Jean Nouvel | Nemausus | Nîmes |
On
vit en HLM les uns sur les autres
Les
lits superposés, j'ai rien connu d'autre
On
a la rage mais comment rester sage
On
vis en marge, en gros on est tous barges
Souvent
les huissiers à ta porte font éruption
Si
tu payes pas ton loyer c'est l'expulsion [...]
Ta
boite aux lettres est pleine de rappels et d'assignations
Ouais
mec c'est ça notre vie
Groupe
rap « 113 »
Les
Princes de la Ville | 1999
Des
architectes dont la renommée n'est guère suffisante pour leur
ouvrir les tribunes des grands médias, constatent depuis plusieurs
années maintenant, une tendance à une progressive diminution des
surfaces habitables des logements neufs du parc social, que l'on peut
associer aux revendications d'associations de locataires qui dressent
chaque année, le bilan d'une augmentation jugée excessive, des
loyers et des charges, notamment en cas de [éco]-rénovation
d'immeubles HLM.
La
question de l'habitabilité des logements HLM, et notamment de leurs
surfaces, a été pendant longtemps, après 1968, une préoccupation
des architectes les plus engagés politiquement. Même si dans la
pensée marxiste et selon la critique d'Henri Lefebvre [1968], il
était dangereux d'« attribuer certains ''maux sociaux'' aux effets
pathogènes de certains espaces considérés comme ''malsains.''»
Mais
dans le domaine particulier de l'habitat social, certains considèrent
encore, ainsi que de nombreuses études l'ont démontré, que
par-delà les simples critères de confort, l'architecture pouvait produire effectivement des vertus conviviales ou, au contraire des
potentialités pathogènes. L'architecte Jean Renaudie, spécialiste
de l'habitat social résumait ainsi en 1977, cet état d'esprit :
« Je
n’attribue pas un pouvoir démentiel à
l’architecture. [...] L’architecture ne crée pas les
conditions sociales mais, par contre, une solution d’architecture
n’est pas innocente, elle n’est jamais sans conséquences. Elle a
toujours une influence sur la pratique sociale, elle peut favoriser
ou contrarier certaines pratiques sociales. »
De
même, les architectes estiment
que les normes fixées par l'administration sont aujourd'hui en
parfaite incohérence avec les nouveaux « modes »
d'habiter ; d'une manière générale, ils évoquent le
cocooning,
le « recentrage sur la vie domestique »,
c'est-à-dire l'augmentation du temps passé à domicile, du fait de
la diminution du temps de travail, du chômage, et de l'accroissement
des dépenses d'équipement domestique [télévision plasma grand
écran, Home-vidéo, ordinateur, console de jeux, etc.],
l'étroitesse
des chambres d'enfant de 9 m², véritables cellules de pénitent
lorsque l'enfant devient adulte et captif du
logement et du soutien familial,
celle de la cuisine à l'époque du tri sélectif, etc. La
« grille » normative administrative des surfaces minimum
– maximum pour les bailleurs - pour les logements sociaux, impose :
Cuisine
: 8m²
Salle
de bain : 3m²
WC
: 1 m² - Attention aux nouvelles normes handicapés - un fauteuil
doit pouvoir se placer à côté de la cuvette.
Chambre
enfant : 9m²
Chambre
parentale : 12m²
Séjour :
18 à 20 m², selon les bailleurs et le type du programme
Si
l'augmentation des loyers est facilement évaluable, aucune étude
sérieuse vient étayer les propos des architectes concernant la
diminution des surfaces habitables dans les constructions neuves, qui
fait pourtant débat dans le cercle restreint de l'architecture. Ce
phénomène est constaté plus particulièrement dans les zones
denses des grandes villes, et ils
l'expliquent par la raréfaction et les coûts importants du foncier,
qui selon les lois de la finance – administrative – et des
bailleurs sociaux, imposent de mieux utiliser les m² de terrain
disponible et de réduire les coûts de construction, en diminuant la
taille moyenne des logements. Aux « difficultés »
financières s'ajoutent encore une
accumulation de règlements, de normes, labels et autres
certifications [normes d’accessibilité aux PMR (Personnes à
Mobilité Réduite) ou encore aux normes environnementales (HQE, BBC,
RT2012), etc.], faisant dire aux concepteurs qu'elles ont
considérablement diminuées la créativité architecturale, et la
diversité des approches, mais aussi la surface habitable des
logements. Ainsi, les architectes confrontés à ce type de programme
social portent leurs efforts, dans les limites strictes de
l'enveloppe financière, sur les façades - le plan étant déjà
pratiquement défini. Leurs inquiétudes légitimes expriment les
dangers d'une banalisation des espaces, et d'appauvrissement de la
réponse architecturale, leur rôle consistant à adapter au mieux
"LE" plan type idéal, imposé, dessiné logiquement par
l'ensemble de ces contraintes. Les architectes Catherine Carpentier &
Emmanuelle Colboc, estiment ainsi :
« On
sait aussi que dans les années 1995, un logement social de 3 pièces
mesurait entre 65 et 70 m2, quand il n’atteint plus aujourd’hui
que 60 à 64 m2 afin de minimiser le montant des loyers. La loi sur
l’égalité des droits et des chances, qui a débouché entre
autres sur la réglementation d’accessibilité, impose que tous les
logements construits ou réhabilités respectent maintenant un
certain nombre de prescriptions dimensionnelles. Le cumul des
surfaces imposées atteint aisément 15 à 20 m² suivant la taille
du logement : ces m² « utilisés » dans les salles-de-bains, les
WC..., principalement pour la rotation d’un fauteuil roulant, sont
évidemment déduits des autres pièces, à savoir les pièces de
vie.
Ainsi,
on constate que dans le 3 pièces de 1995, le salon mesurait entre 24
et 27 m² quand il atteint difficilement aujourd’hui les 20 m².
