Cartographie DATAR 2012 |
L'écologie
ne peut prétendre être, si son champ de réflexions et
d'application n'est pas conjugué à l'échelle du territoire
national, en prenant comme conditions sine qua none, le
contrôle et la maîtrise du développement des agglomérations et la
réduction des inégalités excessives de croissance entre les régions, entre les villes. Cet axiome rend toute sa cohérence à cette expertise, aujourd'hui plus
qu'hier admise par tous, que la croissance démesurée d'une
agglomération est strictement incompatible avec les contraintes de
l'écologie, et avec les éco-technologies et autres greentech
actuelles et - à priori - futures. En aucun cas, une grande agglomération ne peut être qualifiée d'"écologique". En
d'autres termes, la logique même de l'idéal écologique exige une politique de
développement national qui pose d'emblée le problème de
l'aménagement harmonieux du territoire, et celui de l'échelle
des villes.
Dans ce cadre théorique, Paris plus particulièrement, serait donc condamnée à limiter, voire à stopper sa croissance spatiale et démographique, au profit de villes de province situées dans les régions les plus désertées ou sous-développées. Un idéal en parfaite opposition avec la volonté du gouvernement de N. Sarkozy reconduite par celui de F. Hollande, exigeant la croissance de l'agglomération parisienne, sans pouvoir pour autant, accorder les financements nécessaires, voire minimum, quant à sa réalisation. L'écologie politique, dans cette vision, se borne à quelques recettes sectorielles, - inefficaces devant l'ampleur du chantier - de toitures terrasses plantées, d'éoliennes bruyantes, de jardins et potagers urbains - pollués -, de façades « vertes », ou bien agite le spectre de mesures certes plus efficaces mais parfaitement anti-sociales, telle peut-être demain, la réapparition de l'Octroi, destiné à limiter la circulation automobile.
Dans ce cadre théorique, Paris plus particulièrement, serait donc condamnée à limiter, voire à stopper sa croissance spatiale et démographique, au profit de villes de province situées dans les régions les plus désertées ou sous-développées. Un idéal en parfaite opposition avec la volonté du gouvernement de N. Sarkozy reconduite par celui de F. Hollande, exigeant la croissance de l'agglomération parisienne, sans pouvoir pour autant, accorder les financements nécessaires, voire minimum, quant à sa réalisation. L'écologie politique, dans cette vision, se borne à quelques recettes sectorielles, - inefficaces devant l'ampleur du chantier - de toitures terrasses plantées, d'éoliennes bruyantes, de jardins et potagers urbains - pollués -, de façades « vertes », ou bien agite le spectre de mesures certes plus efficaces mais parfaitement anti-sociales, telle peut-être demain, la réapparition de l'Octroi, destiné à limiter la circulation automobile.
L'enjeu
écologique, bien évidemment, ne peut se restreindre à ces
solutions – trop partielles -, érigées par des médias débiles, en tant que modèle absolu, cautionnant ainsi par propagande les actions de l'Etat ; de même
qu'aucun « expert » n'évoque aujourd'hui la question, ou la pertinence de
la « décroissance urbaine» de l'agglomération
parisienne, seul moyen véritable de placer la politique de
l'aménagement de la Région, et de la France, sous le sceau de l'écologie véritable. Une politique d'aménagement du territoire de décentralisation qui a pourtant été instituée et proclamée entre 1950 et 1965. La limite entre utopie et réalisme est donc étroite.
En 1950, pour d'autres raisons, telle était également la conclusion du gouvernement, et de Claudius-Petit, ministre imaginatif et moderniste, responsable de la Reconstruction et de l'Urbanisme, qui décidèrent d'une série de mesures destinées à enrayer le développement de la Capitale au profit des villes de Province. En 1955, le gouvernement adoptera des mesures encore plus restrictives : le nombre d'habitants de l'agglomération était limité à 9 millions d'habitants. L'essentiel de la croissance devrait être reporté à l'extérieur de l'agglomération, par le développement des villes situées au-delà d'un rayon de cent kilomètres. Ce n'est qu'en 1965, que le gouvernement décida, face aux échecs, de mettre un terme à cette politique ambitieuse et volontariste.
Certes,
l'écologie urbaine, à cette époque, n'était pas encore dans les
discours, mais les préoccupations de l’environnement à l’échelle
de la Région n’en étaient pas moins présentes. Les termes
utilisés n’étaient pas ceux d’aujourd’hui et les
problématiques de l’aménagement n’avaient pas encore intégré
toute la diversité des aspects pris en compte par le développement
durable. Mais dès le début du siècle, les responsables politiques
et les urbanistes s’accordaient à reconnaître la valeur
patrimoniale des grands massifs forestiers de la Région Parisienne.
Le projet de loi de Jules Siegfried de 1907 préconisait le
« maintien des espaces verts et la protection des forêts »,
des espaces déjà menacés par l’urbanisation. Par la suite, les
ministères prendront en haute considération la protection de zones
non bâties et la conservation des sites remarquables.
La
macrocéphalie parisienne
La
décentralisation industrielle de la France, est évoquée dès 1943,
par les autorités de Vichy, par une demande faite à une équipe
d'ingénieurs et d'économistes d'une étude devant établir un
rapport sur la décongestion des centres industriels ; c'est-à-dire
des concentrations ouvrières pouvant menacer la sécurité d'un
gouvernement impopulaire. Méfiance à l'égard des agglomérations
ouvrières, mais aussi plein emploi de la main-d'oeuvre inspirent cet
embryon de politique. Après la victoire, la notion de géographie
volontaire ne déplaît pas non plus aux planistes de la résistance.
Culture de poireaux au Louvre pendant la guerre |
En
1947, un livre polémique, Paris
et le Désert français,
écrit par le géographe Jean-François Gravier [1], dénonce la
macrocéphalie
parisienne,
c'est-à-dire le
« gonflement »
disproportionné de la ville capitale,
le prix et la lourdeur de la concentration parisienne, et propose
une dissémination des entreprises industrielles en province, et en
anticipant largement sur le renversement des courants démographiques.
