USA 1960's | Urbanisme Underground | Architectures Alternatives






« Nous sommes à l'aube d'une révolution qui sera différente de celles du passé parce qu'elle sera faite par la culture et par l'individu ; elle ne changera la structure politique qu'en dernier ressort. Elle n'aura pas besoin de la violence pour réussir et on ne pourra pas, avec succès, lui résister par la violence. »


Charles Reich, professeur de Droit à l'université de Yale.
(The Greening of America, 1970).





Les conquêtes simultanées de nouveaux territoires jamais explorés, pour la seule année 1969, effectuées par les ou aux États-Unis, stupéfièrent son peuple et le monde entier ; sans doute, la plus spectaculaire aura été la conquête spatiale concrétisée le 21 juillet avec les premiers pas d’humains sur la Lune ; peu après, le 15 août débutait le festival de Woodstock ayant réuni 500.000 spectateurs-acteurs, un évènement inédit, et un des espaces symboliques – et aussitôt mythiques - de représentation de force de la contre-culture rebelle, où à peu près toutes les valeurs de l’Amérique bien pensante conservatrice étaient bafouées publiquement : Sex, Drugs and Rock’n Roll servaient la propagande anti-militaire et anti-raciste ; un autre espace s’ouvre également à l’Humanité, immatériel et plus confidentiel mais à la portée tout aussi exceptionnelle : le réseau informatique avec la naissance le 29 octobre, d’Arpanet (Advanced Research Projects Agency Network), ancêtre d’internet et des communautés virtuelles.

Ces trois événements – Apollo (technique), Arpanet (communication), Woodstock (contre-culture)[1] – symbolisent la fin d’une longue époque emprunte de passéisme, et marquent la transition avec un Nouveau monde entièrement tourné vers un futur encore incertain, interrogeant les avenirs possibles, souhaitables de l’Humanité, et donc, naturellement, leurs caractères utopiques, futurs radieux ou irradiés, consacrés en particulier par les architectes visionnaires ou sceptiques des avant-gardes, inspirés par à la fois les nouvelles technologies et les aspirations du monde contre-culturel et de sa propre utopie, concrétisées bien avant l’année 1969, et elles-aussi, ayant interrogées ou scandalisées les Américains ; 1969, première année également de la présidence de Nixon, bien décidé à éradiquer la moindre contestation .[2]


Naissance


Les laboratoires d’utopie désignent les communautés nouvelles liées au mouvement contre-culturel, ou plutôt à la nébuleuse contre-culturelle, qui apparaissent en nombre aux États-Unis dans les années 1960 ; le monde anglo-saxon les désigne comme étant des communautés utopiques intentionnelles ou des utopies pratiquées, vécues ou existentielles.

Leur dessein premier a forgé l’une des plus belles utopies de l’histoire moderne de l’Humanité : l’abolition de l’argent, la fin du règne monétaire, le plus parfait opposé du modèle dont rêve l’Amérique du Self-made Man. Rebelles, ils et elles s’en prennent à la source même du capitalisme, qu’aucun parti politique fût-il révolutionnaire n’envisageait, la ‘‘Death of Money’’ que l’on célébrait, à San Francisco comme à New York, en paradant dans les rues et les parcs. Cette vision utopique de la plus haute moralité, plutôt que politique, s’est exprimée concrètement par des manières de vivre pauvrement et des pratiques alternatives qu’étaient l’entraide, la solidarité, le partage, la gratuité des biens et des services, le troc, la mendicité, le vol, le squat, le maraîchage, la récupération des déchets des poubelles de l’Amérique, et dans sa forme la plus élaborée, les énergies renouvelables. L’abolition de la monnaie et sa substitution par d’autres pratiques, le fait de vivre pauvrement en terre d’abondance, sont le socle commun à de nombreux courants de la nébuleuse contre-culture, des utopiens regroupés en communautés qui prétendent vouloir expérimenter un nouveau mode de vie, de rompre avec les traditions, ou au contraire de les ré-interpréter, pour inventer, organiser la vie en commun sur des bases inédites et s’émanciper. Et cela conditionnait autant la manière d’être, que le domaine des Arts ou de l’architecture.


Photographie : Nacia Jan Brown, album "Telegraph Avenue, Berkeley, 1969 - 1973."

Cependant, ces communautés intentionnelles participaient, à leur manière et à contre rebours, à un plus vaste mouvement politique, moral, religieux et contestataire qui s’exprimait aux États-Unis ayant comme vocation ultime la fin de la pauvreté, mobilisant en premier lieu, outre les grands philanthropes du pays, les organisations afro-américaines, puis les jeunes militants de la New Left engagés au sein des ghettos, inspirés par les grands penseurs de l’époque, et enfin, par le gouvernement fédéral conduit par le président Johnson, qui déclarait officiellement en 1964, la ‘‘War on Poverty’’ lui consacrant des lois sociales spécifiques et des milliards de $.

L’utopie ne signifie pas au sein de la mouvance contre-culturelle un autre lieu imaginaire mais exprime davantage une autre façon de penser puis de faire, de l’expérimenter, non pas in vitro, à l’écart, mais en se confrontant au réel. Calvin Welch, une habitante hip du quartier de Haight Ashbury, à San Francisco exprimait au mieux cet état :
« Il y a deux ans, Haight Street était un état d'esprit et non un lieu. » [3]

Un avenir radieux devant concrétiser : l'autonomie de la personne mais assujetti à la formation de communautés plus aptes pour l’avènement de la démocratie participative et la pratique généralisée de l'entraide, du don, de la gratuité ; la répudiation du monde de la sur-consommation et du factice des carrières qu'il offre, et à la place du labeur comme devoir ou servitude, l’activité choisie et non imposée comme sens et épanouissement ; le droit de tous à tous les moyens d'existence dignes ; l'appel à l'amour, à la sensualité, à l'expression corporelle sans entraves et celle spontanée des sentiments ; la désaliénation des relations entre les individus, les sexes, les races ; le progrès technique au service de l’humanité, et non des militaires et la pacification du monde ; un nouveau respect pour la vie et pour la préservation de la nature ; la revendication de la jouissance et du droit au bonheur ; c'est-à-dire, en fait, tout ce qui touche à la plus profonde intimité de l’Homme, à sa personnalité, coagulée avec d’autres, contre le capitalisme accusé de la dégénérescence morale et de la destruction de son environnement.

Des aspirations approchées depuis longtemps par les courants anarchistes, et dans une moindre mesure, par les socialistes révolutionnaires, à Moscou comme à Cuba ou Pékin, considérant qu’il fallait bâtir l’ “Homme nouveau” pour fonder le socialisme, soit désaliéner les individus des valeurs forgées par la société capitaliste, et extirper de leurs consciences l’héritage de siècles de domination et d’exploitation normalisées. Mais haïssent-ils autant le capitalisme made in Amerikkka que les régimes liberticides communistes et préfèrent-ils se réclamer de la célèbre phrase du préambule de la Déclaration d’indépendance (4 juillet 1776) :
« Nous tenons ces vérités pour évidentes en elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux, qu’ils sont dotés par leur créateur de certains droits inaliénables, et que parmi ceux-ci figurent le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la recherche du bonheur. »

Henri David Thoreau (1817-1862) aura été une source d’inspirations, partisan de l’engagement existentiel et de l’action concrète, son plaidoyer en faveur de “La Désobéissance civile” (1848) a été l’une de leurs bibles, où est écrit :
« Je crois que nous devons être homme d’abord et sujet ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m’incombe est de faire à tout heure ce que je crois être bien.»