Les promoteurs et bailleurs sociaux ne souhaitent pas diminuer le
nombre de logements construits, donc les surfaces par logement ne
sont pas augmentées. L’élaboration d’un immeuble de logements
devient un exercice de haute-voltige, alors même que la pression est
croissante. Le mieux est l’ennemi du bien, dit le proverbe. En
d’autres termes, à force de vouloir trop bien faire, on finit par
en faire trop, ce qui conduit à des résultats contraires à ceux
qui sont nécessaires aujourd’hui, à savoir réactivité et
rapidité d’exécution pour abriter les 3,5 millions de français
non ou mal-logés. »
VÉRITABLE
RÉGRESSION SOCIALE ?
"Dans
une Nation libre où il n'est pas permis d'avoir des Esclaves, les
plus sûres richesses consistent à pouvoir disposer d'une multitude
de Pauvres."
B.
de MANDEVILLE *
L' adaptation au contexte économique « difficile », le réajustement
nécessaire des financements et des surfaces habitables, pour pouvoir loger le plus grand
nombre, sont évoqués, mais d'autres
formulent des propositions aussi dangereuses qu'inquiétantes :
Benoist Apparu, député UMP, ancien ministre du Logement,
évoquait ainsi, il y a peu, de
« réduire la taille des logements » et « suspendre l'application de normes de construction ».
Des starchitectes estiment nécessaire cette "réduction" des surfaces habitables qui doit être une priorité dans les zones denses des villes, "relevant du bon sens et répondant à l’évolution de notre société". L'architecte-homme d'affaires Yves Lion | Groupe Descartes, propose pour un autre public, dans le cadre de sa mission Grand Paris :
« réduire la taille des logements » et « suspendre l'application de normes de construction ».
Des starchitectes estiment nécessaire cette "réduction" des surfaces habitables qui doit être une priorité dans les zones denses des villes, "relevant du bon sens et répondant à l’évolution de notre société". L'architecte-homme d'affaires Yves Lion | Groupe Descartes, propose pour un autre public, dans le cadre de sa mission Grand Paris :
« Afin
de sortir certaines familles des logements insalubres il faut
construire des produits moins coûteux, peut être plus petits que
nécessaires mais qui peuvent être construits rapidement pour
répondre aux situations d’indigence de certains ménages.»
Selon
l'INSEE, au 1er janvier 2012, la France comptait 4,5 millions de
logements sociaux, soit 15 % des résidences principales. Le
financement de nouveaux logements sociaux a atteint un niveau record
de 130 000 habitations en 2010, inédit depuis 30 ans. L’évolution
est restée soutenue en 2011 avec plus de 116 000 nouveaux logements
financés. Mais, selon les analyses de l'INSEE :
« ces
nouveaux logements sont souvent destinés à des ménages plus aisés,
et le parc de logements disponibles n’augmente pas aussi vite que
les besoins.»
L'Observatoire
des Inégalités observe que « faute
de logements ou du fait de logements inadaptés, la situation devient
inextricable dans certains territoires. D’un côté, les bailleurs
sociaux ne disposent pas assez de places pour loger les plus démunis,
notamment en Ile-de-France. Des dizaines de milliers de personnes
vivent dans des situations très difficiles, notamment les jeunes. De
l’autre, pour éviter de cristalliser les difficultés sociales, il
leur faut éviter de concentrer les populations les plus pauvres et
garantir un minimum de mixité sociale de leur parc...»
Offensive
dans un cadre plus général, contre les
acquis sociaux, justifiée par une conjoncture défavorable ? Il
s'agirait plutôt d'une radicalisation d'une politique de l'habitat
engagée depuis le premier ensemble d'habitat social, car depuis leur
origine, pour l'Etat, agent de la reproduction sociale, le logement
social n'a fait, à travers le feuilletage social qu'il
implique, qu'exprimer dans la structure de l'habitat, les divisions
de la production : de l'immeuble HLM pour l'aristocratie
ouvrière, aux cités de transit pour les immigrés européens, et
les foyers Sonacotra pour les immigrés de l'Afrique. Dès
la fin des années 1950, les "dangers" et les
dysfonctionnements qui agitaient déjà les grands ensembles,
commençaient à être plus que perceptibles. Or, près des deux
tiers des logements en grands ensembles dans la région parisienne
ont été bâtis après 1965, encore près d'un tiers dans les années
soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Cette
persévérance dans l' "erreur", malgré la multitude
d'études et d'analyses critiques émanant d'experts de la ville et de l'habitat, et des services
mêmes de l'Etat désignant les dysfonctionnements, en est la preuve
formelle.
Comme
toute l’organisation de la distribution des biens est liée à
celle de la production et de l’État, on rogne sans gêne sur toute
leur ration, de nourriture comme d’espace,
en quantité et en qualité.
Guy Debord
In girum imus nocte et consumimur igni |1978
NORMES
et
STANDARDISATION TECHNOCRATIQUE
Déjà
en
1936, une enquête parue dans la Revue Internationale du Travail,
critiquait les conditions de logement des ouvriers français, par
rapport à leurs homologues européens dans les grandes villes :
- 72 % des ouvriers français habitaient des logements de moins de 3 pièces (contre 56 % en Italie, 52 % en Allemagne, 19 % en Angleterre) —
- la superficie par pièce était estimée à 8 m² à Paris, et 12 m² à Lyon, contre 15 à 21 m² dans les grandes villes d'Italie, ou 17 à 20 m² à Stockholm.
Après
la guerre, la standardisation des techniques de construction va se
traduire, dès 1953, par une volonté politique de normalisation des
logements sociaux. Un système de normes est mis en place et est
appelé à se généraliser, afin d'établir un cadre précis pour
leur financement public. Il définit des surfaces des pièces et des
logements, les hauteurs sous plafond, les équipements des logements,
etc. C’est notamment le programme du LOGECO, logement économique
normalisé, qui va s’imposer jusqu’en 1963.
