On
ne peut pas séparer le sport de la logique compétitive imposée aux
êtres humains. A l'affrontement sportif correspond la lutte pour la
survie, le "struggle for life" du capitalisme.
Les
Jeux Olympiques contemporains sont sous stéroïdes, commente le
quotidien anglais The Guardian :
« Ils
reflètent les changements du monde moderne : des inégalités
toujours grandissantes, la montée en puissance des multinationales,
l’escalade du complexe de la sécurité domestique et la transition
vers des styles de gouvernement plus autoritaires largement obsédés
par l'attention mondiale et le prestige de spectacles médiatiques ».
Les JO 2012 à Londres :
un grand événement alibi
du renouvellement urbain
à l'est de la capitale
Londres
choisit comme site emblématique pour les Jeux Olympiques d’été
de 2012 le quartier de Stratford, dans la banlieue Est de la
capitale, c'est ici qu'est construit la pièce maîtresse des
Olympiades : le parc olympique où se trouve le grand stade devant accueillir les cérémonies
d'ouverture et de clôture des Jeux, les principaux équipements
sportifs, et le village olympique, adossé à un grand centre commercial, point principal d'accès au site. Plusieurs autres sites disséminés dans la capitale, pour
la plupart déjà existants – le stade de Wembley, Hyde Park,
Wimbledon, etc -, complètent le dispositif, mais Stratford sera
l’épicentre de l’événement qui se déroulera du 27 juillet au
12 août et du 29 août au 9 septembre pour les jeux paralympiques.
Manuel Appert
Université de Lyon 2
Géoconfluences | janvier 2012
Extraits
Extraits
Le
6 juillet 2005, Londres est désignée ville organisatrice des Jeux
Olympiques (JO) d’été de 2012. Le projet London 2012 l’emporte
face aux autres villes candidates, parmi lesquelles Paris, Moscou,
New York et Madrid. Il ne s’agit pas d’une première pour Londres
: la ville a accueilli les JO en 1908 et en 1948. Les manifestations
s’étaient tenues dans l’ouest de Londres, à Shepherd’s Bush
puis à Richmond. Les JO d’été de 2012 seront cette fois
organisés à Stratford, dans la banlieue est ainsi que sur plusieurs
autres sites disséminés dans la capitale et le reste du pays.
Stratford sera l’épicentre de l’événement qui se déroulera du
27 juillet au 12 août et du 29 août au 9 septembre pour les jeux
paralympiques.
En
dehors du site de Stratford, dans le reste du Grand Londres (voir
carte ci-contre en bas), plusieurs sites existants seront mobilisés
: les centres d’exposition de Earls Court (volley ball) et de ExCel
(multisports), le Dome 02 (gymnastique), le terrain de Lord’s
(cricket), le stade et la salle de spectacle de Wembley (football et
gymnastique) et les infrastructures de Wimbledon (tennis). Des
équipements temporaires sont créés dans le parc de Greenwich
(équitation), dans les jardins du palais de Hampton Court (cyclisme)
et de Horse Guards Parade (Beach volley ball), ainsi qu’à Hyde
Park (triathlon), sur le Mall (marathon) et dans la caserne Royal
Artillery Barracks de Woolwich (tir). Au-delà des limites du Grand
Londres, des infrastructures sont construites à Eton Dorney (sports
aquatiques), Hadleigh Farm (vélo tout-terrain), au Lea Valley White
Water Centre (canoé) et à Weymouth (voile). Le circuit automobile
de Brands Hatch dans le Kent sera utilisé pour les courses de vélo
des jeux paralympiques et les stades de Coventry, Glasgow (Hampden
Park), Cardiff (Millenium Stadium), Newcastle (St James’ Park) et
Manchester (Old Trafford) accueilleront les épreuves de football
[2].
Si
la stratégie proposée dans le dossier de candidature est d’utiliser
en décor le Londres emblématique, il s’agit surtout de concentrer
le village olympique et la majorité des équipements sportifs sur un
même site, à proximité du centre-ville. À ce point fort de la
candidature s’ajoute le projet de legs olympique qui repose sur une
vaste opération de renouvellement urbain de Stratford, banlieue de
l’Est londonien en difficulté. Contrairement aux précédentes
éditions qui n’avaient suscité qu’une médiatisation et des
infrastructures modestes dont il ne subsiste rien aujourd’hui, les
JO 2012 mobilisent l’État, le Grand Londres et des acteurs privés
pour la construction de grands équipements, d’infrastructures de
transport, de logements au sein mais aussi autour du site de
Stratford. Le coût total de l’organisation des JO s’élève à
présent à 10,7 milliards d’euros [3], un investissement qui
dépasse largement la seule organisation de la manifestation.
Le
contexte contemporain est bien different, l’événement est devenu
mondial et les investissements consentis servent une stratégie de
transformations urbaines à plus long terme dans la lignée des
projets de renouvellement urbain menés à Barcelone (1992), Sydney
(2000) mais aussi Athènes (2004) et Pékin (2008). Les enjeux sont
certes le bon déroulement des compétitions sportives, mais aussi et
surtout l’élaboration d’un projet urbain qui entend profiter des
investissements engagés : le legs territorial. L’aménagement de
Stratford s’inscrit alors dans une filiation, celle des projets de
renouvellement urbain post olympiques d’Athènes, de Sydney et
surtout de Barcelone. La concentration des équipements sur un même
site est au service d’une stratégie qui vise à transformer
physiquement Stratford à long terme selon l’agenda et la
programmation du Grand Londres et de l’État.
C’est
de cette stratégie dont il est question dans le présent texte,
aussi bien dans sa dimension organisationnelle que dans ses
manifestations paysagères et fonctionnelles. Une vaste opération de
renouvellement urbain permet à l’État et à la municipalité de
Londres de substituer à Stratford, banlieue industrielle en déclin
de l’est londonien, un territoire plus compétitif dans le contexte
de mondialisation et de métropolisation. Le legs de l’événement
révèle alors une planification entrepreneuriale pour une
"territorialisation olympique" qui capitalise sur la bonne
accessibilité de Stratford tout en niant une grande partie de ce qui
constituait son territoire.
Les
JO événement et l’agenda du renouvellement urbain de l’est
londonien
Dans
un contexte de désengagement de l’État débuté sous l’ère
Thatcher et poursuivi jusqu’ici, l’urbanisme britannique est
devenu négocié. Il se caractérise par une contribution croissante
du secteur privé dans l’aménagement et la participation des
populations aux processus de décision depuis 2000. Toutefois, face à
l’urgence de l’organisation des JO et avec la promesse d’un
renouvellement urbain de grande envergure pour justifier les
investissements substantiels, les procédures traditionnelles de
l’urbanisme vont être bousculées. Pour accélérer le processus
de décision et structurer le renouvellement d’un vaste espace qui
dépasse largement le seul district de Stratford, la mairie de
Londres va devoir compter avec un État très présent, et tous deux
dessaisiront partiellement les collectivités locales de leurs
compétences d’aménagement.
L’État
et le Grand Londres aux commandes
L’État
et le Grand Londres sont les porteurs de la candidature londonienne.
Deux entités sont créées pour assurer la coordination des acteurs
publics et privés : L’Olympic Delivery Authority (ODA) et le
London Organising Committee for the Olympic and Paralympic Games
(LOCOG). Ce dernier est l’organisme temporaire sous tutelle du
gouvernement britannique en charge de l’organisation de la
manifestation sportive.
Des
aménagements de grande ampleur
La
planification des aménagements est importante car la construction de
nouveaux équipements et d’infrastructures est nécessaire.
L’organisation de l’événement implique directement la création
d’infrastructures de transport : extension du métro automatique
DLR [8] (Canning Town – Stratford International), reconstruction de
la station Pudding Mill Lane et nouvelle modernisation de la gare
régionale de Stratford, déjà reconstruite en 2000. D’autres
projets prévus par ailleurs mais dont le calendrier ne coïncidait
pas avec celui de la manifestation ont été synchronisés :
l’extension de la East London Line (ouverte en 2010),
l’augmentation de la capacité du DLR (2009), la modernisation de
la North London Line désormais incorporée au réseau Overground
(2010) [9]. À cela peut être ajouté, comme condition préalable au
choix de Stratford, la réalisation de l’ultime tronçon en tunnel
de la ligne à grande vitesse entre Paris/Bruxelles et Londres et
l’ouverture de la gare internationale de Stratford (2007). Cette
gare ne voit pour le moment s’arrêter aucun des trains prévus
initialement, ni les services internationaux ni les services RER à
grande vitesse pourtant instaurés entre le Kent et le centre de
Londres en 2009. Durant les JO, elle sera toutefois desservie par
l’Olympic Javelin, une navette ferroviaire qui reliera le site
olympique à la gare centrale de St Pancras en 7 minutes et qui
permettra d’acheminer vers l’épicentre des manifestations 25 000
personnes par heure [10] (8 trains/heure).
