Architecte Jacques Ferrier
Contre le projet du second aéroport (!) de Nantes, les arguments, les preuves accumulés par ses opposants interrogent les plus fervents partisans du bien commun, de sa nécessité, du bien-fondé de son utilité publique économique ; leurs conclusions mettent en grand défaut la pertinence des propos des politiciens favorables au projet, soulignent les erreurs, omissions, occultations et autres fantaisies des études prévisionnelles faites à la fois par les techno-ingénieurs de l'Etat et plus encore de la multinationale Vinci. Grossièrement, selon leur propre contre-expertise confiée à un société "neutre" et reconnue internationalement, le second aéroport de Nantes serait un gouffre financier - payé par les contribuables de France - dont les bénéfices attendus - la contre-étude démontre que cet aéroport serait en déficit structurel, donc à nouveau à la charge des contribuables - profiteraient à une société privée. Sans doute, la vérité doit se situer dans l'entre deux. Mais procéder de la sorte, en ces temps de contre-information, est la première erreur stratégique du couple Etat-Vinci, qui en fait, les accumulent, dont notamment le temps et l'espace "offerts" aux opposants.
Le temps joue en défaveur de Vinci : les quelques exploitants agricoles et les habitants des villages isolés ont su s'organiser en associations de défense, qui ont tissé des liens avec d'autres et disposent, à présent, de l'aide effective d'une cinquantaine d'organisations nationale et européenne - syndicats, partis politiques, associations diverses et variées, avec le soutien en prime de personnalités du monde médiatique, et des réseaux "alternatifs", "subversifs" qui se font écho de leur lutte. Ainsi la lutte locale-rurale d'antan s'est transformée progressivement en lutte citoyenne-européenne dépassant les frontières de l'hexagone ; certes, non sans difficultés, car si l'objectif est commun, nombre de discordes se dresse encore quant aux moyens, aux méthodes, à la stratégie et aux tactiques à déployer - bataille juridique, pacifique ou son contraire - ; peu de liens entre ex-maoïstes de la mouvance Paysans-Travailleurs et agriculteurs pratiquant la culture intensive et les barils de pesticides, et ceux militants de La Confédération Paysanne, par exemple ; mais avec le temps, les divergences entre les uns et les autres s'estompent, et quasi disparaissent provisoirement lorsque l'Etat lance une grande opération dite de nettoyage du territoire : ce type d'opération militaire renforce leur détermination et cohésion, plus que jamais, et scelle des alliances inattendues.
Cabane d'accueil et de rencontres
L'erreur est tout aussi grave et magistrale, de laisser en friche l'espace, le terrain de la lutte, c'est-à-dire de laisser abandonner les terres agricoles et les fermes, propriétés acquises par Vinci : c'est un appel à leur occupation, au squat rural. Car les terres libres de Notre Dame des Landes attirent, aimantent, jeunes et plus âgés qui refusent et tentent de résister à "Vinci et son monde", et ont décidé de venir s'y établir librement, tout du moins avec le bon vouloir ou l'autorisation, souvent, des paysans, provisoirement, pour un temps, ou bien, ad vita eternam : soit les zadistes, la troisième composante des groupes coalisés d'opposition.
Le premier ministre, Manuels Valls, assure qu'il ne cédera jamais aux "intimidations" d'une minorité "d'individus ultraviolents" ou bien d'"opposants radicalisés". Loin d'être ceci ou cela, le "groupe" des zadistes n'est pas uniforme, homogène, au contraire même, différentes mouvances co-résistent et co-habitent dans le bocage, hétérogénéité qui s'exprime par la multitude de campements, près d'une centaine, disséminés regroupant les zadistes selon leur affinité, ou par communautés d'identiques, et l'éventail des groupements est plus que large : des "blackblocks" pratiquant la guérilla rurale, jusqu'aux communautés hippies plus pacifiques, pratiquant eux la pioche pour leur potager, en passant par les libertaires punk, et un nouveau type que l'on peut nommer hippunk, mélange improbable des deux ; pour les plus nombreux, ceux et celles ayant décidé de s'installer ici pour à la fois opposer une résistance, pacifique ou plus agressive, et tenter de reprendre les activités agricoles d'une ferme ou d'un champ abandonnés, avec souvent, selon, l'appui des paysans ; et enfin, une cohorte de visiteurs étrangers, curieux, solidaires ou bien venant ici s'instruire de l'expérience NDDL. Le premier ministre a raison, il y a bien effectivement une "minorité d'individus ultraviolents" - y compris paysans défendant leurs terres coûte que coûte - et une majorité bien plus pacifique, mais décidée à opposer une résistance non-violente vigoureuse, en fait, plus symbolique que réellement efficace contre les robocops de la gendarmerie.
Les paysans n'hésitent pas à comparer cette venue avec la lutte historique et victorieuse du Larzac et des cohortes de hippies s'y installant. Là aussi, avec des difficultés de toutes sortes, mais les paysans du bocage breton savent pertinemment que leur lutte doit dépasser les clivages idéologique, politique, et, comme jadis au Larzac, les accepter en tant que force vive de la résistance et de la médiatisation de leur lutte.
