voire autorisé : 
la loi littorale ne s'appliquait pas en Polynésie, pour des raisons qui ne sont guère mystérieuses, au mépris du Code de l'urbanisme qui impose une servitude garantissant la liberté de passage du public le long du rivage : c'est un domaine public inaliénable.    A Papeete, l’anthropisation individuelle, liée à l’habitation privée, a été essentiellement responsable : les réglementations n'ont pas été respectées et, surtout, les contrevenants rarement condamnés. Ils ont pu profité également d'un flou juridique : un rivage de lagon peut-il être considéré comme un rivage d'un bord de mer délimitée par le récif ? Mieux encore, le législateur polynésien leur accordait, dans une délibération de 2004, des autorisations - soit des dérogations - visant à permettre aux riverains de soustraire une « portion du domaine public à l'action de la mer » (!) Cette sorte d'accord de substitution, considérant qu'un tiers est mieux à même de remplir les obligations de l'administration, a fait l'objet de confusions quant à ses motifs : le remblai vise-t-il à renforcer la résistance d'une propriété privée et/ou de ses constructions à l'action de la mer ? ou bien vise-t-il à préserver l'accès public à la mer et plus largement à garantir la protection du milieu marin et des écosystèmes menacés par l'érosion naturelle du trait de côte ?

Ainsi, sous couvert des lois polynésiennes, du laxisme des autorités, la motivation de ces propriétaires obéissait non seulement à un souhait de protection de leurs biens contre les tempêtes et cyclones, dévastateurs mais rares, mais aussi à un gain en terres sur le lagon, d'une valeur à présent inestimable ; et plus que cela, d'interdire la portion maritime de leur propriété accessible légalement à la libre circulation, pour éviter tout passage ; et de fait, renoncer à la jouissance d’une portion de plage ; et au détriment de la pérennité et la richesse des écosystèmes coralliens.

L'urbanisation des rivages, à ce degré, est exceptionnel et concerne les communes du Grand Papeete, dont la façade maritime est à 100 % artificialisée ; ailleurs en Polynésie, le domaine public du rivage a été respecté : enceintes et remblais érigés laissent libre la plage ; et à présent, les autorités y veillent et exigent la destruction des ouvrages illégaux.




Deux exemples de rivage privatisé, contraire aux lois françaises, toléré en Polynésie...



Un exemple de conflit de voisinage (vécu) entre des propriétaires retraités venus de France, et les habitants polynésiens qui aiment le soir venu, le week-end, se réunir sur la plage pour pique-niquer, boire et chanter. 




Autre exemple : l'appropriation privatisation du rivage par une résidence de logements collectifs, une opération immobilière récente, interdisant au public non résident l'accès au rivage...




NAISSANCE DE L'AGGLOMERATION


Tahiti martyrisée par une urbanisation chaotique frénétique et défigurée par des monstruosités architecturales, puis par les résidences privées et gated communties qui s'attaqu-ai-ent aux collines toujours plus hautes délimitant la ville : comment en est-on arrivé à un tel massacre qui au-delà d'altérer à jamais la beauté de ses paysages paradisiaques, agit sur son environnement, son éco-système, et les relations sociales ?

La modernisation de Tahiti s'est finalement faite sans plan général d'aménagement, dans le plus parfait laisser-faire, même si à plusieurs reprises les plus hautes autorités tentèrent d'y remédier, sans succès, et sans doute, sans grand enthousiasme, au regard de cette formidable contre-performance urbaine.


Il n'y avait pas de ville ni même de village à l'arrivée des premiers navigateurs étrangers en Polynésie (Wallis en 1767). Papeete a donc été la première bourgade puis ville de Polynésie (municipalité en 1890). Les différents clans à Tahiti vivaient dans des fare (habitations) isolées les uns des autres, le plus souvent étalées le long d'un cours d'eau - les nobles en piémont des collines, la caste la plus basse, en bord de lagon. Jules Agostini visita Tahiti en 1894 et il décrivait ces sortes de villages étalés (Tahiti, 1905) :

« Dans la presqu'île, comme ailleurs à Tahiti, l'intérieur des terres est inhabile ; la population manquant de voies d'accès a tenu à s'établir près de la mer, qui est à la fois une route large et spacieuse et un inépuisable magasin, où à défaut d'autres vivres on est sûr de trouver le poisson qui entre pour une notable quantité dans la subsistance des indigènes. Aussi leurs cases sont-elles disséminées le long de la plage et de la route qui, dans tout son parcours, ne s'éloigne jamais sensiblement du bord de mer. C'est ce qui a déterminé l'Administration à diviser l'île en districts et non en communes, aucun centre n'offrant une agglomération suffisante à laquelle pût s'adapter une telle dénomination. (...) Celte dispersion des habitants, installés pour la plupart sur leurs terres auxquelles ils sont fort attachés, peut développer en eux l'amour des travaux champêtres, mais elle nuit à l'esprit d'association, à l'union des efforts individuels, qui seuls peuvent engendrer et féconder les conceptions hardies d'où sortira le bien-être général. Guidé par un sentiment de cette nature, M. Gaultier de la Richerie, gouverneur de Tahiti, en 1860, décida que les naturels d'une même région se réuniraient sur un point déterminé pour vivre désormais en groupes installés par villages. Cette mesure, qui aurait pu avoir les meilleurs résultats, ne fut appliquée qu'en partie.»

Papeete fut donc bâtie par les premiers européens, qui s'y regroupèrent, à l'écart des Polynésiens, bourgade ainsi décrite par le peintre Paul Gauguin :
« Le premier aspect de cette petite île n'a rien de féerique, rien de comparable par exemple à la magnifique baie de Rio de Janeiro.[...] La vie à Papeete me devint bien vite à charge. C'était l'Europe - l'Europe dont j'avais cru m'affranchir - sous les espèces aggravantes encore du snobisme colonial, d'une imitation puérile et grotesque jusqu'à la caricature. Ce n'était pas ce que je venais chercher de si loin.»
Noa Noa
1901
Jules Agostini, à propos de Papeete :
« Dans les éclaircies comme à travers les arbres et les fleurs qui abritent Papeete, au milieu des cocotiers et des maïorés (arbres à pain), des puraos, des flamboyants, des lauriers-roses et des tiares, de tout ce qui compose la flore indigène et étrangère, surgissent une multitude d'habitations, en bois, pour la plupart, généralement basses et surmontées de toits gris ou noirs selon que la tôle ou le bardeau les couvre. A côté de rares édifices surmontés de belvédères comme le palais de Pomaré, les hôtels du Gouvernement et du Directeur de l'Intérieur, la cathédrale, l'évêché, etc., l'oeil exercé découvre les cases en chaume proscrites par les règlements locaux, mais existant en dépit d'eux, car le maori préfère le repos sous le toit de pandanus, à celui qu'il pourrait goûter dans des installations plus luxueuses, qu'il possède souvent. (…) Pourquoi faut-il, hélas! que toute médaille ait son revers? Dans ce superbe écrin dont la nature paraît s'être attachée à parer l'extérieur, le regard désenchanté cherche en vain la perle pour laquelle il tient en réserve des trésors d'admiration. Papeete n'a rien de fascinant, rien même qui puisse fixer un instant l'attention du touriste. Des rues bien tracées et mal entretenues n'offrent, par les temps pluvieux, qu'un écoulement insuffisant aux eaux qui les transforment en cloaques ou en bourbiers. (...) Les monuments, peu nombreux, ne méritent aucune mention spéciale, et ne relèvent point de la critique qui jamais ne s'attache qu'aux objets, portant au moins, à défaut d'autre cachet, celui de l'originalité.»




