Mai
68 n'est certainement pas « un coup de tonnerre dans un ciel
serein », les événements de mai sont précédés d'une longue
gestation : de la mobilisation contre la guerre d'Algérie, puis du
Vietnam, des grandes grèves ouvrières, dont celle de l'usine Renault Flins en 1964 où les grévistes scandaient : « Nous
voulons du temps pour vivre », ou bien encore des échos du combat du Black Panther Party et des expériences des Provos
d'Amsterdam ; après l'onde de choc de mai 68, la contestation se
distille au sein de la société, et aucun domaine n'est épargné par
la critique. La conflictualité
se diffuse en profondeur
qui s’exprime de plus en plus souvent par le recours à l’illégalité :
occupations, séquestrations, violences, sabotages, etc. Le Zeigeist
est plus que favorable, selon des groupuscules d'étudiants, pour
radicaliser les luttes, et les maoïstes de la Gauche prolétarienne
estiment pouvoir emmener le Peuple vers la Révolution.
Dans
ce formidable et inédit maelström de revendications sociales, culturelles et citoyennes, celles des
citadins occupent une place prépondérante ; l'on peut faire le constat d'un
formidable développement qualitatif et quantitatif de mouvements
revendicatifs, de comités de quartier, d'associations de riverains,
de groupements « divers » ayant par des actions
collectives, portant sur des enjeux urbains de toute échelle et de toute nature, interpellés les
forces politiques parlementaires, extraparlementaires et syndicales. La « question urbaine » et celle du droit au logement, débordaient allègrement des limites balisées par l'idéologie dominante, mais aussi des réponses théoriques considérées "ossifiées" de la gauche parlementaire, notamment celles du communisme municipal. L'on assistait, selon Robert Castells, à :
« deux articulations fondamentales entre la politique et les mouvements urbains. [...] La politique devient ainsi une affaire quotidienne pour de larges fractions de la population inorganisées ou dépolitisées dans la pratique.[...] Dans une période où, devant la crise d'hégémonie bourgeoise à tous les niveaux et le réveil largement spontané des luttes populaires, ont surgi des bases objectives d'une nouvelle stratégie anticapitaliste. »
Ainsi, aux côtés des luttes urbaines traditionnelles, en plein essor, menées par les mouvements sociaux urbains classiques, de collectifs le plus souvent poly-classistes, donc apolitiques, dont les revendications se caractérisent comme des contradictions structuralement secondaires, c’est-à-dire ne remettant pas en cause directement le mode de production d’une société, ni la domination politique des classes dirigeantes, deux nouveaux fronts vont se constituer.
L'un sera porté essentiellement par les travailleurs et étudiants immigrés, et plus particulièrement de l'Afrique du nord et subsaharienne, épaulés avec ferveur par l'ensemble de l'intelligentsia de la Nouvelle Gauche et plus encore, par l'extrême gauche. Qui s'étaient résignés aux 113 bidonvilles recensés aux portes de Paris, mais lorsque que cinq travailleurs africains meurent asphyxiés dans un foyer-taudis d'Aubervilliers dans cette nuit de réveillon du 31 décembre 1969, la France est en émoi, Jean-Paul Sartre se rend sur place. Dans le contexte de l’après-68, ce drame, relativement banal pour les populations prolétaires et immigrées, va connaître un retentissement national, à la fois politique et médiatique ; la presse s'en empare et l'alimente : à Ivry-sur-Seine, 700 travailleurs immigrés sont entassés dans une usine transformée en un gigantesque dortoir, sans commodités, et Europe 1 accuse et force le trait : " Auschwitz aux portes de Paris ". Dès lors, la question du logement des immigrés, et du lumpenproletariat français est publiquement posée en termes politiques, et non plus en termes de charité sociale, et l'on évoque les raisons structurelles, celles du racisme latent, automatique et inconscient, du post-colonialisme, du tiers-mondisme, questions exacerbées par la guerre du Vietnam et le combat des Palestiniens.
Le second front est mené par les organisations de l'extrême-gauche, soutenus par un contingent non négligeable de l'intelligentsia de la Nouvelle Gauche, parfois en connivence étroite ; l'on peut adjoindre dans cette catégorie, les squats de la mouvance « Autonome » alors naissante, proche et différente de l'extrême-gauche, mais en France, cette nébuleuse prend un caractère contre-culturel plutôt que social, à la différence d'autres pays [Londres, Amsterdam, Hambourg, etc.]. Ce front se confond, le plus souvent, avec les luttes conduites par les immigrés, et celles apolitiques, avec bien évidemment de notables exceptions. D'une manière générale, la méthode privilégiée est soit de s'intégrer dans des structures déjà organisées, au sein de comités de quartier, par exemple, ou bien de s'associer à celles-ci momentanément, soit de créer des comités, mais dissociés, parfaitement autonomes, sortes de satellites, d’appendices.
Ce front de lutte présente une activité confidentielle, un front que l'on peut qualifier de « marginal », car malgré les grandes déclarations d'intention, et l'intérêt porté par ces organisations pour ces luttes, ni les organisations maoïstes, et encore moins les organisations trotskistes, initièrent avec méthode, animèrent ou s'impliquèrent durablement dans les mouvements sociaux urbains. Ils ne constitueront donc pas un véritable angle d'attaque, en tout cas pas aussi puissant, organisé et actif que celui mené au sein, ou plutôt aux portails, des usines.
L'usine plutôt que le quartier, l'atelier plutôt que le taudis, l'ouvrier davantage que l'habitant, dominaient l'espace de la pensée subversive et révolutionnaire, et l'on privilégia les luttes sociales désaliénantes, autant que celles pour la libération du Vietnam, de la Palestine ou du Cambodge, etc., plutôt que celles portant sur les conditions et le « cadre » de vie. Force est de constater, sur le « terrain », dans la « pratique », non pas leur absence, car les militants y participaient, mais une sorte de dilution dans la multitude des luttes, dans la masse, et dans l'espace, des moyens et des effectifs, ou bien une inorganisation complète, un amateurisme indignes d'autres luttes ouvrières traitées plus sérieusement.En 1969 le groupe maoïste Vive La Révolution estimait ainsi :
Créer des crèches
sauvages et s'en tenir là, ce n'est pas mener une lutte prolongée.
Mais créer des crèches sauvages avec pour but qu'une fois admises
par la bourgeoisie, il faudra continuer la lutte, continuer à
développer l'esprit d'oser lutter des masses, c'est préparer
effectivement l'insurrection armée.
Mais cela ne peut se
faire qu'avec un point de vue dominant qui est celui de l'usine. Le
seul moyen de ne pas faire la révolution qu'à moitié, c'est de
partir des usines. A travers les usines se posent tous les problèmes
de la Révolution.
Rappelons
que la France d'alors est industrieuse, comptant environ 40 %
d'emplois ouvriers et 16 % d'employés, le poids de l'industrie dans
l'emploi avoisinait 30 % [et 20 % pour l'agriculture]. Le taux de
chômage en 1969, caracolait péniblement à 2,1 % de moyenne
nationale. A l’élection présidentielle de juin 1969, le candidat
communiste J. Duclos rassembla presque cinq millions de voix, soit
21,5 % des suffrages.
Un texte de mars 1970 du groupe révolutionnaire La
Gauche prolétarienne théorisait
ainsi la guerre prolongée qu'il appelait :
Les
bases d'appui pour la lutte violente de partisans, ce sont
essentiellement les usines, les bases d'appui d'usines.
[…] Les
groupes d'usines forment le noyau fondamental autour duquel s'unifie
le peuple, qu'ils ont pour tâche stratégique de regrouper autour
d'eux les groupes populaires de partisans.
L'on
dédaigna les quartiers, mais l'intelligentsia française de la
Nouvelle
Gauche
offrira aux révolutionnaires et autres subversifs, à propos de la
ville et de l'architecture sociale, une voie critique et théorique
d'une exceptionnelle qualité, et leurs écrits
alimentèrent leurs pensées, et influencèrent leurs stratégies.
L'urbanisme
unitaire
des Situationnistes, le Droit
à la Ville de
Henri Lefebvre, Surveiller
et punir
de Michel Foucault, et bien d'autres, seront dans les rayonnages des
bibliothèques subversives aux côtés des manuels de guérilla de
Carlos Marighella, du commandant Guevara et des Tupamaros.
Guy
Debord et les Situationnistes s'étaient un court moment attaché au
domaine de l'urbanisme – unitaire -, critiquant modernisme
architectural, spéculation parisienne, et cités charitables
contre-révolutionnaires d'Emmaüs, imaginant même la Nouvelle
Babylone matérialisée par
Constant, et la
dérive psycho-géographique se prêtera au mieux à l'activisme
sociologique, radical, politique de l'époque :
selon Daniel Guibert, l'Internationale
situationniste a été un point de fixation idéologique, un repère
symbolique assez considérable ; même si Debord déclinera l'appel des groupes maoïstes ou trotskystes. Henri Lefebvre et ses disciples professaient un Droit à la
Ville, mais l'on remarqua aussi
sa disparition dès les premiers jours des émeutes de mai 68. Tandis
que les jeunes architectes liés aux organisations subversives ou
révolutionnaires, tel le maoïste Christian de Portzamparc,
proclamèrent ne pas vouloir construire en régime
capitaliste, et décidèrent d'abandonner pour un temps la
discipline. Daniel Guibert résumait ainsi la situation en 1968 :
La
vision architecturale avait été largement relativisée, au bénéfice
de l'activisme de rue, au bénéfice de l'activisme d'une reconquête
de l'espace généralisé de la société. Là, il n'était plus
question d'architecture. L'architecture était à la limite relative,
subsidiaire. C'était même un bouche-trou, on n'en avait plus rien à
faire. Ce n'était pas ça le bon enjeu. L'enjeu était la reconquête
de l'espace social total, sous d'autres formes, selon d'autres
régimes.
L'éditorial
maoïste de La Cause du Peuple, n° 1 de novembre 1974, repris
après la dissolution des groupes maoïstes résumait ainsi les
luttes mao :
Un
des grands acquis de la « Gauche Prolétarienne » est que la
méthode correcte pour élaborer la ligne et diriger les luttes c'est
de partir des masses pour revenir aux masses, non de partir des
livres pour revenir aux livres.
C'est en transformant la réalité qu'on la connaît. La solution des problèmes concrets n'est pas dans les classiques, même s'ils peuvent nous aider à la dégager de notre pratique. Nous avions raison de mettre ainsi l'accent sur la pratique mais non d'avoir encouragé le mépris du « savoir » en général, le mépris des livres et de la théorie marxiste-léniniste.
Cette
reconquête de l'espace
social et des luttes
pour y parvenir menée par des groupes de l'extrême gauche se
multiplient après les événements de mai 68. Elles sont
nombreuses mais sans grande envergure et constituent une note rapide
dans la gamme politique subversive contre l'ordre établi. Dresser la liste
exhaustive des luttes urbaines de cette période se placerait dans le
domaine de l'exploit sportif, et ce, même si l'on se limite à
celles impliquant les groupes politiques de l'extrême gauche. Si
l'on parvient à reconstruire, non sans difficultés, les luttes pour
le droit au logement menées par la Gauche prolétarienne et
le Secours rouge, il reste peu de traces des autres groupes
maoïstes, trotskistes, marxiste-léniniste ou de l'Autonomie, etc.
Relatons ici pèle-mêle celles qui apparaissent dans les revues et
les quotidiens d'alors, seuls matériaux disponibles, tout du moins,
à notre disposition.
En 1969 dans le
quartier populaire de Belleville en cours de rénovation, des
militants maoïstes – le groupe n'est pas identifié - tentent de
s'opposer à l'expulsion des habitants des derniers secteurs touchés
par le programme de rénovation ; les luttes se prolongent
jusqu'en 1972. Dans le 13e arrondissement, la Confédération
Nationale des Locataires et un comité de défense des locataires
animé par des groupes de l'extrême-gauche – non identifiés -
essaient d'organiser la résistance des habitants. Dans le 15e
arrondissement, ce sont les travailleurs immigrés qui, aux côtés
de militants d'extrême-gauche, s'opposent à leur éviction du
quartier. Dans le quartier des Halles, locataires et commerçants
essaient de préserver leurs lieux d'habitat et de travail, tandis
que diverses associations culturelles et groupes militants
d'extrême-gauche cherchent à sauver les pavillons de Baltard. Le
Parti
communiste marxiste-léniniste participe aux batailles pour les
logements des travailleurs : en 1970 et 1971, dans une cité
dortoir du nord de Marseille, au parc Kallisté, 1500 habitants,
ménagères, ouvriers, étudiants et lycéens se mobilisent contre
les expulsions et pour la construction d'une école.
Sa revue publie régulièrement des
articles à propos des conditions de vie des immigrés et se fait écho de leurs luttes.
La
Gauche Prolétarienne
Lieu
de convergence regroupant après les émeutes de 68, aux côtés de
militants aguerris ayant une certaine expérience pratique, les «
apprentis intellectuels » qui s’affirment
aussi comme « intellectuel collectif » révolutionnaire. Née fin 1968-début 1969, la Gauche
prolétarienne largement influencée par la Révolution culturelle
chinoise, instaure la « prolétarisation » de l’organisation et
la « transformation idéologique des intellectuels » qui la
composent. La GP analyse la situation politique, au lendemain de Mai
68, comme une « fascisation » déjà amorcée du régime et
développe la nécessité de riposter par une « guerre prolongée »
placée sous le signe d’une « nouvelle Résistance ». La Guerre ? Sartre qui sera bientôt un familier de la GP, dans une interview à
la TV allemande avançait l’idée que la France s’acheminait vers
« une guerre civile » dans laquelle les intellectuels doivent
s’engager, rien de moins ; Dyonis Mascolo, dans un « Projet
d’adresse aux intellectuels », daté de mai 1970, développe le
thème d’une guerre ouverte avec la « classe possédante ».
Ce
n'est pas le lieu, ici, d'écrire l'histoire de ce groupe
révolutionnaire, rappelons simplement qu'il fut considéré par le
ministre de l'Intérieur de l'époque comme l'ennemi public n° 1,
appréciation partagée par le Parti communiste et les syndicats, et combattu en tant
que tel : interdiction, procès et emprisonnement des leaders,
infiltration, etc. pour les uns, bastonnades, dénonciations,
critiques acerbes et procès pour les autres.
DE
L'OBJECTIF À ATTEINDRE
Une
fois accomplie la révolution, et par paliers successifs, le Pouvoir
doit revenir au Peuple, débarrassé du capitalisme et organisé en
coopératives ouvrières et agricoles. Dans le domaine de l'urbain,
les villes, comme les coopératives, sont placées sous démocratie directe, où s'épanouissent
les comités de quartiers et les communautés d'habitants qui votent
chaque décision. Un texte, « Coup pour Coup », évoque
le futur urbain maoïste :
Sous
la direction du pouvoir populaire et des travailleurs de
l'agriculture et du commerce, cela change radicalement. Avec le
pouvoir populaire nous changerons complètement la vie de tous les
jours : la circulation dans les villes et les villes elles-mêmes ;
la ville se rapprochera de la campagne.
Il
faut que les travailleurs décident du sort des routes et du sort des
arbres. Il faut qu'ils décident de tout : puisqu'avec le pouvoir ils
peuvent décider de leur vie. Sans le pouvoir on n'a rien ; avec le
pouvoir on a tout.
STRATÉGIE
POLITICO-MILITAIRE
La
première action d'un groupe révolutionnaire est d'élaborer une
stratégie, s'appuyant sur les expériences passées d'autres pays
du monde, et sur le modèle d'une idéologie – ici Mao Zedong -, adaptées
à la situation et aux différents contextes de leur pays. C'est une préparation théorique de la future mise en oeuvre pratique des
instruments révolutionnaires, des moyens comme des effectifs, et des
premiers objectifs à atteindre. Après les premiers temps, et l'interdiction faite par gouvernement, une nouvelle stratégie est adoptée. Un texte intitulé
De la lutte violente de partisans, Question du
réajustement stratégique, daté
de mars 1970, précise cette nouvelle stratégie politico-militaire. L'idée générale est de
constituer des bases d'appui provisoires, constituées dans un
premier temps, de leur effectif, c'est-à-dire la majorité des
forces, les étudiants révolutionnaires, dont le rôle sera
par des interventions répétées sur les luttes populaires, de mener
la guérilla contre « les ennemis du peuple », et
d'assurer la propagande politique dans les masses. Ces bases
d'appui sont les usines, c'est-à-dire les quartiers industriels à
fortes concentrations ouvrières et populaires, noyaux fondamentaux
autour desquels s'unifie le peuple. A une échelle plus grande, ils
définissent les régions de partisans qui sont les régions
qui sont en quelque sorte organisées autour de l'usine : les villes
usines comme Sochaux autour de Peugeot, ou région usine comme le
périmètre Mantes – Ecquevilly - Les Mureaux autour de
Renault-Flins :
Dans
ces régions, les partisans à partir de l'arrière que constitue
l'usine, mènent la lutte violente de partisans pour unifier le
peuple, pour constituer autour d'eux des groupes populaires de
partisans ; ces groupes s'édifient en se battant sur des fronts
variés : logement, loisirs, transports, luttes contre la vie
chère... […] Notre tâche centrale à l'échelle nationale
c'est d'organiser la résistance du peuple dans les bases d'appui et
dans les régions de partisans qui les entourent, c'est donc
d'édifier, de construire des bases d'appui et d'unifier autour les
régions de partisans.
Cette tâche s'impose à nous parce que la révolution idéologique, c'est-à-dire l'esprit de résistance s'est considérablement développé dans les masses après mai d'abord, après les actions de partisans menées par les masses seules ou avec les maoïstes.
Mais cette fonction de foyer pour la révolution idéologique qu'ont eues certaines batailles de partisans n'est plus du jour au lendemain inutile puisque la révolution idéologique n'a pas encore gagné les 90 % du peuple, d'autant qu'elle est inégalement développée : dans certaines régions par exemple celles où mai n'est pour ainsi dire pas passé et où ensuite il n'y a pas eu de combats de partisans, il est très important d'allumer de tels brasiers.
Un exemple : la bataille sur le bidonville et le marché d'Argenteuil qui n'était pas l'édification d'une base d'appui, puisqu'elle n'a débouché sur aucun travail d'organisation stable, a eu la fonction capitale de propager l'incendie de la révolution idéologique non seulement sur tous les travailleurs immigrés de la région parisienne et d'au delà mais aussi sur les usines de la région par exemple sur certains ateliers de Renault.
Donc aujourd'hui la tâche centrale sur le Nord-Ouest de Paris c'est d'organiser la résistance, c'est-à-dire édifier les bases d'appui de Renault mais surtout aussi sur UNIC et les usines de Bezons et de rayonner sur toute la région de partisans qui entourent ces usines.
Mais dans beaucoup d'autres régions, il faut mener des combats comme ceux d'Argenteuil ou d'Ivry qui jouent le rôle de Naxalbari : « après la lutte héroïque de la paysannerie de Naxalbari, un nouveau sentiment s'est fait jour celui de lutter pour la prise du pouvoir ».
C'est dans cette perspective que nous devons envisager de mener des batailles sur les foyers de travailleurs immigrés ou sur des cités populaires qui servent de brasiers pour la révolution idéologique.
Il y a donc des détours qui sont un progrès dans la révolution, qui mènent aux bases d'appui ; et il y a des détours qui constituent un piétinement, voire un recul de la révolution, ceux qui écartent des bases d'appui.
