« La dernière chose que nous voulons, c’est une situation comme à Paris, où les plus démunis sont relégués dans les “banlieues” . Ça n’arrivera pas à Londres. Je résisterai avec force à toute tentative de recréer une ville où riches et pauvres ne peuvent pas vivre ensemble. »
Humour anglais du maire de Londres, Boris Johnson | 2012
Le Royaume-Uni, en crise économique depuis 2008, se place aujourd'hui dans le camp des pays européens en difficulté ; la "Broken Society" est marquée par la recrudescence des situations de précarité (precariousness), d'installation durable d’un nombre de plus en plus important de salariés dans la pauvreté
laborieuse (Working
Poverty),
par le chômage de longue durée et d’emploi
faiblement rémunéré (low-pay,
no pay cycling). On estime que le taux de pauvreté récurrente s’élève
à environ 5 à 7 % de la population totale. Dans un rapport de 2009, la
Fabian Society pointait que le niveau de pauvreté était « digne
de celui de l’ère victorienne » ; la Fondation
Joseph Rowntree constatait dans son rapport annuel, qu’en 2010,
« la pauvreté laborieuse a atteint un taux record et il n’est
plus possible de fonder une politique de lutte contre la pauvreté
digne de ce nom sur l’idée que le travail à lui seul permet de
sortir les individus de cette situation ».
A ces difficultés qui aujourd'hui touchent un nombre croissant d'Anglais, s'ajoute à Londres, une crise exceptionnelle du logement, résultat d'une politique de réformer l’État-providence, dont la gestion était considérée comme inefficace, corporatiste. Une politique initiée par Margareth Tatcher, puis reconduite par les gouvernements successifs qu'ils soient Conservateur, ou Travailliste. Nous présentons ici quelques articles vous permettant d'apprécier la Londres 2012 olympisée.
Le
logement social
en Angleterre :
trente
ans de déclin
David
FÉE
Le
logement social en Angleterre : trente ans de déclin
CNAF | Informations sociales | 2010
Le
logement illustre mieux que n’importe quelle autre politique
sociale (1) la transformation de la société britannique au
cours des XXe et XXIe siècles. Alors que l’écrasante majorité
des Britanniques (90 %) était locataire dans le secteur privé avant
la Première Guerre mondiale, près d’un siècle plus tard, une
très large majorité (70 %) était devenue propriétaire et une
proportion non négligeable (20 %) désormais locataire dans le
secteur social. Le logement social, dernier-né des secteurs
immobiliers, a connu des bouleversements si profonds depuis 1979 que
certains y ont vu le signe de sa disparition prochaine. En effet,
alors qu’à son apogée en 1981 le parc immobilier social logeait
5,5 millions de foyers, soit 31,7 % des foyers anglais, en 2008 ces
chiffres étaient tombés à 3,8 millions de foyers et 17,7 %
(Communities and Local Government (CLG), 2009). Ce
déclin s’est accompagné d’une révolution au sein même du
secteur social et d’un renversement du rapport de force entre
bailleurs associatifs et publics. Récemment, la passation de pouvoir
en 2007 entre Tony Blair et Gordon Brown s’est traduite par des
mesures qui semblent indiquer un renouveau. Cet article vise non
seulement à expliquer les causes de ces évolutions et à en montrer
l’ampleur en Angleterre (2), mais encore à situer le
logement parmi les politiques sociales assumées par l’État.
Le
secteur du logement social en Angleterre a connu de profonds
changements au cours des trois dernières décennies. Le retrait de
l’État et le transfert de la majeure partie du parc social des
collectivités locales vers les associations se sont soldés par une
baisse spectaculaire des constructions, une pénurie de logements
sociaux et une surreprésentation des ménages défavorisés parmi
les locataires.
Naissance
et maturation d’une politique sociale : 1945-1979
Le
logement est devenu la responsabilité de l’État en Angleterre en
1919, soit un demi-siècle après l’éducation primaire (Foster
Act de 1870) et une dizaine d’années après les lois de 1908
et 1911 qui ont posé les bases des allocations nationales de
retraite et de l’assurance chômage. Auparavant, la loi de 1890
(Housing of the Working Classes) avait autorisé les
collectivités locales à bâtir non plus dans une optique sanitaire
afin de remplacer les logements insalubres détruits, comme les lois
de 1868 et 1875 les y autorisaient, mais afin d’accroître leur
parc pour loger les classes ouvrières. En 1919, la loi sur le
logement et l’urbanisme (Housing and Town Planning Act) a en
effet défini la relation entre l’État et les collectivités
locales qui devait assurer le logement de millions de Britanniques
pendant plus de soixante ans. Les collectivités locales recevaient
la responsabilité d’assurer un logement (restreint dans la loi aux
classes ouvrières), ce qui impliquait d’évaluer les besoins dans
leurs limites administratives et de soumettre un programme de
construction au ministère du Logement. Ce programme était réalisé
grâce au versement par l’État d’une subvention dont le montant
fut appelé à varier selon les époques et les gouvernements. Ce
modèle d’organisation s’est substitué aux modèles antérieurs
à visée sociale, caractérisés par la construction de logements
par des philanthropes à compter des années 1840, ou par la
construction de logements ouvriers par les municipalités en
recourant aux seuls impôts locaux, comme la partie III de la loi de
1890 les y autorisait. En 1945, 12 % des foyers britanniques étaient
logés dans le secteur public (Malpass and Murie, 1999), auxquels il
faut ajouter un très faible pourcentage de foyers logés par le
secteur associatif (probablement 1 %, seule estimation possible en
l’absence de statistiques sur ce secteur avant la fin des années
1940).