Doivent
également être construits les villages des sponsors (centre) et
celui des athlètes (Nord-Est) dont la capacité a été fixée à 17
000 lits. Le centre de presse de 80 000 m² qui est situé à
proximité du périmètre nord-ouest du complexe servira de base à
20 000 journalistes et techniciens. De nombreux équipements sportifs
sont réalisés à Stratford afin de répondre à la stratégie de
concentration des lieux de compétition. Les chantiers des stades,
piscines olympiques, salles d’entrainement, du vélodrome, des
halles de water polo, de basket et de handball, la salle multisports
et les pistes d’entrainement sont presque terminés [11].
Initialement,
les autorités avaient prévu un budget de 3,4 milliards d’euros.
Mais en mars 2007, il est révisé à la hausse : le gouvernement
n’avait pas prévu que les travaux seraient assujettis à la TVA.
En outre, il a fallu y ajouter un fonds pour les imprévus, soit 60%
du coût des infrastructures et, après les attentats de 2005,
multiplier par trois le budget sécurité. Le montant total à
investir atteint finalement 10,7 milliards d’euros en 2009, un
surcoût qui a été difficile à assumer en pleine austérité
budgétaire. La contribution de l’État s’élève à 64% du
montant total à investir, lorsque la loterie nationale en finance
22% et la mairie du Grand Londres 9%.
Planifier
dans l’urgence et dans le contexte de crise
Pour
faciliter et accélérer le processus d’aménagement du site
olympique, les permis de construire sur le site et ses alentours sont
respectivement confiés à l’ODA et à la LTGDC. La municipalité
de Newham est donc dessaisie de ses compétences d’urbanisme,
siégeant toutefois dans ces organismes ad hoc. Le permis de
construire global du site (outline planning permission) a été
élaboré, déposé et accordé en 8 mois, alors que c’était l’un
des plus importants de l’histoire du Royaume-Uni, preuve de
l’urgence de la planification [12]. La course pour déposer les
permis de construire spécifiques à chaque équipement s’accélère
en 2007-2008 au point que l’ODA annonce même renoncer aux concours
d’architecture. Mais, après de nombreuses pétitions initiées par
les plus grands cabinets londoniens (dont Norman Foster), des
concours vont être finalement lancés. La promesse d’appels
d’offres ouverts aux petits cabinets n’est pas tenue, il faut
aller vite et ce sont finalement presque exclusivement des
consortiums alliant de grands cabinets d’architectes
internationaux, des promoteurs et des constructeurs qui sont
sélectionnés.
Des
coupes sont par ailleurs réalisées. L’architecture flamboyante
des équipements sportifs prévue initialement laisse place à des
édifices plus modestes disposés dans un vaste parc urbain. Les
discours officiels sont alors reformulés : les jeux doivent être
les plus durables jamais organisés. Une façon de justifier,
contrairement à ce qui avait été annoncé, le recours à des
firmes multinationales expérimentées et d’éviter la débâcle de
Wembley (2007) ou du Dôme du Millénaire (1999) [13]. La taille des
infrastructures est d’abord réduite. Le complexe aquatique est
réduit de 50% et le nombre de logements du village des athlètes de
30%. Les équipements sont ensuite conçus temporaires (halles de
handball et de basket) ou adaptables (piscine et stade), de sorte que
leurs coûts de construction puis de maintenance après les jeux,
soient minimisés. Des gradins seront ainsi démontés de la
structure de la piscine olympique ainsi que du stade, dont la
capacité passera de 80 000 à 30 000 places. La physionomie du
complexe olympique ne ressemble donc pas aux concepts et rendus du
dossier de candidature afin de respecter le calendrier.
Préparer
la gouvernance entrepreneuriale du legs
La
planification de l’après-jeux est indissociable de celle de la
manifestation puisqu’une partie des réalisations dans et autour du
site de Stratford City resteront en place après 2012. L’État et
la mairie la confient à l’Olympic Park Legacy Compagny (OPLC) dont
la première mission sera d’élaborer un plan d’aménagement à
long terme, le Legacy Communities Scheme (LCS). La planification sera
conduite en concertation avec la mairie de Londres qui publiera une
directive d’aménagement post olympique (Olympic Legacy
Supplementary Planning Guidance) ainsi qu’avec les partenaires
économiques et la société civile via des procédures de
consultation. L’organisme aura ensuite pour mission de superviser
la reconversion du village d’athlètes en 2 818 logements (dont 1
379 "abordables" [14]) et de transformer les espaces de
circulation durant l’événement en espaces verts. L’OPLC
deviendra responsable du parc olympique renommé Queen Elizabeth Park
en l’honneur de Jubilé de diamant de la Reine en 2012.
Il
s’agira enfin d’assurer le désengagement financier de l’État
et de la mairie de Londres en construisant des partenariats
publics-privés pour l’exploitation des équipements et pour la
construction des îlots résidentiels et commerciaux. Un processus
déjà engagé puisque 1 439 logements du village olympique ont été
vendus 641 millions d’euros à la famille royale du Qatar et un
consortium d’associations d’aide au logement a déboursé 308
millions d’euros pour acquérir les 1 379 logements restant [15].
En temps de crise immobilière, l’ODA n’a donc pas réussi à
recouvrir les 1,27 milliards d’euros nécessaires à l’acquisition
des terrains et à la construction.
Le
bureau de l’OPLC est emblématique de cette gouvernance
entrepreneuriale. Il est composé d’urbanistes municipaux, de hauts
fonctionnaires, d’entrepreneurs, de membres d’agences de
marketing, de financiers et de consultants en événement sportif. Le
comité devra, selon les termes de la GLA, "mettre en place des
transformations fondamentales tant en termes économiques, sociaux et
environnementaux pour réduire l’écart de richesse entre Stratford
et le reste de Londres (GLA, 2011, policy 2.4). La gouvernance en
place s’assurera de la reconversion de la très grande majorité
des terrains en lieux de résidence et d’emploi tout en identifiant
quelques espaces industriels à préserver.
Le
renouvellement urbain à marche forcée
Depuis
2005, le visage de Stratford change radicalement. Il voit en effet
s’imprimer les marques de l’organisation de l’événement.
Au-delà des équipements, c’est l’aménagement stratégique du
Grand Londres qui prend corps, notamment à travers les opérations
de renouvellement urbain dites urban regeneration. L’agenda du
groupe d’acteurs réuni dans l’ODA et au sein de l’OPLC est
clair : transformer physiquement un espace vaste et faiblement peuplé
pour lui permettre de se conformer économiquement et socialement à
celui d’une ville globale. Plus concrètement, est entendue la
planification d’un ensemble de quartiers, dense, attractif et
résolument tourné vers les acteurs internationaux de l’immobilier
dans le contexte d’un désengagement financier des pouvoirs
publics. La vente du village olympique, avant même qu’il ne soit
occupé et la commercialisation des projets de Stratford au MIPIM
[16] en attestent. Stratford, qui est décrit dégradé, en déclin,
mais accessible, doit être transformé en un nouveau centre majeur à
l’échelle métropolitaine (Metropolitan centre), fonctionnellement
mixte, dense et durable.
Le
programme de rénovation urbaine et d’équipement est ainsi
relativement conforme aux autres opérations d’aménagement menées
dans le Grand Londres depuis 2000. Depuis la publication du premier
London Plan en 2004, la municipalité du Grand Londres a identifié
des zones à réaménager en priorité : les opportunity areas. Ces
espaces qui ont en commun un niveau élevé de précarité et/ou un
niveau d’accessibilité important, doivent assurer (et/ou absorber)
l’essentiel de la croissance de la ville durant les vingt
prochaines années. Contrainte spatialement par une ceinture verte,
Londres mise sur une croissance urbaine compacte, faiblement
consommatrice d’espace et d’énergie. Le principe est alors de
densifier ponctuellement les nœuds de réseaux de transports
collectifs pour minimiser les déplacements motorisés.
Dans
ces plans, les transformations paysagères jouent un rôle
performatif, instrumentalisées par des stratégies de mise en marque
(branding) des lieux. Les transformations morphologiques signalent en
effet une transformation fonctionnelle qui doit renforcer
l’attractivité des lieux dans le contexte d’une concurrence
inter-territoriale. Plutôt que de rechercher prioritairement
l’amélioration des conditions de vie de la population en place,
l’objectif est de greffer un nouveau morceau de ville plus adapté
à la mondialisation. Comme beaucoup d’autres opérations de
renouvellement urbain menées à Londres, elle suit une logique
descendante (top-down) malgré le tournant participatif des années
2000.
