Emil Michel CIORAN
Histoire
et utopie | 1960
Quelle
que soit la grande ville où le hasard me porte, j'admire qu'il ne
s'y déclenche pas tous les jours des soulèvements, des massacres,
une boucherie sans nom, un désordre de fin du monde. Comment, sur un
espace aussi réduit, tant d'hommes peuvent-ils coexister sans se
détruire, sans se haïr mortellement ? Au vrai, ils se haïssent,
mais ils ne sont pas à la hauteur de leur haine.
Cette
médiocrité, cette impuissance sauve la société, en assure la
durée et la stabilité. De temps en temps il s'y produit quelque
secousse dont nos instincts profitent ; puis, nous continuons à nous
regarder dans les yeux comme si de rien n'était et à cohabiter sans
nous entre-déchirer trop visiblement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire