Haacke : Shapolsky et al. Manhattan Real Estate Holdings, 1971 |
Michael
Archer
Art politique et Art social, 1960 / 1980
Idéologie,
identité, différence
Le
type d'art produit par la Factory d'Andy Warhol – dépersonnalisé,
mécanique, et faisant appel à des procédés de fabrication
multiples – caractérisait l'idéologie d'une grande partie du Pop
Art : l'art comme tous les produits industriels manufacturés pour
une économie de marché capitaliste, n'était qu'un bien de
consommation et rien d'autre. Le travail du marchand consistait à
créer un marché dans lequel de tels biens pouvaient être vendus et
achetés. Face à cette réalité, les notions de beauté, de valeur
esthétique et de transcendance perdent de leur pertinence. Au bout
du compte, une oeuvre d'art vaut le prix que quelqu'un est prêt à y
mettre et, par conséquent, la réponse à la question de savoir ce
qui pousse les gens à se consacrer à l'art est facile : ils le font
pour l'argent. A
la fin des années 1960 et au début des années 1970, tout ce qui
pouvait nourrir le marché et, donc, contribuer au succès commercial
des économies occidentales était perçu, tout particulièrement par
certains artistes américains, comme apportant un soutien tacite,
aussi indirect qu'il fût, à l'intervention américaine dans la
guerre du Vietnam – entre autres. Il existait donc une raison de
plus d'explorer la nature intrinsèquement non-mercenaire du
conceptualisme et celle, éphémère, de la Performance. En effet, un
art qui pouvait s'affirmer comme tel, tout en rejetant l'aspect
mercantile des objets, portait en lui une certaine efficacité
idéologique et politique, contraire aux principes capitalistes de
l'économie de marché.
A
la question « que pensez-vous du durcissement de la crise
politique aux Etats-Unis ? » posée par Artforum à l'occasion
d'un numéro spécial consacré à « l'artiste et la
politique », les réponses révélèrent tout un éventail
d'opinions sur les rapports entre la création artistique, la
question de l'engagement et l'activisme politique. Il apparaît
clairement que de nombreux artistes, dont les oeuvres étaient
radicalement abstraites, étaient convaincus que leur travail avait
des implications politiques évidentes. Donald Judd, Jo Baer, Carl
Andre et Richard Serra, entre autres, expliquaient pourquoi, et Baer
décrivait également comment la dimension politique de leurs
activités impliquaient le spectateur. « Les oeuvres d'art ne
sont plus présentés comme une catégorie d'objets à part. Est-ce
qu'une catégorie de sujets à part sera, elle aussi, reléguée dans
l'histoire? » demandait-elle.
Admettre
que l'artiste et le spectateur étaient mutuellement responsable de
toute signification politique de l'oeuvre s'opposait radicalement à
l'idée qu'il fallait que le message de l'art soit simple et sans
ambiguité pour qu'il soit en mesure d'amorcer le changement social.
La manière dont une oeuvre se situait dans l'histoire succesive des
objets était moins importante que les liens qu'elle forgeait avec
son contexte, et ce contexte était tout autant politique que
spatial, visuel ou esthétique. Les artistes, traditionnellement
considérés comme des individualistes forcenés, commençaient à
s'organiser en groupes de pression, reprenant en termes politiques
l'idée conceptuelle selon laquelle il était tout aussi essentiel
pour l'artiste de créer un contexte pour son oeuvre que de fabriquer
l'oeuvre elle-même. Le contexte dépassait désormais
l'environnement critique présenté par les magazines spécialisés ;
il s'agissait maintenant du monde dans son ensemble.
L'Art Workers' Coalition (AWC), par exemple, fondée au début de 1969, était un groupe d'artistes new-yorkais qui organisait des mouvements de protestation non seulement contre la guerre, mais aussi pour la défense des droits civiques et le droit de regard des artistes sur la façon dont étaient présentées leurs oeuvres dans les musées et galeries. L'AWC réclamait, par exmple, la présence d'un portoricain dans l'équipe de direction des musées ou galeries susceptibles d'exposer de l'art portoricain. La critique Lucy Lippard, l'artiste cinétique grec Takis, Hans Haacke et Carl Andre faisaient partie des membres fondateurs de l'AWC. Haacke, né en Allemagne, vivait depuis plusieurs années à New York. Ses premières oeuvres s'attachaient à l'analyse des sytèmes autonomes de nature écologique ou environnementale mais, à partir de cette époque, il se tourna davantage vers les sytèmes économiques et sociaux.