Le romancier T’Serstevens, ayant vécu à Tahiti, évoquait ses impressions dans Tahiti et sa couronne, publié en 1950 :

« Celui qui débarque à Tahiti, imprégné d'une littérature qui depuis sa découverte n'a cessé de l'embellir des couleurs les plus chatoyantes, ne doit s'en prendre qu'à lui-même s'il se trouve déçu. Il tombe de toute la hauteur d'une imagination surexcitée par ses lectures, dans une île en vérité fort belle, au milieu d'une population des plus attachantes, mais il n'y trouve rien des images périmées qu'il s'était mises dans l'esprit. Il était venu chercher le Tahiti de Rarahu, voire même de Bougainville. Il ne découvre à première vue que les marques d'une européanisation inévitable, car il n'est pas de terre peuplée, aussi lointaine soit-elle, qui n'évolue avec le reste du monde. Il s'attendait à se promener sur un chemin de sable blanc, à l'ombre des orangers, passer les rivières à gué ; mais les orangers sont tous morts, et sur la route goudronnée passent dans un ronflement de moteur des voitures américaines et des autocars bondés. Il ne voyait les Tahitiens que drapés dans des pareu et couronnés de fleurs, et il rencontre de beaux gars, le torse nu, en short de toile, le chapeau de pandanus sur le bout du crâne, et des femmes en jupe courte et corsage de cotonnade. (...)
Tout cela, je me hâte de le dire, n'enlève pas grand'chose à la beauté du paysage, encore moins à la mentalité de la race. La route ne marque de son influence que les abords immédiats de Papeete; elle n'est bientôt plus qu'un trait au milieu des vastes cocoteraies ou de la végétation touffue. Il ne faut que s'écarter à moins de cent pas de ses rives pour retrouver intact le Tahiti de naguère. Il suffit de vivre quelques mois parmi les indigènes, et de se montrer leur ami, pour constater le peu d'action des éléments modernes sur ces cerveaux d'enfants jouisseurs. En dépit des autos, des bicyclettes, du cinéma, des machines à coudre, des shorts et des robes de coton, leur manière de vivre et dépenser n'a guère changé, est à peu de chose près ce qu'elle était lorsque la Boudeuse a jeté l'ancre devant Hitiaa. La vie moderne a provoqué de nouveaux massacres. Les admirables forêts de mape qui remplissaient jadis le creux des vallées ont été abattues sans merci pour faire du charbon de bois. Les nobles tamanu qui naguère encore bordaient le rivage, les plus vieux purau, les apape et les miro, ont été coupés au pied et sont devenus meubles et charpente. Et bien entendu, le Tahitien, qui n'a aucune notion de cette entité mystérieuse qu'on appelle l'avenir, ne se soucie guère de replanter. Depuis tant de siècles que la Nature, comme on dit, lu, donne toutes choses presque sans travail, il ne peut pas s'imaginer qu'un arbre ait besoin d'un homme pour pousser. »



Papeete et ses villages environnant vivaient jusqu'à la fin des années 1950 dans la douceur et la nonchalance polynésiennes, un paradis terrestre au bout du monde, véritable, pas ou peu altéré par la modernité et le tourisme ; pas d'aéroport reliant ce paradis au reste du monde. Les Européens vivaient confinés à Papeete, plus rarement dans les bourgades voisines, les indigènes restaient à l'écart de la "ville", mais les fare des villages étalés de jadis se faisaient moins éloignées et plus proches des unes des autres.  T’Serstevens décrivait Arue, bourgade voisine de Papeete :

« Arue, bien qu’ayant ses premières maisons à moins d’une lieue de Papeete, est le parfait modèle du village tahitien. Il a été préservé jusqu’ici de l’invasion de Popaa qui se répandent surtout du côté de l’ouest et dans le district de Pirae ou Pare : il doit cet avantage à ce qu’il n’a pas encore l’électricité, car les Blancs, sauf exception, vivent confinés dans leurs habitudes de “confort moderne” et ne pourraient se résoudre à l’intimité des lampes à pétrole.»

« Que ce mot de village n'évoque dans l'esprit du lecteur rien de ce qu'il représente dans presque tous les pays du monde. Ce n'est pas ici une agglomération avec des rues, une place publique et des jardins clos, mais une suite de maisons de planches et de cases de chaume très distantes les unes des autres, disséminées au hasard le long de la route et parfois très loin d'elle, au milieu des cocoteraies, en sorte que le village proprement dit se confond avec le «district » ou territoire communal et s'étend souvent sur plusieurs kilomètres A l'exception des boutiques de Chinois, qu'on reconnaît tout de suite à leur délabrement et leur saleté, les habitations ne sont jamais en bordure de la route mais au milieu d'un jardin plus ou moins grand, sans clôture ou fermé de haies fleuries, fait de maiore, de bananiers, de citronniers, d'arbustes d'ornement et de hautes plantes à bouquets, comme le canna qui porte de longs thyrses d'un rouge éclatant. Cette végétation est quelquefois si dense qu'on distingue à peine la maison, et si l'on ne séjourne pas dans le village, on n'en connaîtra jamais les plus beaux recoins, ensevelis dans la verdure et par conséquent invisibles de la route. La fare punu, maison de planches à toit de tôles, est toujours édifiée sur de courts pilotis, troncs de cocotiers, de purau ou piliers de ciment, qui laissent entre le sol et le plancher un espace vide d'environ deux pieds, précaution efficace contre l'humidité et vaine précaution contre les termites qui vous dévorent une maison de sapin en moins de trente ans. Cet espace sert de débarras, comme aussi d'abri pour les chiens, cochons et autres bêtes de petite taille, à l'exception des poules qui perchent, la nuit, sur les arbres, car les poulaillers sont inconnus. La demeure est toujours précédée, parfois entourée, d'une véranda ouverte et couverte, qu'on nomme tamaru, centre de la paresse et du repos, ce qui revient au même. Les cases à l'indigène sont, en général, posées sur un macadam de galets ou sur une assiette de ciment, mais on en voit encore qui le sont directement sur le sable et n'ont pas d'autre plancher. Elles sont faites d'une charpente d'uru, d'ati, de purau et même de sapin du Canada, avec des cloisons de planches ou d'écorce de bambou tressé, parfois de fins bambous ou roseaux juxtaposés verticalement, et elles sont couvertes d'un chaume épais en palmes de cocotier le plus souvent, quelquefois en pandanus.
»

Les habitants de Tahiti pouvaient encore profiter de ses fertiles plaines agricoles et vergers, de la cueillette de fruits tropicaux des forets, des produits de leur potager, et d'un littoral libre de constructions leur permettant la pratique ancestrale de la pêche (y compris en centre ville), pour sans peine parvenir à nourrir une famille. Cette économie de subsistance n’est plus possible à Papeete et ses environs, car une part considérable de la population s’est concentrée dans la zone urbaine où elle ne dispose pas de terres cultivables ni même d’accès à la mer pour y pêcher.



Monak (Coup de soleil sous le bananier) :
« Les fare sont conçus depuis toujours pour se confondre avec la température externe : un secret ancestral ouvert à tous vents… et qui ne coûtait rien ! Maintenant, au lieu de ménager des interstices entre les planches, on colmate tout ! Que ça devient irrespirable, moite, surchauffé ! L’aération naturelle, on l’a remplacée par la climatisation artificielle. C’est plus rentable pour les immeubles… Mais c’est du calfeutrage ! Les fare, sont des packages sans véritable sécurité. Je mettrais un blocus sur un truc pareil, la porte serait blindée, oui ! On pourrait se barricader. Mais les cloisons ? On les enfonce d’un coup d’épaule. Ce matériau léger, bon marché, qu’on nomme pinex a fait la fortune de l’entreprise du même nom : agglomérat de bois, de carton, de colle… il enrichit les promoteurs qui poussent comme champignons au fenua : tant les bénéfices sont juteux !»


La modernisation de Tahiti répond en premier lieu à la nécessité pour les autorités d'une part d'asseoir leur présence militaire navale et aérienne dans cette vaste zone du Pacifique (en ces temps de guerre Froide), et de s'assurer d'une étape commerciale entre Asie et Amérique, et d'autre part d'initier une industrie susceptible d'adapter la Polynésie à cette nouvelle économie de marché mondialisé : le tourisme (à réaction), sur le modèle de l'île de Bora Bora, joyaux du Pacifique déjà prisé par les touristes nord-américains. Pour cela, fallait-il doter la Polynésie, Tahiti, d'un aéroport de classe internationale, qui rentra dans la modernité avec la construction pharaonique de l’aéroport international de Faa'a de 1959 à 1960 pour sa piste, et des nouveaux et vastes terre-pleins du port de Papeete, aménagés à usage autant civil et commercial que militaire ; puis, dans un second temps, la décision du gouvernent de De Gaulle d'établir le Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) allait bouleverser en profondeur la société polynésienne, période que les indépendantistes dénomment "colonialisme nucléaire" ; programme militaire qui  s’articulait autour de trois pôles : les sites de tirs nucléaires des atolls de Moruroa et de Fangataufa, le support logistique de la base avancée de Hao et la base arrière de Tahiti, qui allait redevenir, comme jadis, un bastion militaire. La venue des militaires imposait la construction de très nombreuses casernes et "cités militaires" disséminées dans le grand Papeete (formant d'ailleurs de véritables enclaves urbaines autonomes), et les résidences et tous les équipements publics nécessaires pour les familles de para-militaire, scientifiques, techniciens, ingénieurs et fonctionnaires, gendarmes, etc., devant séjourner à Tahiti (quartiers résidentiels, centres hospitaliers, lycées et collèges, stades, tribunal, nouvelles voiries et rocade, équipements techniques, etc.).  L'idée générale du schéma d'urbanisme consista à implanter l'ensemble des grands équipements et des immeubles administratifs, à les concentrer à Papeete (ce que l'on nommait alors "centre administratif"), suivirent les sièges sociaux des entreprises et banques, etc., puis les commerces. A cela s'ajoutait également la construction d'hôtels de luxe.

Ces grands chantiers sont à l'origine d'un phénomène de migrations massives de population venue des autres archipels vers l’agglomération de Papeete. Mais c
et exode n'est certes pas un phénomène nouveau, il n’est que d’écouter le Président de l’Assemblée territoriale en 1953 :
« Arrêtez l'exode de nos populations rurales, les plus saines et les meilleures, vers le pôle d’attraction qu’est devenu Papeete; où les vieux - aussi enragés que les jeunes - viennent s’entasser, unir leur nouvelle misère aux miséreux de la ville, pour créer un prolétariat inconnu dans le passé, source d’agitation sociale, pour l’avenir. Créons une vie intérieure dans nos îles. Offrons sur place à nos ruraux l'’illusion qu’ils viennent chercher de si loin à Papeete, par curiosité, par mode. Rendons nos îles agréables à vivre par la réduction de !a marge bénéficiaires sur les marchandises vendues dans nos archipels... Rendons nos îles utiles et prospères... Revalorisons le métier d’agriculteur.»

Mais à Tahiti dès 1960, l'argent y coulait à flots comme les offres d'emploi non qualifiés, et aussi important, ces migrants goutaient avec délices aux  distractions inexistantes dans les archipels les plus reculés, où y régnaient prêtres et pasteurs. Cette arrivée massive de migrants posa très rapidement plusieurs problèmes : les insuffisances se sont vite révélées tant au niveau des infrastructures matérielles, logements, réseau urbain routier, viabilisation qu’au niveau des infrastructures sociales, écoles, dispensaires... Le principal problème qui s’est pose de façon aiguë à partir des années 1960 aura été celui de l’habitat spontané et insalubre de type bidonville où s’est entassée au fil des années une proportion de la population immigrante assez élevée, généralement originaire des autres archipels. 

Ainsi, les militaires, les nouveaux fonctionnaires et leurs familles de la métropole (les popa'a) auront été confortablement logé et équipé, héritage de l'urbanisme colonial [4] ; mais ce ne fut pas le cas pour les milliers d'ouvriers polynésiens travaillant sur les chantiers, et les premiers bidonvilles apparurent en même temps que la construction de l'aéroport de Faa'a. C'est d'ailleurs sur cette commune que fut construit le premier ensemble d'habitat social, en 1963. Dix années après les premiers chantiers, en 1969, un recensement comptait dans l'agglomération environ 22.000 personnes vivant dans 4.000 logements insalubres dont plus de la moitié dans la seule commune de Papeete. En 1982, c’est encore 4.651 habitations qui étaient considérées comme insalubres dans l’agglomération. Elles représentaient 23 % du parc immobilier abritant 24.500 personnes soit plus de 27 % de la population urbaine. 

Les premiers lotissements d'habitat social destinés à ce nouveau prolétariat urbain, à ceux tout du moins les plus méritant, surgissent vers 1963 ; lotissements allaient très rapidement devenir des ghettos urbains, éloignés en général des lieux de vie et des équipements publics et services (écoles, équipements culturels ou cultuels, commerces, transports). La qualité médiocre des constructions, leur mise en oeuvre fit des appartements, le plus souvent surpeuplés car co-habités (jusqu'à 20 occupants par pièces de vie en alternance), des taudis. Tout ceci pour un montant des loyers, mais également des charges (eau, électricité, entretien), sans rapport avec les salaires - coût qui explique en partie, cette densité de co-habitation. 

Le - nouveau - prolétariat urbain dont les ressources étaient insuffisantes pour obtenir un crédit,  d'autant plus qu'avec la spéculation foncière, le prix des terrains, de la vie, augmentèrent régulièrement au fil des mois, ou pour d'autres raisons, s'entassait donc au sein des bidonvilles, que décrivait Gérard Ringon décrivait la commune de Faa'a  :
« La construction de ces différents lotissements (dédiés aux militaires) répondait au souci précis de loger certaines catégories sociales, mais ne correspondait nullement au désir de maîtriser le développement urbain et de lui assurer une certaine cohérence. Les conditions dans lesquelles se sont installés les migrants ruraux en sont bien la preuve; cette installation s’est faite sur des terrains qui, dans la plupart des cas, n’étaient pas aptes à des opérations spéculatives avantageuses. Les migrants habitent souvent dans des zones d’accès difficile qui n’ont subi aucun aménagement préalable: ils sont aussi venus s’intercaler dans les anciens quartiers, là où l’habitat n’était pas très dense. Sur le bord de mer, entre la pointe Hotuarea et l’aéroport, on trouve plusieurs quartiers de migrants qui viennent des différents archipels ; cette zone est marécageuse, et surtout très bruyante en raison de la proximité de la piste aérienne qui longe le bord de mer. Les migrants ont aussi colonisé les vallées, Papehaua, Tavararo, Piafau. et quelques collines. Pour aller dans ces quartiers il faut emprunter des chemins ou des petits sentiers de terre difficilement praticables en période de pluie. Les petits fare, montés sur pilotis pour s’isoler de l’humidité du sol, sont tous construits sur le même modèle: l’armature est en bois, les parois en "pinex". un aggloméré cartonné d’importation américaine, qui se gondole rapidement sous l’action conjuguée du soleil et de la pluie, le toit est en tôle. Pour égayer l’ensemble, on peint les parois extérieures de couleurs vives et on plante quelques fleurs aux alentours. Le fare principal se compose souvent d’une seule pièce qui sert de chambre à coucher pour toute la famille; le mobilier est pauvre : quelques casiers où l’on range le linge, pas toujours des lits mais souvent des nattes en pandanus sur lesquelles on s’allonge pour dormir. Survivance de l’habitat ancien, un petit appentis accolé au fare principal et dont le sol est de terre battue, sert de -fare-tutu - cuisine - et de fare-tamaraa - salle à manger - Un peu à l’écart, le fare-pape - la douche - et le -fare-iti - les WC -; l’écoulement des eaux usées se fait suivant la ligne de pente. Les quartiers situés en retrait de la route de ceinture ont gardé ou plutôt perpétuent le caractère rural et font penser aux villages que l’on rencontre dans les districts de Tahiti et dans les autres îles : même dégradation de l’habitat traditionnel où les matériaux d’importation ont remplacé les matériaux végétaux locaux, bambou, pandanus et cocotier ; il ne s’agit d’ailleurs pas seulement d’une dégradation mais c’est le signe d’un changement culturel et d’une recherche, à travers ces objets, d’un modernisme et d’une nouveauté: les Polynésiens sont étonnés de voir les Popaa et les Demis remettre en valeur l’habitat traditionnel - seulement en apparence, alors que par ailleurs cet habitat est doté de tout le confort ménager et domestique - pendant qu’eux-mêmes aspirent à se construire une maison en ciment recouverte de tôles. En contraste avec les quartiers bourgeois, les quartiers polynésiens restent un espace ouvert : pas de clôtures ni de haies pour se séparer des autres ; les sentiers courent librement d’un fare à l’autre. Chez elles les femmes portent toujours le pareo noué autour de la taille ; les enfants en bas-âge jouent nus autour de la maison. A proximité du fare, on entretient parfois une petite plantation de tara, on élève un petit cochon en prévision du prochain tamaraa.»  
Une commune de Tahiti à l'heure du centre d'expérimentation du Pacifique : Faa’a. Une sociologie du présent. Office De La Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer. 1971.