Contrairement
à d’autres services, la Seconde Guerre mondiale n’a pas
bouleversé l’organisation du logement social, pas plus qu’elle
n’a conduit à l’établissement d’un véritable service public
de logement sur le modèle de celui de l’éducation ou de la santé.
Le modèle de protection sociale sociodémocratique qui a présidé à
la création d’un État-providence en Grande-Bretagne et qui pose,
comme condition d’une véritable citoyenneté, l’accès à
certains droits sociaux, n’est jamais vraiment allé jusqu’à
inclure pleinement le logement parmi ces derniers. Pourtant, le
principe d’un logement de droit fut posé par la loi sur le
logement de 1949 (Housing Act), qui donnait la possibilité à
tout citoyen britannique de s’inscrire sur une liste d’attente et
de résider à vie dans un logement HLM une fois celui-ci obtenu.
Contrairement aux autres services publics créés ou réorganisés
après-guerre pour donner naissance à ce qu’il est convenu
d’appeler l’État-providence britannique,
l’accès au logement est en effet resté sous la domination
du marché. En dépit d’un volume de construction soutenu dans le
secteur social jusqu’aux années 1970, qui a atteint 173 000
logements en 1973, le logement n’a jamais totalement acquis les
caractéristiques d’un service public universel comme en témoignent
les chiffres. En 1981, 32 % des foyers anglais étaient logés dans
le secteur locatif social et 11 % dans le secteur locatif privé mais
57 % étaient propriétaires (Shelter, 2009, p. 3).
Retrait
de l’État
Le
logement social a été marqué entre 1979 et 1997 par le retrait de
l’État du financement et aussi de la gestion du secteur. Ce
désengagement s’inscrit dans une volonté plus large de réformer
l’État-providence, dont la gestion était considérée comme
inefficace et corporatiste. Les dépenses publiques étaient, quant à
elles, jugées non seulement dommageables car improductives, mais
encore socialement dangereuses car créant une dépendance vis-à-vis
de l’État. Les services publics étaient particulièrement
critiqués pour l’augmentation croissante du niveau d’imposition
qu’ils nécessitaient et le manque de liberté qu’ils laissaient
aux consommateurs. Au sein du logement social, le secteur public fut
la cible privilégiée des attaques des conservateurs qui lui
reprochaient de contrevenir à trois principes : monétaire (car trop
coûteux), idéologique (car symbolisant la dépendance vis-à-vis de
l’État) et politique (car géré par les collectivités
territoriales).
Une
politique de restriction budgétaire sous les conservateurs
Le
logement social a ainsi payé un lourd tribut à la politique
d’économie budgétaire entamée dès 1977 par les travaillistes,
mais décuplée après 1979 avec l’arrivée au pouvoir des
conservateurs. Alors que, entre 1979 et 1997, tous les services
publics connaissaient une hausse ou une stagnation de leur
financement, le budget du logement public a été amputé de 76 %
dans le même temps, provoquant un effondrement spectaculaire du
nombre de logements publics bâtis. Le volume des nouvelles
constructions est passé de 198 210 en 1953, une année record pour
le secteur public en Angleterre, à 74 840 en 1980 puis 290 en 1997. Quant au secteur associatif, la loi sur le logement de
1988 (Housing Act) a profondément changé son statut et donc
son régime financier, l’obligeant à se tourner vers les
établissements bancaires privés.
En
outre, les conservateurs ont incité puis contraint les collectivités
locales à se désengager du parc public. Ils ont entamé tout
d’abord une politique de privatisation de ce parc en accordant aux
locataires du secteur public le droit de se porter acquéreurs de
leur logement (Right to Buy) par le biais de trois lois en
1980, 1984 et 1986 qui ont conduit à la vente de quelque 1 285 600
HLM entre 1979 et 1997. Un pas a été franchi en 1988 avec le
Housing Act qui permettait aux collectivités de transférer
l’ensemble de leur parc au secteur associatif si elles le
souhaitaient (Large Scale Voluntary Transfer). Dans un second
temps, les conservateurs les ont contraintes à se cantonner à la
gestion de leur parc. La loi de 1988 leur a retiré le droit
discrétionnaire de bâtir qu’elles possédaient depuis 1890. Le
législateur établissait en effet une distinction entre fournisseurs
(providers), à savoir le secteur associatif, et facilitateurs
(enablers), les collectivités locales, à qui on demandait de
se concentrer sur la gestion de leur parc et l’évaluation des
besoins locaux en logement.