L'écho est considérable : vieux règlement de compte de la Province
contre Paris.
L'aménagement
du territoire touche cette fois-ci non plus les équipements, le
logement et les villes, mais la localisation de la production, du
travail et donc de la population, et englobe l'urbanisme dans une vue
plus générale des choses. Il répond d'autre part au constat des
déséquilibres dans l'emploi et d'inégalité des richesses. Le
gouvernement prend la mesure, et sous l'impulsion du rapport SALAÜN,
publié en 1948, s'engage vers, « face au désordre français, une
politique d’industrialisation décentralisée ».
La
décroissance de Paris
Claudius-Petit,
responsable de la reconstruction et de l'Urbanisme, jette les bases
du Plan national d'aménagement en 1950 ; la
loi du 8 août 1950 crée le Fonds national d’aménagement du
territoire (FNAT) qui finance des opérations d’aménagement
industriel dans le cadre de la décentralisation ; en 1955, le
gouvernement Mendès-France propose des aides incitatives à la
décentralisation industrielle, aides hiérarchisées selon la
situation économique des localités et des départements. Le
corollaire de ce dispositif, c'est la limitation des activités
parisiennes ; des mesures restrictives sont apportées à la
construction de surfaces-plancher consacrés à l'industrie, puis aux
bureaux. Le décret du 5 janvier 1955, dont l’objectif est de
désindustrialiser Paris et sa banlieue au profit de la grande
banlieue et de la province, exige un agrément pour toute
construction à caractère industriel et commercial, et impose le
paiement d’une redevance pour la construction de bâtiments
industriels de plus de 500 mètres carrés, politique encore
amplifiée par Pierre Sudreau - devenu ministre de la construction du
Général de Gaulle en 1958, qui doubla le montant de la redevance.
De même, le décret du 30 juin 1955 vise la décentralisation des
services ou établissements scientifiques et techniques relevant de
l’État.
Cependant,
le rude hiver 1954 apporta son lot de victimes mortes de froid, que
la population, mobilisée après l’appel de l’Abbé Pierre, ne
pouvait plus accepter. Pour répondre à la crise du logement,
notamment du fait d'une immigration massive vers les villes, le
gouvernement accélère la politique de l'habitat social qui se
caractérise par l'édification de grandes unités d'habitation, les
grands ensembles. Des grandes opérations censées freiner la
croissance anarchique de la banlieue et la régénérer, mais qui au
contraire, auront l'effet inverse de développer et la croissance,
et le chaos de la banlieue.
1958
: Le Plan d’Aménagement et d’organisation générale
Le
Plan d’Aménagement et d’organisation générale (PADOG) né du
décret de décembre 1958 reprend les obsessions graviéristes :
limiter l’attractivité de la région parisienne, décongestionner
Paris, envoyer les industries en province, politique appuyée sur les
premiers effets de la législation décentralisatrice. Pierre
Sudreau alors Commissaire du Gouvernement à la construction et à
l’urbanisme, obtint en 1959, la création d’une cellule de
réflexion : l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la
Région Parisienne, l’IAURP.
Le
PADOG, nouveau plan d'urbanisme, publié en
1960, adopte l'hypothèse d'une double limite, démographique et
physique, à la croissance de Paris et de sa banlieue immédiate :
l'objectif est fixé à 9 millions d'habitants. Le
PADOG ajoutait un objectif de « déconcentration et de
décongestionnement de Paris » vers la banlieue, tout en
précisant que celle-ci ne devait en aucun cas s’étendre, mais
faire l'objet de restructurations de tissus urbains existants, en
résorbant les quartiers insalubres, en densifiant, et en créant ou
dynamisant des noyaux urbains, centres de vie ; et par la maîtrise
de l’extension pavillonnaire de l’entre-deux guerre. A cette fin,
il dessinait une frontière soulignée par un trait noir continu sur
la carte au 1/50 000e, le Périmètre d’Agglomération, au-delà
duquel la construction était interdite. La « densification »
à l’intérieur de ce périmètre devait suffire à satisfaire les
besoins en terrain à bâtir.
Malgré
ces efforts considérables de l'Etat, la spéculation contourne sans
grande difficulté lois et décrets, ou bien, bénéficie de
dérogations. En 1962, l'Etat réagit avec la création de l’Agence
Foncière et Technique de la Région Parisienne (AFTRP),
établissement public à caractère industriel et commercial, devant
permettre une grande politique foncière. La création des Zones
d’Aménagement Différé (ZAD) la même année, avait pour objet de
lutter efficacement contre la spéculation foncière en maintenant
pendant 14 ans l’exercice d’un droit de préemption. De 1962 à
1967, plus de 14 000 hectares ont été mis en ZAD facilitant
l’acquisition publique des terrains.
En
1962, G. Pompidou, est nommé Premier ministre [1962-1968] et
poursuit la décroissance de la capitale. Mais les effets attendus
des mesures restrictives ne sont guère probants, et le gouvernement
décide de créer en 1963, la Commission générale du Plan de
Développement Économique. Le IVe Plan national lance une politique
cohérente tendant à décongestionner les zones métropolitaines
saturées grâce à la création coordonnée de pôles de
développement résidentiel et industriel. L'ensemble du territoire
est soumis à enquête, dans le but d'en étudier les vocations
fonctionnelles. La politique des « métropoles d’équilibre »
impulsée à partir de 1963 par la DATAR, nouvel organisme créé
cette année-là, aura pour but essentiel de limiter l’influence
de Paris et de sa périphérie, en mettant au point une stratégie de
développement des autres métropoles françaises. La loi du 10
juillet 1964 substitua aux deux départements de la Seine et de la
Seine-et-Oise, six nouveaux départements : Paris
ville-département, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine, Yvelines,
Val-d’Oise, Essonne et Seine-et-Marne inchangée.