Dans d'autres districts (c'est-à-dire pas encore municipalisés sous tutelle administrative) du Grand Papeete, la situation est aussi dramatique ; Jean Fages dans une étude datée de 1975, concernant Punaauia et de Paea, observait :

« La demande de logements est telle que l’offre (de logements) ne parvient à satisfaire que les besoins des catégories sociales aisées au détriment des catégories moins favorisées qui souffrent d’une absence de politique en matière de logements sociaux et sont condamnés à l’entassement des bidonvilles. A l’heure actuelle, il n’existe aucune réalisation publique ayant un caractère social et pouvant constituer une structure d’accueil pour les populations insulaires. Des cités ont été créées pour les fonctionnaires, les militaires et les métropolitains, en général. Rien n’a été élaboré pour accueillir les insulaires, canaliser et discipliner leur installation. On a trop compté sur les traditionnelles lois polynésiennes de l’hos-: pitalité ; elles ne pouvaient constituer des structures d’accueil suffisantes. Cela explique le développement anarchique d’un habitat plus ou moins spontané que des réalisations publiques de logements économiques ou sociaux du type H.L.M. auraient pu éviter. Des tentatives ont été faites dans ce sens à Papeete et Faaa, mais rien à Punaauia et Paea. L’extension de l’espace bâti se fait au moyen de réalisations pFivées qu’elles soient individuelles ou collectives. Ces réalisations sont nombreuses mais le prix des terrains et de la construction freinent l’accession à la propriété d’une partie importante de la population. (...) Au niveau de la répartition dans l’espace, cela se traduit par d’importantes disparités. Les densités varient d’un secteur à l’autre ; globalement, les zones d’habitat polynésien ancien ou récent sont peu étendues et fortement peuplées. A l’inverse, les secteurs de peuplement européen sont largement étalés mais faiblement peuplés. (...)  
Jusqu’ici, l’essentiel de l’urbanisation a été le fait des catégories sociales les plus favorisées parce qu’elles étaient les seules a posséder les moyens financiers indispensables à sa réalisation. Pourtant, il s’avère maintenant nécessaire de trouver des. structures, financières en particulier, susceptibles d’intéresser toutes les couches de la population, principalement celles dont l’installation est la plus précaire. »
Punaauia - Paea, contact ville-campagne et croissance urbaine de la côte ouest de Tahiti, ORSTOM, 1975.


Mais une part des ouvriers de ces chantiers (majoritairement Polynésiens), et des salariés d'autres branches (administration, tourisme, commerce, service, port, industrie, etc.), allaient former la nouvelle classe moyenne de souches polynésienne et demie, pouvant bénéficier des crédits que les banques et les divers organismes de financement ou prêteurs leur accordaient (voire des aides d'une commune ou d'une entreprise), prêts destinés à acquérir un terrain et d'y bâtir une maisonnée et de l'équiper du confort moderne. Le rêve de tout polynésien étant de posséder une maison individuelle entourée d'un jardin planté d'arbres fruitiers et au besoin, d'un potager (pour la bourgeoisie c'est le modèle “hawaïen” : maison cossue et résidence secondaire, piscine, véhicules dont 4x4 américain, voyages à l’étranger, niveau de consommation élevé). 

Mais aujourd'hui, si certains fare apparaissent au regard comme étant bien entretenus, la réalité est tout autre, décrite par la romancière Monak (Coup de soleil sous les bananiers) : 

« Les gîtes familiaux sont plus que surpeuplés, c’est un fait, mais pour de toutes autres raisons. Le lien du clan, l’irrépressible besoin d’être ensemble, mais aussi la cherté des moindres commodités. Car les fare, à Tahiti, abritent avec les natifs de l’île cousins, frères et parenté qui y viennent immigrer pour le travail. Inutile même de parler de la tradition des fa'a'amu (enfant adoptif). Et chez le voisin d’en face, la maison est plus que pleine.»

Ainsi, la ville et ses bourgades voisines devenaient une métropole moderne, mais aucun plan général d'aménagement ne fut adopté pour maîtriser la croissance urbaine, et la modernisation de l'île, ou même l'implantation des activités voire l'utilisation des sols. En 1960, alors que la France a une longue tradition en matière d'urbanisme, transformer ainsi une grosse bourgade en ville moderne est à considérer comme un cas exceptionnel.

En considérant que chaque grand acteur public - et privé -, dont notamment les armées, les ingénieurs des Ponts-et-chaussées, le Port autonome de Papeete, l'aéroport international, les services sanitaires et hôpitaux, la Justice, l'Education, les secteurs industriels et de l'énergie, etc., nouvellement implanté à Tahiti avait ses propres contraintes et intentions pouvant s'opposer, acteurs également confrontés aux différents conseils municipaux, ravis de la manne financière mais apeurés par les mesures d'envergure d'expropriation, aux prises également avec les spéculateurs et de Polynésie et parisiens, ou bien les investisseurs américains alléchés par ce nouvel Eldorado et les grands propriétaires terriens de l'île. Gérard Ringon :
«  Les propriétaires fonciers qui dominaient la société rurale ont certes perdu une partie de leur pouvoir et de l’influence qu’ils exerçaient dans le cadre de ces communautés rurales, mais actuellement la possession de la terre leur permet de contrôler le développement urbain et d’en tirer avantage. Ils se constituer en petite caste parasite très influente, parfois bien implantée dans les milieux politiques. Ils ne peuvent que se réjouir de l’anarchie dans laquelle s’est faite l’urbanisation, et contre laquelle les pouvoirs publics ont peu lutté. La rupture avec le passé n’est pas consommée, et, qu’ils se transforment en entrepreneurs ou en cadres de l’administration, les anciens propriétaires fonciers exercent encore un pouvoir réel. En 1969, dans le cadre du projet de rénovation des quartiers insalubres, des mesures furent proposées tendant à bloquer la spéculation foncière et assurer aux pouvoirs publics et collectivités locales la maîtrise d’une grande partie des terrains de la zone urbaine non encore aménagés : malgré des déclarations verbales où ils affirmaient qu’il fallait s’occuper sérieusement de la situation des migrants ruraux et en particulier améliorer leur condition d’habitat, certains élus ne cachèrent pas leur appréhension en face d’un programme qui semblait entamer les prérogatives des propriétaires fonciers.»

