Du Socialisme au Capitalisme :
Le cas de Phnom Penh
Au Cambodge, en 2012, près de 70 % de la population subsiste avec moins de 2 dollars par jour, un enfant de moins de 5 ans sur trois souffre d’insuffisance pondérale. Un des pays les plus pauvres de la planète ; et pourtant, le pays est riche en ressources naturelles : bois, pétrole, minerais ; mais le niveau exceptionnel de corruption permet aux dirigeants politiques d'exploiter les ressources naturelles du pays, par l'octroi de concessions, dans leur intérêt personnel, afin de consolider leur propre pouvoir. Au Cambodge, le passage d'une économie socialiste [1979-1989] au capitalisme a détruit les liens de solidarité, divisé les classes, et certains cambodgiens constatent aujourd'hui avec amertume les mirages du libéralisme, et se souviennent des temps ô combien difficiles mais plus heureux du communisme.
Le Cambodge n'a rien à envier à la Chine, qui fait souvent la une des quotidiens occidentaux : les atteintes, les violations des Droits de l’homme sont tout aussi violentes et quasi-quotidiennes, et notamment lors des expulsions forcées des villages et des habitants des centre-villes, là où doivent s'ériger centres commerciaux et buildings. Pourtant, les bailleurs de fonds, l’aide internationale, dont la Commission Européenne et la France, continuent d'apporter un soutien financier conséquent. Tandis que l'intervention des grandes ONG internationales cautionne les méthodes inhumaines de responsables politiques en charge de l'aménagement du territoire et des villes.
Du COMMUNISME au CAPITALISME
Le « socialisme de marché » annonce la libéralisation économique de la Chine, bientôt repris en 1984 par le Vietnam, puis l’URSS entraînant celle de tous les régimes d’Europe de l’Est, et sa chute en 1989. Le Cambodge, dépendant financièrement des pays « frères » ne peut qu'engager à son tour la reconversion de son économie, sous l'égide de la World Bank, en contrepartie d'aides financières et du retour à la Démocratie. En guise de transition, le pays sera co-administré entre 1991 et 1993, par l’APRONUC (Administration Provisoire des Nations Unies pour le Cambodge), chargée d’organiser les élections démocratiques de 1993.
La
première incidence fera date dans l'histoire de la capitale Phnom
Penh : en quelques semaines, viennent s'y établir, 893 observateurs
de l’armée, 3.500 policiers civils, 1.149 fonctionnaires civiles,
465 volontaires des Nations Unies, 4.830 personnels locaux et
internationaux, et 15.547 militaires en poste dans les campagnes mais
bénéficiant de nombreuses et longues permissions en ville. Les
militaires et civils rattachés aux organismes onusiens furent en
majorité affectés au quartier général de l’APRONUC à Phnom
Penh. Il faut encore ajouter, un nombre inconnu d'étrangers des
organisations non gouvernementales, et celui plus restreint de
représentations diplomatiques du monde entier ; et enfin, les
premiers investisseurs de la diaspora khmère ou chinoise, et autres
promoteurs étrangers (thaïlandais, singapourien, français…).
Les
625.000 habitants cambodgiens de Phnom Penh [re]-découvrent une
« clientèle » richissime – disparue dans les camps de
Pol Pot -, au pouvoir d'achat sans commune mesure, dans une ville –
un pays même – ne disposant quasiment pas d'infrastructures pour
les loger, les distraire et, d'une manière générale, pour faire
face à leurs demandes de consommation. Des demandes qui bouleversent
littéralement le quotidien des cambodgiens ; et qui vont progressivement
métamorphoser l’organisation territoriale, reconfigurer la capitale,
et transformer le marché du logement, par les mécanismes propres au capitalisme : spéculations foncière et immobilière, ghettorisation, favorisées par la corruption. La libéralisation et l’internationalisation des échanges ainsi que les exigences fixées par le marché exhortèrent des mécanismes de valorisation du bâti et du foncier urbain. Ils s’illustrèrent par des projets immobiliers d’ampleur mais aussi par des initiatives individuelles de rentabilisation du patrimoine. La promesse d’une « pacification » du climat politique national incita les investisseurs étrangers ou nationaux mais aussi les simples particuliers à tirer bénéfices de ce contexte propice.
Entre 1989 et 1993, les prix des terrains et des appartements avaient quadruplé. Les
appartements et villas furent réaménagés en chambres ou studios
équipés et loués entre 2500 et 5000$ par mois. Ce nouveau marché
constitua une opportunité réelle pour une catégorie d’ayants
droit avertis de convertir leur bien en source de revenus alors que
le salaire moyen d’un fonctionnaire n’excédait pas 10$ en 1992.
Adeline Carrier juge que « cette arrivée massive d’étrangers requit la mise en place de structures d’hébergement haut de gamme dans un secteur hôtelier alors exsangue. C’est dans ce contexte que l’hôtel cinq étoiles Cambodiana racheté par un promoteur khmer de Hong Kong en 1988, fut transféré aux mains d’ACCOR en partenariat avec SOFITEL en 1991.»
La
seconde incidence est tout aussi traumatisante car cette opération
gérée par l’ONU, avec un coût estimé à deux milliards de
dollars, a engendré une forte immigration sur Phnom Penh : une masse de ruraux, dans l'espoir
d'y faire fortune, déserta leurs champs pour venir s'y
installer. De même les réfugiés des camps de Thaïlande, et
notamment les nombreux adolescents orphelins, la démobilisation des
militaires, et le danger des terres minées renforceront l’exode
rural. Ils répondent également à l'essor de deux secteurs clés de
l’économie nationale : le tourisme et l’industrie de la
confection et des textiles, et à sa demande d'une main-d'oeuvre non
qualifiée, le plus souvent réservée aux femmes. Les hommes,
peuvent obtenir un emploi dans les premiers grands chantiers de construction
– routes, digues, équipements, etc -, financés par l'ONU. La
prostitution réapparaît, et le sida s'installe dans un pays
jusqu'alors préservé, ainsi que les nouveaux réseaux de la
criminalité. De jeunes orphelins s'adonnent dans les rues de Phnom Penh au ya baa et à la glue-drug, drogue bon marché et terriblement efficace.
Photo | Zann Huizhen HUANG © | 2005
La
conséquence est le développement exceptionnel des bidonvilles et des taudis dans
la ville même, dans les lieux considérés dangereux – en zones
inondables, par exemple -, ou encore libres – les toitures
terrasses, les parcs et jardins publics, etc. - et en proche
périphérie ; de même, du développement des phénomènes de
sur-population dans les immeubles et villas des quartiers populaires
de la capitale. Ainsi et en rappel du mode d’extension spontané de
Phnom Penh dans les années 1970, l’usage temporaire de l’espace
a constitué dès le début des années 1980 la principale
alternative à l’établissement résidentiel en ville. Les
interstices du bâti et du foncier, les terre-pleins et trottoirs,
pouvaient être cédés sous la forme d’un usufruit impliquant
plusieurs niveaux de cautions. En somme, l’espace vacant
constituait une réserve, un fond aliénable par principe, sans
limites explicites d’usage et régi par impératifs financiers
(paiement d’un loyer).
De même, l'occupation des toitures terrasses ne sont pas toutes des occupations informelles, habitées par les pauvres. Certains propriétaires
vendent la superficie de leur
toit-terrasse, pour des sommes importantes. C’est le lieu où certains spéculateurs exercent leurs
talents : un lot situé près du Marché Central, acheté 200 ou 300
USD/m2 et bâti se revendrait 500 à 600 USD/m2
quelques jours après. Ces toits ont une valeur spéculative car ils
répondent à une demande, voire à une pression de la demande. Cette
occupation des toits est un processus de densification urbaine.
Les ONG internationales joueront parfaitement leur rôle de gérer au
mieux la pauvreté créée justement par la World Bank, chargée d'ouvrir le pays au capitalisme mondial,
d'en faire un nouvel Eldorado pour les investisseurs étrangers mais
aussi pour les élites de la classe politique et administrative indigène « locale », incorporées dans la logique
néo-colonialiste. Ils seront en effet, les premiers à s'enrichir
: la détention du capital politique octroie dans une mécanique
implacable, l’accumulation du capital économique.
La corruption nationale, sport de combat dans l'Asie entière, qui
était déjà à l'oeuvre dans le Cambodge socialiste va prendre une
nouvelle dimension internationale, et paradisiaque pour les plus
corrompus.
DROITS
DE PROPRIETE
Le
Cambodge socialiste [1979-1989] avait aboli la propriété privée. En 1992, l’État, sous l'égide de l'ONU, procède à une
vaste réforme de privatisation par la délivrance de titres fonciers. Et ce fut, bien évidemment, un véritable chaos juridique, car les stratégies de main-mise des terrains urbains menées par les administrations, l’armée mais aussi les particuliers et les investisseurs attisaient les tensions et saturaient les tribunaux. En 1993, la nouvelle constitution promulgue l’abandon de l’économie socialiste, l’adoption de l’économie de marché et la réinstauration du droit de propriété privée. Cette privatisation profita en premier lieu aux élites de la nation qui ne manquèrent pas d'acquérir, dans une lutte sans merci, les terrains à haute valeur vénale. Elle engendra naturellement les phénomènes de corruption qui sont encore aujourd'hui en vigueur. Du
fait de l’inefficacité de la législation de 1992, l’État
cambodgien, avec l’aide de la communauté internationale, vota une nouvelle réforme en 2001. D’après la loi foncière, toute personne qui
jouit pacifiquement et incontestablement de la possession d’un
terrain – sauf si il s’agit d’un terrain public – pour au
moins cinq années précédant la promulgation de la loi a le droit
de réclamer un titre définitif de propriété. Ceux qui ont joui
d’une telle possession pour moins de cinq années peuvent obtenir
un titre de propriété définitif après ce terme.» La loi donnait en outre, la possibilité pour l’État
de louer les terrains privés d’État via des concessions
foncières économiques (CFE) pour une période maximale de 99 ans.
Une disposition devant permettre aux
populations d’acquérir les terres vacantes, qui bénéficia surtout les entreprises privées étrangères alliées, le plus souvent par nécessité, à
d’importantes figures économiques ou politiques du pays, contournant par la même occasion la limite de 10 000 hectares d’une
concession en achetant des terrains adjacents par le biais de
différentes sociétés. Ainsi selon T.
Cruz-del Rosario « la dominance de l’élite politique
cambodgienne facilita le contournement de la loi foncière de 2001.
Dans de nombreux cas, la manipulation des définitions légales et
les procédures de la commission du cadastre contribua à
l’augmentation de l’accaparement foncier, au sein du réseau des
élites. » [Cambodia’s Land Reform and Boeung Kak Lake: Institutions, Politics, and Development]
De même, le coût du certificat d’immatriculation
(en 2004, 10 USD/m² pour les bâtiments existants et de 4 USD/m²
pour les terrains nus) n'incita guère les cambodgiens à faire demande. Par exemple, pour un logement d'une superficie de 50 m², le certificat de propriété coûte 500 USD, c'est-à-dire 2
à 3 mois de revenus d’une famille moyenne à Phnom Penh ou encore
0,5 % à 1 % de la valeur immobilière de l’appartement. Le coût
du titre de propriété est encore plus coûteux (authentification et
enregistrement de la propriété). En ayant à l'esprit que le revenu mensuel de la plus grande partie de la population se fixe entre 50 et 60 USD.
GHETTORISATION ONUSIENNE
Dans
un premier temps, le processus d’installation pour les activités
et fonctions internationales s'effectue sur le parc immobilier
existant, en attendant pour certains la construction de nouveaux
locaux, villas ou ambassades. Réglementairement cantonné à
quelques rares hôtels jusqu’en 1989, l’accueil des
fonctionnaires étrangers bénéficie alors de l’ouverture du
marché locatif ; celle-ci concerne principalement les villas,
regroupées dans des quartiers résidentiels proches du centre-ville
; qu’il s’agisse des villas coloniales, de l'ancien quartier
résidentiel et administratif européen du Protectorat français, ou
des villas de style moderne construites, après l’accession du
Cambodge à l’indépendance, autour des nouveaux pôles urbains.
L’installation
de ces organismes porteurs de fonctions internationales, ainsi que
des équipements liés à leur présence (restaurants, équipements
hôtelier, etc.) s’opère dans un contexte fortement spéculatif
dans lequel les contraintes liées aux opportunités foncières et
immobilières priment sur la logique du regroupement fonctionnel.
Ainsi, on constate une relative tendance au regroupement des
représentations diplomatiques au sud de la ville, à proximité du
palais de Chamcarmon – non sans quelques exceptions notables
toutefois, en particulier l’ambassade de France, ou la nouvelle
ambassade des Etats-Unis au nord. La mise sur le marché de biens immobiliers convertibles en hôtels, appartements et restaurants fut à l’origine des premières mobilisations d’envergure autour de la « sécurisation » du statut foncier ou immobilier. Le secteur hôtelier destiné à pourvoir en logements de luxe une clientèle internationale connut un essor conséquent.
Ces
quartiers étaient déjà investis par l'habitat informel : des
paillotes confortables pour les plus anciennes, ayant fait l'objet
d'une autorisation officielle ou d’une caution administrative de la
part de la municipalité socialiste, s'intégraient au paysage et
venaient par endroits égayer ces quartiers de villas cossues ; les
plus récentes, construites sans autorisation, avaient cette fâcheuse
tendance de troubler la quiétude, ou l'ordre moral, des riches
expatriés, peu habitués il est vrai, à voir contre les murs de
leurs villas, vivre des familles entières. Les premières
expulsions débutèrent alors, demande faite des riches
néo-colonisateurs ; elles se poursuivent encore aujourd'hui, en
2012, encadrées, comme toujours, par les ONG, un des instruments
disciplinés de l'ONU. Adeline Carrier estime que :
« Le démantèlement
des habitations construites dans l’ancienne enceinte du « bloc
casino » devenue la propriété de l’hôtel Cambodiana fut une des
premières grandes opérations d’expulsion menée par la
municipalité sous l’oeil attentif de l’autorité onusienne [Dans
ce cas précis, la police civile de l’APRONUC et les fonctionnaires
des droits de l’homme assistèrent àla procédure d’expulsion.].
Bien que l’intérêt public ne fut pas avéré, la présence des
constructions précaires à proximité d’un des hôtels de luxe
posait indirectement la question de la lisibilité de l’action de
politique. Dès lors et sous la prescription de la loi foncière de
1992, la municipalité fit valoir ses droits de collectivité
publique et se constitua propriétaire du terrain. L’APRONUC
intervint afin de résoudre pacifiquement l'éviction de la
population en réclamant une alternative de relogement ou
d’indemnisation financière. Au terme de plusieurs ajournements,
les autorités municipales annoncèrent publiquement en août 1992
l’ordre d’éviction tout en incitant la population à partir
volontairement du site. La police locale ceintura la zone afin
d’éviter l’arrivée de nouveaux « colons ». Le 24 août, plus
de 200 constructions furent démantelées par les habitants eux-mêmes
ou par les agents de la municipalité.
Conformément à son mandat,
l’ONU s’assura qu’aucun acte de violence ne fut perpétré lors
de l’éviction (abus d’autorité, actes d’intimidation). La
procédure d’expulsion fut néanmoins plus clémente envers les «
anciens » occupants installés sur le site au début des années
1980. Les autorités procédaient alors à une « enquête
d’ancienneté » pour différencier les ayants droit d’un usage
résidentiel et les nouveaux « colons ». Cette identification se
fondait sur la légitimité de l’usage et sur le principe de
préemption. En effet, certains occupants, anciens employés de
l’usine de tabac MKT ou du département agricole du Comité
populaire bénéficiaient d’une certification officielle pouvant
aboutir, en théorie, à une négociation avec les autorités sous la
forme d’une attribution de terrain ou d’une compensation
financière. Une indemnisation pour les évictions d’utilité
publique était prévue pour les possessions avérées. Encore
fallait-il prouver la légitimité d’une possession. Se situait ici
toute l’ambivalence du processus de régularisation des droits du
sol. Il s’agissait de convertir les « acquis » des usages
antérieurs en droits réels ou en alternatives. Si certaines
appropriations étaient invariablement placées dans l’illégalité
(occupations récentes ou établies sans accord préalable des
autorités), elles demeuraient minoritaires au regard de la
proportion du statut infra-légal des usages légitimés par le
réseau officiel.
Les procédures de
dédommagement financier pouvaient le cas échéant être à
l’initiative directe du bailleur. Ainsi, afin d’achever la
construction de l’ambassade de Thaïlande située dans le quartier
du Tonlé Bâssak, une indemnité de 900$ fut allouée aux unités
familiales installées sur le terre-plein. Par l’intermédiaire de
projets administrés par des organisations non gouvernementales et
les Nations-Unies, la municipalité de Phnom Penh attribua des
terrains pour les opérations de relogement des réfugiés, des
expulsés et des migrants.
Cette alternative
intervenait alors que certains réfugiés venaient engorger les zones
d’habitat spontané constituées au début des années 1980. Quatre
sites furent désignés par la municipalité. Le problème majeur
résidait dans l’identification de la tenure des terrains attribués
afin de limiter la surimposition des statuts. Situés au-delà des
digues périphériques à une quinzaine de kilomètres du
centre-ville, ces terrains sans infrastructures d’accueil ni
équipements appropriés et éloignés des centres économiques
n’apportaient pas de solutions concrètes à la question du
relogement de ces populations. De plus, ces mesures n’étaient pas
toujours synonymes d’accès à la propriété. Nombre des
bénéficiaires de ces programmes s’établirent à nouveau dans les
zones d’habitats spontanés du centre-ville de la capitale. »
INVESTISSEURS
Les
procédures d'expulsions forcées vont bientôt apparaître comme une
pratique courante pour les cambodgiens enrichis, par la corruption
active de fonctionnaires, de politiciens ou de policiers selon le
degré d'évacuation souhaitée. Par
contre les occupations bénéficiant d’une autorisation officielle
ou d’une caution administrative pouvaient faire l’objet d’une
médiation. Il s’agissait pour le législateur de trouver une
alternative : compensations financières ou foncières (attribution
d’une parcelle). Néanmoins ces « dédommagements » n’étaient
pas systématiques. Au regard des réquisitions étudiées, les
spoliations arbitraires suivies de violences n’étaient pas rares.
À la faveur d’un contexte juridique obscur, l’« intérêt
public » revêtait des formes politiques et économiques où la
sauvegarde de prérogatives alimentaient certaines dérives.
Expulsions et parfois confiscations accompagnèrent la gestion au cas
par cas de ces conflits d’appropriation [1].
De
façon indirecte, la dimension politique survenait dans quantité de
conflits. Il était par ailleurs parfois précisé dans les
contres-rendu de procès, l’affiliation politique du plaignant ou
de la partie adverse. En introduisant la propriété, l’État
conduisait par la norme, à une refonte de la répartition des cartes
foncières. En ce sens, la propriété permettait de sécuriser les
patrimoines constitués tout en offrant la possibilité de faire
pression en vue de futures acquisitions. L’égide « impartiale »
des Nations-Unies constituait bien malgré elle une caution du
déroulement en règle des mécanismes de privatisation. En charge
d’assurer les conditions requises à l’établissement d’un État
de droits, l’autorité onusienne se trouvait limitée dans son
action. Les autorités s’évertuaient à contourner la loi ou à se
jouer de ses faiblesses afin de restreinte le champ d’intervention
de l’APRONUC dans l’administration des conflits liés aux
intérêts politiques.
1993
À
l’issue des élections de 1993 placées sous l’égide des
Nations-Unies, la proclamation de la Constitution du Cambodge ratifia
le droit de propriété privée. La « voie de la démocratie » sur
laquelle s’était engagé le pays après le retrait des forces
onusiennes se profila par une rupture significative avec le régime
transitionnel de l’État du Cambodge. De l’économie placée sous
la direction de l’État en 1989 à l’économie de marché en
1993, cette réorientation offrit un cadre légal aux dynamiques
foncières existantes. Intégrés aux logiques marchandes, les
transactions sur les terrains devenaient par principe plus souples
que les conditions d’échanges établies en 1992. Outre le fait de
réaffirmer le droit de propriété privée aux citoyens cambodgiens,
la Constitution introduit le droit de propriété foncière
sous-entendu sur l’ensemble des catégories de biens quelque soient
leurs destinations. Adeline Carrier ajoute que :
Vient s’ajouter à la
crise foncière actuelle, la flambée des prix des terrains de la
capitale. Les cartes de la spéculation foncière sont
particulièrement concentrées sur les terrains urbains.
L’introduction du régime de propriété a favorisé la venue de
sociétés immobilières étrangères, de particuliers d’origine
cambodgienne pouvant légalement accéder à la propriété et ayant
les ressources financières de le faire. L’arrivée de ces
investisseurs a eu pour conséquence directe de faire augmenter les
prix des terrains urbains, excluant de fait une catégorie une
population à la faible capacité d’épargne. La confrontation
entre l’usage et la réglementation se trouve exacerbée au contact
des projets de « mise aux normes » urbaine. La réhabilitation des
quartiers, l’aménagement des infrastructures et des équipements
urbains ainsi que l’anticipation de la sécurisation des droits du
sol lors de projets immobiliers exacerbent les réalités d’un
régime d’occupation du sol inégal et précaire. La position des
pouvoirs publics en matière de gestion du foncier urbain est des
plus ambivalentes. Si d’un côté certains signes forts vont en
faveur de la normalisation du régime de propriété et de
l’intervention de nouveaux outils institutionnels, l’action
effective des administrations ne va pas toujours dans le sens d’une
résolution de la crise foncière. Le manque de lisibilité de
l’intervention politique associé au climat d’impunité et de
passe-droit témoigne d’un positionnement pluriel des autorités
entre un discours prônant une pacification autour du consensus «
propriété » et des actions antagonistes qui se jouent sur
l’ensemble du territoire national.
Tout au long de la décennie 1990, la pénurie de logements à Phnom
Penh, oblige les nouveaux migrants à occuper illégalement les
terrains vacants, comme de coutume. Les autorités municipales
procédaient régulièrement à leur destruction et expulsaient leurs
habitants sans indemnités lorsque le terrain occupé devait être
libéré pour la réalisation d’infrastructures, de travaux
d’embellissement, pour rendre un terrain à sa vocation première
(pagode, ambassade…) ou pour attribuer un terrain à un
investisseur. Le plus généralement, l'expulsion forcée consistait
à emmener en camions les squatters en lointaine périphérie, où
ils étaient autorisés à s'installer ; la plupart, bien entendu,
revenaient aussitôt. Une méthode déjà expérimentée par les
militaires argentins lors de la dictature de Videla, lorsqu'il
s'agissait de déloger les habitants des bidonvilles de Buenos Aires.
En 1993, les ONG occupèrent les terrains de la pauvreté urbaine et rurale, dont CARE, PADEK (Partnership for Development in Kampuchea) et ACHR (Asian Coalition for Housing Rights), SUPF, UPDF, URC, USG, HHI, HRTF, CLEP/PILAP, LICADHO, COHRE, AMADE, OXFAM, CSARO, HI-ANS, CARITAS, Mékong Watch, etc., Le résultat le plus probant de leurs efforts, alors que les expulsions se poursuivaient à un rythme soutenu, aura été de faire admettre aux plus hautes autorités, la notion de communauté de pauvres préférable à celle de squatter.
La multiplication, la fréquence et la violence des
expulsions forcées, allaient cependant susciter l'indignation de l'opinion
internationale, dénoncées par les ONG comme une violation des Droits de
l’Homme. Une campagne de sensibilisation menée par les ONG
internationales, constitua un sérieux avertissement au gouvernement,
et une réputation nuisible pour l'obtention des précieux
financements internationaux. Qui contraint le Premier ministre de
faire amende honorable, et une promesse officielle – jamais tenue –
d'arrêter autant que possible les évictions forcées, et de
procéder automatiquement à des dédommagements (financier,
relogement). Demande d’assistance technique sera officiellement
faite auprès du PNUD et de UN-Habitat (soutenue par des consultants
français), de réfléchir à des alternatives. Ces organisations
financeront des études sur l’habitat des quartiers pauvres de
Phnom Penh, organiseront des programmes d’épargne populaire et
inciteront les habitants à créer un réseau d’associations
locales et de fédérations de communautés de pauvres (selon
la terminologie officielle) ; tandis que les évictions continuaient,
sans contrepartie, ni négociations, malgré les promesses à nouveau proclamées par le gouvernement, et la mise en place d'un Plan National contre la pauvreté.
Saisissant
l'influence et la portée médiatique des ONG, la municipalité de
Phnom Penh procéda, en 1995, à quelques rares et timides opérations
– ultra-médiatisées par les uns et les autres - de
réhabilitation et d’amélioration des conditions de vie dans les
quartiers d'habitat informel les mieux « constitués ». À
partir de 1998, ces mêmes ONG, seront savamment utilisées
par le gouvernement afin de valider leur politique d'évacuation et
de déplacement des plus pauvres habitants de la capitale – et des
plus indésirables géographiquement -, par des opérations soit
disant concertées, dans des lotissements en lointaine périphérie.
La municipalité offrait généreusement les terrains, les agences
internationales de développement finançaient les infrastructures
tandis que des prêts au logement ont été consentis par un fond de
développement pour les pauvres, créé à cette occasion en
partenariat avec une fédération de communautés de pauvres
et les ONG.
La décharge de Phnom Penh | Photo : Nigel DICKINSON ©
Bien
entendu, ces communautés de pauvres « ong-isées »,
installées plus ou moins confortablement, mais éloignées des
bassins d'emplois comme du centre-ville doivent subvenir à leurs
besoins, c'est-à-dire compter sur la générosité de leurs
protecteurs internationaux, et dans certains cas, sont tributaires –
prisonnières - des ONG.
Des nouveaux villages, tel le village Borey Santepheap II, opération
"concertée" de relogement, en lointaine périphérie,
bâti sur une dalle de béton de la taille de plusieurs champs. Dans
leur alignement, les maisons sont toutes semblables. Le journaliste
John
Gravois écrivait dans un article publié dans The
National en
juillet 2010 :
“Elle
me manque terriblement”, confie une habitante déplacée
à l’évocation de Phnom Penh. Je lui demande s’ils ont envisagé
d’y retourner. “On voudrait bien, répond-elle, mais on ne sait
pas comment trouver un endroit où vivre. En 1990, c’était plus
facile.” Aujourd’hui, son mari et elle n’ont plus les moyens
d’y habiter. Pourtant, elle pense que plus de la moitié des
familles qui ont été relogées avec eux a décidé de reprendre le
chemin de la capitale. De fait, en déambulant dans le village,
presque toutes les maisons sont vides. “Ils sont repartis à Phnom
Penh”, crie une femme en train de laver des choux sous son auvent.
Je m’approche d’elle et, au bout de quelques minutes, son mari
arrive à moto. Comme beaucoup d’hommes de l’endroit, Thol Poe
conduisait une moto-taxi à Phnom Penh. Il essaie de continuer ici,
mais ses affaires ne vont pas fort. Le confort d’une maison à soi
ne suffira pas à le retenir sur place. Y gagner sa vie est trop
pénible et il n’a pas la moindre idée de ce qu’il pourrait
faire pour y parvenir.
En mai 2003, en pleine campagne électorale, le
Premier ministre Hun Sen, satisfait de l'expérience, de la besogne
accomplie, et désirant l'appliquer à une plus grande échelle, fit
la promesse de traiter 100 quartiers irréguliers de communautés
de pauvres, par an. Face à la pénurie de logements sociaux, aux
dangers connus de la pauvreté urbaine – qui peuvent nuire au
développement du tourisme -, aux pressions des organisations
étrangères comme de l'électorat, le gouvernement décida d'un
principe de concession foncière afin de sécuriser les droits
fonciers des foyers les plus vulnérables. Selon Adeline Carrrier :
Un sous-décret adopté en
2003 fixe les conditions d’instauration des concessions foncières
sociales. Il permet un accès à la terre aux populations démunies,
expulsées, déplacées, rapatriées ou migrantes. L’État désigne
au préalable un terrain privé qui sera converti en concession. Un
droit de propriété pour un usage résidentiel ou agricole est
accordé après une occupation continue de plus de cinq ans. Ce droit
ne peut être vendu, loué ou donné avant ce délai sous peine
d’être réattribué. Pour généralement, les concessions sociales
s’inscrivent dans un projet plus vaste du Conseil (programme
LASED). Il se destine, dans un premier temps, à pourvoir en terrains
au moins 10.000 ménages sur l’ensemble du pays tout en promouvant
le développement économique par la création d’emplois,
l’installation d’entreprises etc. Ceci impliquant un partenariat
entre les secteurs privé et public dans la promotion du
développement local.