Comme beaucoup d'autres, Hans Haacke considérait l'art politique comme rejet de l'approche formaliste qu'incarnait notamment Greenberg. Il affirma : « Depuis des décennies maintenant, la doctrine formaliste de Greenberg a réussi à nous faire croire que l'art flotte à trois mètres au-dessus du sol et n'a rien à voir avec la situation historique de laquelle il émane. Le seul lien avec l'histoire que l'on veut bien admettre est un lien stylistique. L'évolution de ces styles « dominants » est pourtant elle aussi perçue comme un phénomène isolé, autonome et indifférent aux pressions de la société historique. »
L'Art Workers' Coalition (AWC), par exemple, fondée au début de 1969, était un groupe d'artistes new-yorkais qui organisait des mouvements de protestation non seulement contre la guerre, mais aussi pour la défense des droits civiques et le droit de regard des artistes sur la façon dont étaient présentées leurs oeuvres dans les musées et galeries. L'AWC réclamait, par exmple, la présence d'un portoricain dans l'équipe de direction des musées ou galeries susceptibles d'exposer de l'art portoricain. La critique Lucy Lippard, l'artiste cinétique grec Takis, Hans Haacke et Carl Andre faisaient partie des membres fondateurs de l'AWC. Haacke, né en Allemagne, vivait depuis plusieurs années à New York. Ses premières oeuvres s'attachaient à l'analyse des sytèmes autonomes de nature écologique ou environnementale mais, à partir de cette époque, il se tourna davantage vers les sytèmes économiques et sociaux.
Comme beaucoup d'autres, Hans Haacke considérait l'art politique comme rejet de l'approche formaliste qu'incarnait notamment Greenberg. Il affirma : « Depuis des décennies maintenant, la doctrine formaliste de Greenberg a réussi à nous faire croire que l'art flotte à trois mètres au-dessus du sol et n'a rien à voir avec la situation historique de laquelle il émane. Le seul lien avec l'histoire que l'on veut bien admettre est un lien stylistique. L'évolution de ces styles « dominants » est pourtant elle aussi perçue comme un phénomène isolé, autonome et indifférent aux pressions de la société historique. »
Haacke : Mobil Observations |
Bien
que Haacke produisit des oeuvres souvent très critiques à l'égard
des pouvoirs et des intérêts financiers du monde de l'art, il
choisit de continuer à exposer dans les galeries et musées
influents car c'est dans ce seul système que son message pouvait
produire le plus d'impact. Utilisant des renseignements accessibles à
tout un chacun, il analysa en détail les transactions financières
effectuées par certains protagonistes du monde de l'art. En étudiant
le cas de fabriquants d'armement qui sponsorisaient généreusement
l'art, ou celui d'entreprises dont les investissements en Afrique du
Sud contribuaient à maintenir l'apartheid, ou encore en révélant
les méthodes de travail oppressives pratiquées dans les usines
appartenant à l'un des plus grands collectionneurs d'art européens,
Haacke mettait en évidence les liens qui unissaient l'art et le
commerce. Shapolsky et al. Manhattan Real Estate Holdings, a
Real-Time Social System, as May 1, 1971 était une enquête sur
l'énorme patrimoine immobilier que possédait dans le Lower
Manhattan les membres d'une même famille. Haacke avait prévu
d'inclure cette oeuvre dans son exposition de 1971 au musée
Guggenheim mais le directeur du musée, Thomas Messer, s'y refusa,
arguant que ce n'était pas de l'art, ce qui entraîna l'annulation
de l'exposition dans son ensemble.
Haacke a par ailleurs toujours
exercé un contrôle attentif sur les ventes de ses oeuvres ; c'est
ainsi, par exemple, qu'il refusa de vendre au chocolatier Peter Ludwig
The Chocolate Master (1981) – une recherche sur les
conditions de travail dans l'usine que possédait ce dernier – afin
d'empêcher que cette oeuvre ne soit reléguée, sans jamais être
exposée, dans les sous-sols du musée Ludwig à Cologne, où
l'industriel entreposait une partie de sa vaste collection.
Haacke : Ludwig the Cook Chocolate Master |
Cette
volonté de contrôler la circulation des oeuvres contraste avec
l'attitude adoptée par le très politisé Leon Golub dont on peut
interpréter les tableaux comme représentant des conflits
particuliers, mais qui traitent d'une manière générale de l'abus
de pouvoir et des horreurs de l'oppression. Dès les années 1950,
ses tableaux traitaient de l'intervention militaire américaine,
notamment en Asie et en Amérique latine et de l'injustice sociale et
du combat pour les droits civiques aux États-Unis. En 1968, Golub
faisait partie du groupe qui chercha à persuader Picasso de retirer
Guernica du Museum of Mondern Art de New York : il était
inadmissible qu'une oeuvre qui s'insurgeait contre les bombardements
allemands pendant la guerre d'Espagne apporte un soutien implicite à
la politique américaine de bombardements au Vietnam en demeurant
exposée dans un musée américain. Pourtant Golub, conscient d'être,
en tant que membre de la société, inévitablement complice de cette
politique, était prêt à exploiter cette ambiguité de la position
du collectionneur. D'un côté, la personne qui achète ses tableaux
« le possède » et « prend possession de son
esprit » mais, de l'autre, l'achat signifie également que les
tableaux pénètrent l'environnement du nouveau propriétaire et que
ce dernier se trouve confronté à leur message : « Même s'il
en font quelque chose de sophistiqué ou qu'ils lui donnent
temporairement un aspect particulier, je pense que le message est
suffisamment clair pour que la violence et la vulnérabilité de
l'oeuvre fasse son effet. »
Leon Golub |
En
1967, Joseph Beuys créa un parti politique pour les étudiants de
l'Académie de Düsseldorf où il enseignait, affirmant ainsi sa
conviction de l'existence de liens entre l'enseignement, la création
et les changements sociaux ou révolutionnaires. Dans le même
esprit, le maoïste Jörg Immendorff était célèbre parmi ses
étudiants de l'époque pour ses actions anti-institutionnelles
menées au sein de son « académie » Lidl. En
1972, Beuys fut renvoyé de l'Académie de Düsseldorf après avoir
réclamé, en accord avec ses convictions politiques, que ses classes
soient ouvertes à tous. Un an plus tard, il fonda l'Université
Internationale Libre dans le but de promouvoir la réflexion
inter-disciplinaire. Dégagé des contraintes imposées à la
recherche par les impératifs politiques et économiques des
départements d'art, Beuys espérait que la confrontation de
différentes démarches théoriques permettrait d'aborder de
nombreuses questions et de faire avancer la pensée. Une démarche
inter-disciplinaire similaire à celle de l'Université de Beuys
semblait également au coeur de l'Artist Placement Group du
britannique John Latham.
En
1970, les organisateurs de l'exposition « Information »
au Museum of Modern Art de new York recouvrirent la quatrième de
couverture du catalogue d'une vaste bibliographie consacrée à l'art
et à la théorie de l'art afin de montrer la prolifération des
matériaux et des techniques à la disposition de l'artiste
contemporain. Au moment où se tint l'exposition d'art allemand « Art
into Society / Society into Art », organisée en 1974 à l'ICA
à Londres et qui présentait, entre autres, des oeuvres de Beuys,
Wolf Vostell, Dieter Hacker, K.P. Brehmer et Gustav Metzger, les
choses avaient changé. La bibliographie était devenue un exercice
pédagogique et comprenait désormais non seulement des écrits liés
à l'art, mais aussi des textes de philosophes et de théoriciens
culturels et politiques tels que Adorno, Marx, Lukacs, Marcuse, etc.
L'intérêt porté à ces auteurs était l'un des aspects du débat
mené durant les années 1970 sur la relation que devait entretenir
l'art et la politique, un débat largement inspiré par le
néo-marxisme. L'art pouvait-il communiquer et être compris
politiquement, ou le fait qu'on puisse le percevoir remplissant une
fonction politique suffisait-il à compromettre sa finalité
esthétique ?
John Heartfield : Berlin Saying [esquisse] |
A
l'époque, on s'intéressait beaucoup à l'exemple que pouvait
constituer les premiers modernistes, et notamment au lien entre les
expérimentations artistiques et la reconstruction sociale après la
Révolution russe, mais aussi au travail exemplaire d'agitation
politique entrepris par John Heartfield (1891-1968), dans ses
photomontages anti-fascistes des années 1930. Ce médium moderniste
était une technique importante pour les pratiques artisitiques à
caractère social ; la photographie elle-même était considérée
comme un outil essentiel dans l'analyse de la réalité sociale. Dans
la tradition du réalisme et du reportage – Auguste Sander, Paul
Strand, Diane Arbus et Margareth Bourke-White -, elle révélait les
conditions réelles du monde. Associée aux types d'analyse visuelle
alors développés par les critiques de cinéma, elle semblait offrir
encore plus de possibilités. Les détails d'une photographie
pouvaient être interprétés comme les signes d'un langage visuel
et, par conséquente, les images pouvaient donner leur signification
en étant « lues », ainsi que l'avait démontré Roland
Barthes dans ses analyses sémiologiques consacrées à l'imagerie
des médias depuis les années 1950.
Les
techniques de Hearthfield inspirèrent, entre autres, l'allemand
Klaus Staek, les artistes anglais Victor Burgin et Peter Kennard
qui, comme lui, concevaient des oeuvres destinées à être imprimées
en très grande quantité et largement diffusées sous la forme de
cartes postales, d'affiches ou dans des magazines.
Peter Kennard |
L'oeuvre de
Kennard sur les « disparus » du Chili et sur le rôle des
américains dans le renversement par Pinochet du gouvernement
Allende, fut conçue pour un numéro de l'année 1978 de la revue de
photographie Camerawork. Par le suite, il travailla sur les
conditions sociales en Grande-Bretagne et la campagne de désarmement
nucléaire.
Victor Burgin : Cordoba, Argentine |
Une affiche de Victor Burgin, réalisée en 1978,
représente un couple enlacé, sous lequel on peut lire : « Que
représente pour vous la propriété ? 7 % de la population possède
84 % des richesses ». Une oeuvre comme celle-ci pouvait-elle
faire davantage que confirmer le mécontentement de gens dépités
par de telles statistiques ? Si l'art ne pouvait être un instrument
direct de changement social, en quoi consistait son effet et comment
le mesurer ? La réflexion sur la nécessité d'un art réaliste
« pour la société » et, par extension, « réaliste
social », se faisait à la lumière de ces questions, et
surtout au regard de l'image grossièrement propagandiste qu'avait,
en Occident, le réalisme socialiste soviétique.
L'imapct
du féminisme joua au début des années 70 un rôle déterminant
pour une partie de l'art et de la critique. Comme nous l'avons vu, le
rapport entre une vision politique de la société et son art avait
été au coeur des débats, surtout dans un cadre théorique
néo-marxiste. Juste ou injuste, la distribution du pouvoir entre
ceux qui produisent et ceux qui possèdent les moyens de production
ne concerne, dans une grande majorité, que les hommes. Les
informations statistiques que révélèrent les premières féministes
le montraient clairement. En 1971, par exemple, le Concil of Women
Artists de Los Angeles publia une déclaration selon laquelle au
cours des dix années précédentes, parmi les 713 artistes montrés
dans les expositions de groupe au Los Angeles County Museum, seules
29 étaient des femmes. A New York, des membres de l'Art Workers'
Coalition fondèrent Woman Artists in Revolution (WAR) en 1969.
L'ambivalence avec laquelle les objectifs de ce groupe furent
accueillis est illustrée par la réacion de Lucy Lippard, déjà
critique reconnue et qui allait devenir une grande figure de la
critique féministe. Dans l'introduction de From the center, son
recueil d'essais sur l'art des femmes publié en 1976, elle évoque
son agacement initial face à la partialité provocante de WAR, puis
sa reconnaissance par la suite de leur importance. Parlant de son
recueil d'essais précédent, Changing, elle écrit : « Dans
tout le livre, je dis « il » pour désigner l'artiste, le
lecteur et le spectateur et, plus grave encore – cas clinique de
confusion d'identité -, pour désigner le critique. » Elle
reconnaissait que certains éléments de l'art récent, et de la
culture en général, avaient, dans une certaine mesure, ouvert la
voie à une prise de conscience féministe en art. Elle y voyait
« les germes de [son] féminisme dans [sa] révolte contre
l'attitude paternaliste de Grennberg envers les artistes, contre la
dictature du goût exercé par une classe sur le reste de la
population (…). » En 1971, l'historienne de l'art Linda
Nochlin publia un essai intitulé Pourquoi n'y a-t-il pas eu de
grands artistes femmes ? Dans sa réponse, elle mettait en cause les
pratiques des conservateurs et des galeristes et les valeurs
inculquées par l'histoire de l'art. Elle concluait : « S'impose
la nécessité d'une critique féministe de l'histoire de l'art qui
saura forcer les limites idéologico-culturelles pour en révéler
les préjugés et les insuffisances, sans s'arrêter à la seule
question des femmes mais en s'attachant à formuler les questions
cruciales intéressant la discipline dans son ensemble. »
Les
artistes russes révolutionnaires et les peintres mexicains Diego
Rivera et david Alfaro Siqueiros étaient considérés comme des
précurseurs par les artistes d'oeuvres publiques des années 1970.
La peinture murale avait deux fonctions : représenter des événements
qui célébraient le pouvoir politique de la classe ouvrière et
apporter un semblant d'exitation visuelle dans ce qui était
généralement des quartiers délabrés. De nombreux projets
communautaires de ce type furent réalisés aux Etats-Unis et en
Europe. Le rejet du système des galeries au nom de son élitisme
inhérent ne pouvait être acceptable que si son alternative
proposait un art populaire et non populiste. Présenté dans un lieu
public, cet art se devait d'être accepté par la majorité et
parfaitement compris pas elle, mais sans pour autant opter pour une
séduction facile. Les réunions consultatives en amont du projet de
peinture murale de Desmond Rochfort pour la Westway de Londres
[http://desmondrochfort.net/mural.htm],
générèrent quant à elles
suffisamment de paperasserie pour constituer une oeuvre en soi,
d'ailleurs présentée, en 1978, à l'expostion « Art for Whom
? » à la Serpentine Gallery de Londres.
Stephen
Willats, [http://stephenwillats.com/work/
] également présent dans « Art for Whom ? » travaillait
au sein des systèmes clos, bien définis. Il considérait les cités
d'habitat social de l'ouest de Londres comme des unités sociales
géographiquement distinctes et élabora, en dialoguant avec
plusieurs de ses résidents, un questionnaire auquel la communauté
dans son ensemble était invitée à répondre. Les formulaires de
réponses furent ensuite exposés afin que des solutions soient
apportées à un certain nombre de problèmes partagés de tous : la
santé, le bruit, l'absence d'équipement pour les loisirs,
l'éducation. Mais ni
From a Coded World
(1976), ni Vertical
Living
(1978), ni West
London Social ressources Project (1974)
ne relevaient d'un travail social qui se serait caché derrière un
autre nom : les projets duraient le temps nécessaire pour
l'élaboration du questionnaire et la collecte des réponses, tout
changement ultérieur engendré par le projet ne faisant pas partie
de l'oeuvre – ainsi, Willats demeurait rigoureusement un artiste et
non un travailleur social. Afin
de satisfaire au critère d'acceptabilité du grand public, de telles
oeuvres revêtaient généralement une forme traditionnelle et
présentait un contenu sans ambiguïté exprimant avec force un
objectif moral et pédagogique.
Stephen Willats :Compartmentalised Cliff 1976 |
Stephen Willats : Living pratical reality, 1978 |
Stephen Willats : Our Interpersonal Home, 1990 |
Les
oeuvres faisant l'objet d'une commande publique étaient tout aussi
concernées par les contraintes économiques que l'art dont elles
cherchaient à se distancier. L'impossibilité de « consommer »
une performance, une installation ou une oeuvre d'art publique –
c'est-à-dire d'en faire l'acquisition et de la ramener chez soi –
impliquait que la subvention était essentielle à l'existence de
cette forme d'art. Le mécénat public connut un important
développement dans les années 1970. Il ne s'agissait pas d'un échec
pour le marché de l'art mais d'un transfert de ses impératifs
opérationnels vers les collectivités étatiques et locales. Il est
toujours facile de considérr avec cynisme l'idéalisme de ceux qui
croient qu'en s'adressant directement à la population ils sauront en
convaincre la majeure partie de la valeur de l'art ; or il convient
de tempérer ce cynisme car l'augmentation du mécénat d'Etat et
mixte révélait une prise de conscience de la nécessité de l'art
dans une société démocratique moderne. L'art n'est certainement
pas un luxe, mais une chose que toute société développée qui se
respecte se doit de posséder comme indicateur de son statut
civilisé. Certains ont pu considérer que recevoir une bourse d'un
musée, ou bien bénéficier d'un salaire versé par l'État –
comme en Hollande dès l'enregistrement en tant qu'artiste
professionnel -, n'étaient qu'une façon sophistiquée de vivre aux
dépens de l'État. Il est sans doute plus juste d'y voir une
politique du consensus. Ce n'est pas un hasard si cette situation est
apparue dans les années 70, en plein consensus politique de
l'après-guerre et avant les réalités plus difficiles des années
1980.
Gordon Matta-Clark, Splitting, 1974 |
Une
stratégie alternative de financement consistait à rechercher
l'autonomie financière. En 1971, un groupe d'artistes, de musiciens
et de danseurs comprenant Gordon Matta-Clark, Richard Landry, Tina
Girouard et Carol Goodden acquirent des locaux dans le quartier de
Soho à New York et les rénovèrent pour y ouvrir le restaurant
« Food ». Les anciens entrepôts et bâtiments
industriels du sud de Manhattan avaient été colonisés par des
artistes en quête de grands ateliers peu onéreux. « Food »
offrait non seulement un service à cette communauté en expansion,
mais aussi du travail, et donc un soutien financier à beaucoup de
ses membres. Le projet suivant de matta-Clark, réalisé avec
certains de ses collègues de « Food », mais aussi avec
Richard Nonas et Laurie Anderson, s'appelait « Anarchitecture ».
L'objectif du groupe était de se concentrer sur ces lieux laissés à
l'abandon dans la ville, non tant les immeubles que ces « lieux
où l'on marque un temps d'arrêt lors des déplacements
quotidiens ». De 1974 à 1978, année de sa mort, Matta-Clark
réalisa une série d'étonnantes transformations d'immeubles,
poussant cette démarche profondément dans leur structure –
Splitting (1974), par exemple, consistait en une maison coupée en
deux -, il pratiquait ce que Dan Graham appelait « l'écologie
urbaine ». Ce dernier écrivait : « Sa démarche ne
consiste pas à construire avec des matériaux onéreux, mais à
faire des déclarations architecturales en retirant des éléments
pour révéler les aspects historiques propres à certains vieux
immeubles ordinaires. Ainsi, le mouvement capitaliste d'épuisement
des matériaux vendables au nom du progrès est inversé. »
Gordon Matta-Clark, Conical intersect, 1975 |
Même
si certains artistes pensaient que l'art social exigeait d'eux qu'ils
tournent le dos aux galeries, il ne s'agissait pas là d'une opinion
partagée de tous. Des artistes travaillant dans toutes sortes de
lieux et de manières diverses, à l'instar du Land art ou de l'art
environnemental demeuraient la norme. De plus, la galerie elle-même
était devenue un objet d'étude. La pratique conceptuelle et
post-minimaliste fournissait un modèle à cette recherche. Les
installations sobres de Michael Asher faisait de la galerie un objet
de réflexion contemplative, un « objet » englobant les
dimensions historiques, économiques, administratives et
institutionnelles de l'espace construit. En 1973, lors d'une
exposition à la galerie Claire Copley de Los Angeles, Asher enleva
le mur séparant l'espace d'exposition des bureaux, faisant de la
gestion quotidienne de la galerie, la préparation des expositions
futures, le suivi des ventes et les relations publiques le sujet de
son oeuvre.
Art & Language : Lenine |
La
peinture ne disparut pas pendant les années 70, mais l'impact du
nouveau cadre théorique dans lequel l'art était produit amena sa
profonde réévaluation critique. Pour certains, adeptes du
radicalisme critique de l'art conceptuel, la peinture était, selon
les termes de Victor Burgin, « un barbouillage anachronique de
tissus avec de la terre colorée ». Dans cette perspective, le
conceptualisme ne pouvait être autre chose que l'opposition
académique au modernisme. S'il avait quelque chose à offrir,
c'était l'ouverture vers de nouvelles possibilités techniques et
pratiques, et non une série de diktats esthétiques qui se
contentaient de substituer une série de matériels et des techniques
à une autre. L'art politique ou social, qui s'intéressait aux
relations entre les sphères esthétiques et politiques, devait
élargir la perspective de cette morne dichotomie. Dans les années
1960, pour les disciples de Clement Greenberg, refuser la
représentation permettait à l'art de se tenir à l'écart de la
réalité considérée comme sordide, tandis que pour ceux que
Michael Fried appelait les literalists,
le caractère d'objet de l'oeuvre l'insérait dans la réalité.
Ainsi, au débat des années 1960 axé sur l'interprétation de
l'abstraction, se substitua, dans les années 1970, celui sur la
signification et les connotations politiques des oeuvres figuratives
ou non-figuratives.