On peut donc maintenant formuler de manière précise notre stratégie dans la lutte violente de partisans : EDIFIER DANS LES USINES DES GROUPES DE PARTISANS QUI MËNENT LA LUTTE DIRECTE CONTRE LE PATRON. EN S'APPUYANT SUR CET ARRIERE, ET SIMULTANEMENT, UNIR LE PEUPLE DANS LES REGIONS DE PARTISANS ENTOURANT L'USINE.
IV. - FAIRE PASSER NOTRE STRATEGIE DANS LA VIE : PRENDRE LA DECISION STRATEGIQUE DE DEPLACER NOS TROUPES
Ce n'est pas tout de définir une stratégie de préparation à la guerre, c'est-à-dire une stratégie de la construction des bases d'appui : il faut faire passer cette stratégie dans la vie.
Pratiquement, cela signifie : cesser de « tourner autour du pot » ; on comprend tout de suite ce que cela veut dire quand on sait que des villes universitaires où des banlieues petites-bourgeoises retiennent encore des dizaines de militants, alors que des grandes concentrations prolétariennes sont encore pratiquement pour nous des «terres inconnues».
Il faut bien voir que la décision de déplacer nos troupes vers les bases d'appui et régions de partisans potentielles, c'est-à-dire vers les villes et régions-usines est une décision stratégique de la même importance, toutes proportions gardées, que la décision pour le Parti Communiste Chinois, en 1928, de construire des bases dans les campagnes, d'encercler les villes par les campagnes.
Encore une fois, la question qui se pose est de savoir qui, de d'ennemi ou de nous, sera encerclé et en fin de compte anéanti.
En 1928, pour le P.C.C., rester dans les villes comme le réclamait l'ultra-gauche ou comme le fit Liou Chao Chi, c'était soit se faire encercler et rapidement anéantir si on menait la guerre, soit végéter dans le travail pacifique ; au contraire s'établir dans les campagnes comme l'indiquait et le réalisa le Président Mao, c'était encercler l'ennemi et en fin de compte l'anéantir au terme d'une guerre prolongée.
Pour nous, l'équivalent des villes de 1928, ce sont les zones sans arrières ; elles sont la base objective pour la domination de la politique bourgeoise, c'est-à-dire aussi l'oscillation entre la « gauche » et la droite.
[...]
La tactique de l'encerclement est naturellement impliquée par la tactique du silence : dans la mesure où on n'accorde pas d'existence officielle aux actions avancées menées par les partisans, il ne reste plus que des moyens de répression extra-légaux : aujourd'hui la provocation, demain le terrorisme.
Il
faudra faire comprendre aux camarades, comme les cadres politiques le
faisait comprendre aux soldats de l'armée rouge, que si nous
évacuons partiellement ou totalement certaines régions, c'est parce
qu'aujourd'hui nous y risquons l'anéantissement:, c'est pour aller
constituer des arrières solides d'où un jour nous reprendrons les
régions évacuées.
La Gauche prolétarienne
n'est donc pas une organisation révolutionnaire armée, elle se limite à
la destruction des biens, et non des personnes, si ce n'est la
multitude de bagarres sérieuses contre les adversaires,
communistes, policiers, syndicalistes, fascistes, etc. Pas de révolution armée, mais une ligne politique de
durcissement et de violence ouverte placée sous les auspices d’une
Nouvelle
résistance populaire
(NRP), son bras armé, amorcée en août 1969 avec le n°11 de La
Cause du Peuple, sa
vitrine, qui
titre « Patrons, c’est la guerre ! ». Les numéros suivants
accentuent encore ce ton violent : « On a raison de séquestrer les
patrons » (octobre 1969), « Nous sommes les nouveaux partisans »
(décembre 1969). Mais les partisans de la ligne "dure" semblent minoritaires, et après la dissolution, et selon un témoignage, les activistes les plus radicaux seront évincés, ou calmés.
La
conception de l’organisation qui en découle n’est donc pas celle
d’un parti léniniste préparant une prise du pouvoir de type
bolchévique mais passe par l’organisation de « détachements de
partisans ». Il s’agit de regrouper les ouvriers les plus
radicalisés dans des structures nouvelles du type « unités de base
» mais de fait très centralisées autour d'un Comité exécutif
national, placé sous la direction de Benny
Lévy. La
France était partagé en zones prioritaires de villes-usines et
régions-usines où devaient s'implanter les militants étudiants,
certains d'ailleurs devenaient ouvriers, surnommés les « établis »,
afin de se "fondre dans la masse", d'établir le contact avec le monde ouvrier, le "connaître" et apprendre de lui, autant que faire de
l'agit prop., ou des sabotages. Ils étaient généralement
rapidement repérés car
afin d'entraver
leur
"influence
pernicieuse",
les syndicats prévenus après quelques expériences malheureuses en usines,
contrôlent, surveillent et démasquent.
Ces
zones étaient relativement autonomes, les militants locaux en
respectant les grandes directions fixées par Paris, avaient une
grande latitude pour leur adaptation.
La stratégie est de consolider les
formes d'organisations dans les banlieues industrieuses, par un
groupe de base dénommé « détachement de banlieue »
assigné à un quartier, qui pouvait « travailler » sur
une usine, soit passer d'une usine à une cité ; une autre
partie des militants du « détachement » avait pour tâche
de développer le mouvement de masse de la jeunesse, et une autre
partie devait travailler sur toutes les organisations démocratiques
populaires. Dans ce cadre, les militants de la GP - interdite - peuvent se joindre
et aider des comités en lutte. Et notamment celles pour le droit au logement. Un texte fait mention d'actions de
résistance
à la hausse des loyers comme dans les grandes cités (La Duchère à
Lyon par exemple), et dans les HLM Renault, qui "unissent l'ouvrier et
sa femme et même les enfants" :
« Si
les partisans de l'usine, de la Régie par exemple, aident les
habitants des HLM Renault à résister ; si au cours de leur
résistance les habitants frappent le même patron et par exemple
manifestent à l'intérieur de l'usine contre le patron ; il n'y aura
pas d'un côté l'ouvrier et de l'autre le reste de la population
laborieuse, d'un côté l'usine de l'autre côté la ville-usine. »
Volodia
Shahshahani, ancien membre de la GP à Grenoble donne les grandes
lignes de l'aspect organisationnel :
« À
Grenoble, on fonctionnait par unités de 10 militants couvrant un
quartier, avec une usine prioritaire, un foyer de travailleurs
immigrés, une maison de jeunes, etc. Il y avait aussi des unités
plus ou moins organisées en « région », notamment en
Haute-Savoie, à Annecy et Cluses, à Thonon aussi. Et puis les
étudiants de la région quand ils rentraient chez eux, ça faisait
de l’essaimage, dans la Drôme, l’Ardèche, les Hautes-Alpes...
L’organisation n’était pas basée sur le centralisme
démocratique. En gros, il y avait cette direction de 5 personnes
autoproclamée, mais acceptée. Elle réunissait fréquemment les
chefs de détachement (les unités territoriales dont je viens de
parler). A côté de cette organisation de base, il y avait des
niveaux transversaux selon les compétences des uns et des autres :
par exemple le spécialiste de la radio (pour capter les émissions
des flics), celui du matos (cocktails molotov etc) ; d’autres gars
hors détachements, par exemple celui chargé des relations avec
certains syndicats. »
Il règne une intense activité de production de propagande, de textes et d'images, sous forme de tracts, de petits journaux d'usine, de petits journaux de quartier... La création de l’Agence de Presse Libération (APL), et ensuite du quotidien, en constituent des développements. Dans un texte intitulé Coup pour Coup, la GP précise son leur importance :
« Compliqué ?
Non
; il suffit de faire des tracts simples qui visent chaque fois au bon
endroit, des affichettes qu'on peut coller n'importe où ; et pour
coller ou diffuser il faut ruser, c'est bien, ça fait partie de la
guerre : on manifeste d'un atelier à l'autre ou bien dès que le
chef tourne le dos on en profite et s'il ne tourne jamais le dos
alors il faudra le mettre le dos au mur pour qu'il comprenne et pour
qu'on puisse coller, diffuser. »
Un
ancien militant, Jean-Paul Cruse, souligne également :
« Ce
qui prime, à nos yeux, dans la conception de tracts, de petits
journaux d'entreprise ou de quartier, puis de Libération, ce n'est
pas le fait d'endoctriner les gens, de propager une doctrine, c'est
surtout d’écouter les gens, faire quelque chose de vivant qui
soit à la fois une expression et une élévation du niveau de
réflexion des gens. Nous avons une production de tracts très
originaux par rapport aux tracts habituels marxistes léninistes, «
gauchistes ». Ils sont beaucoup plus vivants - et copieusement
méprisés par nos rivaux qui nous traitent alors de populistes. Ils
sont résolument en langue vivante et pas en langue de bois, écrits
d'une façon très simple, très imagée. Très tôt dans le
processus, nous favorisons la rédaction des textes par des copains
de la base, des gens du peuple, des ouvriers, des paysans, des mères
au foyer de cités populaires, des immigrés. C'est davantage
l'expression de situations, de la préparation d'actions, que
l'expression d'une doctrine. C’est ce qui va nous permettre de
faire des journaux qui marchent, qui sont lus, qui s’arrachent, qui
trouvent leur public. »
IMMIGRÉS
La
Gauche prolétarienne, et une partie des groupes de l’extrême
gauche entendaient faire de l’immigration une sorte d’avant-garde
de la Révolution, à la fois parce que les
travailleurs immigrés étaient parmi les plus exploités, mais aussi
parce que leurs luttes pouvaient entrer en résonance avec celles,
révolutionnaires, de la Palestine et du tiers-monde, et surtout, moins
influencés par une culture cégétiste et communiste - notamment les plus jeunes -, ils pouvaient
justement servir de fer de lance pour combattre le PCF et la CGT. La
stratégie de la GP consistera dès lors à multiplier les tentatives
d'approche avec le monde des travailleurs immigrés, non sans mal, et
avec un résultat insignifiant en terme de recrutement ; par
contre, leur travail « politique », et d'une manière
générale celui des nombreuses organisations gravitant autour d'une
minorité défavorisée, accéléra leur prise de conscience de la
nécessité de lutter pour obtenir un droit, notamment un droit au
logement.
La
GP organise avec Vive la Révolution ! l’occupation du CNPF,
le 10 janvier 1970, que nous avons évoqué en introduction, en
réaction aux décès de cinq Africains. Dans les locaux du
patronat, on relève alors des affiches et des slogans à la peinture
hostiles au « capitalisme assassin », « aux foyers prisons » mais
aussi à la CGT de Georges Séguy et au Programme commun. Ils sont
également présent le même jour, à leurs obsèques au cimetière
parisien de Thiais (aux côtés de nombreuses victimes du 17 octobre
1961…), un deuil quasi national suivi par des représentants des
partis politiques, des syndicats et une couverture médiatique
inédite. Dans la foule des travailleurs, l’écrivain Kateb
Yacine, Jean-Paul Sartre, Michel Rocard, Marius Apostolo, chargé de
l’immigration à la CGT, Jack Ralite, adjoint PCF au maire
d’Aubervilliers, Maurice Grimaud, préfet de Police de Paris, et
Madeleine Beauséjour, militante d’extrême gauche et cinéaste.
La CGT, la CFDT et le MRAP avaient pourtant appelé à ne pas
transformer les obsèques en manifestation afin de respecter la
mémoire des victimes ; cet appel ne fut pas entendu par un groupe
assez important de la Gauche prolétarienne qui, venu avec des
drapeaux rouges, se heurtèrent brièvement à la police.
FAUCHONS
FAUCHON !
La
plus célèbre action est cette
belle expropriation plutôt drôle : le 8
mai 1970,
à Paris, un groupe de la GP pille l'épicerie de luxe Fauchon et en
distribue les produits dans le bidonville de Nanterre le lendemain.
Une activité initiée par les Tupamaros de Montevideo, les
Montoneros de Buenos Aires et des groupes révolutionnaires de l’Italie peu de temps avant.
Une opération Robin-des-Bois qui selon le témoignage de Jean-Paul
Cruse :
« L'opération
Fauchon avait été conçue pour unifier profondément les idées de
gauche des petits commerçants et des petits artisans et les idées
de gauche de la G.P. puisque c'était une opération contre un grand
magasin, non pas grand au sens de la surface, mais au sens du "
magasin de luxe ", un symbole. Donc au départ, opération
visant à unifier les petits commerçants qui luttent contre la
ruine, avec la gauche ouvrière et la jeunesse contestatrice. En
fait, Fauchon a touché beaucoup plus profondément puisque c'était
le symbole richesse/pauvreté qui était atteint. Récupérer
certains produits de Fauchon pour les distribuer aux bidonvilles a
touché très largement. »
LA
« BATAILLE » D'ARGENTEUIL
Le
17 décembre 1970, sept militants de la Gauche
prolétarienne
sont jugées pour diffamation, par le tribunal de Pontoise,
poursuivis par la municipalité communiste d'Argenteuil qui
s'estimait diffamée par les tracts distribués par les maoïstes et
leur réclamait plus de 2 millions de francs de dommages et intérêts.
Procès qui illustre parfaitement le degré d'hostilité entre
communistes et gauchistes.
Le Nouvel
Observateur
accepta de publier dans son édition du 15 décembre, un document de
l'organisation révolutionnaire, qu'il juge « édifiant » :
Argenteuil,
c'est un des éléments de la « ceinture rouge » de la banlieue
ouest. Vieux fief du Parti depuis plus de trente ans, la ville vire
maintenant tout doucement au rose. Future zone urbaine privilégiée
du Paris de l'an 2000, voisine de la « voie triomphale », élément
du rush vers l'Ouest, des bureaux et des résidences, Argenteuil a de
l'ambition.
En
attendant, il y a cette lèpre qu'est le bidonville : 20 000
travailleurs immigrés habitent le long de la Seine. Un bon nombre
vit sur le territoire même d'Argenteuil. De l'avis de tout le monde,
ce n'est guère vivable : des cloaques sordides où les ordures ne
sont plus ramassées depuis près de six ans, où les voitures
n'entrent pas de peur de s'embourber. Les gens passent sans trop
regarder : à 20 minutes de l'Etoile, il vaut mieux penser à autre
chose.
C'est
bien ce qu'aimerait faire la municipalité qui a peur des fortes
concentrations d'étrangers et qui parle de seuil critique » : «
Trop d'Arabes, ce n'est pas bon à la fois pour les Arabes et pour
les Français. » Alors il y a les expulsions. Dans la banlieue
ouest, c'est maintenant une affaire de routine. Un matin, le jugement
est rendu, les intéressés ont un mois pour se retourner ; après
quoi « il est fait procéder à l'expulsion même avec l'assistance
de la force armée, si besoin est », comme le précise l'arrêté du
tribunal. Les bulldozers arrivent ; ceux qui ont de la chance ont
droit à des cités de transit, voire à de vraies H.L.M. en dur,
s'ils sont bien vus de la municipalité. Les autres, c'est-à-dire la
majorité, s'en vont reconstruire 30, 40 km plus loin, dans ces zones
sauvages qui ne sont plus la campagne, sans être encore la ville.
A
Argenteuil, l'expulsion s'annonçait sans histoire pour le grand
bidonville (1 000 habitants). La S.E.M.A.R.G. (Société d'Economie
mixte pour l'aménagement d'Argenteuil), dépendant de la mairie,
dont le président M. Bodaert est nommé par la municipalité, a
plusieurs projets pour le terrain. Par exemple, la création d'une
route pour desservir le nouvel ensemble résidentiel de
Super-Argenteuil ou la cession du reste de l'emplacement à une usine
voisine qui a besoin de s'agrandir. Le 27 juillet, le jugement
d'expulsion est rendu par le tribunal de Pontoise. Les habitants du
bidonville en sont avisés par lettre.
Oser
lutter
Très
vite, les étudiants maoïstes de la « Gauche prolétarienne »,
travaillant sur les bidonvilles, prennent en main l'affaire. Rodés
par une année d'agitation dans les lycées et facultés et dans de
nombreuses usines, ils se mettent au service des habitants du
bidonville. Plutôt que de vagues motions, ce qu'ils proposent c'est
véritablement la lutte pour la survie. Des milliers de tracts
portant sur les problèmes du logement sont distribués aux
travailleurs français et aux travailleurs émigrés. Des affiches
sont tirées, des meetings en arabe se tiennent. Petit à petit, les
habitants passent de la résignation à la mobilisation; les femmes,
les enfants participent de plus en plus au travail et font passer
dans les faits le principe maoïste : oser lutter.
Action
de desperados ? Défendre un bidonville contre des mesures
d'urbanisation, c'est aller contre le cours normal des choses. C'est
vrai. Tout le monde en est conscient. A cela, un jeune Algérien
répond : « Vivre dans les bidonvilles, c'est affreux, mais nous y
resterons tant que nous n'aurons pas en main les clefs d'un logement.
Pour beaucoup d'entre nous, nous nous réinscrivons chaque année
depuis quinze ans à l'Office municipal des H.L.M. ; chaque fois des
favorisés passent devant nous. » Les tracts, maoïstes bien
entendu, n'appellent pas à la généralisation des bidonvilles comme
l'insinue la presse communiste, mais ils réclament l'égalité de
logement pour tous. Pour que l'action ne soit pas désespérée, les
maoïstes comprennent qu'il est nécessaire de briser le silence qui,
généralement, entoure ce genre d'expulsion. Mais briser le silence,
cela veut dire heurter tous les intérêts à la fois. Cela équivaut
à une déclaration de guerre.
La
municipalité le comprend bien. Elle compte d'abord sur la police
pour régler le problème des « agitateurs ». Des dizaines de
militants français ou arabes passent des journées et des nuits
entières dans les locaux du commissariat d'Argenteuil. On détache
spécialement sur le bidonville des policiers pieds-noirs ou anciens
harkis dont la présence rappelle immédiatement aux plus âgés la
noire époque de la guerre d'Algérie. Cela ne règle rien du tout,
bien entendu. Au contraire. Le maire, M. Dupouy, dans « la
Renaissance » (feuille locale du P.C.F.), propose de reloger tout le
monde contre loyers dans une usine désaffectée qui se révèle
d'ailleurs être en partie détruite. Il est sur la défensive ; ce
qu'on lui reprochera en haut lieu par la suite.
De
toute façon, sa proposition n'est même pas écoutée. En effet,
dans le bidonville, la résistance est de plus en plus vive.
L'expulsion ne peut se faire. Une première fois, les bulldozers sont
sabotés. La deuxième fois, Mme Carrara, adjointe au maire, organise
une expédition avec l'appui de la police. Elle se fait chasser par
les femmes du bidonville, et les forces de l'ordre, de peur d'une
émeute, se retirent. A partir de ce moment-là, le P.C.F. Prend
l'affaire en main. Il ne se défend plus, il attaque violemment les «
agitateurs maoïstes responsables de tout, à commencer par
l'existence du bidonville ».
