Monument | Détournements



Qui modèle l’espace public ? Les émergences spontanées sont-elles si nombreuses qu’il faille brider les initiatives ? Nous reconnaissons que dans le contexte de surveillance généralisée et d’angoisse sécuritaire, l’Embrèvement n°3 ait quelques raisons d’inquiéter.
 Collectif Aéroporté | 2007



Les tribulations de Feu Charles Fourier, 
place Clichy à Paris.

Le 4 juin 1899, est inauguré la statue de Charles Fourier sur le boulevard de Clichy à Paris, oeuvre du sculpteur anarchiste Emile Derré. Ce monument a été érigé grâce à une souscription lancée en 1896, par les membres de l'Ecole sociétaire et de l'Union phalanstérienne. 


Le 11 octobre 1941, le gouvernement de Vichy décrète qu'il “sera procédé à l'enlèvement des statues et monuments en alliage cuivreux sis dans les lieux publics et dans les locaux administratifs qui ne présente pas un intérêt artistique ou historique." La qualité artistique ou historique des statues en bronze est à la discrétion du Gouvernement qui en profite sans doute pour faire disparaître des grands hommes qui ne partagent pas les valeurs du Maréchal. Ainsi, afin de contribuer à l'effort de guerre nazi, de nombreuses statues sont déboulonnées. Camille Desmoulins, Voltaire, Zola, Jean-Jacques Rousseau, Claude Bernard, Charcot et bien d'autres descendent de leur piédestal. Charles Fourier les suit dans les ateliers de fonte, mais le socle reste en place.
Après la guerre, nombre de statues disparues de la place publique ont été remplacées. Place de Clichy, l'illustre inconnu Général Moncey re-trône au centre de la place mais  Charles Fourier est toujours absent. Malgré les nombreuses demandes faites au Conseil de Paris, le subversif Fourier semble déranger les plus hautes autorités. Les années passent, le socle ne supporte que le vide. 
En 1969, les Situationnistes relatent dans la Revue de la section française de l’I.S., de Septembre 1969 :


Le retour de Charles Fourier
« Le lundi 10 mars 1969, à 19 heures, au moment même donc où commençait une « grève générale » divertissement soigneusement limitée à vingt-quatre heures par l’ensemble des bureaucraties syndicales, la statue de Charles Fourier était remise, place Clichy, sur son socle, resté vide depuis que les nazis en avaient enlevé sa première version. Une plaque gravée à la base de la statue en disait l’origine : « En hommage à Charles Fourier, les barricadiers de la rue Gay-Lussac ». Jamais encore la technique du détournement n’avait touché un tel domaine.


Le travail de mise en place fut effectué à un moment où la place Clichy est très fréquentée, et devant plus d’une centaine de témoins, dont beaucoup s’attroupèrent, mais dont personne, même en lisant la plaque, ne s’étonna (on s’étonne peu en France, après avoir vu mai 1968). La statue, réplique exacte de la précédente, était en plâtre, mais finement bronzée. À vue d’œil, on la croyait vraie. Elle pesait quand même plus de cent kilos. La police s’avisa peu après de sa présence, et laissa une garde autour d’elle durant toute la journée du lendemain. Elle fut enlevée à l’aube du surlendemain par les services techniques de la Préfecture.
Un commando d’une vingtaine « d’inconnus », comme disait Le Monde du 13 mars, avait suffi à couvrir toute l’opération, qui dura un quart d’heure. D’après un témoin, cité par France-Soir du 13, « huit jeunes gens d’une vingtaine d’années sont venus le déposer à l’aide de madriers. Une jolie performance si l’on sait qu’il n’a pas fallu moins de trente gardiens de la paix et une grue pour remettre, le lendemain, le socle à nu. » Et L’Aurore, pour une fois véridique, faisait remarquer que la chose était notable car « les enragés ne rendent pas tant d’hommages ». »
Internationale situationniste
Revue de la section française de l’I.S.,
Numéro 12, Septembre 1969

Selon l'Encyclopédie des Nuisances, l'un des auteurs de la réplique serait Pierre Lepetit, surnommé Pierre Le Graveleur, membre à cette époque du Groupe Libertaire de Ménilmontant et en 68 du Comité pour le maintien des occupations. François de Beaulieu, membre de l'IS participa au commando et relatait dans une interview : " Voilà un bon souvenir. C'était une statue magnifique peinte en imitation bronze. Elle était très belle. J'étais dans une équipe en bleu de travail avec une camionnette. Nous étions déguisé en employés de la Ville de Paris. Dans l'opération, il y avait Jacques Le Glou, Christian Sébastiani..."


En 2007 le mystérieux Collectif Aéroporté s'emploie a installer "illégalement" une nouvelle sculpture  : 





EMBRÈVEMENT N°3.
Installation illicite d’œuvres en milieu urbain.

Mais on ne saurait trop complimenter les édiles 
De t’avoir fait surgir à la proue des boulevards extérieurs
C’est ta place aux heures de fort tangage
Quand la ville se soulève
Et que de proche en proche la fureur de la mer
Gagne ces coteaux tout spirituels

À l’aube, nous avons chargé sur un camion plateau à l’aide d’une grue, une sculpture d’une tonne deux et cinq mètres de haut – Verre feuilleté et acier inoxydable.
Nous, précaires, du collectif Aéroporté, avons érigé aujourd’hui cette sculpture sur le socle en pierre de Charles Fourier.
Cet assemblage suit les termes du protocole d’installation d’œuvres en milieu urbain, par nous imaginé. Il permet de neutraliser le dispositif de surveillance municipal et préfectoral, de la Ville de Paris.
Boulevard de Clichy, Paris XVIIIème. Le socle était resté vide depuis l’Occupation. Les statues déboulonnées servaient alors l’effort de guerre nazi. Du bronze pour les munitions. Nous honorons une nouvelle fois le socle de Charles Fourier, 38 ans après les Situationnistes. Mais ici, point d’hommage au grand homme : le volume de verre souligne l’absence de sculpture ; un escalier invite les passants à accéder au sommet du socle et à remplir l’espace. Ainsi, l’œuvre s’inscrit-elle dans la Ville par des sollicitations de passages.
Les Embrèvements ont pour fonction de déjouer les règles d’apparition institutionnelles consacrées par les musées, galeries et autres lieux. Cette action tente de faire passer un objet hors site, au rang d’œuvre publique. Nous cultivons le paysage.

Le collectif Aéroporté


Chers amis de Charles Fourier,

En avril 2007, le Collectif Aéroporté a installé à l’aide d’une grue, sans commande publique ni autorisation, une sculpture d’une tonne et de 5 mètres de haut sur le socle de Charles Fourier, vide depuis plus de 60 ans. Grâce à un protocole permettant de neutraliser l’appareil de surveillance municipale et préfectorale, l’installation, qui dura près de 6 heures en pleine journée, put se dérouler sans heurts.
Cette sculpture, parallélépipède de verre, prend la place de la statue originale déboulonnée pour les Nazis pendant l’Occupation. Le volume transparent remplace à peine la disparition de l’objet, et manque l’hommage. De son côté, un escalier en acier permet au promeneur d’accéder au sommet du socle. Interpellé, le passant ne passe plus, il s’arrête et escalade. Charles Fourier se transforme ainsi au gré des appropriations passagères. Le reste du temps, le socle retrouve sa nudité. En cela, nulle indifférence au penseur utopiste, au contraire.
La Mairie de Paris, prise de court, a multiplié les manœuvres, et décidé de faire retirer notre installation. Dès le mois de juin, la Mairie a tenté de récupérer notre initiative, et, après avoir épuisé ses arguments concernant la sécurité de l’ouvrage, a sollicité des artistes triés sur le volet pour les faire participer à un concours en juillet et août. Nous nous sommes aussitôt émus de cet empressement estival, vainement.
La commission Art dans la Ville s’est réunie finalement en septembre pour arrêter un projet. Notre proposition de sculpture est ainsi passée contre notre volonté devant la commission d’étude, alors que nous n’avions produit aucun dossier. Le département culturel de la Mairie a rendu son avis, et, ne manquant aucune occasion pour transformer Paris en vitrine de l’art contemporain officiel, a arrêté son choix.
Nous ne laisserons pas une fois de plus le rouleau compresseur institutionnel normaliser notre proposition ! L’illégalité participe de l’intention de l’œuvre, elle en est même la condition. Objet paradoxal le monument est à la fois public et non-officiel. N’en déplaise à la municipalité et aux consultants spécialisés de la culture, la production du sensible peut se faire en dehors des sites officiels et des commandes publiques. Après 261 jours d’occupation du socle de Charles Fourier, la sculpture impose sa réalité.
C’est pourquoi nous vous invitons à soutenir notre projet en signant et en faisant signer ce texte de soutien, afin que notre installation généreuse puisse continuer ses sollicitations.
La situation ne serait pas pour déplaire à Charles Fourier, les passions vont pouvoir s’exprimer !

Le Collectif Aéroporté.



Le 10 janvier 2011 est inaugurée la sculpture officielle : un socle de verre coloré surmonté d'une pomme réalisée par l'artiste Franck Scurti, rappelant ainsi la réflexion de Charles Fourier à propos de l'importante différence de prix d'une pomme entre Paris et Rouen : "Je fus si frappé, dit-il, de cette différence de prix entre pays de même température, que je commence à soupçonner un désordre fondamental dans le mécanisme industriel (...) J’ai remarqué depuis ce temps qu’on pouvait compter quatre pommes célèbres, deux par les désastres qu’elles ont causés, celle qu’Éve offrit à Adam et celle que Pâris offrit à Vénus, et deux par les services rendus à la science : celle de Newton et la mienne."

1 commentaire:

  1. Jean-Adolphe Alhaiza:
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Adolphe_Alhaiza

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