Les
sociologues des années 1950-60 qui s'occupaient du domicile ouvrier,
constataient déjà, que dans certains cas particulier, notamment
dans les grandes villes, les
normes de surface de logement social avaient tendance à diminuer,
dans l’objectif de tenir dans les prix plafonds de construction qui
délimitaient les aides de l’Etat. En 1953, un logement social
locatif devait se soumettre à ces normes minimum de surface,
prescrite par l'administration :
- un deux pièces 34 m² [46 m² en 2013]
- un trois pièces 45 m² [60 m²]
- un quatre pièces 53 m² [73 m²]
- un cinq pièces 63 m² [88 m²]
- un six pièces 77 m² [99 m²]
Ces normes restaient en deçà des moyennes observées à l’étranger à la même époque. L’opération « Million » (1953) et le programme de LOPOFA (1954) ont notamment pour objectif la construction de logements de 3 pièces, de 50m², pour un million de francs, soit moitié moins que le coût habituel d’un logement social. Selon le sociologue Chombart de Lauwe, la norme légale et la « limite sociologique » en deçà de laquelle s'ouvrent les terres de la pathologie domestique, est estimée pour un logement à 14 m² par personne. Selon son étude conduite en 1954, sur un échantillon raisonné d'ouvriers parisiens (132 ménages), sa norme de 14 m² par personne ne se trouvait excédée que pour 10 % de la population :
- 65 % des ménages disposaient de moins de 10 m² par personne (annexes comprises),
- 30 % de moins de 6 m²,
- 7 % de moins de 3 m².
Selon
une autre étude pour la Région parisienne, les pourcentages des
catégories socio-professionnelles se trouvant en deçà du seuil
critique sont respectivement de :
- 48,2 % pour les manoeuvres,
- 40,3 % pour les ouvriers,
- 37,7 % pour les ouvriers spécialisés,
- 20,3 % pour les employés,
- 19 % pour les artisans ou petits commerçants,
La valeur moyenne du logement (tous statuts confondus), est évaluée à 62 445 francs pour les manoeuvres, 76 334 pour les OS, 83 817 pour les OQ, à 192 532 francs pour les industriels et gros commerçants et 234 261 francs pour les professions libérales. Les écarts sont ici extrêmement marqués.
SUR-POPULATION
Dès la fin des années 1950, les critiques s'appliqueront à dénoncer les cas de sur-population dans les grands ensembles d'habitat social qui vont progressivement concentrer une population captive de ses trop faibles revenus, familles le plus souvent nombreuses trop à l'étroit dans leur logement. L'enquête de R. Caillot menée en 1959, auprès de locataires de groupes d’immeubles dans la région parisienne et des grandes villes françaises, critiquait l'enfermement de l’être humain dans des normes et non pas dans un « épanouissement subjectif », la politique d’attribution des logements, et la sur-population :
«
Combien de ménages se voient attribuer généreusement un F1 (une
pièce, une cuisine) ou mieux un F2 (une salle de séjour, petite,
et une chambre, petite aussi) sous prétexte qu’ils ne sont que
deux ? Or souvent, 3 ou 4 ans plus tard, la famille a doublé et la
salle de séjour se transforme en chambre des enfants. »
Sur-population
due en partie, aux normes fixées à partir de 1942, par les
gouvernements successifs, établies pour privilégier les
appartements de trois et quatre pièces, au détriment des studios et
des grands appartements, alors qu’ils ne l’étaient pas dans les
HBM de l’entre-deux-guerres, ni dans les programmes de logements
sociaux à l’étranger. Un article de
L. Caro, intitulé « Psychiatres et
sociologues dénoncent la folie des grands ensembles »,
paru dans la revue Science et Vie de septembre 1959, esquissait,
selon les conclusions d'experts, une liste de pathologies affectant
les résidents de ce type d'habitation. Après les problèmes liés
aux bruits, vient le manque d’espace, et la sur-occupation des
logements :
«
L’anxiété des murs étreint la ménagère condamnée à attendre
les siens dans des "surfaces habitables" de 10 à 12 m²...
C’est d’ailleurs dans les faubourgs suburbains que le médecin
rencontre le plus grand nombre de cas de déprimés et d’excités,
de consommateurs de fortifiants et de tranquillisants, d’asthéniques
et de psychasthéniques, de gosses retardés et caractériels, de
candidats aux suicides. Il faudra bientôt consacrer tout un traité
de médecine et de névrose aux banlieues ! »
La
révolte de 68 gronde encore, les nouveaux mouvements sociaux urbains
se multiplient dans toute la France, et l'on critique autant les
rénovations destructrices des vieux quartiers populaires, que les
autoroutes urbaines et les grandes cités d'habitat social,
opérations radicales condamnées unanimement par l'ensemble des
professionnels de la ville et de l'architecture. Les jeunes
architectes proches de la gauche critiquaient la différence notable
des surfaces habitables des habitations ouvrières à celles
destinées aux classes supérieures,
bien moindres par rapport aux Immeubles à Loyer Normal [ILN]
réservés à la classe moyenne, et plus encore, aux immeubles de
standing. Selon
une enquête de l'INSEE de 1973, l'indice par catégories
socio-professionnelles est de :
- 17,4 m² pour les manoeuvres,
- 18,1 m² pour les Ouvriers Spécialisés,
- 18,7 m² pour les Ouvriers Qualifiés,
- 20,6 m² pour les contremaîtres,
- 22,3 m² pour les employés,
- 24 et 25 m2 pour les cadres moyens, artisans ou petits commerçants,
- 32 m² pour les gros commerçants et industriels,
- 35,3 m² pour les professions libérales.
Selon la même étude, le propriétaire a, en moyenne bien sûr, toujours plus de surface que le locataire : 3,2 m² de plus pour les O.S. et les O.Q., 4,1 m² pour les employés, 8,3 m² pour les professions libérales. En outre, faut-il souligner le nombre de résidences secondaires, les « maisons de campagne » : en 1971, 28,1 % des ménages des professions libérales et cadres supérieurs disposaient d'au moins une résidence secondaire, 13,9 % pour les patrons de l'industrie et du commerce, 16,8 % pour les cadres moyens, 9,9 % pour les employés, et 5,4 % seulement pour les ouvriers.