Sur
le souk
D'abord,
« la Renaissance » ouvre le feu. Dans un article intitulé
Existe-t-il des liaisons entre la soi-disant « Gauche prolétarienne
» et les marchands de sommeil? », on peut lire entre 'autres : « A
propos de ces soi-disant ''révolutionnaires'', précisons que l'un
d'entre eux, G. M., demeure à [dans l'article on trouve le nom
entier et l'adresse]. Coïncidence curieuse, à cette même adresse
existe un hôtel au rez-de-chaussée duquel se trouvent deux
boutiques, l'une d'un agent agréé d'Air Algérie, l'autre
hébergeant une agence de voyages. Quand on se rappelle que la
municipalité a déjà plusieurs fois dénoncé le fait que les
Algériens étaient directement dirigés d'Orly vers Argenteuil, on
peut voir là plus que de simples coïncidences. C'est pourquoi « la
Renaissance » se permet de suggérer au service chargé de mener
l'enquête de se renseigner sur les personnes suivantes, etc. »
Ces
« arguments » (nécessitant la connaissance des fiches de contrôle
de police) seront repris dans « l'Humanité » sous la signature de
Léon Feix. Dans un long article, le 20 septembre 1969, il conclut :
« En somme, il s'agit de toute une organisation concernant et à la
fois la venue en France et le logement en bidonvilles des
travailleurs algériens. » Peu impressionnés par ces révélations,
les habitants du bidonville n'abandonnent pas la lutte. Mais la
tension monte. Le dimanche 31 août, des membres du Parti vont
jusqu'à désigner les distributeurs de tracts à l'attention de la
police. Les travailleurs immigrés sont de plus en plus mobilisés.
Tout le monde sent qu'il est nécessaire de frapper un grand coup, de
remporter une victoire pour faire progresser la résistance du
bidonville. Les maoïstes prennent l'initiative d'organiser, le
dimanche 14 au matin, une manifestation étudiants-travailleurs sur
le marché d'Argenteuil, c'est-à-dire au lieu de rendez-vous de
toute la population. En effet, le combat ne peut plus rester entre
les mains des éléments les plus avancés : il convient d'unir le
plus de monde possible dans la lutte du bidonville.
Ce
marché, c'est un véritable souk. Sur près d'un kilomètre le long
de la Seine, l'animation est grande, on y trouve de tout : des
produits exotiques, des animaux vivants et surtout beaucoup de monde.
Durant trois heures, il va y avoir affrontement entre les
manifestants et le service d'ordre de la mairie, particulièrement
renforcé. D'abord à mains nues, puis avec tout ce que les
combattants trouvent. Après de violentes bagarres, la « bataille »
d'Argenteuil - comme l'appellent les maoïstes - se termine par leur
nette victoire « militaire » et politique. A partir de là, tout
s'accélère. De bouche à oreille, le récit du marché, souvent
enjolivé, se répand dans les bidonvilles avoisinants et dans les
usines où travaillent les émigrés. Très vite, la mobilisation
s'étend dans toute la région et les militants maoïstes sont en
train de la consolider.
Ces
populations qui se révoltent, le rôle joué par les maoïstes,
véritables guérilleros sans fusil, contribuent à renforcer
l'impression selon laquelle ça « bouge un peu partout » de
manière souterraine, difficile à saisir. Sans aller chercher les «
grèves de guérilla » de la Fiat à Turin ou les véritables
soulèvements populaires en Irlande du Nord, en France même parmi
les plus opprimés comme les émigrés, mais aussi d'une manière
générale parmi la jeunesse, il semble qu'il existe un vent de
révolte larvé qui a survécu à Mai et qui se développe en
profondeur dans l'atmosphère d'instabilité monétaire et de
médiocrité économique actuelle.
Les
signes les plus connus ce sont les « grèves sauvages », les
occupations d'usines avec séquestration des dirigeants, mais de plus
en plus, chez les petits commerçants, chez les jeunes paysans, dans
les banlieues, dans les C.E.T., une résistance sourde s'organise
contre les conditions de travail devenues soudain insupportables,
contre tous les aspects de la vie quotidienne, le logement, les
transports, les hiérarchies tyranniques. Cela peut prendre parfois
des formes violentes et constructives comme le montre l'exemple
italien, si des militants révolutionnaires sont là pour comprendre
et pour trouver un débouché politique. Une idée simple.
Le
P.C.F. n'est pas décidé à tirer profit d'une telle situation. Pour
lui, tous ces signes n'ont pas de sens politique cohérent ; ce ne
sont que des actes spontanés, irrationnels qu'il convient de
canaliser vers le syndicalisme ou la lutte électorale. Chez les
gauchistes, on sent la portée de ce qui se passe. Beaucoup pensent
qu'il doit exister un type d'organisation et de lutte adapté à la
situation. Un journal comme « les Cahiers de Mai », par
exemple, analyse très bien les formes de la révolte. Mais il semble
que ce soit le groupe de la « Gauche prolétarienne » connu
par son journal « la Cause du Peuple », qui ait pris le plus
d'initiatives dans beaucoup de secteurs.
On
retrouve ces maoïstes un peu partout chaque fois qu'il y a
occupation, séquestration, manifestation et violence. Depuis quatre
mois, à La Redoute de Roubaix, ou à la C.O.D.E.R. De Marseille, aux
P.T.T. de Paris-Austerlitz ou à Babcock de Saint-Nazaire, des formes
nouvelles de lutte sont dirigées par des militants de la « Gauche
prolétarienne ». A Flins, les ouvriers de la G.P., pour commémorer
la mort de Gilles Tautin, font venir les étudiants qui tiennent un
meeting dans l'usine même. Ils le défendent pendant une heure
contre les assauts de la maîtrise et ils disparaissent dans la
nature à travers le bouclage policier. A Nancy, ils organisent les
habitants des H.L.M. pour lutter contre la hausse des loyers, un
meeting se termine par une marche de la population sur le
commissariat central pour libérer des militants arrêtés. De tels
exemples sont nombreux.
D'où
viennent ces jeunes révolutionnaires ? La « Gauche prolétarienne »
est issue des ruines de L'Union des Jeunesses communistes marxistes
léninistes qui possédait avant Mai de nombreuses unités d'usines,
notamment dans la région parisienne. Ayant intégré les nombreux
militants de l'ex- « Mouvement du 22 mars », le groupe, qui ne
prétend pas encore être un parti ou une avant-garde, semble avoir,
après de nombreux tâtonnements, trouvé la voie à suivre. Après
avoir dirigé « l'insurrection lycéenne » de l'année 1969, il a
fallu l'été avec son cortège de luttes en province et à Paris, il
a fallu l'augmentation croissante du nombre d'ouvriers dans
l'organisation et la création de nombreuses unités d'usines et de
quartiers, pour que la « Gauche prolétarienne » sorte du
monde étudiant et élabore une stratégie réellement
révolutionnaire.
Car
c'est bien d'une stratégie qu'il s'agit. Pour la G.P., la société
française est déjà dans une guerre civile plus ou moins ouverte.
Cette guerre, qui prend le plus souvent des formes de contestation
violente contre toutes les oppressions, reste à organiser.
L'objectif actuel c'est de réveiller l'esprit offensif qui existe
partout à l'état latent. Cette idée simple entraîne bon nombre de
conséquences. Pour mener à bien cette guerre, il faut opérer un
certain nombre de ruptures radicales. Pour les membres de la G.P., la
première rupture est à faire avec le « révisionnisme » du P.C.F.
C'est la plus importante, car, pour eux, le P.C.F. reste le frein le
plus efficace que la bourgeoisie met à la révolte. Rompre avec le
révisionnisme, cela veut dire rompre avec toute les conceptions du
monde et de la lutte pronées par le Parti depuis des années et
aussi, de manière inavouée, par de nombreux groupuscules
gauchistes. Leurs attaques contre le trotskisme sont nettes. Pour
eux, un groupe comme la « Ligue communiste » mène en fait,
avec un vocabulaire plus violent, la même politique d'attente que le
P.C.F. Pour eux, mai 68 c'était la « répétition générale »,
il faut travailler les textes et lutter dans les syndicats pour
attendre le grand soir de la première (où il n'y a plus qu'à
appliquer le programme de transition).
Plan
de campagne
Dans
cette optique, le syndicalisme est plutôt un obstacle. Car il faut
changer tous les modes de lutte habituels. Les maoïstes veulent
briser le mur qui existe entre les lieux d'habitation et les lieux de
travail ; rigueur et esprit d'initiative sont exigés des militants,
qui doivent vivre et travailler avec les exploités. Chaque membre se
considère comme appartenant à un détachement de partisans,
l'organisation est décentralisée et une grande mobilité permet à
la « Gauche prolétarienne » de remporter des victoires sur des
objectifs choisis pour leur importance politique. Sur un exemple
précis comme Argenteuil, qu'est-ce que cela donne ?
On
peut déceler trois phases d'abord- une phase de dispersion sur les
bidonvilles et sur sa région pour voir les besoins de la population
et forcer la municipalité à se montrer telle qu'elle est. Ensuite,
une phase de concentration des forces pour unir tous les habitants
dans une victoire qui les mobilise. Enfin, une phase d'organisation
réelle qui s'étend sur toute la ville.
Ce
plan de campagne très militaire ne doit pas induire en erreur. Les
militants d'Argenteuil semblent insister beaucoup sur ce point. La
phase actuelle n'est pas celle de la lutte armée, la guerre ne se
joue pas encore en ternies de rapport de forces au sens militaire.
Ils estiment que des luttes violentes sont nécessaires, mais
uniquement pour leur valeur politique de prise de conscience. La
phase actuelle de la révolution c'est la phase idéologique.
Pour
passer à la lutte réelle, c'est-à-dire à l'heure actuelle pour
unifier les luttes qui existent, la nécessité d'une organisation
solide et révolutionnaire va s'imposer. Il est certain que la «
légèreté des structures internes de la G.P. a grandement facilité
son dynamisme et son efficacité. Mais c'est une arme à double
tranchant et elle ne répond pas aux nécessités de consolidation et
d'unification des luttes.
Cent
procès
On
sait peu de chose sur ce que sera le mouvement, mais ce qui est sûr
c'est qu'il devra être un parti prolétarien. C'est-à-dire sous la
direction de cadres prolétariens formés dans les batailles d'usine
ou de quartier. C'est la seule façon de résoudre le problème de
vie ou de mort qui se pose, d'ailleurs, à tous les groupuscules qui
ne veulent pas mourir en devenant des organes de presse ou des
états-majors d'intellectuels sans troupes.Bien entendu, la mise en
application d'idées dont on se croyait enfin débarrassé grâce à
un P.C.F. sage et à des syndicats « responsables », ne va pas sans
créer des remous dans la routine de la gauche en France. A droite,
la presse répand les bruits les plus fantaisistes sur la nature
réelle de la G.P. A gauche, on méprise, mais surtout on ignore. La
police, elle, voit le danger. L'activité fébrile de la D.S.T. et
des Renseignements généraux auprès des concierges ; les grandes
rafles du 1er septembre et du 14 novembre, les quelque cent
arrestations et procès en cours depuis juillet, les innombrables
gardes à vue, les peines de prison ferme pour les militants de la
G.P. d'Aix, ces pratiques que l'on croyait enterrées depuis la
guerre d'Algérie montrent bien que la bourgeoisie entend réagir
vite.
Ces
mesures ne découragent pas les luttes. Elles semblent, au contraire,
leur donner plus d'ampleur. La France installée va découvrir qu'une
frange importante de ses étudiants iconoclastes de Mai a maintenant
délaissé le terrain confortable des universités pour rejoindre et
animer les luttes populaires les plus avancées. Elle découvre aussi
que, pour la première fois depuis bien longtemps, cela porte ses
fruits. On en reparlera bientôt. Les choses évoluent beaucoup plus
vite que certains, même « révolutionnaires », ne le souhaitent.
BIDONVILLES
Cela
étant, les militants de la GP vont être confronté à une population en situation de « survie »
peu perméable aux discours politiques de « Lendemains qui
chantent » : les tâches quotidiennes – sans eau
courante, ni électricité, ni toilettes, etc –, et la hantise d'un
incendie – on s'éclaire à la bougie ou à lampe au pétrole -
occupent, hantent les esprits. Les tentatives des jeunes étudiants,
dès 1968, puis de l'extrême gauche, d'approcher les milieux
immigrés, par des actions de contact et de « conscientisation »
politique, seront laborieuses, mais pas inutiles. Selon Monique
Hervo :
« Ces
premiers contacts seront donc forcément maladroits et, à l'époque,
ces jeunes français en se parachutant sur les lieux de concentration
d'immigrés, tomberont dans le piège inévitable : agir sur une
population qui vous est étrangère par ce que nous appellerons
« charité de gauche ». Leur présence, alors peu tolérée
parce qu'inopinée, se veut politique, mais se concrétise trop
souvent sous forme d'aide (distribution de vivres, couvertures, etc.)
ce qui, une fois de plus, infériorise les immigrés et, dans la
majorité des cas, condamne ce type d'interventions. Le phénomène
de rejet sera immédiat et généralisé. Mais ces passages éphémères
marqueront cependant les immigrés : ils ont été
l'accélérateur de tout ce qui produira par la suite dans les luttes
menées par les immigrés eux-mêmes. Par leur présence discontinue,
ils ont développé une prise de conscience très lente et très
profonde de ces travailleurs et l'espoir de pouvoir remettre en cause
la politique gouvernementale française. Une possibilité de
contestation était introduite. Surtout que ce "possible" intervenait au moment où le non-espoir en un relogement arrivait à
son summum. On pouvait enfin espérer qu'il était possible de sortir
de la fatalité ; le respect envers la France ayant été, entre
temps, balayé de bien des esprits.
Mais
il ne faut pas être naïf : pour tous ceux qui croyaient en
« la prise de pouvoir imminente », l'utilisation d'une
minorité particulièrement défavorisée était un atout capital. Et
si les frottements d'alors entre deux "communautés",
qui n'avaient pas exactement les mêmes raisons d'espérer,
bloquèrent souvent, mais momentanément leurs relations, cela permit
en revanche une "conscientisation" réelle du milieu
immigré. »
Le travail « politique » des groupes de l'extrême gauche, au sein des bidonvilles et des taudis, mais surtout le désespoir des familles immigrées, seront à l'origine, à partir de 1970, d'une recrudescence de la mobilisation, encore effectivement de peu d'ampleur mais agitant le plus grand nombre de bidonvilles où la concentration d'immigrés de l'Afrique du nord est majoritaire [les immigrés européens sont le plus généralement passifs]. Mais les actions menées, le plus souvent spontanément, manqueront de structure organisationnelle, et se limitent à employer les moyens traditionnels de la propagande : tracts, pétitions, lettres aux officiels, délégations, etc. qui peinent face à des mécanismes d'un pouvoir qui se renforce de plus en plus par la collusion du social et du policier. C'est aussi la période des luttes engagées sur le terrain défensif, où l'on s'oppose aux démolitions des baraquements sans être assurer d'un [re]logement. Elles aussi sont de peu d'ampleur, mais constitueront par la suite, une pratique courante [manifestation, sabotage des engins de démolition, etc.].
En
parallèle de ce travail « politique » et de propagande
au sein des bidonvilles, la GP et pratiquement tous les groupes de
l'extrême-gauche, tenteront également d’investir les foyers de
travailleurs immigrés. Ici, plus que dans les bidonvilles, la Gauche
prolétarienne aura un allié de taille : leurs homologues
maoïstes des Comités de soutien à la Palestine.
LES COMITÉS PALESTINE
Créés
en 1970 et dissous au printemps 1972, les Comités Palestine,
composés d’ouvriers et d’étudiants Arabes en majorité, font
partie des premières organisations de soutien au peuple Palestinien
en France, et sont à l’origine de la création du Mouvement
des travailleurs arabes
(MTA) en 1972. En lien avec la Gauche
prolétarienne,
ils entretiennent des relations étroites avec les organisations
palestiniennes au Moyen-Orient et en France, notamment avec les
premiers représentants officieux de l’Organisation de libération
de la Palestine (OLP). La logique de politisation de leurs militants
s’inscrit dans le cadre d’un nationalisme Arabe « marxisant »
et dans la perspective de la « Révolution arabe ». Ils
constituent le pendant des « Comité
Vietnam ».
Entre
les militants des comités Palestine qui veulent organiser le soutien
au peuple palestinien et les maoïstes à la recherche de nouvelles
recrues, une sorte d’accord « naturel » et implicite
s’établit. Pour la Gauche
prolétarienne
comme pour les militants maoïstes Arabes, l’enjeu est de savoir si
le potentiel explosif du monde arabe peut être canalisé pour
alimenter et unifier, dans une perspective révolutionnaire, les
révoltes croissantes des travailleurs immigrés dans les usines
françaises.
Mais
les comités Palestine ne sont pas exclusivement consacrés à la
cause palestinienne, ils constituent un véritable laboratoire
politique où fusionnent les luttes de soutien au peuple palestinien,
contre les crimes racistes, et pour l’amélioration des conditions
de vie, initiant des actions ou soutenant les luttes d'autres comités
organisés par les immigrés, notamment les premières grèves de
loyers des foyers de travailleurs qui débutent en 1969. Il est
probable, qu'ils aient organisé, comme plus tard le Mouvement
des Travailleurs Arabes, des
manifestations dénonçant les “marchands de sommeil”, dans les
quartiers de la Goutte d’Or à Paris ou de la Porte d’Aix à
Marseille. Des actions urbaines qui donnaient une plus grande
visibilité à la vie associative notamment maghrébine et rendaient
possible une importante participation des militants français.
Comme
pour leurs tentatives au sein des bidonvilles, leur approche au sein
des foyers est difficile, car conscients de la récupération
politique possible les résidents peuvent espérer trouver soutien
et appui sur une multitude d'organisations françaises et de grandes
personnalités - ayant plus de visibilité médiatique ou de crédibilité politique -, et le plus souvent, dans une volonté d'autonomiser
leurs luttes, c'est-à-dire les conduire par eux-mêmes. Difficile à construire, et
nécessitant une longue préparation, cette approche sera pleinement
effective en 1975, où débute la grève massive des loyers Soncotra
qui perdura jusqu'en 1979. En attendant, les luttes isolées des
foyers sont organisées « naturellement » selon le
principe d'un Comité de lutte, composé uniquement
d'immigrés-résidents, et d'un Comité de soutien « extérieur »,
regroupant toutes les bonnes volontés, de l'éventail politique
représenté par l'extrême-gauche, la gauche, jusqu'aux
organisations caritatives. Le plus généralement, les décisions
reviennent au comité de lutte, votées par la communauté du foyer.
D'ailleurs, toute la force, dans la plupart des cas, des luttes
provient de cette vie communautaire, de solidarité et d'autogestion,
unissant les résidents, qui prévalait dans les foyers.
La
concurrence empêche ainsi la prédominance d'un groupe politique sur
l'autre, même si les Comités Palestine sont relativement mieux
accueillis, mais si l'on soutient le combat du peuple Palestinien,
l'on ne souscrit guère à l'idéologie maoïste. Les divergences
interviendront surtout au niveau des tactiques de lutte à employer :
les maoïstes tentent les immigrés de radicaliser leurs luttes, les
résidents n'y sont pas encore préparés. L'on s'en tient alors aux
moyens classiques : pétitions, manifestations, etc., et autres
procédés contre les expulsions. Dans certains foyers, des militants
viennent y donner des cours d'alphabétisation régulièrement.
RATP
La
Gauche
prolétarienne
s'engagea à sa manière dans le mouvement massif le plus
spectaculaire qu'ait connu la Région parisienne des années 1970, en
réaction contre la décision de la RATP d'augmenter ses tarifs.
Rapidement une centaine de comités voient le jour et organisent, à
Paris et en banlieue, une riposte immédiate. Certaines coordonnés
au sein de la Fédération des comités d'usagers de la Région
parisienne (association créée par le Parti socialiste unifié de
Michel Rocard et Lutte Ouvrière), revendiquent au niveau local des
améliorations du réseau existant : création de nouvelles
lignes, augmentations des fréquences, etc. D'autres organisations
politiques et syndicales mènent aussi des actions et exigent la
gratuité pour les trajets domicile-travail grâce à l'instauration
d'une carte de transport payée par les employeurs, et valable sur
tout le territoire de la région.