Art
& Language avait commencé à travailler sur une série de
« Portraits de Lénine dans le style de Jackson Pollock »
dès la fin des années 1970. Ce maraige entre la quintessence de
l'abstraction et le symbole du réalisme soviétique – une
représentation héroïque subordonnée à la volonté politique de
l'Etat – pouvait sembler impossible ; aussi impossible, en fait,
qu'un terrain d'entente entre les systèmes culturels et idéologiques
du capitalisme et du communisme. Or grâce à ce paradoxe, et non en
dépit de lui, ces tableaux « fonctionnent ». La
technique du dripping de Pollock, sans doute le signature picturale
la plus distinctive de ce siècle, se révélait facilement imitable
et le réseau de lignes ainsi produit – d'apparence arbitraire,
mais délibérément construit – laisse entrevoir les traits
familiers du père de la Révolution russe. Ces tableaux sont à la
fois abstrait et figuratifs et pourtant il est possible de considérer
que tout en eux représente quelque chose. Cette notion que toute
chose, qu'elle soit représentative ou non d'autre chose, connote une
signification, faisait que l'art apparaissait politique, qu'il avait
été conçu dans cet objectif ou non. Eviter tout engagement
politique en le considérant comme extérieur à la responsabilité
de l'esthétique, comme choisirent de le faire certains peintres et
scultpeurs, pouvait donc facilement être jugé réactionnaire car
cette attitude correspondait à une approche traditionnelle,
formaliste de l'art.
En
1975, Rosaline Krauss et Annette Michelson, fondent la revue October.
Le titre de la revue était « un hommage à ce moment de notre
sicècle où la pratique révolutionnaire, la recherche théorique et
l'innovation artistique se confodent d'une manière exemplaire et
unique. » L'argument grossier du réalisme socialiste – une
cause politique était servie par des représentations la glorifiant
– était rejeté. L'éditorial du premier numéro d'October
proclamait : « L'art commence et finit avec la reconnaissance
de ses conventions. Nous ne contribuerons pas à cette critique
sociale qui, aveuglée par ses propres mensonges, apporte son soutien
à un objet de répression tel qu'une peinture murale sur la guerre
du Vietnam, peinte par un blanc libéral new-yorkais, alors que les
combattants sont pour la plupart issus du ghetto et commandés par
des représentants de la classes moyenne la plus pauvre du sud. »
Ce
qu'exprimaient les éditrices d'un débat théorique de fond
inter-disciplinaire était symptomatique d'une prise de conscience
croissante que quelque chose avait changé en art. Alors que le Pop
Art et le minimalisme et les différentes tendances qui en avaient
découlé pouvaient encore être considérés comme des réactions au
modernisme tardif et donc appartenant à celui-ci, le genre
« d'intertextualité » défendu ici était d'une toute
autre nature. L'Université Internationale Libre de Beuys avouait
ouvertement qu'il était possible d'imaginer une situation sociale
complètement différente et de se consacrer à sa mise en place.
L'intertextualité d'October, qui s'inspirait du néo-marxisme des
combats des années 1960, de l'analyse psychanalitique féministe de
la subjectivité et de l'identité, et de la tradition
phénoménologique explorée par le minimalisme (notamment dans les
écrits de Jacques Derrida, qui, à pertir du milieu des années 70,
joua un rôle majeur dans la transformation du discours critique),
mettait en évidence le réseau d'une réalité sociale à laquelle
il était impossible d'échapper. L'artiste était tout autant
prisonnier de cette réalité – ou, du moins, des descriptions
théoriques de cette réalité – que quiconcque et cette prise de
conscience impliquait qu'il n'était plus possible d'envisager l'art
comme un point de vue détaché sur les réalités du monde.
L'histoiren anglais Perry Anderson avait défini trois éléments
interdépendants sur lesquels reposait le modernisme : la certitude
d'un progrès historique dans les sphères économiques, politiques
et sociales, un statu quo académique auquel s'opposer et les f ruits
d'une avancée technologique considérable. Le premier élément,
l'idée du progrès, avait perdu de sa crédibilité avec les guerres
successives, le caractère répressif du communisme et la prise de
ocnscience que ce qui pouvait être considéré comme une avancée en
Occident était souvent vécu de manière tout à fait opposée dans
une autre région du monde. De la même façon, la prise de
conscience, dans le domaine des idées, que la recherche, loin d'être
une investigation désintéressée, était presque totalement dictée
par des enjeux économiques et politiques extérieurs à son objet,
venait contredire l'idée que le développement du savoir allait dans
le sens d'une connaissance éclairée. Enfin, l'art contemporain a
depuis longtemps cessé de penser la nouveauté comme une arme
potentielle, si jamais il le fit. La diversité de l'art, même
radicale et politique, devint désormais la norme académqiue et
insitutionnel. Le soutien à l'art public, à certains artistes et à
la performance par les collectivités étatiques et locales trouvait
un écho dans l'enseignement où les universités élargissaient leur
champ disciplinaire pour offrir des cours non seulement sur la
peinture et la scultpure, mais aussi sur la peinture murale et les
disciplines en techniques mixtes. Le modernisme, du moins tel qu'il
avait été compris, était, pensait-on, arrivé à son terme ; le
monde devait désormais être considéré comme postmoderne. L'utopie
sera alors remplacé par la dystopie.
