Sergueï Eisenstein, croquis pour le film Glass House |
" Vivre dans une maison de verre est, par excellence,
une vertu révolutionnaire. "
Walter Benjamin
L'architecture de verre aura été
dans les années 1920, un domaine intéressant également la politique et le monde intellectuel, notamment auprès
de l'intelligentsia radicale allemande et révolutionnaire soviétique, qui y voient soit la concrétisation d'une utopie
d'harmonie sociale et cosmique, soit un geste révolutionnaire
capable de rompre avec le passé ; pour d'autres ce n'est que la manifestation d'un
cauchemar totalitaire. Où se situe le projet de film Glass House, du réalisateur soviétique Eisenstein [Le cuirassé Potemkine, Ivan le Terrible, Viva Mexico, etc.] entre le socialisme rural de Tchernychevsky et
les villes du futur de Khlebnikov, entre le rêve cristallin de Taut
et de la Gläserne Kette et le monde dystopique de Zamiatine ?
L'architecture de verre joue-t-elle, chez lui, le rôle de « vertu
révolutionnaire » qui lui est attribué par Benjamin ?
Antonio SOMAINI
Utopies et dystopies de la
transparence.
Eisenstein, Glass House,
et le cinématisme de
l'architecture de verre.
Revue Appareil - n° 7 | 2011
[Extraits]
1.
L'architecture ouverte et la transformation
de
l'espace cinématographique
En
1946, forcé d'abandonner tout projet de direction de film à cause
de la censure sous laquelle était tombée la deuxième partie d'Ivan
le Terrible et
d'un infarctus qui l'avait obligé à suivre un régime de vie
beaucoup plus limité qu'auparavant, Eisenstein se plonge dans le
projet d'écrire une histoire du cinéma.
Selon
ses intentions, cette histoire aurait dû orienter les recherches et
les enseignements de la section d'histoire et théorie du cinéma
qu'il voulait inaugurer, avec le soutien d'Igor Grabar, auprès de
l'Institut d'histoire de l'art de l'Académie des sciences. Ce qui
nous est parvenu de ce projet, resté inachévé à cause de la mort
du cinéaste en 1948, ce sont des notes ? intitulées par Eisenstein
Notes
pour une histoire générale du cinéma (1)
rédigées sous forme de longues listes et organisées
synthétiquement en petits chapitres et sous-chapitres : pas encore
un texte accompli, donc, mais plutôt un schéma général qui nous
surprend pour la grande variété d'exemples et de reférences qu'il
contient.
Pourquoi
cette histoire du cinéma est-elle « générale » [vseobshtchaya]. Suivant une démarche qu'on retrouve dans presque tous ses écrits
à partir de la fin des années 1920 et qui constitue le trait
caractéristique des grands projets de livres comme Metod
(1932-48),
Montage
(1937)
et La
non-indifférente nature (1945-1947)
(2),
le but d'Eisenstein dans ces Notes
est
d'analyser toutes les formes dans lesquelles les procédés
constitutifs du cinéma (l'impression de la pellicule, le montage, la
projection des images sur un écran devant un public) se sont
manifestés au-delà
des limites du cinéma lui-même :
dans l'histoire des arts, aussi bien que dans l'histoire des
techniques et des médias. Il s'agit, en d'autres mots, de produire
avec ces Notes
pour une histoire générale du cinéma une
cartographie la plus exhaustive possible des formes de ce
qu'Eisenstein appelle, d'un mot français, « cinématisme
»
(3)
:
un terme qui indique la présence dans l'histoire universelle des
arts et des médias (dessin, peinture, sculpture, architecture,
littérature, musique, photographie, théatre...) de structures
formelles, modes de composition et expériences esthétiques que le
cinéma peut élaborer et conduire à leur stade le plus achevé
seulement en étudiant avec attention leurs manifestations pré- et
extra-cinématographiques. Ce qui intéresse Eisenstein, autrement
dit, ce n'est pas d'écrire une histoire du cinéma qui viserait à
définir de manière stable et définitive son identité spécifique
en
tant que médium et forme de représentation, mais plutôt de
construire, pour la première fois, une histoire qui soit l'histoire
des possibilités
du
cinéma : possibilités qui souvent se sont manifestées au-delà des
limites du cinéma lui-même, dans des formes de représentation qui
ont précédé sa naissance et accompagné son dévéloppement, et
auxquelles le cinéma du futur devra nécessairement prêter
attention pour y trouver une source puissante d'inspiration.
[...]
2.
De la transparence invisible
à
la catastrophe du panoptisme :
le
monde dystopique de Glass
House
Dans
une note écrite le 17 novembre 1927, Eisenstein évoque le projet
intitulé Glass
House (12)
en écrivant : « Je l'ai imaginé à Berlin. Hôtel Hessler,
Kantstrasse. Sous l'influence des essais d'architecture de verre »
(13).
Eisenstein se trouvait à Berlin entre mars et avril 1926 pour
assister à la première du Cuirassé
Potemkine,
une première qu'il finira par rater puisque, à cause de la censure,
elle fut repoussée au 29 avril, quand il était déjà reparti pour
Moscou avec Edouard Tissé, son opérateur, depuis une dizaine de
jours. Les notes, les pages de son journal privé, et les dessins qui
nous sont parvenus concernant ce projet datent de 1927-1928, puis des
mois de mai et juin 1930, pendant le séjour d'Eisenstein à
Hollywood, et finalement se concluent avec une brève remarque écrite
en 1946, qui témoigne de l'importance que ce projet revêtait pour
lui, dans un contexte personnel, artistique et politique tout à fait
différent de celui dans lequel il avait été conçu au départ : «
Chacun, une fois dans sa vie, écrit son mistère ; le mien c'est
Glass
House »
(14).
Mies Van der Rohe, immeuble en verre,
Friedrichstrasse |
Quels
étaient les « essais d'architecture de verre » auxquels se refère
Eisenstein dans sa note, comme influence décisive pour la genèse de
Glass
House ?
Comme nous verrons par la suite, le verre était au centre des
recherches les plus expérimentales dans l'architecture des années
1920. En 1921-1922, toujours à Berlin, Mies van der Rohe avait
suscité beaucoup de clameurs avec son projet pour un gratte-ciel
entièrement de verre dans la Friedrichstrasse, un bâtiment dont la
planimétrie était composée par des formes polygonales à l'aspect
cristallin, et dont le but était celui de créer « un riche jeu de
reflets lumineux » qui auraient été projetés de l'intérieur de
l'édifice vers la rue à l'extérieur. Ce concours pour une Hochhaus
dans
la Friedrichstrasse était le premier grand concours en Allemagne
après la période d'inactivité forcée pendant la guerre, une
période pendant laquelle des figures comme Paul Scheerbart et Bruno
Taut avaient élaboré la vision utopique d'une architecture du futur
entièrement en verre. Taut était très actif dans l'Allemagne de
Weimar et très connu en Union soviétique, et Eisenstein, fils d'un
architecte et très intéressé par les développements de
l'architecture moderne, connaissait certainement ses projets et ses
publications. En même temps, le verre jouait un rôle central aussi
dans l'architecture des constructivistes russes, autant dans les
projets effectivement construits (pensons à l'édifice Gostorg de
Velikovsky et Barsch en 1926, ou au club ouvrier Zuev de Golosov,
terminé en 1928), que, surtout, dans les projets inachevés et
parfois utopiques et presque irréalisables, comme le Monument pour
la Troisième International de Tatline (1919-1920), avec ses quatres
solides de verre à l'intérieur de la spirale d'acier, ou le projet
pour l'Institut Lénine de Leonidov (1927), avec son auditorium en
forme de sphère de verre, et avec sa tour des livres aussi en verre
transparent. En imaginant son projet de film dans un gratte-ciel
entièrement de verre, Eisenstein aurait été donc influencé par un
contexte architectural dans lequel le verre était un signe éloquent
de modernité et parfois d'utopie. Une dimension utopique qui, comme
nous verrons, est directement mise en question par Glass
House.
Bruno TAUT, Alpine Architektur |
Bruno TAUT, Kristallhaus |
La
période de 1926 à 1930 est une période très intense dans le
parcours d'Eisenstein : pendant ces années il travaille en même
temps à deux films, Octobre
(1927-1928)
et La
Ligne générale (1926-1929),
il écrit entre 1928 et 1929 une importante série d'essais sur le
montage (15),
et il s'interroge sur la possibilité d'étendre les possibilités du
montage au-delà du champ du cinéma narratif, et même du cinéma
tout court. À partir du mois d'octobre 1927, pendant qu'il tourne et
monte Octobre,
il écrit des notes dans lesquelles il imagine de recourir au montage
« intellectuel » expérimenté dans quelques séquences célèbres
du film ? notamment, la scène qui nous montre le général Kerensky
gravissant les escaliers du Palais d'Hiver, et la séquence dite «
des dieux » ? pour réaliser un « film-essai » sur le Capital
de
Marx (16).
Un film qui aurait dû enseigner aux ouvriers « à penser
dialectiquement », en montrant « la méthode de la dialectique » à
travers un montage d'images fondé sur le conflit entre fragments
divers et visant à activer la conscience du spectateur, tant
émotionnellement qu'intellectuellement. Au mois d'août 1929, après
avoir été invité à présenter sa théorie et ses films dans le
cadre de la section soviétique, organisée par El Lissitzky et sa
femme Sophie Lissitzky-Küppers, de l'exposition internationale Film
und Foto de
Stuttgart, il refléchit à la forme la plus appropriée pour
présenter adéquatement sa théorie du montage, et il imagine la
trouver dans un livre en forme de sphère
:
un livre-atlas, dynamique et interactif, lui-même conçu comme
dispositif de montage, qui aurait dû permettre au lecteur de
considérer les essais qui le composaient « tout ensemble
simultanément », en passant « de l'un à l'autre en avant et en
arrière », « à travers des renvois continus » et « des
intégrations réciproques », de manière que même entre les
arguments les plus loins entre eux il aurait été possible « un
passage direct de l'un à l'autre à travers le centre de la sphère
» (17).
Dans ces deux cas, le film sur le Capital
et
le livre-sphère, il s'agissait de mettre à l'épreuve l'efficacité
du montage bien au-delà des limites du cinéma narratif. Il
s'agissait de voir, dans le montage, un dispositif d'écriture et de
lecture, de pensée et d'exposition. De le déplacer du contexte du
film narratif vers d'autres dimensions : celle du film-essai de
propagande, ou celle d'une forme-livre qui visait à se donner une
nouvelle présence dans l'espace, devenant un livre-exposition
capable d'inviter le lecteur à pratiquer lui-même une forme de
montage.