Dans
les années soixante, la rigueur du plan n’a pas résisté face à
la voracité des constructeurs-spéculateurs ; c’est ainsi qu’un
groupe de promoteurs privés, associé à des banques, n’hésitait
pas à proposer une vaste opération immobilière de plusieurs
centaines de logements sur une grande forêt de l’est parisien,
arguant de l’attrait de l’environnement boisé pour sa clientèle.
L'environnement prend ainsi progressivement une place importante, et
l'Etat procéda à l’acquisition des forêts les plus menacées,
les mettant ainsi à l’abri des spéculateurs. Des recherches
étaient également conduites par les paysagistes et les urbanistes
pour explorer la notion de « site régional » et repérer
les paysages les plus significatifs dont la protection ou la mise en
valeur s’imposaient. C’est ainsi que les vallées furent
inscrites, dans la mesure du possible en « zone d’espace vert
et de loisirs ». C’est sur les plateaux hors des sites
majeurs que furent projetées les urbanisations nouvelles. La
structure urbaine proposée s’inscrivait ainsi dans la morphologie
du grand site régional composé d’un ensemble de vallées et de
plateaux d’orientation générale est-ouest.
L'urbanisme
des Dérogations
A
peine promulgué, le PADOG fit l’objet d’incessantes dérogations
ce qui affecta grandement sa crédibilité, et qui donnera naissance
au Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région
de Paris (SDAURP) de 1965. Un schéma directeur moins prudent, moins
restrictif dont le souci est de définir un nouveau rôle,
prestigieux, pour la capitale : ville internationale, centre
financier d'ampleur mondiale. Des objectifs qui n'entrent pas
nécessairement en contradiction avec, défini parallèlement des
« métropoles d'équilibre », et la décentralisation qui
se profile.
Les
raisons invoquées par les historiens de la ville pour comprendre
l'échec de cette politique ambitieuse, sont nombreuses, mais ils
insistent sur une très forte immigration rurale, incontrôlable, et
la formidable accélération démographique des années 1950 et 1960.
De même, avec le triomphe de l'automobile, et des grandes
infrastructures, l'extension des villes s'opère plus en profondeur
dans la périphérie.
L'administration
française n'est guère adaptée, dans son principe même, à la
logique territoriale. Dans les années 1950, les différents
ministères, l'administration et leurs services techniques, ne
parviennent pas ou difficilement à coordonner avec efficacité leurs
missions, et leurs propres intérêts peuvent s'opposer pour telle ou
telle opération urbaine. De même, la complexité de leurs
financements, fractionnés en intervention de plusieurs ministères
ayant chacun leurs règles d'affectation, et des collectivités
locales, rencontre bien souvent la logique spéculative des
investisseurs privés et celle politicienne, des élus locaux. A
cela, faut-il encore ajouter, les grandes entreprises, nationalisées
ou semi-publiques, largement subventionnées par l'Etat, qui loin
d'être des exécutantes passives, font valoir leur propre
rationalité de firmes. C'est le cas de la SNCF ou de la RATP. La
ville se fabrique ainsi ou s'équipe par un jeu de décisions
parallèles.
La
relative importance du secteur dans le domaine de la construction ne
donne que des chances limitées à une planification qui, dans ces
aspects globaux ou spatiaux, reste fondamentalement « indicative »
et s'identifie, de par et d'autre de rares phases d'exaltation, à
une étude de marché plus qu'à une orientation ferme et déterminée
de l'économie. Il faut compter avec les entreprises, et la promotion
immobilière qui restent maîtres des emplois et de leur
localisation. Sur ce point, il apparaît clairement que les
politiques territoriales réussissent quand elles accompagnent des
mouvements autrement plus puissants. La création négociée entre
l'Etat, les collectivités locales et les grandes entreprises de
pôles industriels n'a pas réussi à déclencher une mécanique
aussi forte que prévue. Il ne suffit pas d'équiper des zones
industrielles pour y attirer des emplois.
Le schéma d'aménagement de Paris 1965 sans villes nouvelles : proposition non retenue
En
ces temps, les réalités étaient contraires à la volonté exprimée
par le gouvernement ; l'expansion et l'enrichissement parisiens
paraissent tourner sans effort les dispositions restrictives. Michel
Lescure évoquait pour résumer cette période, la formule lancée
dans un hebdomadaire : « Les gains en productivité engraissent
essentiellement les banquiers, les promoteurs et les propriétaires
de terrains. » La dérogation prime pour les
grandes opérations urbaines financées par les promoteurs privés,
parfois par l'entremise de politiciens gaullistes. Selon
l'inestimable géographe Marcel Roncayolo :
« Les
années 1960 se qualifient comme la période « sauvage »,
Far West des promoteurs. Dans le secteur du logement aidé ou libre
on vit apparaître à ce moment des sociétés de promotion dans
lesquelles les apports de capitaux étaient faits par des tours de
table réunissant des personnes attirées par un régime fiscal
encore exceptionnellement intéressant et complétés par des
concours bancaires. Ainsi s'amorce une spéculation intense, qui ne
s'adresse pas seulement aux détenteurs des capitaux de promotion,
mais à la chaîne des acquéreurs. Un grand nombre s'intéressaient
par pure spéculation à cette partie du marché immobilier en se
portant acquéreurs d'appartements dès la sortie d'un programme,
moyennant le versement d'un acompte assez modeste et en revendant ces
appartements ou les parts de société correspondantes avec des
bénéfices fort substantiels, pendant le cours des travaux de
construction ».
L'entrée
des banques dans les circuits de la promotion s'effectue, le plus
généralement, par la création de filiales qui tantôt se bornent à
« vendre » leurs services de promoteur, tantôt assurent
à la fois la prestation de services et le financement. La
mobilisation des banques accompagnent ainsi le boom immobilier du
début des années 1960, qu'elles sont assurément attirées par les
hauts profits et la masse d'affaires déclenchés par la construction
(les capitaux propres investis rapportent aisément 20 % de la mise,
à la fin de l'opération, au milieu des années 1960), que, enfin,
elles y trouvent une occasion nouvelles d'assurer leur emprise sur
une clientèle étendue, de drainer l'épargne et de diriger les flux
d'investissement. « Votre argent m'intéresse », disait
une publicité bancaire vers 1970 : l'immobilier en est certainement
l'une des justifications.
