TOKYO |
« Le
problème c’est la réglementation.
Pour
libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients
d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les
zones denses (…)
J’ai
demandé que soit conduite une réflexion approfondie sur ce
changement de philosophie de notre droit de l’urbanisme. »
Nicolas Sarkozy, président de la république | avril 2009
Reprise
du rapport
de la commission Attali, la
proposition de Nicolas Sarkozy, sonne comme un écho, pas si lointain, à
celle du président Hollande, d'une « simplification »
administrative, devant s'opérer dans les domaines de l'urbanisme et
de l'architecture, par l'« adaptation » des « exigences
réglementaires », afin de construire à moindre coût, et le
plus rapidement possible. Reprenant à son compte l'argumentaire de
son prédécesseur, inscrite dans la
loi n°
2009-323 du 25 mars 2009, dont l'article 10 présente les
assouplissements
des règles de construction afin de permettre une hausse de la
densité urbaine, François Hollande estime que les dérogations aux règles d'urbanisme doivent
permettre de « créer les conditions pour optimiser
l'utilisation des ressources foncières disponibles pour la
construction de logements, quitte à autoriser des dérogations aux
règles du PLU » [plan local d'urbanisme] :
- Raccourcir les délais de procédure des grosses opérations, via la mise en place d’une procédure administrative unique et simplifiée pour affirmer l’intérêt général d’une opération devant les citoyens, et de mettre en compatibilité les documents d’urbanisme (PLU, SCT)
- Lutter contre les recours malveillants et diviser par deux le délai de traitement des contentieux en matière d’urbanisme. Plusieurs pistes sont étudiées, notamment l’augmentation sensible du seuil maximal de l’amende pour recours abusif.
- Favoriser la densité en zone tendue. Des mesures structurelles figureront dans le projet de loi « logement et urbanisme » en juin 2013.
Adaptation
est synonyme, ici, de dérogations aux lois
nationales, aux règlements et aux plans d'urbanisme municipaux. Il
s'agit bien, en l’occurrence, pour certains critiques, de la retranscription spatiale d'un
des principes fondamentaux des théories libérales : l'intervention
des pouvoirs publics doit être minimale, voire « modeste »,
et s'« adapter », sinon aux exigences mais aux
« demandes » d'une planification conduite par le marché.
Critiques faites déjà au milieu
des années 1960, par la ''Gauche'' – socialistes compris – qui
inventa alors le terme « urbanisme des dérogations »,
pour qualifier la politique du gouvernement gaulliste qui institua
ces mêmes « arrangements » jugés par trop favorables à
l'investissement privé et parfaitement anti-démocratiques. Les
conséquences de ces « dérogations » seront à ce point
désastreuses, que le ministre Albin
Chalandon, signa le 17 mars 1972, une circulaire ministérielle,
dite circulaire « anti-dérogation », explicite par son nom.
Alain Bublex | Paris |
Concrètement,
hier comme aujourd'hui, il doit s'agit d'offrir au secteur privé,
des dispositions légales pour contourner les règles d'urbanisme,
par exemple bâtir là ou le plan d'urbanisme l'interdit, en zone
protégée ou agricole, ou bien augmenter la hauteur d'une
construction, etc. Une pratique qui en fait, s'applique depuis
longtemps, quotidiennement, notamment dans nombre d'opérations
d'urbanisme concernant les Zones d'Aménagement Concerté [ZAC],
celles des Établissements Publics d'Aménagement [EPA] et des
opérations de partenariats public privé [PPP]. À ce titre, ce type
d'urbanisation ultra permissif pour les uns et autoritaire pour les
autres, sera étendu demain aux agglomérations et aux villes
entières.
L'URBANISME
DES DEROGATIONS
La
notion d'« urbanisme des dérogations » est
apparue en France, après le déclin des rêves
de grandeur
des technocrates, et la faillite des Plans nationaux d'aménagement
du territoire, élaborés par les gouvernements gaullistes. Une
politique d'aménagement du territoire d'une grande cohérence,
intelligente, volontariste et ambitieuse, notamment par la décision
de littéralement contraindre, contenir au maximum la croissance de l'agglomération
parisienne, au profit de villes de Province. La spéculation en
décidera tout autrement, n'ayant de cesse de contourner les lois,
voire de les enfreindre, tandis que l'attraction de Paris provoque la
venue massive de populations rurales, puis immigrées, à la recherche d'un emploi.
Dans
ce cadre, le Schéma directeur de la Région parisienne, présenté
en 1965, prend une importance décisive, aussi bien par les
prévisions qu'il établit que par les mesures qu'il propose. À la
base du projet, la définition d'axes préférentiels de
développement doit être susceptible de « canaliser »
les interventions des secteurs privés, d'ordonner le chaos urbain de
la périphérie, par la construction de villes nouvelles, destinées
au rétablissement de l'équilibre urbain et régional. Elles
supposaient un agrandissement considérable du périmètre
d'urbanisation et des nouvelles structures administratives. Une politique « recentralisant »
Paris, considérée par rapport à la précédente, plus réaliste,
mais les fluctuations économiques liées au crédit, l'inertie d'un
système habitué à se servir du financement public comme d'un
simple moyen d'incitation, l'inadaptation des services administratifs
favoriseront la relance des formes habituelles d'intervention
financière et spéculative. Le traditionnel « urbanisme des
dérogations » s'instaure sans grande difficultés, initiant l'époque des grands scandales financiers associant des
personnalités politiques, de l'administration, aux grands groupes de la haute finance,
comprenant banques et assurances, constructeurs et promoteurs. Les réglementations de l'expropriation établies par la loi de 1967, et la création des ZAC se substituant aux ZUP, comptent parmi les instruments opérationnels les plus décisifs, de dérogation légale, comprenant le Plan
d'aménagement de zone (PAZ) pouvant déroger aux règlements
d'urbanisme municipaux, parfois de manière autoritaire contre la volonté des municipalités [notamment pour les grandes cités d'habitat social]. Monique
Pinçon consacra à ce sujet une étude en 1977, que nous publions en intégralité.
Bublex | Paris |
La dérogation
comme
phénomène idéologique :
Sa représentation
dans le journal
« Le Monde »
Monique Pinçon
Revue
Espaces & Sociétés
1977
La
dérogation en matière d'urbanisme constitue un
mode spécifique d'intervention de l'Etat sur les rapports sociaux
dans les processus d'urbanisation. On ne peut toutefois en comprendre
la signification profonde sans la resituer dans ce qui est la règle
c'est-à-dire la planification urbaine. Celle-ci s'inscrit dans la
contradiction entre la socialisation croissante de l'appropriation de
l'espace et l'appropriation capitaliste de cet espace. Par rapport à
cette planification, on ne saurait toutefois considérer la
dérogation comme un processus aléatoire. Bien au contraire, nous
pensons qu'il s'agit d'un processus socialement déterminé jouant
principalement en faveur des fractions dominantes du capital au sein
des multiples contradictions propres à l'urbanisation capitaliste.
La dérogation peut permettre par exemple l'appropriation d'espaces
assurant par l'accessibilité à certaines valeurs d'usage des
surprofits de localisation substantiels. Aménagement de la
planification urbaine dans un sens plus favorable aux intérêts
monopolistes, du moins lorsqu'elles revêtent une certaine ampleur,
les dérogations ne sauraient être empiriquement limitées à leur
seule définition juridique.
Aussi
au delà des permis de construire accordés en dérogation explicite
à une règle d'urbanisme opposable aux tiers, nous avons considéré
aussi les zones d'aménagement concerté, qui se substituent
localement et selon une procédure spécifique et autonome, aux
dispositions de la planification urbaine en vigueur, ou les cas
d'application de l'article 19 du code de l'urbanisme autorisant dans
certains cas et moyennant certaines contreparties, la construction
partielle d'espaces boisés classés, ou encore la non utilisation
des mesures de sauvegarde permettant de garantir l'exécution future
d'un plan non encore approuvé.
Nous
avons tenté d'explorer dans cet article le reflet
politico-idéologique de ces différents types de dérogation à
travers l'étude des articles que « Le Monde » y a consacrés.
L'analyse de l'image de la dérogation donnée par « Le Monde »
nous a paru utile tant pour la connaissance des thèmes
politico-idéologiques qui la. Caractérisent que pour la réflexion
sur leurs effets sociaux.
Ainsi
tout ce qui est dérogation à une règle juridique, en matière
d'urbanisme notamment, tout ce qui fait figure de « passe-droit »
évoque un appel à l'opinion publique pour une protestation morale
contre l'arbitraire. Protestation dont « Le Monde » s'est largement
fait l'écho d'une part au nom du principe de l'égalité de chaque
citoyen devant la loi et les règlements administratifs, et d'autre
part au nom de la défense de la nature et de l'environnement bafoués
par une urbanisation anarchique envahissant la terre, l'eau et le
ciel. Puisqu'il y a donc protestation, il faut aussi apprécier dans
quelle mesure cette pression de l'opinion publique peut avoir un
effet sur le phénomène dérogatoire lui-même et peut
éventuellement peser sur les différents segments de l'appareil
d'Etat, conduisant par exemple, et par hypothèse, à mettre en
contradiction les représentants de l'Etat au niveau local, avec
certaines fractions de l'appareil juridique comme le Conseil d'Etat.
Pour
analyser les thèmes politico-idéologiques du « Monde » concernant
les pratiques de la dérogation en matière d'urbanisme, il faut
toutefois se garder des illusions de la transparence des propos
tenus. En effet, en tant que phénomènes idéologiques, les articles
que nous examinerons ne peuvent être considérés que comme reflets,
dont on ne saurait postuler a priori qu'ils sont fidèles, des
rapports sociaux et des pratiques concrètes qui sont notre objet.
Nous
souhaitions au départ-de la recherche, saisir l'ensemble des images
proposées à l'opinion publique par l'ensemble des moyens
d'information dans toute leur diversité. Le manque de temps et de
moyens a dressé des obstacles insurmontables devant ce vaste projet.
Nous nous sommes donc limités à l'analyse d'un seul quotidien. Nous
avons retenu « Le Monde » qui nous a semblé être celui dont
l'analyse nous offrirait le plus d'enseignements. Ce journal est
celui qui accorde en effet le plus d'importance (ou en tout cas de
place, au moins dans l'absolu sinon relativement) aux problèmes liés
à l'urbanisme et à l'environnement, ce qu'un survol rapide des
autres quotidiens nous a confirmé. D'autre part l'audience du «
Monde » est particulièrement grande dans les milieux les plus
attentifs au sujet qui nous préoccupe : administrations,
professionnels de l'urbanisme, professions intellectuelles, couches
moyennes. D'une manière générale, on sait par exemple que près de
deux lecteurs du « Monde » sur quatre ont poursuivi leurs études
jusqu'à l'enseignement supérieur. Ce journal « appartient aux
classes aisées ; membres des professions libérales, cadres
supérieurs des affaires, de l'industrie, enseignants et
fonctionnaires et leurs enfants ; les élèves des grandes classes du
secondaire ou étudiants représentent 40 % des lecteurs du « Monde
». Les cadres supérieurs viennent ensuite pour environ un quart du
total » (1). Il faudra naturellement tenir compte de ces
caractéristiques lorsqu'on s'interrogera sur les effets sociaux des
images produites.
LE
DEPOUILLEMENT DE L'INFORMATION
ET LES PRINCIPES METHODOLOGIQUES
«
Le Monde » a été dépouillé du 1er Janvier 1966 au 30 Octobre
1975 à partir des dossiers constitués par thèmes au service de
documentation du journal. Les coupures de presse sur les dérogations
sont pour l'essentiel (2) dispersées parmi celles sur l'habitat, le
logement et la construction dans le dossier « construction » et
parmi les articles concernant l'urbanisme dans le dossier «
urbanisme ». Ces deux dossiers existent respectivement depuis 1961
et 1962. Avant 1972 ils étaient confondus. Le but de ce travail a
été d'apprécier l'évolution de l'importance donnée à ce sujet,
de caractériser les différentes formes de dérogations auxquelles
le journal sensibilise le public, d'analyser la manière dont les
affaires sont traitées afin d'essayer d'en déceler les effets
idéologiques. Nous avons tout d'abord retenu l'ensemble des
articles, de 1966 à 1975, sur deux points : la localisation des
pratiques dérogatoires et l'importance de la place accordée dans
les colonnes du journal à ce thème. En ce qui concerne la
localisation, nous avons relevé le nom de la commune lorsqu'il était
précisé ou à défaut celui de la zone (région parisienne,
littoral méditerranéen...). En ce qui concerne l'importance
accordée à ce type d'information, nous avons recensé le nombre des
articles parus chaque année.
Nous
avons ensuite procédé à une analyse plus fine des articles parus
entre le 1er Janvier 1972 et le 30 Octobre 1975. Nous avons mis au
point à cet effet une grille d'analyse détaillée dont les
rubriques sont les suivantes :
- la nature sociale des agents dénonciateurs : catégorie socio-professionnelle, statut d'occupation de l'habitation, caractéristiques de celle-ci (habitat pavillonnaire modeste; grands ensembles, zones résidentielles des classes aisées...) ;
- le type d'organisation des protestations : association de défense, parti politique, élus, autres;
- les différents types de biens immobiliers engagés dans les affaires de dérogation : logements (nous en avons relevé le nombre chaque fois qu'il était communiqué), bureaux, locaux industriels...
- l'objet de la dérogation et son importance: dérogation à un plan d'urbanisme (dépassement de coefficient de densité, non respect de la réglementation -limitant la hauteur des -immeubles, etc.). Bien qu'il ne s'agisse pas d'une dérogation au sens juridique du terme, nous avons également noté la transgression des règles qui résulte d'autres mesures instituées par lois et décrets en vigueur. Il en est ainsi de l'effacement du plan d'urbanisme par le création d'une zone d'aménagement concerté (ZAC) ou par le recours à un nouveau plan d'urbanisme.
- le bénéficiaire de la dérogation : promoteur privé ou public, municipalité, Etat...
- les formes d'action utilisées par les protestataires : conférence de presse, manifestation, pétition, meeting...
- les formes du contentieux : recours engagé devant les juridictions administratives ou civiles.
PRESENTATION
DES RESULTATS (3)
L'ancienneté
du phénomène dérogatoire
et son apparition récente dans « Le
Monde »
Contrairement
à une opinion couramment répandue dans les milieux professionnels
concernés, la planification urbaine comme pratique
juridico-administrative concrète n'est pas un phénomène récent.
Les premiers plans d'urbanisme opposables aux tiers ont été
institués par les lois du 14 Mars 1919 et du 19 Juillet 1924 sous le
nom de « projet d'aménagement, d'embellissement et d'extension ».
Nous avons montré au cours de travaux antérieurs (4) que ces plans
d'urbanisme et ceux des générations suivantes avaient eu une
existence juridique réelle pour un nombre de communes non
négligeable. Par exemple pour la région parisienne, sur 138
communes tenues d'établir un tel « projet » du fait de leur taille
ou de leur évolution démographique, 75 ont obtenu avant 1939 le
décret d'approbation en Conseil d'Etat. On remarquera que les
règlements de ces projets donnaient déjà la possibilité aux
maires d'accorder des dérogations relatives, par exemple, à la
hauteur des maisons, « pour des raisons d'art, de science ou
d'industrie » (5). Or pour avoir feuilleté le « Monde » en
remontant jusqu'aux années cinquante, nous pouvons affirmer que les
phénomènes dérogatoires en matière d'urbanisme y sont à peu près
absents jusqu'en 1966. Avant cette date, « Le Monde » exprime
surtout des préoccupations pour les problèmes liés à la pénurie
de logements, à l'intervention de l'Etat aussi bien dans le domaine
du logement social que dans celui du soutien à la promotion
immobilière privée. Une large place est accordée aux abus en
matière d'attribution des HLM et à des affaires telles que celle du
Comptoir National du Logement à Boulogne Billancourt. Mise à part
la dénonciation pour inesthetisme d'un projet de construction d'un
immeuble entre la corniche et la mer près de Toulon, l'Octroi
irrégulier d'un permis de construire à Châtillon-sous- Bagneux
autorisant l'édification d'une tour de treize étages et surtout la
réalisation de Parly II dont la conformité au schéma d'aménagement
et d'urbanisme de la région parisienne est fortement contestée, les
faits mis en valeur par « Le Monde » sont pour l'essentiel des
scandales immobiliers, faillites de sociétés immobilières,
scandales liés à des vices de construction ayant entraîné
l'effondrement d'immeubles en chantier ou habités.
Ce
n'est qu'à partir de 1966 que le nombre d'articles du « Monde »
portant directement ou indirectement (6) sur les dérogations cesse
d'être négligeable et évolue de la manière suivante :
1966 : 12 1967 : 6 1968 : 10 1969 : 62 1970 : 65 1971 : 55 1972 : 116 1973 : 88 1974 : 91 1975 : 43 [7]
On
peut s'interroger sur cet intérêt soudain des journalistes du «
Monde » pour ce thème à partir de 1966 mais surtout à partir de
1969. Nous avancerons pour notre part les quelques hypothèses
suivantes. Avant 1968, l'idéologie réformiste règne sans partage
dans les milieux administratifs chargés de l'urbanisme. Et de fait,
dans cette première période, « gaulliste», de la phase du
capitalisme monopoliste d'Etat, le rôle interventionniste plus
marqué de l'Etat, conjugué avec la faiblesse relative de
l'intervention des groupes monopolistes qui n'en est d'ailleurs qu'à
ses débuts dans un secteur comme l'immobilier, peut encore
entretenir l'illusion de l'Etat réformateur, planificateur.
Par
contre, après les événements politiques et sociaux de mai et juin
1968, on note un recul sensible de ces conceptions idéologiques de
l'Etat. Alors que les années soixante furent celles d'un « grand
espoir » en matière de planification urbaine (8), la rupture qui
s'amorce avec les thèmes idéologiques dominants crée les
conditions favorables à une prise de conscience du véritable rôle
de la planification de l'Etat monopoliste. Ces conditions incitent un
quotidien aussi peu suspect de contestation systématique que « Le
Monde » à relever les lacunes et errements de la planification
urbaine que constituent les dérogations.L'attitude critique que la
crise de l'Etat et la nouvelle étape de la politique monopoliste ne
peuvent que renforcer.
En
effet, cette nouvelle étape du point de vue de la politique urbaine
aboutit au franchissement d'un seuil dans la spéculation immobilière
et foncière. La surdensification, notamment en hauteur, avec la
construction massive de tours, représente, sans doute, aux yeux de
l'opinion le phénomène le plus immédiatement visible de
l'urbanisme dérogatoire. Si la crise au sein de l'appareil d'Etat
permet l'émergence des problèmes liés à la dérogation, ces
problèmes trouvent corrélativement un large écho auprès de
couches sociales pour lesquelles les mêmes événements de 1968 ont
brisé l'image de l'efficacité et de la bonne volonté réformiste
de l'Etat.
Ces
couches sociales, couches moyennes salariées, profondément marquées
par les luttes revendicatives de 1968, auxquelles elles ont largement
pris part, trouvent actuellement, pour un certain nombre de leurs
membres, dans les problèmes liés à l'urbanisation et au cadre de
vie le terrain privilégié pour l'expression de leur mécontentement.
Celui-ci a certes son origine dans le développement anarchique des
villes, menace permanente contre les conditions de vie, mais aussi
dans les difficultés professionnelles que rencontrent actuellement
ces couches sociales : insécurité de l'emploi, difficultés de
carrière, absence de responsabilité réelle et pour certaines
d'entre elles stagnation, voire dégradation du pouvoir d'achat.
Toutefois,
leur place dans les rapports de production n'est pas toujours sans
ambiguïté. Si globalement leur intérêt objectif se confond avec
celui de l'ensemble des travailleurs, il n'en reste pas moins que
parfois, soit directement dans l'entreprise par leur position
hiérarchique, soit plus indirectement par leur place au sein de
l'appareil d'Etat, ces catégories sociales sont objectivement des
agents de Textractioh de la plus-value ou/et de la reproduction des
rapports de production.
Ces
ambiguïtés dans les situations de classe et les difficultés
objectives qui en découlent pour s'insérer dans des luttes
organisées sur le lieu du travail, ne sont sans doute pas sans
rapport avec leur niveau de mobilisation et d'engagement sur les
problèmes du cadre de vie.
Ceux-ci
sont réels et concernent l'ensemble des travailleurs, mais si ce
sont ces couches sociales qui les expriment souvent et en font le
plus volontiers l'objet, souvent unique, de leur revendication, cela
répond à la place spécifique qu'elles occupent dans les rapports
de production. Etant donné la composition sociale des lecteurs du «
Monde », on comprendra aisément l'intérêt porté par ce journal
aux problèmes de la dérogation, surtout après 1968, compte tenu de
l'homogénéité sociale de ses lecteurs , des couches qui sont à
l'origine de mouvements de défense de la nature et de
l'environnement et d'associations diverses, dont nous parlerons plus
loin.
L'émergence
des problèmes urbains, dont ceux posés par les dérogations, est
certes parfois expliquée tout autrement. Ainsi pour M. Yves
FOURTUNE, l'opinion publique « s'est particulièrement manifestée à
la suite de la création du Ministère de l'Environnement, qui
apparaît à beaucoup comme le garant d'une certaine qualité de
l'urbanisme menacé par les dérogations » (9). Nous inclinerions à
penser, au contraire, que la création, en 1971, de ce Ministère
constitue l'une des tentatives de réponse au niveau de mobilisation
et de revendication sur ces problèmes. Il s'agirait tout à la fois
de tenter de trouver des solutions ou des palliatifs aux nuisances
les plus insupportables de l'urbanisme monopoliste, mais aussi et
surtout de' réactiver l'image de l'Etat comme agent de la
planification et de la réforme.
Localisation
des dérogations dont « Le Monde » a fait mention
Sur
les 548 articles publiés entre 1968 et 1975, 455 permettent une
localisation soit au niveau communal, soit au niveau régional.
Chercher à attribuer une localisation précise aux 93 autres
articles recensés ne pouvait avoir de sens étant donné leur degré
de généralité. Il s'agit en effet d'articles n'ayant pas pour
objet une dérogation particulière, mais un ensemble de problèmes
liés au phénomène dérogatoire et ayant pour titre, par exemple :
« Que faire entre deux plans ? », « Pourquoi des dérogations ? ».
Près
des deux tiers (65 %) des articles du « Monde » dénonçant des
dérogations ou des difficultés dans l'élaboration des plans et
schémas d'aménagement et d'urbanisme, ont pour cadre la région
parisienne. On remarquera qu'en 1972, année où nous avons
enregistré le plus grand nombre d'articles, cette proportion s'élève
à 70 %. Ces deux pourcentages montrent à l'évidence la place
centrale occupée par la région parisienne. A l'intérieur même de
cette région, deux départements sont particulièrement mis à
l'honneur par « Le Monde.». Il s'agit des Yvelines auxquelles 20%
des articles sont consacrés et surtout de Paris qui en inspire près
de la moitié (47 %). Parmi les 35 % d'articles consacrés à des
affaires ayant pour cadre la province, 71 % concernent des communes
du littoral maritime !
Ainsi,
comme le montre le tableau ci-après, plus des 2/3 (68 %) des
dérogations dont traite « Le Monde » sont situés soit à Paris,
soit dans les Yvelines, soit en bord de mer. Quel que soit le rapport
de ce chiffre avec la réalité de la répartition spatiale de
l'ensemble des dérogations, nous pouvons d'ores et déjà affirmer
que la représentation de la dérogation proposée aux lecteurs est
profondément marquée géographiquement et donc socialement. Ces
points forts de la dérogation présentent tous un caractère commun,
celui d'être les lieux privilégiés où d'importantes masses de
capitaux cherchent à se mettre en valeur dans le secteur immobilier.
La lutte pour l'appropriation de l'espace y est donc très vive. La
construction massive de bureaux à Paris, la multiplication des
ensembles résidentiels dans les Yvelines, les équipements du
tourisme de luxe sur le littoral sont autant d'occasions de profits
substantiels.
Nous
ferons l'hypothèse que ces hauts lieux de la spéculation
immobilière et foncière sont aussi des terrains privilégiés des
pratiques dérogatoires : les plans d'urbanisme, leur ancienneté,
peuvent souvent constituer des obstacles à la mise en valeur du
capital. Que la région parisienne, et singulièrement Paris et les
Yvelines, ainsi que les communes du littoral, aient si souvent
l'honneur des colonnes du « Monde » ne constitue dans une certaine
mesure que le reflet de l'intensité des bouleversements urbains
intéressant ces régions. Toutefois, nous pensons qu'il doit s'agir
d'un reflet déformé. Nous ferons l'hypothèse que « Le Monde »,
étant donné le public auquel il s'adresse, est conduit à accorder
une plus large place aux processus d'urbanisation dans la région
parisienne et sur le littoral pour des raisons que l'examen de la
nature sociale des agents dénonciateurs va nous permettre
d'élucider.
Les
agents dénonciateurs : leur type d'organisation, leur nature sociale
Cette
rubrique de notre grille d'analyse, comme celles qui vont suivre, a
été dépouillée pour les années 1972 à 1975. Durant cette
période, nous avons recensé 119 « affaires ». Ce chiffre est
inférieur au total des articles recensés (338) car certaines
affaires font l'objet de plusieurs articles. Nous en avons relevé 14
par exemple pour l'opération immobilière du domaine de Montval à
Marly-le-Roi ; 18 pour la Défense. D'autre part nous avons recensé
62 articles dont le niveau de généralité ne permettait pas de les
traiter de la même façon que s'ils avaient porté sur des faits
précis. Nous en avons cependant relevé les intervenants et leurs
caractéristiques sociales.
L'analyse
des agents dénonciateurs va donc porter sur deux sous-populations
d'affaires comptant respectivement 119 et 62 unités. Parmi le
premier groupe d'affaires il y en a 36, soit 30%, pour lesquelles la
nature des agents protestataires n'est pas indiquée. Seuls l'objet
et la nature de la dérogation, parfois le bénéficiaire de
celle-ci, sont présentés brièvement. Les agents dénonciateurs
sont donc explicitement mentionnés dans 82 cas. Il s'agit rarement
d'individus isolés, mais le plus souvent de membres d'une
association, d'un comité, d'un parti politique ou d'un groupe d'élus
et qui s'expriment en tant que représentants ou animateurs de ces
groupements.
Les
associations de défense de la nature, de sauvegarde d'un site, d'un
parc, les comités d'aménagement d'un arrondissement, parisien, les
associations d'habitants d'un ensemble immobilier sont cités dans 61
% des cas (50 fois), les élus le sont pour 27 % (10), les partis
politiques pour 4% (11). 9% des cas sont si divers que seule leur
énumération aurait eu un sens. Il s'agit par exemple des parents
des victimes de la catastrophe de Val d'Isère, du Ministère de
L'Equipement et du Logement ou de la Cour des Comptes à propos des
marinas, par exemple. Dans un certain nombre d'affaires, plusieurs
intervenants socialement différenciés sont apparus.
Le
deuxième groupe d'articles est d'un plus haut degré de généralité
en ce sens qu'ils ne dénoncent pas une pratique dérogatoire
particulière, mais plus globalement la violation des règlements
d'urbanisme, la dégradation des espaces verts des sites
touristiques... Ces articles sont le plus souvent le fruit d'une
réflexion d'un journaliste sur ces questions, les autres rendant
compte de la position de tel groupe politique, de tel ministre, de
telle association, soit indirectement par les intéressés eux-mêmes,
soit directement par les intéressés.
Si
la balance penche nettement en faveur de l'administration, compte
tenu du large écho donné aux circulaires ministérielles
constituant un frein aux dérogations, telles celle de M. Albin
CHALANDON, dite circulaire «antidérogation » du 17 Mars 1972, ou
celle de M. Olivier GUICHARD concernant la conformité des Z.A.C. aux
S.D.A.U. Et P.O.S., et des entretiens et interviews les accompagnant,
l'autre groupe important d'articles est constitué par les
interventions ou les comptes rendus de l'activité des comités de
liaison des associations de défense de la nature et de
l'environnement. Il nous a semblé intéressant de nous interroger de
manière plus approfondie sur la signification de cette importance
accordée par « Le Monde » aux associations de défense de la
nature et de l'environnement, car on verra plus loin à quel point
les idées qu'elles véhiculent sont décisives dans la constitution
de l'image idéologique de la dérogation donnée par ce journal.
Certes
nous ne pouvons affirmer que ces associations se voient accorder une
place relativement plus importante que leur implantation et activité
réelles. Toutefois un certain nombre de faits nous inclinent à
penser que l'intervention d'une association de ce type dans une
affaire de dérogation est un élément qui favorise et souvent
provoque la prise en compte de l'information par « Le Monde ».
Selon
Etienne MALLET, responsable à l'époque de la rubrique environnement
et urbanisme, ce sont en effet les associations elles-mêmes qui
prennent contact avec la rédaction afin de rendre publique leur
action. L'importance accordée à la publication d'un communiqué
dans « Le Monde » est sans doute caractéristique d'une conception
de la pratique militante où la dénonciation auprès des lecteurs du
« Monde » d'un dysfonctionnement de la société est considérée
comme un moment particulièrement important de la lutte.
Les
indications que livre l'analyse des articles sur l'appartenance
sociale des militants de ces associations confirment qu'il existe une
certaine homogénéité sociale entre eux et les lecteurs du « Monde
». Nous avons pu relever parmi les professions mentionnées, celles
d'avocat, de médecin, de professeur d'université, couches sociales
bénéficiant à la fois d'un niveau de revenu et de culture élevé.
Ce sont en tout cas des personnes qui sont susceptibles d'avoir assez
de temps et de connaissances juridiques pour tenir tête à
l'administration parfois pendant plusieurs années. C'est le cas par
exemple de ce professeur d'université, propriétaire d'une villa
proche des marinas de Bormes-les-Mimosas, ou de cette dame du XVIème
arrondissement qui a fait face à l'administration et au promoteur,
au départ avec d'autres propriétaires du Hameau Boileau, puis
seule, de 1955 à 1971, date à laquelle la justice lui a donné
raison et a ordonné la destruction immédiate du luxueux immeuble
construit sur un espace vert protégé (Le « Monde » du 9.2.1972).
Les
militants des associations de défense de l'environnement dont « Le
Monde » précise la situation personnelle, sont, le plus souvent,
propriétaires des pavillons voisins du projet immobilier et désirent
protéger un espace vert, une belle vue sur la mer... que celui-ci
menace. Ces
protestataires, tels qu'ils sont présentés par le journal, sont
donc des propriétaires habitant dans des régions où l'urbanisme se
développe rapidement, sans avoir fait disparaître encore certains
traits d'un cadre de vie privilégié où les nuisances d'ordre
industriel sont faibles, où la densité de construction n'est pas
très élevée. Un exemple typique est celui des co-propriétaires du
Cap d'Antibes. On trouve aussi parfois, à Paris notamment, des
riverains d'un bâtiment à caractère historique ou pittoresque
promis à la destruction comme le marché des Batignolles ou les
pavillons de Baltard aux Halles.
La
défense de la nature, des espaces verts, du paysage urbain et rural,
la protection du patrimoine architectural sont les principaux mobiles
invoqués lors de la création de ce type d'association. Ce sont du
moins les mobiles les plus souvent explicités ou mis en avant par «
Le Monde » sans qu'ils constituent nécessairement les mobiles
véritables.
Aussi
lorsque ce journal commente de façon positive les protestations de
l'association de Chanteloup les Vignes, il s'en tient au principal
motif déclaré par l'association, c'est-à-dire la défense d'un
site, sans insister sur le fait que cette défense du site s'oppose
objectivement à la construction d'un ensemble immobilier à
caractère « social devant être réalisé par des offices publics
d'HLM de la région parisienne. Au delà de la valeur esthétique des
paysages concernés, c'était peut-être plus la préservation d'un
environnement social homogène, excluant des couches sociales
défavorisées, qui était en jeu (12).
Les
diverses remarques que nous venons de faire sur ces associations
portent sur l'image qui en est donnée au travers des articles du «
Monde » et non pas sur leur réalité et l'ensemble de leurs
pratiques, qui sont plus complexes et contradictoires. Ainsi même si
par certains aspects de leurs revendications, ces associations
apparaissent parfois comme visant à défendre un cadre de vie
privilégié, les menaces pesant sur ce cadre de vie provoquent
effectivement une prise de conscience des méfaits et des nuisances
de l'urbanisation actuelle. Ce peut être dans certains cas le point
de départ d'une remise en question du rôle de l'Etat comme garant
de l'intérêt général, ainsi que d'une interrogation sur les
effets de la recherche du profit capitaliste dans l'urbanisation.