L'ETAT
Tant
de manifestations, d'opinion défavorable que révèlent la presse
quotidienne, alimentent la volonté de réforme des jeunes
administrateurs de l'Etat, qui après 1968, intègrent des postes à
responsabilité dans les ministères. Jeunes réformateurs à
l'écoute populaire et des philosophes de renom qui s'associent à
leurs luttes, grands administrateurs de l'Etat plus âgés du Parti
socialiste vont s'opposer frontalement aux ministères et organes
gaullistes de Pompidou et de Giscard d'Estaing, où se profilent les
premières suggestions et
pressions visant à réintroduire le logement social dans l'économie
de marché. Les instances opérationnelle
et décisionnelle de l'Etat, dans le domaine du logement, sont
d'une extraordinaire complexité, labyrinthe qui sera le lieu propice
pour la confrontation discrète, sur les formes souhaitables de
l'aide publique : le
Ministère de l'équipement, créé en 1966, composé de structures
centrales et locales (DDE), assure la Direction de la construction,
chargée de la gestion de l'aide à la pierre (et responsable à ce
titre de 400.000 logements en 1974), de la tutelle des maîtres
d'ouvrages (HLM, sociétés d'économie mixte) et de l'élaboration
d'un cadre juridique de la construction [1].
CHANEAC | Manifeste de l'architecture insurrectionnelle | 1968 |
Une nouvelle instance, le Plan Construction est créée, un « Programme interministériel de stimulation de la recherche et de l’expérimentation dans la construction et précisément dans l’habitat ». Une instance qui s'occupera particulièrement de l'habitat social et des architectes de la partie la plus culturellement ou politiquement engagée contre les pouvoirs publics. Certains y voient une sorte d'institutionnalisation de la contestation « architecturale », alors très active, et l'on peut dire que cette instance jouera parfaitement son rôle contre-subversif : la plupart des jeunes architectes « gauchistes » obtiendront une mission d'étude, ou bien seront invités à participer au concours PAN [Programme Architecture Nouvelle], et les lauréats seront récompensés, pour la plupart, par une réalisation aidée et financée en partie par des « subventions nationales » sous forme de PLA (prêts locatifs aidés). Les commandes publiques affluent vers ses jeunes subversifs, qui sont chargés d'imaginer de nouveaux types de logements, parfois réalisés : l'habitat modulaire, l'architecture proliférante, etc., ou l'on tente d'introduire dans les programmes des pièces « communes », ou des potagers « communautaires », etc. Robert Lion, directeur de la construction exposait en ces termes la mission du Plan Construction :
«
L’État intervient à ce stade pour soutenir la diffusion sur le
marché des projets qui, sans son concours, ne passeraient pas le
stade du prototype ou de la série expérimentale, soit que la
nouveauté provoque l’hésitation des maîtres d’ouvrage, soit
que les investissements préalables nécessaires ne puissent être
envisagés si une commande d’amorçage n’est pas organisée… »
A
forces de publications, de congrès, de formations, etc., la
recherche fait effectivement un prodigieux bond en avant, mais les
réalisations de l'instance de la
politique expérimentale officielle,
seront peu nombreuses, certes innovantes mais pas forcément
convaincantes, ni même d'une qualité exceptionnelle ;
l'avancée la plus significative s'exprimera par l'adjonction de
surfaces extérieures – donc moins coûteuses - : larges
balcons, terrasses plantées, et loggias égayèrent les formes et
procurèrent aux habitants de nouveaux espaces de vie,
des prolongements externes des appartements, des ouvertures vers la
vie publique, marquant une transition entre privé-public,
intérieur-extérieur.
La
réalisation la plus spectaculaire et ambitieuse sera conduite par le
jeune architecte, lauréat de la première cession du concours PAN en
1972, Vladimir Kalouguine, qui obtiendra les financements nécessaires
pour la réalisation de l'ensemble
de logements sociaux expérimentaux, dans le quartier Pasteur-Mon plaisir,
dans les faubourgs d'Angers. Un ensemble remarquable mais la
conception hasardeuse et les problèmes techniques insurmontables,
pour l'époque, obligeront l'architecte à abandonner son idée de
façade entièrement végétalisée ; concept aujourd'hui très-à-la-mode. Les façades seront donc enduites, appauvrissant
considérablement la qualité architecturale, tandis que les défauts
d'étanchéité des terrasses-jardins apporteront leurs lots de
fuites d'eau, d'humidité, de plafonds qui s'écaillent et de pièces
glaciales en hiver. «
Construits à une période où Angers a beaucoup développé son
habitat social, les Kalouguine
étaient très demandés, au début. Les gens étaient fiers d'y
habiter » se
souvient Jean-Michel Hivert, directeur de la communication d'Angers
Habitat :
« L'idée de bâtiments végétalisés était vraiment
nouvelle. Mais le procédé n'était pas adapté à la durée et à
nos latitudes... On
a eu beaucoup d'infiltrations, ça a été coûteux. »
Les Rochers
angevins
végétalisés de Kalouguine ne feront pas modèle, aucune autre cité
de ce type en France ne sera construite, malgré le label Plan
Construction
: interrogé à ce propos, Kalouguine répond en riant
: «
Personne, ensuite, n'a voulu avoir les mêmes ennuis ! »
L'on
peut comparer Les Rochers, financés HLM, avec l'immeuble Casanova à
Ivry-sur-Seine, conçu par l’architecte Renaudie, livré en 1972, Immeuble à Loyers Normalisés (ILN).
Les terrasses plantées qui caractérisent cette opération doivent
pour Jean Renaudie « jouer un autre rôle, […] un rôle social.
Elles facilitent les contacts entre les habitants de l’immeuble,
parce que les logements sont très imbriqués les uns aux autres. On
s’est arrangé dans l’organisation d’ensemble pour que d’un
logement, on en voit beaucoup d’autres. La terrasse du voisin du
dessus surplombe, on surplombe le voisin inférieur, tout en ayant
une vision d’ensemble de toutes les terrasses » [Interview AMC,
n°45, 1978].