Andy Warhol |
Michael Archer
Art politique et Art social, 1960 / 1980
Idéologie, identité, différence
Extraits du Livre
L'art depuis 1960
Editions Thames & Hudson
2002
EPILOGUE
Dans ce nouveau contexte postmoderne, caractérisé par une économie déréglementée, les collectionneurs privés exercèrent une influence considérable sur l'art ; dès 1981, une des conséquences sera, selon le critique italien Achille Benito : « La dématérialisation de l'oeuvre et le caractère impersonnel de l'exécution, symptomatiques de l'art dans les années 1970, dans une lignée strictement duchampienne, sont en train d'être détrônes par le retour au plaisir d'une exécution manuelle qui ramène la peinture dans le monde de l'art. » Ce regain d'intérêt pour la peinture eut de profondes conséquences sur ce marché en expansion vertigineuse ; l'offre restreinte engendra une hausse de la valeur et les transactions dans les principales salles de ventes confirmèrent d'incroyables prix de vente. Le savoir-faire technique de l'artiste redevint une preuve du contenu artistique de l'objet d'art.
Ainsi,
l'art reprenait son plein rôle en tant que bien de
consommation – et plus qu'hier d'objet de spéculation – ; les peintres de
chevalet des années 1970, plus ou moins délaissés par les musées
et les mécènes, connurent alors une formidable attractivité,
tandis que l'apolitisme gagnait progressivement la quasi totalité
des artistes politisés. Les musées consacrèrent leurs oeuvres,
organiseront des rétrospectives, des universités prestigieuses les
demanderont et ceux qu'ils combattaient auparavant, les grands
collectionneurs privés, pourront enfin devenir leurs plus proches
camarades... Les discours révolutionnaires ou contestataires seront destitués au
profit de la lutte contre le sida qui ravageait le milieu artistique
de New York ou bien pour l'écologie, alors en plein essor.
De
même, le marché de l'art s'extasia puis s'ingénia à trouver le
moyen de ramener dans son orbite certains artistes d'art public. Les
graffitis urbains aux États-Unis évoluèrent en de larges tableaux
colorés, reconnus comme une forme d'art à part entière ; ou plutôt
une « nouvelle » forme d'art, longtemps ignorée, ou
méprisée mais qui justement lui conférait toute sa – future –
valeur sur le marché de l'art, toujours en mal de nouveautés. En juin 2007, à Londres,
deux anniversaires majeurs seront organisés : les 30 ans du Jubilée
d’Argent de la Reine Elizabeth II et les 30 ans de la sortie de
l’irrévérencieux single des Sex Pistols : « God Save the Queen »
avec sa couverture irrespectueuse au collage réalisé par Jamie
Reid. A cette occasion, la célèbre Barbican Art Gallery organisa
l'exposition Panic
Attack ! Art in the Punk Years,
présentant les oeuvres de la plupart des artistes cités par Michael
Archer. La contestation capitalisée, institutionnalisée,
tel un objet mort qui comme d'autres peuplent les musées, eux-mêmes
devenus des centres commerciaux dédiés à l'art, tel Le Louvre à
Paris.
Ce ne sera pas en Occident que la nouvelle vague de contestation "artistique" fera un retour remarquable à partir des années 2000, mais dans les pays émergents, dont notamment la Chine, la Russie, le Brésil, l'Inde où le
théâtre, le cinéma, la littérature ainsi que les arts visuels et
performatifs critiquent le capitalisme dévastateur ou le totalitarisme politique - ou les deux-, et cherchent leur insertion - ou non - dans le champ politique ; comme jadis en Occident...
Le collectif russe Voina [Guerre] |
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