Conçu
et développé dans les mêmes années que les notes sur Capital
et
sur le livre sphérique, Glass
House participe
pleinement de cet élan utopique qui pousse Eisenstein à
expérimenter des formes inédites de montage. Situé dans un
gratte-ciel entièrement en verre, il posait des problèmes inédits
de montage surtout du point de vue de la composition spatiale des
cadres et des plans, vu que la caméra se serait trouvée devant un
espace complètement transparent, sans aucune limite opaque qui
sépare l'intérieur de l'extérieur. Un espace nouveau, qui mettait
en question la composition traditionnelle du cadre et
l'idée même du cadre.
Un défi qui selon Eisenstein aurait pu l'aider à résoudre les
problèmes spatiaux posés aussi par Capital,
un film dans lequel, comme nous lisons dans les notes, « l'idéologie
du plan de signe égale doit être entièrement revue » (18).
Même avec leurs grandes différences ? Glass
House était
tout concentré dans l'ici
et
le maintenant
de
l'espace dystopique d'un gratte-ciel de verre, au lieu que Le
Capital aurait
dû faire référence aux régions du monde les plus diverses ("We
will be in New York, in China, in Egypt will expand in all
directions)" (19), il s'agissait donc de deux projets étroitement liés l'un à
l'autre, pour leur dimension utopique et politique, ainsi que pour
les défis que tous deux posaient à la pratique courante du montage.
La
trame de Glass
House,
à laquelle Eisenstein travaille à plusieurs reprises mais toujours
de façon fragmentaire et discontinue, tourne tout autour de la
spécificité de l'espace dans lequel le film est situé. Après un «
prologue » décrit par Eisenstein comme une « histoire du verre »
ou « symphonie du verre (non figuratif) » (20),
le film aurait dû nous montrer la vie quotidienne dans un
gratte-ciel de verre où personne ne se rend compte du fait que tout
est transparent et qu'on peut regarder à travers toutes les parois,
tant vers les côtés que vers le haut et vers le bas. Dans ce monde
paradoxal, Eisenstein imagine des scènes suspendues entre le comique
et le grotesque, comme celle d'un mari qui ne voit pas à travers le
mur transparent de son appartement la femme qui le trompe avec son
amant, ou celle d'une jeune femme qui brûle dans l'indifférence
générale (21).
Un monde régi par « l'indifférence des uns envers les autres »,
où « tout le monde vit comme s'il y avait des murs, chacun pour soi
» (22),
jusqu'au moment où sur la scène apparaît un personnage destiné à
transformer radicalement la vie dans cette maison de verre. Il s'agit
d'un personnage-clé sur l'identité duquel Eisenstein n'arrive pas à
prendre une décision définitive, vu qu'il l'appelle dans les notes
« fou », « psychopathe », « poète », « idéaliste », «
Jésus-Christ », même « Mr. X ». Dans une scène qui aurait dû
faire bifurquer complètement le film, ce personnage-clé court pour
sauver une femme battue par son mari dans l'indifférence générale
et heurte sa tête contre le verre : à partir de ce moment-là il
décide de montrer à tous qu'on peut voir à travers le verre
transparent. Le résultat n'est pas l'établissement de l'harmonie et
de la solidarité réciproque, mais au contraire le bouleversement
total de la vie dans la maison : voyeurisme, surveillance,
espionnage, délation, intrigues, conflits, crimes, déchaînement de
toutes les passions... Troublé par le désastre que sa découverte a
causé, le personnage-clé se suicide dans une scène qu'Eisenstein
illustre très efficacement dans les notes et dans les dessins qui
les accompagnent : « Suicide dans une pièce isolée à la lumière
d'une petite lampe, aux yeux de tous, sans voir personne. Retenant
leur souffle, ils regardent. La chasse à la corde... Et... la vente
aux enchères. Mais... le pendu est resté vivant. On s'est trop
dépêché et on ne lui a pas laissé le temps de s'étrangler
jusqu'au bout » (23).
Figure 1
S.
M. Eisenstein, dessin pour Glass
House (1926-1930)
Et
encore : « Une pendaison (suicide). Le cube (vide) avec les visages
plaqués de tous les côtés (surtout le sol et les pieds !). Puis
tous à l'intérieur en une foule compacte. Bagarre pour la corde :
un cube d'hommes agglomérés qui flotte » (24).
La conséquence de ce suicide est le chaos total dans sa maison, un
chaos qui mène à sa destruction par un « homme mécanique », un «
robot », qui, dans une des notes, sera présenté comme le même
architecte qui avait construit la maison au départ.
Dans
les notes pour Glass
House,
Eisenstein résume à plusieurs occasions la trame du film de façon
très synthétique qui nous montre quels étaient les moments pour
lui décisifs. Dans une note de décembre 1928, par exemple, la trame
est synthétisée ainsi : « Prologue : Glace. (1) Inconscience /
Curiosity for the public. (2) Jésus, conscience, honte. (3) Honte,
spéculation. (4) Spéculations conflits. (5) Tragédies,
catastrophes. (6) Epilogue, brisé » (25).
Le mouvement qui conduit du prologue sur le thème de la glace à la
vie dans une transparence dont on n'est pas conscient, et puis de la
prise de conscience aux conflits qui mènent à la catastrophe finale
avec la destruction de la maison y est décrit très clairement, et
dans les schémas successifs ces étapes ne varieront pas. Ce qui
changera seront certaines sous-trames, qui compliquent l'histoire
sans toutefois en modifier la structure portante, et les connotations
bibliques qu'Eisenstein donne à la trame à partir de la fin de
1928, quand il commence à appeller « Jésus » le personnage-clé
qui bouleverse la vie dans la maison. C'est à partir de cette
période qu'au registre comique et grotesque se superpose la
dimension allégorique d'un drame fondé sur un schéma triadique :
la confrontation entre l'architecte constructeur de la maison (nommé
aussi « ingénieur » ou « vieux »), le
poète-fou-psychopathe-idéaliste-Jésus qui dévoile la
transparence, et le robot qui détruit la maison dans l'apocalypse
finale, et qui se revèle être l'architecte lui-même.
Les
registres du comique et du grotesque, de la satire politique et du
drame chargé de symbolismes bibliques et eschatologiques, ainsi que
d'évidentes reférences autobiographiques (le père d'Eisenstein
était architecte, et Eisenstein lui-même avait étudié
l'ingénierie des travaux publics avant de passer au théâtre), se
mêlent donc dans ce projet de film, dont nous essayerons de donner
une interprétation qui suivra trois différentes directions de
lecture : (1) une lecture formelle,
visant à analyser Glass
House comme
recherche sur une nouvelle façon de penser la composition du cadre
et plus en général l'espace cinématographique, en jouant sur
toutes les possibilités offertes par ce décor complètement
transparent ; (2) une lecture politique,
visant à montrer comment Eisenstein considérait Glass
House soit
comme un commentaire sur les dégénérations causées par la vie
dans un système capitaliste qui conduisait selon lui à
l'aliénation, l'individualisme exaspéré et le manque de solidarité
sociale, soit comme une réponse sarcastique aux utopies liées à
l'architecture de verre qui s'étaient répandues dans les années
1910 et 1920 en Allemagne et dans la Russie pré- et
post-révolutionnaire, envisageant une vie future pleinement
transparente ; (3) finalement, une lecture centrée sur la notion de
cinématisme,
visant à montrer comment dans Glass
House Eisenstein
fait jouer avec tout son potentiel l'idée que le cinéma peut se
développer vers des directions nouvelles en se rapportant aux
phénomènes de cinématisme
qui
se manifestent partout dans les arts et dans les formes de
représentation qui l'entourent, en particulier l'architecture
ouverte et la photographie concentrés sur les phénomènes de la
transparence. Ces trois axes de lecture s'entrelaceront dans ce qui
suit.
3.
Transparence, surimpressions, variation des
points
de vue : l'espace flottant de Glass
House
Comme
Eisenstein l'avoue clairement dans ses notes, l'un des enjeux
principal du projet Glass
House était
la révision profonde de l'espace cinématographique traditionnel. En
juin 1928 il écrit en allemand : "Sturz aufs Glas : Die Theorie
der Einstellungskomposition basiert auf dem Konflikt von Vertikalen
und Horizontaler, im Glass
House ist
alles umgekehrt" [Chute sur le verre : la composition du cadre
se fonde sur le conflit de l'horizontale et de la verticale. Dans
Glass
House tout
est renversé] (26).
Les dessins qui accompagnent les notes et les pages de journal
relatives à Glass
House nous
montrent comment cette mise en question de la composition du cadre
fondée sur le rapport entre verticalité et horizontalité aurait eu
lieu dans le film. On y trouve plusieurs dessins dans lesquels la
transparence du gratte-ciel et l'orientation diagonale de l'objectif
de la caméra auraient permis la vision simultanée de plusieurs
espaces avec un mélange d'intérieur et d'extérieur : par exemple,
l'intérieur d'une pièce et à travers ses parois le trafic en bas
dans la rue (figure 2), ou encore la vision de plusieurs appartements
de la maison, avec les personnes et le mobilier dedans, vus d'en bas
vers le haut, en voyant simultanément aussi les autres gratte-ciel à
l'extérieur (figure 3).
Figure 2
S.
M. Eisenstein, dessin pour Glass
House (1926-1930)
Figure 3
S.
M. Eisenstein, dessin pour Glass
House (1926-1930)
Dans cet espace transparent qui
abolit la séparation entre intérieur et extérieur, entre public et
privé, une divergence s'opère dans la première partie du film
entre le point de vue du spectateur et celui des personnages : nous
voyons ce qu'au départ ils ne voient pas, et qui sera la cause de la
catastrophe finale quand ils le découvrent. C'est ainsi que les
dessins nous montrent des scènes grotesques comme celle d'un homme
et une femme qui font l'amour, inconscients du fait qu'on peut les
voir à travers les murs ("Love scene through a water closet"),
d'une femme mourante à côté de laquelle passent des ascenseurs
pleins de gens indifférents, ou encore celle d'un homme riche qui
boit dans un bar sans voir la femme et l'enfant réduits à la misère
qui souffrent juste devant l'entrée, en pleine transparence.