D'autre
part, les programmes de construction massifs, en particulier pour le
logement social et les Logeco, supposent l'emploi de propriétés
considérables, d'un seul tenant ou rassemblées. Les réserves de la
plus proche périphérie sont donc attaquées au gré des
opportunités foncières, puis tant bien que mal « arrondies »
par expropriation. Les spéculateurs fonciers entament ainsi la
propriété de la périphérie, sur des territoires devant être
équipés en matière de transport public ou d'infrastructure
routière. Les gouvernements tenteront sans succès aucun, un
contrôle du foncier, et de la destination future de l'occupation des
sols, ou de la nature des investisseurs, privilégiant les sociétés
d'économie mixte. Ce n'est qu'en 1963, que le gouvernement impose
une lourde imposition pour les avantages tirés de la revente des
parts, dans un délai de moins de cinq ans. Les sociétés civiles,
dont le régime fiscal et financier relevait d'un étonnant laxisme,
sont les premières atteintes, et l'on brisa ainsi la belle mécanique
des gains de plus-value, pour les simples spéculateurs. Mais
d'autres mécanisme seront inventés liant encore davantage le
secteur bancaire aux grandes entreprises et aux groupes de promotion,
instituant, selon l'architecte Antoine Grumbach, l'urbanisme
« criminogène ».
Le plan de l'architecte Prost de 1939 pour Paris, seule cartographie jusqu'en 1965.
Il
est évident qu'une telle politique est inconcevable sans un
programme général de renouvellement des structures de
planification. De ce point de vue, les gouvernements successifs ont
su avec intelligence créer les structures nécessaires, mais qui se
sont heurtées à la spéculation, souvent portée par des
politiciens gaullistes, et aux réticences municipales, notamment
communistes. En outre, toute la politique de réaménagement du
territoire est sévèrement pénalisée par les limitations et les
fluctuations économiques. L'inertie d'un système habitéu à se
servir du financement public comme d'un simple moyen d'incitation
n'est pas encore surmontée. C'est dans une certaine mesure, une
idéologie libérale qui animent ces formes d'intervention étatique
; c'est par l'infrastructure, l'équipement, la mise en place de
pôles de développement que l'on espère créer une logique, dont
les entreprises bénéficieront.
La
décentralisation au Royaume-Uni
La
plupart des pays du monde occidental, dès l'avant seconde guerre
mondiale posait le problème de l'expansion des grandes
agglomérations. Le modèle anglais de politique d'aménagement du
territoire, et de Londres, est généralement considéré comme étant
le plus ambitieux et abouti, et fait référence. Mais de même qu'en
France, les politiques devant contrôler la croissance de Londres se
sont avérées tout aussi inefficaces, et ce, malgré la plus grande
proximité de l'environnement végétal, dans le centre-ville comme
dans la périphérie, où les limites rural-urbain sont malaisées à
définir.
C'est
en 1939, que le parlement anglais vote le Green Belt Act, qui bloque
l'expansion de Londres et prescrit la création d'une ceinture verte
de terres agricoles et de parcs autour de la capitale, large au moins
de huit kilomètres. C'est une grande victoire pour les partisans de
la cité-jardin. En 1940, la commission Barlow publie son rapport qui
recommande une politique de décentralisation de Londres et de
rééquilibrage, par la restructuration des zones congestionnées en
favorisant la construction de cités-jardins et de cités-satellites.
Ces hypothèses sont confirmées par Scott et Uthwat qui, misant sur
une politique de décentralisation par le moyen de cité-jardins, se
prononcent pour une limitation draconienne de l'expansion
industrielle de Londres. En 1942, les idées régionalistes de
Patrick Geddes semblent être devenues les instruments opérationnels
du plan pour le « Greater London Plan », qui s'articule
autour de cinq points :
- arrêt de l'expansion industrielle
- décentralisation sur le territoire de l'habitat et des industries
- arrêt de l'immigration et diminution du nombre des habitants dans toute la régionales
- fonction prioritaire accordée au port de Londres
- nécessité d'établir de nouveaux pouvoirs de planification à partir du contrôle de la valeur des sols.
Le
plan reprend donc les modèles élaborés par la culture
anglo-saxonne, en les appliquant à un cadre territorial qui englobe
l'une des plus grandes zones métropolitaines du monde ; ces idées
nées de la contestation de la métropole apparaissent comme les
instruments d'une intervention directe sur la métropole elle-même.
Formellement, le plan prévoit la formation de quatre anneaux :
l'Inner Ring, dans lequel on envisage une diminution de la densité
et l'émigration de plus de 400,000 personnes ; le Suburban Ring,
dont le développement est bloqué à l'exception des
requalifications et des regroupements d'établissements ; le Green
Belt Ring, déjà annoncé par la loi de 1939, qui sera équipé pour
les loisirs de toute la région ; l'Outer Country Ring, anneau
extérieur dans lequel on a décidé de construire des
cités-satellites et de poursuivre l'expansion des communautés
existantes.
Mais
la politique de rééquilibrage se révèle être, à l'épreuve des
faits, une utopie. En 1956, Lloyd Rodwin affirmait qu'en Angleterre,
le pays capitaliste avancé qui plus que tout autre, a concentré ses
efforts sur la programmation de l'intervention des pouvoirs publics,
« la planification urbaine générale reste un idéal à
réaliser. » Car malgré une série de lois restrictives et la
construction de sept news towns en grande périphérie de Londres, la
politique de rééquilibrage sera confrontée à une demande
exceptionnelle de logements et à une forte hausse des coûts de
production et de construction. De fait, cette incapacité pour l'Etat
de réguler les coûts de construction liés aux fluctuations des
prix des matériaux, se répercutent directement par des loyers très
élevés contribuant à limiter l'incidence du programme tout entier
sur le marché du logement. D'autre part, le London County Council,
lancera dans les zones soumises à sa juridiction, une politique de
programmation contradictoire avec les objectifs de décentralisation,
tandis que l'agressivité du secteur privé parvint à s'assurer
jusqu'à 50 % de la production totale du secteur du logement, et
donc, à instaurer ses propres conditions, manifestement contraires
aux objectifs de décroissance. Ainsi, l'activité du centre
tertiaire de l'Inner Ring prendra une importance prédominante,
exigeant au fil des années un personnel de plus en plus nombreux ;
au détriment de l'activité industrielle qui, bientôt, allait
connaître une succession de crises. Personne n'avait véritablement
mesuré le développement exponentiel de l'activité tertiaire de
l'après guerre, entraînant des phénomènes de spéculation
acharnée pour la concentration de bureaux et dans le même temps
pour l'habitat destiné aux classes supérieures dans l'Inner Ring.
Tandis que l'expulsion des populations vers les nouvelles
villes-satellites et un réseau de transport public sous-développé
seront à l'origine de plus graves dysfonctionnement en matière de
mobilité publique et privée, transformant les transports en commun
en cauchemar quotidien pour des millions de salariés.
Les
new towns destinée à la classe moyenne, se présentent
rapidement comme de véritables ghettos de faible densité, ennuyeux
par rapport à la vie trépidante de la vieille cité de Londres ; et
les grands ensembles d'habitat social deviendront de même, des zones
d'exclusion sociale. En 1960, pour la plus grande majorité des
londoniens, l'objectif était de résister aux expulsions et autres
expropriations afin de pouvoir rester dans les quartiers centraux de
Londres ; les luttes urbaines et pour le droit au logement y seront
particulièrement actives, tout autant que les squats organisés par
une multitude d'associations. Ainsi, certains arrondissements de
Londres, tels que Hackney, Tower Hamlets, Lamberth connaissent un
véritable sur-peuplement, du fait également de l'afflux massif
d'immigrés.
Manfredo
Tafuri jugeait ainsi que cette politique de rééquilibrage urbain
entrait en contradiction avec les choix imposés par l'économie.
Elle représente le produit le plus avancé de l'application
coordonnée des hypothèses et des instruments d'urbanisme élaborés
par une tradition culturelle qui est parmi les plus originales de
l'époque. Mais de cette tradition, au lieu de marquer un nouveau
développement, elle figurait plutôt la conclusion contradictoire.
Le
modèle d'écologie en Chine maoïste
L'expérience
de la Chine maoïste [1949-1976], en matière d'aménagement du
territoire, superbement ignorée par l'idéologie écologiste, d'hier
et d'aujourd'hui, représente le modèle d'équilibre ville/campagne
le plus élaboré ayant jamais été planifié par un Etat, et ce,
bien au-delà du modèle soviétique. Un modèle qui parviendra au
contraire des pays capitalistes, à cet équilibre entre les villes
et leurs hinterlands, à la maîtrise de leur croissance, et au
développement harmonieux entre les régions. Elle y parviendra,
après plusieurs décennies et non sans difficultés, par l'abolition
de la propriété privée – donc de la spéculation -, et par le
contrôle, autoritaire à partir de 1964, de la mobilité et du lieu
de résidence des citoyens. Car en Chine, ou en URSS, comme en
France, la grande ville attirait inexorablement, tel un puissant
aimant, les populations rurales.
Schéma d’Aménagement et d’Urbanisme d'une ville-Région autonome |
Schéma de principe du développement de Beijing |
Certains
écologistes du courant éco-socialiste, refusant le modèle
soviétique ou maoïste, estiment – pourtant - que la seule
alternative au productivisme est d'arrêter la
croissance dans son ensemble, ou de la remplacer par la croissance
négative - appelée en France décroissance. Selon eux, précise
Michael Löwy :
« Il
faut réduire drastiquement le niveau excessif de consommation de la
population et renoncer aux maisons individuelles, au chauffage
central et aux machines à laver, entre autres, pour baisser la
consommation d'énergie de moitié. Comme ces mesures d'austérité
draconienne et d'autres semblables risquent d'être très
impopulaires, certains avocats de la décroissance jouent avec l'idée
d'une sorte de dictature écologique ».
"Dépolisation"
Le
géographe Michel Lussault, dans le cadre de la mission prospective
lancée par la DATAR – Territoire
2040, aménager le changement
– analyse ainsi un scénario envisageable concernant la
dépolisation des grandes agglomérations :
En
2040, l’évolution urbaine (évolution démographique, choix des
individus, arbitrages des politiques publiques, évolution des
systèmes de production, etc.) tendra à affaiblir significativement
les effets de la polarisation des territoires au profit d’une
organisation spatiale très peu hiérarchisée distribuant les
réalités selon un principe généralisé de faible densité. Dans
ce cadre, les centralités ne seront plus fonctionnellement
importantes, ni référentielles des pratiques sociales, des
imaginaires territoriaux et des actions politiques.
On
assistera ainsi à de véritables déprises de centralités et de
périmètres denses. Il pourra néanmoins toujours exister des effets
d’agrégation – parfois répulsifs, comme dans le cas de la
concentration en un même espace des groupes sociaux démunis – et
subsisteront des commutateurs mobilitaires. Ceux-ci tendront à
devenir des hyper-lieux paradoxaux ; paradoxaux dans la
mesure où ils drainent individus, données et marchandises, mais qui
ne passent là que pour mieux esquiver les autres contraintes
quotidiennes de l’agrégation métropolitaine.
Les
acteurs sociaux tendront à privilégier les stratégies de
décrochage et de rupture avec les espaces et les services
collectifs, au profit de nouvelles régulations infra-locales et
d’une focalisation sur la cellule domestique, qui dans l’idéal
se conçoit comme quasi autosuffisante. Un phénomène qui sera
accompagné au départ par des politiques publiques et des acteurs
institutionnels qui seront ensuite marginalisés et court-circuités
par l’évolution qu’ils avaient contribué à justifier. La
dépolisation [1]
sera susceptible d’aller de pair avec l’insertion dans des
réseaux mondiaux car l’économie permettra d’en jouir et d’y
participer sans mettre en avant les appartenances territoriales, mais
en privilégiant les liens labiles des réseaux sociaux médiatisés
par les instruments communicationnels. Ce mouvement pourra conduire à
des attachements identitaires des individus à un réseau et/ou des
ressaisissements des espaces communautaires et/ou des replis et des
« insularisations ».
Contre
les scénarios fondés sur un processus de périurbanisation « en
profondeur », ce scénario exprime quant à lui une logique
radicale de sortie du modèle urbain métropolitain, fondé sur une
décroissance assumée et une recherche de la soutenabilité
environnementale à l’échelle des voisinages. L’individu,
inscrit dans sa (ou ses) communauté(s) devient l’acteur essentiel
de la mise en place d’un habitat résilient, économe en intrants
par allégement des contraintes d’infrastructures collectives et
urbaines. Les espaces humains dépolisés se déploient donc comme
des assemblages faiblement territorialisés (au sens des territoires
légitimes de la période précédente) d’entités de voisinages
multicentrées, chaque résidence individuelle constituant un centre.
VARIANTES
Dépolisation
relative par effet d’hyper-individualisation
Chaque
individu sera producteur – voire offreur – de ses propres
ressources et gestionnaire de ses réseaux, etc. Il s’agit d’un
sous-scénario par accentuation des potentialités des systèmes
communicationnels et mobilitaires, qui mène à la constitution d’un
espace social ou chaque opérateur (individu) constitue un
commutateur universel et un centre d’action. Dans l’absolu, cela
mène à un espace avec une centralité en tout point, puisque
l’opérateur est le centre.
Dépolisation
relative par retrait des individus et des groupes sociaux des espaces
métropolitains jugés répulsifs ou inefficaces
Il
s’agit là d’une évolution qui se fonde sur le rejet des formes
urbaines denses et la recherche d’un nouveau cadre spatial de vie.
Ce sous-scénario s’appuie sur le postulat du succès des
idéologies du slow, du néo-localisme, de la croissance économique
modeste (voire de la décroissance) auprès des groupes sociaux
dominants et des classes moyennes à fortes capacités d’influence
électorale. Il produit une organisation de l’espace en communautés
locales d’affinités électives, peu denses, où l’on élabore de
nouvelles règles de fonctionnement assurant l’équilibre
environnemental. Les espaces jadis métropolisés ont perdu la
plupart de leurs centralités fonctionnelles, mais il reste des
espaces productifs, des espaces de relégation sociale, des friches
(cf. l’évolution de Detroit, aux États-Unis).
Dépolisation
relative par effacement progressif de la puissance publique
… et
transfert à de nouveaux acteurs sociaux de proximité (privés /
publics / individuels / associatifs / coopératifs / communautaires)
de la charge d’organisation, d’équipement des territoires. Il
s’agit là d’une tendance qui traduit la recherche de nouvelles
formes de régulation en raison de l’impuissance de l’État et
des collectivités métropolitaines et régionales à répondre aux
besoins d’habitants qui aspirent à la périphérisation de leurs
espaces de vie.
LES MOTEURS
- la déséconomie d’échelle des grands systèmes techniques et des infrastructures urbaines s’accentue, à mesure que les possibilités de financement s’accroissent et que les individus fuient les secteurs denses ;
- l’apparition de nouvelles solutions techniques d’autosuffisance (production d’énergie, alimentation et traitement de l’eau, télétravail, etc.) permet d’assumer le décrochage et d’assurer l’autonomie domestique des individus ou/et des groupes de voisinage restreints. Ces ruptures technologiques procèdent de la convergence des greentechs et de la numérisation ainsi que de celle, au plan des idéologies politiques, de l’écologie et de l’individualisme libertaire. Ce dernier pousse chaque individu à se concevoir comme totalement autonome et délié des exigences collectives non choisies ;
- la réflexion sur le développement soutenable débouche non sur le postulat de la pertinence de la densité urbaine, mais a contrario sur l’influence grandissante de modèles de développement alternatif des espaces habités, fondée sur la dédensification, et sur la volonté (au moins apparente) de diminution de l’empreinte écologique de chaque unité de vie ;
- un rejet des formes de gouvernement classiques, conduit à la constitution de nouvelles légitimités politiques fondées d’un côté sur l’appartenance infra-locale de l’autre sur l’insertion des individus dans des réseaux de sociabilité choisis, qui s’organisent sur un mode quasi-politique. Ainsi, il existe désormais un nombre très élevé de réseaux sociaux internet autogouvernés. Ces instances politiques entretiennent une transaction avec les structures régulatrices (Europe, État, régions, communes) plutôt affaiblies, tant politiquement que financièrement. La dépolisation s’accompagne aussi d’un effondrement des gouvernements urbains multi-communaux, au profit de cette néo-localisation ;
- face à la disparition du lien entreprises-territoires qui avait été constitutif de l’urbanisation métropolitaine, on assiste à la constitution de micromarchés à la fois locaux et en réseaux.
On
assiste à un triomphe de la numérisation des sociétés et en
particulier au succès des réseaux sociaux communicationnels qui
deviennent référentiels des modes de définition des proximités
acceptables et légitimes pour tout un chacun. Du coup, cette
dématérialisation de bon nombre de relations sociales et
économiques conduit à une modification en profondeur des
mobilités, avec une diminution relative de celles-ci ;
LES ENJEUX
Si
l’on accepte ce scénario et les moteurs, alors :
- Comment concevoir une réorganisation spatiale de la société fondée sur la dédensification urbaine, la décroissance relative, la prédominance des cycles courts, le centrage sur les communautés locales, la diminution relative des déplacements de biens et de personnes, la systématisation de la dématérialisation de certaines pratiques et fonctions ?
- Que pourrait être une organisation spatiale dédensifiée à faible intensité de financement public et de consommation de capital et à haute soutenabilité environnementale ?