Toutefois l'objet des associations est limité, monofonctionnel, et
l'élargissement de l'expérience locale sur des problèmes
spécifiques à l'appréhension de l'ensemble des rapports sociaux
n'a rien d'automatique.
Les
différents types de biens immobiliers engagés dans des affaires de
dérogation parues dans « Le Monde »
De
1972 à 1975 sur les 119 affaires recensées, 34 portent sur des
opérations de construction de logements, 13 sur des opérations
comprenant à la fois des logements et des commerces ou des
équipements collectifs (voire des emplacements pour bateaux dans le
cas des marinas). 13 de ces affaires ont pour objet la construction
de commerces ou d'hôtels, 9 la construction de bureaux. Sept autres
ont des objets divers : il s'agit d'une usine, du Centre National
d'Art et de Culture Georges Pompidou (Plateau Beaubourg), d'un centre
de formation artisanale... Il reste 43 cas où l'objet de la
dérogation n'est pas connu aussi précisément. Il est fait mention
d'un permis de construire, d'un ensemble ou projet immobilier, d'un
immeuble, d'une tour sans que le contenu de ces projets soit
explicité.
Quoi
qu'il en soit, logements et bureaux constituent l'essentiel des
projets dont « Le Monde » traite (13). En effet, parmi les « 43 »
affaires dont le contenu ne nous est pas connu avec précision, les
termes utilisés, « tour », « projet immobilier », par exemple,
incitent à penser qu'il ne peut s'agir ni de locaux individuels ni
d'équipement d'infrastructure.
En
ce qui concerne les programmes de construction de logements, nous
connaissons précisément leur importance dans 23 cas. Mises à part
deux opérations portant respectivement sur 16 et 60 maisons
individuelles, les autres dépassent la centaine de logements, près
de la moitié dépassant le millier.
Si
l'on compare ces résultats, d'une part au discours officiel sur les
dérogations qui en fait un, phénomène marginal concernant surtout
les « ajustements mineurs », d'autre part aux résultats d'une
enquête que nous avons effectuée sur les pratiques dérogatoires
dans les départements des Yvelines et de la Seine-Saint-Denis (14),
on peut noter que, certes « Le Monde » ignore les ajustements
mineurs qui sont les plus nombreux. Pour ses rédacteurs, les
dérogations mineures dont ils ne parlent que dans les articles plus
généraux sur les problèmes de la dérogation, semblent être tout
à fait justifiés par la lenteur de l'élaboration des plans
d'urbanisme et donc leur inadéquation partielle aux besoins au
moment de leur mise en application.
Toutefois,
il vise juste en s'attachant aux opérations qui sont, du point de
vue de leurs effets économiques et urbanistiques, les aspects
majeurs du phénomène dérogatoire. Car il est vrai, comme les
résultats de notre enquête le démontrent, que ce sont les
dérogations liées à des programmes immobiliers importants qui
représentent quantitativement, en termes de constructions nouvelles,
la part la plus importante des dérogations. Les dérogations
mineures sont plus nombreuses mais ne représentent qu'une faible
fraction des logements et des surfaces créés grâce aux
dérogations.
Ainsi,
dans l'image des dérogations produites par la presse — car les
autres journaux, sur ce point, ne se distinguent guère du « Monde »
— l'importance des opérations immobilières dérogatoires est bien
soulignée. C'est avec l'analyse des thèmes désignant les effets
sociaux de ces dérogations qu'un glissement se produit, comme on le
verra plus loin.
L'objet
des dérogations
Sur
les 119 «affaires» recensées, on connait l'objet de la dérogation
dans 105 cas. En fait pour les 14 autres affaires, il n'y a pas eu à
proprement parler dérogation ; il s'agit de problèmes généraux
ayant trait a certains abus en matière d'urbanisme sans que pour
autant il ait été dérogé à la réglementation. Près de la
moitié des dérogations (52 cas) (15) mettent en cause des espaces
verts protégés, des zones inconstructibles, le domaine public
maritime et plus généralement l'harmonie d'un paysage non urbanisé.
Vingt neuf dérogations ont pour objet le dépassement des normes de
hauteur par des tours de bureaux ou de logements. Pour l'essentiel,
ces cas se situent à Paris ou dans sa proche banlieue (notamment
dans les Hauts de Seine avec la Défense). Là encore c'est la remise
en cause de l'harmonie des paysages, cette fois-ci urbains, qui
provoque les protestations.
Le
dépassement des normes de densité (CUS ou COS) n'apparaît que dans
13 cas. Le non respect des normes fixant les ratios d'équipements
collectifs, par exemple le nombre de parkings, apparaît dans 7 cas.
Enfin, 19 objets de dérogations sont de nature diverse ; absence de
permis de construire, construction non conforme au permis de
construire accordé, longueur de l'immeuble trop importante...
Lorsque
l'affaire comprend plusieurs objets de dérogation, nous avons
constaté que « Le Monde » mettait en avant ceux qui ont pour effet
de porter atteinte à la qualité esthétique des paysages et restait
plus discret sur les dérogations portant sur la densité
d'occupation du sol. Par exemple, si un projet de tours à Paris
déroge à la fois au plan des hauteurs et au COS, seul le
dépassement de hauteur est souligné et critiqué comme
compromettant les perspectives de l'horizon parisien.
Quelle
que soit par ailleurs la répartition réelle des dérogations entre
les différents types d'objet dont nous venons de parler, nous
constatons qu'à travers « Le Monde » la dérogation apparaît
comme ayant d'abord de fâcheuses conséquences d'ordre architectural
et esthétique. Il n'est pas impossible que la place prépondérante
accordée par « Le Monde» aux dérogations de ce type reflète la
situation réelle.
Toutefois
le traitement accordé aux affaires mettant en jeu plusieurs objets
de dérogation nous incite à penser que « Le Monde » privilégie
effectivement dans ses comptes rendus tout ce qui constitue des
atteintes à l'intégrité de la nature et des sites. Certes, les
paysages naturels ou urbains, en tant qu'éléments du cadre de vie,
font partie des conditions sociales générales de la reproduction de
la force de travail. La protestation contre le mur de béton qui
massacre le bord de mer, voire contre la destruction d'espaces verts
même privés, valeur d'usage potentiellement socialisable, comme
plus généralement contre tous les aspects de la dégradation du
cadre de vie, rejoint l'ensemble des revendications visant à la
satisfaction des besoins sociaux. Toutefois on peut noter un
traitement relativement privilégié de ces aspects, les plus «
culturalistes », par rapport à d'autres ayant une incidence
beaucoup plus directe et immédiate sur les conditions de
reproduction de la force de travail, comme l'insuffisance des
équipements collectifs, la surdensification, le coût et la mauvaise
qualité des logements. Ces différents aspects ne sont nullement
opposés, mais à en privilégier certains, il semble bien qu'on
privilégie les aspects les plus sensibles à certaines couches
sociales, qu'on pourrait désigner allusivement comme couches
moyennes intellectuelles.
D'ailleurs,
la question de la nature des couches sociales en présence ou qui
seraient appelées à utiliser les réalisations est rarement posée,
comme nous l'avons vu, par exemple dans le cas de Chanteloup les
Vignes. Les préoccupations de protection et de l'esthétique des
paysages urbains occultent la réalité des rapports sociaux. Profits
et exigences objectives des travailleurs ne s'affrontent pas dans les
colonnes du Monde où ne s'opposent guère que les défenseurs de la
nature ou de l'harmonie urbaine, et ces modernes vandales que sont
les promoteurs.
La
protestation esthétisante et écologique, parce que ne tenant pas
compte de la nature sociale de l'espace produit, peut être reprise
et utilisée aussi par l'idéologie dominante. Aussi c'est tout
dernièrement au nom de la protection de la Côte d'Azur, que le
maire de Nice et Secrétaire d'Etat au Tourisme, a annoncé son
opposition au projet d'aménagement de la citadelle de Villefranche
favorisant le tourisme social. Ainsi, le discours scandalisé sur la
perspective de l'Arc de Triomphe compromise par les tours de la
Défense, a-t-il également pour effet, dès lors qu'on s'en tient
là, de masquer les difficiles conditions de vie des riverains et des
habitants, et de travail des employés de cette opération
gigantesque.
A
cet égard, les comptes rendus du « Monde », dans leur façon de
traiter des pratiques dérogatoires en matière d'urbanisme
confortent et font écho à l'idéologie environnementaliste et
écologique.
Les
bénéficiaires des dérogations.
Dans
la quasi totalité des affaires exposées par le journal, les
bénéficiaires des décisions d'octroi des dérogations ne sont pas
des individus « personnes physiques » mais des sociétés «
personnes morales ». « Le Monde » ne donne avec précision la
raison sociale de ces sociétés que dans moins d'un cas sur deux ;
51 fois sur les 119 affaires recensées de 1972 à 1975. Et encore
n'est souvent dévoilé que l'intitulé de la société civile
immobilière en cause. Il n'est que rarement fait mention des liens
de ces sociétés avec les groupes financiers et bancaires. Les
quelques cas où de plus amples précisions sont données sont ceux
où sont impliquées des personnalités politiques proches du
gouvernement. Par exemple, « Le Monde » précise le rôle de M.
Albin Chalandon dans l'affaire du parc de Béarn à Saint-Cloud (16).
Ainsi
tout comme nous ignorons souvent la nature sociale des militants des
associations dont nous avons parlé plus haut, nous ignorons
également dans de nombreux cas la nature sociale des intérêts mis
en jeu dans le processus de dérogation.
C'est
d'ailleurs cette imprécision qui est en elle-même révélatrice des
thèmes idéologiques du journal. En effet, il est significatif que «
Le Monde » n'accorde qu'une place extrêmement réduite et souvent
inexistante à la description des intérêts économiques en jeu
derrière les opérations immobilières bénéficiant de la
dérogation. Ces intérêts économiques disparaissent derrière la
protestation morale face à la « transgression » de la loi et
derrière la description minutieuse des aléas de la procédure. Le
manque d'information sur la situation de classe concrète des
protagonistes dans les affaires de dérogation, empêche la mise à
jour de la réalité des rapports sociaux. Ces problèmes sont posés
en termes moraux et esthétiques, la loi du profit est le plus
souvent ignorée, des adversaires inégaux sont traités de manière
symétrique comme nous allons le voir dans la description des
rapports conflictuels entre les parties en présence.
Les
formes de la protestation et du contentieux.