De
concert – médiatisé - avec les partenaires du « développement »,
les autorités municipales accordent comme seule alternative des
sites de relogement situés en périphérie éloignée de Phnom Penh,
certains proches de villages. D’autres projets pilotes se voient
proposer par des investisseurs privés. De même les ONG construisent
de semblables camps de concentration de pauvreté ou viennent en aide
aux populations déplacées.
Plus
tard, le Premier ministre Hun Sen assura les promoteurs et l'ONU, du
lancement de la rénovation de quatre zones pauvres du centre ville,
par des opérations pilotes de land sharing, land sharing
qui permet, par
l’intermédiaire d’un investisseur, de convertir en droits réels
une occupation informelle de terrains publics. L’idée consiste en
un partage. En échange du financement d’un relogement in situ
de la population, l’investisseur privé peut disposer du
terrain restant : une collaboration étroite entre une population
constituée en communauté et les partenaires publics et privés.
Nouveaux villages de "relogement concerté" loin du centre-ville
Images courtsey of Nicolas Axelrod ©
La
politique s’oriente sur deux options : les programmes de relogement lointain ou de land sharing. Il faut en effet décider de la
réaffectation duale du territoire, et choisir un parti architectural
à la fois plus dense que l’existant et plus avantageux en termes
de niveau de développement. Pour exemple, l’ancienne cité
sportive du stade olympique, connue sous le nom de Borey Keila, a été
cédée par le Ministère des Sports à un promoteur privé en
contrepartie du relogement des 1776 familles du site. Sur les
quatorze hectares initiaux, un tiers est affecté aux nouveaux
logements, tandis que la superficie restante est destinée aux
projets immobiliers de la compagnie, et notamment à des équipements
commerciaux. Financée entièrement par le promoteur, la construction
des appartements selon le modèle du « compartiment », a commencé
en 2004.
Bien
évidemment, ces opérations ne s'appliquent pas pour les quartiers
stratégiques de la capitale, ou certains terrains d'une valeur
vénale importante. De même, si le gouvernement cambodgien accepte
la réhabilitation de certains quartiers informels, la municipalité
rechigne à effectuer leur régularisation administrative, voire
cadastrale. Sans titre de propriété régularisant définitivement
leur statut, document opposable juridiquement, les habitants sont
ainsi toujours à la merci d'une grande opération d'urbanisme, et
ce, même si leur quartier a bénéficié d'une réhabilitation
financée par la Banque mondiale, l'UN-Habitat, une ONG ou une des
nombreuses coopérations mondiales.
LES HÉRITAGES DE
L’IMPUNITÉ
Dans d'autres cas avérés, les promoteurs - privés ou publics - utilisent en toute illégalité l'usage de la force, en incendiant volontairement, par exemple, un bâtiment ou des paillotes. Selon Adeline Carrier :
« La corruption
maintes fois dénoncée par les médias et les observateurs étrangers
enraye le processus d’établissement du régime de propriété
exigeant une garantie impartiale sur la nature du droit délivré.
Les organismes de lutte pour les droits de l’homme ne font
qu’imputer la crise foncière actuelle au réseau administratif
gangrené par un régime de passe-droit. Il s’exerce aussi bien
dans les hautes sphères des institutions qu’aux échelons locaux
des quartiers, de la police et de l’armée. Par ailleurs, la
corrélation entre le maintien d’un régime foncier précaire et
l’intérêt spéculatif justifie certains « ralentissements
volontaires » dans la procédure de régularisation, permettant
l’acquisition de terrains à moindres frais en économisant sur les
indemnisations éventuelles. Ce climat d’impunité est notamment
lisible lors des « expropriations indirectes » lors des incendies
volontaires. Ce traitement expéditif des « occupations
problématiques » a constitué et constitue toujours le mode
d’arbitrage employé pour régler certains conflits d’occupation.
Il est à l’initiative aussi bien de particuliers, d’investisseurs
que d’administrations.
Médiatisé pour l’exemple,
l’incendie en 2001 du « squat » du Building, immeubles collectifs
des années soixante, a précipité le relogement envisagé des 3600
familles, expédiées dans le site périphérique de Anlong Kngan. Au
regard des observateurs indépendants, les nombreuses spéculations
sur l’origine des incendiaires suspectés laissent peu de doute sur
l’objectif premier de cette expulsion indirecte. De source
journalistique, la municipalité planifiait de faire de cet espace
devenu vacant un jardin public. D’autres commentateurs firent le
rapprochement avec un vaste programme immobilier prévu de longues
dates. Il est avéré que ce site exceptionnel et rémunérateur
était l’objet de maintes convoitises. Remonter la filière des
intérêts particuliers (conflits de légitimités) ou spéculatifs
(accélérer la procédure d’expulsion ou de déguerpissement afin
de faciliter l’accès aux promoteurs) n’est pas aisé dans la
mesure où certains représentants de l’État sont souvent à
l’initiative de ces évictions arbitraires. Soustraire un terrain à
ses occupants par la force serait devenu une alternative à
l’acquisition foncière de bonne-foi.
FIÈVRE SPÉCULATIVE
Pour
une période qui s'étend jusqu'à la crise économique de 2008,
le pays connaît une forte spéculation foncière et immobilière qui
se traduit par l'élaboration de nombreux projets urbains privé-publics pharaoniques, la mise en chantier de new towns, de gated communities, de tours de bureaux
et de condominiums hors d’échelle, tant au centre qu’à la
périphérie, destinés à mettre Phnom Penh en concurrence avec les
grandes métropoles des pays voisins. Céline Piardet, analyse ainsi le développement de l'activité urbaine de Phnom Penh :
À
partir de 2001, l’afflux et la diversification des capitaux se
traduisent d’abord spatialement par une modernisation des
infrastructures commerciales. Ainsi,le centre Sorya, inauguré près
du marché central en janvier 2003, est muni d’escalators et de
façades vitrées. Il comprend 40 000 m² de stands
commerciaux répartis sur cinq étages. Les restaurants installés au
dernier étage sous une coupole vitrée offrent une vue panoramique
sur la ville. De nouveaux centres commerciaux de quelques étages
sont ensuite inaugurés près du palais royal et ailleurs dans la
ville-centre, diffusant ainsi des modes de commercialisation plus
proches des standards des pays industrialisés ou des grandes
métropoles voisines. De même, le quartier du Front du Bassac
s’organise désormais autour du nouveau casino Naga et se
transforme en un vaste chantier de construction. Le groupe
malaisien Naga Resorts Casino occupe d’abord le bateau d’une
société singapourienne – Unicentral
Corporation Pte Ltd. –, avant de construire le Naga World Complex,
un casino-hôtel de quinze étages, destiné au tourisme haut de
gamme. Cet hôtel cinq étoiles comprend 508 chambres, un spa et des
commerces de luxe. Le bâtiment d’allure massive, qui jouxte
désormais l’Institut bouddhique et l’Assemblée nationale, a été
dessiné par des cabinets d’architectes d’envergure
internationale. Ce quartier devenu très attractif pour les sociétés
étrangères, attire aussi un okñà comme Theng Bunma, qui y fait
construire un hôtel de luxe. L’ancien hôtel Mi Casa, renommé
Himawari en 2007, et situé face à la confluence, appartient
désormais à une compagnie d’investissement singapourienne –
Global Ariel – créée en 2003. C’est un lieu de villégiature
apprécié des hommes d’affaires, tout comme les autres hôtels de
ce quartier, tous pourvus de piscine, salle de sport, restaurant au
bord du fleuve,mais aussi de salles de conférences ou de travail,
d’appartements spacieux et bien équipés.
L’État
accélère la mutation des activités des arrondissements centraux en
cédant lui aussi des terrains et autres bâtiments à des
investisseurs là où la spéculation foncière est importante. Des
cessions à des compagnies privées ont lieu en toute illégalité,
en contrepartie de la réalisation d’infrastructures publiques. En
effet,selon l’article 15 de la loi sur la propriété immobilière
de 2001 – qui définit le domaine public et le
domaine privé –, le domaine public est inaliénable. Il comprend
les forêts, les rivières, les bords de mer, les services publics,
le patrimoine culturel, historique et archéologique. Malgré ces
dispositions juridiques, le théâtre des années 1960 situé face à
la confluence appartient désormais à l’okñà Kith Meng. De même,
en 2008, l’État cède les bâtiments de l’école des
beaux-arts,situés près du palais royal, à l’okñà Mong
Reththy. Sous prétexte de grande vétusté, ces bâtiments sont très
vite détruits et l’école déménagée en périphérie de Phnom
Penh, sur des terrains à peine remblayés, au profit d’activités
plus lucratives. Ainsi, le manque de moyens de l’État pour
restaurer ou reconstruire les bâtiments dont il est propriétaire,
permet à des okñà de les acquérir à bas prix, puis d’entretenir
la spéculation immobilière. Les activités traditionnelles sont
ainsi déplacées loin de la ville-centre, des bâtiments anciens
sont détruits. Nonobstant le démantèlement de la propriété
publique, l’État cherche à se procurer des fonds dans ce contexte
spéculatif. En effet, selon l’agence immobilière Cambodia
Properties Limited (CPL), le prix du terrain en secteur commercial
passe de 400 à 4 000 US$/m2 entre 2000 et 2008 près des marchés.