- Quelles sont les formes politiques permettant d’assurer la promotion de la consultation systématique des populations locales sur les choix de proximité qui les concernent ?
- Comment concilier les logiques de proximité locale et de circuits courts et la persistance de l’intérêt général d’échelle plus globale ? Plus généralement, comment inventer une conception nouvelle de la justice spatiale et de l’équité, compatibles avec (la post- et) la dépolisation ?
Notes de bas de page
1.
Quelques mots s’imposent ici. J’ai longuement hésité à
conserver ce quatrième scénario. Ne peut-il être considéré comme
une modulation du précédent, sous la forme d’une postpolisation
exaspérée ? Sans doute, mais in fine, j’ai préféré le
livrer en tant que tel, estimant qu’il avait l’avantage de
constituer, justement, une hypothèse extrême de travail. Extrême
car, en vérité, il exprime la possibilité d’une rupture avec ce
qui a fondé l’urbanisation métropolisante. Ainsi, on pose comme
avenir possible une évolution qui contredit les postulats initiaux,
donc on tente de montrer que l’on pourrait avoir tort en énonçant
les principes qui ont structuré, jusqu’ici, les réflexions. Au
bout du compte, il me semble que cette dépolisation, outre qu’elle
manifeste l’intérêt de toujours laisser ouverte la possibilité
d’infirmer un système de pensée, enrichit l’ordre des possibles
que chaque scénario met en intrigue, dans la mesure où elle
constitue, justement, un opposant des histoires jusqu’ici
racontées, notamment dans les deux premiers scénarios.
NOTES
[1]
Après la défaite de 1940, Gravier est éditeur de
la revue Idées, créée fin 1941 avec l'appui du Secretariat général
à l'information et à la Propagande dirigé par Paul Marion. Cette
revue subventionnée par le régime est ouvertement engagée en
faveur de la Révolution nationale dont elle est un des organes de
diffusion. Évoluant plus à droite encore, Gravier a souvent exprimé
son admiration pour Walter Darré, ministre de l'agriculture dans le
gouvernement nazi. Sous le régime de Vichy, il est enseignant à
l'université de Belgrade (1940-41), puis chargé de mission au
Secretariat général de la jeunesse (1941-42), avant d'être
directeur de l'Ecole des cadres du Mayet-de-Monagne et du centre de
synthèse régionale de la Fondation Alexis-Carrel. Gravier déteste
la démocratie et l'individualisme : « la démocratie parlementaire
dont Pie IX dans le Syllabus a flétri l'idéologie sous le nom de
libéralisme et dont le maréchal Pétain a flétri la morale sous le
nom d'individualisme, tendait en France à la destruction de la
structure française et de ses groupements naturels sous le poids des
intérêts particuliers et immédiats »2). Il tonne contre les
Lumières, les Droits de l'Homme, le suffrage universel et contre les
Juifs, éternels déracinés. À la Libération, Gravier est protégé
par le père Lebret, dominicain fondateur de l'Association Economie
et Humanisme. Il est ensuite embauché à
l'administration du Commissariat général du plan. La première
édition du Désert est rédigée alors que Gravier dirige le Centre
de Synthèse Régionale dans le département VI de Bio-sociologie de
François Perroux, dans la Fondation Alexis Carrel, prônant
l’eugénisme.
Bernard
Marchand, dans une étude assez complète sur Les ennemis de Paris,
montre la continuité des attaques contre la capitale depuis au moins
deux siècles, dont l'ouvrage de Jean-François Gravier représente
le point culminant. Un colloque international organisé au Centre
International de Cerisy-la-Salle en juin 2007 a montré combien cette
hostilité envers la grande ville a été largement répandue dans de
nombreux pays.
[2]
Dans ce cadre, le schéma directeur de la Région parisienne,
présenté en 1965 par Paul Delouvrier prend une importance décisive,
aussi bien par les prévisions qu'il établit que par les mesures
qu'il propose. Paul Delouvrier avouera lui-même avoir été séduit par les arguments de J.F. Gravier. Cette stratégie d'aménagement du
territoire s'oppose au plan précédent PADOG - Le gouvernement
adopte en 1965 un nouveau Schéma d’aménagement et d’urbanisme
de la région parisienne (SDAURP). Celui-ci décide de renforcer le
desserrement de la région et de mettre en valeur des pôles de
développement éloignés du centre de l’agglomération, qui
puissent acquérir une véritable autonomie. Ces nouveaux pôles
doivent se faire ex-nihilo, en dehors de villes existantes mais sans
être trop éloignés du centre de Paris, tous étant situés de 15
km à moins de 50 km.
Ce
plan parisien est conçu et mis en place par les équipes de Paul
Delouvrier, délégué général au District de la région de Paris
entre 1961 et 1969. À l’origine, ce schéma décide de la création
de huit villes nouvelles aux alentours de Paris, mais sans décider
d’implantation précise. Finalement, leur nombre est ramené à
cinq 2.
Au
niveau national, d'autres villes nouvelles sont décidées autour des
agglomérations de Rouen, Lyon, Lille et Marseille. Pour cela, un
Groupe central des villes nouvelles (GCVN) est créé en décembre
1970 pour coordonner l'ensemble du programme. René Goetze en est le
président et Jean-Eudes Roullier le secrétaire général.
Il
s’agit alors de constituer neuf villes nouvelles dont cinq en
région parisienne. Elles ne doivent pas constituer des banlieues
dortoirs : les premiers grands ensembles du début des années 1960
sont alors l’anti-modèle. Au contraire, elles doivent constituer
des bassins de vie bénéficiant d'une relative autonomie au sein de
l'agglomération parisienne, avec une capacité d’accueil
suffisante pour assurer un équilibre habitat/emploi. Ces villes
doivent, à terme parvenir à fixer la population sur place sous la
forme de nouveaux centres urbains et attirer la population des
banlieues périphériques chroniquement sous-équipées
À
la base du projet, il y a une rupture avec le monocentrisme de la
région et la définition d'axes préférentiels de développement,
susceptibles de canaliser les interventions. Ces orientations
s'intègrent, par ailleurs, à celles du plan national qui prévoit
la création des « villes nouvelles » comme éléments du
rétablissement de l'équilibre urbain et régional et comme étapes
d'une unification fonctionnelle entre logement et travail. Dans la
région parisienne, les villes nouvelles sont conçues pour résorber
la demande annuelle de logements nouveaux et pour encourager la
décentralisation de la production du tertiaire.