Autant
sur les points précédemment abordés, les articles du « Monde »
péchaient parfois par omission et nous laissaient ignorer par
exemple la nature sociale du bénéficiaire de la dérogation, autant
en ce qui concerne les formes prises par la protestation et, ses
péripéties judiciaires, les détails abondent. Il est vrai que
l'intérêt du «Monde » pour les affaires de dérogation apparaît
directement proportionnel à l'activité des associations de défense
de l'environnement et à l'intensité des contradictions internes à
l'appareil d'Etat. Du point de vue des formes d'action utilisées par
les associations,les élus, les agents dénonciateurs en général,
on constate une grande diversité. Très souvent il est fait appel à
l'opinion publique que l'on essaye de mobiliser en même temps que
sont engagées des procédures administratives ou judiciaires.
Pétitions, occupation de terrains, référendum auprès de la
population concernée, questions écrites ou orales devant les
Assemblées élues, accompagnent les recours devant les tribunaux.
En
ce qui concerne les juridictions auprès desquelles la procédure est
conduite, « Le Monde » accorde une importance non négligeable
aux affaires soumises à une procédure administrative. Nous en avons
relevé 35 (sur 119) pour lesquelles il y a eu recours auprès d'un
tribunal administratif et, en cas de non satisfaction, appel devant
le Conseil d'Etat.
Si
nous n'avons relevé que 26 affaires caractérisées par des
jugements contradictoires entre les différents segments de
l'appareil d'Etat (17), ce sont aussi les affaires auxquelles « Le
Monde » consacre le plus d'articles. Il peut s'agir d'élus locaux
s'opposant à l'Administration préfectorale, d'un tribunal
administratif désavouant le préfet ayant accordé la dérogation,
d'un arrêt du Conseil d'Etat en contradiction avec l'octroi d'une
dérogation par le Ministre de l'Equipement. On peut citer quelques
exemples d'affaires ayant particulièrement retenu l'attention des
rédacteurs du Monde. A La Baule, un immeuble baptisé « La Coupole
» avait bénéficié d'un permis de construire arrêté avec
dérogation par l'Administration. A la suite de la requête d une
association de défense, le tribunal administratif prononça un
sursis à exécution ; le Conseil d'Etat, quant à lui exigea
l'interruption des travaux alors que ceux-ci étaient déjà bien
avancés," puis annula le permis de construire (18). A
Chanteloup les Vignes, la commune s'est vu, finalement, imposer par
l'Administration un projet de plusieurs milliers de logements, dans
le cadre d'une Z.A.C., bien que le Conseil d'Etat ait porté un avis
défavorable sur l'opération. A la suite des démarches d'une
association pour la défense et la sauvegarde du site, le tribunal
administratif demanda la suspension des travaux qui n'en continuèrent
pas moins. A Marly le Roi, c'est aussi après une intervention de
l'Administration qui imposa une opération immobilière avec
notamment une dérogation de hauteur que la municipalité soutenue
par les habitants, déposa une requête devant le tribunal
administratif, requête qui fut rejetée. Toutefois, par la suite, le
Conseil d'Etat annula le permis de construire, mais plusieurs tours
de logements étaient déjà pratiquement achevées et partiellement
occupées. A Louveciennes, le ministre de l'Equipement accorda un
permis de construire qui fut annulé par le tribunal administratif,
l'agrément pour bureaux étant devenu caduc. Un deuxième permis de
construire fut accordé mais fit l'objet d'un sursis à exécution de
la part du tribunal administratif à la suite de l'intervention d'une
association de défense qui obtint par la suite son annulation. Ces
péripéties judiciaires n'empêchent pas les travaux de suivre leur
cours.
Ces
quelques cas, sur lesquels nous nous sommes un peu attardés, ont
particulièrement retenu l'attention du Monde, qui leur a accordé à
chacun entre 10 et 15 articles. Ces affaires présentent un certain
nombre de points communs qui expliquent sans doute cet intérêt.
L'action d'associations ou d'élus aboutit à une décision d'ordre
administratif ou judiciaire qui est un désaveu des décisions
antérieures prises parfois à un très haut niveau. Toutefois la
lenteur des procédures et sans doute aussi le poids de la première
décision prise aboutissent à une situation insoluble, où par
exemple, le respect de la loi exigerait la destruction d'immeubles à
peine achevés.Non seulement le cadre de vie est dégradé, mais la
loi est bafouée et la machine administrative et judiciaire s'est
montrée inefficace, Cette lourdeur, cette lenteur des tribunaux est
souvent dénoncée par « Le Monde » qui apparaît ainsi comme le
défenseur des associations de défense de l'environnement contre
l'ordre « techno-bureaucratique » ainsi que contre l'« archaïsme
» de nombreux plans d'urbanisme et leur inadéquation aux besoins.
Une
analyse de contenu plus fine serait nécessaire pour nuancer cette
appréciation. Il est important de bien observer le plan des
articles. Nous avons constaté, par exemple, que le mot de la fin
était souvent accordé à l'Administration, que les propos des hauts
fonctionnaires étaient parfois repris implicitement à son compte
par la rédaction du « Monde », celle-ci n'utilisant pas toujours
les guillemets pour les rapporter, alors que l'usage en est presque
systématique pour les autres intervenants. Une analyse exhaustive
des titres serait également nécessaire car ceux-ci viennent modeler
l'information, d'autant plus aisément que le domaine ici abordé
peut rebuter le lecteur non spécialiste par la complexité
réglementaire et juridique des problèmes abordés, complexité
ayant sa traduction dans un jargon ésotérique (S.D.A.U. C.O.S.,
P.O.S. Z.A.C.).
Ces
indices seraient d'autant plus intéressants à recueillir et à
rapprocher que les comptes rendus du Monde tendent à présenter les
différents partenaires de manière symétrique. S'affrontent alors
des idées, des conceptions de l'urbanisme, en aucun cas des
intérêts. Les conflits sont présentés en terme de «controverse»,
de «querelle», de « polémique » (19) comme un jeu entre acteurs
dont la symétrie aboutit à faire perdre de vue les intérêts
spécifiques des uns et des autres (20).
CONCLUSION
L'image
idéologique de la dérogation présentée par « Le Monde »
s'inscrit dans celle plus générale de l'Etat innovateur et
planificateur : seuls les obstacles de la bureaucratie freinent la
bonne volonté réformatrice de celui-ci. Ainsi est dénoncée la
lenteur de l'élaboration des plans d'urbanisme, cause des
dérogations les plus nombreuses, qui aboutit à leur inadaptation
par rapport aux besoins :
«
La majorité des plans sont en effet anciens et fixent des périmètres
d'urbanisation qui ne correspondent plus aux besoins. De même, les
plafonds fixés pour la construction en hauteur dans la capitale sont
sans doute trop uniformes pour pouvoir être partout respectés. Dans
bien des cas, il faudrait refuser toute construction pour respecter
les plans. Dans ces conditions, les responsables soumis aux pressions
donnent des autorisations au coup par coup et selon des critères
souvent subjectifs. La publication des nouveaux plans d'urbanisme
(S.D.A.U. et P.O.S.) prévue d'ici à 1977 et la mise au point de
plans de limitation des hauteurs, qui seraient des sortes de plans de
paysage (21) devraient permettre de limiter ces pratiques » (22).
L'argument
de bon sens qui fait reposer sur la mauvaise qualité des plans, sur
leur rigidité et leur inadaptation devant l'évolution « spontanée
» de l'urbanisation, la nécessité de la dérogation a son
corollaire dans l'affirmation implicite de la possibilité, dans la
société actuelle, de plans assez bien conçus pour éliminer toute
pratique dérogatoire. Cependant pour « Le Monde », les choses
étant ce qu'elles sont, les promoteurs utilisent les imperfections
de la planification urbaine pour réaliser leurs projets plus ou
moins honnêtes en abusant des dérogations et en exerçant parfois
des pressions sur les fonctionnaires. La dérogation est donc ainsi
une bavure, un scandale, un acte arbitraire de favoritisme, mais
n'ayant pas d'assises structurelles dans l'appareil d'Etat lui-même.
Il n'est donc pas étonnant que soit valorisé tout ce qui constitue
un frein à la pratique des dérogations. Une grande importance est
ainsi accordée à la circulaire du 17 mars 1972 dite circulaire «
anti-dérogation » et aux commentaires accompagnant sa diffusion, et
un écho largement positif est donné à toutes les mesures assurant
la publicité des permis de construire.
Est
ainsi entretenue l'image d'un Etat agissant dans le sens de l'intérêt
général par l'élaboration d'une planification à la fois précise
et équitable permettant de conduire harmonieusement le développement
urbain sans avoir recours au scandale de la dérogation.
Monique
Pinçon
La
dérogation comme phénomène idéologique :
Sa
représentation dans le journal « Le Monde ».
Revue
ESPACES & SOCIETES
1977
SOCIALISME
& LIBERALISME LIBERTAIRE
A
l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, l'idéologie
socialiste, en matière d'urbanisme – dans le sens large du terme
comme l'ensemble des théories et pratiques d'aménagement, de la
planification urbaine aux services urbains -, partait du postulat que
la planification urbaine est un instrument d'équilibre social. D'ailleurs fort peu usité tant le président Mitterrand favorisa les grands travaux parisiens de prestige au détriment de l'urbanisme social et de l'architecture "quotidienne". La
crise économique viendra bientôt mettre un terme à toute velléité sociale ;
autant que les conséquences des lois – socialistes - concernant la
décentralisation, qui donnèrent aux élus locaux, et notamment des
grandes agglomérations, des compétences urbanistiques, auparavant
gérées ou encadrées par l'Etat, qui conserve cependant le domaine de compétence des grandes infrastructures – autoroutes, gares TGV, etc. -, et
tant qu'intervenant primordial pour le financement d'opérations
considérées stratégiques.