Les
opérations reposent pour l’essentiel sur des investissements
"durs", infrastructures, bâtiments, équipements et
traitement des espaces publics, plutôt que sur des actions sociales,
culturelles et organisationnelles (mobilisation des groupes d’acteurs
locaux) qui viseraient à faire émerger des dynamiques d’innovation
et de croissance des territoires en difficulté. En cela, les
capacités des acteurs locaux, individus, groupes, élus et experts,
sont peu prises en compte par le consortium d’aménageurs. Le
renouvellement urbain facilite même au contraire une gentrification
par les promoteurs dans la mesure où les quotas de logements sociaux
sont négociables et où leur construction peut être éloignée des
immeubles vendus ou loués au prix du marché (New-build
gentrification [17].
Stratford,
Docklands et Thames Gateway : filiation et complémentarité
À
certains égards, la planification du legs olympique est comparable à
l’opération de transformations physiques et fonctionnelles des
Docklands. Dans les deux cas, les collectivités locales se sont vu
confisquer leurs prérogatives d’aménagement. Elles diffèrent
cependant dans la mesure où la recentralisation de l’aménagement
se fait désormais moins au profit de l’État que du Grand Londres.
Les Docklands ont été en grande partie aménagés par le secteur
privé dans le cadre d’une Unitary Development Corporation (UDC,
1981-1997). Ce dispositif d’aménagement reposait sur un leadership
fort de l’État et des investissements essentiellement privés. Le
gouvernement britannique dirigé à l’époque par M. Thatcher,
fournissait alors terrains et infrastructures de transport aux
promoteurs qui disposaient de surcroît d’exonérations fiscales.
Force est de constater que dans cette vaste opération, seul Canary
Wharf, le quartier d’affaires qui accueille de nombreuses
institutions bancaires, a connu, in fine, un franc succès (100 000
emplois). Il est cependant resté un îlot de création de richesse
dans un océan de précarité (voir la carte de l'indice de précarité
infra).
En
modifiant l’image de Stratford par une transformation radicale de
sa physionomie et de ses fonctions, le Grand Londres entend faire du
district une nouvelle centralité exemplaire à l’échelle de la
métropole. Les considérations ne sont donc pas locales, mais
régionales.
Le
projet olympique et son legs consistent en effet à ancrer
spatialement un pôle de croissance dans Thames Gateway (TG), le plan
de rééquilibrage de la ville vers l’est, en difficulté. Thames
Gateway qui couvre trois régions, le South-East, l’East et le
Grand Londres, soit dix-neuf municipalités (ODPM, 2005), doit
impulser un développement dense et durable de l’estuaire de la
Tamise. TG résulte d’un mouvement d’intégration multiscalaire
et multisectoriel de l’aménagement stratégique (Greenwood et
Newman, 2010). Sa gouvernance est donc complexe du fait de la
multiplicité des acteurs, y compris si l’on ne considère que la
partie londonienne du méga projet. Le nombre élevé d’acteurs
impliqués aurait eu pour effet de complexifier la concertation et de
limiter le nombre de réalisations sur le terrain. Seule une fraction
des 180 000 logements projetés a vu le jour et une part des 200 000
emplois ont été créés depuis sa mise en place. L’organisation
des JO, comme événement incitant à la coordination des acteurs et
à la concentration des investissements, est donc une aubaine pour la
mairie de Londres qui mise sur Stratford pour redynamiser TG. D’un
point de vue géopolitique, en insistant sur le legs de l’après
jeux (document ci-dessus) dans la candidature, la mairie de Londres a
fait coup double : trouver les moyens politiques et financiers pour
créer un nouveau pôle de croissance sur son territoire de
compétences et rééquilibrer le portage d’une partie de Thames
Gateway en sa faveur.
Déterritorialiser
Stratford
Stratford
représente une opportunité pour envisager un renouvellement urbain
en adéquation avec l’agenda des acteurs publics et privés de la
gouvernance néo-libérale du Grand Londres. "Après les JO, on
assistera à la création d’un nouveau quartier urbain pour l’Est
de Londres, la plus importante opportunité à saisir pour des
entreprises de stature internationale, entrepreneurs et
investisseurs" (OPLC [18]) Le potentiel de développement urbain
anticipé est en effet le plus important depuis l’opération des
Docklands. Mais les pouvoirs publics doivent justifier
l’investissement financier nécessaire, qu’il s’agisse de la
taxe locale de 23 euros prélevée par la mairie de Londres, les 2,8
milliards de la loterie nationale et les 6,9 milliards d’euros
fournis par l’État central (Evans, 2010).
La
mise en scène du renouvellement urbain de Stratford
Il
s’agit alors de capitaliser sur la bonne accessibilité des lieux,
sur l’abondance des terrains jugés sous-utilisés et sur
l’affaiblissement territorial de Stratford dont on anticipe peu de
résistances. Stratford est desservie par l’autoroute A12, 3 lignes
de métro, 3 services ferroviaires et elle est traversée par la
ligne TGV entre le tunnel sous la Manche et Londres depuis 2007. Le
site est ainsi à moins de 15 minutes de la City, 7 minutes de la
gare de St Pancras et à 10 minutes de Canary Wharf via la Jubilee
Line ouverte en 2000. La présence de vastes friches
ferroviaires offre un foncier facilement mobilisable pour un grand
projet urbain qui serait difficilement réalisable par le seul
secteur privé. Enfin, la population de Stratford est hétérogène,
pauvre et politiquement peu mobilisée.
Elle est aussi peu qualifiée et vit, pour partie, dans des logements
et dans un environnement dégradés.
Il
faut ensuite légitimer le projet. Les pouvoirs publics vont alors
scénariser la capacité du projet olympique à améliorer les
conditions de vie et la compétitivité à Stratford. Une mise en
scène effectuée par des discours qui revisitent l’histoire
récente de Stratford pour n’en retenir que le déclin. Le champ
lexical de l’obsolescence et de la dégradation est mobilisé :
friches (wasteland), déclin (decline). Une stratégie
qui est facilitée soit par la mauvaise image de Stratford soit par
une méconnaissance des lieux par la population du Grand Londres. Une
campagne visant à nier le territoire de Stratford est ainsi
orchestrée par le Grand Londres dès 2004, avant même l’obtention
des jeux. La désindustrialisation est exagérée comme l’atteste
la tentative initiale d’exproprier 300 entreprises en 2006. Le rôle
des activités logistiques et des dépôts ferroviaires est minimisé.
Au Clays Lane Estate mille personnes sont expulsées.
Enfin,
le taux de chômage élevé des jeunes, le faible revenu des ménages,
l’importante population immigrée et la forte proportion de
logements sociaux sont instrumentalisés pour illustrer la précarité
des lieux, ces maux étant corrélés implicitement dans les discours
officiels à une forte criminalité et à la dégradation du lien
social.
Des
initiatives locales dès les années 1990
Déjà
en 1982, les autorités du Grand Londres (le Greater London Council à
l’époque) envisageaient une candidature de la ville aux JO. Les
alentours de Stratford étaient alors identifiés comme site
potentiel pour accueillir la manifestation, qui, à ce moment là, ne
supposait pas des équipements de l’ampleur que nous connaissons
aujourd’hui. Finalement la ville ne candidata pas et Séoul obtint
les jeux d’été de 1988. Entre 1981 et 1993, Stratford reste
relativement à l’écart des opérations d’aménagement de
Londres. Les transformations économiques, sociales et politiques
suscités par l’équipement des Docklands, à quelques kilomètres
plus au sud, ne se diffusent pas dans sa direction.
Stratford
connaît alors une trajectoire économique déclinante comparée à
celle du reste de la métropole. Le péricentre de Londres et les
Docklands redeviennent les points de focalisation de la croissance
économique et démographique entre 1993 et 2008. L’expansion des
services aux entreprises et de la finance y redynamise les marchés
du travail et de l’immobilier. La pression est forte sur le centre
et c’est à partir de ce moment là que le péricentre accueille de
nouvelles populations, de nouveaux équipements. La gentrification
s’accélère ensuite plus à l’est, atteignant Whitechapel,
Limehouse et Bow, sans jamais véritablement franchir la rivière
Lea, en direction de Stratford. Il faut attendre alors les années
1990 pour que des initiatives émergent. Le débat sur la phase 2 de
la ligne à grande vitesse (LGV) entre le continent et Londres
(1992-1995) va en effet inciter les acteurs économiques et
politiques locaux à se mobiliser pour tenter de convaincre l’État
de la pertinence d’une gare internationale à Stratford.