Conçues
vers 1965, mises en chantier dans la décennie 1970-1980, elles
représentent de la part de l'Etat un effort de planification et de
financement très tardifs par rapport aux news towns anglaises. Les
cinq villes nouvelles de la région parisienne, Cergy-Pontoise,
Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée, Evry et Melun-Sénart
répondaient à des finalités multiples, qui se sont affirmées
progressivement : d'abord stopper l'immigration parisienne aux portes
de la capitale et constituer des centres d'organisation spatiale de
l'extension de l'agglomération, comme l'étaient plus à l'intérieur
les « pôles restructurateurs de banlieue » ; ensuite,
être des laboratoires de formes urbaines et d'expériences
architecturales ; enfin, plus tardivement apparus, des objectifs plus
sociaux : rapprocher l'emploi de la résidence et lutter contre la
ségrégation sociale en milieu urbain.
Les
experts s'étaient trompés sur deux points essentiels : le
ralentissement de la fécondité française, pourtant prévisibles
dès 1965, réduit les projections démographiques, pour les villes
nouvelles comme ailleurs ; mais surtout, le renversement migratoire,
là aussi amorcé dès le début des années 1960, détourne de
l'agglomération parisienne vers des régions plus attractives des
centaines de milliers d'habitants potentiels. Les prévisions pour
les villes nouvelles parisiennes, chacune conçues pour accueillir 1
million de résidents, sont rapidement ramenées à 500.000 pour
l'horizon 2000, puis 200.000 habitants, et la plus peuplée
Saint-Quentin atteint seulement 150.000 habitants au recensement de
1982.
De
même, les politiques territoriale et urbaine les mieux intentionnées
et les plus richement dotées, ne peuvent prouver une efficacité
restreinte qu'en rencontrant une des dimensions les plus spécifiques
de l'urbanisation actuelle : l'extension périphérique des
lotissements de maisons individuelles. La ville nouvelle de
Fos-sur-Mer, aux environs de Marseille, confirme cette conclusion :
avec une progression de 35 % entre 1975 et 1982 (contre 184 % de 1968
à 1975), Fos grandit moins vite que d'autres cantons voisins
(Aix-en-Provence, Berre, Istres, etc.). Dans un midi méditerranéen,
la politique urbaine fondée sur un calcul économique erroné
s'avère impuissant à rivaliser avec les extensions périphériques
spontanées de villes parfois millénaires et le fort municipalisme
provençal.
Au
total, les rationalités urbaines qui pouvaient sembler les plus
nouvelles n'apparaissent pas les plus efficaces. Il ne s'agit pas de
nier toute influence aux politiques d'aménagement, ni de refuser
leur légitimité aux pratiques volontaires d'organisation des
espaces. Mais leurs conséquences les plus manifestes sont
certainement subordonnées à des mécanismes plus profonds ; et
surtout, des actions et des initiatives de personnalités politiques
locales influentes qui peuvent parvenir à infléchir le cours des
choses. La présence de Jacques Chaban-Delmas, homme influent,
Premier ministre et maire de Bordeaux, métropole d' « équilibre »,
a permis la venue d'industries ; plus tard Pierre Mauroy, Premier
ministre et maire de Lille, lancera la grande opération Eura-Lille.
Une manière supplémentaire de relativiser, sinon de minimiser, les
pratiques objectives des technocraties, au profit des décisions
locales proprement politiques.
Si
l'on cherche des facteurs d'explication, il est acquis à la fin des
années 1940, et jusqu'aux années 1970, en pleine domination de
l'immeuble collectif, que les Français préfèrent sans conteste
l'habitation individuelle, couplée avec la propriété. Mais, en
même temps, ils valorisent dans leur conduite la proximité des
centres. Ce qui touchait l'habitant, c'étaient précisément la
maison et le petit jardin, relevant de différents domaines selon la
catégorie sociale, entre l'auto-production alimentaire à l'intérêt
pour l'écologie, ou à un style de vie : potagers, piscines et
tennis privé ne font pas mal dans le tableau. Pour la classe moyenne
et l'élite ouvrière, la maison représentait également un
échappatoire aux normes des immeubles collectifs d'HLM et à leur
dégradation.
La
propagande en faveur de l'habitat individuel a d'ailleurs pris des
voies plus directes dès 1966-1967, avec l'organisation des
« Villagexpos » et en 1968 avec le « concours de la
maison individuelle », dont l'objet est surtout d'accélèrer
la modernisation technique et économique et d'aider les lauréats
(architecte-promoteur) à réaliser des ensembles de plusieurs
centaines ou même plusieurs milliers de maisons. Le modèle, qui
porte le nom du ministre en exercice, Chalandon, devint
l'illustration d'une changement de politique. Changement par à-coups
qui précèdent la condamnation en régle des grands ensembles : les
déclarations du ministre sont pourtant claires : « Pas
d'opposition ville/campagne : la maison individuelle doit être
l'élément de base du tissu urbain futur. » [Albin Chalandon,
Le logement en maisons individuelles, in
Constructions-Aménagement, septembre 1970]
Faut-il
retrouver aussi, à travers les troubles de 1968, les votes
inquiétants de 1973 et la montée de l'insécurité dans les « cités
nouvelles », le rappel d'une vieille idéologie, née au 17e
siècle et qui assimile risque social et agglomération ? Idéologie
sécuritaire, anticollectiviste ou, plus simplement, réexamen des
besoins, des formes au terme de vingt années d'accélération
urbaine ? Effets précoces d'une croissance mise en question, puis
freinée ?
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