Une
inflexion non remise en cause par les travaillistes
Les
travaillistes au pouvoir depuis 1997 ne se sont guère écartés de
ces axes. Ils ont même accéléré le programme de transfert dans le
Livre blanc de 2000, qui fixe à 200 000 par an le nombre de
logements dont les collectivités locales doivent se défaire. Cette décision est motivée officiellement par l’objectif
que s’est fixé le gouvernement en 2000 de rénover tous les
logements sociaux avant 2010 et, officieusement, par le peu de
confiance que le premier gouvernement de Tony Blair plaçait dans les
collectivités locales. Celles-ci ont donc été sommées de rénover
leur parc avant cette date et de procéder à un audit de son état
avant 2005. Elles ont été placées par le gouvernement devant un
dilemme : elles peuvent décider de procéder à cette rénovation
seules, si elles possèdent les ressources financières ; sinon,
elles doivent se défaire de leur parc afin de bénéficier d’un
financement gouvernemental. La majorité d’entre elles étant dans
l’impossibilité financière d’agir seules, elles ont été
contraintes de choisir entre les trois possibilités offertes par le
gouvernement pour accéder à de nouveaux fonds : vendre leur parc au
secteur associatif ; confier à un nouveau type d’organisme (Arm’s
Length Management Organisation) (3) la gestion quotidienne
de leur parc, tout en en gardant la propriété ; établir un
partenariat public-privé qui prend la forme d’un contrat de trente
ans avec un bailleur de fonds privé chargé de la rénovation,
gestion et entretien du parc dont la collectivité garde la
propriété. Cette politique s’est traduite par le transfert de 674
000 logements supplémentaires vers le secteur associatif entre 1997
et 2007 en Angleterre.
Le
désengagement de l’État a eu trois conséquences qu’il importe
d’étudier : la chute de la production et, en corollaire, la
difficulté croissante des Anglais à se loger ; la montée en
puissance du secteur associatif ; la concentration des ménages
défavorisés dans le secteur social.
Une
pénurie croissante
L’Angleterre,
davantage que les autres parties du Royaume-Uni, se trouve confrontée
depuis le milieu des années 1990 à une croissance démographique
rapide alimentée par l’immigration et à une réduction
constante de la taille des foyers. Or, l’industrie du bâtiment n’a
pas su ou pas voulu répondre à ces nouveaux besoins. Le volume
total de la construction n’a cessé de baisser depuis les années
1970 ; il est passé de 352 000 logements bâtis en 1968 en
Angleterre à 142 400 en 2008. Ce déséquilibre entre offre et
demande explique en partie la dégradation du rapport entre prix
immobiliers et revenus depuis 1997 : ainsi, la proportion des foyers
dans le locatif privé pouvant se permettre de devenir acquéreurs de
leur premier logement a chuté de 48 % à 21 % entre 1997 et 2007.
Or,
dans le même temps, comme il a été vu précédemment, le secteur
social a été amputé de 1 760 000 HLM qui ont été vendues à leur
locataire entre 1980 et 2009. Mais surtout, les contrôles
budgétaires imposés aux collectivités locales depuis la fin des
années 1970 et l’interdiction de bâtir depuis 1988 ont conduit à
un déclin spectaculaire et constant de la construction dans le
secteur social en Angleterre. D’un pic de 207 000 logements sociaux
(publics et associatifs) en 1954, on est ainsi passé à 30 000 en
1986, puis 13 000 en 2002 / 2003, avant d’observer une légère
remontée à 26 000 en 2008. Des progrès ont cependant été
réalisés car le nombre de logements bâtis a augmenté de 30 %
entre 2002 et 2007. Néanmoins, il demeure bien inférieur aux 35 000
nouveaux logements sociaux requis chaque année afin de résorber la
pénurie et de loger les nouveaux foyers qui ont besoin d’un
logement abordable (4) (Affordable Housing) (5)
selon les calculs de l’économiste Kate Barker dans son rapport
pour le gouvernement.
En
conséquence, les listes des demandeurs d’un logement HLM n’ont
cessé de s’allonger et sont passées de 1 million en 1997 à 1,6
million en 2007. Le taux de rotation a chuté de 65 % entre 1998 et
2006 pour atteindre 276 000 nouvelles locations en 2006. Le nombre de
foyers relogés temporairement par les collectivités est en baisse
cependant, après une remontée de 1997 à 2003, et s’élevait à
63 170 en 2007 / 2008 ; autre conséquence du manque de logements
sociaux, 526 000 foyers se trouvaient en situation de surpopulation
en Angleterre.
L’expansion
du secteur associatif
Au
nombre des bouleversements connus par le secteur social du logement
au XXe siècle figure l’ascension du secteur associatif (Voluntary
Sector) qui, d’une position minoritaire avant les années 1980,
est passé à une position dominante depuis le milieu des années
2000. Il a fourni la très grande majorité des nouveaux logements
sociaux construits en Angleterre depuis 1988 grâce aux subventions
octroyées par l’ancienne Housing Corporation (6).
Bien qu’héritières d’une longue tradition, puisqu’elles sont
apparues au Moyen Âge, les associations pour le logement ne
logeaient que 375 000 Anglais en 1979, principalement parmi les
catégories les plus vulnérables de la population. L’image et la
place du secteur associatif ont été profondément transformées
depuis la fin des années 1980. Largement minoritaire en 1979 au sein
du secteur social, le secteur associatif a ravi la première place au
secteur public depuis le milieu des années 2000. Le parc associatif
représente désormais une majorité du parc social national, soit 55
% , ce qui représentait un peu plus de deux millions de logements en
2006.
Pourquoi
? En premier lieu parce que la loi de 1988 a retiré aux
collectivités locales le droit de bâtir, comme il a été vu
précédemment. En second lieu, parce que près de 2 millions de
logements ont été vendus par les collectivités locales à leurs
propriétaires, alors que les ventes de logements aux locataires du
secteur associatif n’ont été que de 83 000 depuis 1996. Enfin,
parce que la politique engagée en 1988 et renforcée à partir de
1997 a conduit au transfert de plus de 970 000 HLM en Angleterre,
opéré par plus de 150 autorités locales.
Résidualisation
Le
terme residualisation est utilisé par les chercheurs
britanniques pour rendre compte d’un double phénomène : d’une
part, le déclin du secteur locatif public en proportion du parc
national ; d’autre part, l’évolution du profil socio-économique
des locataires dans le sens d’une paupérisation. Ce processus de
résidualisation, entamé dès les années 1950 lorsque les
possibilités d’accéder à la propriété se sont accrues, n’a
fait que s’accélérer depuis 1980 et le droit pour les locataires
du secteur social de se porter acquéreurs de leur logement.
Aujourd’hui, il touche aussi bien le secteur public que le secteur
associatif en raison du transfert d’un nombre croissant de
logements (et donc de leurs locataires) du premier vers le second. La
vente des HLM après 1980 et le déclin de la construction publique
ont conduit à une concentration des ménages les plus démunis dans
le secteur social. Celui-ci est alors devenu synonyme de pauvreté et
de précarité, ce qui n’était pas le cas il y a quarante ans.
Conséquence
de la résidualisation du parc social, le profil des foyers
locataires qui y sont logés est sensiblement différent de celui de
la population anglaise aujourd’hui. Le parc social loge une
proportion importante de foyers monoparentaux, soit 18 % contre 7 %
en Angleterre. La concentration des familles monoparentales dans le
secteur social, qui accueille 44 % d’entre elles, s’explique par
l’obligation faite aux collectivités locales d’assurer leur
logement depuis 1977.
Par
ailleurs, le pourcentage de foyers composés d’une personne y est
plus grand (41 %) que dans la population anglaise (29 %). La moyenne
d’âge y est nettement plus élevée que dans le secteur privé :
30 % des locataires sociaux ont plus de 65 ans contre 9 %, ce que
reflète leur statut économique ; 31 % sont retraités contre 9 %
dans le locatif privé. Enfin, les minorités ethniques dans leur
globalité sont surreprésentées dans le parc du secteur social, qui
loge 26 % de leurs membres contre 17 % des ménages blancs anglais .
De
nouvelles perspectives ?
Les
trente dernières années ont donc été marquées par le recul du
logement social en Angleterre et plus généralement en
Grande-Bretagne. Le spectaculaire déclin du secteur social qui, bien
que minoritaire tout au long du XXe siècle, avait fini par loger un
tiers des foyers anglais, est le résultat de choix politiques après
1979. Ces choix n’ont pas été remis en question par les
travaillistes après 1997, ce qui a contribué à renforcer la crise
du logement en Angleterre. La passation de pouvoir entre Tony Blair
et Gordon Brown en juin 2007 semble cependant ouvrir de nouvelles
perspectives. Le gouvernement s’est engagé à apporter 8 milliards
de livres pour le logement abordable (dont 6,5 milliards pour le
logement social), soit une augmentation de 50 % entre 2007 et 2010,
afin de porter le nombre de logements abordables à 70 000 par an
(dont 45 000 logements sociaux).
Mais
surtout, Gordon Brown semble traiter à nouveau les collectivités
locales en partenaires privilégiés. Ainsi, en 2008, le gouvernement
a restitué aux collectivités locales une partie des pouvoirs de
construction que la loi de 1988 leur avait ôtés. Durant l’été
2009, 49 municipalités ont été autorisées à solliciter un
financement du gouvernement pour bâtir des logements sociaux par le
biais d’un Arm’s Length Management Organisation ou d’un
organisme spécial.
David
FÉE
Ville
privée
vie
contrôlée
Anna MINTON
The GUARDIAN | 2009
Au nom de la rénovation
urbaine, d’importantes parties de villes comme Londres et Liverpool
sont aujourd’hui la propriété de sociétés privées. Et des
activités aussi anodines que déjeuner ou prendre des photos y sont
désormais interdites.
Le journaliste du Guardian
Paul Lewis est le dernier d'une longue liste de présumés
contrevenants à avoir été arrêtés et interrogés après être
entrés par erreur sur un domaine privé. Lewis a été interpellé
et fouillé par la police conformément au paragraphe 44 de la loi
antiterrorisme, pour avoir pris des photographies du “Cornichon”
de Norman Foster, un des édifices les plus célèbres du Londres
moderne. Dans tout le pays, les activités les plus innocentes font
aujourd'hui l'objet d'un contrôle et d'une surveillance qui ne sont
pas nécessairement sanctionnés par des lois antiterroristes. Il
faut y voir la conséquence de l'emprise croissante du secteur privé
sur les municipalités. Liverpool One, qui couvre 34 rues en plein
cœur de Liverpool, est en fait la propriété de Grosvenor, société
immobilière du Duc de Westminster, qui a loué l'intégralité du
site, dont les rues et les lieux publics, au conseil municipal pour
250 ans. Des quartiers entiers de Bristol et Leicester, ainsi que
Stratford City, à Londres, qui s'annonce comme le plus grand projet
de tous, appartiennent aux sociétés immobilières qui les gèrent.
Avec près de 85 hectares, Stratford City, l'un des sites
stratégiques des Jeux Olympiques de 2012, sera une ville privée
dans la ville. Les politiques et les promoteurs soulignent que ce
sont des lieux qui attirent les gens, qui s'y rendent en masse pour y
faire leurs courses. Ils n'en représentent pas moins un défi pour
la vie publique, la culture et la démocratie telles qu'on les a
connues dans les villes britanniques pendant un siècle et demi.