Mais
l'espace de Glass
House n'est
pas seulement un espace transparent et donc ouvert en toutes
directions, en radicalisant l'ouverture évoquée au début et dont
nous savons qu'elle représentait pour Eisenstein comme une réserve
féconde et inépuisable d'effets de cinématisme. Glass
House nous
montre aussi un espace flottant
:
un "schwebender Raum" (27),
comme Eisenstein écrit en allemand dans ses notes, sans centre de
gravitation, où la transparence produit un effet irréalisant de
légèreté et de dématérialisation plusieurs fois souligné dans
les notes et dans les dessins. On y trouve des figures suspendues
dans l'espace, presque dans des nuages (figure 4), ainsi que des
cubes (pleins d'eau, de fumée, ou lumineux) qui flottent entre les
étages de la maison (figure 5), ou encore des objets comme des
meubles et des coffres-forts qui « flottent dans le verre ».
Figure 4
S.
M. Eisenstein, dessin pour Glass
House (1926-1930)
Figure 5
S.
M. Eisenstein, dessin pour Glass
House (1926-1930)
Dans
ce monde, tout est donc suspendu, les personnes et les choses
manquent de bases visibles qui les soutiennent, puisque même le sol
est fait de verre transparent. Un verre qu'Eisenstein s'amuse à
explorer dans toutes les variations possibles : verre coloré ; verre
« lisse » ou « mat et gaufré » ; verres parfaitement
transparents, invisibles, et verres « optiques », déformants ;
verre brûlé par le feu, rempli par la fumée, investi par la pluie
ou par la neige, troué par des clous ou par une mitrailleuse, et
enfin la montagne de verre brisé dans la scène finale de la
destruction de la maison (28)...
Dans d'autres cas, Eisenstein explore les possibilités de montage
dérivant d'un verre qui en même temps unit et sépare, permet de
voir mais non d'écouter, ou encore joue avec les rapports entre deux
types de transparence, celle du verre et celle de l'eau : il y a des
notes qui parlent d'une cascade qui passe juste sous la maison, d'«
un homme qui se noie aux yeux de tous (à cause d'un robinet cassé)
et les autres ont peur d'ouvrir la porte par crainte que l'eau
envahisse les pièces voisines », ou d'une piscine utilisée comme
plafond (29).
En
général, avec toutes ces variations sur les possibilités ouvertes
par ce décor inédit, Eisenstein vise à produire chez le spectateur
un effet continu de surprise et de désorientation. L'espace de Glass
House est
pensé comme un espace dérangeant, défamiliarisant, auquel le
spectateur ne doit pas s'adapter. « La Maison de verre ? contre
l'automatisme ! », déclare Eisenstein dans les notes, en avouant
ainsi sa dette envers le formalisme de Chklovsky, dans lequel les
notions d'« automatisme » et de « défamiliarisation » jouent un
rôle central. « Au départ, le verre est ressenti comme motivant
des angles inattendus. Ensuite [on est] "habitué" à cette
bizarrerie [...] Puis quand le motif du verre est totalement oublié,
heurter violemment, frontalement avec ce motif : par exemple en
enfonçant brutalement des clous dans un mur de verre, etc. Effets
d'un homme (dans ce cas précis, le spectateur) qui fonce dans un
miroir, l'ayant pris pour le prolongement du couloir » (30).
Un
instrument essentiel pour poursuivre ces effets de défamiliarisation
et de désorientation du spectateur que visait Eisenstein dans Glass
House est
la variation continue des points de vue de la caméra. Ici la
référence à Vertov et Moholy-Nagy que l'on trouve dans les notes
(31)
est
particulièrement significative : Glass
House est
un film qui, comme L'homme
à la caméra (1928)
de Vertov et le scénario Dynamik
der Grossstadt (1921-1922)
ou encore les photos prises de points de vue inédits de Moholy-Nagy,
célèbre le pouvoir optique et épistémique d'une caméra dont le
regard traverse toutes les surfaces et rend visible l'intérieur de
la maison comme dans une radiographie. Il s'agirait d'une caméra
mobile et omnivoyante qui change incessamment de point de vue, ainsi
qu'Eisenstein le souligne dans ses notes, insistant sur le fait que
l'un des enjeux principaux du film serait la recherche de nouveaux
points de vue : « prendre les actions les plus banales, and
change the point of view ;
prendre les types et les conflits psychiques les plus traditionnels
and
change the point of view [...]
C'est là que se verront entrecroisées toutes les pistes de
recherches de nouveaux points de vue. Tant pour la prise de vue que
pour l'interprétation » (32).
Grâce à ces variations continues de l'angle de vision, l'espace de
Glass
House finit
par se présenter comme un espace fragmentaire, polycentrique ou
a-centré (33),
un espace que l'« écran monstre » auquel pensait
Eisenstein
pour la vision du film aurait rendu encore plus difficile à saisir.
Mais il y a encore un autre aspect de l'espace de Glass
House qui
devait constituer un défi continu pour le regard du spectateur, un
aspect que nous avons déjà rencontré en commentant les dessins :
le fait que la transparence de toutes les surfaces ? des parois, des
sols et des plafonds, ainsi que des murs extérieurs du gratte-ciel ?
donnait à voir dans chaque cadre et chaque plan plusieurs espaces
simultanément, produisant des effets continus de surimpression.
Il s'agit ici d'une des possibilités de montage qu'Eisenstein
souhaite explorer à fond dans Glass
House,
après l'avoir utilisée à plusieurs reprises dans ses deux premiers
films, La
Grève (1924)
et Le
Cuirassé Potemkine (1925),
ainsi que dans un des deux films qu'il tourne pendant qu'il écrit
les notes pour Glass
House,
c'est-à-dire La
Ligne générale (1926-1929).
La surimpression comme « mélange d'images » (34)
dans
lequel plusieurs images sont entremêlées et visibles simultanément,
et comme procédé de montage capable de produire un espace et un
temps nouveaux, inédits, complexes, stratifiés. La surimpression,
aussi, comme moment dans lequel se manifeste de façon évidente
l'intervention du dispositif, son artificialité, avec le but de
restituer en image une dimension qui n'est plus celle du simple
enregistrement visuel d'un état de choses. Comme l'écrit Béla
Balázs dans son Der
Geist des Films (1930),
« le fondu [Blenden]
fait apercevoir le travail de la caméra, ce n'est plus la
représentation naïvement objective du sujet. La caméra projette de
son propre chef, par son propre mécanisme, quelque chose dans
l'image qui n'a rien à voir avec l'apparence naturelle, effective,
des choses. Le fondu est une expression purement subjective, donc
purement intellectuelle, de la caméra [Das
Blenden ist ein rein subjektiver, also ein rein geistiger Ausdruck
der Kamera].
Il soustrait l'image de l'espace naturel et du découlement naturel
du temps, et c'est pourquoi elle ne fait pas l'effet de quelque chose
de vu, mais de quelque chose de pensé [darum
wirkt es nicht wie gesehen, sondern wie gedacht]
»(35).
Le
cinéma des années 1920 avait utilisé souvent ce procédé de
montage ? dans lequel se manifeste selon Aumont une sorte de mise
en abîme du
montage lui-même, une « forme condensée du cinématographique »
(36)
?
pour restituer sur l'écran des états de conscience qui n'étaient
pas celui de la simple vision et qui étaient tous caractérisés par
un plus de subjectivité et d'irréalité : mémoire, fantaisie,
rêve, associations métaphoriques, trouble, folie, vertige...
Eisenstein, qui réservera une place aux surimpressions et surtout à
la genèse de ce procédé dans ses Notes
pour une histoire générale du cinéma,
s'en était servi dans ses films des années 1920 avec des buts très
différents, considérant la surimpression comme faisant partie de la
vaste exploration du procédé du montage qu'il conduisait tant dans
ses films que dans ses écrits. Dans La
Grève,
par exemple, nous trouvons des cas de surimpression qui manifestent
des intentions diverses : une roue d'usine qui s'arrête superposée
à des bras d'ouvriers qui se croisent signifie le début de la grève
; un accordéon en premier plan superposé à un groupe d'ouvriers
qui chantent vise à nous restituer même dans le cinéma muet la
dimension du son (37)
(figure
6) ; la superposition des visages des quatres espions avec ceux des
animaux desquels ils dérivent leurs surnoms, nous révèle leur
apparence décevante, et introduit le thème de la nature pénétrante
de leur regard surveillant, un regard qui sera toujours souligné
dans des scènes dans lesquelles on trouve à côté des
surimpressions des jeux de reflets ou de distorsions de la vue par
des miroirs, des verres ou des loupes.
Figure 6
S.
M. Eisenstein, un photogramme extrait du film La
Grève (1924-1925)
Dans
un texte écrit plus tard, en 1937, et faisant partie de Montage,
Eisenstein reconduit sa passion pour la surimpression dans La
Grève comme
tentative d'introduire aussi dans le cinéma la complexité spatiale
de la peinture cubiste. Quand son exploration du procédé du montage
s'oriente vers d'autres directions, son recours à la surimpression
diminue fortement. Dans Le
Cuirassé Potemkine,
par exemple, elle apparaît seulement dans un cas : la vision des
marins qui imaginent leurs compagnons pendus au mât principal du
navire, après avoir été menacés de mort par le commandant s'ils
n'acceptent pas de manger la viande avariée, ce qui a déclenché la
révolte. Dans Octobre,
on note le montage « conflictuel » avec lequel Eisenstein
experimente d'autres voies que celle de la surimpression, procédé
que nous retrouvons pourtant au coeur de La
Ligne générale,
au début de la séquence du rêve de Marfa Lapkina, qui songe le
taureau Fomka avec des proportions gigantesques superposé à un ciel
nuageux et dominant le troupeau des vaches fécondées, dans une
image grandiose (figure 7), citation cachée du Géant
de
Goya (38)
.
Figure 7
S.