D'ailleurs,
la crise du financement public, incita les maires des grandes villes,
à entrer en concurrence afin d'attirer les « partenaires
privés » sur leur territoire, dans une nouvelle logique
d'aménagement fort éloignée de celle qui avait présidé à
l'élaboration des traditionnels plans d'urbanisme. Dans
ce contexte, les documents de planification et d'urbanisme sont
apparus à de nombreux maires comme de lourds carcans, susceptibles selon l'urbaniste François Ascher, de brider leurs initiatives pour attirer créateurs d'emplois et
grands investisseurs immobiliers. D'autant plus, que les grandes
villes disposaient encore à cette époque de grandes disponibilités
foncières inestimables : notamment celles des friches urbaines
dans leur proche périphérie, voire même dans les quartiers anciens
centraux. L'urbaniste Guy Henry résumait ainsi ces années de
profonds bouleversements :
« Il
est certes indéniable qu'avec la décentralisation ces années 80
ont connu un regain d'activité, un évident bouillonnement (pour ne
pas dire brouillonnement). Le nombre des concours s'est accru, des
architectes de renommée internationale ont été sollicité, et un
nombre respectable de projets de prestige ont été édifiés. Mais
pour ce qui concerne le projet urbain que la ville attend –
complexe, cohérent, ancré dans l'Histoire comme dans la société
civile -, il apparaît qu'en regard des années 70 on ait assisté à
une relative régression. Ainsi nombre de projets urbains
s'échafaudent sans véritable analyse préalable et se satisfont de
pseudo-concpets habillés de représentations graphiques séduisantes
– ceci expliquant cela -, alors qu'entre urbanisme et architecture
nombre d'auteurs pratiquent la confusion des genres, peu de projets
urbains parviennent à exprimer une « idée de ville »,
une philosophie qui transcende les contingences immédiates et
parvienne à énoncer un propos dans lequel, aux centres des villes
comme en leurs banlieues, une majorité de citoyens puissent se
sentir concernés. Sans doute, parmi les raisons qui expliquent ce
que l'on peut considérer comme le « ratage » de la
décentralisation française en matière de politique urbaine, la
vague du néo-libéralisme qui a recouvert en quelques années le
paysage idéologique et politique français occupe-t-elle le premier
rang. Les manifestations en sont multiples, qu'il s'agisse de
l'abandon d'une vision à long terme du développement urbain ou du
procédé qui consiste à accorder à la promotion privée ( au
« marché ») le verdict ultime de la validité d'un
projet, ou encore la médiatisation qui, exacerbant la concurrence
entre les métropoles, petites ou grandes, se fixe ouvertement pour
objectif de « vendre la ville », ainsi qu'il est dit, le
plus souvent sans aucune gêne, dans le langage politique courant. »
Bublex | Paris |
Dans ce contexte, l'urbanisme des dérogations s'opéra comme à l'époque précédente, légalement par la redéfinition – rapide - des plans d'urbanisme, par la création de Zone d'Aménagement Concerté [ZAC], et d'une manière générale, par les procédures d'expropriation, utilisées plus particulièrement pour les opérations destinées aux grandes infrastructures de transport, et celles concernant les quartiers anciens, où seront multipliées les expulsions d'immeubles de logement collectifs, sous le prétexte fallacieux de leur non conformité aux normes d'habitabilité.
Et
ce, dans l'euphorie générale portée par la vague libérale-libertaire, qui
fut symbolisée par Tokyo, et la politique menée par le
gouvernement conservateur de M. Thatcher, qui à partir du début
des années 1980, a brisé la tradition historique du
« town-planning » britannique, pour instaurer les
nouvelles règles du « market lead planning » :
c'est le marché qui choisit, qui décide de la croissance et des
mutations urbaines ; les pouvoirs publics suivent le marché,
l'aident, confortent ses choix, éventuellement aussi en corrigent
les excès ou en complètent les insuffisances. Mais dès la fin des
années 1980, les dysfonctionnements liés au boom immobilier urbain
et à l'accentuation des phénomènes d'exclusion sociale remirent
progressivement à l’ordre du jour la nécessité d'une
planification urbaine plus volontaire. La crise de l'immobilier mit
en évidence, peu après, les difficultés et les limites du
partenariat public-privé. D'autant plus que bon nombre de villes de
France s'étaient endettées dangereusement, et deux ou trois d'entre
elles étaient littéralement en situation de « faillite ».
Les difficultés voire l'échec financier de plusieurs grandes
opérations urbaines emblématiques des performances du privé
contribuèrent à réhabiliter progressivement l'intervention des
pouvoirs publics dans la planification et l'aménagement urbain.
LE MANAGEMENT PUBLIC URBAIN
Les
années 1980 et le début des années 1990 ont donc été celles de
la découverte dans les politiques publiques d’aménagement urbain,
de l’importance de l’évaluation des risques dans l’économie
de marché, et de la prédominance dans les décisions des investisseurs privés. Pour
les libéraux, les dégâts spécifiques et les dysfonctionnements de
la ville ne seraient que des épiphénomènes qui ne mettent pas en
cause la logique du marché, même s'ils nécessitent parfois
l'intervention d'autorités publiques agissant au nom de l'intérêt
commun pour corriger les excès du marché, ou pour faire face à ses
insuffisances et ses inaptitudes. Les théories libérales admettent
qu'un « urbanisme » réglementaire et quelques services
publics sont nécessaires, au nom notamment de la sécurité
collective, de l'intérêt des générations à venir, de
l'assistance aux exclus du marché, de l'incapacité de l'économie
marchande à répartir équitablement tous les coûts et bénéfices
de l'urbanisation ou de réaliser seule des infrastructures
collectives et des services indispensables.
Mais
les années 1990, seront celles de l'incertitude où se succèdent
euphorie boursière et crise économique, faisant de l'investissement
à long terme un exercice urbain périlleux. L'opération des Docklands à
Londres, est à ce titre exemplaire : le « laisser-faire »
qu'avait essayé de promouvoir le gouvernement conservateur a été
battu en brèche par les « développeurs » privés
eux-mêmes, qui ont réclamé et obtenu en 1991 le renforcement
législatif de la planification urbaine et l'instauration de règles
urbaines plus strictes, et donc plus sûres pour garantir leurs
investissements. Ce sera l’émergence, au tournant des années 1990,
de la notion importée du monde anglo-saxon de partenariat
public-privé (PPP), où les investisseurs privés sont conviés dès les premières phases de conception.
D'autres se spécialisent dont Nexity, promoteur immobilier, qui a créé sa filiale
Villes
et Projets
en 2004 pour accompagner les collectivités dans leur développement
territorial, à l’heure où les projets de ZAC se multiplient et où
le déficit d’ingénierie frappe la fonction publique
territoriale. De même, que la société immobilière du groupe Auchan,
Immochan, et sa filiale Citania,
spécialisée dans l’aménagement urbain. "Nous avons
développé un réel savoir-faire au sein d’Immochan, dans
l’aménagement urbain autour de nos hypermarchés",
explique Philippe Petitprez, ancien responsable de la
direction de l’aménagement et de l’urbanisme d’Immochan.
Bublex | Paris |
LES
DEROGATIONS
La
mécanique de l'urbanisme des dérogations
s'opère déjà, et depuis des décennies,
quotidiennement : le pouvoir
proprement bureaucratique repose sur la liberté qui est laissée, en
droit ou en fait, aux décideurs et aux responsables – des
préfectures, des Directions Départementales de l’Équipement
[DDE], des services techniques des municipalités, etc. - de choisir
dans l'éventail des possibilités entre l'application rigoriste et
stricte de la règle et la transgression pure et simple. Dans le
dernier cas, les transgressions à la règle s'opèrent, dans sa
forme la plus simple et la plus grossière, par la corruption de
fonctionnaires, qui octroient une autorisation indue, à la faveur
d'un maire, ou d'un investisseur contre le versement d'un pot-de-vin,
d'un bakchich ; cela peut être aussi un « service rendu »
dans le cadre d'échanges de bon procédé ("renvois
d'ascenseur") avec d'autres détenteurs de pouvoirs
bureaucratiques, ou du issus du même corps [Ponts et chaussées, ENA, Ecole des Mines, etc.] ; l'exception à la règle ou l'accommodement
avec le règlement accordé ou offert, peut être également un
"service", à un usager ou, plus normalement, à un notable
politique, agissant au nom de tel ou tel de ses "protégés",
ou de sa famille politique ; dans sa forme la plus complexe, les
mécanismes transgressifs s'appuient sur des instruments légaux :
les ZAC [Zone d'Aménagement Concerté] offrent une certaine liberté
aux investisseurs publics et privés, mais la lenteur des procédures
administratives pour leur application engagent une vision et un
projet à long terme, incompatible avec les contraintes de retour sur
investissement « rapides » exigées par le secteur privé,
ou le calendrier électoral d'un élu municipal pressé, ou d'un ministre-maire.
On
se saurait généraliser sur les cas de figure concernant ce type
d'opérations : certains ZAC constituent véritablement des
instruments d'équilibre social, apportant les meilleurs réponses
possibles aux dysfonctionnements d'une ville ou d'un quartier et constituant une source de profits et de rentes pour les investisseurs privés, d'autres,
peut-être plus nombreuses, échappent totalement à tout emprise sociale et oeuvrent uniquement dans l'intérêt des promoteurs
privés et/ou au nom d'une politique ségrégative, de maires
soucieux de « nettoyer » de la plèbe les quartiers
centraux de leur ville : tel est le cas, par exemple, à
Marseille, de la ZAC de 60 hectares « Cité de la
Méditerranée » conduite par l'architecte Yves Lion, et des
opérations de rénovations du centre ville de la ZAC Saint-Charles,
et de la Joliette.
L'urbanisme
des dérogations est affilié ainsi à la déréglementation inscrite
dans les lois du capitalisme. Les capitales du capitalisme, New York
et plus encore Tokyo se sont développé sans règles strictes outre
celles concernant la sécurité. L'on évoque ce fameux rapport
de la Commission pour
la libération de la croissance française, sous l'autorité de
Jacques Attali,
ancien
conseiller du président Mitterrand, commandité par le président
Nicolas Sarkozy, qui recommandait 300 décisions
en
s’inspirant notamment de la déréglementation mise en œuvre au Royaume-Uni, par les conservateurs.
Pour certains, il s'agit d'un véritable catalogue de propositions
d'une forme de dégénérescence de capitalisme extrême ; le quotidien Le
Figaro pourtant toujours favorable à ce genre d’orientation concédait : « Le
rapport suscite la polémique, tant il veut aller loin dans la
déréglementation ». Il inspira
cependant le président N. Sarkozy... et son vieil ami F. Hollande, pour ce qui
concerne le domaine de l'urbanisme et de l'habitat. Ces quelques
extraits sont révélateurs, véritables échos des propositions de
F. Hollande :
CONSTRUIRE
PLUS ET MIEUX
En
2006, 422 000 logements ont été créés. Afin de loger les nouveaux
ménages ou reloger ceux qui vivent dans des habitations insalubres
ou vétustes, 500 000 logements nouveaux doivent être construits par
an d’ici à 2010, puis au moins 350.000 par an au cours de la
décennie suivante. Cet impératif est d’autant plus urgent si l’on
considère les 500 000 à 735 000 ménages potentiellement
prioritaires au titre du droit au logement opposable à compter du
1er janvier 2008.
OBJECTIF
Accroître la superficie des terrains à bâtir
Le
foncier ne manque pas en France où la densité de la population est
l’une des plus faibles d’Europe. Mais il faut inciter les
communes à l’utiliser et à le rendre constructible, en permettant
à l’État de reprendre la main, en cas de nécessité. Il est
aussi nécessaire de mettre en place des mécanismes privés
incitatifs.
DÉCISION
164
Autoriser
l’État à se réapproprier le foncier disponible dans les communes
ne respectant pas les exigences de la construction de logements
sociaux prévus par la loi SRU (loi relative à la Solidarité et au
renouvellement urbain). Cela peut être fait en s’appuyant sur
l’exercice du droit d’expropriation, dont l’État reste
titulaire au titre de l’utilité publique, malgré la
décentralisation. L’État peut exercer ce droit à son propre
profit ou à celui de toute personne publique (collectivité
territoriale, intercommunalité, établissements publics, bailleurs
sociaux) ou privée (promoteurs privés non seulement pour construire
mais également gérer les logements sociaux construits). Les
communes qui n’auraient plus de foncier disponible paieront une
amende égale à la valeur des terrains non disponibles.