Apogée

Et ces temps nouveaux se caractérisent par un phénomène de masse, car si jadis les communautés à vocation spirituelle ou socialiste concernaient un nombre très limité d’adeptes, celles rebelles des années 1960 connaîtront un véritable raz-de-marée humain, en majorité, de jeunes Américain-e-s issus du Baby-boom [4]. Dès lors que le nombre de réfractaires - apolitiques et pacifiques - à l’American Way of Life augmentait, et distillait insidieusement au sein de la société nombre d’interrogations, dès lors il ne s’agissait plus de, comme jadis, vivre en marge de la société au sein de communautés plus ou moins closes, mais au contraire, ensemble, la révolutionner pour les plus optimistes, la transformer pour les moins radicaux, rien de moins ; et ce, sans attendre, de manière spontanée, et sans aucune théorie, ou modèle à suivre prédominant les guidant : en cela, les nouvelles communautés rebelles ont bien été des laboratoires.

La masse humaine issue du baby boom a été ainsi l’un des détonateurs, et à cette autre masse lui étant et largement supérieure et hostile qui considérait ces rebelles utopistes comme étant des gentils “naïfs”, John Lennon - des Beatles, héros de la contre-culture - chantonnait cette hymne utopique et pacifique :
« You may say I’m a dreamer, but I’m not the only one. » (Imagine, 1971).

Et Jim Morrisson des Doors de laisser entendre sur Five To One (1968) : C’est ‘‘nous’’, la jeunesse, contre ‘‘eux’’, les forces réactionnaires :
« The old get old | And the young get stronger | May take a week | And it may take longer | They got the guns | But we got the numbers. » [5]

Et l’on opposait avec optimisme à leurs critiques, le nombre incroyable de personnes présentes lors des festivals, 500.000 à Woodstock en 1969, jamais dans l’histoire des USA, l’on avait compté autant de monde au même endroit pour un événement culturel ; et au-delà, l’on s’enthousiasmait de l’avènement international de la contre-culture, et de l’esprit contestataire dans d’autres pays du monde, dont en Europe, et en particulier aux Pays-Bas, précurseurs également avec le mouvement anarcho-écolo Provo, qui inspira les provos, diggers et yippies des USA, principaux propagateurs de la contre-culture ayant vocation sociale ou/et politique.

L’impact de la contre-culture à son apogée auprès de la population américaine est bien entendu impossible à quantifier et à qualifier, sait-on seulement que les plastic hippies ont été les plus nombreux ; mais la marchandisation et la commercialisation du mouvement contre-culturel que l’on dénonce, auront finalement, selon Ken Knabb, comme conséquences : ‘‘des millions de gens procédaient à des changements radicaux dans leur vie, se livrant à des expérimentations audacieuses et scandaleuses qu’ils n’auraient guère songé à faire quelques années auparavant.’’ (Confessions d’un ennemi débonnaire de l’État, 1997). Il n’était pas rare d’entendre dire que les rebelles faisaient publiquement ce que nombre d’Américains faisaient en catimini, pour ce qui concernent la sexualité et les stupéfiants.

Le mouvement contre-culturel, plus tardif, aura été inspiré par le mouvement politique des organisations de la New Left, et celles des minorités dont afro-américaines, et surtout, la bohème beatnik - elle-même solidaire de ces dernières - et le mouvement psychédélique, qui concernaient un nombre infime d’adeptes, mais qui ne cessera d’enfler, en particulier auprès des artistes, stars du rock y compris. Souterrain et insignifiant au milieu des années 1960, le mouvement contre-culturel, largement dépassé en nombre et en notoriété, et en activisme par les militants politiques, deviendra progressivement un contre-modèle d’alternatives pour les “politicos”, qui engendra selon Todd Gitlin, un président du Students for a Democratic Society (SDS), principal réservoir de militants de la New Left, “une nouvelle créature évoluant dans une nouvelle culture politique” ; créature volontairement pauvre, chevelue, anarchiste (sans le savoir ou le vouloir), activiste, anti-intellectuelle mais créative, voulant tout changer et refusant avec intransigeance les solutions réformistes, et la temporisation. L’anarchiste écolo Murray Bookchin analysait ainsi cette influence mutuelle :
« Le mouvement de la contre-culture a donc redéfini concrètement et de façon authentiquement révolutionnaire le mot devenu si inoffensif de ‘révolution’ ; il l'a redéfini comme une pratique qui subvertit toutes les abstractions et les théories douteuses. » (Spontanéité et organisation, 1972, revue Anarchos, n° 4).

Mitchell Goodman, écrivain californien, auteur d’un volumineux recueil de textes empruntés à la presse underground, compilés dans The Movement Toward a New America (1970), le définissait comme un “processus, une lutte multi-directionnelle pour redécouvrir l’Amérique pour retrouver ses racines” et qui cherche en permanence à briser les catégories superficielles érigées par le politique :
« Nous trouvons que le sexe est politique, que la politique est culturelle, que la culture a à voir avec la terre, la politique et le sexe. »

Mais la contre-culture américaine des années 1960 n’a rien inventé de nouveau qui n’ait déjà été expérimenté par bien d’autres ‑ismes bien avant ; la tâche de la contre-culture a été moins de créer ce qui n'existait pas auparavant, que de concrétiser ou exacerber ce qui, déjà, leur paraissait juste : le communautarisme, l’anti-racisme, le pacifisme, le romantisme, l’anti-impérialisme et le Tiers-mondisme, le localisme et l’individualisme, le féminisme comme le libre-échangisme et le nudisme ou le naturisme, l’écologie et l’environnementalisme, le nomadisme, l’alcoolisme et la toxicomanie, l’économie informelle, la démocratie directe, et en général, le non-conformisme, la désobéissance civile et l’autonomie, etc., avaient été théorisé et expérimenté depuis des décennies, sinon des siècles. La force du mouvement culturel aura été de conglomérer les aspirations de tous ces courants de les coaliser en un seul mouvement. Leurs activistes et sympathisants constituaient ainsi des composantes d’un Mouvement, qui étaient solidaires à défaut d’être véritablement unifiés, c’est-à-dire organisés. La convergence des protestations, leur co-existence au sein d’un Mouvement étaient ainsi présentées par le français Jean-François Revel :
« Ce qui caractérise le mouvement révolutionnaire américain actuel, c’est qu’il est le premier où toutes les revendications soient conduites de front et poussées en avant sur un même échiquier. La ligne des revendications appartenant à la tradition individualiste anarchiste et la ligne des revendications exprimant la lutte organisée et politisée des opprimés – ou en l’occurrence, des moins primés – pour une fois n’en font qu’une. » (Ni Marx, ni Jésus, 1970).