Le
lobbying du Stratford Promoter Group convainc le gouvernement
conservateur acquis aux vertus des partenariats publics-privés. Les
acteurs ont en effet montré qu’unis et coordonnés par une
municipalité de Newham convertie à la cause des promoteurs, ils
pouvaient maximiser l’impact territorial d’une gare sur la LGV.
Cette nouvelle gouvernance orientée vers la mise en compétitivité
du territoire a pu alors instrumentaliser conjointement
l’accessibilité et l’abondance de terrains pour imaginer une
dynamique dans laquelle le secteur privé serait l’aménageur.
C’est par anticipation des transformations associées à la LGV que
la gare de Stratford est reconstruite en 2000.
Du
hub stratégique ferroviaire au centre industriel résiduel
L’histoire
de Stratford est intimement liée à celles des chemins de fer de
l’Est londonien. Les ateliers de la compagnie Eastern Counties
(ECR) repris plus tard par Great Eastern Railways (GER) ont ouvert à
Stratford en 1839. Les premières infrastructures sont construites
sur ce qui était des marais entre les bras de la rivière Lea (carte
ci-contre). Le développement du chemin de fer s’y accélère dans
la deuxième partie du XIXe renforçant la position centrale de
Stratford à la croisée des lignes Londres-Cambridge et de celles
menant aux docks alors en pleine expansion. Ce nœud ferroviaire
devient un centre de maintenance et de dépôt du matériel et des
véhicules, puis un lieu de production de locomotives et de triage
des marchandises. Le système ferroviaire marque l’espace : dépôts
de plusieurs centaines de mètres de long, halles de réparation et
voies ferroviaires couvrent près d’une centaine d’hectares.
Parallèlement, l’urbanisation résidentielle se structure à
partir de l’axe qui relie Stratford à Londres. Autour du petit
faubourg, New Town est construite pour héberger les employés du
transport ferroviaire. L’urbanité de Stratford s’affirme encore
davantage par la construction de l’hôtel de ville (1869), du
marché (1879) et d’un théâtre (1884). Mais l’activité de
dépôt ferroviaire va diminuer au cours du XXe siècle de façon
concomitante au déclin du port de Londres et de l’empire
britannique.
Le
dépôt principal ferme en 1963, celui consacré aux véhicules
diesel cesse son activité en 1991. Ne subsiste alors jusqu’en 2007
que le centre de maintenance de la compagnie de fret ferroviaire EWS
et celui de Railtrack, l’entreprise nationale propriétaire des
infrastructures ferroviaires. Les dépôts de la ligne de métro
Jubilee Line, au sud, ainsi que celui de l’Eurostar, au nord, à
proximité du nouveau marché de Spitalfields, respectivement ouverts
en 1999 et en 2007, maintiennent une partie de l’activité. Le
stockage et le triage des marchandises résistent aussi jusque dans
la décennie 2000. Ces activités occupent des locaux plus modernes
dans la partie nord de l’espace abandonné par les anciennes gares
de triage. Le centre international de fret ferroviaire ouvert en 1967
assure le groupage et dégroupage des marchandises entre Londres et
le nord-est du pays ainsi que les acheminements postaux. Son maintien
est lié à son adaptation au transport de conteneurs et à la construction d’un centre de stockage
frigorifique à proximité .
Avec
la crise de 1929 puis les bombardements de la seconde guerre mondiale
qui ont marqué Stratford, ultérieurement avec l’accélération de
la désindustrialisation et la fermeture des docks de 1960 à 1981,
le chômage s'est installé, précarisant une proportion de plus en
plus importante de la population. La physionomie de la ville a changé
significativement lors de la période de reconstruction
d'après-guerre. Le cœur de Stratford (l’actuel Stratford Centre)
est alors l’objet d’un vaste programme moderniste qui vise à
offrir sous un même toit, bureaux, commerces et administrations. Ces
édifices terminés en 1974 sont séparés du reste de la ville par
des voies routières à grand gabarit (A118/A11) et par un giratoire
difficilement franchissable pour les piétons. En rationalisant les
circulations pour adapter la ville à l’automobile, l’espace
devient plus imperméable, les détours imposés aux piétons se
multiplient à travers passerelles et tunnels. Des cités de tours,
barres et petits immeubles collectifs sont construits sur d’anciennes
cités victoriennes bombardées tel que le Carpenters Estate (1968)
au sud-ouest de la gare régionale. La modernisation concerne aussi
la structuration des réseaux électriques. Des lignes à haute
tension acheminent l’électricité des centrales thermiques de
l’estuaire vers la métropole et les industries de la vallée de la
Lea. L’ouest de Stratford n’est alors pas jugé suffisamment
urbain pour que pylônes et lignes soient enterrés.
Les
cinquante dernières années marquent le glissement d’un Stratford
ferroviaire et stratégique à un espace à rayonnement local
industriel, commercial et administratif. Elles se caractérisent
aussi par une dégradation de l’environnement (contamination des
sols) et du paysage dont la lisibilité est devenue complexe.
Stratford devient ainsi paradoxalement très connectée au centre de
Londres mais s’en éloigne fonctionnellement, morphologiquement et
symboliquement. Pour autant, l’activité industrielle et logistique
représente toujours une part relativement importante des emplois
fournis localement. Ce caractère a été
volontairement occulté par la scénarisation du renouvellement
urbain. Et il faudra attendre la vague d’expropriation (2006-2007)
et en réponse la mobilisation des entreprises implantées dans les
parties ouest et sud du site olympique, pour que le véritable
portrait économique des lieux soit dressé : 209 entreprises
employant près de 5 000 personnes sont expropriées (Gamesmonitor).
Ce sont des artisans du bâtiment, des grossistes, des réparateurs
de voiture, des fabricants d’emballage, des imprimeurs… et même
un fumeur de saumon ! 996 emplois ont été délocalisés à
l’extérieur de Newham, l'arrondissement (borough) dont Stratford
fait partie, et des arrondissements limitrophes et 284 hors du Grand
Londres. Ces chiffres sont bien entendus sans commune mesure avec le
million de résidents expropriés lors de la préparation du site
olympique de Pékin, mais indiquent aussi que Stratford était loin
d’être une friche.
Une
population défavorisée
Par
les mêmes procédures d’expropriation (Compulsory Purchase Order),
ce sont 1 000 personnes qui ont dû quitter le site olympique. C’est
le cas des 450 résidents du Clays Lane Estate et des 500 gens du
voyage du campement situé au nord du site olympique. Le cas du Clays Lane Estate, quartier de logements en
coopérative destinés aux personnes vulnérables, (handicapés et
personnes en réinsertion), est emblématique. Menacés par le
transfert de la gestion du quartier à une grande association d’aide
au logement (Peabody Trust) en 2003, les résidents menacent de
poursuite le gouvernement et demandent que leur relogement soit
réalisé en groupe pour maintenir la cohésion sociale qui s’était
instaurée. Ils sont expropriés en 2007 et leur relogement ne sera
pas groupé car les municipalités de Newham, Tower Hamlets et
Waltham Forest ne disposaient pas d’un nombre suffisant de
logements sociaux disponibles.
Malgré
les expropriations, la population du district de Stratford était de
12 300 habitants en 2001 et de 15 500 selon les estimations de 2010.
Stratford appartient à l’arrondissement de Newham qui comptait
244 000 habitants en 2001. Newham est avec Hackney et Tower Hamlets,
tous trois à l’est, l’arrondissement dans lequel la précarité
est la plus élevée. L’indice synthétique de précarité est
devenu un instrument de mesure des inégalités socio-spatiales et de
leurs dynamiques [19]. Il range les unités de recensement selon leur
degré de précarité à l’échelle régionale ou nationale. C’est
souvent à l’aune de l’évolution de cet indicateur que les
incidences socio-spatiales des politiques urbaines sont jugées. À
l’échelle du Grand Londres, les concentrations les plus
importantes sont observées dans le péricentre de la ville (Inner
London), particulièrement à l’est. Stratford et plus généralement
Newham cumulent les handicaps par rapport aux quartiers aisés du
centre ou de la couronne extérieure (Outer London).
La
précarité sociale est particulièrement aiguë à Newham. Elle
concerne l’emploi, les revenus et le logement. Le chômage frappe
toujours, reflet d’un manque de qualifications des actifs locaux et
d’une inadéquation aux emplois créés ces 15 dernières années.