Gérard Ringon soulignait également cette autre action des notables de Tahiti :
« La municipalité (de Faa'a) avait décidé de participer activement à un programme élaboré au niveau de l'ensemble urbain pour tenter d'améliorer la situation des migrants ruraux ; l'achat de divers terrains destinés à loger les migrants a été envisagé et est passé à un début de réalisation. Mais l'avancement de ce programme risque d'être entravé, sinon à Faaa, au niveau de l'ensemble urbain, par l'action d'un certain nombre de notables influents qui regardaient
avec méfiance des projets qui visaient à enrayer la spéculation foncière en bloquant le prix des terrains et en accordant un droit de préemption aux organismes publics et aux collectivités locales.» 

Aux côtés de ces grands acteurs, soulignons le rôle des simples citoyens de souche polynésienne, petit propriétaire terrien qui de cultivateurs se métamorphosèrent en une sorte de marchands de sommeil en louant leurs terrains non aménagés (sans eau courante, évacuation d'eux usées, électricité, etc.) aux migrants. Eux-mêmes d'ailleurs préféraient prendre un emploi de salarié, mieux rémunéré, et bénéficier, dans certains cas, des allocations familiales. On notait également au fil des années, la nette augmentation du salariat féminin, en même temps que celui du coût de la vie. 

L'extension urbaine a occupé presque complètement les sites facilement constructibles (plaine et remblaiement des zones basses marécageuses, collines aux pentes faibles), et entraîné l'exode ou la disparition des maraîchers et des petits éleveurs jadis à l'interface urbain-rural ; ou bien à leur reconversion, en particulier pour leurs enfants. Les zones de cultures des anciennes bourgades voisines de Papeete, qui assuraient la presque totalité de la production maraîchère, ont ainsi fait l'objet de spéculation et ont en totalité disparues. 

Cela étant, avec l'arrivée de plusieurs milliers de nouveaux habitants à Papeete,  la métamorphose de cultivateurs, et de fils de, en salariés, l'urbanisation, etc., la demande en légumes frais, tomates, salades, concombres, haricots, etc., augmenta considérablement ; et une part de ces produits était importée de Californie vendue à des prix élevés. Pour ses raisons, de judicieux investisseurs - en particulier de souche chinoise -, décidèrent d'acquérir ou de louer à bon prix des domaines cultivables éloignés de Papeete, ou à Moorea, afin de concurrencer les produits importés ; certains firent ainsi fortune considérable. D'autres préférèrent investir dans des terrains plus modestes et difficilement accessibles mais encore vierges des collines environnantes, et ainsi participer au nouveau sport local qu'était la spéculation. 




Secteur Est du Grand Papeete au début des années 1970 où subsistaient des zones de maraîchage, aujourd'hui disparues.


Une conséquence majeure et aujourd'hui encore problématique, l'artificialisation des terres : lors de grosses et longues averses, l'inondation est systématique des quartiers des zones les plus basses (dont l'aéroport) ou bien à proximité des cours d'eau en crue transformés en torrents dévalant les pentes urbanisés des collines. De même, ces cours d'eau, jadis sources d'eau potable, de baignade, etc., sont aujourd'hui impropres à la consommation et à la baignade, en particulier aux embouchures car souillés par la pollution urbaine (et de leptospirose), en sachant que deux communes du Grand Papeete, seulement, dont Papeete sont équipées d'un réseau d'assainissement collectif public, que nombre de stations d'épuration sont vétustes ou en non-conformité, et que les zones d'habitat précaire n'en sont pas équipés... D'ailleurs, les plages du Grand Papeete sont parfois interdites à la baignade, y compris celles des hôtels de luxe...




Aujourd'hui et jadis dans le Grand Papeete...







L'urbanisme des dérogations


Le célèbre urbaniste parisien Robert Auzelle avait proposé en 1950, après plusieurs mois passés à Tahiti, un schéma directeur pour le développement urbain et la modernisation de Papeete et des communes voisines, Faa'a et Pirae, alors champêtres ; il avait établi les divers impératifs selon lesquels il conviendrait de voir se développer la ville avec ses différentes zones : administrative, commerciale, industrielle et résidentielle, de loisirs, etc. Approuvé par le conseil municipal en 1955, ce schéma directeur fut adopté en 1961, mais ne fut jamais mis en pratique sinon dans le respect du zoning de certaines activités industrielles, et de l'emplacement de l'aéroport de Faa'a. Et dès novembre 1961, la collectivité publique ordonna sa révision et l’établissement d’un nouveau plan. En 1961, un architecte, Claude Bach reçu mission d'ordonner le désordre urbain, en vain. En 1965 fut cependant adopté un plan d’urbanisme directeur, pour la seule la commune de Papeete, et une partie de Pirae, mais en pratique parfaitement inopérant, le relevé cadastral étant lacunaire...


De fait, jusqu’en 1966, ce sont les ingénieurs venus de la Métropole au service des Travaux publics et des Mines, en particulier à l’une des sections spécialisées “Architecture et Urbanisme”, qui façonneront l'agglomération, avec comme objectif premier, comme en France Métropolitaine, le bon écoulement du trafic automobile, telle la rocade dite urbaine éventrant Papeete et massacrant le littoral des communes ouest voisines. En 1966 fut créé un service de l’Urbanisme et de l’Habitat dont le rôle se borna à une fonction de police administrative et d'instruction des dossiers de permis de construire, tant il est vrai que les constructions illégales pullulaient, et à une autre consacrée à la définition d'un programme d'habitat social. Ce service guère influent ne consacra pas ses efforts à la définition de plans directeurs d'urbanisme de l'agglomération, des communes ou des quartiers, sinon pour ces derniers, en pratique opérationnelle, c'est-à-dire, après la définition d'un programme par un service tiers, ou un organisme logeur, une collectivité, un promoteur, etc. Ce service est supprimé en 1973, remplacé par le service de l’Aménagement et de l’Urbanisme, bien plus doté en effectif pour s'occuper, enfin, d'urbanisme, et, déjà, de la protection de l’environnement en regroupant au sein d’une seule et unique institution territoriale des compétences alors éclatées.

Malgré les efforts de ce nouveau service, les autorités décidèrent en 1973-74 sans ambiguïté de faciliter les procédures de dérogation aux règles et rares plans d'urbanisme. La collectivité a ainsi officialisé la dérogation, convaincue qu’elle contribuerait au déblocage d’un grand nombre de projets intéressants. Sans doute, parce que les grands chantiers d'Etat étaient clos, ou se terminaient et que le temps était à présent venu de faciliter l'arrivée de nouveaux investisseurs.

Jacques Champaud, observateur attentif expliquait : 
« L'urbanisme de dérogation a ainsi parachever l'anarchie urbaine et architecturale des premiers temps : à Papeete, doté d'un plan d'urbanisme, on estime que 90 % des immeubles de rapport ont nécessité l’octroi de dérogation. Mieux même quelques architectes bien connus de la place, connaissant parfaitement les rouages de détail, sont devenus des spécialistes de la dérogation et y ont orienté l’ensemble de leur activité, À cause de l’ambiguïté des règles qui s’appliquent à chaque parcelle, une seule interprétation n’est pas possible. Les constructeurs tournent ainsi les textes et les dérogations qu’ils réclament n’ont aucune commune mesure avec les adaptations mineures dues à la nature du sol ou à la configuration des parcelles. Le champ des dérogations concerne en particulier la hauteur (+ de 11 mètres) la contiguïté, la densité et depuis quelques années le stationnement.(...) Dans les premières années, le choix retenu a été une ville horizontale peu dense et peu haute. Il a parfaitement fonctionné jusqu’à une époque, celle-là justement, où la généralisation de la dérogation a quelque peu provoqué l’élévation de la ville en hauteur. Les bâtiments de quatre, cinq, six étages prolifèrent, au centre-ville surtout.  Le second enseignement tient à son exceptionnelle validité. Dix-huit ans après son adoption, il sert toujours de repère à tous les travaux immobiliers. L’administration a certes réajusté certaines dispositions. En 1974, elle a officialisé la naissance de la dérogation. En 1978, elle a diminué la dimension des parcelles constructibles et augmenté sur une parcelle, les surfaces constructibles. Le troisième enseignement est lié à son unicité en zone urbaine. Depuis 1965, l’espace urbain a grandi en hommes et en étendue. Seules deux communes, soit le quart de la superficie de l’espace urbain, disposent d’un plan. En dehors, de son champ d’application, les autres opérations immobilières obéissent simplement aux contraintes et servitudes qu’impose le code.»