Toutes sortes d'activités
apparemment inoffensives – la pratique du skate-board, des patins à
roulettes, voire le fait de déjeuner dans certains endroits – sont
régulièrement proscrites, tout comme le fait de filmer et, bien
sûr, de prendre des photos. Il en va de même de la mendicité, des
sans-abri, de la distribution de tracts politiques et de
l'organisation de manifestations politiques. Au lieu de la diversité
indissociable des grandes artères, nous sommes en train de créer
des enclaves stériles sous haute sécurité, patrouillées par des
polices privées appuyées par des réseaux de vidéosurveillance. Et
loin de renforcer notre sensation de sécurité, cette atmosphère ne
fait que nous rappeler les dangers qui nous entourent et alimenter
notre peur de la délinquance. Pourtant, peu de gens sont conscients
de ces changements qui se déroulent littéralement sous nos yeux. La
plupart considèrent que puisque les rues ont toujours été un
espace public, elles continueront à l'être. En réalité, au début
du XIXème siècle, des villes comme Londres étaient aux mains d'un
petit groupe de propriétaires privés, ducs et comtes pour
l'essentiel. Ils détenaient par exemple quelques-uns des plus beaux
parcs géorgiens, et les premiers parcs victoriens. Ce que l'on ne
voit plus aujourd'hui, ce sont les forces de sécurité privées
employées sur ces domaines pour en interdire l'accès à quiconque
n'y était pas autorisé, sans parler des nombreux portails,
barrières et guérites.
Face à la colère montante
de l’opinion, reflet du développement de la démocratie locale qui
avait entraîné à l'époque deux enquêtes parlementaires, le
contrôle des rues fut transféré aux autorités locales. Depuis, il
est courant que ces dernières “adoptent” les rues et les espaces
publics de la ville. Autrement dit, qu'ils leur appartiennent ou non
de fait, ce sont les municipalités qui les contrôlent et les
gèrent. Cette tendance s'inverse actuellement, alors que les
sociétés immobilières s'emparent de quartiers entiers. Les
photographes sont peut-être les premiers à s'en apercevoir, mais
ils sont loin d'être les seuls concernés. Ironie savoureuse, le
quartier général de la Greater London Authority, siège du
gouvernement démocratique de Londres, est situé en plein More
London, autre enclave privée. Toutefois, le mois dernier, le maire
Boris Johnson a officiellement fait part de son opposition au
contrôle privé des rues et des espaces publics. Il dispose de
pouvoirs considérables dans le domaine de la planification, et est à
même d'ordonner aux arrondissements de refuser tout nouveau projet
qui empiéterait sur ces règles. Une politique cruciale, sachant que
presque tous les chantiers immobiliers cèdent discrètement le
contrôle des rues à des intérêts privés.
Anna MINTON
Le
Métro : un luxe
Il est peut-être utile de
rappeller que le péage urbain de Londres (London Congestion Charge),
institué en 2003, taxe les voitures – à l’exception des
ambulances, taxis et camions de pompiers – qui entrent et circulent
dans le centre-ville de 7 heures à 18 heures du lundi au vendredi,
sur une zone de 21 km² délimitée par le périphérique. Le forfait
pour la journée s’élève à 9,50 euros. Si cette mesure ne gêne
guère les classes aisées, qui continuent à emprunter leur véhicule
personnel, les classes moyenne et populaire sont contraintes
d'utiliser les transports en commun.
Mais le prix du ticket
de Métro -4,6 euros - ou celui de l'abonnement mensuel - 125 euros -, obligent nombre d'usagers des transports publics à emprunter et à s’entasser dans les bus, moins
chers mais moins pratiques, moins rapides et ne desservant pas
efficacement l'ensemble du Great London. La journaliste Rowenna Davis
du New Statesman, évoque dans un article, les derniers
chiffres de la Transport for London [TfL : régie des
transports en commun de Londres], et ironise :
“descendre les
escalators du métro revient à gravir une marche dans l’échelle
sociale.”
D’après cette étude,
tandis que les plus riches se rendent rapidement à leur travail en
métro, les plus pauvres et les membres des minorités ethniques sont
contraints de prendre le bus. Et la situation empire : en 2003, les
"bas revenus" représentaient 28 % des usagers du métro.
En 2009, ce chiffre est descendu à 22 % – contre 37 % des usagers
du bus. Rowenna Davis présente l'exemple d'Elena :
une femme de ménage
colombienne payée 6,08 livres [7,09 euros] l’heure. Elle cumule
deux emplois à temps partiel. Comme elle n’a pas accès au métro
ni au train, elle doit quitter sa maison du nord de Londres à 5
heures du matin. Avec une foule d’autres travailleurs au salaire
minimum, elle prend une longue série de bus avant même le lever du
jour. Comme elle doit se rendre d’un emploi à l’autre, elle
passe près de cinq heures par jour dans les transports pour six
heures de travail. Elena paie sa carte mensuelle de bus 68,40 livres
[80 euros]. Si elle devait prendre une carte bus-métro, cela lui
coûterait 106 livres [123 euros], soit environ le cinquième de son
salaire mensuel net. Le maire de Londres, Boris Johnson, ne semble
pas voir où est le problème. Depuis son élection [en 2008], le
prix d’une carte bus-métro hebdomadaire 4 zones a augmenté de 23
%. Les conséquences sont également économiques. Si les transports
sont le poumon de l’économie londonienne, on sait aussi que
certains travailleurs comme Elena refusent des emplois parce que le
trajet leur coûterait trop cher.
