Bruxelles-Midi, l’urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle
Gwenaël
Breës
La
grande rareté d'ouvrages d'investigation de cette qualité
concernant le domaine de l'urbanisme politique, nous invite à vous
intéresser à ce livre reportage. Le journaliste n'hésite pas à
dénoncer, preuves à l'appui, les "manigances" et les
ruses des hommes politiques pour parvenir à la démolition d'une
grande partie d'un quartier populaire et bâtir un ensemble tertiaire
à haut profit pour les investisseurs, les "vautours"
précise l'auteur.
Une
opération d'urbanisme placée sous le signe d'un PPP : «
partenariat public-privé », c'est à dire une opération où les
investisseurs sont considérés dès les premières phases d'étude
comme le partenaire privilégié, l'acteur qui, dans les faits,
décident de la viabilité économique du projet. La ville de
demain sera au PPP ou ne sera pas, clament les investisseurs. A
charge aux acteurs politiciens de freiner l'appétit des
investisseurs ou bien au contraire de les laisser-faire. Gwenaël
Breës note à ce propos : "Dans ces différents domaines,
effectivement, les autorités publiques se mêlent de moins en
moins de gérer des projets par elles-mêmes. Il est une idée
reçue, de plus en plus répandue, qui prétend qu’elles en
soient incapables, plombées par trop de culture procédurière,
de lourdeurs administratives, d’intérêts électoraux, de débats,
de critères de transparence et de contrôle… Bref, le secteur
public serait inefficace par essence. [...] Le privé
développe une tout autre image de lui-même : il serait par
nature efficace, performant, souple, expérimenté, il dispose
des moyens adéquats et a l’avantage de ne pas devoir trop
s’embarrasser de procédures et autres lourdeurs
administratives. Alors, le privé fait croire au public qu’il a
besoin de lui, même si c’est plutôt l’inverse qui est
vrai."
D'une
manière plus générale, l'opération Bruxelles-Midi s'intègre dans
celle plus vaste du Plan de développement international de
Bruxelles dont les caractéristiques note Gwenaël Breës sont
:
Développer une
stratégie d’image pour les quartiers
(city
marketing) afin de les caractériser, et notamment pour les
quartiers les plus fragilisés afin de les revaloriser et
d’éviter que leur image négative ne dépasse les frontières et
ne nuise au rayonnement international
de
la ville (effet « bronx»). […]
Un plan de développement sur
10 ans pour chaque quartier
doit
permettre de vendre ces quartiers
à
des investisseurs et à des nouveaux habitants […]
Un
document indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à
l’histoire de Bruxelles, à l’urbanisme, l’architecture, la
planification, la politique, la privatisation des services publics,
le droit urbain, la sociologie, l’histoire des luttes urbaines…
Bruxelles-Midi,
l’urbanisme du sacrifice
et
des bouts de ficelle
Gwenaël Breës
Publié
aux éditions Aden | Mai
2009 |
384
pages (dont 65 de documents et illustrations)
Livre complet format PDF : http://www.bruxelles-midi.be/livre-en-pdf
Extraits
:
L’histoire
de Bruxelles est jalonnée de grands projets immobiliers
qui, cycliquement, ont dévasté le tissu urbain et se sont terminés
par un « Plus jamais ça ! »
L’avènement
de la région de Bruxelles-capitale, en 1989, portait l’espoir
que cesse cet urbanisme imposé d’en haut et que la ville ne
subisse plus de saccages comme celui du quartier nord. avec
l’annonce de l’arrivée du train à grande vitesse (TGV) en
gare du midi, il a vite fallu déchanter. une nouvelle fois, le
« progrès » et le « développement international » ont
suscité les convoitises immobilières et déclenché le «
nettoyage social » d’un quartier populaire…
Sur
fond de crise du logement et de surproduction de bureaux, cette
enquête dévoile comment le sort du quartier midi s’est joué
telle une partie de monopoly, dans un combat opposant des
investisseurs privés, une société ferroviaire métamorphosée
en promoteur immobilier et des autorités publiques avides
de recettes fiscales. Comment la commune de saint-Gilles et la
région bruxelloise, menées par un même homme (le socialiste
Charles Picqué), ont transformé ce champ de bataille en
véritable guerre d’usure… contre les habitants. Ceux-ci ont
payé le prix fort d’une politique basée sur la lenteur, la
temporisation et l’utilisation paradoxale d’une menace
d’expropriation «en extrême urgence».