AVENIRS ?


Aujourd'hui Tahiti, le Grand Papeete sont dotés de sérieux règlements concernant ses aménagements, élaborés par de nombreux services édictant des documents, citons : le Code de l’aménagement de la Polynésie française réglant l’utilisation de l’espace du pays, le Schéma d’Aménagement Général de la Polynésie (SAGE), le Plan Général d’Aménagement (PGA), le Plan de Gestion de l’Espace Maritime (PGEM), le Plan de Prévention de Risque Naturel Prévisible (PPR), etc. ; et le laxisme des temps passés n'est pas tout à fait révolu mais en voie de l'être, subsistent clientélisme et dérogations à gogo, manquent également des règles plus contraignantes pour ce qui concerne l'architecture urbaine. [8]


Après une multitude de programmes d'aménagements urbains des plus ambitieux n'ayant pas abouti, le plus récent (2019) est celui de la rénovation urbaine du Grand Papeete, un plan d'investissements pluri-annuel de plusieurs milliards de francs - pacifique - initié en 2020 et destiné à réparer ou améliorer les quartiers du Grand Papeete, en partenariat avec l’État, le Pays, les communes et les acteurs du privé. Un énième  projet, qui selon  un communiqué de presse de la Présidence 
« Cet objectif de recomposition urbaine est une démarche inédite en Polynésie française. Il s’agit de restructurer des secteurs entiers marqués par des dysfonctionnements urbains (assainissements, accès, dégradation du bâti en général, présence d’habitat indigne), de répondre à des situations de précarité ainsi qu'à des difficultés économique et sociale des familles.»


Ce plan programme, et d'autres de moindre envergure, est pour certains politiciens et experts de la chose, complètement erroné faisant injure à l'histoire ;
 une bonne mauvaise idée : réparer les erreurs du passé en matière de logement social, est une évidence, mais en bâtir de nouveaux serait une erreur. Car se faisant, la capitale continuera d'attirer en grand nombre de jeunes adultes des archipels, eux, laissés pour compte, et de fait, d'alimenter à Papeete le déficit de logements, l'augmentation de la population non active et pauvre et, liées, la délinquance. D'autre part, l’évolution des comportements démographiques suggère à l’Institut de la Statistique de Polynésie Française d’envisager un fort accroissement de la population. La croissance démographique, associée à la réduction de la taille moyenne des ménages, génère des besoins de logements croissants. L’ISPF évalue ainsi le besoin en nombre de logements à 1800 par an sur la période 2007 – 2027, soit un besoin global de l’ordre de 36.000 logements. Il y a là, observent les réticents à ce programme, danger et un véritable enjeu pour une politique d’aménagement du territoire qui doit se préoccuper des déséquilibres marquant l’ensemble du Pays, menée en concertation avec les collectivités locales toujours en attente d’une véritable décentralisation politique et administrative et économique. 

Ce qui n'est certes pas nouveau. En effet, dès le début des années 1970, les plus hautes autorités décidèrent d'entreprendre un programme destiné à une “revitalisation des archipels”, objectif devenu impératif pour un certain nombre de raisons politiques et économiques bien connues : la nécessité de désenclaver les archipels et de leur apporter des aides tant sur le plan économique que sur le plan social afin de ralentir l’exode rural et de favoriser le retour des émigrants de Papeete vers leurs îles natales. Parmi les mesures de ce programme figurait le Fonds d’aide à l’habitat dispersé. L’objectif principal était d’améliorer le niveau général de l’habitat des îles lointaines largement délaissées jusqu’à présent. Selon les termes d’un rapport réalisé à cette époque pour l’Assemblée territoriale : 
« La politique -générale de l’Office territorial de l’habitat social, mériterait d’être complètement repensée dans le cadre précédemment évoqué d’un meilleur rééquilibrage au bénéfice des archipels. Il serait souhaitable d’abandonner la réalisation de lotissements importants à Tahiti et plus particulièrement en zone urbaine, et de concentrer 1’effort sur l'habitat dispersé ou en faible densité en zone rurale et dans les archipels... »

Mais force est de constater que ces programmes ambitieux n'aboutirent à aucun résultat probant, au mieux ont-ils contrarié l'exode, Tahiti demeurant l'espoir des jeunes polynésiens - les universités et les grandes écoles y étant implantés. Le principal mérite a été d'avoir doté les archipels d'au moins un aéroport les reliant à Tahiti.  Ainsi, Lucien Kimitete, maire de Nuku Hiva aux Marquises déclarait en 2002 : 
« Il ne faut jamais oublier que les Marquises sont un butin de guerre pour la France qui les a, par commodité, intégrées à la Polynésie. Si nous avons été colonisés autrefois par la France, aujourd’hui le colonisateur c’est Tahiti. »
Lucien Kimitete, 1952-2002, Tahiti-Pacifique, août 2002.

 

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De la répartition des richesses, problème fondamental selon Julien Gué :

« Le problème en Polynésie, ce n'est pas un problème de richesse, ce n'est pas un problème de ressources ; le problème c'est celui de la répartition des richesses : tant qu'on permettra à des gens richissimes de ne pas payer l'impôt (sur le revenu) et qu'on fera payer aux autres moins fortunés à travers la TVA, la même pour tout le monde...»


Près de 1 million d'Euros pour un séjour d'une semaine...


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Encore faut-il que les mentalités changent en Polynésie pour pouvoir espérer, comme évoqué, la fin du "système" Flosse - ou flossisme -, ayant régné, sans partage, plusieurs décennies. Selon Julien Gué :

« Car ceux qui gouvernent aujourd'hui font partie de cette première et deuxième génération d'après Flosse, ils sont issus et ils ont encore les modes de pensée du flossisme et les modes de fonctionnement qui sont liées au clientélisme, à la corruption, aux emplois fictifs, etc., etc. Il y a encore des anciens ministres sous Gaston Flosse qui exercent encore, et les affaires continuent ; et tant qu'on n'aura pas évacué ça, on ne pourra pas espérer de grands changements structurels, on ne pourra pas aborder les problèmes de manière saine et intelligente. D'autant plus que nous sommes dans une période où les ressources économiques du Pays diminuent.  Alors je place mes espoirs sur cette nouvelle troisième génération qui peut-être, aura la volonté de changer radicalement le Pays.»

 

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Nos hôtes polynésiens insistaient sur le fait que la future élite de souche polynésienne (a été), est et sera [9] comme jadis issue de la haute bourgeoisie du Pays, dont les moyens financiers leur permettent d'offrir à leurs enfants les universités hors du Pays, aux USA, en Australie, au Québec, pays plus proches de la Polynésie, et en France, appelés aux plus hautes fonctions de l'administration, de l'Assemblée territoriale, ou politique, à diriger les grandes entreprises du Pays, etc. De fait, en Polynésie française, la formation des cadres, de l'élite s'effectue uniquement au sein des classes sociales aisées ; les élèves des archipels éloignés de Tahiti, y compris les plus méritants, nés de parents aux revenus modestes, n'ont aucune opportunité, sinon de maigres bourses du gouvernement, pour suivre des études supérieures à Tahiti, et moins encore à l'étranger (à Papeete, par exemple, il est nécessaire pour parvenir à obtenir une chambre dans une résidence d'étudiants, de s'assurer la bienveillance d'un cadre universitaire ou d'un élu). 