Un tiers d’entre eux est sans diplôme contre un quart dans le
Grand Londres. Une part plus importante de la population est sans
emploi, hors marché du travail. Partiellement corrélée à
l’emploi, la précarité liée aux revenus se concentre aussi plus
intensément à Newham où la majorité des enfants vivent dans des
ménages pauvres. La population est très
diverse, seuls 10% des enfants scolarisés ne sont pas issus d’une
minorité ethnique. Le turn-over de population est très élevé,
plus de 20% de la population ne résidait pas dans le district
l’année précédente.
Newham
est, comme les arrondissements voisins, un lieu d’installation
privilégié pour les immigrés. D’origine africaine, caribéenne,
indienne, pakistanaise, bangladeshi, la population de Newham s’est
encore plus diversifiée ces dix dernières années avec l’arrivée
de populations d’Europe centrale et orientale. Il s’agit de la
face pauvre de l’immigration dans la ville globale, les
ressortissants américains, français, australiens s’installant eux
prioritairement dans l’ouest de la capitale.
La
pression sur les marchés de la vente et de la location immobilières
a été, comme ailleurs dans Londres, si forte que les prix ont connu
une très forte augmentation depuis 2000 (+150%). Le logement social
se fait de plus en plus rare depuis le right-to-buy si bien que 36
000 ménages sont inscrits sur liste d’attente de logement.
Le
problème du logement est d’autant plus aigu que la proportion de
ménages de grande taille à Newham est supérieure à la moyenne
londonienne. Ils sont alors souvent contraints de louer des logements
de qualité médiocre ou trop petits. La dynamique de la population
laisse apparaître une croissance soutenue dès 2001, après une
longue phase de baisse, comme dans le reste du péricentre de
Londres. Entre 2005 et 2009, la vallée de la Lea, à l’ouest et au
sud de Stratford enregistre des gains supérieurs à la période
précédente. Le gain net de population est lié d’une part à la
relative jeunesse de la population et d’autre part à la livraison
de nombreux programmes immobiliers associés à des opérations
ponctuelles de renouvellement urbain dans Thames Gateway.
La
partie septentrionale de Newham où se trouve Stratford n’a pas
enregistré de vagues importantes de gentrification, même si les
dynamiques récentes indiquent un frémissement. Jusqu’au début
des années 2000, très peu de promoteurs se risquaient à proposer
des projets résidentiels compte tenu de l’image du district.
L’évolution relative des prix des logements est un des indicateurs
de la gentrification. Entre l’obtention des JO en 2005 et en 2009,
les prix des logements à Stratford ne se sont pas appréciés autant
qu’aux abords nord et est de la City. À proximité du centre
d’affaires, la gentrification s’est manifestée depuis la fin des
années 1990 à Hoxton et à Spitalfields. Elle se diffuse
aujourd’hui plus à l’est en direction de Canary Wharf et surtout
vers le nord, autour des opérations de renouvellement urbain à
Hackney. Stratford est (encore) en marge de ce processus du fait de
la distance physique, mais aussi symbolique qui la sépare de la
City. Plus à l’est et au sud, les prix ont même baissé, si bien
qu’on assiste finalement à une polarisation de la dynamique des
prix entre le centre et la périphérie de Londres. Mais au début de
la décennie 2000, quelques programmes immobiliers sont livrés à
proximité de la gare régionale de Stratford.
Le
renouvellement urbain, orchestré par les acteurs politiques pour les
acteurs économiques, se traduit par une nouvelle territorialisation
de Stratford. La prise de possession des lieux par le Grand Londres
et par l’État leur permet d’y déployer un programme
entrepreneurial pour faire de Stratford un pôle de redynamisation de
l’Est londonien. En offrant aux investisseurs, promoteurs et futurs
occupants, un nouvel environnement nettoyé, plus neutre, au risque
de la rupture avec l’ancien Stratford, mairie de Londres et État
entendent minimiser les risques financiers pris par les acteurs
privés et réduire leur propre exposition après les JO. Dans le
cadre d’un aménagement négocié, la minimisation des risques et
la maximisation de la rentabilité financière des opérations
immobilières incitent promoteurs et investisseurs à se tourner vers
des logements chers et des surfaces commerciales pour chaînes
internationales hors du centre ancien de Stratford. Le renouvellement
urbain engagé revient finalement à marquer le déplacement de la
centralité, de l’espace urbain fragilisé vers le pôle commercial
régional. Ainsi, au lieu d’une recomposition et d’un
renforcement de l’actuel centre historique de Stratford, les
opérations d’aménagement ont conduit au dédoublement de la
centralité par l’émergence d’un nouveau cœur au nord-ouest de
l’actuel centre-ville.
Un
pôle commercial pour l’est de la métropole
Sur
le terrain, le centre de gravité de Stratford est déplacé, d’une
part et de façon coordonnée, vers le nord-ouest, sur le site
olympique, et d’autre part et de façon plus spontanée, vers le
sud-ouest. Les fonctions de ce nouveau Stratford sont résolument
métropolitaines, au risque d’une marginalisation du centre-ville,
des quartiers résidentiels populaires et des zones d’activité
économique préexistantes (Carte ci-dessous). Un nouveau Stratford
résolument "métropolitain" est né du site olympique et
de Westfield Stratford City, le grand centre commercial ouvert en
septembre 2011.
L’incorporation
de Westfield, le nom de la firme australienne, dans la dénomination
officielle du nouveau quartier commerçant à l’entrée du site
olympique révèle la privatisation de l’espace et le poids laissé
au secteur privé pour construire physiquement et symboliquement le
nouveau Stratford (encadré infra). En position stratégique entre
les gares régionale et internationale, le centre commercial se place
au cœur du nouveau pôle métropolitain. Sa programmation est
antérieure à l’obtention des JO mais il fut ensuite incorporé au
projet olympique. Imaginé dès 1998, c’est en 2004 qu’un permis
de construire est déposé auprès de la municipalité de Newham. Il
s’agit de la plus importante autorisation jamais demandée dans le
Grand Londres depuis 1940 portant sur 73 ha, 465 000 m² de bureaux,
4 850 logements, 140 000 m² de surface commerciale et 2000 chambres
d’hôtel. Le consortium Chelsfield, Stanhope et London &
Continental Railways financent le projet et en espèrent une
livraison entre 2009 à 2016. Le consortium repose sur la
complémentarité : London & Continental Railways est
propriétaire des terrains ferroviaires, Chelsfield et Stanhope sont
des promoteurs spécialisés respectivement dans les centres
commerciaux et les bureaux. Le plan masse du site est confié au
cabinet international d’ingénierie ARUP, assisté par le cabinet
d’architectes Fletcher Priest. Si Newham donne le feu vert, c’est
avec la recommandation du Grand Londres et de l’Office for the
Deputy Prime Minister (aujourd’hui le Department for Communities
and Local Government [20]), qui voient avec ce projet la possibilité
d’ancrer enfin l’opération d’aménagement Thames Gateway.
En
2006, Chelsfield et Stanhope vendent le projet à Westfield, le plus
grand propriétaire et exploitant de centres commerciaux du monde. Un
nouveau permis de construire est alors déposé, suivi de plusieurs
amendements qui visent à réduire légèrement sa taille et à
remplacer la construction des 4 850 logements prévus par les 2 819
logements du village olympique. À l’inverse, la surface
commerciale est augmentée et les bureaux envisagés sont reportés
dans des phases ultérieures, à l’exception de l’immeuble
construit sur le centre commercial qui hébergera le comité
olympique britannique après les JO. Dans ces nouvelles phases de
négociation avec l’ODA et sans que Newham qui a été dessaisie
par la gouvernance temporaire des JO ne puisse véritablement peser
dans les négociations, des modifications sont apportées aux accès
du nouveau centre commercial, le Westfield Stratford City.
L’architecture est aussi simplifiée et les 5 000 places de
stationnement sont maintenues en surface sur plusieurs niveaux. Le
centre commercial comprend 175 000 m² de surface commerciale, ancré
par trois grands magasins (Waitrose, John Lewis et Marks and
Spencer), un cinéma multiplexe, deux hôtels totalisant près de 600
chambres. Le propriétaire et exploitant dégage un profit de 345
millions d’euros dès l’ouverture du centre commercial et se
sépare de 25% du centre qui est vendu au consortium constitué de
grands fonds de pension européen (APG) et canadien (CPPIB). Une
opération immobilière très lucrative pour Westfield. Le jour de
son ouverture, 200 000 personnes [21] ont fréquenté le centre
commercial, le premier signe d’une attraction qui dépasse
largement les environs immédiats de Stratford.