M. Eisenstein, un photogramme extrait de La
Ligne générale (1926-1929)
Par
rapport à tous ces usages de la surimpression dans les films qui
précèdent ou accompagnent l'élaboration de Glass
House, l'usage
qu'Eisenstein fait de la superposition de plans dans ce projet est
tout à fait particulier. Pour commencer, il ne s'agit pas ici de
surimpressions réalisées par exposition repétée de la pellicule
photosensible, mais d'un « effet de surimpression » généré par
la spécificité de l'espace profilmique
lui-même, dont la totale transparence rend visibles simultanément
l'intérieur et l'extérieur, ainsi que les appartements dans
lesquels se partage la maison de verre. À travers ces effets de
surimpression, Eisenstein vise à bouleverser la composition
traditionnelle du cadre, basée sur le contraste entre horizontal et
vertical. L'espace « radiographié » de la maison de verre est au
contraire un espace complexe, où les éléments portants de cette
architecture ouverte donnent lieu à un jeu complexe de diagonales,
un jeu presque abstrait qu'Eisenstein dans un dessin appelle «
composition suprématiste », soulignant un rapport avec le
suprématisme de Malévitch et le cinéma abstrait qui aurait été
probablement présent aussi dans le prologue décrit comme «
symphonie du verre ».
Ce
bouleversement de l'espace cinématographique traditionnel par ces
effets de surimpression produits à travers la transparence du
profilmique, accentue ultérieurement l'effet d'étrangeté exercé
sur le spectateur, présentant l'espace de Glass
House comme
un espace à la fois artificiel et onirique, grotesque et inquiétant.
Un espace dystopique, conçu avec des intentions de critique sociale
et politique qu'il s'agit maintenant de déchiffrer.
4. La ville de verre entre
utopie et dystopie
La
dimension politique du projet Glass
House émerge
clairement en lisant les notes et les pages de journal qui nous sont
parvenus, et est inséparable de la dimension formelle qu'on vient
d'analyser. L'espace de Glass
House est
un espace proprement social,
un espace qui produit des formes de vie et nous invite à refléchir
sur les enjeux politiques de cette architecture ouverte et
transparente.
Tout
d'abord il faut souligner que le film ? toujours appelé en anglais
et parfois en allemand (Glashaus),
mais jamais en russe était conçu par Eisenstein comme un « film
américain », qui aurait dû mettre en scène une critique ironique
et parodique de la société capitaliste américaine, avec ses
divisions sociales exaspérées, sa competition exagérée, son
individualisme, son manque de solidarité sociale, son aliénation.
Avec son gratte-ciel de verre et son final apocalyptique, il était
la réponse d'Eisenstein à la vision dystopique (mais avec
réconciliation finale) de la métropole du futur à laquelle
travaillait dans ces mêmes années Fritz Lang avec Metropolis,
dont Eisenstein visita le set pendant sa visite à Berlin, en en
discutant aussi le scénario avec Thea von Harbou. Metropolis
dont
l'idée originaire, comme Fritz Lang lui-même l'aurait avoué plus
tard, lui était venue pendant sa première visite à New York en
1924 pour la première de Siegfrieds
Tod (première
partie de Die
Nibelungen).
Il avait été frappé, en s'approchant du port, par la vue du
skyline
de
Manhattan avec ses lumières éblouissantes (39).
Eisenstein conçoit son cauchemar de verre à Berlin, mais il
essayera de réaliser ce « film américain » en 1930 en le
présentant à la Paramount lors de sa visite à Hollywood sous
invitation de Mary Pickford et Douglas Fairbanks : une tentative
risquée, et dont la faillite ne nous surprend pas, vu que dans le
film il voulait présenter une « mise en forme parodique du matériau
de la vraie Amérique, l'Amérique des clichés hollywoodiens »
(40). Les
divergences entre Eisenstein et la Paramount furent telles, qu'après
avoir essayé de proposer deux autres films, Eisenstein n'eut plus
comme issue que de partir pour le Mexique avec l'aide financière de
l'écrivain américain d'orientations socialistes Upton Sinclair,
pour y tourner un autre film destiné à rester inachevé, Que
viva Mexico !
Pourtant,
les enjeux sociaux et politiques de Glass
House ne
peuvent pas être réduits à une parodie ou à un commentaire
sarcastique sur l'Amérique hollywoodienne et les malaises du
capitalisme, avec le but d'exalter au contraire la solidarité qui
aurait régné dans la société socialiste en construction dans
l'Union soviétique. Dans les notes de son journal, Eisenstein
lui-même juge cette solution « un peu orthodoxe » : « Thème de
l'individualisme et de l'isolement comme corrélats nécessaires de
la concurrence chaotique. Inconcevabilité du collectivisme et
ineluctabilité de l'entre-dévoration dans le milieu capitaliste.
Opposer à la maison de verre qui se brise un village-commune,
collectif idéal dont on peut ériger les fondations à cet endroit
(Un
peu orthodoxe ? mais que faire ? l'idée est belle)
» (41).
Le fait qu'Eisenstein déclare avoir conçu ce projet « sous
l'influence des essais d'architecture de verre », nous invite à
explorer plus attentivement les valeurs sociales, politiques,
utopiques et dystopiques attribuées à cette architecture de verre
dans les années 1910 et 1920, soit en Europe occidentale soit en
Union soviétique, afin de pouvoir mieux établir quels étaient les
« essais » auxquels il pouvait penser et quelle attitude il
manifestait envers eux avec Glass
House.
Comme
nous verrons plus loin, les utopies liées à l'architecture de verre
étaient répandues autant dans la Russie pré-révolutionnaire qu'en
Union soviétique ? de Que
faire ? (1863)
de Tchernychevski aux visions du poète futuriste Khlebnikov, visions
qui auraient inspiré fortement le côté plus utopique de
l'architecture constructiviste soviétique dans les années 1920 ?
qu'en Allemagne, de la Glasarchitektur
(1914)
de Scheerbart à l'imaginaire cristallin de Taut et de la Gläserne
Kette dans
les années 1910 et les premières années 1920. Des reférences à
la vie dans l'architecture de verre se trouvent aussi dans les
poésies d'un des représentants les plus connus du futurisme
littéraire italien, Aldo Palazzeschi (42),
ainsi que dans Nadja
(1928)
de Breton (43).
Benjamin, de son côté, parle de l'architecture de verre dans son
essai sur le surréalisme, il commente à plusieurs reprises la
valeur utopique attribuée à l'architecture de verre par Paul
Scheerbart, et, comme nous le verrons ensuite, arrive à dire que
celle-ci était un des signes du déclin de l'aura dans la culture
moderne. Parallèlement à tout ça, dans l'Union soviétique des
années 1920 se développe une idéologie de la vie en commun, qui
s'exprime souvent dans des projets qui font largement recours à la
transparence du verre, et qui visent à la réalisation d'espaces
sociaux (maisons, résidences pour étudiants, clubs ouvriers) qui
soient le plus possible ouverts,
des espaces dans lesquels la dimension privée des individus aurait
été réduite au minimum. Cette idéologie, qui parfois s'exprimait
avec des projets de vrai contrôle totalitaire sur la vie des
individus, aurait produit dans l'Union soviétique sa contre-réponse
dystopique, qui prend une forme hallucinée dans le roman Nous
autres (1920-1921)
de Zamiatine.
Considérées
ensemble, toutes ces références compliquent l'interprétation des
enjeux sociaux et politiques de Glass
House,
et nous invitent à réfléchir sur la possibilité qu'à côté de
la critique du capitalisme américain on puisse trouver aussi dans ce
projet un commentaire sur les utopies liées à l'architecture de
verre qui s'étaient répandues dans les années 1910, de Khlebnikov
à Taut, et une confrontation avec la vision dystopique qu'on
trouvait dans le roman de Zamiatine, interdit en Union soviétique
mais qu'Eisenstein aurait pu lire dans une des éditions qui
circulaient à l'étranger. Dans la Russie pré-révolutionnaire, la
valeur utopique de l'architecture de verre est étroitement liée au
nom de Tchernychevski et à son roman Que
faire ? de
1863 (44).
Philosophe matérialiste, socialiste utopique fortement critique de
la société tzariste, Tchernychevski nous montre dans son roman
allégorique deux personnages qui sont des vrais modèles de
comportement révolutionnaire, Rakhmetov et Vera Pavlovna. Celle-ci,
dans un des ses rêves décrits dans le roman, après nous avoir
livré un aperçu des diverses formes de répression de la femme dans
l'histoire couronné par la figure de la femme libre et égale à
l'homme, « celle qui aime et est aimée » (45),
décrit la société du futur, régie par cet amour symétrique,
comme une société qui vit dans un paysage rural au centre duquel il
y a plusieurs immenses bâtiments « avec une structure de fer et les
parois de cristal », tels que chacun d'eux paraît « un grandiose
jardin d'hiver » (46).
Le modèle est clairement celui du Crystal Palace réalisé par
Joseph Paxton pour la Great Exhibition de 1851 à Londres,
initialement construit à Hyde Park puis déplacé à Sydenham Hill,
avant d'être détruit par un incendie en 1936. Un bâtiment qui
traverse la littérature utopique du xixe siècle comme manifestation
concrète de la possibilité d'une architecture autre
:
ouverte, légère, parfaitement intégrée avec la nature,
spectaculaire.
Le
fait que Dostoievsky ait commenté dès 1864 avec un sarcasme non
voilé le rêve de Tchernychevski dans ses Carnets
du sous-sol,
n'aura pas empêché que l'architecture de verre devienne l'objet
d'autres visions du futur dans des années proches de la révolution
de 1917. Dans son Nous
et les maisons (1914-1915)
(47),
le poète futuriste Velimir Khlebnikov nous présente une ville du
futur transparente et lumineuse, dans laquelle les individus vivent
dans des habitations de verre, des petits cubes mobiles, identiques
les uns aux autres. La ville imaginaire rêvée par Khlebnikov est
composée de bâtiments-métiers de forme diverses ? ponts, arbres,
navires, filaments, tubes, livres ouverts..., suspendus dans l'air,
sur lesquels les petites habitations-modules de verre s'accrochent
les unes aux autres, prêtes à repartir pour des nouveaux voyages
dans ce monde régi par le culte du soleil et de la lumière.
Une
vision de la ville qui aurait influencé le côté plus utopique de
l'architecture constructiviste soviétique des années 1920, et dont
nous retrouvons les traces dans des projets comme la tour radio
Shabolovka de Shuchov à Moscou (1922), le Monument à la Troisième
Internationale de Tatline (1919-1920), les gratte-ciel appelés
Wolkenbügel
de
El Lissitzky (1923-1920), et surtout la Ville
volante de
Georgii Krutikov (1928), un projet visionnaire conçu dans l'atelier
dirigé par Ladovski au Vkhutemas, l'école soviétique d'art et
architecture active entre 1920 et 1930 où se développait le courant
le plus utopique de l'architecture constructiviste.