OBJECTIF
Construire plus
DÉCISION
165
Accroître
la hauteur autorisée des immeubles, tout en s’efforçant de
préserver des espaces non construits, en particulier des espaces
verts.
DÉCISION
166
Permettre
aux promoteurs de réaliser directement les aménagements publics et
les aménagements collectifs auxquels ils contribuent financièrement.
DÉCISION
167
Donner
aux préfets le pouvoir de relever d’autorité le Coefficient
d’occupation des sols (COS) s’il est manifestement « malthusien
».
DÉCISION
168
Permettre
une différenciation du COS selon le type de locaux : logements,
bureaux, commerces, etc.
DÉCISION
169
Assouplir
les règles de changement d’affectation des locaux, de façon à
faciliter la transformation de bureaux et commerces en logements.
DÉCISION
170
Regrouper
à l’échelon intercommunal les compétences locales en matière
d’urbanisme et d’habitat, notamment en vue de la constitution de
réserves foncières.
OBJECTIF
Promouvoir l’implication d’opérateurs privés dans la
construction et la gestion de logements socialement mixtes
Les
bailleurs font insuffisamment appel à la mise en concurrence de
prestataires, y compris venant du secteur privé, alors même qu’il
s’agit là d’une obligation juridique. Il faut donc :
DÉCISION
171
Élargir
les opérations de construction à des opérateurs de statut privé,
dans le cadre d’un appel à la concurrence et sur la base d’un
cahier des charges prédéfini.
DÉCISION
172
Promouvoir
les Partenariats public-privé (PPP) au moyen de conventionnements
permettant à terme le retour des logements construits dans le parc
libre.
DÉCISION
173
Simplifier
et clarifier les mécanismes d’aide et de financement, tant pour la
construction que pour l’entretien. Pour la construction, ces
mécanismes peuvent prendre la forme de subventions ou de prêts
bonifiés pour l’acquisition de foncier etle financement des coûts
de construction.
OBJECTIF
Améliorer l’équité du système du logement social
DÉCISION
174
Distinguer
complètement le système de financement de l’aide à la
construction de celui des aides aux locataires, afin de permettre une
analyse objective des coûts des projets et des besoins des
populations concernées.
SIMPLIFIER
ET STABILISER LES NORMES
OBJECTIF
Simplifier les normes
La
norme s’imposant à la collectivité nationale souffre d’une
division inintelligible entre les différents instruments :
directive, loi, règlement, circulaire, etc. En résultent beaucoup
d’imprécisions, de temps perdu et d’inefficacité. La
coordination entre la norme nationale et la norme européenne est mal
organisée. Cette complexité du droit crée une insécurité
juridique préjudiciable aux citoyens, notamment les plus modestes,
aux entreprises et à la croissance. Un droit incertain inhibe les
initiatives des entrepreneurs, d’autant plus s’ils sont jeunes et
veulent innover. La situation devient critique : le volume des textes
applicables a triplé en 10 ans, la moitié d’entre eux au moins
n’étant pas appliqués. Face à cette accumulation, le Parlement
n’est pas encore armé pour exercer son contrôle. Ces problèmes
ont un impact direct sur la croissance : les « coûts » engendrés
par la complexité normative ont ainsi été évalués par la
Commission européenne à 3 % du PIB européen, tandis que l’OCDE
les chiffre à 3/4 % du PIB selon les pays. Pour la France, ce coût
est estimé à 60 milliards d’euros. Toutes les enquêtes
internationales citent d’ailleurs la complexité, l’instabilité
et l’imprévisibilité normatives parmi les handicaps majeurs de la
France : comment investir ou embaucher dans un pays qui change en
moyenne 10 % de ses codes chaque année, qui a modifié 37,7 % du
code général des impôts et plus de 40 % du code du travail au
cours des deux seules dernières années ?
OBJECTIF
Réorganiser les structures politico-administratives pour simplifier
et réduire les coûts
Le
rapport peut être consulté à cette
adresse :
Convaincus des propositions de la commission Attali, les présidents Sarkozy et Hollande, à l'unisson, proposent de déréglementer un droit de l’urbanisme jugé trop « lourd ». Benoist Apparu, Secrétaire d’Etat au logement et à l’urbanisme, dans une déclaration de septembre 2009, appelait à :
« Là, il y a une commande très simple du Président de la République et de Jean-Louis Borloo (Ministre de l’Environnement et du Logement) : il faut simplifier l’urbanisme en France »
Le Secrétaire d’Etat estimait que le permis de construire était trop « compliqué », qu’il s’agissait d’un des « vrais freins à la construction » et affirmait vouloir simplifier les règles de l’urbanisme le plus rapidement possible ; la réforme du permis de construire et des autorisations d’urbanisme, entrée en vigueur en octobre 2007, semble avoir manqué son objectif premier, la clarification du Code de l’urbanisme. Il rappelait qu’il allait « faire une tournée en France pour réunir les Préfets, l’ensemble des organismes logeurs et l’ensemble des constructeurs, et leur dire :
« Maintenant, il y a les outils, il y a les budgets, il faut utiliser tout ça pour construire plus ».
De
même, François Hollande comme Nicolas Sarkozy ont sans aucun doute
été inspirés, par les architectes français constituant
l'intelligentsia, c'est-à-dire l'arrière-garde conservatrice, dont un certain nombre officie sur le projet Grand Paris. Certains
proposent le recyclage du slogan de 68 « interdire
d’interdire » - qu'ils scandaient eux-mêmes sur les
barricades parisiennes. Ce vieil adage fait ici davantage référence à la liberté que prône le libéralisme le
plus sauvage dont une des prescriptions est de se libérer de toutes
contraintes et règles. La proposition de l'architecte Roland Castro
est éloquente, intitulée :
« Déréglementer
Il
faut pouvoir développer le projet dans une situation de liberté.
Or, les réglementations urbanistiques en vigueur ont pour fonction
d’assurer la continuité, ou au mieux la confrontation banale des
projets d’aménagement et de renouvellement urbain avec ce qui
préexiste. Il faut donc déréglementer, pour être en mesure de
créer de véritables nouvelles situations territoriales.
Si
la volonté politique de faire le Grand Paris s’exprime
aujourd’hui, on peut s’interroger sur la réalité de sa
concrétisation au vu du cadre normatif et réglementaire actuel. La
somme des contraintes, l’accumulation de normes et de règlements
participent de l’inertie des projets et des retards dans
l’application des innovations.
La
politique à conduire dans le Grand Paris est l’occasion de
décorporatiser, de dénormer tout ce qui peut l’être, afin que
chaque action soit bien le fruit d’une décision politique, et non
le fruit d’une accumulation de contraintes techniques qui organise
des non-choix politiques, tandis que l’intérêt général
disparaît au profit d’intérêts particuliers ou corporatistes. À
l’échelle de la région Île-de-France et du Grand Paris en
particulier, il paraît indispensable de fusionner intellectuellement
et en projet la SNCF et la RATP. De la même manière, il n’est pas
acceptable au XXIe siècle de gérer l’inondable uniquement par
l’interdiction. En dehors du Paris historique, les fleuves et
canaux ont été uniquement considérés comme des lieux de transport
de marchandises. Une gestion intelligente de l’eau permettrait de
dépasser les contraintes en matière de construction en zone
inondable, en favorisant l’application d’innovations qui existent
et sont appliquées dans d’autres pays européens (les Pays-Bas en
particulier).
Cette
nouvelle posture permettrait d’investir certains lieux magnifiques,
écartés de toute possibilité de construire par une logique
d’interdiction qui ne fait pas sens. Cela implique encore de cesser
de construire uniquement des « boîtes » d’activités dans les
cônes de bruit. Il s’agit pour nous d’une réflexion libre,
dépassant les contraintes techniques et les contingences
corporatistes qui parasitent les projets urbains. Et surtout de ne
pas laisser les carcans institutionnels et corporatistes brider la
créativité urbaine. Il faut sortir d’une gestion protectionniste
des espaces, au profit d’une réflexion adaptée à un contexte
urbain précis. Cette posture vise à favoriser les continuités
urbaines afin d’en finir avec les enclaves liées à des
règlements ou à des contraintes d’infrastructure. »
Leurs
propositions s'attaquent à une déréglementation générale, qui
prend ici valeur d'une nouvelle réglementation plus permissive, plus incitative, concernant tous les domaines de l'urbanisme et de l'architecture –
au sens large, opérationnel, fiscal et juridique –, dont en vrac :
élever
le coefficient d’occupation des sols pour une ville dense,
permettre à chaque propriétaire d’une maison individuelle de
s’agrandir, utiliser les interstices, les délaissés
d’infrastructures, mettre fin au zonage qui réserve des zones à
l’habitat, d’autres à l’industrie, rendre constructibles les
zones inondables, avoir recours
aux « zones
d’aménagement différées »
(ZAD) dans un rayon de 1 000 à 1 500 mètres autour des gares — au
mépris total des prérogatives des communes —, et au droit de
préemption pour acquérir prioritairement les biens immobiliers, en
outre, il ne serait plus interdit de construire à moins de cent
mètres d’une autoroute ou d’une voie rapide, etc.
Ces concepteurs conservateurs, omettent volontairement de rappeler que dans l'histoire des villes, de France et d'Europe, à Paris comme à Barcelone, Londres ou Bologne, ce type de tentatives de "canaliser" les forces vives et les énergies intrinsèques au capitalisme, de les "libérer" d'un carcan au nom de l'intérêt commun, ont toutes à ce jour entraîné une catastrophe ; déréglementer, c'est ôter un cran de sécurité, c'est se priver du garde-fou d'une intense activité spéculative inévitable, inéluctable même, qu'aucun gouvernement socialiste ou conservateur, jadis comme aujourd'hui, n'a su ou ne pourra endiguer. La moindre faille sera exploitée à son maximum, - elles seront ici pléthores - autant par les ruses et l'imagination prodigieuse des groupes financiers et des professionnels, que par la masse, en l'occurrence outre les classes aisées, la classe moyenne, dont les pratiques discrètes, invisibles et incontrôlables --- de l'augmentation - illégale - des loyers, pratique courante, au choix du locataire selon sa catégorie socio-professionnelle, la location "meublée" plus avantageuse, la sous-location ou la cohabitation sans bail légal, la location saisonnière réservée au tourisme, etc.,--- accompagnent la mécanique spéculative.
L'expérience de la politique urbaine de la Barcelone socialiste des années 1980, dont la rénovation du centre ville s'est effectuée en partenariat public-privé, érigée en modèle, en exemple encore aujourd'hui par les urbanistes socialistes, est un leurre, comme l'affirme le romancier :
Tout
indique que la Barcelone qui se détruit et qui se construit est
guidée par le désir inavoué d'éliminer presque entièrement ce
qui avait fait d'elle une ville ouvrière et
littéraire. [...] Barcelone
détruit les traces archéologiques de la lutte des classes, disperse
ses quartiers résidentiels ou les réaménage pour nouveaux riches,
tranche dans le vif de ses chairs marginales et les relègue à la
périphérie, désinfecte ses gueux au point d'en faire de risibles
fantômes hantant les labyrinthes que créent les bulldozers. La
culture de l'emballage et du simulacre domine la ré-inauguration
d'une ville qui s'ouvre à la mer et aux exterminateurs de toutes ses
bactéries. J'ignore qui mettra en littérature cette ville de
yuppies, partagées entre penseurs organiques du néant et du pas
grand chose, peuplée d'employés en transit et de fast-foods
opulents.