Le logement social occupa tout au long des années 1980, une place importante dans la pensée architecturale, mais l'aspect sociétal qui était prépondérant, sera en grande partie évincé des discours avec
la fin des grandes idéologies libertaires, de la période des grands
ensembles correspondant à l’avènement des grands lotissements
pavillonnaires, sortes de cités sociales horizontales présentant,
selon Bourdieu, les mêmes caractéristiques que les HLM verticaux.
Le Plan Construction est désormais le salon des anciens architectes
« subversifs », gauchistes ou maoïstes des années 1970.
L'instance poursuit les recherches, et distribuent généreusement
les subventions pour la réalisation d'opérations de moins en moins
expérimentales, tandis que certains déplorent son dédain pour les
questions fondamentales, telle la réforme du financement du logement
social ou la question du foncier et du financier. La critique
jusqu'alors héroïque est muselée, de même les Écoles
d'architecture où le réseau ex-gauchiste bien implanté, professe à
présent, les bienfaits de l'« architecture urbaine »,
entre modernisme modéré à échelle humaine, et retour aux formes
classiques de la ville. L'architecte post-moderne Rem Koolhaas
ébranla l'édifice sans peine, Jean Nouvel lui porta le coup de
grâce.
JEAN
NOUVEL
« Le
petit logement a souvent été symbole d’oppression »
Jean
Nouvel, encore chevelu et préoccupé socialement, dans la décennie
80, ré-aborda frontalement la question par cette formule-slogan :
«
Un beau logement, c’est un grand logement ; une belle pièce, c’est
une grande pièce ».
Recherches
patientes et déclaration suivies de la construction de quatre
opérations de logements sociaux à Saint-Ouen, Nîmes, Tours et
Bezons. L'opération Nemausus à Nîmes est la plus emblématique :
pour Jean Nouvel [et Jean-Marc Ibos, Jean-Rémy Nègre et Frédéric
Chambon], le défi est de réaliser, à coût égal, des
appartements dont la superficie est supérieure de 30 % à celle des
HLM ordinaires.
«
L’essentiel à mes yeux est d’agir sur la nature du logement,
afin que les gens aient envie de vivre là où ils sont ; en leur
offrant de l’espace ».
Selon
Jean Nouvel, l'esthétique du pseudo-loft industriel est moins un
choix qu'une nécessité, et le résultat peut être obtenu par
l'économie réalisée sur le gros oeuvre et les finitions. Les lofts
sociaux sont effectivement spacieux, véritable débauche d'espace en
trois dimensions : les duplex et triplex s'ouvrent généreusement
par de larges portes de garage sur les espaces extérieurs privés et
publics. Certains de ses confrères, évoquaient le fait que
l'architecte a pu bénéficier de financements exceptionnels
[programme Rex (Réalisation Expérimentale) du Plan Construction]
pour mener à bien cette réalisation... qui n'ont hélas pas pu
couvrir les surcoûts de la construction estimés à 7 millions de
francs.
A
l'inverse de cette réussite architecturale, la « partie »
économique et la gestion deviennent à ce point problématique qu'en
2000, les deux beaux bâtiments sont en « faillite », le
bailleur ne pouvant faire face aux surcoûts de la construction, aux
défauts dans la conception qui rendent son fonctionnement difficile,
à une mauvaise gestion avec un taux d'occupation d'à peine 60%,
conséquence des loyers supérieurs de 30% à ceux pratiqués dans
les autres logements HLM, contre l'avis de Jean Nouvel qui signe des
articles rageurs, à un taux d'impayés de 35 %, faisant ainsi un
déficit annuel d'exploitation de l'ordre du million de francs. La
responsabilité de Jean Nouvel est certaine, comme celle de
la maîtrise d'ouvrage, et celle du gestionnaire, peu préparé à
gérer les innovations techniques et architecturales, et les
revendications des résidents. Pour
ces raisons, les grand lofts
sociaux
de Jean Nouvel, comme les Rochers
angevins de
Vladimir Kalouguine, n'ont pas fait modèle dans le domaine de
l'architecture sociale, ni même d'adaptations, et n'ont pas suscité
l'intérêt des bailleurs sociaux, à l'exception de rares opérations
de prestige menées par exemple, par la RIVP [Régie Immobilière de
la Ville de Paris] avec des financements publics particuliers, ou la
complaisance d'entreprises du bâtiment [en contrepartie d'autres
opérations plus rentables...].
Néanmoins, et c'est important, l'opération Nemausus fera débat au sein du monde de l'architecture, critiquée ou admirée, elle porta sur la place publique – internationale - la question de la qualité de vie dans les HLM, autant que la néfaste sur-médiatisation de l'architect[ur]e.
Néanmoins, et c'est important, l'opération Nemausus fera débat au sein du monde de l'architecture, critiquée ou admirée, elle porta sur la place publique – internationale - la question de la qualité de vie dans les HLM, autant que la néfaste sur-médiatisation de l'architect[ur]e.
Pour
les principaux intéressés, les résidents, une enquête menée par
des sociologues concluait que les avis étaient très partagés, et
si les grandes surfaces étaient très appréciées, ils critiquaient
les faiblesses phoniques et thermiques, les portes de garage,
l'esthétique du béton brut, ainsi que les
loyers excessifs. Certains quittent le « navire » le plus
rapidement possible [11 % par an de turn-over], d'autres s'y plaisent
et s'y sont installés ad vitam
eternam. Remarqué par les guides
touristiques, les curieux du monde entier viennent visiter,
consacrant ainsi la réputation et la fortune de Jean Nouvel.