Ce métro de type sélectif
était déjà à l'oeuvre à l’époque où Ken Livingstone [Labour
Party] était maire [2000-2008]. De même, entre 2004 et 2009, les tarifs de l’électricité ont augmenté de
75 % tandis que ceux du gaz ont augmenté de 122 %. En 2009, le nombre
de ménages concernés par la pauvreté énergétique avait augmenté
de 22% pour toucher 5,5 millions de foyers. Les effets néfastes de
la pauvreté et des inégalités de revenus ont été amplement
documentés. La pauvreté et l’endettement des ménages sont
fortement corrélés, l’insolvabilité occasionnant des retards de
paiement de loyer et de factures énergétiques.
Le plan d'austérité 2010
En
2010, les élections placent à la tête du pays un gouvernement
de coalition dirigé par le
conservateur David Cameron : un
grand plan de rigueur, d'une ampleur sans précédent est voté.
Selon
le gouvernement, pour lutter contre la pauvreté et "réparer" la Broken
Society (société
brisée), il est nécessaire de favoriser la mobilité sociale en
s’appuyant sur les vertus de la Big
Society (associations
à but non lucratif, organisations caritatives, entreprises sociales
et privées) plutôt que sur le soutien de l’Etat-providence.
L’approche consistant à déléguer la responsabilité envers les
plus démunis aux acteurs de la société civile, s’accompagne d’un
plan d’austérité qui prévoit de réduire l’ensemble
des dépenses publiques de 81 milliards de livres (92 milliards
d’euros) d’ici à 2014-2015. Le budget des prestations sociales devrait subir une
réduction de 18 milliards de livres (20,5 milliards
d’euros), celui des services publics de 36 milliards de livres
(41 milliards d’euros). Au regard de ces chiffres, la hausse
d’impôt censée équilibrer la réforme apparaît d’autant plus
minime qu’elle résulte en grande partie d’un relèvement à 20 %
de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui affectera
particulièrement les ménages les plus démunis.
Concernant le logement
social, est prévu notamment des coupes drastiques dans les budgets
municipaux. David Cameron, comme Nicolas Sarkozy,
préfère l'accession à la propriété, et non pas cette
forme d'assistanat social que représente l'habitat social, et il
déclarait aux députés le 7 septembre 2011 :
“On ne
construit pas assez de logements dans ce pays. D’après les
statistiques, les gens achètent en général leur premier logement
quand ils ont le milieu de la trentaine. Il faut que ça change. Il
faut construire davantage de logements.”
" Au Royaume-Uni, 23 milliards
d’euros sont versés chaque année en aides au logement. C’est
plus que les budgets de la police et des universités réunis", remarque insidieusement le secrétaire d’Etat au logement. Le
ministre des Finances, George Osborne, s’est donc empressé de
tailler dans ce pactole. Les mesures annoncées prévoient :
- un plafonnement des allocations logement à 290 euros par semaine pour un deux- pièces, 460 euros pour un cinq-pièces ou plus ;
- une baisse de 10% pour les chômeurs de longue durée (plus d’un an) ;
- une obligation pour les célibataires de moins de 35 ans de vivre en colocation ;
- une révision des loyers pour les bailleurs privés les autorisant à se rapprocher des cours du marché de l’immobilier.
82
000 foyers pauvres menacés d’expulsion
21 000 foyers pourraient être affectés par ces mesures, dont 17 000 à Londres, selon les calculs du gouvernement. Le zélé secrétaire d’Etat au logement, Grant Shapps, a concédé qu’avec, en moyenne, 85 euros en moins par semaine, « certaines personnes » seraient sans doute obligées de déménager.
Les
estimations du London Councils, un organe qui chapeaute toutes les
mairies d’arrondissement de la capitale, sont beaucoup plus
alarmistes. Il chiffre à 82 000 le nombre de foyers qui risquent
d’être expulsés de leur logement.Plusieurs collectivités locales
londoniennes ont déjà contacté des bailleurs privés en province,
aussi loin que sur la côté sud de l’Angleterre, pour faire face à
un afflux prévisible de sans-abri.
La réforme suscite des
remous jusque dans les rangs de la majorité, Le maire [conservateur] de la capitale, Boris Johnson, promet d’éviter
que les Londoniens les plus pauvres soient chassés du centre-ville,
en dénonçant le risque d’ « épuration sociale » que pourrait
provoquer, la baisse des allocations logement. Invité de
la radio BBC London, le maire de Londres est allé jusqu’à
comparer la nouvelle politique du logement social à l’épuration
ethnique pratiquée par les Serbes pendant la guerre au Kosovo.
« Nous voulons des
mesures transitoires à Londres pour atténuer l’impact (de la
baisse des allocations). [...] Nous n’accepterons jamais une sorte
d’épuration sociale du style Kosovo. [...] Tant que je serai maire
de Londres, vous ne verrez pas des milliers de personnes expulsées
de là où elles ont vécu et où elles ont leurs racines. Nous ne
voulons pas de cela à Londres. »
Si Boris Johnson a décidé
de croiser le fer avec le gouvernement, c’est qu’il savait que le
dossier explosif du logement social pouvait lui coûter sa
réélection, en 2012, où il affronta, Ken Livingstone, ancien maire
et à nouveau candidat du Labour Party pour les municipales. Boris
sera effectivement réélu le 4 mai 2012.