Westfield
Group (WDC) est un groupe australien, le plus grand gestionnaire de
centres commerciaux (shopping centres) au monde en termes de
capitalisation boursière. Il en contrôle 124 au total fin 2011,
principalement en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Royaume-Uni et
aux États-Unis en s'assurant de solides positions
sur les marchés locaux fondées sur la diversification économique
(loisirs, restauration, etc.) et géographique.
Le
dernier né des centres commerciaux (50% au groupe Westfield, 25% au
fonds hollandais APG et 25% pour le Bureau d’investissement du plan
de retraite du Canada), situé à Stratford, à proximité du site
des JO de 2012, a ouvert ses portes le 13 septembre 2011. Il apparaît
alors comme le plus grand complexe de ce genre en Europe. Environ 70%
des 10 millions de spectateurs attendus devraient passer par
Westfield Stratford City pour se rendre au Parc olympique durant les
Jeux.
C'est
un centre commercial et de divertissement de 180 000 m² environ qui
accueille des locataires de poids comme John Lewis, Marks &
Spencer et Waitrose. Il dispose d'un cinéma de 17 écrans, d'un
casino, de plus de 300 boutiques et de 50 restaurants, de 3 hôtels.
La direction du groupe veut en faire un centre commercial d’envergure
régionale et mondiale, à l'attrait touristique durable, même après
les JO.
Stratford
marginalisé
De
l’autre côté du faisceau ferroviaire, au sud-est, les commerçants
du Stratford Centre sont inquiets. Le centre commercial qui ancrait
l’attraction du vieux Stratford se trouve concurrencé par une
partie des commerces de Westfield Stratford City. Officiellement
annoncé comme complémentaire en proposant une gamme de commerces de
chaînes peu présente dans l’est de la capitale, le propriétaire
du nouveau méga centre commercial a dû modifier sa stratégie
commerciale face à la crise. Les autorités locales affaiblies face
à ce mastodonte n’ont pu peser lorsque Westfield a ainsi décidé
de dédier une partie de sa surface de vente à des commerçants
locaux et indépendants. L’attraction de l’ancien centre-ville de
Stratford reposait essentiellement sur son offre commerciale et ses
services administratifs. C’est donc une de ses fonctions
polarisantes qui est menacée.
Deux
aménagements sont de plus venus modifier le paysage. Le premier
résulte de l’amendement au permis de construire du centre
commercial qui autorise le promoteur à construire, en les finançant,
des cheminements pédestres directs, en souterrain, entre les quais
de la gare et le centre commercial. Les visiteurs qui arrivent pour
l’essentiel en transports collectifs sont donc conduits "plus
naturellement" vers Westfield Stratford City. Le deuxième est
la création d’un vaste mur de métal aux motifs floraux pour
cacher l’ancien centre commercial des années 1970 trop visible
depuis la gare et ses quais. Ces deux
aménagements contribuent à réduire le champ de visibilité sur le
centre-ville depuis les principaux cheminements, et simultanément, à
canaliser les flux vers Westfield Stratford City. Les néons et
enseignes publicitaires qui arborent le centre commercial permettent
enfin de hiérarchiser les éléments du paysage de nuit. Le
promoteur s’est ainsi assuré de placer la focale sur son complexe,
au détriment, même si cela n’est vraisemblablement pas
volontaire, du centre de Stratford.
Des
stratégies d’adaptation tardives face aux promoteurs
Ce
dédoublement de centralité intervient sans que l’ancien centre et
les périphéries plus à l’est puissent s’adapter. L’ODA et la
LTGDC, qui ont géré une multitude de permis de construire dans la
course à l’organisation de l’événement, n’ont pas
suffisamment pris en compte les implications locales de toutes ces
transformations. D’après nos estimations élaborées à partir des
35 permis de construire les plus importants autour du site olympique,
environ 300 000 m² de logements ont été livrés entre 2005 et
2011. Une dynamique de transformation qui n’a fait l’objet
d’aucune réelle coordination. Il faut en effet attendre le
printemps 2011 pour que la London Thames Gateway Corporation, élabore
des plans masses [22] couvrant ces zones. L’effort de planification
arrive bien tardivement et doit composer avec une dynamique de
renouvellement urbain spontanée le long de l’A11 .
La
stratégie spatiale de l’arrondissement de Newham révèle les
inquiétudes des activités et des associations de commerçants en
place. Lors de la phase de consultation, le
propriétaire du centre commercial Stratford Centre souhaite qu’une
complémentarité soit créée entre le nouveau et l’ancien
Stratford. Newham accède à cette demande mais faute de moyens
financiers les actions envisagées ne sont pas à la hauteur des
transformations de Stratford. D’une part, les collectivités
locales ont peu d’autonomie financière car les impôts locaux sont
centralisés dans les caisses de l’État et redistribués au
prorata de la population résidente. D’autre part, le système des
contributions financières obtenues auprès des promoteurs, qui
permet ailleurs dans Londres de financer services sociaux,
renouvellement du mobilier urbain et arrêts de transports en commun,
n’a permis de dégager que 6,9 millions d’euros pour la
collectivité alors que 42 millions étaient escomptés.
Ce
faible montant s’explique par les incessantes renégociations des
promoteurs, qui, avec la crise, ont cherché à accroître la
rentabilité de leurs programmes pour obtenir les prêts bancaires
nécessaires. Les banques, devenues réticentes, ont en effet durci
leurs critères de prêt pour minimiser leur exposition à des
investissements qu’elles jugent risqués. Peter Minoletti,
directeur de la LTGDC qui négocie au nom des municipalités les
contributions des promoteurs ne peut qu’admettre l’impuissance de
sa structure. Selon lui, la prise en charge par les promoteurs de la
décontamination des sols limite leur contribution à la
collectivité.
C’est
vers des prêts de l’État que la LTGDC se tourne pour financer ses
mesures d’accompagnement (36 millions d’euros en 2010/2011).
LTGDC n’a pas donc pas les moyens de financer des équipements et
se contente essentiellement de requalifier la High Street de
Stratford (A11), théâtre de l’essentiel de transformations hors
du site olympique.
Du
côté de la municipalité de Newham, les opérations sont encore
plus modestes. Le centre-ville n’est actuellement l’objet que
d’une campagne de marketing urbain en attendant une requalification
du centre-ville qui tarde à venir. Une nouvelle dénomination,
Stratford Central, annonce la piétonnisation du centre-ville et
l’amélioration de son accès par la remise à double sens du
giratoire qui l’encercle. Une
opération qui vise finalement à compenser les aménagements
associés à Stratford City. Le manque de concertation est ici
flagrant. D’un côté, le promoteur a obtenu de Newham, qui n’avait
certes pas le choix, d’améliorer l’accès et la visibilité de
son centre commercial. De l’autre, c’est cette même municipalité
qui doit ensuite financer les mesures qui doivent minimiser l’impact
de Westfield Stratford City sur le centre-ville de Stratford. Nous
sommes bien loin d’un urbanisme théoriquement négocié qui
reposerait sur la contribution du privé pour compenser et/ou
accompagner l’impact de ses réalisations.
D’un
point de vue fonctionnel, la municipalité de Newham souhaite
favoriser l’implantation d’un ou plusieurs hypermarchés, absents
de Stratford City, afin de promouvoir la complémentarité de l’offre
commerciale du centre-ville plutôt que de chercher à lutter contre
Westfield Stratford City. Une telle orientation passerait par une
restructuration complète de l’îlot moderniste (centre commercial,
tour de bureaux désertée, parking à étages et passerelles
multiples en un quartier urbain dense et perméable, ancré par un
hypermarché et constitué d’allées et d’îlots ouverts, reste
toutefois à trouver un investisseur et exploitant qui prenne le
risque. Un projet a été déposé en ce sens pour la construction
d’un complexe de tours résidentielles dessiné par Allies and
Morrison en 2009. Dans les négociations, la restructuration du
centre commercial est cruciale. Mais le climat économique et
financier n’incite pas le promoteur à modifier ses plans ; le
projet, du nom de Broadway Chambers, sera résidentiel comme tous les
autres. L’avenir de ce qui constituait le cœur de Stratford reste
donc incertain et pour le moment les indices convergent vers une
résidentialisation progressive, l’émergence d’un nouveau
quartier dortoir pour une population occupant des emplois situés à
l’extérieur de Stratford. L’espoir pourrait toutefois provenir
de l’investissement consenti par deux universités. L’University
of East London investit pour étendre son campus à l’intérieur du
centre-ville (8 300 m² de locaux sont en construction en 2011) et
University College London (UCL) est en discussion pour construire un
nouveau campus en lieu et place du Carpenters Estate.