Dans
l'Allemagne des années 1910, l'utopie de l'architecture de verre
prend une forme qui est influencée en même temps par l'héritage du
romantisme et par le militarisme dominant au début de la première
guerre mondiale. Dans son Glasarchitektur
(1914),
Paul Scheerbart se dit convaincu du fait qu'une réforme de la
société doit passer par une révolution dans les modes
d'habitation, du moment que chaque civilisation est « le produit de
son architecture » (48).
La vieille architecture de pierre, bois et briques
?
lourde, fermée, opaque ? doit être remplacée par une nouvelle
architecture légère, ouverte, transparente, lumineuse et
spectaculaire. Une architecture faite de verre coloré
qui
soit capable de mettre les individus en relation directe avec le
paysage et le spectacle cosmique qui les entoure : les maisons
décrites par Scheerbart dans son livre curieux sont baignées
pleinement par la lumière du soleil et par la lueur de la lune et
des étoiles, sans que celles-ci soient encadrées par la forme
rectangulaire de la fenêtre, vrai symbole de la perte d'une relation
libre et ouverte avec la nature et le cosmos. Cette architecture
visant à répandre dans le monde la jouissance d'une beauté libre,
sans fins, aurait été capable selon Scheerbart de contraster avec
le militarisme et la violence dominants dans une société qui
s'était plongée dans la guerre.
Cette
vision irénique est complètement partagée par Bruno Taut, qui
trouve dans les livres de Scheerbart la formulation d'une utopie du
verre et de la transparence qu'il poursuit tant dans son
projet-manifeste du pavillon de l'exposition du Werkbund à Cologne
en 1914, que dans ses livres des années 1910 entre autres Die
Stadtkrone (1919),
Alpine
Architektur (1919-1920),
Der
Weltbaumeister (1920)
(49)
que, finalement, dans les lettres et dessins qu'il fait circuler
entre les membres de la « chaîne de verre », la Gläserne
Kette,
un groupe d'architectes et d'artistes qu'il avait réunis pour
discuter ces idées.
Traversés
par des motifs qui proviennent tant du symbolisme du cristal répandu
dans le romantisme allemand que de la mystique de Meister Eckhart, et
animés par un vrai culte de l'architecture des cathédrales
gothiques avec leurs grands vitraux colorés, les dessins et les
textes de Taut présentaient une vision de l'architecture de verre
qui était soit le couronnement purement esthétique de la ville du
futur (Die
Stadtkrone),
soit une formation cristalline surgissant spontanément de la terre
et se projetant vers le ciel infini (Alpine
Architektur,
Der
Weltbaumeister).
Dans les deux cas, il s'agissait d'une architecture conçue comme
objet de pure jouissance esthétique, sans aucune finalité pratique,
sauf celle de rétablir les liens entre les individus et le spectacle
cosmique qui les entourait. Une architecture qui, par sa nature
symbolique et son aspect cristallin, aurait dû s'imposer comme point
de départ pour l'établissement d'une nouvelle communauté pacifique
fondée sur des bases purement spirituelles. Une idée dont nous
retrouvons les traces dans le Programme
du Bauhaus de Weimar écrit
par Gropius en 1919, lorsqu'il parle de l'architecture, oeuvre d'art
total du futur comme « symbole cristallin d'une nouvelle foi à
venir », et lorsqu'il choisit comme image pour accompagner ce
programme une gravure sur bois de Lyonel Feininger qui rappelle de
près l'iconographie de Taut et de la Gläserne
Kette (50).
Si
d'un côté Glass
House peut
être interprété comme une critique sarcastique de ces utopies du
verre et de la transparence, qui au milieu des années 1920 en
Allemagne avaient été abandonnées par leurs mêmes initiateurs,
Taut s'engage activement dans des projets d'architecture sociale et
abandonne les rêveries des années de l'immédiat après-guerre, et
le Bauhaus de Gropius en 1923 abandonne l'orientation expressionniste
des premières années pour suivre la voie d'une intégration de la
recherche artistique avec le progrès de la technique industrielle,
de l'autre côté le projet de film d'Eisenstein peut être lu aussi
en relation avec l'idéologie de la vie en commun qui s'était
répandue dans l'Union soviétique des années 1920. Cette idéologie,
qui avait ses racines dans le socialisme utopique du xixe siècle,
pensons aux phalanstères
imaginés
par Fourier, s'était déployée dans les premières années après
la guerre civile avec l'expropriation des maisons bourgeoises
destinées à accueillir plusieurs familles, souvent une par pièce,
et avait donné lieu par la suite à tout un courant de
l'architecture constructiviste qui avait pour but le projet de
structures pour la vie en commun : maisons, résidences pour
étudiants, clubs ouvriers (51).
Eisenstein connaissait bien, personnellement, l'excitation et les
difficultés de la vie en commun, vu que, à partir de 1920, il avait
habité dans une maison commune qu'il n'aurait laissée qu'en 1934
(52).
À partir du milieu des années
1920, ces structures pour la vie en commun commencent à être
pensées comme de vrais « condensateurs sociaux », comme affirme
l'architecte Moisei Ginzburg en 1928 à la première conférence du
groupe constructiviste OSA : « le principal objectif du
Constructivisme [...] est de définir le condensateur social de
l'époque ». Dans cette perspective, l'architecture était conçue
comme capable d'influencer les comportements sociaux et même la
conscience des individus, afin de contribuer à la construction de la
nouvelle société socialiste. Avec les autres arts, elle participait
au même projet général de réforme de la sensibilité, de la
pensée et des modes de vie formulés par l'idéologie
constructiviste. Les idées mêmes de « montage des attractions »
ou de « cinéma intellectuel » élaborées par Eisenstein dans les
années 1920 participent tout à fait de ce courant.
Organisation
des espaces par l'architecture, donc organisation de la vie : une
idée partagée dans cette période autant par les architectes
constructivistes soviétiques qu'en Europe occidentale, par les
théoriciens du Bauhaus, et par des architectes comme Le Corbusier,
avec son idée de la maison comme « machine à habiter » (53).
Dans ce contexte, l'architecture de verre jouait un rôle central. Sa
transparence n'était pas seulement un symbole de modernité, une
annonce du futur à venir, mais aussi un trait qui aurait dû
contribuer à introduire transparence, solidarité et harmonie dans
les relations sociales. Avec son ouverture et ses connotations
utopiques, elle était l'un des véhicules de l'idéologie
communautaire, une idéologie qui, dans la deuxième moitié des
années 1920, se serait manifestée soit dans des projets
relativement « modérés » comme la Dom
kommuna Narkomfin (1928-1930)
de Ginzburg, qui maintenait encore des espaces pour la vie privée
des familles, soit dans des projets beaucoup plus radicaux comme ceux
de Kuzmin et Nikolaev pour des résidences d'étudiants. Projets qui
parfois adoptaient des formes circulaires convergentes vers un espace
central commun, et qui visaient à une planification rationnelle et
totale de la vie dans ces « incubateurs » de la nouvelle société.
Kuzmin
et Nikolaev avaient accompagné leurs projets avec des écrits qui
nous donnent la mesure du contrôle totalitaire qui était visé par
cette architecture ouverte pensée pour la vie en commun. Dans son
écrit intitulé « Problèmes de l'organisation scientifique de la
vie quotidienne » (1930), Kuzmin présentait un schéma de la vie
dans la maison commune qui aurait dû orienter le travail de
l'architecte, et qui partageait une journée de 16 heures (de 6
heures du matin, à 10 heures du soir) en une série d'activités
scandées avec extrême précision : toilette (10 minutes),
s'habiller (5 minutes), se déshabiller à la fin de la journée (7
minutes), etc. (54).
Nikolaev, de son côté, assignait à chaque couple d'étudiants une
cabine de 6 m2 pour dormir, qui devait être abandonnée au début de
la journée et rester totalement fermée et inaccessible jusqu'à la
nuit suivante. Tout le reste de la journée dans cette « machine
totale » pour la formation de l'individu socialiste aurait été
passée dans des espaces communs : salles de gymnastique, bains,
salles à manger, classes, salles de lecture. La dimension privée
était presque supprimée, sauf pour les heures de la nuit, pendant
lesquelles, pourtant, Nikolaev n'excluait pas la possibilité d'avoir
recours au gaz pour « favoriser le sommeil ».
Vu
le caractère totalitaire de ce projet de contrôle de l'existence à
travers le projet d'une architecture faite d'espaces les plus
possibles ouverts, ce n'est pas une surprise si cette idéologie de
la vie en commun donne lieu à des visions dystopiques comme celle
que nous présente Zamiatine dans son roman Nous
autres (55),
paru déjà en 1920-1921 mais interdit en Union soviétique pour son
caractère « anti-révolutionnaire ». Dans le monde futur qui nous
est présenté par Zamiatine, les hommes et les femmes ont perdu leur
nom, et s'appellent avec des chiffres et des lettres : consonnes pour
les hommes, voyelles pour les femmes. Toute leur vie est régie par
un État Unique qui assigne le travail, discipline le temps libre, et
contrôle même les rencontres sexuelles, qui peuvent avoir lieu
seulement avec des permis spéciaux, et qui sont les seuls moments
pendant lesquels les individus peuvent se cacher à la vue des
autres. Tout le reste se joue en pleine transparence. Le monde de
Nous
autres est
un monde entièrement de verre, où tout est visible et contrôlé
par le Bienfaiteur et ses « numéros-espions », et où le seul
reste du monde passé est la Maison Ancienne conservée à la limite
extrême de l'État Unique. L'opposition entre le monde nouveau et le
monde ancien ne pourrait être plus nette. Le premier est totalement
transparent, et le verre y est symbole de beauté, pureté, éternité,
solidité, perfection.
Dans
ce monde transparent et uniforme, les hommes et les femmes n'ont rien
qui leur appartienne, ni qui puisse laisser de traces de leur
individualité. L'architecture de verre est ici un instrument de
dépersonnalisation, symptôme d'une perte d'individualité, comme
nous le lisons dans la description d'une vue ayant des fortes
analogies avec l'espace qu'Eisenstein avait imaginé pour Glass
House :
« à droite et à gauche, à travers les parois de cristal, il me
semble de voir moi-même, ma chambre, mes vêtements, mes mouvements,
repétés pour des milliers de fois. Ça te donne du courage : tu te
vois comme faisant partie d'un Unique énorme, imposant. D'une telle
beauté, parfaite : aucun geste superflu, aucune nuance, aucune
rupture » (56).