Mixité
sociale : le contre-exemple parisien
Boris
Johnson tente désormais de négocier une exemption,
en invoquant le cours exceptionnellement élevé de l’immobilier
dans la capitale. Pour lui, le véritable
contre-exemple, en matière de mixité sociale, est Paris, à deux
heures de tgv de Londres :
« Quel est le génie de
notre grande ville ? Pourquoi est-ce si fantastique de vivre à
Londres ? Parce que c’est une ville d’une grande diversité, où
des gens de différents milieux sociaux vivent côte à côte. La
dernière chose que nous voulons, c’est une situation comme à
Paris, où les plus démunis sont relégués dans les “banlieues”
[en français dans le texte].
Ça n’arrivera pas à Londres. Je résisterai avec force à toute
tentative de recréer une ville où riches et pauvres ne peuvent pas
vivre ensemble. »
Tandis
que les organisations pour le Droit au logement, pressent la
coalition de renoncer à baisser les aides sociales : selon elles, ce
projet augmentera les problèmes mentaux et physiques associés à
l’endettement, à la pauvreté et aux relogements forcés, et
accroîtra les risques sanitaires liés à la promiscuité. Certaines
annoncent qu'il faudrait, pour régler la crise du logement, fournir
500 000 maisons et appartements sociaux par an pendant les sept
années à venir. De même, elles dénoncent les 6 000 logements
sociaux inoccupés à Londres, et si près du tiers d’entre eux
sont en attente de réparation, plus de 2.300 sont inoccupés depuis
plus d’un an, et peuvent être immédiatement loués.
__________________________________________________
Le plan d'austérité 2012
Dans
un discours prononcé le 25 juin, le Premier ministre britannique a
annoncé des coupes sans précédent, suscitant une levée de
bouclier dans la presse nationale.
25.06.2012|Polly
Toynbee|The Guardian
Distancé
dans les sondages, David Cameron colle à la seule de ses politiques
qui soit vraiment populaire : la réduction des aides sociales. A en
croire les sondages, les gens souhaitent que celles-ci baissent
encore davantage. Le discours de Cameron joue sur tous les plans, il
dresse ceux qui ont des revenus assez bas contre ceux qui ont des
revenus très bas, il divise pour régner et distrait les gens du
mode de vie des dirigeants. Comme ses députés tendance rottweiler
s'agitent, il leur jette en pâture les personnes vulnérables –
tous les gens qui se vautrent dans les délices de la "culture
de l'assistanat" avec 71 livres [88 euros] par semaine
d'allocation de chômage. Politiquement, ça marche très bien –
pour le moment.
Les
associations d'aide aux enfants et aux handicapés, choquées par
cette attaque supplémentaire contre ceux qu'elles tentent de
défendre, sont désespérées. La réduction de 18 milliards de
livres des aides sociales est "sans précédent dans l'histoire
et dans le monde", selon l'Institute for Fiscal Studies
[Institut de recherche indépendant, spécialisé dans la fiscalité
britannique]. Les dix-sept idées de Cameron ne verront peut-être
pas toutes le jour mais il y aura encore une baisse de 10 milliards
de livres [12,5 milliards d'euros] : les aides au logement et les
aides limitées dans le temps à la façon américaine.
Cameron
agit dans la précipitation, sans connaître les effets pervers
qu'auront ces mesures. Ses propos paraissent plausibles et beaucoup
jugent ses projets pleins de bon sens. Depuis les Poor Law [les "lois
sur les pauvres", établies par des paroisses civiles qui
attribuaient une aide financière aux plus démunis entre les XVIe et
XIXe siècles], tout système est confronté au même dilemme :
comment aider les nécessiteux sans les dissuader de travailler,
comment distinguer un "mendiant endurci" de quelqu'un qui
traverse une mauvaise passe et donner à celui-ci suffisamment pour
vivre mais moins qu'un travail peu rémunéré. Il n'existe pas de
réponse satisfaisante mais les "idées" de Cameron sont
les plus dures à avoir jamais été proposées. Le Premier ministre
a en toute connaissance de cause induit l'opinion en erreur dans tous
les exemples qu'il a donnés : il oppose "ceux qui travaillent
dur et font ce qu'il faut" à ceux qui touchent les aides
sociales, en masquant délibérément le fait que ce sont
principalement les mêmes. La plupart des pauvres qui perçoivent des
aides travaillent dans le nettoyage, l'aide à la personne, la
restauration – ce sont ces 62 % de personnes qui vivent au-dessous
du seuil de la pauvreté tout en travaillant dur et en ayant besoin
d'aides pour survivre.
En
se focalisant sur l'augmentation croissante du coût de l'aide au
logement, Cameron oublie des faits essentiels. D'après le Smith
Institute, 95 % du milliard de livres supplémentaire qu'a coûté
l'aide au logement cette année ont été versés à des gens qui
travaillent. Seule une personne sur huit bénéficiaires est sans
emploi, les autres ont un salaire peu élevé. La facture de l'aide
au logement ne s'explique pas par l'irresponsabilité des gens mais
par la crise du logement, le fait qu'on n'a pas construit de
logements sociaux, à louer ou à acheter, au cours des trente
dernières années. Du fait de cette pénurie, les loyers augmentent
plus vite que les salaires et plus vite que l'inflation. Le projet de
Cameron de fixer les aides au logement sur les prix à la
consommation et non sur l'inflation sera dévastateur. D'après
Shelter ["Abri", une association d'aide au logement], si
les prix à la consommation avaient augmenté aussi vite que les
loyers depuis 1971, un poulet coûterait aujourd'hui 47,51 livres [59
euros]. Et rien ne montre que la réduction de l'aide au logement
provoquera une baisse des loyers : si les loyers continuent à
augmenter, c'est parce que les propriétaires refusent de louer aux
bénéficiaires d'aides sociales car ils trouvent facilement d'autres
locataires sur ce marché tendu.