Le
promoteur maître des transformations paysagères et sociales
Entre
2005 et 2011, de très nombreux projets résidentiels sont réalisés
sans coordination. C’est, une fois encore, hors du centre de
Stratford que les transformations ont été les plus spectaculaires.
L’axe de High Street, vers le sud-ouest en direction de l’autoroute
A12, est le théâtre d’une verticalisation : les tours
résidentielles s’y sont multipliées sans qu’équipements
collectifs et activités commerciales ne suivent.
Les
caractéristiques de ces nouveaux logements indiquent clairement que
les promoteurs ont avant tout souhaité répondre aux ménages
prospères et de petite taille sans répondre aux problèmes du
manque de logements sociaux dont Stratford souffre. À l’intérieur
du site olympique, seuls 25% des logements sont à caractère social. À l’extérieur, le long de High
Street (A11), sur un total de 2 500 logements livrés en 2010-2012,
seuls 18% ne seront ni vendus ni loués au prix du marché. C’est finalement proche de ce que la loi SRU exige des
municipalités françaises, mais, du fait des prix exhorbitants de
l’immobilier londonien et de la faiblesse relativement du volume de
construction de logements, c’est très insuffisant. Nous sommes
loin en effet des objectifs fixés par la directive du logement
contenue dans le plan stratégique du Grand Londres.
Cette politique stipule que 50% des logements construits doivent être
"abordables" : 70% de ces logements doivent être des
logements sociaux (loyer bas ou plafonnés à 80% du prix du marché)
et 30% des logements "intermédiaires", dont la propriété
partagée.
Mais
l’urbanisme anglais est souple et le London Plan ne
déroge pas à la règle en permettant aux promoteurs de négocier
lorsqu’ils ne peuvent respecter certaines conditions stipulées
[24]. Une analyse du projet de Broadway Chambers à l’extrémité
nord de High Street révèle que certains projets déposés sont
approuvés sans qu’ils soient conformes à la politique du logement
du London Plan. Seuls 10% des logements proposés sont "abordables".
C’est non seulement très inférieur à ce qui est souhaité, mais
moins encore que ce que le promoteur annonçait lors du premier dépôt
de la demande de permis de construire. La LTGDC et le Grand Londres
regrettent le faible nombre de logements "abordables" mais
accordent tout de même le permis de construire. Le surcoût généré
par le choix de deux tours en période de crise et le soin apporté à
leur dessin architectural compensent, selon eux, le manque de
logements "abordables" [25]. Broadway Chambers est
emblématique des projets déposés depuis 2004/2005. Il révèle
d’abord le déséquilibre des pouvoirs dans l’urbanisme anglais.
Il est en effet devenu dépendant du secteur privé pour la
réalisation du renouvellement urbain mais aussi, de plus en plus,
pour sa planification.
La
planification se déroule en effet dans un environnement très souple
pour les promoteurs, les différents critères à l’aune desquels
on évalue les projets privés se compensent, si bien que finalement,
ce sont les promoteurs qui maîtrise le territoire. Il révèle alors
comment l’agenda des promoteurs, soucieux de dégager le plus grand
profit des sites qu’ils ont parfois dû décontaminer, s’impose
aux pouvoirs publics qui ne peuvent plus que discourir de façon
elliptique sur le renouvellement urbain. Le projet annonce enfin une
redéfinition de la hiérarchisation des critères d’évaluation
des projets privés. En l’absence de grands projets publics
susceptibles de marquer leur territoire, les pouvoirs publics se
replient sur l’instrumentalisation de l’architecture des
nouvelles constructions au risque de ne pas répondre aux aspirations
de la population locale. À l’ère de l’image et du marketing
urbain, c’est donc la transformation de la physionomie des lieux
qui prime sur leur contenu.
CONCLUSION
La
"course de vitesse" engagée dans la perspective des JO
2012, qu’elle se soit manifestée dans la rapidité des procédures
d’urbanisme, des expropriations et des constructions mais aussi
dans la peur générée par les discours sur les 'éléphants blancs'
et l’incapacité du système "traditionnel" à livrer en
temps et en heure de grandes opérations d’aménagement, place
l’élaboration et la réalisation des projets dans un état
d’urgence. Un état qui facilite le recentrage du portage du projet
ainsi que sa livraison sur un petit nombre d’acteurs : le Grand
Londres et les promoteurs. Les JO se feront donc à Stratford, mais
c’est un Stratford réinventé qui sera présenté au monde pendant
l’été 2012 et qui s’imposera aux populations locales au cours
de la prochaine décennie. Une réinvention territoriale finalement
symptomatique de l’urbanisme londonien mais qui se singularise
toutefois par la vitesse des transformations associées à
l’organisation d’un événement devenu enjeu économique.
Manuel Appert
Université de Lyon 2
Extraits : le texte original avec photos et cartes :
Extraits : le texte original avec photos et cartes :
Géoconfluences | janvier 2012
Des Jeux, pour QUI ?
Les journalistes anglais les plus critiques dénoncent parmi les points les plus controversés de l'organisation des JO, les prochaines difficultés concernant la probable saturation des axes de circulation et des transports publics, et l'élitisme autoritaire du CIO, privilégiant les classes
supérieures internationales, qui formeront la plus grande part des spectateurs. Philip Stephens, journaliste au très sérieux Financial Times, assure ainsi que :
" Les voitures seront interdites pour tous, hormis les privilégiés, et la municipalité de Londres reconnaît que les transports publics vont avoir du mal à répondre aux besoins des spectateurs des JO et surtout des usagers quotidiens. Les transports ne fonctionneront que si les Londoniens cessent de se rendre à leur travail. Ceux qui ne pourront pas prendre de congés à ce moment-là sont invités à travailler depuis chez eux. Même dans ces conditions, les déplacements s'effectueront à une allure d'escargot. Le temps de voyage depuis le centre-ville jusqu'au stade olympique devrait être de trente-cinq minutes en métro. Les autorités affirment qu'une fois les mesures de contrôle des foules et de sécurité en place, il faudra compter plus de deux heures.
Tout cela n'a qu'un seul but : faciliter la vie à cette élite privilégiée qu'on appelle la "famille olympique". Je ne parle pas des sportifs. On conçoit parfaitement que les coureurs, les cavaliers et les rameurs soient choyés. Non, la "famille" comprend les 40 000 – vous avez bien lu : 40.000 – gros bonnets des JO, bureaucrates nationaux, partenaires, parasites et autres politiques qui s'apprêtent à occuper les meilleures places de tous les meilleurs évènements. Ces oligarques du sport ont déjà accaparé la moitié des chambres d'hôtel à peu près décentes de la capitale. Ils vont filer depuis leurs hébergements olympiques sur les 160 kilomètres de voies Zil [du nom des voitures des officiels], réservées sur un réseau routier congestionné. 4.000 chauffeurs assureront le transport de 40.000 officiels, bureaucrates, politiciens et personnalités. Ils seront en mesure d'utiliser un système de voies spécialement construites pour l'évènement dans les rues de Londres. Les touristes les plus riches pourront aussi emprunter ces voies s’ils acceptent de s’acquitter de 20.000 livres (environ 24.000 euros) pour s’offrir le pass VIP. Plus de 1 million de familles ordinaires n'ont pu obtenir une seule entrée, même pour les épreuves d'ouverture des sports olympiques les plus obscurs. Ceux qui ont la chance d'avoir obtenu des tickets lors du tirage public risquent fort de voir les infrastructures londoniennes, déjà sursaturées, craquer sous le poids des visiteurs. Mais les 40 000 privilégiés n'échapperont pas entièrement aux désagréments qu'ont à subir tous les autres. La plupart d'entre eux vont arriver via Heathrow, ce sinistre ensemble de hangars surpeuplés qui passe pour le principal aéroport de Londres. Ils y feront l'expérience de la congestion, des queues et des retards dont Heathrow s'est fait une spécialité. Lors de ma dernière visite, le passage aux services d'immigration et à la livraison des bagages a pris deux heures. "
" Les voitures seront interdites pour tous, hormis les privilégiés, et la municipalité de Londres reconnaît que les transports publics vont avoir du mal à répondre aux besoins des spectateurs des JO et surtout des usagers quotidiens. Les transports ne fonctionneront que si les Londoniens cessent de se rendre à leur travail. Ceux qui ne pourront pas prendre de congés à ce moment-là sont invités à travailler depuis chez eux. Même dans ces conditions, les déplacements s'effectueront à une allure d'escargot. Le temps de voyage depuis le centre-ville jusqu'au stade olympique devrait être de trente-cinq minutes en métro. Les autorités affirment qu'une fois les mesures de contrôle des foules et de sécurité en place, il faudra compter plus de deux heures.