La
Gauche
prolétarienne
exige la gratuité pour tous, et ces militants organiseront des
campagnes de transport gratuit, notamment aux stations desservant les
grandes usines. Des actions commandos qui consistèrent à inciter
les usagers-ouvriers à prendre le métro gratuitement : "Esclaves
à Renault, bétail dans le métro! Assez! "
annonce le tract distribué à la station [Renault]
Billancourt, animant le triste décor en support pour dazibao et
expressions libres murales directes et colorées : « Pas
de pétition! Pas de pleurnicheries! Une seule voie: la résistance
par l'action directe.» Jean-Paul
Cruse se souvient du personnel compétent de la RATP débordé
et des interventions de la police :
« La police
intervient trois fois ; Trois
jours de souffrance. Le premier, ils doivent fuir, sous les baffes.
Le deuxième, c'est une sérieuse volée qu'ils prennent. Le
troisième jour, où ils ont le tort de revenir, car toute l'usine
sait maintenant que c'est fête, les "tuniques bleues"
prennent une vraie raclée : ils abandonnent alors le terrain
pour deux longs mois. Pierre
Overney et d'autres entraînent derrière eux le gros des
travailleurs d'une des équipes de Billancourt (17 000 personnes...).
Ils
imposent, de fait, la gratuité totale, avec
le renfort d'une bonne bande de jeunes immigrés sans peur et sans
reproches, plus à l'aise encore, à ce moment, pour "se farcir
les flics" dans les souterrains du métro qu'en pleine rue, à
la lumière du jour.
Dès le 2 février, à
7H00 du matin, des incidents du même genre éclatent à Austerlitz.
La Cause du Peuple annonce la mobilisation d'ouvriers de Citroën
autour des maoistes. Imitant Renault (qui n'est pas loin, de l'autre
côté de la Seine), ils commencent eux aussi à passer en groupe, en
force, et sans payer. Rive gauche toujours, mais en aval, à Issy-les
Moulineaux, au métro Corentin Celton, qui dessert les usines SEV et
CSF de la ville, "les C.D.P. servent de billets", raconte
un autre témoin de l'époque. "C'est le début du communisme",
commente un ouvrier... »
Et "Dans la nuit du 23 au 24 février (1970), à 2H30 du matin, indique un communiqué de la Nouvelle Résistance Populaire (N.R.P.), scrupuleusement exact jusqu'à ce point, "des partisans ouvriers de la N.R.P. se sont saisis de 30 000 tickets de métro à la station Passy, comme le faisaient les résistants, pendant la guerre, en allant "récupérer" des tickets d'alimentation.(...)" Ces tickets ont été distribués dès le mardi 24, à Saint-Lazare, par cent manifestants, qui les accompagnaient d'un tract :
« Tous
les moyens sont bons pour faire cracher les voleurs...Nous avons volé
dans une station de métro les tickets de métro que nous vous
distribuons...Voler les voleurs, c'est justice. Tous les moyens sont
bons pour faire cracher le patron. »
La hausse n'intervient qu'à l'été 1971, période peu propice à une riposte parisienne, mais elle se limite au prix du carnet de tickets, et non à la carte hebdomadaire.
L'EXEMPLE
de GRENOBLE
A
Grenoble début 1970, est lancé une revendication pour que les travailleurs immigrés présents sur le campus aient
droit au tarif étudiant au restaurant universitaire. Le refus du
rectorat, et de la CGT entraîna des bagarres spectaculaires dans le
restaurant. Les militants se rendent également régulièrement à la
rencontre des jeunes de banlieue qui appréciaient les discours
anti-autoritaires, et les exploits de leurs bastons.
« En
1971, à Grenoble, on a commencé à se séparer de la GP Paris,
parce qu’ils voulaient consacrer toute l’énergie de la GP aux
luttes dans les usines. Nous, on ne voulait pas devenir un groupe
trotskiste de plus. Nous voulions continuer à être présent sur le
campus, avec les étudiants, et rassembler un maximum d’autres
forces sociales, y compris dans les usines, mais sans se faire
d’illusions sur la mainmise de la CGT. Pour nous, depuis 68, le
terrain de rencontre, celui de l’ « unité populaire », c’était
la rue. Nous nous sentions proches de la jeunesse ouvrière. Pour
mieux la connaître, je me suis fait embaucher pendant deux mois aux
chantiers navals de la Ciotat, comme apprenti-soudeur, et je dormais
dans un foyer de jeunes travailleurs. Mais je restais en contact avec
les copains carnous préparions notre sortie de la GP. On trouvait la
GP Paris trop absente des mouvements de libération sociétaux, mais
c’est surtout sur la question bengali que nous nous sommes
écharpés. Le désaccord principal portait sur la révolte bengali.
J’accuse, journal lancé par la GP clandestine avec des intellos
parisiens, avait pris parti pour le gouvernement pakistanais, qui
réprimait la révolte dans ce qui était encore le Pakistan
Oriental. Motif : « c’est la position des camarades chinois ». On
avait l’impression de se retrouver dans un mini PCF où
l’allégeance à la Chine remplaçait celle à l’URSS. Que la
Chine ait ses raisons géopolitiques, c’est une chose, mais lui
emboîter le pas sur tout en est une autre. Mao avait su prendre son
indépendance par rapport à Staline... »
LA
GP EFFRAIE
Sartre
qui n'avait « compris qu’après coup la dimension de Mai 68 »
selon ses propres termes (On a raison de se révolter), Sartre
se rapprocha de l’extrême-gauche, et même si les divergences
politiques sont profondes, une « forte relation » s'établit. Le
rapprochement avec les maoïstes s’effectue en avril 1970,
lorsqu’il accepte la direction de La Cause du Peuple.
Au-delà de l’aspect moral de son engagement aux côtés des «
maos ». La GP saisit l’occasion de son interdiction par le
gouvernement, le 27 mai 1970, pour se « dissoudre dans les masses ».
N’existant plus comme organisation, la création du SR tombe « à
point nommé » et peut permettre de remplir cette fonction
d’organisation de masse et de « couverture ».
Le
Secours Rouge
L'organisation
Secours rouge France, naît en
juin 1970 suite à l'appel lancé par Jean-Paul Sartre, et se
disloque à l’été 1972, incapable
surmonter les dissensions entre les groupes qui la compose et
l'animent : grandes personnalité de l'intelligentsia de gauche,
chrétienne et la Résistance, constituant le Comité d’initiative
[1]. Une belle assemblée d'une gauche plurielle refusant l'étiquette
d'un parti, qui est « la réalisation de l’union de trois
générations dans la lutte » : la Résistance, la guerre d’Algérie
[et son prolongement au Vietnam], Mai 68. Sa composition répond
donc à une volonté d’opérer une synergie (la « fusion » de
Sartre) entre des mémoires militantes et des cultures politiques :
les « ex » du PCF et les « compagnons de route », la Résistance
; les chrétiens de gauche et la guerre d’Algérie ; la « nouvelle
gauche » et l’extrême-gauche. Sartre accepte la présidence
d’honneur.
La
création du Secours rouge a d’abord répondu à un objectif
prioritaire : la lutte contre la
répression dont les organisations d’extrême-gauche et leurs
militants sont l’objet au cours de cette période, sous le modèle
du Secours rouge international créé au début des années
vingt par la IIIe Internationale afin de défendre les militants du
mouvement ouvrier, de leur fournir des avocats, et qui devient le
Secours ouvrier international en 1936. Avec l'engagement de
telles personnalités, nombre d’intellectuels y adhéreront ou
puiseront la justification de leur engagement et de leur fonction :
faire éclater la vérité, et, au-delà, dévoiler l’essence
répressive du pouvoir. Les victimes de la répression sont, elles,
désignées par un éventail social allant des lycéens aux immigrés
en passant par les étudiants, les ouvriers, les petits commerçants,
les paysans et les jeunes soldats sous l’uniforme appelés à
constituer un vaste front de lutte « contre la répression et
l’exploitation capitaliste ». C’est pourquoi, le CI appelle à
constituer le SR comme « lieu de la solidarité populaire contre
l’alliance du patronat, de l’État, de sa police, et contre tous
leurs complices. ». L’adversaire désigné va donc au-delà des
forces répressives, et des prisonniers « politiques ».
Les
comités locaux de SR, de région, de département, de ville, de
faculté, de lycée ou d’entreprise,
etc., bénéficient d’une large autonomie, ce qui posera parfois un
problème organisationnel – qu'il ne parviendra en fait jamais à
résoudre. Trois organisations structurent principalement le SR : le
PSU, la Ligue communiste et la GP dissoute auxquelles il faut ajouter
toute une frange d’« inorganisés » à qui le SR fournit un cadre
d’organisation et d’action hors des groupes révolutionnaires. Le
problème est d’avoir à assumer des actions lancées par telle ou
telle organisation politique, notamment les « maos » de l’ex-GP,
auxquels le SR fournit une « couverture » depuis leur dissolution.
Les
comités du SR se constituent à partir de l’automne 1970 dans
toutes les grandes villes, avec des points forts en fonction de
l’implantation des organisations parties prenantes. Le nombre des
comités est de 150 en octobre 1970 ; 300 en province, 80 en région
parisienne en janvier 1971 ; on en dénombre près de 150 rien que
pour cette dernière région à la réunion nationale d’avril 1971
où sont représentés 23 départements. Le SR dispose, par ailleurs,
de commissions : presse (Angeli), médicale (Kahn), avocats
(Leclerc).
Les
effectifs sont impossibles à évaluer. Un ordre d’idée de
l’attraction qu’exerce le SR est fourni par la participation aux
manifestations comme celle du 1er mai 1971 à Paris où, sur 40 000
manifestants réunis par l’extrême-gauche, le SR rassemble les
plus gros contingents avec ceux du PSU, selon Le Monde. La
presse du SR se résume, au plan national, à deux bulletins publiés
l’un en janvier 1971, l’autre en février 1972. Les comités
locaux, de leur côté, éditent souvent un bulletin ou des brochures
ronéotypés. Il faut signaler un bulletin de plus grande envergure :
celui du Nord-Pas-de-Calais Liberté vaincra.
LA
LUTTE DU PEUPLE POUR LA LIBÉRATION DE SON ESPACE
La
liste est longue des actions du Secours rouge en faveur des
prisonniers politiques, leur principale préoccupation. Mais peu à
peu, de partout et en même temps, affluent de collectifs et de
comités des demandes d’information, de soutien, contre des actes
de « répression » locale : agressions racistes, expulsions de
militants étrangers, interpellations abusives, etc... L’activité
du SR se déploie ainsi sur le terrain de « l’Action sociale »
(du type Secours populaire français), avec l'aide de professionnels
bénévoles : médecin, infirmière, avocat, comptable, etc., et
des architectes. Ainsi, des témoignages évoquent des étudiants et
enseignants architectes qui travaillent sur un ensemble de logements
que les travailleurs d'une usine construisent eux-mêmes. Ailleurs,
le relevé des surfaces et éléments de confort pour obtenir le
bénéfice de la loi 1948. L'équipe de « Place », revue
trimestrielle éditée à Paris, liée à l'extrême-gauche, posait
en ces termes le rôle des architectes au sein de « la lutte du
peuple pour la libération de son espace » :
« Jouer un rôle
de technicien sous la direction politique et idéologique des
travailleurs. Pour ceux-ci, le plus souvent, le professionnel de
l'espace est d'abord un instrument et un acteur de sa domination. Et
ni la bonne volonté, ni une idéologie plus ou moins populiste, ne
peuvent suffire à renverser cette évidence. C'est donc bien par la
pratique, au jugé de leur pratique que peut s'établir cette liaison
entre les professionnels et les luttes populaires. Des tentatives
dans le même sens, mais avec des moyens différents commencent à se
faire jour. Elles cherchent à prolonger cette liaison obtenue par
une pratique professionnelle quotidienne. Les formes en restent
encore le plus souvent individuelles et artisanales. Mais il est
probable que très bientôt existeront des collectifs de techniciens
de l'espace dont les membres travailleront en permanence avec et pour
les ouvriers, les paysans, les couches populaires.»
Mais
il faut attendre janvier 1972, pour que le Secours rouge s'intéresse
aux problèmes des mal-logés et des sans-logis ; non pas en initiant
le mouvement, mais bien suite à l'occupation spontanée de la villa
Rika Zaraï.
LA
« VILLA RIKA ZARAÏ »
En
janvier 1972, une famille s'installe illégalement dans une
somptueuse villa inoccupée, propriété du
pianiste de la chanteuse Rika Zaraï - ou peut-être, de la chanteuse
elle-même, à Issy-les-Moulineaux sur
les hauteurs dominant la Seine, au 13
rue Henri Tarriel. Les
premiers occupants sont un couple et ses huit enfants. Ils vivent
depuis deux ans en caravane, sous un pont de chemin de fer, à
Issy-les-Moulinaux. Sans eau, sans sanitaires ni commodités d'aucune
sorte. Ils sont très vite rejoints par une ouvrière de l'usine SEV
Marchal, toute proche, investie depuis longtemps par les maos.
"Demandeuse prioritaire" de HLM depuis une éternité, elle
a dû se séparer de ses quatre enfants, confiés à un foyer, faute
de pouvoir les élever avec elle dans des conditions décentes dans
son tout petit meublé.
La
très célèbre et richissime Rika Zaraï est connue aussi de
l'extrême gauche pour son soutien militant à l'Etat d'Israël, et
la "bande d'Issy" maoïste du comité local s'empresse de
leur apporter leur soutien. Très vite, est organisée devant la
mairie, une manifestation d'une centaine de personnes, "longs
cheveux" connus pour leurs idées rebelles, mais aussi
ménagères, vieux travailleurs et sympathisants des Jeunesses
Communistes de la ville, se forme au cri de :"Métro,
boulot, même pas où faire dodo !" Bientôt viennent se joindre
aux occupants d'autres aspirants au relogement "sauvage",
en nombre, dont des immigrés logés dans des conditions honteuses,
et l'occupation prend de l'ampleur.
Le
mouvement gagne le quartier de La Basilique, à Saint-Denis, fief
communiste,
qui
s'est lancé dans un projet urbain ambitieux de "modernisation"
du centre ville, quartier alors prolétaire, dont
les immeubles lépreux s'affaissent sur des "locataires"
quelquefois
confinés jusque dans les caves.
Claude Lafond, tourneur professionnel, militant CGT, père de famille
nombreuse, sans logement, s'installe
avec sa famille en janvier 1972, dans un petit hôtel de voyageurs de
Saint-Denis - qui se trouve contraint de placer deux des enfants, les
plus jeunes, dans un centre de l'Assistance Publique. N'ayant d'autre
choix, Claude
et son épouse s'installent avec deux de leurs enfants sur le marché
pour y camper, dans une tente. Ils
sont aussitôt contactés par d'autres personnes en grande
difficulté, et par les militants du Secours Rouge, régulièrement
présents sur le marché. Encouragés
par l'exemple d'Issy, répercuté, sur ses grands panneaux "à
la chinoise" par
l'association de solidarité populaire créée par l'ancien maire
communiste d'Aubervilliers, Charles Tillon, Maurice Clavel, et
d'autres, et animée par les jeunes maoïstes, les Lafond finissent
par s'installer
en force dans un deux-pièces vide, 45 rue Jean Jaurés, à
Saint-Denis. Les familles occupant la "villa Rika Zaraï"
d'Issy viennent aussitôt les rencontrer, pour manifester leur
soutien.
«
OCCUPER LES MAISONS VIDES C’EST NORMAL »
Un
embryon de mouvement collectif est né ; et le
Secours rouge lancera en février 72 sa campagne pour l'occupation
de maisons vides,
annoncée en première page du
deuxième
et dernier numéro de Secours
rouge
:
« Occuper les maisons
vides c’est normal »
Le SR lance un appel à
l'occupation illégale, à la résistance aux expulsions, à la grève
des loyers et des charges, relayé efficacement par les comités
locaux, et d'autres de défense des mal-logés. Pour les militants
gépéistes, il n'est plus seulement question d'interpeller les
pouvoirs publics, mais de permettre la naissance et l'extension d'une
lutte urbaine, dont on espère qu'elle engagera le plus grand nombre,
étant donné la crise du logement qui frappait la classe ouvrière,
et plus particulièrement les familles immigrées. Certains
estimaient envisageable la construction d'un courant révolutionnaire
prenant appui sur une mobilisation radicale dans les quartiers
populaires. Pour les plus radicaux, il ne doit pas s'agir de tenter
de réformer un système urbain de type capitaliste, de venir en aide
aux mal-logés, mais bien d'organiser une subversion immédiate de
l'ordre social ; vision partagée par la composante
intellectuelle du mouvement squatter défendant l'illégalisme de
l'action.
Celle
de l'« illégalité
légitime »
énoncée et défendue par Jean-Paul Sartre qui sera ainsi au coeur
de ces luttes. D'ailleurs ni le Secours rouge, ni le GP
n'apparaissent en tant qu'organisateur, ni sur les banderoles
accrochées aux maisons occupées, ni dans les articles de presse où
l'on mentionne une “organisation de l'extrême gauche”, comme ce
fut le cas de l'étude d'Eddy Cherki consacrée à ce “mouvement”
parue en 1973, dans la revue Espaces & Société.
Si le Secours rouge a
effectivement lancée sa campagne, et invite, incite à
l'expropriation, toutes les occupations illégales de 1972 et 1973,
ne sont pas organisées par ses militants ; d'autres collectifs dont
certains en dehors du mouvement politique, assurent également les
opérations d'occupations, de simples squatters clandestins agissent
spontanément sans la présence d'un seul activiste « politique »,
mais ils peuvent contacter le Secours rouge pour bénéficier de
leurs aides et de leurs expériences, et de leur soutien censé les
protéger. Et il semble bien que la grande
majorité des occupations publiques de 1972-1973 soit le fait
directement ou non, de militants du Secours rouge ; la mobilisation
des mal-logés au sein ou à proximité immédiate de la mouvance
politique Nouvelle Gauche est tout à fait réelle, mais
mobilisation ne signifie pas l'adhésion.
LES OCCUPANTS ILLÉGAUX
La masse de mal-logés
en Région parisienne est telle, que les militants du Secours rouge
n'ont guère de difficultés à trouver des postulants à
l'illégalité. Ces occupations intéressent principalement les
personnes et les familles en difficulté financière, en majorité
des ouvriers ou des jeunes chômeurs, des familles de travailleurs
immigrés, des retraités sans ressources, qui ne peuvent pas accéder
au marché des logements libres ni même social ; à leurs côtés,
le lumpenproletariat n'ayant ni la vocation de s'inscrire dans la
société, ni les aides des services sociaux leur permettant de
survivre ; une fraction peu nombreuse se compose de jeunes dont la
volonté est de vivre en communauté et n'ayant pas les ressources
nécessaires pour la location d'un grand appartement ou d'une maison
; enfin, certains pratiquent l'expropriation par choix idéologique
et politique, plus que par nécessité économique. Dont un certain
nombre de jeunes occupants ayant fréquenté les milieux
d'intellectuels de gauche, proches du GP, ou militant actif. Ils
constituent la partie consciente et active du mouvement. Le cas le
plus significatif est celui des jeunes travailleurs d'une banlieue de
la région parisienne qui ont occupé le 3ème étage entier d'un
immeuble vide pour pouvoir vivre en communauté. Ce sont, pour la
plupart, d'anciens étudiants qui ont été travailler en usine pour
des motifs politiques idéologiques et qui cherchaient un 10-12
pièces depuis près de deux ans. L'occupation répond ici — mais
c'est un cas limite —à la non-adaptation de l'habitat, à
l'évolution des structures de relations humaines et à une volonté
de vivre collectivement. Mais d'une manière générale, les
travailleurs immigrés ont été les piliers des occupations de la
région parisienne : les familles des travailleurs Arabes et
Africains forment la plus forte majorité, avec également des
travailleurs Yougoslaves et leurs familles ; dans le Nord de la
France, les ouvriers, les chômeurs et les “marginaux” français
sont davantage représentés.
ORGANISATION
Entre janvier 1972 et
janvier 1973, ils organisent illégalement près de 70 expropriations
« sauvages » de maisons inoccupées ; plus d'une dizaine
d'immeubles vides ont été occupés (de 20 à 40 personnes pour
chaque occupation). Plusieurs centaines de personnes ont participé
ont été concernés ou impliqués aux seules occupations d'immeubles
de la région parisienne (probablement plus de 500 personnes, mais il
est toutefois assez difficile de donner un ordre d'importance précis
quand au nombre. Par exemple, les mal-logés expulsés d'un immeuble
vide occupé peuvent très bien réoccuper un autre immeuble un ou
plusieurs mois plus tard. D'autre part, il existe une importante
fraction d'occupants qui est très mobile : une même occupation
d'immeuble peut se renouveler régulièrement en occupants). En
janvier 1973, l'étude de E. Cherky décomptait :
- Plus de trente appartements occupés, dont une dizaine pour une seule banlieue de la région parisienne ; à Paris, l'immeuble occupé de la rue Jacquier dans le 14e arrondissement, regroupe une dizaine de familles ;
- Plus de vingt-cinq maisons, pavillons ou villas inhabitées occupées — dont une quinzaine pour une seule ville du Nord de la France. Ces occupations regroupent généralement entre une et deux familles (le plus souvent des familles nombreuses).
La tâche des gépéistes rouges
secouristes est relativement simple : répertorier les logements
vacants, rassembler discrètement – ou non parfois – un groupe,
forcer une serrure ou démurer une entrée, puis, le plus difficile
semble-t-il, à l'organiser au mieux. La ligne directrice, est assez
souple, posant deux principes, que l'on pourrait qualifier de
suivisme-spontanéisme, en sachant toutefois qu'elle peut
varier en fonction des rapports de forces et des tactiques locales,
de l'audace ou de la détermination ou de la conscience politique des
occupants, du dévouement ou du volontarisme des militants :
- respect de l'autonomie des embryons d'organisations d'occupants ou de mal-logés ;
- développement prioritaire de l'initiative locale ; respect et soutien des initiatives des occupants.
Dans
cette volonté d'autonomie, le comité de lutte reste uniquement un “soutien” et se dissocie du propre
comité d'occupants qui se crée obligatoirement,
seule véritable exigence du Secours rouge, et qui se compose outre
des occupants, de militants et souvent de voisins et d'habitants
sympathisant du quartier. Des Assemblées Générales sont organisées
et les décisions prises collectivement, lors de votes. Ainsi,
l'organisation interne d'une habitation occupée, peut amplement
variée l'une de l'autre ; dans certains cas, les repas sont pris en
commun, et non dans d'autres qui préfèrent, par exemple, se limiter
à une cuisine commune, “afin d'avoir un peu d'intimité”, selon
un occupant. L'on n'impose aucune régle. Mais Eddy
Cherki note « qu'en fait, les militants ont été amenés à
assurer, plus qu'une simple organisation d'aides matérielles, les
contradictions et les conflits entre les différents groupes. »
Leur rôle ne s'arrête
pas à l'installation, car une expropriation de ce type est aussi,
surtout même, une propagande par le fait qu'il s'agit de
médiatiser et de protéger. Lors des opérations d'ouverture de
squat, la presse est prévenue la veille, et souvent les journalistes
de l'ORTF viennent couvrir l'événement. Le plus rapidement
possible, l'on doit engager les négociations avec les propriétaires
ou les pouvoirs locaux ; ainsi qu'une mobilisation politique autour
de l'occupation pour accentuer la pression sur les autorités locales
en vue d'obtenir le relogement ou le maintien dans les lieux, et
enfin ne pas être expulsé par les forces de police. L'on passe
alors aux actions légales et aux formes traditionnelles d'actions de
mobilisation de soutien (publication, manifestations, pétitions,
etc.), de type revendicatif (délégations composées de militants,
d'occupants, d'habitants du quartier pour appuyer les négociations
avec l'Office de relogement de la préfecture de Paris), et le plus
souvent juridique (organisation de la défense des mal-logés lors
des procès en référé d'expulsion intentés à leur égard).
LA RUE EST À NOUS
Les manifestations
occupent une place importante dans l'arsenal de la lutte, il s'agit
de « reprendre la rue », même de façon symbolique, pour retrouver
peut-être l'idée-force de Mai 1968 : « le pouvoir est dans la rue
». les manifestations ont vocation à rassembler, mais aussi à
faire la fête ; elles peuvent être :
- fédératrice comme celle du 26 février 1972 « pour le soutien aux occupations et aux résistances à l'expulsion » ; manifestation qui rassembla plusieurs milliers de personnes ;
- locale comme celle qui eut lieu en juillet dans la banlieue parisienne pour protester contre l'intervention d'un commando du syndicat indépendant d'une usine, proche de l'immeuble occupé, au cours d'un bal populaire qui se déroulait à l'intérieur d'une maison occupée (le 13 juillet au soir) ; ou celle d’avril, dans le quartier de Belleville.
- des rassemblements publics de rue ou plutôt des tentatives de rassemblement qui ne purent en général se dérouler, car frappés d'interdiction par la préfecture de police. C'est notamment le cas de 2 rassemblements, l'un le 16 avril 1972, pour protester contre l'expulsion de 3 immeubles occupés le week-end précédent, l'autre le 26 août (organisé par un certain nombre d'organisations de gauche et d'extrême-gauche) pour protester contre les pratiques de commando employés par un syndicat indépendant. (C'est la suite politique de l'agression du 13 juillet au soir).
- une occupation de mairie : c'est le cas de mal-iogés expulsés d'un immeuble occupé et qui essayent d'occuper la mairie de leur quartier ;
- les meetings : notamment un meeting central qui réunit plusieurs milliers de personnes pour le soutien « aux luttes sur le logement » ;
- enfin, cela peut être une grève de la faim dont celle qui dura 18 jours, faite pour protester contre l'imminente expulsion d'un immeuble occupé.
Systématiquement des « fêtes populaires » bon enfant autour des lieux occupés sont organisées pour tenter de sympathiser ou de rallier le voisinage à leur cause. Les manifestations culturelles de rue dans les quartiers où se produisent les occupations ont un double but :
- c'est une des formes de mobilisation pour soutenir la maison occupée parmi les plus populaires ;
- faire prendre conscience aux habitants de l'ilôt ou du quartier qu'il existe une certaine collectivisation de la vie au sein de la maison occupée qui ne leur apparaît pas toujours. Il s'agit pour les occupants (et les militants) d'essayer de faire participer les habitants à une remise en cause — encore symbolique — de leur propre pratique sociale quotidienne.
Même si la
mobilisation autour du mouvement des occupations ne concerne qu'une
partie limitée des habitants du quartier (et pas seulement les
militants et leurs sympathisants) elle a été réelle et d'une
portée idéologique qui a surpris un certain nombre de militants et
d'occupants ; ainsi dans quelques cas, les rez-de-chaussées des
immeubles occupés ont joué un rôle de lieu d'accueil et de
rassemblement des mal-logés ou plus généralement d'habitants des
quartiers. Mais d'une manière générale, à la grande différence des occupations illégales de l'Italie, la mobilisation politique et citoyenne autour de ces occupations a été faible, sauf cas particulier, les occupations n'ont pas été des attracteurs politiques, et assuré le rôle de « maison du peuple » ou de lieu de rassemblement citoyen, en dehors des bals populaires.
COMMANDO FASCISTE
La
justice, la police ne sont pas les seuls instruments de la
contre-révolte, car les groupes de l'extrême droite ont été
particulièrement actif, entre insultes et bagarres, mais l'horreur
survient le
13 juillet 1972, au
cours de la grande fête ouverte à tous par la communauté
Yougoslave occupant deux maisons. Les malfrats fascisants venus du
"syndicat indépendant de Citroën", raciste, sont montés
à l'assaut de ce lieu de vie, qui défie l'ordre social de l'usine,
étendu, autant qu'il peut, "à
toute la société".Repoussés,
ils ont réussi à capturer deux jeunes filles. L'une d'elles sera
violée. Il
y a eu dix
blessés au
cours de l'affrontement. Mais surtout, les Yougoslaves, aidés par
d'autres ont réussi à « choper
deux fafs » ; Qu'en
faire ?
Au
matin, les deux attaquants prisonniers sont promenés dans toute la
ville, une pancarte au cou :
« Fasciste
CFT Citroën : que doit-on faire de moi ? » Faute
de mieux, ils sont remis, à peu près en bon état, à la police.
Elle les libérera en catimini, dès le lendemain, les violeurs non
inquiétés par la Justice, malgré les plaintes : l'horreur à
nouveau. Une manifestation de soutien sera organisée.
LES
PETITS VIEUX "ENRAGÉS"
DE
LA RUE JACQUIER
Le samedi 12 février 1972, dans le 14e arrondissement de Paris, un immeuble entier, vide depuis juillet 71 et en parfait état, est occupé, propriété de la société SEMIREP, qui "rénove" le quartier, et compte démolir le bâtiment l'année suivante. Les "squatters" qui ont dû "démurer" les entrées, ne sont pas des étudiants anarchistes ou maoïstes, mais un vieux couple : Armand, ancien maçon, 62 ans, mutilé de guerre, et Andrée, 52 ans, grande infirme, accompagnée de leur amie de pauvreté Yolande. Dans le cadre des travaux de "modernisation" du quartier effectués par la SEMIREP [Société d'économie mixte pour la rénovation de Plaisance, qui est chargée de l'acquisition des terrains, de l'expulsion des locataires éventuels, de la démolition, de la cession des terrains aux utilisateurs ou promoteurs ; elle se présente comme le premier responsables des conséquences de la rénovation], ils ont été expulsés du logement qu'ils habitaient, rue Joncquois, dans le même arrondissement. Andrée, à présent considérée administrativement SDF perd sa pension d'infirme : SDF = pas de pension ! Les trois petits vieux se sont alors installés, comme ils ont pu, sur un terrain vague proche, d'où on est venu, encore, les chasser.
Les
militants locaux du Secours Rouge les prend en charge, comme,
rue des Lyonnais, tout près, une autre vieille dame reste seule dans
un immeuble dégradé dont tous les voisins sont partis. Mais
bientôt,
c'est le Comité de Lutte des Mal Logés (Cdlml) qui prend les choses
en main,
faisant aussitôt des trois amis de nouveaux militants. Prenant le
relais du Secours Rouge, il organise sur place une véritable
coopérative, recueillant dans le quartier lits, matelas, vêtements,
nourriture. Au passage, il recense avec les habitants du coin, par le
bouche à oreilles, de nouvelles adresses de maisons vides. Deux
autres familles rejoignent alors l'occupation de la rue Jacquier.
Elles apportent un bain de jouvence. Treize enfants s'égaillent
maintenant dans l'immeuble. Une crèche est bientôt ouverte, à
l'intention, aussi, des habitants "légaux" du secteur
proche. Ils
viennent amener leurs petits, en toute confiance, en passant sous les
banderoles colorées :
"
Résistons aux expulsions ".
"
Occuper les maisons vides, c'est juste ".
Et
l'immeuble de la rue Jacquier, solidement enraciné dans le terreau
du quartier, devient
un bastion inexpugnable. Parmi
ceux qui sont venus lier leur sort à ceux du vieil Armand, d'Andrée
et de Yolande, Jeanine, secrétaire, vivant au sixième étage dans
une chambre de bonne sans chauffage passait devant l'immeuble quand
son regard est tombé sur une affiche. "J'ai pensé: "Pourquoi
pas moi ?".- "J'ai dit: "je reviens dans une heure. "
Comme Mohammed, 25 ans, accompagné de sa femme et de sa fille ;
Daniel (28 ans), sa femme, et deux deux enfants, qui dormaient dans
leur vieille Dauphine ; un autre Mohammed, (28 ans), avec sa
femme enceinte et 5 enfants ; Claudine et ses enfants ;
Bouaziz et sa famille ; Maryse... Jean-Paul
Cruse s'exalte :
« Comme
dans les ateliers de Renault, de Citroën ou de Chausson, c'est tout
un petit peuple de base qui, surmontant des divisions de toute sorte,
et pas seulement ethniques, fait ou refait son unité dans le cadre
d'une action sans grande violence, mais hors-la-loi, dans la
dynamique crée autour de La
Cause du Peuple :
"Le
Français qui méprisait l'Arabe, le vieux qui méprisait le jeune,
vivent unis dans l'immeuble occupé
",
commente
le journal, qui vole de main en main, d'une occupation de maison vide
à l'autre, devient un lien, et le lieu d'un permanent "échange
d'expériences" ;
« Les
occupations de maisons vides jettent les bases de ce que pourrait
être un quartier contrôlé par le peuple. Les terrains vagues
transformés en espaces de jeux pour enfants. Garderie, crèche
ouvertes aux autres femmes du quartier. »
L'entraide
pour l'entretien de maisons, les bases dune vie nouvelle,
dans laquelle
« Le
voisin n'est plus un ennemi. Il s'agit de créer une nouvelle forme
de vie, celle qui soulève les mal-logés, semblable à celle que les
ouvriers du Comité de Lutte Renault commencent de leur côté à
imposer. »
Le
Secours Rouge, qui s'efface de bonne humeur devant "les
mal logés eux-mêmes" du
Cdldml, n'en
reste pas passif, d'autant. Il tourne un petit film devant la porte
de cette
étonnante communauté populaire, qui se forme, puis
va le projeter sur le marché du quartier. Les "gardiens de la
paix", bien sûr, viennent faire leur numéro. Ils saisissent la
pellicule. " Voleurs! ", hurle une foule aussitôt
attroupée - qui les oblige à le restituer.
Le centre de gravité du mouvement des mal logés s'est maintenant déplacé d'Issy-les-Moulineaux à la rue Jacquier. Sa portée ne se limite plus à la stricte question du logement - de l'habitat.
« Les
pauvres seuls ont entrepris de changer la vie dans les immeubles
occupés »,
souligne
La Cause du Peuple.
« Nous
sommes maintenant 32 dont 19 enfants, disent les occupants de
l'immeuble. Tous les jours deux ou trois personnes viennent pour
occuper. On n'est pas une agence. On va aider à occuper d'autres
maisons. En attendant, on partage tout : ménage, budget, garde
d'enfants avec les voisins... »
En région parisienne, le mouvement, où les rouges secouristes se fondent, laissant aux nouveaux militants issus directement des familles occupantes, comme Claude Lafond, la gestion des opérations, et la maîtrise d'une lutte étendue maintenant à l'ensemble de la région parisienne, et largement autonome, prend une telle dimension que le samedi 26 février 1972, lendemain de la mort de Pierre Overney suivie par la bastonnade de la manif désarmée, à Charonne, les Mal Logés maintiennent leur propre appel, prévu de longue date, à leur manifestation spécifique. Dans ce contexte électrique, elle rassemble 7000 personnes. Aux cris de: "On a raison d'occuper les maisons vides", et derrière une vaste banderole du Secours Rouge, le cortège défile de République au Père Lachaise.
SAINT-DENIS [93]
Le jour même le Cldml de Saint-Denis lance deux nouvelles occupations dans sa commune. La première est réalisée par la famille Courtois, au 121 rue Gabriel Péri. Le mari , homme de peine à Pierrefitte, son épouse, enceinte de 7 mois, et leur premier enfant, âgé de 11 mois, vivent depuis longtemps dans un réduit de 1,70m x 3,50m pour 180 Francs de loyer (près de 30% du salaire du chef de famille). Monsieur Courtois a fini par prendre une charrette à bras chez son patron, ils ont mis leurs affaires dedans, et sont allés s'installer devant la mairie de Versailles, où ils résident alors, le jour d'un grand mariage. Le maire a fait appel aux pompiers pour dégager la charrette. Ils ont alors débarqué à l'office HLM, y installant les petits enfants dans des lits de fortune, posés sur les bancs de la salle d'attente, jusqu'à ce qu'on leur fournisse un relogement dans une cité d'urgence.
A Saint-Denis, toujours, la deuxième occupation est le fait d'un ouvrier pâtissier victime d'un accident, et hébergé chez des amis, à droite, à gauche. Il est accompagné de Michel, "un camarade travailleur dans la même situation". Le logement inoccupé où il s'installent, 4 rue Pont du Godet, appartient à la municipalité communiste de Saint-Denis, qui décide aussitôt de le murer - comme deux autres logements vides en bon état que le Cdldml avait ouverts. Les employés municipaux arrachent portes, fenêtres, fils électriques, ils cassent les pierres d' évier. Mais après une nouvelle grande manif des Mal Logés, le 12 mars, le PCF commence à virer de bord, et la mairie de Saint-Denis se décide à reloger une première famille d'occupants sans titre dans un F3. - 10H00, proposition, 11 heures, visite, 14H00 signature, 15H00 emménagement. Le 16 mars, une promesse de relogement est faite à la famille Courtois : un deux-pièces cuisine dans l'immeuble qu'ils occupent pour le modeste loyer de 100F par mois.
PROVINCE
De même le mouvement déborde largement la région parisienne : Mantes-la-Jolie, Toulouse, Saint-Dizier... Dans le quartier de La Clochette à Douai (nord), plusieurs familles s'installent ensemble dans un groupe de maisons inhabitées. Dans le même département, à Waziers - où vécut, un temps Serge July - un Comité de Mal Logés rappelle de bons souvenirs aux habitants. "On n'avait pas vu d'occupations comme ça dans le nord depuis le Front Populaire et la grande révolte des mineurs de charbon de 1948. De voir autant d'ouvriers qui sont ensemble, c'est un cœur". Les maisons occupées appartiennent très souvent aux Houillères qui, sous la pression, et dans le souvenir aussi des grandes luttes d'antan, offrent peu de résistance - et commencent à faire des propositions de relogement.
L'implantation maoïste dans le nord de la France se concentre autour de trois foyers distincts, relativement cloisonnés : le pays minier, la zone portuaire autour de Dunkerque, et le bassin de la Sambre, autour des usines de sidérurgie (Vallourec), aux fortes traditions de lutte, et notamment, de séquestration, et de la ville de Hautmont. Dans cette petite localité, un couple de militants dynamiques et ouverts, Anne et Bernard Vittorri, de la Gauche Prolétarienne, se sont rendus très populaires. La Cause du Peuple (17 janvier 1972), relatait que le mouvement a pris là-bas la forme de comités de locataires dans une cité nouvelle de quelque 500 logements neufs, "Les Provinces Françaises". Là, pas d'occupations, mais, dans le même esprit, des Assemblées générales menaçant la société propriétaire d'une grève des loyers si les problèmes de chauffage ne sont pas réglés. "Un mouvement mao s'est créé à Hautmont. Les luttes se mènent un peu partout. Les ouvriers du bassin de la Sambre sont heureux de voir qu'enfin il y a quelque chose de bon là derrière...", entend-on dans les rues de Hautmont. Le dimanche 7 mai 1972, l'effervescence générée par les actions des mal logés débouche sur du concret. Avec la création d'une Union des Comités de Lutte des mal Logés, au cours d'une assemblée populaire de cent personnes, venus des quartiers en lutte de Belleville, Barbès, Saint-Denis, Choisy, Issy-les-Moulineaux, à l'occasion d'un pique-nique familial et militant organisé dans l'immeuble phare de la rue Jacquier.