Les premières conquêtes de la contre-culture ne se déroulent pas tant aux niveaux idéologique, artistique, mais ont été d’occuper, de s’approprier durablement des lieux, un territoire, en ville même, ou bien proches ou éloignés des grandes cités, puis tout à la fois de les défendre et d’organiser leur mise en réseau. On ne peut parler de communautés mais d’un network of communes. David Harvey, géographe anglais ayant vécu à Baltimore, écrivait dans son essai “Rebel Cities” (2012) :
« L’absence d’âme de la vie banlieusarde a joué un rôle majeur dans les spectaculaires mouvements de 1968 aux États-Unis : mécontents, des étudiants blancs appartenant aux classes moyennes sont entrés dans une phase de révolte, ont cherché à s’unir à d’autres groupes marginalisés et se sont ralliés à la lutte contre l’impérialisme américain, pour créer un mouvement qui visait à construire un monde nouveau, incluant un nouveau type d’expérience urbaine.»

En réponse à Mumford qui dans The City In History, affirmait :
« Dans la mesure où il n’y a pas d’espaces pour la réunion des personnes, pour la concentration ou pour l’action en commun, les suburbs permettent le conformisme et non la rébellion ou l’attaque. Les suburbs sont devenus le logement préféré d’un nouveau genre d’absolutisme : invisible mais tout puissant.»

Henri Lefebvre avançait la thèse d’une ‘‘épreuve’’ dans et de l’espace, qu’il définissait ainsi :
« Rien ni personne ne peut éviter l’épreuve de l’espace. Plus et mieux, un groupe, une classe ou fraction de classe, ne se constituent et ne se reconnaissent comme "sujets" qu’en engendrant (produisant) un espace. Les idées, représentations, valeurs, qui ne parviennent pas à s’inscrire dans l’espace en engendrant (produisant) une morphologie appropriée se dessèchent en signes, se résolvent en récits abstraits, se changent en fantasmes. L’investissement spatial, la production de l’espace, ce n’est pas un incident de parcours, mais une question de vie ou de mort ». (La production de l’espace, 1974).

Dès lors, l’appropriation, ou colonisation, d’un territoire en milieu urbain, et sa consolidation par de nouveaux habitants réfractaires à l’American Way of Live, imposant des nouvelles manières d’être et d’appréhender la vie en ville, la production de leur propre espace, c’est-à-dire, la retranscription de leurs idéaux appliqués dans les espaces domestique et urbain, ce “droit à la ville” ou d’exister présentait un large éventail de situations. Celles établies en ville, dans un ou plusieurs quartiers dénommés pour les plus imposants comme étant des “urban poles of the counterculture” (pôles urbains de la contre-culture), présentent de très notables différences selon le degré d’activisme des rebelles, déterminé par leur nombre même, selon le climat et leur localisation géographique, la présence ou non d’un campus dissident ou conservateur, etc., en considérant que le système fédéral du droit américain fait que les assemblées et les tribunaux d’un État peuvent légaliser des pratiques qui ne deviennent pas pour autant légales dans d’autres États : comme les conseils municipaux, certains adoptaient une tolérance bienveillante, d’autres répressive, d’autres nulle (en fait, c’était bien l’ordre chronologique), souvent en phase avec celles des électeurs traditionnels ; mais qui parfois, au sein des quartiers en lutte contre un projet de rénovation urbaine lourde, et plus encore celles concernant l’écologie, pouvaient nouer des alliances inédites, contre-nature, durable ou éphémère.
Keith Melville, auteur de l’essai intitulé Communes in the Counter Culture, (1972) écrivait :
« Certainly the most significant expression of this quest for encounter is the creation of intentional communities that reflect the values of the counter culture.(…) During this period the life style of the urban enclave was tested and found wanting. (…) Thus at the same time that their activist counterparts were developing more violent techniques of destroying the old society, the program of communal movement became the creation of a new society in microcosm. The idea of forming intentional communities based on beliefs that are radically at odds with those of the rest of the society is an old one. »

Ce fut là, un phénomène totalement inédit dans l’histoire des USA, de par leur nombre et détermination : au sein des villes, ces jeunes réfractaires osent publiquement, au grand jour, défier les autorités, afficher leur refus de s’intégrer à la société et ils et elles proposent et organisent de nouvelles structures, expérimentent de nouvelles manière d’être et d’habiter la ville ; c’est une utopie vécue, “existentielle” et anti-intellectuelle qui concerne peu l’avenir, mais surtout le moment présent, le day-to-day (au jour le jour) : “ le futur, c’est maintenant ”. Ils et elles apprennent la vie en collectif informel pour les uns, en communauté soudée pour d’autres, dans des maisons de ville, des appartements sur-peuplés, s’emparent des espaces publics pour y affirmer leurs nouveaux idéaux, organiser des sortes de propagande par le fait, concrétisés par les love-ins, be-ins, sleep-ins, smoke-ins, happenings, etc., concerts improvisés, parades, carnavals et festivals, gratuits, par les manifestations, et autres clean-ins, grandes opérations collectives de nettoyage de rues non entretenues.



Photographe : Dennis Stock : Los Angeles, Venice Beach, 1968.

Les grands parcs urbains des villes, comme les plages, deviendront leurs lieux privilégiés pour leurs grandes messes païennes, mais aussi plus simplement pour jouir des bienfaits de la Nature en ville, et pour d’autres servant de refuge la nuit venue, les parcs n’étant pas clôturés. De même, les terrains vagues font l’objet de convoitise, métamorphosés en People’s Parks, en squares “pour (et par) le peuple”. Dans ces lieux publics se dérouleront les plus vigoureuses batailles entre les politiciens et leurs occupants et usagers jugés indésirables, à la fois sur le terrain même, et dans les lois qui dans certains cas prévoyaient des mesures draconiennes pour limiter ou filtrer au mieux leur accès ; dans le même esprit, le premier Disneyland interdisait, jusqu’au milieu des années 1960, l’entrée aux “long hairs” masculins.

Les diggers de San Francisco estimeront, à leur apogée, que les strictes limites de la rue, d’un parc, d’un quartier, devaient être dépassées pour enfin s’appliquer à une ville entière, et publièrent un manifeste intitulé, la Free Collective City. Hédonistes et individualistes ? Sans doute, mais ils et elles, volontaires et bénévoles regroupés au sein de collectifs, de groupes et d’organisations, pallient au manque de services sociaux et d’équipements publics, avec l’ouverture des free shop, free store, free clinic, free school, free garage, l’organisation des free food, free bus, free taxis, et hôtels refuges (crashpads), etc. L’entraide et la gratuité auront été également animé quelques chimistes fabricants de LSD, précieux alliés offrant leurs doses par dizaines de milliers lors des grandes messes, festivals et concerts, ou les vendant au plus bas prix.

L’occupation d’un lieu, d’un site ou d’un immeuble était également une pratique que l’on retrouve au sein de la militance de la New Left. Les facultés occupées illégalement, lors de grèves par exemple, étaient souvent décorées de banderoles ou était inscrit “LIBERATED TERRITORY”, parfois accompagnées de drapeaux américain et nord-vietnamien. Un leader du Students for a Democratic Society, Tom Hayden, définissait les enclaves hip, et certains campus universitaires en tant que “free territories,” des “internal colonies” organisées en “self-determined”. D’ailleurs les militants du SDS tenteront, eux et elles, d’occuper les territoires les plus pauvres du pays, les ghettos, pour venir en aide aux populations humbles, aux have-not, et les éduquer politiquement… Les Young Lords en occupant illégalement une église à New York désignaient ce lieu comme étant “ une zone libérée au cœur de l’Amérique capitaliste. ”


Plan de Berkeley répertoriant les lieux alternatifs et équipements, services sociaux. Berkeley Tribe, octobre 1971.