Ce
livre est le fruit d’une investigation dont le résultat donne une
vision accablante de certaines pratiques de «gouvernance» marquées
par l’amateurisme et la naïveté, mais aussi par le cumul de
responsabilités, la concentration des pouvoirs, la confusion des
rôles et des intérêts, la partialité des administrations et
l’abus de position dominante, la discontinuité de l’action
publique et l’absence de responsabilité politique, la
désinformation et le harcèlement, ainsi qu’un profond mépris
envers les habitants… Comme le confirmeront les rebondissements
judiciaires où la Région bruxelloise se verra notamment condamnée
pour avoir mené une «politique de pourrissement» et «bafoué de
manière arrogante plusieurs droits de l’Homme».
Une
lecture édifiante qui tombe à point nommé, au moment où les
stratèges de cette opération de «revitalisation» évitent tout
bilan de leur action et s’apprêtent à rempiler pour une
législature dédiée au «développement international» de
Bruxelles, en désignant une dizaine de nouvelles «zones
prioritaires».
Un
livre sur la saga du quartier Midi…
«
Bruxelles-Midi, l’urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle »
a été écrit à partir d’expériences vécues, de récits et
témoignages d’habitants, d’interviews de différents
intervenants du dossier, ainsi que d’abondantes archives écrites
et audiovisuelles (articles et reportages de presse, courriers,
comptes rendus de débats politiques, textes légaux, prescrits
urbanistiques, documents judiciaires, rapports d’activités, etc.).
Chacun
des 12 chapitres qui le composent propose une approche thématique,
s’intéressant particulièrement à un aspect : historique du
quartier, planification, judiciaire ; ou à un acteur de cette saga :
la Région de Bruxelles-Capitale, la société «paravant»
Bruxelles-Midi, la Commune de Saint-Gilles, Charles Picqué, la SNCB,
les promoteurs immobiliers, et bien sûr les propriétaires,
commerçants et locataires du quartier.
Acte 1. Le nouveau bourgmestre de Saint-Gilles, le socialiste Charles Picqué, procède à une transformation sociologique de sa commune. Il insuffle le « renouveau urbanistique » dans les quartiers du « haut » et stigmatise ceux du « bas » (le Midi), qu’il promet à un traitement « énergique ». Son but : lutter contre « la contagion de la pauvreté », en modifiant la sociologie et le tissu urbain de ce quartier populaire et historiquement immigré. L’arrivée du TGV est déjà dans l’air. Si le terminal venait à s’installer au Midi, cela pourrait être l’occasion de trouver d’une part les moyens de « nettoyer » le quartier et d’autre part d’y implanter, comme Saint-Josse et son quartier d’affaires, un « petit Manhattan ». Un quartier qui permettrait à la commune d’attirer, outre l’argent des bureaux, une population passible d’impôts plus conséquents et à la « sociologie » plus enviable…
Acte
2. L’État belge décide d’installer un terminal TGV à
Bruxelles. Ce sera bien à la gare du Midi. Mais le gouvernement
national, dans l’optique européenne de libéralisation des
services publics, pousse la Société nationale des chemins de
fer (SNCB) à autofinancer l’opération. Ce qu’elle fera par
la réalisation d’un projet immobilier, se transformant
en promoteur et se mettant à spéculer sur des îlots
avoisinant la gare.
Acte
3. Attirés par l’odeur des bureaux potentiellement
constructibles, quelques grandes compagnies de promotion
immobilière se ruent sur le quartier et y acquièrent de
nombreux biens, afin de se rendre maîtres du foncier et de
devenir incontournables dans la réalisation des futurs projets.
Acte
4. À peine créée, la Région de Bruxelles-Capitale, présidée
par Charles Picqué, veut prendre la tête des opérations.
Officiellement, pour éviter à tout prix qu’un quartier
Nord « bis » se produise. Pourtant, la Région ne s’oppose
pas aux projets de bureaux que caressent la SNCB et les
promoteurs, et qui impliquent la démolition d’une partie du
quartier. Elle ne se contente pas non plus de planifier le
développement de la zone et de s’assurer qu’une partie des
surfaces seront construites sur le territoire
de
Saint-Gilles, le fief du ministre-président. La Région veut, en
plus, devenir propriétaire des sols. Elle l’imposera de gré
ou de force, grâce à son pouvoir d’expropriation. Son idée
? S’interposer entre les petits propriétaires et les promoteurs.
Racheter les terrains aux uns pour les revendre aux autres, afin
d’empocher de grasses plus-values.
[...]
Bruxelles-Midi,
l’urbanisme du sacrifice
et
des bouts de ficelle
Gwenaël Breës
Publié
aux éditions Aden | Mai
2009
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