Tout cela n'a qu'un seul but : faciliter la vie à cette élite privilégiée qu'on appelle la "famille olympique". Je ne parle pas des sportifs. On conçoit parfaitement que les coureurs, les cavaliers et les rameurs soient choyés. Non, la "famille" comprend les 40 000 – vous avez bien lu : 40.000 – gros bonnets des JO, bureaucrates nationaux, partenaires, parasites et autres politiques qui s'apprêtent à occuper les meilleures places de tous les meilleurs évènements. Ces oligarques du sport ont déjà accaparé la moitié des chambres d'hôtel à peu près décentes de la capitale. Ils vont filer depuis leurs hébergements olympiques sur les 160 kilomètres de voies Zil [du nom des voitures des officiels], réservées sur un réseau routier congestionné. 4.000 chauffeurs assureront le transport de 40.000 officiels, bureaucrates, politiciens et personnalités. Ils seront en mesure d'utiliser un système de voies spécialement construites pour l'évènement dans les rues de Londres. Les touristes les plus riches pourront aussi emprunter ces voies s’ils acceptent de s’acquitter de 20.000 livres (environ 24.000 euros) pour s’offrir le pass VIP. Plus de 1 million de familles ordinaires n'ont pu obtenir une seule entrée, même pour les épreuves d'ouverture des sports olympiques les plus obscurs. Ceux qui ont la chance d'avoir obtenu des tickets lors du tirage public risquent fort de voir les infrastructures londoniennes, déjà sursaturées, craquer sous le poids des visiteurs. Mais les 40 000 privilégiés n'échapperont pas entièrement aux désagréments qu'ont à subir tous les autres. La plupart d'entre eux vont arriver via Heathrow, ce sinistre ensemble de hangars surpeuplés qui passe pour le principal aéroport de Londres. Ils y feront l'expérience de la congestion, des queues et des retards dont Heathrow s'est fait une spécialité. Lors de ma dernière visite, le passage aux services d'immigration et à la livraison des bagages a pris deux heures. "
Philip Stephens | Financial Times
15.11.2011
_______________________________________________________
Notes
[1]
Manuel Appert, maître de conférences, Université de Lyon (Lyon 2),
UMR 5600 "Environnement, Ville, Société" (EVS),
http://ghhat.univ-lyon2.fr/spip.php?article379
/ Manuel.appert@univ-lyon2.fr
[2]
Les sites olympiques : www.london2012.com/venues
[3]
9,3 milliards de livres et un taux de change à 1,15 euros pour une
livre en septembre 2011.
[4]
Transport for London est l'organisme public local responsable des
transports en commun de la ville de Londres (Greater London
Authority).
[5]
La LDA était l’agence régionale de promotion économique de
Londres. Dans le cadre de la réforme de l’abolition des agences
régionales, elle ferme en 2012.
[6]
La Greater London Authority (GLA) ou Grand Londres est l’autorité
responsable de la ville de Londres. Elle est créée à la suite d’un
référendum en 2000 et se compose d’une assemblée et d’un
maire. Depuis sa création, de nombreuses compétences et moyens lui
ont été transférés. Le territoire de la GLA couvre un peu moins
de 1 600 km² pour 7,6 millions d’habitants en 2009. Il est composé
de 32 arrondissements ou boroughs auxquels s’ajoute la City.
[7]
La London Thames Gateway Development Corporation est un organisme
public financé partiellement par le ministère de l’aménagement
(Department for Communities and Local Government, DCLG). Ses membres,
nommés par le ministère, ont pour mission de planifier la partie
londonienne de Thames Gateway (opération de renouvellement urbain de
l’estuaire de la Tamise) et gérer les permis de construire autour
du site olympique et plus généralement dans la vallée de la Lea,
les Royal Docks et Beckton.
[8]
Docklands Light Railway, métro automatique léger construit à
partir de 1987 pour désenclaver les docklands en reconversion.
[9]
London Overground est une société d’exploitation des services
ferroviaires du Nord et de l’Est de Londres. Elle exploite
l’ancienne North London Railway et la East London Line. Transport
for London reste responsable de la tarification, du matériel roulant
et des niveaux de services.
[11]
Pour suivre l’état des travaux :
www.london2012.com/latest-progress
[12]
Olympic Delivery Authority > Planning Decisions Team,
www.london2012.com/planning
[13]
Le stade de Wembley a été livré, en 2007, 17 ans après son
dessin, deux fois plus cher, sans la piste d’athlétisme prévue à
l’origine, ni suffisamment de places de stationnement et un gazon
de qualité médiocre. Quant au Dôme du Millénaire (1999), l’un
des grands projets culturels de l’ère Blair, il a été très
rapidement considéré comme un 'éléphant blanc', un investissement
public prestigieux qui s’est avéré plus coûteux que bénéfique
et dont l’entretien est resté un fardeau financier pendant sept
ans. Il est aujourd’hui exploité par une enterprise privée qui
l’a transformé en centre de loisirs doté d’une salle de concert
de 20 000 places très profitable.
[15]
"Olympic Village snapped up by Qatari ruling family for £557m",
Julia Kollewe, guardian.co.uk, 12 août 2011,
www.guardian.co.uk/sport/2011/aug/12/olympic-village-qatari-ruling-family
[16]
Marché International des Professionnels de l’immobilier qui se
tient chaque année à Cannes.
[17]
Selon les auteurs, les opérations de renouvellement urbain soutenues
par l’État et le Grand Londres sont de nature à favoriser la
gentrification et le déplacement des populations en place. La
recolonisation de Londres par les classes moyennes et supérieures
depuis les années 1990 serait permise par la construction de
complexes résidentiels de standing par les promoteurs. Ils seraient
alors soutenus politiquement par toute la législation mise en place
pour favoriser la mixité, la densité et plus généralement la
durabilité (environnementale).
[18]
Olympic Park Legacy Company > Investment Opportunities,
[19]
Des explications sur cet indice de précarité à propos du cas de la
Campanie italienne,
[20]
L’Office for the Deputy Prime Minister, remplacé en 2006 par le
Department for Communities and Local Government, est le ministère en
charge de l’aménagement et des gouvernements locaux.
[21]
"Stratford City: Open for business", Laura Chesters, The
Independant, 18 Septembre 2011,
[22]
Les plans masses sont un ensemble des documents d’urbanisme,
richement illustrés, qui coordonnent et harmonisent en amont les
plans individuels de construction d’un espace à aménager. Ils
peuvent être élaborés par les municipalités et/ou les promoteurs
privés.
[23]
La propriété partagée ou shared ownership, consiste à acheter
auprès d’un promoteur une part d’un logement (entre 25 et 50%)
en échange d’un loyer faible sur une durée fixée dans le
contrat. Seuls les ménages aux revenus suffisants sont éligibles.
Ex : pour un deux pièces de 400 000 euros, un ménage doit emprunter
100 000 euros pour acheter 25%, payer un loyer de 500 euros (+ la
totalité des charges de copropriété) et disposer d’un revenu
minimum de 45 000 euros/an.
[24]
Extrait de la politique du logement du London Plan, Policy 3A.10 :
“Boroughs
should seek the maximum reasonable amount of affordable housing when
negotiation on individual private residential and mixed-use schemes,
having regard to their affordable housing targets adopted in line
with Policy 3A.9, the need to encourage rather than restrain
residential development and the individual circumstances of the site.
Targets should be applied flexibly, taking account of individual site
costs, the availability of public subsidy and other scheme
requirements.”
[25]
Extrait de l’évaluation par la LTGDC du permis de construire de
Broadway Chambers :
“The
high rise nature of the scheme, and quality of external design and
finishes required provide a high level of cost at a time when
revenues from the sale of completed private units have diminished
significantly.”
Webographie
-
L’Olympic Park Legacy Company, www.legacycompany.co.uk
-
La London Thames Gateway Development Corporation, http://ltgdc.org.uk
-
La mairie de Londres (GLA), www.london.gov.uk
-
La municipalité de Newham, ww1.newham.gov.uk/Pages/default.aspx
-
Une veille critique de la planification des JO 2012 par des
chercheurs et des activistes mobilisés. Ils obtiennent et mettent en
ligne des informations fournies par les pouvoirs publics dans le
cadre de la loi sur la liberté d’information (Freedom of
Information Act), www.gamesmonitor.org.uk
-
L’actualité de la manifestation sportive,
-
London Olympics 2012, une sélection de photos du site olympique sur
Flickr, clichés de Manuel Appert,
-
Des photos du Clays Lane Estate,
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