Parmi
les opérations de logements sociaux qui atteignent une qualité
exceptionnelle, celle de l'architecte Bernard Paurd [A. Toulemonde
et P. Guillier, collaboratrices] d'un ensemble de logements sociaux
expérimentaux à Vitry-sur-Seine (1991-1993),
est remarquable ; cette superposition de « villas »
distribuées par des coursives extérieures proposent une
redéfinition radicale des traditionnels plans :jardinets
suspendus en transition entre la coursive et les appartements,
triplex à double orientation, puits de lumière,
salle de bains ouvrant sur la cuisine, permettant ainsi de surveiller
le bain de l'enfant pendant que l'on prépare le repas, et autres
innovations magistrales ont signalé ce bâtiment
comme « un événement dans la production française de logements ».
Une opération réalisée sans le soutien du Plan Construction, et qui malgré un prix
prestigieux [L'Equerre d'Argent], n'apparaît nul part ; de même que les autres
réalisations de ce grand et discret architecte français.
Avec
l'opération Nemausus de Jean Nouvel, et l'immeuble villas de Bernard
Paurd, et d'autres réalisations plus conceptuelles, les architectes ont ainsi été tenté de briser certaines
règles, concernant la surface habitable, le plan et l'image de
l'habitat social en proposant une architecture plus photogénique.
La plupart des bailleurs sociaux, d'ailleurs, réserve quelques
opérations spectaculaires pour leur communication, mais dans l'ensemble de la
production « sociale », l'on constate un confort, et
notamment énergétique appréciable, aux dépens de la qualité
architecturale et un grand conformisme des plans ; ce qui n'est pas
le cas pour les immeubles de logements du secteur privé ;
Nemausus aura ainsi une certaine influence auprès de la promotion
privée, notamment pour les typologies de loft-duplex, réservées à
une clientèle bien plus aisée. La vague libérale-libertaire soulevée par Rem Koolhaas puis Jean Nouvel, inspira également les jeunes étudiants en architecture : plutôt que de tenter de contredire ou essayer de changer le Réel, autant l'accepter et l'exacerber.
EPILOGUE 1
« Le changement dans
le logement, c’est maintenant »,
« Plus simple, plus
vite, plus efficace »
François Hollande, Mars 2013.
Contre
la multitude et l'oppression des normes, que nous avons évoqué en
introduction, un appel solennel à la « déréglementation »,
fut lancé par d'éminents
starchitectes de France [dont,
Rudy Ricciotti, Christian Hauvette, Marc Barani, Francis Soler,
Jean-Paul Viguier, Jacques Ferrier, Denis Valode,
Nicolas Michelin,
etc.], réunis lors des « Premières rencontres d'architectes » en
2011 à Monaco [oui Monaco] : ils dénonçaient plus
particulièrement la norme HQE [Haute Qualité Environnementale], et
se posaient en victimes d'un véritable complot contre
« l'intelligence et la démocratie », « complot sur le
dos de l'environnement conduit par des inexperts », et appelaient
leurs confrères à « la désobéissance technologique pour se
protéger de la barbarie française, tel Voltaire réfugié à Ferney
». Rien de moins. Il est vrai que les dépenses et les techniques
trop coûteuses pour assurer la HQE sont inconciliables avec les
formes architecturales et autres effets de façade qu'ils réservent
à une architecture dévouée au spectaculaire et aux médias, plus
qu'à leurs usagers et au bien-être de l'humanité.
Les
revendications de la corporation seront entendu par F. Hollande :
« aucune
norme nouvelle ne sera créée dans les deux prochaines années ;
un moratoire de 2 ans sur les normes nouvelles a en effet été
décidé et d’ici là, un programme de révision pour celles
existantes sera installée».
Il s'agit réduire
les normes pour limiter les coûts de construction et pour cela, de
réexaminer le « stock » de normes existantes pour éliminer celles
qui présentent le rapport coût / efficacité le moins probant ;
de réformer certaines réglementations pour y introduire des
objectifs de résultats plutôt que de moyens qui limitent les
possibilités de créativité et d’innovation ; de lancer un
appel à projet permettant aux producteurs de logements de proposer
des pistes d’adaptation des exigences réglementaires pour
construire à moindre coût.
Concernant
l'habitat social, F. Hollande annonce
une baisse de la TVA à 5,5 % dans le secteur de la construction de
logements sociaux, avec en contrepartie, un « pacte » à conclure avec le monde HLM d’ici juin 2013, pour
la production de 150 000 logements sociaux et la rénovation de
120 000 autres par an. Il comportera trois volets :
- patrimonial (définition d’objectifs chiffrés et d’un mécanisme de mutualisation des fonds propres des bailleurs) ;
- social (transparence des attributions, développement d’offres pour des populations spécifiques) ;
- pilotage (amélioration de la coopération entre organismes, révision des objectifs de production des conventions d’utilité sociale, mise en place d’un suivi.
C'est plus qu'insuffisant si l'on compare le nombre de mal logés et de sans logis en France, estimé à 3.500.000 personnes, aux 150.000 logements sociaux annuels annoncés. De même, l'on observe dans le cas des rénovations d'immeubles HLM - 120.000 annoncées -, le plus souvent, une - automatique - augmentation substantielle des loyers et des charges, obligeant certains locataires sociaux à déménager vers d'autres cités délabrées, au mieux à réduire leurs dépenses. Mais plus que cela, les chiffres brandis et la méthode adoptée - un pacte - par F. Hollande, comme les grandes déclarations d'intention - un choc de la solidarité - de la ministre du logement Cécile Duflot, ne nous disent rien de leurs figures concrètes, c'est-à-dire de leurs valeurs d'usage et idéologiques. Est-ce là la raison pour laquelle le ministre de la ville reste bien étrangement silencieux ?