Dans le même mouvement, ces communautés rebelles ont également donné naissance à l’écologie démocratisée, et aux premières expériences concrètes d’écologie alors alternative appliquée avec la méthode Do it Yourself, c’est-à-dire, sous sa propre initiative, sans attendre qu’une administration, qu’une autorité quelconque s’en pré-occupe et s’en charge. C’est dans ce domaine que s’est exprimée au mieux toute la modernité du mouvement contre-culturel, domaine certes partagé par les anciennes organisations d’environnementalistes et d’écologistes conservateurs mais s’ingéniant à délimiter quelques zones protégées au détriment d’autres territoires, abandonnés au laisser-faire. Le premier centre de recyclage - “drop-off center” - concernant les déchets domestiques aura ainsi été crée aux USA par de jeunes militants de Berkeley, en avril 1970 : selon les historiens, the nation’s first neighborhood recycling operation. Si l’on excepte le recyclage pratiqué par les plus pauvres, qui d’ailleurs seront les premières victimes des “drop-off centers” les privant de certaines de leurs ressources. Leurs expérimentations d’écologie appliquée en milieu urbain, auront leur pendant au sein des communautés rurales, là où l’on bricole le panneau solaire comme les toilettes sèches, où l’on cultive bio à l’aide d’animaux de traits – à défaut de pouvoir acquérir des machines agricoles ou des engrais chimiques , là où l’on vit sans électricité, déconnecté, et dans ce pays sur-consommant, de manière frugale, en se contentant de peu. Dans un autre registre, les activistes s’attaquaient au gaspillage insensé d’une société d’abondance, qui concernent les tonnes d’aliments non avariés et consommables qu’ils recueillent dans les poubelles des supermarchés, pour les redistribuer aux plus pauvres, au street people. Leur écologie s’exprimait également et principalement, dans le domaine de l’architecture, avec le recyclage, la ré-utilisation et le détournement de matériaux trouvés dans les poubelles débordantes et les décharges, soit la Garbage architecture ; ou la cabanisation de l’architecture, ou bien dans le meilleur des cas – architecturaux – associée à la technologie des dômes de Buckminster Fuller, ré-interprétés par des Countercultural Bricoleurs. De même, des artistes également, récupèrent dans les poubelles de l’Amérique, les déchets recyclés en œuvres d’art.

Ces enclaves urbaines d’utopie vécue expriment tout autant une volonté commune de se regrouper dans un même espace pour partager un même idéal en communion, et par la-même, assurer une propagande par le fait, qu’une nécessité impérieuse, vitale même, de faire front et de résister aux prédateurs : c’est, avant tout, une lutte “pour le droit à la ville” plus réelle et concrète pour occuper et tenir un espace, que ce soient une portion de quartier ou un territoire, un parc urbain, une plage, un lieu temporaire de festivité. Et pour y parvenir, exister donc, ces communautés auront à subir la répression non seulement des autorités de l’État fédéral, locale, de l’administration, de la police et des brigades de narcotics, etc., des médias conservateurs, et l’hostilité de la population et de leurs plus proches comme lointains voisinages ; et pour se défendre devront-elles adopter, pour beaucoup, une attitude agressive, qui s’exprima par une intolérance et une intransigeance assumées : ainsi mises en concurrence pour l’hégémonie d’un territoire seront-elles pour certaines, aussi hostiles, étanches aux problèmes des populations voisines. Le Peace & Love ne s’appliquait pas uniquement en réaction contre la guerre mais également contre les antagonismes entre les différentes communautés socio-raciales ; en exemple, seront organisés à Los Angeles, des love-lns “inter-raciaux”, où malgré les bonnes intentions, les tensions persistaient, voire augmentaient notamment lorsque les unes et les autres dénudés ou presque se trémoussaient sans aucune honte en public venu des ghettos, lumpenproletariat et petit peuple encore très attachés aux traditions, aux coutumes, au respect des anciens et aux règles religieuses et dont le seul espoir était au contraire de s’intégrer au mieux au sein de la société américaine et donc, de respecter scrupuleusement ses valeurs petite-bourgeoises.

Bien loin de l’image idyllique d’un mouvement contre-culturel pacifique - flower power -, aimant son prochain, l’histoire de ces communautés est émaillée de violences, celles des forces de l’ordre venant perquisitionner leurs lieux de résidence, saccager leurs “People’s park” comme leurs free stores, interdire leurs happenings de rue, concerts improvisés, l’accès aux plages, saboter leurs festivals y compris autorisés, mais aussi, altercations avec les habitants et les commerçants de leurs quartiers, rixes avec les street gangs, confrontations avec les militants d’organisations fascistes et les clients des tours operators visitant leurs quartiers comme on visite un zoo, ou encore hors des villes, disputes avec les fermiers hostiles qui pratiquent, eux, le sabotage en toute impunité, avec la bénédiction voire la coopération des autorités locales, rixes encore avec les gangs de motards agressifs à leurs égards (Rebels without a Cause qui d’ailleurs forment un autre type de communauté).

A Haight Ashbury, un des lieux de naissance du Mouvement, et dans d’autres villes, les espaces libérés, alternatifs des quartiers devinrent des enclaves ou ghettos hip, et selon Ken Knabb (traducteur de Guy Debord aux USA) :
« L’urbanisme hip - essayant toujours de créer un espace confortable où pourrait fleurir sa pseudo-communauté - n’a jamais manqué de créer pour lui-même des réserves où les indigènes se regardent entre eux d’un air ébahi parce qu’ils en sont également les touristes. Le Haight-Ashbury, le festival rock, la piaule hip étaient censés être des espaces libres où les séparations s’écroulaient. Mais l’espace hip est devenu un espace de passivité, de consommation de loisirs, où les séparations ont reparu à un autre niveau. » (On the Poverty of Hip Life, groupe Contradiction, avril 1972).

Car en effet, les communautés ont elles-même été leurs propres ennemies, les plus légendaires, excentriques ou turbulentes, auront été à ce point attractives qu’elles subiront une incroyable sur-population, au détriment de villes plus paisibles : les réfractaires à l’American Way of Life désertèrent leurs villes, comme aimantés pour rejoindre la Baie de San Francisco ou New York ; en 1968, San Francisco pliait sous le poids de 100.000 nouveaux venus. Les pionniers hip proto-colonisateurs allaient connaître le même phénomène de colonisation de leurs territoires ‘‘libérés’’ par un raz-de-marée comportant autant de rebelles et de jeunes prétendants à le devenir que de prédateurs et parasites indésirables.