En secteur résidentiel, les prix atteignent 2 000US$/m2 en 2008 près
du fleuve. Entre 2004 et fin 2007, le foncier augmente de 50 % à 100
% dans la plupart des quartiers centraux. Cependant, ces prix restent
très attractifs pour les investisseurs par rapport à ceux atteints
dans les quartiers
centraux de Bangkok ou de Ho Chi Minh-Ville, de l’ordre de 10 000
US$/m2 en 2008. Donc en périphérie du centre, outre la présence de
remblais et de réseaux, c’est la proximité des axes routiers et
des marchés qui influence la valeur foncière. L’installation d’un
commerce en rez-de-chaussée donne une plus-value au bâti, mais les
étages sont dès lors moins rentables. Néanmoins, le toit-terrasse
d’un immeuble bien situé dans la ville-centre est toujours très
recherché du fait de la pression foncière. Les prix de l’immobilier
flambent encore plus vite que ceux du foncier. Un compartiment
chinois situé le long des quais se négocie encore 200 000 US$ en
2004. Les tarifs atteignent 600 000 US $ en 2008. Avec la mutation
des activités de la ville-centre, les projets spéculatifs se
multiplient et le tissu urbain se densifie et se verticalise. Ainsi,
en 2008, les premières tours apparaissent le long du grand boulevard
nord-sud, le boulevard Monivong.
Garden City : gated communtiy - new town dans la périphérie de Phnom Penh
Garden City : gated communtiy - new town dans la périphérie de Phnom Penh
Des projets de new towns
émergent depuis 2008 dans les périphéries protégées
des inondations par les grandes digues construites en 1971 sous Lon
Nol, mais non remblayées et dépourvues de réseaux d’évacuation
des eaux usées et pluviales. Ces terres sont alors dévolues aux
cultures maraîchères, aux pâturages et ponctuées de beng à
l’étendue variable selon la saison. Désormais, la new town
Camko City s’étend par remblaiement sur le beng Poung Peai. Ce
projet en joint-venture, coréen à 49 %, doit occuper 120 ha et
accueillir 25 000 habitants à l’horizon 2020. Le projet est porté
par le promoteur World City Co., la société de construction Hanil
E&C, et la banque Camko. Le budget initial est alors réduit de
moitié à moins d’un million US$. D’après le plan masse de
2007, des villas et condominiums sont organisés en arc de cercle
autour de centres commerciaux, d’immeubles de bureaux, d’écoles,
etc. situés au plus près du lac,dont une partie devrait rester en
eau. La première phase est lancée début 2008, peu avant le
ralentissement économique. Elle s’étend sur 9,6 ha et comprend
des villas et six condominiums de 362 unités, dont les appartements
témoin sont visitables à proximité du chantier. Les appartements
des condominiums varient de 113 à 225 m2, pour un prix compris entre
122 192 et 275 000 US$.
Enfin, compte tenu de la pression foncière qui s’exerce ainsi au centre, les lacs– ou beng – qui font office de réceptacles des eaux usées, donc considérés comme des espaces à risques situés à la marge de l’urbain et laissés aux squatters, sont désormais convoités par les investisseurs.
A
Phnom Penh, sous la menace, les petits propriétaires fonciers de la
proche périphérie cèdent leurs terres à des investisseurs privés. Les expulsions forcées et les incendies volontaires se
multiplient, ainsi que les manifestations. Les exemples sont nombreux, comme l'île des Diamants, Koh Pich, évacuée en 2005, d'une centaine de familles
vivant là depuis les années 1980 pour faire place à un complexe immobilier - une "island" gated community - d’une compagnie filiale de la Canadia Bank, qui
a obtenu une concession de 99 ans. La municipalité tente les menaces puis de négocier une indemnisation ridiculement basse, entre 1 à
2 $ le m². Soutenus par le réseau Housing Rights Task Force, certaines familles résistent. En 2006, les familles sont expulsées
pour laisser place au chantier.
Le
nombre des habitants des quartiers informels double entre 1994 et
2003, en proportion de la croissance urbaine, atteignant plus
de 40 000 ménages en 2007 (220 000 personnes), répartis dans plus
de 440 quartiers (hors villages et sites de relocalisation), auxquels
il faut ajouter 35% de locataires, qui louent souvent une chambre
chez l’habitant. Le nombre de quartiers informels a diminué depuis
1999, tandis que, dans le même temps, le nombre de ménages qui y
habitent a continué d’augmenter.
Carte "Habitat informel" Phnom Penh 2002 | Source : A. Carrier
Une étude de 2007, indiquait avec quelques précisions la nature de ces quartiers. La
taille des quartiers est souvent petite. Près de la moitié
comprennent moins de 50 ménages, 85% moins de 200 ménages. Quelques
grands quartiers font 1500 à 4000 ménages. La taille des maisons
est petite, une très large majorité des ménages vit dans moins de
25m2 et nombreux sont ceux qui vivent dans moins de 10m2. La taille
des logements ne dépend pas uniquement des revenus. Les ménages les
plus anciennement installés sont dans des logements généralement
plus grands. Les quartiers sont situés pour moitié sur des terrains
publics et pour moitié sur des terrains privés. Pratiquement aucun
ménage ne détient un titre de propriété. La sécurité foncière
est très incertaine, précaire à moyen terme en raison du boom
foncier et immobilier actuel, de la réalisation des grandes
infrastructures et de la vente par l’État de son domaine public et
privé, trois mouvements qui induisent des évictions. La sécurité
dépend en partie du type de terrain occupé, des titres détenus et
de l’attitude des pouvoirs publics, mais plus que tout cela, elle
dépend de la localisation des terrains occupés et des projets
(public ou privés) prévus sur ces sites. L’augmentation des prix
fonciers et la réalisation des infrastructures sont deux causes
principales de l’insécurité foncière.
Images courtsey of Nicolas Axelrod ©
Images courtsey of Nicolas Axelrod ©
Les
titres fonciers (définitifs ou intermédiaires) et les documents,
officiels ou informels, utilisés comme preuves de l’occupation ou
de la résidence (livret de famille, carnet de résidence, contrat de
vente, livret d’épargne, justificatifs d’abonnement à l’eau
ou l’électricité, autorisation de construire ou de faire des
réparations…) sont souvent moins utiles pour sécuriser la tenure
que pour obtenir une juste et préalable indemnité en cas
d’éviction. Dans certains quartiers du centre ville, 50% à 85%
des familles ont des documents officiels de résidence, tandis que
15% à 30% n’ont aucun titre. Dans d’autres quartiers, où seule
une autorisation verbale provisoire a été donnée, aucun ménage
n’a de document écrit.
Les
quartiers informels ont encore souvent un mauvais accès aux
infrastructures. En 1999, le tiers des quartiers n’avait ni
assainissement ni drainage et en 2004, un tiers des ménages ne
disposait pas de toilettes intérieures (contre les deux tiers en
1999). De nombreux systèmes d’accès à l’eau et à
l’électricité sont utilisés dans un même quartier. Pour l’eau,
en 1999, 17% bénéficierait de la Régie des eaux, 69% aurait
affaire à des vendeurs ou revendeurs (branchements illégaux,
particulier revendeur, achat à des vendeurs en récipients comme
charrette, jarres, bidons ou bouteilles), les autres tireraient leur
eau des puits, mares ou rivières. Pour l’électricité, en 2004,
le tiers des ménages serait abonné à EDC, la moitié dépendrait
d’une source privée (revendeur agréé, particulier revendeur,
branchement illégal, producteur vendeur (générateur), batteries
rechargeables) et 15% à 20% n’aurait pas l’électricité (lampes
à pétrole, lampes à huile, bougies). Mis à part les branchements
aux réseaux officiels, les options dépendent davantage des revenus
des ménages que de la localisation des quartiers. Lorsqu’elle
n’est pas achetée à la régie, l’eau est souvent achetée à
des revendeurs privés entre 15 et 20 fois le prix de la régie
(jusqu’à 36 fois plus chère) et représente 5 à 15% du budget
des familles (1% à 5% pour ceux qui ont l’eau de la ville).
L’électricité est achetée 1 à 5 fois plus chère que
l’électricité de EDC. Contrairement à l’eau, la part de
l’éclairage dans les dépenses dépend peu de son coût, mais des
revenus (1% à 5%).