Les rectifications socialistes de la politique de l'habitat menée par le gouvernement de N. Sarkozy sont à ce point minimes, qu'elles établissent une continuité idéologique, une frontière extrêmement poreuse entre les idéaux des deux grands partis politiques. L'économiste Thomas Piketty exprimait en 2011 ses inquiétudes : "Je
vois un très sérieux risque de sécession, non plus économique
mais mentale et culturelle, d’une certaine élite. C’est
très nouveau qu’en France on soit dans cette rupture avec le réel
dans le discours public et politique. Là aussi, il y a risque de
sécession." A propos des premières mesures concernant la fiscalité annoncées par le gouvernement de F. Hollande, Thomas Piketty évoqua une "régression intellectuelle et politique considérable", que l'on peut étendre aux domaines de l'architecture sociale, de l'urbanisme, et de l'aménagement du territoire. Mais bien avant, les maires socialistes des grandes villes de France, et d'autres villes d'Europe d'ailleurs, avaient déjà balisé la voie de la reconduction des injustices sociales et spatiales, celle de la régression intellectuelle, ou de sa propre évolution vers le capitalisme libéral-libertaire, initiée dès le premier septennat de F. Mitterrand, et qui s'exprime aujourd'hui avec plus de convictions et d'amplitude.
Guy Debord | In girum imus nocte et consumimur igni |1978 |
EPILOGUE
2
Monique
Pinçon-Charlot
Michel
Pinçon
Les
Ghettos du Gotha : comment la bourgeoisie défend ses espaces
Payot
| 2009
Chapitre :
Surface
sociale et surfaces habitables
En
Île-de-France l'habitat des familles les plus fortunées est
concentré dans quatre arrondissements de l'ouest de la capitale, le
7e, en particulier dans le faubourg Saint-Germain, le 8 e, le nord du
16 et le sud-ouest du 17e. Depuis la Libération, Neuilly-sur-Seine
est devenue une sorte de 21e arrondissement, comme se plaisent à le
souligner ses habitants, un archétype de la banlieue chic dont on
trouve quelques autres exemples dans le prolongement des beaux
quartiers vers
l'ouest.
Les appartements et les hôtels particuliers offrent de vastes
surfaces habitables dont l'unité de compte est souvent la centaine
de mètres carrés. Habiter dans 200, 300, 400 m², ou plus, conforte
le sentiment de son importance, une perception flatteuse de la
surface sociale de sa famille et donc de soi-même. Dans le numéro
de mars 2007 de Neuilly, journal indépendant, on peut lire
l'annonce immobilière suivante : « Ravissant hôtel
particulier dans prestigieuse voie privée. Entrée, cuisine, s.à
manger de plain-pied sur jardin arrière. 1er ét. triple réception,
suite parentale et mezzanine surplombant la réception, 3 chbres au
dernier ét., ascenseur. Charme absolu, calme, clarté, soleil.
3.7500.000 € » C'est sans doute à cet hôtel particulier, situé
près du bois de Boulogne, que devait penser Louis-Charles Bary,
maire de Neuilly depuis 2002, lorsqu'il écrivit, dans sa «tribune»,
publiée dans le même numéro de ce journal dit «indépendant»,
que «Neuilly est une ville attractive pour de jeunes couples qui
savent y trouver un environnement agréable favorable à
l'épanouissement de leurs enfants ».
Cette
générosité de l'espace induit des comportements et des
apprentissages spécifiques. Pour les collégiens, pas question de
faire leurs devoirs sur le coin de la table de la salle à manger.
Chacun a droit, dès le plus jeune âge, à l'intimité de sa chambre
personnelle. Le corps lui-même, dans les pièces communes, salle à
manger et salon, est modelé par sa mise en scène permanente devant
le regard d'autrui. Il apprend à se tenir dignement, à être vu
sans qu'il soit possible de dissimuler ses jambes sous la table.
Petit à petit, l'enfant s'habitue à gérer ses gestes sous le
regard des autres. Celui qui a grandi dans un logement ouvrier
étriqué, encombré, sait combien il est difficile de maîtriser son
corps dans une situation publique où l'on se trouve exposé aux
regards. Ces expériences, qui peuvent paraître mineures, sont
fondatrices de l'aisance ou du malaise en public.
Les
espaces de réception offrent plus de place que nécessaire pour la
famille qui vit là. Autour de la table majestueuse de la salle à
manger, de nombreuses chaises attendent les convives. Les salons
regorgent de fauteuils qui accueilleront les
invités
et leurs conversations feutrées. L'espace privé satisfait aux
exigences de la sociabilité grande-bourgeoise. « On sacrifiait tout
aux salons, se rappelle un membre du Jockey Club. Il y avait le grand
et le petit salon et la salle à manger. C'était l'appartement type
qu'il fallait avoir, ou vous étiez perdu. Les chambres étaient
petites, mal conçues, un couloir filiforme desservait les pièces.
Bref, tout était fait pour les réceptions.» Même restructurés,
les appartements ou les villas continuent à
sacrifier
aux contraintes des dîners et des fêtes. D'ailleurs les annonces
immobilières, dans des revues comme Demeures et Châteaux,
insistent sur les «belles» ou les «fastes » pièces de réception.
La configuration des appartements est révélatrice des modes de vie.
Guy Debord | In girum imus nocte et consumimur igni |1978 |
La
richesse économique suppose en effet une richesse sociale, des
réseaux de relations que l'on peut mobiliser à tout instant. On
connaît beaucoup de monde, «Le» monde, comme on dit, en signifiant
que seuls comptent ceux qui occupent les
positions
sociales élevées. Les appartements grand-bourgeois sont aussi un
lieu d'exposition du capital culturel de la famille. La qualité des
meubles anciens, agrémentés d'objets d'art et de tableaux, doit
certifier du bon goût des hôtes.
Dans
la vitrine des agences immobilières de Neuilly, la proximité du
bois de Boulogne est soigneusement mentionnée. Un argument de poids
pour convaincre un acheteur potentiel, soucieux d'un environnement
calme et verdoyant. Dans le
16e
arrondissement, avenue Henri-Martin ou avenue Foch, la largeur des
voies, les jardins devant les immeubles, les entrées spacieuses,
agrémentées de plantes vertes, de colonnades et de vastes miroirs,
signifient la position sociale de ceux qui
habitent
là. L'allure des passants, élégants et préservés par des
conditions de vie confortables, renforce cette impression d'être
dans un monde à part.