Déclin Urbain, Renaissance Rurale

Ghettoïsation, commercialisation, sur-peuplement et violences de toutes sortes incitèrent les unes et les autres à un exil, à un refuge au sein de communautés rurales : l’utopie hip ne mène pas nulle part, mais au back-to-land (retour à la terre), terme peu réaliste, car l’immense majorité d’entre eux et elles découvraient la vie rurale, et ces contraintes... Les moins téméraires choisissaient un exil plus proche des grandes cités, dans des lieux entre ville et campagne encore préservée et sauvage, où souvent, le potager-jardin individuel est préféré, exil qui évoquait davantage un back-to-the-garden. Les Américains désertèrent en masse les villes pour rejoindre les campagnes, ou bien pour se livrer au nomadisme, à ce point que les observateurs de l’époque évoquaient un ‘‘mouvement back-to-land’’ : cumulés, plus d’un million de personnes partirent y vivre, sur le seul territoire américain ; mais nul n’ose avancer une estimation pour celles tout aussi nombreuses établies à l’étranger, aux abords d’Ibiza en Espagne, de Goa, à Bali, etc.

Cet ample mouvement back-to-land diminue d’autant la charge utopique acquise et mise en pratique au sein des villes, même s’il faut considérer que les communautés de néo-ruraux s’intégraient dans le vaste réseau reliant les unes rurales aux autres urbaines, network emprunté continuellement par des contingents de nomades, qui à son apogée atteignait les pays refuges ou mythiques, tel le Népal. C’est en effet un mouvement plus classique, une route déjà empruntée à maintes reprises dans l’histoire des USA, par d’autres réfractaires, socialistes et adeptes du communisme primitif ; si l’urbanisme hip était un urbanisme de conquête et en tant que tel inédit dans l’histoire du pays, le mouvement back-to-land est celui d’une stratégie de défense, de retraite, tournée, regardant, un passé qu’il convient de ré-animer, avec pour guide Thoreau, ou Kroptokine. En 1969, alors que Neil Amstrong foulait le sol lunaire, des back-to-land people s’échinaient à labourer leurs lopins de terre et à fabriquer des briques de terre cuite, tout pareil que jadis. Keith Melville analysait au début des années 1970 leur situation :
« Traveling around the country to different communes, I very often had the feeling that they were populated by the wrong people trying to do the right things. The young people in their late teens and early twenties who have taken on this ambitious task here are very poorly prepared to succeed in it. If the best prophet of the future is the past, then most of these communes stand little chance of surviving. » (Communes in the Counter Culture. 1972).

L’utopie du back-to-land est celle partagée du rêve américain - l’American Dream - d’avoir la possibilité de fuir une situation déplaisante, mal-vécue ou hostile plutôt que de s’en accommoder ou de la subir ; il en a été ainsi pour les pionniers fuyant la société anglaise ou européenne pour les États-Unis, pour les colons américains partant à la conquête de l’Ouest, ou, dans un autre registre, pour les communautés socialistes fondées hors des villes : la fuite, dans ces cas, étaient précédées sinon d’un rêve, mais d’une vie meilleure à construire en territoires vierges, lieux de rencontre entre le primitif et la civilisation. Considérés par certains comme des refuges ou des retraites annonçant la défaite, d’autres estimaient que c’est au sein de ces communautés de néo-ruraux que se sont exprimés au mieux les penchants radicaux de la contre-culture, enclaves primitives – et écologiques - débarrassées des contingences urbaines, celles matérielles, humaines, morales, là où selon la légende, ‘‘these scattered outposts of what is advertised as the emerging alternative society’’.

Album- magnifique - photographique de Bob FITCH (1969)
au Wheeler Ranch, communauté rurale mythique :













































Photographie de Bob Fitch reprise par les architectes italiens "radicaux" du collectif Superstudio pour imager leur projet utopie intitulé : Gli atti fondamentali, Vita. L'accampamento. (1971-1972).

Ces communautés néo-rurales ont accompagné, pour d’autres raisons, le vaste mouvement du “White flight”, le départ des habitants Blancs hors des villes, vers les banlieues verdoyantes - la suburbia -, qui selon Robert Fishman :
« La banlieue américaine doit être envisagée comme une utopie à part entière. Elle tire son pouvoir de sa capacité à exprimer une vision complexe et irrésistible de la famille moderne, libérée de la corruption de la ville, rétablie dans la symbiose avec le milieu naturel, dotée de richesse et d’indépendance, et pourtant protégée par une communauté stable et soudée. » (Bourgeois Utopia : The Rise and Fall of Suburbia, 1987).

Mais ont-elles précédé de peu le phénomène des gated communities (d’ailleurs pompeusement nommées par leurs promoteurs, “Paradise”, “Eldorado”, Dreamland”, “Utopia”, “Island”, etc.), regroupant des populations d’identiques, moins victimes des violences urbaines qu’apeurées par elles. Certes, ce phénomène immobilier était relativement ancien, mais réservé principalement aux classes aisées, qui s’est développé massivement à partir des années 1980, auprès des classes moyennes. D’ailleurs, parallèlement aux communautés rebelles, d’autres plus sages étaient fondées, un type à part qui connaît un développement à partir du début des années 1970, oscillant entre la gated community de type capitaliste et celle libertaire, où sont évacués les principes et pratiques les plus radicaux de la contre-culture, comme du capitalisme le plus prédateur, des communautés intentionnelles résidentielles prenant souvent les statuts classiques de coopérative ou de homeowners association.

Contre-révolte

« A hippie is someone who dresses like Tarzan, has hair like Jane,
and smells like Cheetah. »
Ronald Regan, Governor of California, 1967.

La stratégie d’auto-défense de l’État face à un Movement dont l’un des objectifs principaux est l’union de toutes forces rebelles aura été à la fois très simple et terriblement efficace, selon le précepte Diviser pour mieux régner. En tant que telles, les composantes contre-culturelles du Movement n’étaient pas leurs cibles principales : la commercialisation, la marchandisation de leurs valeurs, pratiques et comportements, de leurs lieux atténuaient grandement leurs charges subversives ; la nouveauté y compris rebelle a été et est un argument de vente. Les premières victimes auront été les groupes politisés et en premier lieu, le Black Power, fer de lance, composé au début des années 1970, selon les témoignages, d’autant de militants que d’infiltrés qui se chargèrent de semer la zizanie et la suspicion entre les leaders, tout du moins pour ceux et celles qui n’avaient pas été purement assassinés ou emprisonnés sous la base de faux témoignages, sans preuves, en cavale ou ayant pris le chemin de l’exil, à Alger ou La Havane ; puis de briser les coalitions entre Black et White power, Young Lords et Chicanos. De même, les intellectuels universitaires affiliés ou proches de la New Left, ou hostiles à la guerre, en apportant leur soutien public seront surveillés et espionnés en permanence, passibles d’être révoqués, et parfois emprisonnés, comme Noam Chomsky, accusé de résistance active à la loi d’incorporation militaire, ou bien comme complice des appelés insoumis, et au-delà d’être un conspirateur à la solde des soviétiques ou des maoïstes...