C'est
Victor
de Rampal,
figure emblématique de 70 ans, expulsé plusieurs fois, ayant dû
"vivre"
plusieurs
mois, de son propre aveux "de
mendicité publique" qui a rédigé le texte fondateur. Saluant
le Secours Rouge pour son aide initiale, il souligne que, maintenant,
"c'est
à nous les mal-logés de nous tenir la main (...)". Il
exhorte les Jeanine, les Maryse, les Mohammed, les Claude et les
Bouaziz de toutes les familles représentées à
"aller
aux bidonvilles, dans les foyers africains, dans tous les quartiers";
à ne pas se limiter aux occupations, mais à s'occuper de tout :
"les
problèmes d'eau coupée, les grèves de loyers..."....
A "progresser
immeuble par immeuble, rue par rue".
Et "
Le vent ne cessera pas, même si les arbres veulent se reposer."
Il
est remarquable qu'au moment
d'un vent mauvais de démoralisation et d'abandon souffle, du sommet
vers la base, sur le mouvement mao, un
appel de cette nature, revivifiant,
émane
d'un homme
déjà âgé, expulsé de nombreuses fois, réduit
à la mendicité,
et qui n'avait dû sa survie physique la plus élémentaire qu'"à
la synagogue algérienne" de
Belleville qui lui donnait, dit-il, un peu de pain.
LES
FILLES D'ISSY
C'est à nouveau à Issy, que se déroula une révolte : celle d'un mouvement de jeunes filles, mères célibataires d'un "Hôtel Maternel", "foyer" devenu prison, et centre d'humiliation, caché derrière un dispensaire de la Croix Rouge, où la direction, réactionnaire, d'une"œuvre de charité-maison de redressement", punit de toutes jeunes femmes pour crime d'enfants nés ou à naître. "Quand on voit nos fiancés, disent-elles, nos éducateurs nous traitent de putains".
La
rumeur leur parvient de la révolte des filles du Plessis-Robinson,
où les féministes bourgeoises, l'aile
la plus américanisée du MLF,
se sont parachutées non sans efficacité sur une rébellion
d'adolescentes d'un foyer prison.
Pendant deux semaines, elles préparent soigneusement une grève des
cours, élisent deux déléguées, et mettent en commun un
petit "trésor
de guerre",
argent et provisions. Elles entrent alors en lutte, et se relaient
aux tâches, multiples, d'une "grève
active".
Ménage fait en commun, cuisine itou, crèche "sauvage",
distribution de tracts en ville - où elles trouvent très vite
l'aide du Secours Rouge. Ensemble, elles écrivent une pièce de
théâtre. Et viennent la jouer, pétulantes, sur le marché.
Profitant de l'occasion pour convier les gens à une Assemblée
Populaire, le soir, au foyer. Les collectifs militants de La
Cause du Peuple
rassemblent 300 jeunes d'Issy et de Paris, loubards et militants
mêlés. Leur
bouillonnant mascaret croise un flux de CRS, en ordre de bataille,
devant le foyer. Les
rebelles en mini-jupe montent en première ligne. Des fenêtres, les
redresseurs de mœurs leur crient "Putains!",
et pour qu"elles entendent mieux la voix du Ciel, leur balancent
des seaux d'eau bouillante, des étages. Du périmètre de l'"Hôtel
Maternel",
bouclé par une imposante armada en uniforme, casque et boucliers
pare-éclats, l'armée mixte des jeunes doit bientôt refluer. Elles
sortent une nouvelle arme de leurs sacs à main, devenus, à
l'occasion, matraques, ou boucliers : "
Les flics hors du foyer! Grève de la faim". Et elles
gagnent : renvoi du directeur et des éducateurs, réorganisation
complète du foyer avec la participation des"jeunes
mères célibataires elles-mêmes."
LA
CHAPELLE à PARIS
Paris,
42 boulevard de la Chapelle, le dimanche 9 avril 1972, l'on démure
l'entrée et l'on construit
un escalier en bois pour loger onze familles, avec les maos, qui les
accompagnent. La
police intervient, aussi, très vite, pour
jeter à la rue, notamment, une famille squatteuse d'ouvriers
algériens, qui, vivant dans un hôtel borgne peu à peu transformé
en maison de passe d'abattage, avait dû se résoudre à le fuir pour
protéger l'épouse, et les jeunes filles. La résistance des
occupants est saluée par les klaxons des métros surplombant le
boulevard, et les conducteurs de la RATP.
LES
« YOUGO » D'ISSY
A
nouveau à Issy-les-Moulineaux, c'est un groupe de vingt-six
familles, en grande majorité yougoslaves, qui sont arrivées,
ensemble, dans un grand camion loué pour l'occasion, pour occuper en
force deux vastes maisons vides, 4 et 6 rue Jeanne d'Arc.
"Chez
nous, disent-ils, on décide tout en réunion, et on résume tout sur
un journal mural."
Ils
ont tout retapé, nettoyé, remis à neuf et même repeint en un
temps record. Ouvrières et ouvriers, travaillant souvent dans le
secteur du nettoyage, ou dans l'automobile, ils se sont liés tout
naturellement aux travailleurs de la SEV Marchal, toute proche. Tout
le quartier les aide, ils partagent les dons strictement, sommiers,
habits, four à gaz. Ils se sont répartis les chambres, sur des
critères égalitaires, concrètement discutés, en Assemblée
Générale. Trois A.G. successives. Ils réservent même certains
espaces de vie à l'intention d'amis ou collègues de travail,
Algériens ou Français, qui s'apprêtent à les rejoindre. Ils
partagent même avec des voisins du quartier leurs machines à laver,
et jusqu'à leurs machines à coudre.
Le
samedi 17 juin, la
vaste communauté "yougo" de la rue Jeanne d'Arc a réuni
une assemblée populaire de 160 mal-logés de la région parisienne.
Les prises de paroles s'y succèdent : en Yougo, en Français, en
Arabe. Les occupants d'une nouvelle "zone libérée", celle
de La Butte aux Cailles, leur demandent de venir tous le 1 juillet
suivant pour empêcher l'expulsion, programmée, des occupants :
quatre familles françaises dont Barbara, 27 ans, qui vivait avec sa
fille de sept ans à l'intérieur... d'une serre d'horticulteurs, à
Charenton, et trois tunisiens, célibataires, qui auraient aimé que
tous les repas soient pris en commun, proposition refusée par vote
démocratique pour protéger "un peu d'intimité", et ne
pas faire dans le style "soupe populaire". Au Café de
l'Espérance, au bas du 33, l'immeuble occupé, on dit qu' "à
La Butte aux Cailles, dernier bastion de la Commune, l'esprit y est
resté."
Les
"Yougo" de la rue Jeanne d'Arc décident d'aller s'y
ressourcer, et appellent tous les mal-logés parisiens, représentés
à leur A.G., dont Saint-Denis, Rampal-Ramponneau, et la rue Jacquier
à être tous sur place, avec ceux de La Butte, dès 6H00 du matin.
On envoie, sans attendre, des délégations de dissuasion aussi
massives que possible dans les préfectures, les mairies, ainsi
qu'aux HLM. Conclusion de cette belle et chaude assemblée :
l'organisation d'une grande fête, à Issy.
Le
chant du cygne
Initiée
en janvier 1972, la campagne d'occupation des maisons, prend fin en
janvier 1973, c'est-à-dire bien avant la dissolution annoncée de la GP le 1er
novembre 1973 lors d'une ultime
réunion. A partir de janvier 73, plus
aucun témoignage fait mention d'occupations publiques, ou de fêtes
de quartiers, même s'il est probable qu'elles se soient
poursuivies. Quand
aux comités de soutien, il semble qu'ils soient pour la plupart
redevenus ce qu'ils étaient au début du mouvement : des comités
locaux de militants d'une organisation politique d'extrême-gauche de
soutien aux mouvements populaires ; des soutiens et non plus des
initiateurs. Mais la
dissolution de
la Gauche
Prolétarienne ne
signifie pas pour autant, la reddition des militants de la « base »,
si certains, nombreux découragés, abandonnent la lutte, d'autres la
poursuivent au sein des structures et des réseaux, ceux hérités
des comités du Secours rouge et de la GP, mais il est vrai, l'élan
d'une révolution populaire est brisé. La
réelle fin de la gauche maoïste s'effectue graduellement, et pour
Christian Bachmann et Nicole Le Guennec,
la véritable coupure se fait symboliquement en 1975 : alors que «
les combats pour l’environnement gagnent en ampleur », « les
derniers feux des combats [urbains] hérités de 1968 se sont bel et
bien éteints [,et,] signe des temps, les architectes maoïstes,
Castro, Portzamparc, sont retournés à l’architecture. »
De toute manière, le
bilan de la campagne pour l'occupation illégale est décevant. Le
nombre d'occupation est faible, le plus grave est que peu d'occupants
illégaux obtiennent un relogement, et si cela est le cas, il s'agit
d'une cité de transit en banlieue. Quelques mois d'occupation pour
obtenir l'aide sociale prioritaire de l'Etat ?
Les obstacles, les ennemis, les faux-amis, et
les erreurs
les erreurs
Les
obstacles rencontrés par la GP pour parvenir à la Révolution ne
sont pas seulement ceux dressés par le gouvernement, au contraire
peut-être, car la répression jouera comme une formidable caisse de
résonance en leur faveur, d'ailleurs les leaders sauront jouer de
cette propagande et inventer des actions spectaculaires pour
maintenir la pression et l'attention médiatiques ; Serge July
faisant discours avant un concert des Rolling Stones démontre leur
adresse ; et plus encore, le fait d'avoir convaincu Jean-Paul Sartre, de prendre la direction de La Cause du Peuple. Les ennemis de la Révolution sont plus insidieux, ils sont
même parfois de faux-amis qui vous veulent du bien ; ils sont
surtout présent partout et en même temps. Dans les domaines de l'urbain et de l'habitat, parmi les obstacles
contre-révolutionnaires rencontrés, ceux qui suivent comptent parmi
les plus importants, la liste n'est pas exhaustive ; certains ont été gérés avec adresse,
mais l'ensemble a fait leur défaite, et ce, en-dehors des problèmes socio-psycho-dramatiques d'un groupe hétéroclite [direction parisienne bourgeoise, base ouvrière, par exemple].
LES
ARMES DE LA CONTRE-REVOLUTION
La riposte des
autorités contre les groupes de l'extrême gauche a été aussi
fulgurante – et habile - que l'appel fait par le Secours rouge, et
l'on jugea avoir sous-estimé le rapport entre l'importance
politique, et économique, de l'enjeu, et la pratique politique mise
en oeuvre. La critique de fond de cette campagne, sera celle d'une
pratique politique qui se fondait sur l'espérance d'un développement
spontané de cette forme de lutte, se basant sur l'expérience, le
modèle de quelques occupations, sur leur simple multiplication, sans
tenir réellement compte des conséquences ou des effets politiques
que celles-ci provoqueront ; et des réponses faites aux atteintes de
l'un des secteurs les plus avancés du capitalisme, l'immobilier,
véritable eldorado financier dans le Paris et sa région des
années 1970. Des pratiques sociales qui tendaient à mettre en cause
leur domination, pour l'un, et leur mode de fonctionnement et de
profits, pour l'autre.
Les
armes des autorités concernées par les occupations s'adapteront
parfaitement au paysage social et politique créé par le mouvement,
et seront d'une redoutable efficacité ;
bien sûr, la police expulsera, méthodiquement, sans ménagement,
avec conviction, mais cet instrument, certes nécessaire pour la
propagande, sera complété par des mesures plus discrètes, celles
devant briser l'unité d'un groupe potentiellement dangereux en
gestation, celles qui peuvent assurer au mieux la division et
l'éclatement : « Diviser pour mieux régner »... Un
danger bien présent pour la GP : « cette
logique de bandit c'est la logique même des patrons : la logique "
diviser pour régner."»
Ainsi les municipalités, les sociétés immobilières ou de rénovation, et
les autorités concernées par les occupations – notamment l'office
de relogement de la préfecture de Paris - vont plus qu'habilement, transformer ce nouveau mouvement social politique et
populaire, en un mouvement isolé de « cas sociaux », de
marginaux : tel va être le sens de la manoeuvre qui consiste à
transférer les dossiers de relogement à un office spécialisé à
cet effet : un problème politique devient ainsi un problème
humanitaire ; un problème de masse, quelques cas individuels, de «
marginaux », d'« inadaptés sociaux», à régler hors du
périphérique, dans les baraquements des cités de transit,
surveillées par l'assistance sociale, dont le caractère précaire,
le caractère « d'accueil » est expressément précisé dans le
règlement d'alors. Les problèmes posés par les occupants sont des
problèmes sociaux individuels et par là, isolés les uns des
autres.
Dans le cas de Paris
intra muros, la plus grande majorité des occupants illégaux seront
tout simplement non relogés, et si les autorités bon gré mal gré
accèdent aux demandes, elles leur proposent, selon le statut social
et la nationalité, des relogements soit en lointaine banlieue, soit
en cité de transit, le plus souvent les deux à la fois ; semant
volontairement la zizanie, la discorde dans les groupes d'occupants
concernés, entre français, européens et immigrés. Certains
occupants illégaux ayant auparavant vécus dans des taudis sordides
s'en contentent, d'autres non. De même, afin de briser la
coordination, l'hémorragie et la diffusion des idées, les occupants
relogés seront dispersés dans des cités différentes et éloignées
les unes des autres. Une arme redoutable qui porta une grave atteinte
au mouvement. Ainsi, par exemple, les fougueux Yougoslaves
d'Issy-les-Moulineaux, accepteront un relogement en cité
de transit, s'opposant aux plus jeunes français du squat, qui
refusaient une telle proposition hors des murs de la capitale et
préféraient la poursuite de la lutte. Le vote de l'Assemblée
Générale – obligation - assura la victoire au relogement, le
groupe fut dispersé, les habitations vidées, démolies au plus
vite. Point.
VIDANGES POLICIÈRES
Passé l'effet de
surprise des premiers temps, la police intervient rapidement :
la plupart des occupations à Paris ne survive que quelques heures,
au mieux quelques jours seulement, peu atteignent une grande
longévité, malgré, nous l'avons vu des cas particuliers, au
contraire de celles des villes périphériques et de province.
Celles qui se déroulent
dans les quartiers les plus populaires, et majoritairement habités
par l'immigration, généralement dans les zones de rénovation sont
principalement visées par les autorités. Car l'on craint ici, bien
sûr, la mobilisation de la population, des résidents des foyers de
travailleurs, le développement politique de la chose via les
militants des comités de soutien, et des bons soins des habitants du
quartier ou de l’îlot concerné. Ces quartiers comportant une
importante proportion de logements insalubres, et les quartiers en
cours de rénovation où se produisent des centaines d'expulsions —
dont un certain nombre sans re-logement -, font en effet de ces
expulsés sans logement des occupants illégaux en puissance ; et les
immeubles vétustes laissés vides pendant plusieurs mois ou
plusieurs années dans le cadre d'opérations-tiroirs ou de
spéculation immobilière, sont autant d'appel à l'illégalité. Dès
lors, outre les actions de la police, les sociétés immobilières
engagèrent de nouveaux processus évitant autant que possible, ce
genre d'occupations, consistant à un agenda plus court entre les
expulsions et les démolitions, ou plus simplement à démolir le
plus rapidement possible, bien avant que ne débute le chantier, ou
encore s'offrir les services de bandes de l'extrême droite ravies
d'être rémunéré pour casser du “prolo”, du “métèque” et
du “bicot”, comme ce fut le cas pour cette fête du 13 juillet,
ou d'incendier les immeubles [comme ce fut le cas plus tard lorsque
Jean-Marie Le Pen sera député du 20e arrondissement de Paris].
Dans la même veine,
lorsque les occupations apparaissent comme des lieux actifs de
rassemblements politiques, dans des zones "sensibles", la police attend patiemment les mois
d'été, en particulier le mois d'août où Paris devient un désert,
qui présentent des conditions idéales pour des expulsions forcées
sans concessions, c'est-à-dire sans relogement. Pour les cas les
plus difficiles, c'est un grand déploiement de forces de police :
800 policiers (C.R.S., gardiens de la paix, etc.) le 23 août 72 à 8
heures du matin... pour expulser quelques occupants ; les 3 derniers
occupants d'un immeuble exproprié ont pu bénéficier des services
de 300 policiers le 19 août à 7 heures du matin ; un autre cas
présente 400 policiers, un îlot « bouclé », pour un immeuble de
quelques occupants seulement.
Le
mois de mai, par exemple, est moins propice aux forces de l'ordre ;
ainsi le
samedi 27 mai 1972, deux cents habitants du quartier de
Ménilmontant à Paris, dont une cinquantaine d'enfants, plus
déchaînés encore que leurs parents, selon Jean-Paul Cruse, avaient dissuadé 11 cars de
CRS venus expulser trois familles et cinq célibataires du 56 rue des
Cendriers, occupé. Les "casqués" en repli, des "civils"
en imper, démasqués, avaient été chassés à coups de pierre. Ils
avaient dû fuir dans leurs voitures banalisées aux vitres
brisées. Le
samedi 3 juin, nouvelle attaque. Quatre cars de "brigades
spéciales" ; mais une
sirène d'alerte, bricolée dans les HLM, en face, fait immédiatement
converger, de nouveau, deux cent voisins solidaires et bien
déterminés. La "
bande du 45 ", une
cité de la rue de Ménilmontant, jugée " sensible",
constitue le "bouclier vivant" du squat social de la rue
des Cendriers. A l'intérieur, Christiane, son dernier né sur les
bras, séparée de ses quatre autres enfants faute de logement
décent, partage le pain, ou le mafé, des Africains. " Quand je
mange, dit l'un d'entre eux, je veux que mon voisin mange."
Inorganisation ou
Amateurisme ?
Ainsi, l'impréparation
politique – Occupez des maisons - des premiers temps de la
campagne, puis par la suite, la forme organisationnelle adoptée
tenait de l'amateurisme, ou de l'aventurisme ; d'une part parce
qu'on laissait l'initiative aux plus démunis, et malgré les
déclarations, on ne posa à aucun moment les difficiles problèmes
de l'unité, de l'organisation et de la coordination entre le
mouvement des occupations, les autres types de mouvements sociaux
urbains, et les autres luttes ouvrières, si ce n'est en terme
abstrait d'Autonomie. Seules des tentatives de coordination nationale
de quelques comités locaux d'occupants, d'ex-occupants ou de
mal-logés ont laborieusement eu lieu entre juin et novembre 1972,
sans véritablement aboutir. Et pourtant, cette nécessaire question
organisationnelle était inscrite, évidemment, dans les lois des
groupes maoïstes ; Vive La Révolution en 1969, par
exemple, la posait en ces termes :
« Parler
d'autonomie ouvrière sans chercher la réponse organisationnelle à
cette autonomie, c'est passer à côté de la plaque. Le mouvement
ouvrier spontané s'exprime politiquement de façon indépendante ;
mais pour qu'il soit capable de porter la lutte de l'ensemble des
travailleurs de façon continue, il doit prendre corps dans une forme
organisationnelle. »
La « forme
organisationnelle de l'Autonomie », telle sera également la
problématique centrale non résolue et l'écueil inévitable des
groupes de l'Italie, dont Lotta Continua. Justement d'ailleurs, les
militants maoïstes de France ne s'étaient pas préoccupés, ou si
peu, des expériences des luttes urbaines de l'Italie, pour mesurer
au mieux le réel degré d'impact politique espéré sur la
“base”, et notamment sur le lumpenproletariat ; davantage
préoccupés à se loger avec le rêve d'une régularisation, que de
conduire une révolution, d'être l'avant-garde, ou même de
s'engager dans un groupe politique ; et des difficultés
d'organisation interne, des conflits, des divisions entre les
occupants, et de leurs rapports avec les militants. Les tentatives de
collectivisation ont été limitées ; le plus généralement, sauf
rares exceptions engageant les plus jeunes, les occupants
conservaient leurs habitudes et en aucun cas on n'assiste à la
formation de communautés d'occupants comme en Allemagne, au Danemark
ou en Italie. Même si des nouvelles pratiques étaient – de fait –
instituées : la solidarité matérielle et morale, entraide pour
payer le chauffage, pour trouver du travail, repas collectifs,
échange de vêtements, dans certains cas, crèche commune pour les
enfants d'occupants.