Cette même association entre architecture de verre et perte
d'individualité nous la trouvons aussi chez Benjamin dans son essai
Expérience
et pauvreté,
là où, commentant l'utopie du verre chez Scheerbart, il écrit que
« le verre est ennemi du secret [...] et de la possession », et que
dans les espaces de verre « il est difficile de laisser des traces »
(57).
Pourtant, le rôle social joué par l'architecture de verre chez
Benjamin est opposé à celui qu'elle joue chez Zamiatine. Dans
celui-ci, le verre est le symbole de la totale annihilation de la
liberté par un régime totalitaire qui ne se limite pas à rendre
transparentes les maisons, mais veut que les consciences aussi soient
transparentes, parfaitement « radiographiables » par le regard
omnivoyant du Bienfaiteur et de ses gardiens. Chez Benjamin, au
contraire, la transparence, la froideur et la sobriété du verre
s'opposent à la chaleur et à l'intimité de l'intérieur de la
maison bourgeoise, mais celle-ci est une intimité repliée sur
elle-même et pleine d'une aura que l'architecture de verre contribue
à détruire avec sa force révolutionnaire. Dans son essai sur le
surréalisme, commentant Nadja
de
Breton, Benjamin écrit que « vivre dans une maison de verre est,
par excellence, une vertu révolutionnaire. Cela aussi est une
ivresse, un exhibitionnisme moral dont nous avons grand besoin. La
discrétion sur ses affaires privées, jadis vertu aristocratique,
est devenue de plus en plus le fait de petits-bourgeois arrivés »
(58).
Quel
est le statut de Glass
House par
rapport à ces diverses positions qui voient dans l'architecture de
verre soit la concrétisation d'une utopie d'harmonie sociale et
cosmique, soit un geste révolutionnaire capable de rompre avec le
passé, soit la manifestation d'un cauchemar totalitaire ? Où se
situe le projet d'Eisenstein entre le socialisme rural de
Tchernychevsky et les villes du futur de Khlebnikov, entre le rêve
cristallin de Taut et de la Gläserne
Kette et
le monde dystopique de Zamiatine ? L'architecture de verre
joue-t-elle, chez lui, le rôle de « vertu révolutionnaire » qui
lui est attribué par Benjamin ? En lisant les notes qui nous sont
parvenues, la maison de verre au centre de Glass
House nous
apparaît de plus en plus comme une expérimentation,
qui, d'un côté, échoue de façon catastrophique, et de l'autre
libère des possibilités innombrables à explorer.L'expérimentation
qui se solde par un échec catastrophique est l'expérimentation
politique
de
la vie dans l'architecture de verre. Dans Glass
House,
cette vie dans la transparence, au moment où la transparence devient
visible, n'est pas une vie vouée à la contemplation du spectacle
cosmique qui entoure la maison (Scheerbart, Taut), ni une vie
caractérisée par la glorification de la mobilité et de la légèreté
(Khlebnikov), ni encore une vie où la transparence est symbole d'une
harmonie dans les relations sociales. La
visibilité de tout et de tous déclenche en Glass
House l'égoïsme
et la haine, et cette expérience se termine avec la catastrophe
finale.
De
l'autre côté, l'expérimentation qui n'échoue pas mais qui, au
contraire, libère des énergies inattendues, est l'expérimentation
esthétique
visant
à explorer le cinématisme de l'architecture de verre : sa
spectacularité, les réflexes et les surimpressions qui s'y
produisent, sa capacité d'aider le cinéma dans le projet de
remettre en question les formes traditionnelles de la composition des
cadres et des plans. Ce projet esthétique, qui tout comme le
commentaire politique et social est au centre de Glass
House,
pouvait s'appuyer sur l'exploration de l'expérience sensible dans
l'architecture de verre qui avait été faite par les mêmes auteurs
qui en avait exalté la dimension utopique ou qui l'avaient condamné
comme expression de totalitarisme : Khlebnikov, Taut, les architectes
constructivistes, Zamiatine. Dans tous leurs écrits et projets,
l'architecture de verre est présentée comme lieu d'une expérience
esthétique nouvelle, intense, capable de transformer l'horizon
sensoriel de l'individu moderne.
5.
Le cinématisme de l'architecture de verre
Comme
nous l'avons vu auparavant, en parlant de la reférence au Crystal
Palace de Paxton dans le roman de Tchernychevsky, les raisons pour
lesquelles l'architecture de verre se prêtait à être considérée
comme modèle d'une architecture utopique étaient son ouverture, sa
légèreté presque immatérielle et flottante, et surtout sa
spectacularité : le fait qu'une fois à l'intérieur d'une
construction de verre, on pouvait contempler le spectacle du paysage
et du ciel qui l'entouraient, à travers tout un jeu de reflexes, de
surimpressions, de transparences. L'expérience sensorielle dans
l'architecture de verre était une expérience esthétique
intensifiée, dans laquelle tous les sens, à partir de la vue,
étaient sollicités d'une façon nouvelle. Tchernychevsky nous parle
du bâtiment de verre au centre de la société du futur comme d'une
construction qui symbolise une vie qui baigne dans la lumière, une
lumière qu'il faut entrevoir même dans les ombres du présent.
Khlebnikov nous présente la vie future comme une vie constamment en
mouvement, où les habitants « ailés », suspendus dans leur petits
cubes de verre mobiles, regardent la ville d'en haut : « les gens
regardent maintenant la ville de côté ; dans le futur ils la
regarderont directement d'en haut. Le toit sera la chose la plus
importante, l'axe de la structure élévée. [...] Les foules de la
ville ne se se promèneront plus à pied, ni avec leurs collègues à
quatre jambes ; ils auront appris à voler au dessus de la ville, en
jetant leurs regards vers la place en bas ; en dessus de la ville il
y aura un nuage qui examinera le travail des constructeurs, une
menace aux toits fragiles, comme un orage ou une tornade » (59).
Dans
Glass
House,
l'expérience visuelle n'est pas seulement bouleversée par le fait
de se trouver dans un espace totalement transparent, mais aussi par
le fait de se trouver à l'intérieur d'un gratte-ciel, une structure
qui introduit une dimension de verticalité inconnue auparavant.
Cette idée de la métropole moderne, pleine de gratte-ciel, comme un
lieu qui soumet ses habitants à une expérience visuelle nouvelle,
se trouve aussi au centre du livre d'un architecte très influent
dans les années 1920, Erich Mendelsohn, intitulé Amerika.
Bilderbuch eines Architekten.
Mendelsohn nous présente la métropole américaine (New York et
Chicago surtout) comme le lieu du gigantesque et du grotesque : le
lieu où l'énormité des gratte-ciel doit être restituée avec de
nouveaux points de vue, et où le vertige des nuits pleines de trafic
et de lumière peut être capté seulement en forçant l'appareil
photographique à aller au-delà de son usage traditionnel, par
exemple en produisant des surimpressions. Moholy-Nagy dans son projet
de film Dynamik
der Grosstadt et
Rodtchenko dans ses photos explorent aussi la ville de tous les
points de vue possibles, tandis que Rodtchenko dans un article publié
dans la revue Novy
Lef en
1928 avoue sa dette envers le livre de Mendelsohn, et écrit : «
Nous devons redécouvrir de nouveau le monde visible. Nous devons
révolutionner notre savoir optique. Nous devons arracher le voile
devant nos yeux [...] Les angles de vision les plus intéressants
d'aujourd'hui sont ceux du haut vers le bas, et du bas vers le haut,
ainsi que les diagonales » (60).
Glass
House participe
complètement de cette vision de la ville comme spectacle
éblouissant, et, en regardant les dessins d'Eisenstein, il semble
que le film aurait comporté beaucoup de scènes au cours desquelles
les lumières à l'intérieur de la maison auraient interagi avec les
enseignes lumineuses ou les phares des automobiles à l'extérieur.
Avec la mobilité constante de la caméra, il aurait présenté la
ville comme un espace complexe, sans un centre unique, mais plutôt
objet d'une multiplicité de regards qui ne pouvaient pas être
réduits à l'unité d'une seule perspective. Dans son essai sur le «
montage vertical » écrit en 1940 (61),
il fait reférence à un article de René Guilleré intitulé « Il
n'y a plus de perspective » pour rendre cette même idée de la
ville qui nous est montrée dans Glass
House :
« L'aspect des villes modernes, surtout celui d'une grande ville la
nuit, est nettement l'équivalent plastique du jazz. Ce qui y est
particulièrement remarquable, c'est ce qu'indique Guilleré :
l'absence
de perspective.
Toute notion de perspective et de profondeur réaliste est balayée
par le flot nocturne de la publicité électrique. Proches et
lointaines, petites (au premier plan) et grandes (dans le fond),
jaillissant en l'air et s'évanouissant, courant et tournoyant,
éclatant et disparaissant, toutes ces lumières tendent à abolir
toute notion d'espace réel, se fondent enfin en un seul plan de
points lumineux colorés et de lignes de néon, bougeant sur le fond
du velours noir du ciel. [...]. Les phares des autos qui roulent, les
lumières des tramways qui passent, les reflets miroitants sur les
pavés humides, ou les reflets dans les flaques d'eau qui détruisent
complètement notre sens de direction (qu'est-ce qui est en haut ?
qu'est-ce qui est en bas ?) ajoutant au mirage posé au-dessus de
nous un mirage en dessus de nous » (62).
Cette
mobilité des points de vue sur la métropole moderne à travers le
verre était célébrée aussi par les projets les plus utopiques du
constructivisme russe, ainsi que par ce grand monument «
proto-constructiviste » qui est le Monument
à la Troisième Internationale (1919-1920)
de Tatline. Dans cette gigantesque tour inclinée, composée de deux
spirales enveloppantes de métal poussant vers le haut, il aurait dû
y avoir quatre solides de verre en perpétuelle rotation : en partant
du bas, un cube, une pyramide, un cylindre, et une demi-sphère au
sommet. La rotation prévue avait des vitesses diverses : un tour
complet chaque année pour le cube en bas, siège et symbole du
pouvoir législatif ; un tour complet chaque mois pour la pyramide,
destinée au pouvoir executif ; enfin, un tour chaque jour pour le
cylindre, centre d'information duquel on aurait envoyé des messages
aux prolétaires du monde entier par télégraphe, téléphone et
radio, ou à l'aide de projecteurs qui auraient projeté des images
et des slogans sur des écrans ou sur les nuages. Dans ce monument
communicatif et multimédial, sûrement inspiré par les écrits de
Khlebnikov dont Tatlin était un grand ami et dont il vénérait les
écrits, la structure en spirale et la rotation des solides flottants
auraient dû donner une impression d'énergie incessante, capable de
lancer un défi à la loi de gravitation. Les solides de verre lui
auraient donné un aspect fortement spectaculaire : leur transparence
aurait consenti une vision sans limites de l'extérieur vers
l'intérieur et vice versa, symbole d'une pleine coparticipation
entre le gouvernement et son peuple, et leur rotation aurait offert
aux spectateurs au dedans et au dehors des points de vue toujours
changeants.