Une élite bien décidée à conserver jalousement leurs privilèges pour les léguer à leurs propres enfants ; ceci n'est certes pas un leg du seul colonialisme, mais de la société polynésienne d'avant, composée de castes. Cette catégorie sociale, autrefois maîtresse du destin polynésien, est entrée en fronde au moment de la modernisation de Papeete, qui dérangeait ses habitudes et son commerce, et mettait en danger sa suprématie économique et sociale : accroissement rapide des emplois, des salaires et du pouvoir d'achat, du niveau d'étude de la population, multiplication des emplois du secteur tertiaire, fin du commerce de traite fondé sur le coprah et la vanille et donc fin des moyens traditionnels de domination économique et sociale aux dépens d'un paysannat majoritaire, l'élément rural censé être condamné à rester au niveau de subsistance.  Selon  
Alex W. du Prel :

« Les 50 années de 1965 à aujourd’hui, ont été le théâtre de plus grands bouleversements encore : une immigration massive d’Européens attirés par l’argent de la bombe et la volonté de l’Etat d’imposer à la lettre le compliqué système bureaucratique français, ce qui a surtout réussi à scinder la population en deux groupes, l’un étant une caste néocoloniale d’assimilés jouissant d’une aisance matérielle inégalée dans d’autres îles du Pacifique Sud, financée par la France et sans relation aucune avec les ressources réelles des îles ; l’autre étant une sorte de nouveau sous-prolétariat vivant dans une précarité permanente et un dénigrement constant. (...)  Les autochtones sont certes plus instruits et pour certains d’entre eux plus riches que dans l’ancienne Tahiti, mais avec un "mal de vivre" que tant d’observateurs continuent de remarquer. Comme l’écrit Christian Huetz de Lemps, tel est le "sanglot de l’homme blanc" en Polynésie : la civilisation n’apporte pas le bonheur.» 
Tahiti Pacifique , juin-juillet 2015.




Campagne de sensibilisation ; association Citoyens pour le climat (Tahiti), 2019.


SAUVER TAHITI DES EAUX ?



Tous les experts s'accordent pour affirmer qu'une montée des eaux de l'océan Pacifique est inéluctable, mais les avis divergent quant à la hauteur de la catastrophe (qui augmente d'années en années) : entre 1 à 2 mètres en 2100, selon les archipels. En outre, dans un futur proche, ils alertent sur la hausse des températures de l'air et de mer, et des risques induits de tempêtes et de cyclones plus fréquents et plus dévastateurs, qui devraient rendre quasi impossible la vie sur la majorité des atolls. Interrogeons un Polynésien, originaire de l'atoll de Fakarava, retraité de l'administration du Pays ayant occupé de hautes fonctions, qui nous a accordé un entretien amical et informel :


« Nous, les Polynésiens, et les peuples insulaires du Pacifique, n'espérons qu'une chose : qu'un sursaut international des terriens agissent en commun, partout et tout de suite, afin d'éloigner cette catastrophe devant engloutir leurs, nos terres. Or, ici, en Polynésie, ce sursaut n'est même pas en marche, ou si peu...

Ne soyons pas fataliste, mais réaliste ! Si nous prenons le scénario le plus optimiste, soit une montée des eaux de 65 centimètres d'ici une centaine d'années (le niveau a déjà augmenté d'une vingtaine de centimètres ici depuis 1950 !), demain en termes d'urbanisme et d'aménagement du territoire, la situation à Tahiti serait, et encore faut-il imaginer comment et sur quelles zones la ville se développera d'ici là, à la limite maîtrisable : une partie de Papeete aurait les pieds dans l'eau, de même que l'aéroport (l'on songe déjà à sa possible relocalisation ou surélévation...) et les installations portuaires, etc., Mais à ces difficultés de gérer et contrarier cette montée, s'ajoutent celles des fortes intempéries et la prévention des risques de submersion des côtes lors des épisodes cycloniques : à moins de construire une muraille de béton faisant office de brise lames protégeant les zones urbanisées comme les murs anti tsunami et les digues au Japon par exemple.... Tout le danger, est la combinaison des deux phénomènes.

Dans le cas le plus pessimiste, plus d'un mètre en 2100 submergeant une large part des plaines côtières, je pense que la vie telle que nous la connaissons à Tahiti, sera du lointain passé, et que ses habitants n'auront d'autres choix de s'exiler, ou bien de vivre à la manière de nos ancêtres ; car à peu près tout serait à rebâtir, et en particulier, les infrastructures techniques nécessaires, vitales, à une grande ville comme Papeete, ainsi que l'ensemble des édifices de l'administration et du gouvernement, aujourd'hui au niveau des plaines inondables. Ce qui n'exclut pas de la rebâtir sur les hauteurs, mais à quel prix ? 



Les collines et montagnes de Tahiti, l'arche de Noé


Dès lors, il est de notre responsabilité, envers nos prochaines générations si ce n'est pour la notre, de penser et d'agir en fonction des effets attendus et conséquences probables de la catastrophe. Nous en sommes loin ; les administrations concernées évoquent encore un "risque" ou un "danger" et, dans l'expectative des politiciens, perpétuent des lois du type "préventif" incompatibles avec la catastrophe qui vient. Le plus simple, le plus logique serait d'interdire toute nouvelle construction en zones à risque dès aujourd'hui, en plaine ; interdisons-le en particulier pour les équipements publics et techniques, etc., dont un certain nombre fleurissent encore en bord de mer, ou non éloignés du rivage. D'ailleurs, des études scientifiques ont mis en évidence qu'une bande côtière non urbanisée et végétalisée, non perturbée par l’homme a comme effet protecteur d’amortir les assauts des vagues et du vent lors des tempêtes.

Depuis longtemps, les politiciens polynésiens et français savent pertinemment que sauver Tahiti des eaux impliquera des sommes colossales pour un Pays qui jusqu'à présent, depuis toujours, est sous perfusion économique ; cela étant, les militaires y tiennent à ce confetti ! L'horizon qui se dégage, dans un premier temps, est d'envisager le déplacement des "premiers" réfugiés climatiques des atolls vers les îles hautes de la Polynésie, une sorte d'arche de Noé ; l'on envisage sérieusement même, mais rien de concret ne voit le jour. L'avenir plus lointain et dangereux, l'engloutissement par les eaux, est placé sous le signe de la fatalité, surtout de l'impuissance, et du "après moi, le déluge", et donc, de l'inaction ; d'autant plus qu'à Tahiti, la montée des eaux, et les terribles cyclones annoncés ne sont pas ressentis et vécus par la population, d'où un sentiment de méfiance, ou d'attentisme quant aux prévisions pessimiste et alarmiste des scientifiques.



Conséquence de la montée des eaux du Pacifique ici sur l'atoll de Tikehau.

Mais soyons optimiste, même si l'avenir de nos atolls semble bien compromis - je songe à Fakarava, où je suis né ; le temps joue encore en notre faveur pour nous préparer, ici, à Tahiti, à ces catastrophes, et nous adapter à un nouvel environnement : le propre de l'Humanité, et de nos ancêtres jadis nomades, défiant les flots pour trouver des terres propices à leur installation. C'est l'occasion de songer à éviter les graves erreurs d'un passé proche, où à Tahiti l'urbanisation à outrance a détruit maintes choses de la vie polynésienne d'avant, et de réfléchir à un futur plus soucieux des gens, et des plus humbles, de notre patrimoine naturel exceptionnel, de notre culture ; la civilisation moderne nous a apporté beaucoup, imaginons un futur unissant ces deux civilisations, sans antagonismes. Cette catastrophe ne peut que générer cette solidarité, cette fraternité même entre Tous les Polynésiens quelque soient leurs races et fortunes ; qui fait défaut aujourd'hui comme naguère... 
»





Un arbre majestueux à Papeete, dans un quartier où résident des polynésiens en majorité peu fortunés.