La mise en œuvre de ce plan d’attaque aura été à ce point efficace qu’une fois la désunion assurée, les factions nées de cette fragmentation s’entre-déchirèrent entre elles, et en leur sein même ; en fait, la répression n’avait fait qu’exacerber au mieux les tensions propres, les querelles idéologiques – et historiques - qui caractérisent la Nouvelle gauche. Cette fragmentation nous ramène à notre point de départ des années 1950 avec la constitution ou le développement de mouvements indépendants et distincts, n’ayant plus guère la volonté ou la possibilité de forger des alliances : les courants féministes radicaux prennent de l’ampleur  [6], le courant gay se consacre exclusivement à ses revendications, les écologistes se détachent et optent pour l’indépendance, elle-même conjuguée sous diverses tendances, parfois opposées, et d’une manière générale l’on préfère le local plutôt que le national : en d’autres termes, la militance contre-culturelle entame son entrée en politique, au détriment de la New Left.

La dislocation des mouvements politiques aura été longue mais couronnée de succès ; mais comment abattre, à présent, les composantes du mouvement contre-culturel, nébuleuse diffuse bien plus difficile à cerner, sans leaders, sans organisation structurée, liquide pourrait-on dire. Une note du FBI remarquait :
« Nous pensons que l’absence de conformisme dans leur manière de s’habiller et de parler, la négligence en matière d’hygiène intime, l’emploi d’un vocabulaire obscène (sur le papier et à l’oral), la promiscuité sexuelle assumée, la prise de stupéfiants et les expérimentations en matière de drogues, les vêtements crasseux, les cheveux hirsutes, le port de sandales, de breloques et de bijoux insolites tendent à démontrer qu’il ne sert à rien de chercher à tourner ces personnes en dérision. La presse américaine l’a fait, sans résultat : elle n’a pas réussi à influencer ou freiner les activités de la ‘nouvelle gauche’ ». (Cité par Dan Berger, in : Weather Underground, 2006).

Le candidat républicain à la Maison blanche en 1968, Richard Nixon, avait quelques idées, dont celle de la lutte, plutôt croisade, contre les drogués et toxicomanes, un des thèmes importants de sa campagne, ayant pour objectif d’éliminer toute contestation. Marie-Christine Granjon jugeait :
« L’arrivée en fonction du gouvernement Nixon signifie pour les contestataires de tout acabit, l’accélération notable et la généralisation de la répression à tous les niveaux. Le ministre de la Justice, John Mitchell et son adjoint Richard Kleindienst prennent la direction des opérations contre ces ‘vagabonds qui détruisent les campus’ (Nixon), ces ‘snobs impudents’, ces ‘eunuques idéologiques’ et autres ‘voyous politiques’ (S. Agnew, vice-président), ces ‘gosses radicaux, révolutionnaires et anarchistes’ (Kleindienst). » (L’Amérique de la contestation, 1985).
Élu président et en fonction en 1969, son gouvernement promulgua une nouvelle loi fédérale en 1970, le Comprehensive Drug Abuse Prevention and Control Act qui unifiait et renforçait les dispositions relatives au contrôle et à la prohibition des substances psychotropes. En juin 1971, dans un discours, Nixon qualifiait la toxicomanie d’ ‘‘ennemi public numéro un’’ aux États-Unis. En 1973, le Bureau of Narcotics and Dangerous Drugs (BNDD) laisse la place à une nouvelle Drug Enforcement Administration (DEA) aux moyens décuplés. Ce n’était pas uniquement dans le but d’une saine croisade sanitaire, mais bien, un des instruments privilégiés de sa stratégie d’en terminer avec l’ensemble des mouvements contestataires ; John Ehrlichman, secrétaire d’État aux Affaires intérieures déclarait ainsi :
« Nous ne pouvions pas rendre illégale l’opposition à la guerre du Vietnam ou aux Noirs, mais en associant les hippies à la marijuana et les Noirs à l’héroïne, et en pénalisant lourdement les deux, nous pouvions disloquer ces communautés. » [7]

Concrètement, se multiplient les arrestations et les peines d’emprisonnement s’allongent qui concernent autant les jeunes dealers des street gangs que les simples consommateurs récidivistes y compris les maîtres à penser du mouvement psychédélique, et des stars du monde culturel et du monde musical.

Une nébuleuse insaisissable, certes, mais vivant regroupée au sein d’enclaves bien délimitées – des love ghettos – et de communautés rurales, leurs points vulnérables : ainsi la répression allait s’abattre sur les personnes et sur leurs lieux de vie, de plaisir, de travail et de commerce, leurs espaces domestique et public ; comme nous le verrons tout au long de ce texte, les motifs étaient nombreux pour les démanteler.

Le troisième angle d’attaque aura été de restreindre l’accès aux, de diminuer voire de supprimer les aides publiques fédérales et locales dédiées aux plus humbles, et qui bénéficiaient à nombre d’artisans de la contre-culture, qui concernaient les bons alimentaires, les aides pour la santé, le logement, les chômeurs, les femmes célibataires avec enfants, etc., ou bien dans un autre registre les subventions municipales à des collectifs artistiques jugés subversifs. A cela s’ajoutait la recrudescence des contrôles inopinés effectués par les agents des services concernés. Les conséquences, selon les comtés, auront été tout aussi désastreuses pour le mouvement contre-culturel, en particulier pour celles et ceux vivant en communautés rurales, les contraignant pour survivre à prendre un emploi régulier, ou bien à les forcer à commercialiser au mieux, ou légaliser, leurs productions (artistique, artisanale, agricole, etc.).

Et afin d’affecter l’union sacrée des opposants à la guerre, soulignons la décision judicieuse de Nixon de limiter l’engagement des étudiants au Vietnam, et de préférer des soldats de métier, en considérant que nombre d’appelés, au Vietnam, refusaient de combattre et des cas d’assassinats d’officiers [8] impopulaires ou par trop prompts aux combats étaient mentionnés, décision qui a été un des facteurs de la démobilisation étudiante bien avant la fin effective de la présence militaire américaine au Vietnam, en 1973.

Les plus fragiles communautés se disloquaient, mais d’autres s’adaptaient, se défendaient et organisaient la résistance ; la méthadone autorisée – entre autres - remplaçait l’héroïne ou le LSD, prescrite légalement par des médecins complaisants ; les centres sociaux de quartier, mis en place dans le cadre du programme War on Poverty par le précédent président Johnson, offraient des emplois aux réfractaires ravis de l’aubaine ; les membres des communautés s’engageaient dans de longues procédures de justice pour contester telle ou telle mesure administrative à leur encontre, ralentissant ou invalidant leur démantèlement ; et organisaient, en ville notamment, des comités de quartier, de résidents, pour défendre leurs droits, etc., et à la campagne pour préserver une forêt menacée, etc., des électeurs qui d’ailleurs pouvaient intéresser les politiciens en concurrence lors des élections municipales, et notamment afro-américains, plus tolérant envers les minorités ; l’on déménageait lorsqu’un Comté décidait de la réduction des aides sociales, vers un autre plus généreux ; l’on se prémunissait d’une manière ou d’une autre des contrôles des agents des services sociaux, de l’hygiène et des perquisitions des polices (local, FBI, narcotic, etc.) ; et l’on adaptait des bricolages écologiques pour rendre conforme les installations sanitaires des enclaves rurales, etc.