Si
l’accès à la terre à titre gratuit se raréfie dans nombre de
quartiers, il persiste sur le domaine public (routes, rails,
berges…), où des ménages continuent de s’installer sans
autorisation. Le seul investissement est alors celui de la
construction de la cabane. Dans certains quartiers, des ménages
doivent payer une autorisation informelle aux autorités locales
avant de construire et de faire des réparations, en particulier dans
les quartiers bien situés et susceptibles de faire l’objet d’un
relogement. Ailleurs, ce paiement est réclamé par la police après
la construction. Des reçus existent parfois, mais pas dans tous les
quartiers. Certains réussissent à ne pas payer. Dans d’autres
quartiers plus pauvres et excentrés, aucun paiement ne serait
réclamé : seul un contrat oral est passé avec les autorités
locales selon lequel les habitants peuvent rester de façon
provisoire mais devront partir sans réclamer d’indemnité le jour
où on le leur demandera (réfection de la route par exemple).Les
locataires représentent entre 20 et 25% de la population des
quartiers informels. Ces chiffres cachent des fortes disparités (2%
à 70%). Les chiffres les plus élevés, souvent trouvés à
proximité des usines, laissent penser que la proportion des
locataires est en forte augmentation ces dernières années, comme le
nombre des ouvriers à Phnom Penh. Dans certains quartiers situés à
proximité des zones d’emploi, pratiquement tous les ménages
louent une ou plusieurs chambres chez eux et de nombreuses maisons
locatives « en long » (fréquemment entre 5 et 20 chambres à
louer) ont été construites très récemment. Les locataires sont
soit des ménages parmi les plus pauvres (42% des chiffonniers et 36%
des micro-vendeurs sont locataires), parfois plusieurs familles
apparentées dans une même chambre, soit des saisonniers (saison
sèche, saison humide, pendulaires), soit, et il semble que cela soit
la majorité, des ouvriers qui louent une pièce à 4 ou 5 pour
épargner. Les plus pauvres louent les logements les plus insalubres.
Certains louent un emplacement ou un logis fourni par leur employeur
(stalles des marchés, cabanes le long des entrepôts, logements
locatifs dans l’enceinte des usines…). Des familles louent
parfois des maisons entières, dans lesquelles elles reçoivent des
personnes hébergées et / ou elles sous-louent une ou plusieurs
pièces. Le marché semble fluide, il ne semble pas difficile de
trouver à louer et quand une place est libre dans une chambre à
louer, elle est rapidement prise. Les chambres ou maisons à louer
coûtent généralement entre 7$ et 25$ par mois, parfois moins (1$,
3$). En 2004, une chambre coûte typiquement 15$. Les prix peuvent
monter de 30$ à 70$ pour une maison bien construite ou située à
proximité des bassins d’emploi (proximité d’usines, toitures en
centre ville). Les loyers représentent le plus souvent 10% à 20%
des revenus des ménages, parfois moins pour les ouvriers
colocataires (chiffres à peu près constants depuis 1999), mais ils
peuvent parfois atteindre 25%, voire 45% des revenus.
MIDDLE-CLASS
Il faudrait porter une attention particulière sur la "classe moyenne" cambodgienne, une classe sociale en formation qui, comme en Chine, au Vietnam, en Indonésie et d'autres pays de l'Asie, est particulièrement active dans les mécanismes discrets - et peu évoqués - de la spéculation et de la ghettorisation des quartiers. Céline Pierdet, auteure de plusieurs articles à propos de l'urbanisation de Phnom Penh, évoque ces personnes qui se regroupent en famille ou entre amis pour acheter un terrain qu’ils revendent à un prix bien plus élevé avant même d’avoir versé la totalité de la somme due, et se partagent les bénéfices. Une sorte de sport national s'apparentant à un jeu de hasard, très apprécié des Cambodgiens.
2008
Les limites du développement contrôlé par des capitaux étrangers apparaissent avec le ralentissement économique survenu en 2008. Le Cambodge ne sera pas épargnée par la crise, la principale industrie exportatrice du royaume khmer, la confection textile, est en quasi faillite. Selon les sources du ministère du Commerce, entre septembre 2008 et octobre 2009, la crise financière mondiale a fait perdre au Cambodge plus de 75 000 emplois [sur 350 000] dans le secteur de la confection textile. Une aubaine pour le secteur de la construction que cette armée de licenciée, malléable et sous-payée.
Malgré le ralentissement
économique, les projets immobiliers déjà engagés progressent. La
tour de bureaux de la Canadia Bank est occupée depuis novembre 2009. Elle est financée
par des capitaux de Khmers d’outre-mer déposés auprès de la
Canadia Bank et transférés à un fonds d’investissement nommé
Oversea Cambodia Investment Company (OCIC), dirigé par Pong Sovann.
Ces capitaux estimés à 60 millions US$ en 2006 sont alors investis
dans des projets immobiliers très spéculatifs. Par contre, le projet de tours
jumelles nommé Gold Tower 42 n’a démarré qu’en 2009, avec un
an de retard. Son coût initial est estimé à 2,4 milliards US$. Il
regroupe logements, surfaces commerciales, équipements, etc. D’après
les luxueuses brochures ventant le projet, les tours doivent
atteindre 192 m, pour 360 appartements dont la superficie varie entre
232 et 511 m2. Ce produit immobilier, nouveau au Cambodge, s’adresse
aux Cambodgiens fortunés, mais aussi et surtout aux Asiatiques
étrangers qui recourent à des prête-noms de nationalité
cambodgienne.
Les
manifestations contre les expulsions, mais aussi celles à présent d'ouvrier-e-s
du textile, reprennent, tandis que les autorités municipales
entament un cycle de répression marqué par une recrudescence de la
violence policière, destinée à faire taire toute contestation. Notamment
contre les habitants des berges du lac Boeung Kak, dans le
centre-ville de Phnom Penh. Un contrat de concession de 99 ans est signé en 2007
entre le gouverneur et l’okñà Lao Meng Khin, responsable
de la compagnie Shukaku Inc et proche du Premier ministre Hun Sen,
pour un montant de 79 millions de dollars. Le projet urbain doit transformer une partie du lac en un un vaste projet immobilier comprenant un complexe commercial, touristique et résidentiel de
133 hectares ; 80 hectares du lac doivent être
comblés. 4.000
ménages résident cependant au tour de cette grande pièce d'eau ; la plupart acceptent une
compensation inadéquate ou se se réinstallent à un autre endroit,
à 20 kilomètres de là, à la suite d'une campagne de menaces et
d'actes d'intimidation qui a débuté lorsque des ouvriers ont
commencé à combler le lac avec du sable, et détruit de nombreuses maisons, en août 2008. Seules 779
familles décident de résister. Pour la première fois, peut-être, les organisations internationales tel que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, Amnesty International et des ONG locales et transnationales, exigèrent du gouvernement des compensations, la Banque Mondiale menaça de réviser ou de supprimer toutes les aides accordées pour le secteur foncier. Le gouvernement clama une atteinte à la souveraineté du pays. L’action des organisations internationales était remise en cause analyse T. Cruz-del Rosario :
« Avec le cas de Boeung Kak, le gouvernement cambodgien, la Banque mondiale et les Nations unies se trouvèrent empêtrés dans un conflit entre les objectifs de développement dont la résolution demanderait des décisions difficiles au vue des compromis politiques et risquerait de dégrader la relation entre les résidents, leur gouvernement, les acteurs de la société civile et la Banque mondiale. ».
Le Premier ministre accepte alors, sous la pression internationale, de leur accorder la propriété légale de 12,44 hectares de terrain pour qu'elles y construisent leurs maisons. Cependant, la municipalité de Phnom Penh exclut 96 familles, celles qui selon les ONG locales ont été les plus actives dans la protestation, et une poignée d'irréductibles, emmenée par un groupe de femmes, refusent de renoncer. En mai 2012, venues aider une famille à reconstruire leur maison rasée, elles sont arrêtées par la police. Deux jours plus tard, elles ont été jugés au cours d'un procès expéditif, sans même avoir eu droit à un avocat, et condamnées à deux ans et demi de prison.
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D'une manière générale, la répression de l'Etat au fil des ans, se généralise, y compris contre les autres luttes sociales et ouvrières. De même le peuple s'organise et n'hésite plus à s'affronter avec les forces de l'ordre, tandis que les ouvriers exigent des augmentations de salaire, et manifestent pour cela. Des centaines d'arrestations, des condamnations arbitraires, des menaces, des manifestations réprimées par la violence, jusqu'au meurtre, le 26 avril 2011, d'un militant écologiste Chut Wutty, dénonçant les concessions foncières à vocation économique, prétexte à des coupes de bois et à des expulsions illégales. Des personnalités sont menacées dont le célèbre bonze Loun Savath, surnommé le "moine multimédia" qui pour avoir documenté, à l'aide sa caméra, de nombreux conflits fonciers, sera sommé d'aller jouer les trublions loin de Phnom Penh.
En 2012, dans la multitude de cas, celui d'un village entier s'opposant à un millier de policiers et de gendarmes qui sont intervenus violemment dans un village : opération au cours de laquelle une adolescente a été tuée par une balle, relatée par cet article :
Plus cruel que sous Pol
Pot
Courrier international |22
mai 2012
Au
Cambodge, pas un jour ne semble s'écouler sans qu'un conflit foncier
fasse la une des journaux. Et, surtout, sans qu'il s'accompagne de
violences. Le 16 mai, un millier de policiers et de gendarmes sont
intervenus dans un village de la province de Kratie, dans le nord-est
du pays, sous prétexte d'arrêter les leaders d'un groupuscule
séparatiste. Ils tenaient en fait à en déloger ses habitants qui
refusent de laisser la société Casotim, qui a obtenu une concession
économique, s'implanter sur leurs terres. Durant le face-à-face,
des tirs ont retenti et une adolescente a été tuée. Les forces de
l'ordre auraient alors procédé à des dizaines d'interpellations
et, selon des témoignages rapportés le 22 mai par The
Phnom Penh Post,
elles auraient violenté et humilié ces villageois. Des hommes et
des femmes, dont une enceinte, auraient été forcés de se dévêtir
entièrement avant d'être ligotés en plein soleil pendant plusieurs
heures.
"J'ai
vécu sous le régime de Pol Pot mais ce n'était pas aussi cruel que
ça",
s'est exclamée Sopheap, 63 ans.
s'est exclamée Sopheap, 63 ans.