Cameron
égrène la litanie habituelle des attaques contre les chômeurs, les
mères célibataires, les drogués... et dresse le portrait familier
du ménage grouillant d'enfants, cher à ces documentaires pour la
télé qui recherchent les pires cas sociaux pour divertir les
masses. Toute société aura toujours assez de ce genre de misère
pour satisfaire les caméras. En revanche, la morne vie d'une femme
de ménage qui jongle entre les allocations familiales et plusieurs
emplois ne passe pas bien à la télévision, ni d'ailleurs les
mornes statistiques qui contredisent l'idée que l'augmentation de la
facture des aides sociales est due à la turpitude.
Les
vraies causes, ce sont la faiblesse des salaires et la pénurie de
logements. Avec des salaires décents, le fardeau ne pèserait plus
sur les contribuables mais sur les employeurs. Réglementation des
loyers et vaste programme de construction de logements, voilà
comment réduire la facture de l'aide au logement. Or le gouvernement
préfère expédier les chômeurs dans des zones aux loyers peu
élevés mais dépourvues d'emploi.
Quand
il projette de contraindre les moins de 25 ans à rester chez leurs
parents, Cameron s'inspire de son propre milieu social où les
parents dont les enfants ont quitté le nid se promènent dans des
manoirs déserts – et, s'ils revenaient, ils pourraient se rendre
facilement à leur travail. Mais retirez les aides au logement
accordées à 380 000 jeunes gens et que fera l'étudiant de
Middelsborough College, une fois ses études terminées, s'il ne peut
aller là où il y a des emplois, trouver une chambre et se lancer ?
Il restera à la maison et demeurera chômeur à vie. Même si elles
travaillent, les 205 000 personnes de moins de 25 ans qui ont un
enfant devront se séparer, chaque conjoint devra retourner vivre
chez ses parents. Avec la réduction des aides et la faiblesse des
salaires dans les régions en crise, la fracture nord-sud sera encore
plus grande.
Que
Cameron ne parle plus de mobilité sociale. Si ses projets se
concrétisent, Alan Milburn devra démissionner de son poste de
conseiller chargé de la mobilité sociale puisque personne n'ira
nulle part. Les diplômés brillants mais pauvres seront renvoyés
chez eux et tout le monde restera là où il est né. Il est
extrêmement démoralisant de voir que ces projets ne soulèvent pas
d'indignation particulière chez les porte-parole du Parti
travailliste. S'il est politiquement dangereux de confronter des
préjugés populaires à la réalité, le courage recueille aussi des
applaudissements.
Le
spectacle consternant de ce riche Premier ministre supprimant le
maigre soutien dont disposaient les faibles sera l'image éternelle
de cet homme et de son parti. Alors que nous connaissons une longue
récession, avec 2,6 millions de chômeurs et 1,4 million de
personnes à temps partiel qui cherchent désespérément un emploi à
temps plein, il est incroyable qu'on puisse laisser entendre que
c'est la trop grande générosité des aides qui dissuade les gens de
travailler.
Cameron
a peut-être les faveurs de l'opinion publique maintenant, mais, à
la prochaine élection, ceux qui réclament aujourd'hui une réduction
des aides sociales seront assez nombreux à en avoir ressenti les
effets. D'après le British Social Attitudes Survey, la sympathie de
l'opinion pour les défavorisés baisse quand le Parti travailliste
augmente les aides sociales mais revient vite sous la férule des
conservateurs.
Illustrations : BANSKY
NOTES
1-
Par politique sociale, il faut entendre les domaines de consommation
dans lesquels l’État joue un rôle central, soit en régulant la
fourniture de services, en prenant en charge le coût des services,
soit en fournissant des biens et des services en nature.
2
- En Angleterre uniquement, en raison de l’autonomie accrue
donnée aux différentes parties du Royaume-Uni par le programme de
décentralisation politique engagé après 1997 par le parti
travailliste, inutilement à mon sens.
3
- Créés depuis 2002, ces organismes sont au nombre de 69. Leur
conseil d’administration est composé de locataires (pour au moins
un tiers), d’élus municipaux et de membres indépendants.
4
- NDLR : sur la notion de logement abordable, voir Nativel C.,
2009, « Le logement abordable à l’heure de la crise des
subprimes. Problèmes, enjeux et action publique aux
États-Unis et au Royaume-Uni », Informations sociales, n°
155, p. 80-88.
5
- Défini officiellement comme incluant le logement social et le
logement intermédiaire et comme bâti pour les foyers ne pouvant se
loger au prix du marché. Le coût de ces logements est déterminé
en fonction des revenus et prix immobiliers locaux. Voir le site
www.communities.gov.uk
6 -
La corporation, fondée en 1964, finançait les nouveaux logements
sociaux et réglementait les associations pour le logement en
Angleterre. Depuis le 1er décembre 2008, les responsabilités de
financement sont regroupées avec les responsabilités de rénovation
urbaine de l’ancien English Partnerships au sein d’une
nouvelle organisation, la Homes and Communities Agency. Ses
responsabilités en matière de réglementation ont été transférées
à la nouvelle Tenants Services Authority.
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