Ainsi, pour les plus optimistes, le projet ne peut plus, aujourd'hui, se faire, les mouvements, organisations et associations alliés à la lutte de NDDL sont en mesure, elles aussi, d'aligner sur le terrain plusieurs milliers de militants ou de sympathisants, des régions voisines ou éloignées ; et, pour les plus pessimistes, si la décision est prise par le gouvernement de faire place nette et de détruire à coups de bulldozers cahutes et potagers de zadistes, fermes, écuries et granges de paysans établis là depuis des générations, le risque est grand d'une bataille acharnée, avec les conséquences dramatiques que l'on imagine, que devra porter l'Etat. Les photographies de cet automne 2015, d'une route stratégique "défendue" par les opposants traversant le territoire laissent songeur :
Notre Dame des Landes, belle expérience de lutte éco-citoyenne, notamment par sa capacité à créer et forger des alliances entre groupes généralement antagonistes, et, il faut le souligner, intergénérationnels ; une lutte déclarée apolitique, même si les zadistes affirment haut et fort sur leur site internet être "anti-capitalistes". Rien n'est moins sûr, au contraire même. Les zadistes, peut-être dans leur plus grande majorité, ne sont pas seulement ici pour défendre les terres paysannes, l'écologie du bocage breton, résister au "monde de Vinci", ils ne désirent pas autre chose que l'autonomie, c'est-à-dire un coin de terre pour y planter éco-habitations et légumes bio : pas de projet de société, pas d'utopie non plus, mais les mêmes méthodes de jadis, ayant prouvé leurs limites. Vinci leur a offert une occasion unique d'occuper sans difficulté des terres, l'Etat, le temps nécessaire à leur installation,et ils entendent aujourd'hui défendre leur "monde", qui n'est pas si éloigné de celui de la multinationale, celui d'un post-capitalisme libertaire qui est né et s'est nourri des préceptes de certains courants de l'anarchie - un ordre sans Etat régulateur où règne l'individualisme conjugué au pluriel. Cette micro-société autonome zadiste n'est en fait, que le négatif d'une zone pavillonnaire de banlieue, même attitude haineuse si l'étranger ne porte pas les signes d'une même tribu, du même clan, même logique de l'habitat et du sens de la propriété, même solidarité de fait, sans grande intelligence, et, même pourcentage de crétin-e-s [que l'on suppose à NDDL fort élevé]. Heureusement, les paysans, ici, nous rassurent par leur intelligence, bienveillance, sollicitude et accueil bon enfant qui fait tant défaut aux zadistes, au-delà de personnalités extra-ordinaires faisant exception à la règle.
Nous avons pointé les erreurs stratégique et militaire du couple Etat-Vinci, mais, sa principale arme autant défensive qu'offensive est dangereuse : les informations divulguées par les médias alliés, que l'on peut qualifier de fausses, erronées, grossières, déformant les faits et la réalité, exagérant les erreurs ou les actions de certains, etc. Cette force de frappe est selon les opposants, d'une incroyable efficacité ; suggérons-leur d'écrire l'histoire de la lutte de Notre Dame des Landes, de la diffuser, et, suivant l'exemple du Chiapas, de médiatiser autrement qu'aujourd'hui leur lutte, quotidiennement, et enfin, de "montrer", de rapporter qu'ici, même si tout n'est pas parfait, de belles réalisations voient le jour, telle cette ferme acquise par Vinci et sauvée de la démolition par, non pas des zadistes enragés, mais des paysans.
Une ferme abandonnée reprise, défendue par les paysans, puis laissée à des zadistes
La seule habitation que nous avons pu photographier, en fait, avec maintes difficultés d'ailleurs, dans un degré de méfiance à ce point exagéré que je fus suspecté d'être un agent de la DGSE [!] [comprenez maintenant le degré de crétinerie que nous avons évoqué plus haut]. Dommage.
yul akors
Automne 2015
Notre Dame des Landes
Heureusement que vous êtes encore là !
RépondreSupprimerJe vous remercie pour avoir remis ce mouvement dans une perspective politique et marxiste
Bien à vous
C'est le mouvement du bon sens. Chaque autre qualificatif peut jouer en sa défaveur, ne l'oubliez pas. Il faut rassembler le plus de monde possible, pas que les marxistes... La cause est belle, elle est avant tout écologique et salutaire.
SupprimerOn peut comprendre la méfiance à l'égard d'un "intrus" prenant des photographies surtout si ces dernières sont destinées à être diffusées sur un internet - même sur votre blog - c'est très frustrant, et j'ai déjà été confronté à ce genre de malentendus lors de ballades dans les squats et campements "illégaux". On a beau apprécié le DIY, les cabanes et les légumes... si on n'est pas du clan, on reste persona non grata !
RépondreSupprimerEn tous les cas, ce reportage fait du bien, les photos sont top et non à l'aéroport !
Bonjour,
RépondreSupprimerSi le sujet vous intéresse je vous invite a consulter ces liens ou même à vous rendre sur place, car étant donné le complexité du sujet cet article me semble incomplet et fortement orienté.
https://constellations.boum.org
http://zad.nadir.org
Bien à vous
Nous avons été sur place (cf photos)...
SupprimerBonjour,
SupprimerLe commentaire ne vous été pas adressé directement. Je me suis également rendu sur place avec les paysans. Je pense qu'une conclusion portant sur la convergence des luttes et la cohésion paysans/zadiste aurait été préférable (d'autant qu'ils parlent "d'avenir commun une fois le projet d'aéroport enterré"). Je me permet juste élargir le débat…
Merci pour cet article au demeurant