MILITANTS OU
OCCUPANTS ?
L'étude de Cherky
révèle également des incompatibilités qui
donnèrent lieu à des « tensions contradictoires », et la
motivation de la participation :
«
Les revendications (le type de relogement demandé ou accepté) et
les luttes sont encore de type économique, au sens où l'occupation
est conçue comme un moyen de satisfaire un besoin économique
immédiat (le logement). La conscience politique des protagonistes du
mouvement, les objectifs politiques du mouvement ne sont pas
définis...».
Cherky
présente un cas d'un membre militant maoïste qui soutenait
l'occupation pour des raisons politiques :
«
En fait, cette fraction [les immigrants] d'occupants étaient venus
au 17 pour être relogés, sans mettre trop de conditions. Ils
n'étaient pas venus pour mener une lutte politique...».
Les
divisions politiques entre militants et occupants sont évidentes qui
les séparent, faisant dire à un maoïste que la plupart sont «
prêts à abandonner au moindre échec, ceux qui leur avaient apporté
un soutien ». Dans un autre cas, le même auteur illustre les
motivations contraires :
«
Pendant une réunion, une jeune femme demande à Robert : ''Toi,
pourquoi tu veux occuper? '',
Robert
: '' Quelle question ! J'occupe parce que je n'ai pas de logement.''
''
Moi '', dit la jeune femme, ''j'en ai un, mais je viens pour
soutenir le mouvement''.»
Bien
évidemment, certains maires confrontés à des occupations joueront
de cette ambiguïté, et il leur sera facile de tisser des liens
clientélistes : un logement assuré contre la reconnaissance et
la passivité du relogé. Plus simplement, en accordant un logement,
une municipalité fait acte public de bienveillance, même si le
parti communiste et d'autres maires dénonçaient là des procédés
peu démocratiques par rapport aux demandeurs officiels des longues
listes d'attente de HLM : les uns privant ainsi les autres.
Mais
certaines municipalités pouvant prendre certaines largesses et
libertés, notamment dans le cas des maisons de la région
Nord : toutes les familles ont été relogées de façon
satisfaisante, grâce à la bienveillance d'une municipalité
communiste. De même, citons le cas d'occupants illégaux de
plusieurs appartements d'un immeuble dans une banlieue de Paris en
janvier 1973, qui ont été relogés presque immédiatement par la
décision du député socialiste local. L'occupation était la
conclusion d'un mouvement de locataires expulsés et qui avaient
multiplié les démarches à l'office de relogement de la préfecture
de Paris. Dans une autre ville de la région parisienne, la
municipalité de gauche tolère les occupations, pour un temps, et ne
pas fait intervenir la police. La sympathie des habitants et
l'attitude (critique mais non-interventionniste) de la municipalité
ont permis aux occupants d'obtenir un ou deux relogements et une
autorisation tacite pour d'autres occupations dans le lieu.
Le Cadre de Vie
La concurrence est rude, les organisations politiques nombreuses ; et on
ne saurait aborder les luttes urbaines sans se préoccuper du
contexte politique de l'époque, car en effet, la
problématique de ce que l'on nomme alors le “cadre de vie” était
un sujet bien présent dans les formations politiques de la gauche
parlementaire. Les élections municipales de 1971, seront l'occasion
d'un nouveau paysage politique qui se radicalise : les
partis de gauche se sont unis sur un programme commun de
gouvernement, dont le mot d'ordre central était "Nationalisation,
Planification, Autogestion". Ils promettaient de "changer
la vie" par une autre voie que celle de la grève générale et
des manifestations monstres : la voie de la conquête électorale du
pouvoir qui permettait à la génération de 68 de poursuivre son
combat par d'autres moyens.
Certes,
le communisme municipal montrait ses limites, notamment celles du
clientélisme exacerbé et d'un racisme latent, mais il était alors
à son apogée, et les critiques virulentes des gauchistes
stimulaient la réflexion et une attention accrue sur les problèmes urbains ; au milieu des années 1970 est créé un comité sur la ville, où siégea, François Ascher.
Le
parti Socialiste – naissance en 1969 - s'était déjà emparé de
la thématique sociale de l'urbain et de l'habitat, également en
tant qu'arme critique contre un gouvernement gaulliste et un parti
dont des membres accumulaient autant de fortunes princières que de
scandales immobiliers. Les opérations immobilières de Bouygues et
d'autres promoteurs constructeurs seront ainsi publiquement dénoncées
en tant qu'instruments spéculatifs immobiliers et fonciers, par les
leaders socialistes, et les grands ensembles d'habitat social, qui
firent également ces mêmes fortunes, seront de même critiqué pour
leur inhumanité : les socialistes exigeaient alors, mixité sociale,
participation citoyenne, protection de l'environnement où pointait
déjà l'écologisme. Ils n'ont guère évolué, mais à l'époque le
discours était relativement novateur, pensé par de grands
spécialistes de l'urbain, et certaines municipalités socialistes
sous l'égide de maire progressiste réalisaient expérimentations
urbaines et architecturales avec l'avant-garde architecturale. Dont
le maire Hubert
Dubedout élu à Grenoble en 1965, inventeur des GAM (Groupement
d’Action Municipale) avec des militants d'unions de quartier, des
syndicalistes et des membres du PSU, et fondateur d'une des premières
agences d'urbanisme municipales, précurseur de la
pluridisciplinarité (sociologues, économistes, géographes,
urbanistes, architectes), de la concertation information, de la
mixité sociale et de l’intercommunalité :
« Je
souhaite que l'action ne soit plus définie seulement en termes
techniques de schémas directeurs (...) de plans d'occupation des
sols, de zones d'action concertée, etc. Je crois vraiment que
l'action doit être définie en termes politiques, plus précisément
à partir de cette politique de la vie quotidienne qui se fonde sur
l'accès à l'habitat, sur les équipements collectifs, sur le refus
de la ségrégation, sur la démocratie dans la cité comme dans le
quartier, sur les relations sociales et sur l'action éducative. »
Le
cadre général est plus complexe avec le Parti socialiste unifié
alors dirigé par Michel Rocard. Le PSU qui connaît alors une
profonde modification de sa composition depuis 1968, en recrutant de
nombreux militants jeunes (selon M. Rocard, en 1969, plus de 42 % des
membres sont des adhérents de 1968). Le Congrès de Dijon (mars
1969) a marqué une inflexion du parti vers l’extrême-gauche en se
donnant comme principal objectif la tâche de « construire un parti
révolutionnaire ». Si le Congrès de Dijon proclame son désir de
s’adresser « aux masses influencées par le PC » il affirme aussi
sa volonté de conclure des « alliances prioritaires avec les forces
du courant de Mai ». Il en résulte une politique de contacts
unitaires tous azimuts aussi bien du côté du PCF que du côté de
l’extrême-gauche. Parallèlement, Marc Heurgon et une partie de la
gauche du PSU créent, avec Gilbert Mury du Groupe
marxiste-léniniste, Nicolas Baby de l’AMR et Bernard Herzberg [au
comité du Secours rouge], un Centre d’études et d’initiatives
révolutionnaires doté d’une revue, Que faire ?, dont
le premier numéro proclame le rejet de toute stratégie réformiste.
Le
17 mars 1970, donne lieu à des
conférences de presse de protestation et surtout à un meeting «
contre la répression », sous la caution de la fédération de Paris
du Parti socialiste et présidé par Jean-Pierre Chevènement, auquel
participent les Étudiants socialistes, la CIR, le PSU, la Ligue
communiste, l’AJS, l’AMR, Lutte ouvrière, l’Organisation
trotskyste et l’UNEF. On y débat, selon Le Monde, de la
constitution d’un « Front révolutionnaire ». Le PCF a décliné
l’offre par une longue lettre dans laquelle il « n’entend pas
cautionner les groupes gauchistes ».
Enfin,
l'hégémonie des groupes trotskystes au sein de l'extrême-gauche
française, concurrence directement la GP : les partis
trotskistes tenaient le haut du pavé, notamment la
Ligue communiste, et sur la
question du recours à la lutte armée, ils appliquaient à la lettre
la formule de Lénine :
« Les
révolutionnaires doivent armer les masses du désir de s'armer, ils
ne doivent en aucun cas substituer leur propre violence minoritaire à
la violence absente des masses. »
Et ce n'est pas rien, les mouvements néo-hippies, que l'on oublie allègrement, proposant leur utopie réalisable - immédiate - de communautés rurale ou urbaine autonomes, auto-gérées – très à la mode en 1970 -, de grands voyages via La Route des Indes, seront autant de concurrents directs de la mouvance maoïste ; la France n'a pas connu de mouvement yippie politisé [hippy de l'extrême gauche aux USA, dont Jerry Rubin est le gourou], mais les frontières étaient alors parfois poreuses entre membres de communautés néo-hippies, mouvance Autonome, et groupes de l'extrême gauche : on défilait ensemble contre la guerre du Vietnam et l'on se retrouverait bientôt au Larzac.
CONCERTATION CITOYENNE
Ainsi, l'on proposait
et inventait un discours électoraliste, sous la pression populaire,
y compris des classes aisées, faisant des problèmes rencontrés par
les citadins un enjeu important, à une période où si la
réorganisation de la production industrielle porte de graves dommages à
la classe ouvrière, la crise du pétrole n'a pas encore sévit : le
temps des espérances, des lendemains qui chantent prédominent
encore.
C'est aussi l'époque,
sous la pression des citadins, de la multiplication des comités de quartier, et pour les maires, d'une nouvelle activité, celle des réunions publiques de
concertation. L'on assiste aux tentatives faites par les partis politiques de
s'implanter au sein des comités de quartier, via leurs sympathisants, afin d'en prendre la direction, ou bien d'en créer. L'objectif est leur institutionnalisation, c'est-à-dire leur
instrumentalisation. Telle est la démarche du maire de Grenoble,
Hubert Dubedout :
« Je ne peux
développer ici des thèmes qui sous-tendent une masse de problèmes
très complexes allant jusqu'à la nécessité de dénoncer ce que
d'aucuns appellent le « petit terrorisme quotidien » et
qui est le fait de spécialistes du spontanéisme qui peuvent bloquer
le développement de la démocratie. C'est par un engagement étendu
des militants des associations de quartiers comme des partis que l'on
peut éviter ce genre de déviation. »
Pour certains
spécialistes de l'urbain, l'idée d'une concertation, sans
démocratie directe, présenté par Dubedout, était tout au plus, un
instrument d'information et de médiation destiné à désamorcer le
plus tôt possible les inévitables conflits provoqués par les
opérations urbaines, et à faire s'opposer les concertés sur le
principe connu de la recherche du consensus au nom de l'intérêt ou
du bien commun. De même, si ces instances offraient des tribunes aux
représentants des groupes sociaux de la classe moyenne, elles
évacuaient celles rencontrant les plus grandes difficultés : elles
n'étaient donc en rien représentatives du spectre social d'un
quartier. Paradoxalement, Dubedout reprochait aux
militants-intellectuels de l'extrême gauche, lors de ces réunions
ou dans les « maisons de quartier », de prendre la parole
au nom des immigrés pour leur défense, estimant qu'ils étaient
« l'objet de manipulations » politiques.
LE LOCATAIRE : UNE ESPÈCE CONVOITÉE
Aux alentours de 68,
l'on assiste à la mise en place de ce que l'on nomme alors le
syndicalisme de l'habitat, ayant pour vocation la protection
des locataires, ce fut le temps d'une floraison d'associations leur offrant des services juridiques. Les plus anciennes
comme la Confédération Nationale des Locataires [CNL] organe du
Parti communiste, sont à présent concurrencées par de nouvelles
associations se réclamant de tel syndicat ou de tel parti ou
groupuscule politique, engagé politiquement. Leur rôle est
considérable, car d'une action de défense de caractère individuel,
l'on passe à une action collective qui, par sa nature même, devient
offensive, et ce, dans le cadre légal. Leur intervention, par
exemple, dans un immeuble où les locataires sont frappés d'une
procédure d'expulsion, peut, le plus souvent, la retarder
considérablement, et surtout, étendre le domaine de la lutte à son
voisinage immédiat, et former ainsi des îlots de résistance
parfaitement légaux, imperméables aux malversations et aux ruses
juridiques des propriétaires, y compris de l'OPHLM de Paris. Dans
d'autres cas, l'on conteste les augmentations et l'on organise avec
méthode la grève des loyers, ou des charges, notamment dans les
grands ensembles d'habitat, gérés par les HLM et autres organismes sociaux.
Dans un sens, ce type
de lutte, légale, accompagne le vaste mouvement de la contestation
et dépasse largement le cadre du simple droit de l'habitant, pour
atteindre celui du Droit à la Ville ; l'idée est bien de
partir d'une « petite » revendication de particuliers,
pour les amener à un problème plus général, situant les
véritables responsabilités des autorités compétentes et au-delà
de l'Etat. Ces luttes porteront préjudice aux groupes de
l'extrême-gauche, car faisant des « expulsables » des
procéduriers juridiques légaux, des résistants au système, mais à
leur marge ; il s'agit, en somme, de leur institutionnalisation
où l'on recherche le consensus entre les différentes parties.
SYNDICALISME
DU CADRE DE VIE
Au
syndicalisme
de l'habitat,
s'ajoute le syndicalisme
du cadre de vie,
qui correspond aux résistances citoyennes s'opposant à la fois aux
pouvoirs politiques et – surtout – administratifs, sans pour
autant exiger la fin révolutionnaire du système ; des luttes
citoyennes qui constituent à la fois des ruptures dans
l'organisation sociale, et des recherches d'une autre forme
d'organisation à inventer. Les Associations populaires familiales
[APF], dont la naissance remonte à 1952, se réclament ainsi,
radicalisant leurs propos, comme le fondement
d'un syndicalisme
des travailleurs,
dans la totalité de leurs fonctions hors production. La
Confédération Nationale des Associations Populaires Familiales,
revendique l'apolitisme, mais sera très active dans le mouvement des luttes urbaines : occupation des logements vides,
création d’équipements collectifs, etc. Son secrétaire général
déclarait ainsi :
« Un
syndicalisme du cadre de Vie organisé, structuré, pose dans ses
luttes et ses options, la nécessité de rendre offensive la lutte
contre la domination de la classe dirigeante qui, sur ce terrain,
passe par la manipulation de la demande, par la détérioration des
conditions de vie, par l'accaparement des ressources de la capacité
de décision. Cette lutte de classe, cette contestation, porte sur sa
propre capacité de contrôler, puis de gérer les changements ;
cette contestation ne peut prendre d'autre forme qu'un appel à
l'auto-gestion. »
L'APF
de Roubaix sera à l'origine de la création de l'Atelier populaire
d'urbanisme, opposé à l'opération emblématique du projet de
rénovation d'un vieux quartier : Alma gare. Une de leurs plus
intéressantes actions, novatrices à l'époque – et que l'on
retrouve aujourd'hui – est l'organisation d'un circuit court de
viande dans plusieurs associations [Noisy-le-Grand, Champigny, etc.]
en collaboration avec une organisation syndicale d'éleveurs du
Morvan. Action correspondant à une volonté de contrôle « populaire
des circuits de distributions, aujourd'hui parfaitement parasitaires
et source des dérèglements des prix, comme des méthodes
commerciales ; cette forme de lutte permet aussi la négociation
directe sur la formation des prix aux divers stades du marché. »
Auto-gestion,
lutte de classe, immédiatisme des actions, autant de thèmes empiétant sur ceux de la GP, qui à nouveau se trouve confronter à
650 groupes très actifs, sur tout le territoire...
APOLITISME
Enfin,
les conflits urbains de grande envergure avaient le plus souvent un
caractère interclassiste traditionnel : des classes sociales
distinctes se mobilisaient conjointement pour s'opposer à un
ambitieux projet urbain de rénovation de quartier, de construction
de grandes infrastructures de transport, ou bien pour exiger des
améliorations concrètes à court terme : aménagement
d'équipements publics, des horaires de transport en commun, à leur
création pour pallier une insuffisance, etc. Dans ce cas, et
d'autres dans les quartiers aisés de ville, le caractère
apolitique de l'action entreprise est toujours défendu : les
comités locaux entendent se maintenir fermement dans cette ligne et
désavouent par avance et formellement toute tentative qui, selon la
formule d'un comité de quartier « viserait à politiser le
combat engagé qu'ils poursuivront avec le concours de toutes les
bonnes volontés.» Ici, les maoïstes seront malvenus, d'ailleurs,
ils s'en tenaient bien à l'écart, mais leur champ d'action en était
d'autant réduit.
*
* *
L'auto-dissolution fut
donc prononcée en novembre 1973. La base ouvrière de
l'organisation, dans un véritable règlement de compte, critiqua
cette décision insensée, celle des fils de la haute bourgeoisie de
la « direction » parisienne, des liquidateurs sans
envergure. Ils estimaient que poursuivre la lutte était, malgré les
difficultés de toute sortes, parfaitement envisageable après tant
d'années d'efforts, de réseaux et de
comités solidement constitués... Pour
se défendre de ses accusations, les liquidateurs
de la Gauche Prolétarienne, avançaient pour sinon l'expliquer mais
la justifier, le décalage idéologique, pour ne pas dire le gouffre,
des militants par rapport à la réalité économique et sociale de
la France d'alors : les « prolétaires », même dans
les bastions de revendication ouvrière, souhaitaient moins la lutte
des classes que leur intégration à la classe moyenne émergente ;
ils n'étaient pas ou plus du tout, ce que Marx avait appelés les
« prolétaires lancés à l’assaut du ciel», mais bien le
parfait opposé. Les liquidateurs évoquèrent ainsi la lutte de l'usine LIP, où les travailleurs licenciés regroupés en coopérative, n'avaient pas eu besoin des écrits de Mao, ni d'eux d'ailleurs, pour s'auto-organiser...
En
Italie, dans un contexte certes différent, telle fut aussi la
conclusion, plus nuancée, des dirigeants du groupe révolutionnaire
Lotta Continua - et d'autres aussi -, qui abandonna ses idéaux révolutionnaires initiaux,
pour éviter les tentations d'une confrontation armée et pour
s'inscrire et s'accorder au même refus, ou réticences, de la
population, d'une guerre civile ; mais, et au contraire de la Gauche
prolétarienne, en réadaptant leur stratégie, aux aspirations de
changements radicaux, portées par le monde universitaire, les
classes ouvrières et celles formant le sous-prolétariat. Lotta
Continua, et une pléiade de groupes politiques extraparlementaires
réussirent alors, là où avait lamentablement échoué les
expériences de la Gauche prolétarienne.