Pour
ces raisons, les beaux quartiers, ou les stations balnéaires comme
Deauville, conçus pour la haute société, ont été construits sur
des terres vierges. Les grandes familles ont des modes de vie à ce
point spécifiques qu'elles ne peuvent
s'approprier
des espaces créés pour d'autres catégories sociales. Telle
duchesse qui habite dans un bel immeuble du 16e arrondissement
raconte comment son arrière-grand-père a fait édifier tous les
bâtiments qui constituent l'îlot, pour y loger ses enfants.
Cousins, neveux et autres descendants sont aujourd'hui encore voisins
de palier. Mais les contraintes nées de la configuration des lieux
et des règlements d'urbanisme peuvent être telles
qu'on ne peut s'en affranchir sans obtenir une
dérogation.
Selon un membre du Nouveau Cercle de l'Union, «les propriétaires,
qu'on appelait des notabilités, demandaient au préfet de police ou
au ministère intéressé, une dérogation pour construire l'immeuble
sur un terrain qui n'était pas toujours
constructible. C'est le cas de la moitié de l'avenue Henri-Martin,
ou des rues adjacentes ». Avec les «beaux quartiers », on n'est
pas comme avec les «quartiers sensibles » dans une catégorie de
l'action publique, mais dans le pragmatisme des habitants qui ont
créé et gèrent eux-mêmes leurs lieux de vie.
NOTES
*
The Fable of the bees or Private vices, public benefits, with an
essay on charity and charity-schools, and a search into the nature of
the society, 1705-1723, Londres, 1705 ; traduction française, La
Fable des abeilles, Londres, 1740, cité par B. GEREMEK, La potence
ou la pitié, éd. Gallimard, 1987.
[1]
Sont rattachés à cette direction :
- le Groupe permanent pour la résorption de l'habitat insalubre (GIP),
- l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), qui sont chargés de la réhabilitation de l'habitat ancien,
- le Groupe habitat et vie sociale (pour les grands ensembles),
- le Service des affaires économiques et internationales (SAEI),
- le Groupe de recherche et d'étude pour la construction et l'habitation (GRECOH) créé vers 1968-69, chargé des études visant à définir une nouvelle politique : cabinet économique et financier de la Direction de la construction, il est en relation avec les organismes financiers, la Caisse d'allocations familiales, etc.
- la Direction de l'aménagement foncier et de l'urbanisme (DAFU) qui réglemente la construction (plans, schémas, permis de construire) est responsable des villes nouvelles, des ZAC, des entreprises de rénovation urbaine et de restauration immobilière et contrôle la politique foncière (zones d'aménagement différé, réserves foncières).
- les Directions départementales de l'équipement (DDE), services extérieurs du Ministère de l'équipement dont les ingénieurs des Ponts et chaussées ont le quasi-monopole.
Parmi
les services rattachés au Premier ministre, on a retenu
- le Commissariat général du plan et de la productivité,
- le Groupe central des villes nouvelles,
- la Commission nationale des opérations immobilières et de l'architecture.
Au
Ministère de l'intérieur :
- la Direction générale des collectivités locales exerce une tutelle sur les collectivités sociales et sur ceux des offices HLM qui leur étaient rattachés ;
- la DATAR, rattachée au Ministère de l'intérieur après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing, joue un rôle dans la décentralisation, la rénovation rurale (avec les contrats de pays), la promotion des petites villes.
- La Direction de l'architecture, autrefois rattachée au Ministère des affaires culturelles, où elle jouait un rôle très important (elle veillait à l'application de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardés), a été rattachée au Ministère de l'équipement au début des années 70, puis fondue avec la Direction de l'urbanisme, les architectes se trouvant désormais placés sous la coupe des ingénieurs des Ponts et chaussées.
Au
Ministère de la santé :
- la Direction de la sécurité sociale est chargée de la tutelle des Caisses d'allocations familiales qui assuraient la gestion de l'allocation logement.
Du
côté du secteur para-public ou semi-public, interviennent
[notamment] :
- la Caisse des dépôts et consignations,
- la SCIC et un certain nombre d'établissements publics d'aménagement ou de sociétés d'économie mixte,
- le Crédit foncier de France,
- le Comptoir des entrepreneurs,
- le mouvement HLM qui, en 1975, rassemblait plus de 100 organismes, groupés en cinq catégories : les offices publics de HLM, créés à l'initiative d'une autorité locale et offrant des logements locatifs ;
- les offices publics d'aménagement et de construction ;
- les sociétés anonymes de HLM, offrant des logements locatifs et des logements en accession à la propriété ;
- les sociétés coopératives de HLM, prestataires de services, assurant la gestion des prêts aux accédants ;
- la Société de crédit immobilier de France, offrant des prêts pour l'accession à la propriété ou l'amélioration de l'habitat.
wonderful discovery
RépondreSupprimerBonjour, je vous remercie de vos commentaires sur mon travail,et de votre point de vue critique sur les politiques de logement qui fait du bien.
RépondreSupprimerJ'attire votre attention sur la politique de "démolition-reconstruction" considérée comme évidente pour faire évoluer les banlieues. La dispersion relative des populations qui en résulte et semble recherchée n'a pas l'air d'avoir été évaluée, mais on s'obstine à continuer.
Cette volonté de destruction totale d'une période importante de l'histoire urbaine coûte très cher et est un désastre écologique de plus.
Nous avons simulé de la déconstruction-restructuration: on déconcentre les logements, mais on garde les planchers des logements délocalisés pour donner des grandes terrasses aux logements restants (40 à70m2/lgt), et c'est 20% moins cher au moins que l'autre mode opératoire, cela permet de cesser de traiter d'indigne une part très importante du logement social, et de le faire évoluer ers des standarts bien supérieurs aux actuels.
Donc, inutile de détruire mon travail urbain sur Robespierre à La Courneuve, inutile de détruire tout ce que l'on peut des 300 logements de Fontenay dans cette même commune.
Bernard Paurd