La beauté de Papeete


A Papeete, dans ce chaos urbain et architectural, laideurs atténuées par l'omniprésence et la magnificence des arbres, la végétation luxuriante, elle-même sauvage, et au loin, par les massifs montagneux vierges, ce sont ces habitants qui lui offrent toute sa beauté ; un melting-pot ethnique et social composé de rustres et de délinquants jeunes, pour certains vouant une haine profonde et non dissimulée aux popaa farani, vous interdisant par leurs comportement et attitude agressives votre promenade sur leurs territoires ; de mendiants plus pacifiques quémandant une cigarette ou quelques francs, et composé surtout de Tahitiens indifférents à votre égard ; potentiel proie si l'étranger présente des signes de richesse extérieure pour les uns délinquants, ou objet de dédain pour les plus aisés, en particulier popaa, si l'étranger ne satisfait pas les protocoles de richesse, anonyme pour les autres. Ici, la légendaire ou mythique gentillesse et hospitalité des Polynésiens, leur bienveillance, ne sont pas de mise à Tahiti ; mais elles s'acquièrent au fil du temps, si l'étranger est disposé à les entendre et les aimer, partager ce qu'il a. 

Papeete est belle grâce à ce melting-pot, une ville populaire dont on sait qu'elle le restera à jamais, grâce, justement, à sa laideur ; en cela, plutôt qu'une belle cité bourgeoise de bord de mer, préférons-nous les chaos de Papeete ; et son atmosphère qui n'est pas sans nous rappeler celle elle aussi jadis populeuse du centre de Marseille, avant son hideux embourgeoisement.





NOTES



[1]  La population ayant la nationalité française résidant en Polynésie se décompose ainsi :
  • Polynésiens ou Maohis, aujourd'hui une minorité, estimée à 5% de la population,
  • Français ou Popaa farani,
  • Métis ou Demis, majoritaires,
  • Chinois. 
ce à quoi nous rajoutons :
  • Les expatriés résidant un temps dans le cadre d'un emploi, dont en particulier les fonctionnaires venus de métropole (gendarmes, professeurs, etc., généralement pour un contrat de 2 ans renouvelables),
  • Les touristes, Nord-américains, majoritaires.

[2] " Une politique clientéliste va se mettre en place, comme il ne s'en est jamais vu sous la Ve République. " Flosse ne l'a pas inventée, nuance Jean Prunet. Au contraire, son rêve aurait été que l'on votât gratuitement pour lui. " Gaston Flosse connaît le peuple polynésien, ses besoins, ses contradictions. Il sait, comme le pointe l'universitaire Jean-Marc Regnault, que " les Polynésiens ne voient dans la politique que la redistribution ". Alors il redistribue, à tour de bras. Les gens se pressent dans son antichambre."

In Le monde :
Polynésie : la fin du système Flosse
Pendant plus de vingt ans, Gaston Flosse a régné en maître absolu sur la Polynésie française, fort de la protection de Jacques Chirac. Aujourd'hui, le "parrain" de Papeete, rattrapé par la justice.
Par Gérard Davet
Publié le 09 février 2010


[3] Julien Gué, rencontré à Tahiti, où il y vit depuis 20 ans a publié cet ouvrage : 



[4] Le Grand Papeete comprend plusieurs communes, outre Papeete, son centre-ville, l'agglomération regroupe trois autres communes sur la côte est (Pirae, Arue, Mahina) et trois sur la côte ouest (Faaa, Punaauia, Paea).






[5] L'urbanisme colonial expliqué au mieux par ses défenseurs et protagonistes :

Introduction de M. du Vivier de Streel, ancien Directeur des Congrès de l'Exposition Coloniale.
In :
L’urbanisme aux colonies et dans les pays tropicaux
Jean Royer
1932

Je viens d'indiquer qu'il était souhaitable que le nombre des Européens dans les pays coloniaux allât toujours croissant. C'est, en effet, cet accroissement qui, seul, permettra de tenir tête aux tendances nationalistes des populations indigènes qu'une propagande bolcheviste ou autre s'efforce de surexciter et de développer. Tout l'effort des urbanistes doit donc tendre à favoriser l'immigration européenne dans les colonies et a procurer, a cet effet, le maximum d'avantages aux citadins de race blanche dans les cités qu'ils organisent. Il faut, pour leur plaire, créer des quartiers bien aérés, ornés de tous les attraits que la nature ou l'art mettent a la disposition des architectes el des administrateurs : jardins publics et privés, ombrages dans les avenues, portiques dans les rues, protection contre les insectes. réfrigération des locaux, tout doit concourir a assurer le bien-être européen et a attirer les immigrants.

Séparation des quartiers européens et indigènes : limitation du nombre des villes ; prévision de vastes cités dont le développement sera rapide : choix opportun de leur emplacement ; création immédiate du confort dans les villes (bains, jardins, larges avenues) : mesures propres a attirer les Européens en plus grand nombre : réfrigération des locaux : tels sont, me semble-t-il, les problèmes principaux sur lesquels un vieux colonial peut appeler, d'une façon particulière, l'attention des Urbanistes... I1 est certainement bien d'autres sujets qui méritent leur sollicitude. Ils les examineront, les discuteront et aboutiront sans nul doute a des solutions nouvelles et ingénieuses, s'ils mettent en commun leurs connaissances, comme ils l'ont fait, trop brièvement, au cours du Congres de d'Urbanisme Colonial.


[6] Préface de Julien Gué :

« Et sans égard aucun pour les couleurs glacées vendues par les agences de voyage et le ministère du tourisme polynésien, Monak nous entraîne sans ménagement au verso du prospectus. Des bureaux mal ventilés du centre ville aux fare pinex des vallées ignorées des touristes, elle nous fait plonger dans le quotidien moite et pudique d’une population qui oscille, en mode survie, entre la bière locale, les sermons des églises et l’hypocrisie mercantile des politiques. Et la misère. La misère matérielle bien sûr : celle que l’on doit au clientélisme et à la corruption nés du nucléaire. Mais aussi cette misère morale née de la colonisation, de l’évangélisation surtout, qui a fleuri sur le fumier des interdits, des tapu, et de la mémoire effacée.»

 




[7] Cinquante années après les déclarations du député Pouvanaa, Oscar Temaru, le leader des indépendantistes déclarait en 2003 :
« Le renouveau culturel polynésien, c’est du folklore. Ce n’est pas vécu. C’est fait pour les touristes et les commerçants. Il fut un temps où on dansait pour nous, on ramait pour nous, on fabriquait des boissons alcoolisées pour nous. Quand on faisait de la pirogue, avant, tout le monde descendait des districts, il n’y avait plus un chat au district (…) Aujourd’hui il y a un soutien logistique énorme, des sponsors, etc., c’est de la politique. (…) Qu’est-ce que ça veut dire ‘renouveau culturel’ ? Que notre culture est morte, qu’il faut la ressusciter ? Non elle est encore en vie mais on l’étouffe. »

[8] Des promoteurs présentent désormais des projets d'immeubles de grande hauteur implantés à Papeete, cette fois-ci sans passer par les règles de la dérogation : le code de l’aménagement de la Polynésie française a été modifié en avril 2019 pour permettre leur construction. Promoteurs et architectes évoquent les bienfaits écologiques de l'architecture verticale dont celui de contrer l'étalement urbain, une réponse à la croissance urbaine de l'agglomération : projets d'architecture hideux qui sur le plan urbain posent les questions de leur accessibilité en automobiles, dans un centre ville engorgé aux heures de pointe, de leurs ombres portées, de leur intégration au grand paysage, etc.

[9] Au recensement de 1972, près de 86% des recensés polynésiens de nationalité française ont au mieux le certificat d'études primaires, 71% ne déclarent aucun diplôme, et seulement 3% atteignent ou dépassent le niveau du baccalauréat. Il montre nettement les écarts importants existant entre les différentes ethnies. 

Nationalité française tous diplômes confondus : 
— Polynésiens diplômés 17%
— Chinois diplômés 50% 
— Demis diplômés 54% 
— Européens diplômés 83% 






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