Manuel
Vasquez Montalban
Barcelonas
Barcelone, modèle socialiste de la politique urbaine, marque peut-être l'aggiornamento idéologique du socialisme européen dans le domaine de l'urbanisme ; bien avant la catastrophe et la faillite de l'Espagne, due à l'immobilier - incontrôlé -, sous un gouvernement socialiste.
Barcelone, modèle socialiste de la politique urbaine, marque peut-être l'aggiornamento idéologique du socialisme européen dans le domaine de l'urbanisme ; bien avant la catastrophe et la faillite de l'Espagne, due à l'immobilier - incontrôlé -, sous un gouvernement socialiste.
DEMOCRATIE
URBAINE
Pour
Nicolas Sarkozy comme François Hollande, la démocratie n'est plus
un élément pouvant servir de contre-pouvoir aux exigences de
l'ordre capitaliste. La participation citoyenne, la démocratie
directe et autres instruments de "concertation" sont impitoyablement
proscrits, ou réduits à n'être que des espaces d'information, de propagande. Pour
le Grand Pari de N. Sarkozy, l'on fixe
par décret les projets d’intérêt général (PIG) et l'on imposer
ainsi, à une collectivité, les projets. Les enquêtes publiques
lancées sur les « projets
territoriaux »
emportent, de fait, la mise en compatibilité avec tous les documents
d’urbanisme (SDRIF, schémas de cohérence territoriale, plans
locaux d’urbanisme, cartes communales). Avec ce dispositif, les
maires perdent tout pouvoir sur la gestion de leur commune en matière
d’aménagement comme pour le reste. Selon le journaliste Samy
Hayon : « Le projet de loi du Grand Paris est un
formidable coup d’accélérateur à la déréglementation, aux
privatisations et à la spéculation. C’est pour y parvenir que les
élus locaux doivent être dessaisis de leurs prérogatives. En ce
sens, le projet du Grand Paris est indissociable des projets de
réformes des collectivités locales et de la fiscalité. »
La
nouveauté des propositions de F. Hollande est de limiter les recours
légaux des citoyens, et de les pénaliser au besoin, par une amende. Le président Sarkozy y songea peut-être mais n'osa pas le faire... Au-delà des dérives du NIMBY, [Not In My Back Yard], il vous sera désormais difficile de prendre le chemin légal pour contester une opération dévalorisant votre bien immobilier ou portant de graves préjudices visuel, sonore, d'ombres portées, etc, dégradant votre environnement. Rappelons que les années 1960-70 de dérogations réglementaires, d'immeubles de grande hauteur et de rénovations déportations, auront été celle d'une intense activité contestataire populaire et spontanée : celle des luttes urbaines, pour le droit au logement, rejoignant par la même occasion les luttes ouvrières. Elles alimentèrent le mécontentement général de la population mais également les positions radicales révolutionnaires des maoïstes de la Gauche prolétarienne. Ce mécontentement, qui porta F. Mitterrand au pouvoir, risque aujourd'hui, l'analyse de François Hollande est sur ce point lucide, de faire le jeu politique de l'autre extrémité.
Laissons le dernier mot à l'architecte urbaniste barcelonais Oriol Bohigas :
« La
seule réflexion que je peux avoir concerne la relation de la ville
avec le futur politique du monde. Elle consiste donc à envisager
deux futurs : le futur immédiat et le futur à long terme. Le futur
immédiat est le présent de toutes les villes européennes qui sont
en train de devenir le résultat direct du capitalisme sauvage. Les
exemples de Londres, de Berlin, de Paris et de tant d'autres villes
sont simplement ceux de la demande de l'exploitation capitaliste la
plus directe. Le futur immédiat, c'est donc cette ville horrible,
chaotique, spéculative comme invention du capitalisme. Cela ne
devrait pas durer. On dit toujours que la crise économique est la
conséquence de la fin du communisme. Je pense au contraire que c'est
la conséquence de la fin du capitalisme, que c'est la fin d'une
situation économique et sociale qui ne peut plus continuer.
Je vois
donc le futur à long terme dans le retour à la ville socialiste. On
devrait opérer une révision du marxisme et appliquer les vieilles
idées du socialisme plus dur pour réformer à nouveau les villes,
comme on l'avait fait au commencement de ce siècle. Peut-être qu'à
la fin de ce siècle ou au début du prochain on retrouvera cette
ligne de moralité, d'équilibre social et d'intervention de
l'urbanisme et de l'architecture dans les grands événements
éthiques de la société. »
NOTES
(*)
Cet article est extrait d'un travail mené
en
collaboration avec Edmond Préteceille sur
les
pratiques de la dérogation en matière d'urbanisme.
(1)
Emmanuel Derieux, Jean Texier,. La Presse Quotidienne Française,
collection U.2,
Armand
Colin, 1974.
(2)
Quelques pratiques dérogatoires ont pu être classées dans les
dossiers « Environnement » et « Grands ensembles » que nous
n'avons pas dépouillés.
(3)
En procédant à l'analyse des articles consacrés par « Le Monde »
aux pratiques dérogatoires, nous avons- mis en lumière certains
traits de l'idéologie de la dérogation présentée dans ce journal.
Toutefois, comme nous ne disposions pas par ailleurs d'une base
statistique exhaustive de l'ensemble de ces pratiques, il nous a été
difficile d'apprécier la fidélité du reflet qu'en donne « Le
Monde » .
(4)
Monique Pinçon, Edmond Préteceille : Introduction à l'étude de la
planification urbaine en région parisienne. Histoire des plans et
éléments de méthode. CSU, 1973. Edmond Préteceille (avec la
collaboration de Tomazo Régazzola) : L'appareil juridique de la
planification urbaine. Les plans d'urbanisme de 1958 à 1970. CSU,
1974.
(5)
Source : article 49 du règlement du projet d'aménagement de la
commune d'Ivry-sur-Seine
approuvé le 21.2.1933.
(6)
Il s'agit alors d'articles plus généraux dénonçant les
difficultés d'élaboration et d'application des plans d'urbanisme,
l'utilisation de la procédure ZAC comme régime d'exception, le
manque d'information du simple citoyen concernant les permis de
construire accordés...
(7)
L'année 1975 n'a été dépouillée que jusqu'au 30 octobre.
(8)
Notons en particulier la création du District de la région
parisienne, des O.R.E.A.M. (Organismes d'Etudes des Aires
Métropolitaines), le vote de la loi d'orientation foncière...
(9)
Yves Fourtune : Les dérogations aux règles d'urbanisme. Mémoire de
l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. Paris, juin 1973.
(10)
Parmi ceux dont l'appartenance politique est donnée, il y a 10 élus
de la gauche dont 7 communistes, 5 membres de la coalition
actuellement au pouvoir et un gaulliste de gauche. Parmi ces élus on
compte surtout des élus locaux (conseillers municipaux et généraux)
et quelques députés. Certains particulièrement actifs apparaissent
plusieurs fois.
(11)
Les élus interviennent bien le plus souvent en tant que membre d'un
parti politique, mais en s'appuyant sur leur mandat électif. Les 3
exemples de parti politique intervenant en tant que tel sont
illustrés 2 fois par le P.C.F., 1 fois par le P.S., ce par les
sections locales concernées.
(12)
Un article du 24.1.1973 confirme indirectement ce point de vue
puisqu'il y est dit que « pour apaiser les habitants de Chanteloup,
le programme a été légèrement modifié : le nombre de logements
de la seconde tranche a été diminué, une cité de transit devrait
être transférée dans une autre commune et un foyer de travailleurs
immigrés déplacé ».
(13)
La quasi absence des constructions d'usines dans les affaires de
dérogation s'explique en partie par le fait que la plupart des
problèmes liés aux entreprises industrielles (implantations,
pollution...) sont traités dans le dossier « environnement » et
n'apparaissent dans le dossier urbanisme ou construction que s'il est
expressément fait mention du terme dérogation. Cette restriction
est d'ailleurs significative de la structuration du champ idéologique
sur ces questions : usine égale pollution plus qu'urbanisme.
(14)
Pour ces deux départements, les ajustements mineurs représentent 55
% du nombre total des dérogations accordées.
(15)
Les objets des dérogations sont plus nombreux que les affaires
recensées : en effet dans certains cas, pour la même opération
immobilière, il y a en fait plusieurs dérogations portant sur des
objets différents. Ainsi les 105 cas de dérogation proprement dite
représentent 123 objets différents de dérogation.
(16)
L'ancien ministre de l'Equipement avait été Président directeur
général de la SERDI, avant d'occuper son poste ministériel, cette
société contrôlant fa S.C.I. « Résidence du
Parc de Béarn ».
(17)
Il est probable que ce nombre est en fait beaucoup plus élevé,
certains recours auprès des tribunaux administratifs ayant pu
aboutir à un sursis à exécution ou à une annulation de permis de
construire sans que cette décision ait fait l'objet d'un nouvel
article à moins qu'elle n'ait été rendue qu'après
la fin de notre enquête.
(18)
Depuis, le P.O.S. de La Baule «a été redéfini, si ce qui hier
était interdit, est devenu possible aujourd'hui. Dans le secteur du
casino de La Baule où s'édifie « La Coupole », une hauteur
moyenne de 40 mètres est désormais acceptée, hauteur qui
auparavant était limitée à 18,5 m. L'association de défense du
site demande l'annulation de ce plan d'urbanisme à l'élaboration
duquel ont participé « des gens qui avaient des intérêts
personnels à ce qu'il en soit ainsi », c'est-à-dire les promoteurs
du dit immeuble. (Le Monde du 26.27.10.1975). Le tribunal
administratif a tout récemment rejeté le recours. (Le Monde du
28.4.1976).
(19)
Cf. « Le Monde » du 19.9.1972 : « Controverse sur la Défense ;
11.10.1972 : « La querelle sur les immeubles-miroirs de la Défense
va relancer l'affaire ». 8.2.1974 : « Controverse » à Villefuif
». « Controverse » qui oppose les élus communistes et les
habitants de cette commune à la COGEDIM (Filiale de" la Banque
de Paris et des Pays-Bas) au sujet d'un des rares espaces verts de
Villejuif, remis en question par un projet d'opéra-
(20)
On se reportera aux analyses d'Aimé GUEDJ et de Jean GIRAULT. « Le
Monde » « Humanisme, objectivité en politique ». Editions
Sociales, Collection* Notre Temps, 1970.
(21)
Souligné par nous.
(22)
« Le Monde » du 6 février 1973 « Pourquoi des dérogations ?
»
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