Un
ancien militant de Lotta Continua se souvient de l'émerveillement et
de la surprise d'un militant français, en visite à Rome, de
découvrir dans chaque quartier populaire, un « bureau
politique » ayant pignon sur rue, animé par des militants du
quartier, assurant l'entraide et l'information légales, et
officieusement, les plus grandes occupations de logements concernant
non pas quelques familles, mais bien des centaines de familles, des
centaines de milliers de familles dans toute l'Italie. Ces
extra-ordinaires luttes pour le droit au logement et les luttes
urbaines étaient centrales au même titre que celles liées à
l'usine, dans les théories comme dans la pratique. À Rome comme à
Venise ou Naples, des centaines de milliers de familles encadrées
par des « professionnels » de l'expropriation, ont
pu ainsi occuper illégalement un logement, et souvent obtenir une
régularisation, tandis que les grèves de loyer, les auto-réductions
des factures de gaz, d'électricité, etc., se multipliaient dans les
cités d'habitat social de toutes les villes de la péninsule ;
plus tardivement, les groupes révolutionnaires [Brigades Rouges,
Linea Primea, etc.] s'emploieront à intimider, jambiser voir même
éliminer les plus odieux spéculateurs, bâtisseurs de grands
ensembles inhumains, et autres personnalités politiques accusées de
trop grande corruption, ou d'affairisme exagéré.
À
Barcelone, les luttes urbaines, dans un contexte certes très
particulier - sous la dictature de Franco -, seront exemplaires de
par le nombre de comités de quartier s'opposant ouvertement à des opérations d'urbanisme et par là, au
régime ; leur longévité est également exceptionelle. Au Portugal, selon E. Cherky, les
commissions des « Morades », les comités de quartier
étaient autrement plus significatifs du point de vue politique que
les mouvements en France.
Dans
un autre domaine, proche mais différent, les collectifs et les
squats de la mouvance Autonome, en France, ne parviendront
jamais à atteindre ni l'amplitude, ni le nombre, ni même le degré
élevé d'organisation et de coordination de ceux d'Italie, de
Londres, et plus particulièrement ceux, d'une longévité
exceptionnelle, des Provos et Kabouters puis Krakers d'Amsterdam,
qui, les premiers en Europe, posèrent les jalons d'une lutte de
squat étendue aux quartiers populaires, voire dans certains
domaines - transports publics -, à la ville entière. Ils ont d'ailleurs permis le
sauvetage de quartiers historiques voués à la démolition, et inventé le Velolib...
Les
squats de l'Allemagne Fédérale seront pour la plupart des foyers
actifs de l'extrême-gauche et des mouvements se réclamant de «
l'Autonomie », pour une « réappropriation de l'espace », et de sa
charge subversive. Parmi les plus célèbres, le squat Ekhofstraße
39, est ouvert au printemps 1973 à Hamburg dans le prolongement des
mouvements de luttes sur la question du logement. Parmi les occupants
illégaux plusieurs rejoindront les rangs de la Rote Armée Fraktion
(parmi eux Christa Eckes, Karl-Heinz Dellwo, Wolfgang Beer et Stefan
Wisniewski) ; et en 1980, naîtront à Hambourg, les
légendaires premiers Black Bloc.
Enfin,
en esquivant les luttes urbaines politisées de l'Argentine, menées
par les Montoneros, les Etats-Unis, nous offrent une pléiade de
luttes exemplaires – menées par les Yippies, Black Panthers, Saul Alinski, etc. -
qui aggravent d'autant le cas français, au-delà de la GP, dans ces
domaines de lutte.
Certes,
ces comparaisons sont risquées, mais tout de même, force est de
constater une notable différence par rapport aux conclusions d'une
étude d'Eddy Cherky et Dominqiue Melh qui dressaient ainsi le bilan
des luttes urbaines – hélas - limité à Paris entre 1970 et
1976 :
« Les
luttes contre les rénovations se sont soldées par des défaites
notables. Les habitants des quartiers destinés à la rénovation
ayant lutté contre leur expulsion et leur « déportation »
en banlieue, n'ont pas, dans leur grande majorité, été satisfaits.
Les quelques HLM que les organismes de rénovation avaient finalement
consenti à construire pour l'ancienne population du quartier soit
sont restées à l'état de vagues promesses, soit ont été bâties
avec une telle parcimonie qu'elles ont à peine permis de reloger
quelques ménages. Dans sa grande majorité, la population des îlots
rénovés a dû quitter le quartier ; le relogement n'a jamais
tenu compte du lieu de travail des expulsés. Très peu ont été
relogés à Paris ; la plupart peuplent aujourd'hui des grands
ensembles et cités de transit de banlieue, tandis qu'une nouvelle
population de statut social nettement plus élevé prend possession
des tours du 13e arrondissement, des nouvelles réalisations des 14e,
15e, 20e arrondissements.
Un
certain nombre d'occupants des maisons vides ont été relogés dans
des conditions plus décentes que précédemment, surtout au début
du mouvement. Mais assez rapidement, les immeubles ont été vidés
par des interventions de plus en plus brutales de la police, et leurs
occupants on dû regagner leurs logements de fortune ou accepter un
relogement en cité de transit.
Mais
surtout, ce mouvement n'a eu aucune prise sur les causes profondes du
maintien dans Paris d'un important parc de logements vides. Les
propriétaires continuent, à des fins spéculatives, à garder vide
des immeubles entiers sans être inquiétés ni par de nouveaux
squatters ni par les pouvoir publics. L'initiative reste, en fin de
compte, très largement entre les mains des classes dominantes, qui
n'hésitent pas à réprimer fortement des mouvements sociaux mettant
en cause ses projets fondamentaux.
Liées
à la sphère de la consommation, les luttes parisiennes s'articulent
faiblement aux conflits du travail. Les thèmes urbains
n'apparaissent qu'exceptionnellement dans les luttes d'entreprise et
dans les préoccupations syndicales. Lorsque les syndicats en ont été
partie prenante, leur présence est restée « organisationnelle » ;
ils n'ont pas pour autant suscité dans les entreprises de mouvements
de masse conjoints aux luttes menées en-dehors. C'est sur le thème
des transports que l'engagement syndical a été les plus
significatif, ce qui reflète l'importance pour le monde du travail
de l'organisation des migrations alternantes en Région parisienne.
Cette séparation souligne la réalité de l'autonomie relative de la
sphère de consommation dans nos sociétés capitalistes
contemporaines.
En
même temps, les luttes urbaines ont provoqué une sensibilité
accrue des organisations politiques aux thèmes urbains qui sont de
moins en moins traités comme des phénomènes secondaires. Ceci
explique la renaissance des comités de quartier qui tentent
d'articuler divers thèmes revendicatifs dans le cadre d'un combat
plus général contre les les modes d'urbanisation en Région
parisienne. »
Le peu d'intérêt pour les luttes urbaines en France, se constate également par le peu de documents disponibles mis en ligne ; si la recherche sur Internet est relativement bien récompensée à propos des luttes de l'Italie, de Londres, d'Amsterdam, etc, elle exige du temps pour celles de France, pour un résultat insignifiant, les tracts et les écrits de l'époque, sont très rares, les photographies davantage encore : deux ou trois couvrent les luttes.
STRATEGIE
ORGANISATIONNELLE
L'ex-mao renégat Jean-Pierre Le Dantec, dans une histoire romancée, fait de son héroïne révolutionnaire une figure qui s’éreinte « à prétendre accoucher d’un avenir auquel personne ne croit », tandis qu'un autre personnage refuse la radicalisation politique comparée à un « piège à cons ». Ce qui précisément reste à démontrer : la coïncidence du discours de la propagande et de la réalité sociale, de la volonté d'un parti révolutionnaire et de celle des masses.
Il
s'agit plutôt de l'éternel problème de l'organisation de
l'Autonomie et de l'auto-gestion des masses, de la « base »,
de la stratégie du spontanéisme. La défaite de la Gauche
prolétarienne maoïste renforça d'ailleurs les convictions des
perspectives léninistes d'un mouvement social encadré par une élite
éclairée, dirigée par un parti de «
révolutionnaires professionnels ». Telle fut la ligne du
groupe La
Ligue communiste [trotskiste] née en avril 1969 qui
se présentait comme une organisation qui allie la rigidité
doctrinale et la discipline sur le plan organisationnel, avec une
certaine souplesse, en tout cas une perméabilité aux mouvements de
contestation.
De
même, on estimait que l'établissement dans une usine ou un
quartier, pour mériter d'être considéré, admise, exige une
extrême modestie et une persévérance de longue durée, dont peu
d'étudiants gépéistes ont été capables. Cette impatience,
conjuguée avec cette stratégie de ne pas se constituer comme un
parti politique traditionnel, sont
souvent évoqués pour expliquer leur progressif isolement, passé
l'effet de nouveauté politique, et ils n'ont eu finalement aucune
autre issue que de renoncer à leur objectif.
Les
groupes de l’extrême gauche de l’Italie surent contourner les
écueils doctrinaux, s'adapter [sorte de bricolage
politico-idéologique pragmatique], inventer un nouvel espace
politique anti-capitaliste, construire ses propres espaces de
représentation politique dans les quartiers populaires, et mener
des opérations illégales à l'échelle d'un pays occupant des
milliers de militants, au bénéfice de millions d'italiens, et ce,
sans pour autant se constituer comme parti politique traditionnel
[Lotta Continua le fera effectivement qui signa sa fin]. Mais leur stratégie ne peut
être érigé comme un modèle : dans un contexte très particulier, elle recula simplement de
quelques années, l'échéance de la disparition d'un milieu
politique radical n'ayant pas su à son tour éviter d'autres
écueils, et passer le cap suivant l'installation dans le paysage
politique.
LA
BELLE UTOPIE
« Nous
ne voulons donc pas un Parti où il y aurait dans chaque organisme de
base un intellectuel faisant la paire avec un ouvrier :
l'intellectuel apposant la théorie et l'ouvrier la pratique,
l'intellectuel dominant l'ouvrier, comme un professeur domine ses
élèves. »
Le
monde imaginé par la GP pour la nouvelle humanité débarrassé du
capitalisme est aussi fascinant et merveilleux qu'utopique, et l'on
critiquait plutôt les méthodes pour y parvenir que l'utopie
elle-même, question d'ailleurs oubliée, évacuée, dans les débats.
Cependant, l'on remarque plusieurs articles de l'époque et d'autres
plus tardifs, d'auteurs anti-maoïstes faisant l'éloge, ou bien admettant les « qualités »
intrinsèques de leurs luttes. Daniel Bensaïd les évoquaient
ainsi :
« La
singularité inouïe de ce que fut le maoïsme français dans la GP,
VLR ou l'UCFML , […] d'abolir
la division entre travail intellectuel et travail manuel ainsi que la
division du travail tout court. Que des normaliens aillent se faire
embaucher à l'usine fait partie des choses extraordinaires qui
eurent lieu en France au XXème siècle. Que ceux-ci pensaient, à
l'instar de Sartre, qu'ils avaient à apprendre des ouvriers,
singulièrement des OS étrangers, est une chose sur laquelle il
faut, encore et encore, réfléchir. Qu'ils tentèrent d'abolir la
distinction entre travail manuel et intellectuel au lieu d'écrire,
comme Mitterrand, L'abeille
et l'architecte,
est mille fois préférable au discours actuel sur l'Ecole qui fait
de celle-ci une annexe de Pôle Emploi.
Il
y avait dans l'établissement - le fait que de jeunes gens bourgeois,
plus ou moins "intellectuels", aillent aux
usines travailler
- l'idée d'un élitisme pour tous et de ce point de vue, que Vitez -
tenant de cette idée - et Alain Badiou furent amis n'est pas un
hasard. Il y eut dans le maoïsme - chez ceux qui n'ont rien renié
et ils sont quelques uns quand même : Dominique Grange, Jacques
Rancière, Alain Badiou, Robert Linhart,... - un communisme
en acte absolument
dégagé de la question du pouvoir d'Etat qui, au fond, évoque un
autre mouvement admirable de la seconde moitié du siècle dernier :
celui des droits civiques aux Etats-Unis (qui donna, entre autres, le
Black Panther Party maoïste).
C'était
la liberté en acte, le respect pour chacun, la conviction de
l'égalité entre tous les hommes et l'émancipation toujours
possible et immédiatement praticable puisque un vaut un. Aucun autre
courant politique français n'a porté aussi haut et à distance des
soubresauts parlementaires cette émancipation en acte si
exigeante. »
LUX
IN TENEBRIS
«
La révolution n'est pas un dîner de gala; elle ne se fait pas
comme une œuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle
ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de
délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie,
de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un
soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse
une autre. »
Mao
ZeDong
Le
petit Livre Rouge | 1966
« Les
militants de la GP jouaient aux Robins des bois »,
affirme le philosophe
ex-mao Bernard Sichère : « Il
y avait chez eux un côté théologie de la libération. C'est tout à
fait le type d'action qu'auraient pu faire
des
chrétiens de gauche. » La
Gauche prolétarienne n'aura pas été révolutionnaire, et l'on félicite
encore aujourd'hui, les liquidateurs
de la GP, de ne pas avoir franchi le pas de la guerre armée.
Et l'on se focalise sur les brillantes destinées d'anciens gépéistes
« renégats » devenus célèbres, ayant fait fortune, ou carrière dans les administrations technocratiques qu'ils combattaient : critiques
ou éloges les désignent. L'autre
héritage de la GP est passé sous silence, telle la carrière de Guy Dardel, qui fonda le Comité des Mal logés en 1987, ou celle de Frédéric Oriach, grand théoricien et ex-praticien révolutionnaire, jeune
militant de la GP, qui fonda par la suite, avec Christian Harbulot,
ex-GP aussi, les Noyaux
armés prolétariens pour l'autonomie Populaire, initiant
en France, avec les Brigades
Internationales
issues également de la GP, la voie révolutionnaire armée, dont
l'aboutissement, la conclusion en somme, est la création du groupe
Action Directe :
« Des
décennies d’actions « responsables », de conciliation,
d’électoralisme, de routine, de banalisation du message et de
l’engagement révolutionnaire... ont fait perdre de vue au
mouvement un des points cardinaux de la théorie marxiste : le saut
du capitalisme au socialisme se fera dans la violence
révolutionnaire. Et pas autrement. »
C’est
le 1er mai 1979 qu’a lieu la première action revendiquée par
Action Directe : le mitraillage du siège du CNPF à Paris ;
en septembre 1979, les militants s'attaquent au siège de la
SONACOTRA, après des expulsions de résidents de foyers faisant
suite à une grève des loyers de plusieurs mois. Puis AD
signe le 10 février 1980, un attentat contre l’UCPI, société
immobilière impliquée dans la rénovation des quartiers populaires
de Paris et les expropriations ; le 10 mars , attentat contre
les locaux d'une société immobilière de rénovation urbaine
[peut-être la Semirep]. D'autres attentats de moindre importance
contre la Sonacotra et des agences immobilières sont évoquées,
sans plus de précisions, tout au long de l'année 1980.
Puis,
Action Directe décide de suspendre ses activités à l’occasion de
la campagne présidentielle de 1981, duel entre Valéry Giscard
d'Estaing et François Mitterrand. Ce pacte officieux, mettant un
terme aux attentats, permet entre 1981 et 1982, à certains membres
d'Action Directe une période d’existence légale, mise à profit
pour venir en aide aux travailleurs immigrés. Aide ou propagande ? Le point est
discutable, mais ils
participent en 1981 à l’occupation de plusieurs ateliers
clandestins du quartier du Sentier, puis de
plusieurs squats dans le quartier de Barbès avec des militants
maoïstes Turcs.
Les militants d'Action Directe s’installent
en 1981 au 42 de la rue de la Goutte d’Or, squat qui sera expulsé
au bout de quelques mois. D'occupations en expulsions, suivent la
Villa Poissonnière occupée avec l’Association de Solidarité des
Travailleurs Turcs, puis deux immeubles sont expropriés par une
cinquantaine de Turcs, le troisième par Action Directe qui accroche
une banderole à son nom sur la façade ; puis au 28 de la rue de la
Charbonnière. C’est
à la Noël 1981 que les actions violentes reprennent, avec sept
attentats contre des magasins de luxe, qui marquent la fin de la
trêve. Un texte de AD évoque en 1982,
le « logement » dans les « axes d’intervention » aux côtés de
« l’impérialisme français » et de l’ « emploi ». En 1998,
des militants d'AD signent un texte de prison, où quelques lignes
s'attardent sur les villes :
«
De Paris à Naples, des lieux de travail aux rues des cités ghettos,
une recomposition des forces révolutionnaires
s’amorce […] Les immenses armées des travailleurs pauvres, les
nouveaux esclaves des grandes métropoles et les déshérités des
ghettos urbains forment la majorité de l’humanité. Ce prolétariat
précarisé est l’axe autour duquel doit se résoudre la question
du partage de la richesse sociale et celle de l’appropriation des
moyens de production. Il ne peut en être autrement.
Aucune autre classe et strate de classe ne peuvent le substituer dans
l’élan révolutionnaire. Et surtout pas, les représentants des
classes locales et nationales métropolitaines qui finissent toujours
par défendre le « progrès » et les réformes de la citoyenneté
impérialiste et les saintes charités.
Mondialement,
la classe prolétarienne est aujourd’hui seule face à
l’alternative socialisme ou barbarie, que soulèvent les
développements et les pourrissements du capitalisme. Partout où
elle se révolte, elle doit empoigner les armes, des ruelles de Gaza
aux barriadas
de Bogota, du Chiapas aux cités-banlieues de nos mégalopoles
européennes...
NOTES
[1]
dont : Claude Angeli, Eugénie Camphin (résistante),
Jean
Cardonnel (Frères
du Monde),
Georges Casalis (« Christianisme social »), Jean Chaintron (ancien
secrétaire du Secours Rouge International), Robert Davezies (réseau
de soutien au FLN), Henri Guilloux (syndicaliste), Yvonne
Halbwachs-Basch (fille de V. Basch assassiné par la milice, épouse
de M. Halbwachs mort en déportation), Bernard Hertzberg,
Marcel-Francis Kahn, Bernard Lambert (paysan), Henri Leclerc, Georges
Montaron (Témoignage
chrétien),
Roger Pannequin (Franc-tireur et Partisans), Jean-Paul Sartre,
Charles Tillon (Franc-tireurs et Partisans), Vercors.
EXTRAITS
& SOURCE
Eddy
Cherki
Le
mouvement d'occupation
de maisons vides en France
Espaces
& Sociétés |Juillet 1973
Bernard
Brillant
Intellectuels
et extrême-gauche : le cas du Secours rouge
Lettre
d’information n°32 | 1998
Volodia
Shahshahani
Retranscription
de l'interview
Les
Renseignements Généreux | 2009
Jean-Paul
Cruse
REBELLES
Histoire
Secrète des "Maos" de la « Gauche Prolétarienne »
(1967-1977)
Action
Directe
Joëlle
AUBRON, Nathalie MÉNIGON, Jean-Marc ROUILLAN
Les
prisonniers politiques et la violence
révolutionnaire
19
juin 1998
ARCHIVES
Le
site Voie
Lactée
propose des textes de la Gauche
prolétarienne :
Texte
Coup pour Coup
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