Mais l’offensive des rebelles était ainsi anéantie et l’on assistait à leurs retraite, repli désordonné et défense passive, résistants privés en partie de leurs réseaux et canaux de communication et d’entraide, communautés atteintes, finalement d’une hémorragie de désertions, pour une multitude de raisons autres que policières, que la répression se chargea d’exacerber, endiguant de même l’afflux des jeunes runaways kids, principale source de renouvellement en leur sein. Herbert Marcuse soulignait en 1972, le danger d’un apaisement ou d’une pacification qui touchait les communes :
« Elles demeurent des noyaux possibles, des ‘cellules’, des laboratoires pour expérimenter des rapports autonomes, non aliénés. Mais elles sont guettées par l’isolement et la dépolitisation. » (Contre Révolution et Révolte, 1972).

Une vague de dépolitisation impulsée par la ré-élection du serial killer anti-Movement, Nixon à la présidence en 1972 : l’espoir d’un changement démocratique prend fin, la protestation initiée depuis l’année 1960 n’a porté aucun fruit, trop peu de victoires significatives et au contraire un niveau de répression élevé, ayant décimé les troupes du Mouvement. Un million d’utopiens abandonnent progressivement la vie néo-rurale, ou bien, leurs idéaux. D’ailleurs une expression est consacrée : ‘‘Selling Out’’, dont la définition est selon un dictionnaire hippy : To sacrifice one's counter-culture ideals for acceptance by society or material gain. Au milieu des années 1970, le Mouvement est moribond, subsistent isolées quelques communautés rebelles, pour celles ne s’étant pas converties au spiritisme commercial, aux prises avec leurs autres prédateurs de toujours : les promoteurs et les planificateurs, convoitant leurs territoires, pour certains idylliques en zone périphérique, pour d’autres en zones urbaines et dégradées mais situées à proximité des centres des cités.

Postérité

La droite libertaire se félicitait, dans les années 1960, de certaines propositions de la New Left : Ronald Harmowy, un de ses principaux représentants, s’enthousiasmait pour cet idéal partagé d’un anti-étatisme orienté vers l’individu, pour leur pacifisme et anti-impérialisme, dans le sens d’un isolationnisme assumé du pays, critiquant eux-aussi le poids trop encombrant de la bureaucratie et de l’ordre policier, placés sous l’emprise d’une autorité par trop centralisée, d’un État militarisé dominé par des entreprises géantes. La politique néo-libérale est ainsi favorable tout à la fois à la décentralisation administrative et à la maximisation de l’autonomie locale. Selon le critique musical Charles Shaar Murray :
« Le chemin qui mène des hippies aux yuppies n'est pas aussi tortueux que beaucoup aiment le croire. Une bonne partie de la vieille rhétorique hippie pourrait parfaitement être reprise par la droite pseudo-libertaire, ce qui s'est d'ailleurs produit. Rejet de l’État, liberté pour chacun de faire ce qu'il veut, cela se traduit très facilement par un yuppisme ‘laissez-faire’. Voila ce que cette époque nous a légué. » (Interview, Days in Life, 1988).
Ce jugement, sans doute vérifié pour le monde musical, est par trop réducteur : le mouvement contre-culturel a légué à la postérité de notables avancées dans de nombreux domaines, la reconnaissance et l’intégration des minorités, l’écologie, les drogues douces et la sexualité par exemples ; cela étant, les domaines de l’architecture alternative et de l’urbanisme underground, au sein de ce maelstrom créatif impulsé par le Movement, légueront à la postérité les pires situations possibles, des modèles ayant inspirés effectivement les promoteurs privés puis les planificateurs : les communautés en ville formeront des enclaves d’artistes, puis de la “Creativ class”, selon le renommé économiste américain, conseiller et confident influent d’une pléiade de présidents et de maires de mégapoles, Richard Florida – inspiré des thèses de Jane Jacob - qui applique méthodiquement aux villes, entre autres absurdités, un indice “bohémien” et un autre “gay” pour mesurer leurs degrés d’attractivité culturelle – internationale - et de potentiel économique. Certes les bohèmes depuis le 19e siècle, depuis toujours, s’agglutinaient dans un même quartier, mais à présent, ce sont les planificateurs alliés aux économistes qui les décident, les programment, les fabriquent, les conditionnent. Les people’s parks, ces terrains vagues métamorphosés en squares publics par les rebelles, seront eux les modèles pour les garden communities, utilisés à New York comme programme municipal – et fédéral - subventionné de la gentrification du Lower East Side : des fleurs plutôt que des mendiants squattant sur les ruines d’immeubles. En milieu rural ou suburbain, les communautés rurales rebelles de jadis survivantes deviendront des hip-gated communities, ou bien des yuppie-lands (de Young urban Professional), ou des enclaves verdoyantes de résidences secondaires sécurisées, partagées par la Jet-set mondialisée : véritables modèles, avec d’autres, des middle-class-gated communities qui fleurissent sur leurs décombres à partir de la fin des années 1970.

Sur leurs décombres idéologiques fanées ont prospéré des plantes carnivores ; Sausalito, la pire cité pirate de jadis est aujourd’hui le repaire des cadres aisés de la Silicon Valley ; Venice Beach, quartier hier encore le plus défoncé – dans tous les sens du terme – de Los Angeles, rivalise aujourd’hui avec Beverly Hills en notoriété et en richesse au m² ; tout pareil que le turbulent quartier Lower East Side à New York ; Bolinas, après avoir été un haut lieu de la contre-culture, comme Laguna Beach et bien d’autres lieux paradisiaques en bord de mer, est à présent une enclave écolo du type Not In My Back Yard, appréciée des multi-millionnaires ; l’Institut Esalen, hier temple du hippysme, se consacre exclusivement à soulager les bourses les plus garnies et les moins rebelles ; qui d’ailleurs ont colonisé la région de Big Sur, ancien territoire refuge des beatniks et d’autres bohémiens ; la communauté rurale The Farm, à vocation spirituelle, rescapée de la débâcle non sans avoir renié ses premiers idéaux, à présent coopérative opulente, était déjà selon le Wall Street Journal : The General Motors of American Communes.

Le ridicule emprunt de cynisme et d’une perte de mémoire éloquente, est atteint lorsque des villes jadis totalement réfractaires aux mouvements rebelle et alternatif, et animées d’une tolérance voisine de zéro, comme Taos au Nouveau Mexique, se targuent d’avoir été dans le passé des haut lieux, des genius loci idéologiques propices au Mouvement contre-culturel : argumentaires grossiers destinés à la masse touristique, s’exprimant notamment, par la résurrection municipalisée ou institutionnalisée de leurs folklores : marchés de l’art, de l’artisanat, festivals et concerts, et autres manifestations jadis interdites, ou moquées, ou réprimées ; l’on fêtait même les 40e et 50e anniversaires de fondation de communautés rurales disparues… sous les coups des shérifs à la solde des mêmes municipalités.

Ainsi, les détracteurs du mouvement contre-culturel d’hier et d’aujourd’hui fusillent à bout pourtant ce type d’utopie existentielle, ce grand cadavre idéologique, soulignant à la fois une existence justement brève, leur défaite, renoncement et intégration postérieure au sein de la société, ayant même fourni un modèle ingurgité, récupéré par les mécanismes du capitalisme. Mais répondent en chœur leurs partisans : la vocation d’une utopie vécue libertaire est-elle de perdurer dans le temps ? Leur existence éphémère traduit-elle un échec ? Ou un effet ou phénomène de mode, pourrait-on ajouter.