Les
ONG sont a l'humanitaire
ce
que les OGM sont a l'agriculture
En 2008, le constat est alarmant : le gouvernement avait accordé des concessions à des sociétés privées sur plus de 7 millions d'hectares (le pays s'étend sur 18 millions d'hectares), dont près de 5 millions sont consacrés à l'exploitation forestière ou minière. Cette fois, l'opinion publique, dont la presse se fait l'écho, s'alarme, dont The Phnom Penh Post : "Il ne reste presque plus de terres ; le gouvernement doit cesser d'octroyer ainsi des concessions aux sociétés privées". Outre la menace qui pèse sur les ressources naturelles et l'environnement, ce sont aussi les conséquences sur les habitants privés de terres qui inquiètent la société civile. Car dans les campagnes aussi, les évictions forcées contre des villages entiers se multiplient. Les ONG accompagnent le mouvement et sont aux prises avec d'autres formes de corruption, ancrées dans les us et coutumes du peuple Cambodgien. M. Song, du Quartier d’Angkol, Krong Kep, témoigne :
«Il y a beaucoup
d’injustices au village. Il y a des groupes avec des alliés. Par
exemple, quand la Croix Rouge vient faire des dons, seuls les gens de
la famille du chef de village et ses alliés sont sur la liste. (…)
C’est pareil avec les organisations internationales. Quand elles
demandent au chef du village de faire une liste des plus pauvres, il
met les noms des gens de sa famille, des adjoints et des chefs de
groupe. (…) Quand le chef du village doit gérer un conflit, il va
faire plus pression sur les gens qui ne sont pas de son côté. (…)
Il y a plusieurs groupes qui ont du pouvoir : ceux que le chef du
village connaît bien, les groupes des partis politiques, les six
familles riches et les fonctionnaires qui ont de bons postes. J’ai
peur de vous dire la réalité parce que si je parle, on dira que le
gouvernement cambodgien n’est pas bien et alors, les étrangers ne
donneront plus d’argent. On parle des Droits de l’Homme, mais il
y a ceux qui ont des droits et ceux qui n’ont pas de droits. Ceux
qui ont des droits, ont les droits d’abuser de ceux qui n’en ont
pas. Ceux qui n’ont pas de droits sont ceux qui n’appartiennent à
aucun groupe. »
Quelques
voix s'élèvent, les organisations de défense des droits
de l'Homme ou la députée d'opposition Mu Sochua qui, dans le
Phnom Penh Post, appelle "la communauté internationale à
suspendre son aide". Car
les pays donateurs assurent d'importants financements : pour l'année 2008, le
Japon constituait le premier bailleur de fonds (130 millions), suivi
des Etats-Unis (68,5 millions), de l'Union européenne (60 millions)
et de ses différents Etats membres (190 millions). Des aides sont
bien sûr apportées aux ONG.
Là où l’État se désengage, dans la logique du processus capitaliste, les ONG internationales apportent leurs capitaux, parfois considérables, et détiennent ainsi un formidable pouvoir. M.Pandolfi
jugeait dans le déploiement pléthorique et ostensible des ONG (dans
le cas du Kosovo notamment) d'une véritable entreprise de
"colonisation de l’espace politique et social". Les ONG
seraient une nouvelle forme de gouvernementalité, hypermobile, qui
se substituerait aux colonialismes défunts, et instaurerait, appuyée
sur les élites locales, de nouvelles formes de domination, sur le
plan de l’économie et de l’information.
Si
les ONG se placent en complice des dispositifs du grand capital, leur
plus grand danger aura été de favoriser, ou d'accélérer durant
leur mission de terrain la création de consœurs locales,
d'associations d'habitants devant se soumettre à leur propre
logique. Au Cambodge comme ailleurs, juge Évelyne
Barthou
:
« Pour
les partenaires occidentaux, il ne s’agit pas simplement
d’alimenter financièrement les projets de développement dont les
ONG locales seraient exécutrices. L’on mène également une
politique de modernisation, dite d’empowerment qui
prend les traits d’une stratégie de formatage et de mise en
clientèle sélective de ces nouveaux « courtiers locaux du
développement » (pour reprendre l’expression de Bierschenk,
Chauveau et Olivier de Sardan, 2001). Cette politique s’incarne
dans la multiplication des séminaires, des formations auxquels les
« partenaires » occidentaux convient les leaders d’ONG
locales. Ces séances traitent à la fois la manière dont
l’association doit être organisée structurellement, la façon
dont elle doit être gérée au quotidien, les projets rédigés et
appliqués, les relations à développer avec le personnel, etc.
Les
effets de cette modernisation sont multiples. Tout d’abord, ces
politiques favorisent une tendance à l’uniformisation des
associations locales participantes les forçant à adopter des
structures organisationnelles ou un mode de gestion interne identique
(qu’illustrent notamment les règlements d’ordre intérieur) ou à
formuler des projets selon un canevas standardisé et dans des termes
compréhensibles au sein des réseaux d’aides transnationaux.
Ensuite, s’il s’agit de professionnaliser les pratiques de ces
nouveaux acteurs associatifs afin de les rendre plus efficaces, cette
professionnalisation doit permettre de mettre à jour des partenaires
locaux fiables capables d’assurer l’application sérieuse de
projets. Ce processus se veut donc par définition sélectif et
contribue à ce qu’on pourrait appeler une voie élitiste de
constitution d’une société civile où seule une petite fraction
des nouvelles ONG a accès à la modernisation de ses pratiques, aux
capitaux financiers, mais aussi au savoir-faire et à l’ethos
adéquat au sein des réseaux transnationaux. »
La
seconde perversion est connue : leur institutionnalisation
introduisant dans leurs revendications, l'idéologie du consensus,
d'un fatidique compromis entre les forces adverses en présence.
Certaines associations
à Phnom Penh, suivies maintenant par les autorités locales sont de
plus en plus souvent impliquées dans les projets incluant des
réhabilitations et des relocalisations de quartiers, et poursuivent
en parallèle la création et l’organisation de nouvelles
communautés
de pauvres,
avec plans d’épargne collective. Pour beaucoup d'entre
elles,
quelles qu’aient été leurs options idéologiques initiales, leur
rôle contestataire vint à se réduire à mesure qu’elles étaient
sollicitées comme partenaires dans ce processus.
Solomon
Benjamin,
analysait
les mêmes mécanismes, des mêmes ONG, à Bangalore, en Inde :
La
présence des plus importantes d’entre elles dans les zones où les
pauvres se concentrent est extrêmement limitée. Même si cette
présence peut se manifester dans le cadre de « grands
programmes » (éducation, santé, environnement, etc.),
cela reste pour ces ONG une activité marginale – avec, en outre,
très peu d’efforts pour replacer les problèmes dans le cadre plus
général des politiques urbaines. Certaines se consacrent certes par
exemple aux enfants des rues, en fournissant des services, un soutien
institutionnel et des programmes de formation, mais les quelques
aspects positifs ne pèsent guère face aux problèmes beaucoup plus
critiques auxquels sont confrontés les collectifs locaux à travers
la lutte contre les expulsions et le flou juridique
(institutionnellement entretenu) qui pèse sur le foncier –
facteurs structuraux qui influencent directement l’emploi et la
pauvreté. Dans certains cas, on trouve un seul militant investi sur
le terrain politiquement difficile d’un quartier central. Souvent
engagés dans une action politique acharnée visant à la
régularisation foncière et à l’accès aux services de base, les
efforts de ces David ont des résultats positifs, mais très
localisés.
En
2010, lors du Forum
de coopération pour le développement du Cambodge,
les plus grandes ONG exhortaient la communauté internationale à
exercer davantage de pression sur le gouvernement afin, notamment,
qu'il améliore sa gouvernance.
Ou Virak, président du centre cambodgien pour les droits de l’Homme
estimait que si des questions aussi importantes que le régime
foncier ou la bonne gouvernance ne sont pas pointées du doigt, il y
a peu de chance de réduire la pauvreté : « Vous
pouvez donner autant d’argent que vous voulez pour développer
l’agriculture, si les terres sont saisies et si les fermiers n’ont
pas confiance dans le système, vous ne parviendrez jamais à réduire
la pauvreté ».
Qualifiant ce forum d'«exercice à grande échelle de malhonnêteté intellectuelle », Eleanor Nichol de l'ONG environnementaliste Global Witness condamnait fermement l'attitude des pays donateurs : « Je suis sidérée de voir que les États ont augmenté leurs aides au gouvernement alors que la corruption a atteint des sommets au cours de l’année écoulée » ; elle précisait :
Qualifiant ce forum d'«exercice à grande échelle de malhonnêteté intellectuelle », Eleanor Nichol de l'ONG environnementaliste Global Witness condamnait fermement l'attitude des pays donateurs : « Je suis sidérée de voir que les États ont augmenté leurs aides au gouvernement alors que la corruption a atteint des sommets au cours de l’année écoulée » ; elle précisait :
De nos
jours au Cambodge, les droits pour la terre, la pêche, les plages et
les îles, le pétrole, le gaz naturel et les minéraux ont été
vendus à des investisseurs privés. La même élite qui a profité
de la vente des forêts du pays bénéficient maintenant de ces
marchés. Très peu de cet argent a atterri dans les coffres de
l’État. Au lieu que ces recettes servent à relancer une
politique économique postconflictuelle, elles ont été siphonnées
dans des comptes bancaires privés. Parallèlement, le Cambodge
continue d’être l’un des pays les plus pauvres au monde et à
dépendre fortement de l'aide étrangère.