À
l'extrémité opposée de l'imaginaire constructiviste ? soit par les
diverses reférences philosophiques et littéraires qui les animent,
soit parce qu'au vertige de la métropole moderne se substitue la
solitude inaccessible des cimes des Alpes et de l'espace sidéral ?
les visions cristallines de Taut célébraient aussi, d'une façon
différente, la spectacularité de l'architecture de verre. L'espace
intérieur de son pavillon réalisé à l'exposition du Werkbund à
Cologne en 1914, ainsi que les intérieurs des structures
cristallines que nous voyons dans les dessins de Alpine
Architektur et
du Weltbaumeister
sont
des espaces prismatiques et ouverts qui présentent aux visiteurs
éblouis un spectacle kaléidoscopique en mouvement perpétuel. C'est
le spectacle du soleil et du ciel étoilé qui entoure ces maisons,
traduit en un jeu de réflexes et de projections par leurs vitres
colorées.
Dans
ses livres, Taut élabore la vision mystique formée par cet espace
grâce à un montage de plans qui, page par page, conduit l'oeil à
travers un trajet cosmique qui atteint son sommet lorsqu'on découvre
l'intérieur de la Kristallhaus.
Dans Der
Weltbaumeister,
présenté par Taut comme un Architektur-Schauspiel
für symphonische Musik et
organisé en forme de montage séquentiel de dessins, l'oeil du
lecteur se retrouve à suivre un trajet dans un espace sans aucune
présence humaine. Tout d'abord, après que les rideaux ouverts nous
aient montré une scène vide, toute jaune, une cathédrale gothique
apparaît et pousse vers le haut.
Figure 9
B.
Taut, dessin pour Der
Weltbaumeister (1919)
Une fois qu'elle s'est élevée complètement et nous a
dévoilé son intérieur lumineux et coloré, la cathédrale
s'incline et puis s'écroule au sol.
Figure 10
B.
Taut, dessin pour Der
Weltbaumeister (1919)
Après une autre scène vide, cette fois d'un bleu
foncé, nous nous trouvons au milieu du ciel étoilé, dans lequel
apparaît une étoile de cristal qui commence à danser.
Figure 11
B.
Taut, dessin pour Der
Weltbaumeister (1919)
Retournant
sur la terre, on voit pousser des petits bourgeons, des petites
maisons au centre desquelles surgit une gigantesque Kristallhaus
illuminée, dont
l'intérieur nous est présenté en trois cadres successifs : un
espace merveilleux (« es öffnet sich, zeigt seine inneren Wunder
»), avec des « cascades lumineuses », et partout du verre
étincelant (« überall blitzendes Glas »).
Figure 12
B.
Taut, dessin pour Der
Weltbaumeister (1919)
Tout
se bouge et glisse dans cet intérieur kaléidoscopique (« Bewegen
und Fliessen aller seiner Elemente ») envahi d'étincelles colorées,
dans lequel le spectateur vit une expérience de fusion totale,
mystique, avec le Tout (« Völlige Entfaltung, Sterne durchschimmern
die Kristalltafeln, Architektur, Nacht, Weltall, eine Einheit... »)
(63).
6.
Conclusions : un cinéma ouvert
Bien
qu'il se moque dans Glass
House de
cette foi romantique en la fonction rédemptrice de la transparence
propre aux visions de Taut, Eisenstein était fort intéressé par
l'exploration de toutes les variations possibles sur les effets de
cinématisme produits par cette architecture comme par toute
architecture de verre. Effets de cinématisme qu'il trouvait autant
du côté utopique que du côté dystopique de tous les exemples que
nous avons analysés : dans le roman de Tchernychevsky, dans les
visions de Khlebnikov et des constructivistes russes, dans les
dessins de Taut, aussi bien que dans les pages de Zamiatine, avec
leurs descriptions de la vision en surimpression des chambres toutes
identiques dans les maisons de verre qui se repétaient à l'infini.
L'architecture de verre sous ses diverses formes était donc un monde
de phénomènes de cinématisme qu'il fallait explorer dans toutes
ses dimensions, avec la même curiosité inépuisable qu'Eisenstein
aurait démontré après Glass
House dans
ses écrits successifs. Inspirée par l'ouverture de l'architecture
de verre, l'idée de cinéma qui émerge des notes et des dessins de
Glass
House est
l'idée d'un cinéma lui-même ouvert.
Un cinéma élargi
:
au sens littéral d'un élargissement des possibilités de
composition du cadre dans toutes les directions, mais aussi au sens
d'une pleine ouverture à toutes les sollicitations provenant des
autres arts, en commençant par l'architecture. Un cinéma qui serait
ni fermé sur lui-même ni voué à la défense de sa spécificité,
mais qui serait à penser plutôt comme une présence latente dans
tous les arts, une présence dont il s'agirait de découvrir encore
tout le potentiel latent.
Antonio Somaini
Utopies et dystopies de la
transparence. Eisenstein, Glass House,
et le cinématisme de
l'architecture de verre.
Revue Appareil - n° 7 - 2011
1.
Ces Notes,
encore en grand partie inédites, se trouvent avec le titre "Zametki
k vseobshtchey istorii kino" dans l'archive RGALI (Rossijskij
Gosudarstvennyj Archiv Literatury i Iskusstva), fond 1923, inventaire
n° 2, document 1021, et m'ont été transmises par Naum Kleiman,
responsable de la maison-musée Eisenstein à Moscou, que je remercie
vivement. D'autres notes se reférant à ce même projet ont été
publiées par Naum Klejman dans la revue Kinovedcheskie
zapiski,
n° 100, p. 100-104, avec le titre "Mesto kinematografa v
obshtchey sisteme istorii iskusstv".
2.
S. M. Eisenstein, Metod,
éd. par N. Kleiman, vol. I et II, Moskva, Muzej Kino, 2002 ; Id.,
Montage,
éd. par N. Klejman, Moskva, Muzej Kino, 2000 ; Id. La
non-indifférente nature,
Paris, UGE, 1976 (vol. 1) et 1978 (vol. 2), avec préfaces de P.
Bonitzer et F. Albéra.
3.
Sur ce terme, cf. l'Introduction de F. Albéra à S. M. Eisenstein,
Cinématisme.
Peinture et cinéma,
Dijon, Les Presses du réel, 2009.
12.
La première publication des notes d'Eisenstein pour ce projet fut
celle de la revue Iskousstvo
kino n°
3, mars 1979, dans une édition établie par Naum Kleiman sur la base
des textes retrouvés dans les archives du cinéaste déposées au
TsGALI (Archives d'État pour l'art et la littérature, aujourd'hui
RGALI). Sur la base de cette édition sont parues après des
traductions en italien et en français : "La casa di vetro",
in Film
Critica,
n° 300, novembre-décembre 1979, reprise dans F. Salina (dir.),
Ejzentejn
inedito,
Rome, Bulzoni, 1980 ; « Eisenstein. Glass House : notes pour un film
», in Faces.
Journal d'architecture,
n° 24, été 1992. Une édition en allemand établie par Oksana
Bulgakowa est parue en 1998 dans le volume Eisenstein
und Deutschland. Texte, Dokumente, Briefe,
Berlin, Akademie der Künste, p. 17-38. L'édition sur laquelle nous
avons travaillé est celle établie récemment par F. Albéra : S. M.
Eisenstein, Glass
House,
Introduction, notes et commentaires de F. Albéra, Dijon, Les Presses
du réel, 2009 [dorénavant abrégée en GH suivi par le numéro de
la page], avec une introduction et un essai de F. Albéra intitulé «
Destruction de la forme et transparence. Glass
House :
du projet de film au film comme projet » (p. 81-101). Par rapport
aux éditions de Kleiman et Bulgakowa, l'édition établie par Albéra
se différencie par le fait qu'elle distingue les notes sur Glass
House qui
ont été cataloguées dans l'archive RGALI des pages du Journal de
travail d'Eisenstein sur ce même projet et par le fait qu'elle
publie l'intégralité des notes en question. Sur ce projet le groupe
Le Silo a organisé une séance auprès de l'INHA de Paris le 12
janvier 2010 avec une communication de Ada Ackerman. Les textes
recueillis pour la séance écrits par A. Ackerman, S. O.
Wallenstein, O. Bulgakowa et G. Amalvi, avec un entretien avec M.
Stavrinaki se trouvent sur le site du Silo à l'adresse suivante :
http://lesilo.blogspot.com.
Cf. aussi D. Dottorini, " Glass
House.
Trasparenza e opacità del cinema", dans Fata
Morgana,
n° 3 (2007) ("Trasparenza"), Cosenza, Pellegrini, 2007, p.
45-54.
13.
Ibid.,
p. 26
14.
Ibid.,
p. 79
15.
S. M. Eisenstein, "IA28" (1928) [traduction d'une page dans
Eisenstein
et le constructivisme russe et
intégrale dans Cinémas,
vol. 11, n° 2-3, 2001] ; Id., « Dramaturgie de la forme filmique »
(1929), traduit, présenté et commenté sous le titre ["Stuttgart"]
par F. Albéra dans son Eisenstein
et le constructivisme russe,
L'Age d'Homme, Lausanne 1990, p. 11-109; « Perspectives » (1929),
tr. par L. et J. Schnitzer, in S. M. Eisenstein, Oeuvres,
I.
Au-delà des étoiles,
Paris, UGE ? Cahiers du cinéma, 1974, p. 185-201 ; Id., «
Hors-cadre » (1929), traduit sous le titre « Le principe du cinéma
et la culture japonaise (avec une digression sur le montage et le
plan) », dans Le
Film : sa forme, son sens,
trad. dirigée par A. Panigel, Paris, Bourgois, 1976 ; « Un point de
jonction imprévu » (1928), in ibid.;
« La quatrième dimension au cinéma » (1929), in ibid..