Henri Lefebvre, lui-même accusé [9] abordait ce thème récurrent de la récupération :
« Les thèmes de la récupération ne manquent pas ; l’urbain, la différence, l’autogestion ont été récupérés ou sont en cours de récupération [...] Au lieu d’analyser le processus – détournement ou contournement de l’initial - les hypercritiques, les dogmatiques et sectaires préfèrent incriminer ceux qui ont pris l’initiative et lancé l’idée. Erreur théorique et pratique. Le fait pour un projet ou pour un concept d’être ‘‘récupéré’’ ne veut pas dire que pendant un certain temps ce concept ou ce projet n’ont pas été potentiellement actifs. Cela veut dire que ‘‘on’’ (les adversaires de l’ordre ou du désordre établi) n’a pas su ou n’a pas pu saisir la conjoncture, l’occasion favorable, et réaliser le projet [...] il faut insister : il n’est rien, aucune proposition, aucun projet, aucune idée, qui ne soit récupérable, c’est-à-dire utilisable par d’autres forces sociales ou politiques que celles au nom desquelles ils se sont présentés. » (Critique de la vie quotidienne, Pour une métaphilosophie du quotidien.1981)

Et David Harvey de souligner :
« Il ne faut pas se plaindre de ces tentatives de récupération. La gauche devrait au contraire y voir un compliment et se battre pour préserver sa propre signification du droit à la ville.» (Villes rebelles. 2012).

Souvent posées à, ou évoquées par d’anciens communards, ils et elles reconnaissent la certaine dose de naïveté, ou d’innocence qui les engageaient, jeunes, à vivre au sein d’une communauté et à envisager un futur sinon radieux mais alternatif pour eux-mêmes, et pour les plus radicaux pour la société, en montrant l’exemple. Et, soulignent-ils, grossièrement, sans fausse naïveté : Que fallait-il faire d’autre ?

Car en effet, la société américaine capitaliste leur offrait, au milieu des années 1960, d’incroyables opportunités : des territoires en centre-ville quasi à l’abandon vidés de la midlle-class, et des campagnes désertées ; c’est ici précisément que naissent les communautés, profitant des prix de l’immobilier alors en chute libre, et d’une multitude d’aides sociales locales et fédérales du Welfare State ; et au-delà, profitaient-ils de l’effet de surprise d’un phénomène de masse spontané, venu de nulle part, ayant totalement pris au dépourvu les autorités : d’ailleurs dans leurs premiers temps d’existence, les municipalités accueillaient à bras ouverts cette jeunesse certes turbulente mais dynamique, susceptible de re-vitaliser un quartier (ou d’y introduire une composante de la middle-class blanche et éduquée), ce fut le cas pour la Mecque hippie, Haight Ashbury ; car au même moment, les commerces des quartiers populaires désertés par la middle-class, périclitaient sous les campagnes de promotion (empilez haut, vendez bas) des nouveaux grands centres commerciaux implantés en Suburbia, reliés au nouveau réseau d’autoroutes – réseau qui d’ailleurs a profité aux nouveaux nomades bohémiens, en tout aussi grand nombre que les sédentaires rebelles. Des conditions idéales pour la fondation de communautés qui expliquent en partie cette question de Quoi faire ? Ce à quoi ils répondaient Do It !

Peut-être ces rebelles s’inspiraient-ils des curieux propos du président Thomas Jefferson qui avait déclaré :
« Une petite rébellion de temps en temps est une bonne chose. (…) C’est un remède nécessaire à la bonne santé d’un gouvernement. (...) Dieu fasse qu’il ne se passe jamais vingt ans sans une petite révolte de ce genre. (…) L’arbre de la Liberté doit être arrosé de temps en temps du sang des patriotes ou de celui des tyrans. C’est sa nature profonde. » (Cité par Howard Zinn, Une histoire populaire des Etas-Unis, 1980).

Mais bien au-delà, ils et elles s’engagèrent dans une lutte quotidienne et permanente, contre le cynisme éhonté de la société capitaliste, lutte que jadis, Karl Marx dans le contexte d’une Allemagne réactionnaire voulait ainsi  :
« Il faut rendre l’oppression réelle plus dure encore en y ajoutant la conscience de l’oppression, et rendre la honte plus honteuse encore, en la livrant à la publicité. Il faut représenter chaque sphère de la société allemande comme la partie honteuse* de la société allemande ; et ces conditions sociales pétrifiées, il faut les forcer à danser, en leur faisant entendre leur propre mélodie ! Il faut apprendre au peuple à avoir peur* de lui-même, afin de lui donner du courage*. » (Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1844). [* en français dans le texte].



NOTES



[1] Dans les deux premiers cas, l’US Army est à l’origine des, ou associé aux programmes de recherche, et est en partie responsable du mouvement contre-culturel insurgé contre la guerre du Vietnam, outre son programme concernant les expérimentations du LSD, ayant donné naissance au mouvement psychédélique.

[2] 1969, c’est également l’année de la manifestation de 500.000 personnes à Washington contre la guerre du Vietnam, et l’émeute de Stonewall qui marque le début du combat pour les droits des homosexuels.

[3] The New York Times, 22 avril 1973, Haight Street : Six Blocks In Search of a New Identity.

[4]130 millions Américains en 1940, 165 millions en 1955, 192 millions en 1964 ; le nombre d’enfants nés entre 1946 et 1964 s’élève à 76,4 millions : la pilule contraceptive mise en vente dès 1960 devait ralentir cette foudroyante démographie.

[5] Dans un autre registre, les militants du Black Power annonçaient de même : « We are from 25 to 30 million strong, and we are armed... » (Poster intitulé Warning to America, du Black Panther Party, de Emory Douglas, 1970).

[6] Le yippie – renégat yuppie- Jerry Rubin attribue l’échec du Mouvement aux courants féministes qui avaient déserté les rangs de la New Left pour prendre leur indépendance et ainsi contribuer à son explosion ; mais il faisait son auto-critique en affirmant qu’il, et la majorité des gauchistes mâles, n’avaient pas pris la mesure de leurs revendications : « We were as chauvinistic as the society itself, radicals as far as Vietnam and blacks were concerned, but imitation John Waynes in our personal lives. Without women, the movement was over. » (Growing Up at Thirty Seven, 1976).

[7] Plusieurs hypothèses ont été émises par des journalistes de l’époque dont celle, pertinente, que les autorités auraient délibérément laissé se développer les trafics des dealers au sein des campus et des enclaves hip ; d’autres affirmaient que des policiers à New York ou Los Angeles pratiquaient le trafic de stupéfiants dans les ghettos.

[8] Que l’on nommait Fragging, meurtre commis à la grenade à fragmentation lors d’affrontements, laissant ainsi croire à un tir ennemi ou une erreur.


[9] Lefebvre répondait ici aux critiques d’intellectuels le rendant responsable des ‘récupérations’ de ses thèses et propositions, dont son Droit à la ville.


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