En dépit
des milliards de dollars d’aide fournis depuis 15 ans, le Cambodge
est encore un des pays les plus pauvres du monde. Cela est surtout
dû à des échecs de gouvernance. L’impact réel de l'aide de la
Commission Européenne (CE) au développement a été gravement
entravé par des institutions gouvernementales faibles et une
corruption endémique de haut niveau. Des années de négociation et
de dialogues à des réunions de gouvernements donateurs ont eu peu
d’impact sur le détournement des biens de l’État par le
gouvernement cambodgien. Les points de référence à même
d’améliorer la transparence et la gouvernance au Cambodge ont été
régulièrement érodés ou non respectés ; cependant, l’aide des
pays donateurs a continué à arriver.
De nos
jours, le Cambodge est dirigé par une élite politiquement puissante
et kleptocratique qui pense à son propre intérêt, plutôt qu’à
celui des Cambodgiens. L’État n’est pas bienveillant et les
approches traditionnelles des donateurs ont échoué et continueront
à échouer, à moins que cette proposition soit prise en compte. Les
donateurs ont besoin d’une nouvelle approche et la CE est dans une
position unique pour jouer un rôle prépondérant à ce sujet. Sans
une intervention coordonnée des donateurs et des points de référence
pour mesurer les réformes, les habitudes bien ancrées
d’exploitation des ressources conduiront à remplir les poches des
fonctionnaires au lieu de réduire la pauvreté.
LE PARC DE LA LIBERTÉ
Les autorités municipales de Phnom Penh ne manquent ni d'humour ni de cynisme, en inaugurant en novembre 2010 un "parc de la liberté", destiné à accueillir - c'est-à-dire encadrer - ceux qui souhaitent faire valoir leur droit à manifester. Le lieu a été conçu pour recevoir 200 personnes, maximum prévu par la loi sur les manifestations pacifiques, adoptée en octobre 2009. Le gouverneur Kep Chutema assure que ce parc est la preuve des progrès démocratiques du Cambodge : "Sous Pol Pot, nous ne pouvions manifester et Phnom Penh était devenue une ville fantôme mais, désormais, nous avons un parc de la liberté”. Ce à quoi s'indigne l'opposition et les associations dont Rong Chhun, président de l'Association cambodgienne des enseignants indépendants : "Quel intérêt pour nous d'organiser une manifestation à un endroit où ni le gouvernement, ni les parlementaires, ni la communauté internationale ne nous verra ou nous entendra ?"
TRAUMATISME POST-GENOCIDAIRE
TRAUMATISME POST-GENOCIDAIRE
Et pourtant, le Cambodge n'est ni la Chine, ni le Vietnam, mais un pays démocratique : des élections s'y tiennent ; la classe politique dans son intégralité - partis au pouvoir et d'opposition - serait-elle ainsi corrompue ? Pour beaucoup d'observateurs politiques, le Cambodge dirigé par le premier ministre Hun Sen, peut s'apparenter à une dictature. Hun Sen, ancien officier Khmer rouge repenti, s'assura du pouvoir le 5 juillet 1997, à l’issue d’un coup de force sanglant, il évince le premier Premier ministre Norodom Ranariddh1 et plusieurs dizaines de fonctionnaires du FUNCINPEC (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif) dont Ho Sok et Chao Sambath – membres du gouvernement - furent exécutés .
La victoire en 1998 du PPC (Parti du peuple cambodgien) (Kanakpak Pracheachon Kâmpuchéa, KPK) dont il est le vice-président lui assure de redevenir le seul Premier ministre du pays. Candidat à sa propre succession aux élections législatives du 27 juillet 2008, le parti d'Hun Sen a remporté près de 75% des sièges. Quatre formations d'opposition ont toutefois, comme à l’accoutumé, reproché au Parti populaire cambodgien, d'avoir « truqué » les élections en sa faveur. Des Organisations non gouvernementales internationales telles Amnesty International, attribuent quant à elle, cette victoire écrasante principalement à l’effondrement de l’opposition, minée par des luttes intestines, tout en reconnaissant que des manœuvres d’intimidation de la presse, des militants et des électeurs ont bien eu lieu avant ces élections.
Certains auteurs considèrent qu'il faut trouver dans les traditions ancestrales du peuple Cambodgien, un système de relation reposant sur une forte hiérarchisation, et un individualisme marqué. Des traditions davantage à l'oeuvre dans les villages, mais aussi à Phnom Penh, ville de l'immigration rurale. A cela, d'autres auteurs évoquent le traumatisme post-génocidaire [1975-1979] : chaque famille du pays pleure un, ou plus généralement, plusieurs disparitions, et peut se souvenir de quatre terribles années de souffrance, de privations, de mort qui rôde, où chacun a appris à ne compter que sur ses propres forces, et à se méfier d'autrui. Puis, dans une certaine mesure, les conditions de vie "collectivisée" durant la période socialiste qui succéda à la dictature de Pol Pot, et il serait possible d'avancer l'idée de la recrudescence de l'individualisme et du mépris d'autrui, caractéristique essentielle des sociétés capitalistes, et particulièrement prononcée dans les sociétés post-socialistes.
Une étude magistrale reste à faire, en attendant, rapportons quelques témoignages qui peuvent expliquer l'apathie individualiste d'un peuple post-révolutionnaire n'ayant d'autre projet que d'imiter et de souscrire au bien-être capitaliste ; M. Lem, chef du quartier de Boeng Reang, à Phnom Penh, jugeait ainsi de l'évolution de ces administrés :
« Les problèmes les plus fréquents regardent les constructions nouvelles. En 1979, les gens ont occupé les maisons qu’ils trouvaient. Jusqu’en 93, plusieurs familles partageaient un même immeuble ou un même appartement. Puis il y a eu un développement économique. Les gens ont voulu avoir des propriétés individuelles et ont commencé à construire partout, sur les terrains, dans les cages d’escalier, sur les terrasses, sur les toits. Maintenant, il y a beaucoup de problèmes de voisinage. Par exemple, une nouvelle construction bloque le passage de l’air et de la lumière d’un appartement et les gens viennent se plaindre ici. Les gens construisent des étages supérieurs et arrêtent les tuyaux d’évacuation de l’eau à leur niveau. Les gens en dessous sont mécontents. Il y a aussi des problèmes avec les enfants des étages supérieurs qui jettent des ordures en bas. »
M. Chhom, adjoint au chef de quartier, Olimpic, du district de Chamkar Mon, à Phnom Penh, évoque :
« Les jeunes rêvent
d’augmenter leur niveau de vie et veulent s’amuser. L’homme ou
la femme ne pense qu’à se promener. Ceux qui ont des amis plus
aisés rêvent d’avoir de beaux vêtements, une belle moto, un beau
téléphone portable. Ils jalousent les autres et rêvent d'un mari
ou d’une femme plus riche. Ceux qui ont un peu d’argent
commencent à dépenser pour acheter des belles choses et tous les
revenus du ménage y passent. Celui qui dans le couple est plus
modéré se met en colère et les problèmes commencent. Celui qui
dépense méprise son conjoint pauvre.»
Photo | Zann Huizhen HUANG © | 2005
PHOTOS
Nicolas AXELROD
Nos plus grands remerciements pour son aimable autorisation. Nicolas est aussi excellent photographe que généreux et solidaire. D'autres photographies du Cambodge (accompagnées d'un texte introductif) ainsi que d'autres reportages de grande qualité sont présentés sur son site. Nous recommandons vivement la visite !
Zann Huizhen HUANG
Cambodian Glue Kids | 2005
Nigel DICKINSON
EXTRAITS et SOURCES
Céline
Pierdet
Les investisseurs privés
et la recomposition du rapport centre-périphérie à Phnom Penh
(Cambodge) depuis les années 1990
Revue de géographie |
2011/9/10
Maître de conférences en
géographie
Université de Compiègne
Adeline
Carrier
Les « lois de la possession
» à Phnom Penh : conversion des droits d’usage résidentiel issus
du contexte socialiste de réappropriation urbaine (1979-1989) en
droits de propriété
Thèse de doctorat en
urbanisme
Novembre 2007
Sous la direction de Charles
Goldblum
INSTITUT FRANÇAIS
D’URBANISME
UNIVERSITÉ PARIS VIII
NOTES
[1] Rapporté par A. Carrier : Lors de la vente de l’usine d’aliments animaliers du sangkat Sra Tiah à un promoteur privé, la municipalité ordonna l’expulsion de la douzaine de familles résidant sur le site. En majorité ouvriers du centre de production, détenteurs d’un droit d’usage résidentiel in situ, les chefs de famille se virent proposer une indemnité financière de dix damleung. Un plaignant contesta la somme, réclamant vingt damleung d’or, faisant valoir son statut d’ayant droit exclusif et légitime sur l’ensemble de la parcelle réquisitionnée. Les autres indemnisés étant selon lui en quelque sorte ses usufruitiers. Il se justifia par l’ancienneté de son statut, le caractère continu de son occupation et indirectement sa fonction de directeur de l’usine. Son présumé terrain attribué en 1979 par le Ministère du commerce et détenu en règle (livret de famille datant de 1981) fut réclamé par la municipalité en 1992. Se référant au sous-décret du 22 avril 1989, le plaignant réclama son droit de propriété sur la parcelle ou du moins une compensation à la hauteur de la valeur du bien. La cour ne tint pas compte de cette superposition de droits et prononça une uniformisation de l'indemnité au montant initial prescrit.
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