16.
Les notes sur ce projet se trouve dans Iskousstvo
kino,
n° 1, 1973, trad. : S. M. Eisenstein, "Notes for a Film of
'Capital'", trans. by M. Sliwowski, J. Leyda, A. Michelson,
October,
vol. 2 (Summer 1976), [en français dans Amengual, Que
Viva Eisenstein !,
L'Age d'Homme, 1980 chap. « Un film sur "le Capital" » p.
585-606].
17.
Cette note du 5 août 1929 est citée par François Albera dans
Eisenstein
et le constructivisme,
op. cit., p. 17, par Naum Kleiman dans l'édition italienne du texte
intitulé « Dramaturgie de la forme filmique » : cf. S. M.
Ejzentejn, Il
montaggio,
a cura di P. Montani, Marsilio, Venezia 1992, p. 49 (notre traduction
de l'italien). Une traduction en allemand de la même note se trouve
en O. Bulgakowa, Drei
Utopien. Architekturentwürfe zur Filmtheorie,
PotemkinPress, Berlin 1996, p. 31-32. Le texte original en russe se
trouve dans l'Archive d'État russe de littérature et art (RGALI),
f. 1923, inv. 1, 1030. Sur ce projet de livre sphérique, cf. A.
Somaini, « Le cinématisme du livre et la "forme exposition".
Film
und Foto (1929)
: Eisenstein, Moholy-Nagy, El Lissitzky », dans Ph. Dubois, E.
Biserna, F. Monvoisin, L. Ramos Monteiro (sous la direction de),
Extended
Cinema /
Le
Cinéma gagne du terrain.
Pasian di Prato, Campanotto Editore, 2010 (à paraître).
18.
Cf. S. M. Eisenstein, "Notes for a Film of 'Capital'",
cit.,
p. 24, tr. fr. dans B. Amengual, Que
Viva Eisenstein!,
cit., p. 603 : « Pour Le
Capital, le problème du
plan (du cadre) est tout à fait particulier. L'idéologie du plan de
signe égale doit être entièrement revue. Comment ? Je ne le sais
pas encore. Un travail expérimental est nécéssaire. Il est même
terriblement nécessaire de tourner au préalable La
Maison de Verre [Glass
House], d'effectuer
préventivement une Glasshaus
où sera renversé le
concept habituel de plan, les autres conditions orthodoxes étant
conservées. »
19.
Ibid.,
p. 13. Voir aussi Amengual op. cit.
20. GH p. 32 et 70.
21.
Ibid.,
p. 49 : "a wife is cocuing [sic: le terme juste est
"cuckholding"] her husband. Husband knocks at door (neer
[sic] glass wall without seeing through it). She hides her lover".
22.
Ibid.,
p. 70-71.
23.
Ibid.,
p. 26.
24.
Ibid.,
p. 37.
25.
Ibid.,
p. 34.
26.
Ibid.,
p. 78
27.
Ibid.,
p. 57
28.
Ibid.,
p. 27, 32, 35.
29.
Ibid.,
p. 22, 26, 51.
30.
Ibid.,
p. 73.
31.
Ibid.,
p. 23.
32.
Ibid.,
p. 26.
33.
Cf. F. Albéra, « Destruction de la forme et transparence », cit.,
dans GH p. 97.
34.
Sur la surimpression comme « mélange d'images », cf. J. Aumont, «
Clair et confus », in Id., Matière
d'images, redux, Paris,
La Différence, 2009.
35.
B. Balázs, Der Geist des
Films (1930), Mit einem
Nachwort von Hanno Loewy und zeitgenössischen Rezensionen von
Siegfried Kracauer und Rudolf Arnheim, Frankfurt, Suhrkamp, 2001, p.
54 (tr. fr. L'Esprit du
cinéma, Paris, Payot,
1977, p. 171).
36.
J. Aumont, « Clair et confus », cit.,
p. 288 ; Aumont parle du mélange d'images aussi en termes d'«
augmentation de la cinématographicité », et de « forme princeps
du cinéma » (p. 300).
37.
C'est ce qui affirme Eisenstein dans le chapitre de Montage
intitulé "Il
sonoro nel cinema muto. Sciopero,
Ottobre, Potemkin":
cf. S. M. Ejzen?tejn, Teoria
generale del montaggio,
a cura di P. Montani, con un saggio di F. Casetti, Venezia, Marsilio,
1985.
38.
Cette reférence est soulignée par J. Aumont dans « Clair et confus
», cit..
39.
Dans un article écrit en janvier 1925 pour la revue Film-Kurier,
Lang raconte sa première rencontre avec la ville de New York dans
son voyage de 1924 :"I saw a street, lit as if in full daylight
by neon lights and topping them, oversized luminous, advertising
moving turning flashing on and off, spiralling [...] something which
was completely new and near fairy-tale like for a European in those
days, and this impression gave me the first thought of an idea for a
town of the future" (cité dans Th. Elsaesser, Metropolis,
London, BFI, 2000, p. 9).
40. GH p. 69.
41.
Ibid.,
p. 71
42.
Cf. A. Palazzeschi, "Una casina di cristallo (congedo)",
dans Tutte le poesie,
éd. A. Dei, Milan, Mondadori, 2002, p. 316-319.
43.
A. Breton, Nadja,
Paris, Gallimard, 1963. Breton fait référence à la vie dans la
maison de verre dans les premières pages de Nadja
: « Pour moi, je
continuerai à habiter ma maison de verre, où l'on peut voir à
toute heure qui vient me rendre visite, où tout ce qui est suspendu
aux plafonds et aux murs tient comme par enchantement où je repose
la nuit sur un lit de verre aux draps de verre » (p. 18). Pour une
efficace reconstruction synthétique des principales étapes
historiques de la réflexion sur les valeurs attribuées à la
transparence du verre et l'architecture de verre, de l'Abbé Suger à
l'artiste contemporain Dan Graham, cf. E. Alloa, « Architectures de
la transparence », dans Le
milieu des appareils,
éd. J.-L. Déotte, L'Harmattan, Paris, 2008, p. 63-85.
44.
N. Tchernychevsky, Que
faire? Les hommes nouveaux (1863),
trad. D. Sesemann, Paris, Syrtes, 2000.
45.
N. G. Tchernychevsky, Che
fare?, introduzione di
E. Fiorani e F. Leonetti, traduzione di F. Verdinois, Milano,
Garzanti, 2000, p. 228 (ma traduction en français de la traduction
italienne).
46.
Ibid.,
p. 229-230.
47.
V. Khlebnikov, "Ourselves and Our Buildings. Creators of
Streetsteads", in The
King of Time. Selected Writings of the Russian Futurian,
transl. by P. Schmidt, ed. by Ch. Douglas, Cambridge, Mass. London,
Harvard University Press, 1985.
48.
P. Scheerbart, L'Architecture
de verre, trad. P.
Galissaire, Strasbourg, Circé, 1995.
49.
B. Taut, Die Stadtkrone
(1919), mit Beiträgen
von P. Scheerbart, E. Baron, A. Behne; mit einem Nachwort zur
Neuausgabe von M. Speidel, Berlin, Gebr. Mann, 2002. M. Schirren,
Bruno Taut. Alpine
Architektur. Eine Utopia a Utopia,
München, Prestel, 2004. B. Taut, Der
Weltbaumeister. Architektur-Schauspiel für symphonische Musik
(1920), neu
herausgegeben und mit einem Nachwort zur Neuausgabe von M. Speidel,
Berlin, Gebr. Mann, 1999.
50.
Le Programm des
Staatlichen Bauhauses in Weimar et
l'incision de Feininger sont reproduites dans Bauhaus Archiv M.
Droste, Bauhaus
1919-1933, Köln,
Taschen, 2006, p. 18-19. La référence de Gropius à la métaphore
du cristal se trouve dans ce passage : "Architektur und Plastik
und Malerei, der aus Millionen Händen der Handwerker einst gen
Himmel steigen wird als
kristallenes Sinnbild eines
neuen kommenden Glaubens" (nous soulignons).
51.
Sur l'idéologie de la vie en commun dans l'Union soviétique des
années 1920, cf. R. Stites, Revolutionary
Dreams. Utopian Vision and the Experimental Life in the Russian
Revolution, New York
Oxford, Oxford University Press, 1989, surtout la partie III ("We:
The Community of the Future").
52.
La description de sa vie avec Strauch et Glizer dans le petit
appartement commun de Tchistye Prudy dans l'hiver de 1920 se trouve
dans un texte écrit en 1947 et pensé pour faire partie de ses
mémoires : cf. S. M. Ejzen?tejn, "Judif", dans Id., Il
movimento espressivo. Scritti sul teatro,
a cura di P. Montani, Venezia, Marsilio, 1998.
53.
C'est autour de ce thème que s'articule l'interprétation de Glass
House par
Oksana Bulgakowa dans son Sergej
Eisenstein drei Utopien. Architekturentwürfe zur Filmtheorie,
Berlin, PotemkinPress, 1996.
54.
Cité dans R. Stites, Revolutionary
Dreams,
cit.,
p. 202.
55.
E. Zamiatine, Nous
autres,
Paris, Gallimard, 1973.
56.
cf. E. Zamjatin, Noi,
traduzione di B. Delfino, edizione a cura di S. Moriggi, Milano,
Lupetti, 2009, p. 29 (notre traduction de l'italien).
57.
Cf. W. Benjamin, Expérience
et pauvreté,
trad. P. Rusch, dans Oeuvres
II,
Paris, Gallimard, 2000.
58.
Id., Le
Surréalisme. Le dernier instant de l'intelligentsia européenne
(1929),
trad. M. de Gandillac, revue par P. Rusch, dans Oeuvres
II,
Paris, Gallimard, 2000 (p. 113-134), p. 118.
59.
V. Khlebnikov, Ourselves
and Our Buildings,
cit.,
p. 133-134 (notre traduction de l'anglais).
60.
Cité dans W. Kemp, Theorie
der Fotografie,
vol. II (1912-1945), München, 1979, p. 88 et 91.
61.
Traduit en anglais sous le titre de Synchronization
of the Senses dans
S. Eisenstein, The
Film Sense,
translated and edited by J. Leyda, San Diego ? New York ? London,
Harcourt Brace & Co., 1975. Édition franç. Le
film : sa forme, son sens,
op. cit.
62.
Ibid.,
p. 98-99.
63.
Cf. B. Taut, Der
Weltbaumeister,
cit.
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