Oriol BOHIGAS : Architecture et Politique


Barcelona  2010 : un logement digne pour tous


 On devrait opérer une révision du marxisme et appliquer les vieilles idées du socialisme plus dur pour réformer à nouveau les villes, comme on l'avait fait au commencement de ce siècle.
Oriol Bohigas 


Depuis les années 60, la figure emblématique de l'architecte Bohigas est omniprésente à Barcelone. Très engagé politiquement, il adhère au Parti socialiste de Catalogne et connaîtra sous la dictature les futurs dirigeants politiques socialistes qui formeront le conseil municipal après la dictature.


Après la mort du dictateur, Bohigas est nommé directeur de l'École technique supérieure d'architecture de Barcelone en 1977 ; puis nommé à la tête du Service de l'Urbanisme en 1979 [jusqu'en 1984]. Il a joué un rôle essentiel dans les projets conçus pour les Jeux olympiques de Barcelone, pour lesquels il a réalisé certains de ses ouvrages les plus importants : le village et le port olympiques de Barcelone. Personnage incontournable de l'urbanisme et de l'architecture, il devint au fil du temps, la cible de nombreuses critiques professionnelles ou non. Depuis plus de trente ans, on s'était habitué à identifier ce personnage providentiel au sort de Barcelone, et certains n'avaient pas manqué de critiquer son pouvoir et son influence exorbitants. Mais également certains de ses projets urbains ; ainsi, peu lui pardonne sa décision de raser Nova Icaria, un ancien et mythique village du bord de mer -lieu très apprécié des barcelonais-, où des disciples de Cabet avaient tenté d'expérimenter une utopie socio-économique au XIXe siècle.

A cela, les plus grands critiques barcelonais, insistent sur le fait que la renaissance et les qualités urbaines et architecturales du projet urbain ont été le fruit de négociations houleuses entre les municipalités socialistes et les investisseurs. Il est reconnu que le projet urbain barcelonais est l'oeuvre de la volonté et de la détermination du maire Narcis Serra qui s'opposa âprement aux partenaires privés. L'architecte urbaniste Solà-Morales reconnaît que l'architecture catalane a toujours été un compromis entre nécessités et manque de ressources. Oriol Bohigas dans un entretien [1] évoque cette politique de l'équilibre, d'un capitalisme raisonné, que les socialistes à Barcelone ont tenté de trouver et qui finalement a échoué.



Image extrait du film "En Construcción" de José Luis Guerín 


Pouvez-vous définir ce qu'est l'urbanisme formellement engagé auquel vous faites référence ?

Je répète que la ville est un problème social, économique, mais surtout un problème de définition formelle. Une forme de ville est une forme de collectivité. Il ne s'agit donc pas d'un problème banal et superficiel mais d'un problème social parce que la forme de la ville définit la vie de la collectivité ; la planification ne peut y prétendre, mais un projet concret, dans lequel l'espace public est exactement dessiné peut le faire. […]

Je vous imagine réfractaire au principe d'un urbanisme du chaos ?[2]

Il est sûr qu'il est difficile d'appliquer une volonté d'un ordre urbain à la périphérie. La périphérie s'est consituée pendant une période où tout ordre urbain était pratiquement impossible du fait des mouvements d'immigration et des grandes spéculations capitalistes. On a dissimulé cette catastrophe que constitue la périphérie européenne en parlant des villes américaines, et en prétendant que le modèle américain pouvait constituer une nouvelle morphologie urbaine. C'est plus qu'une erreur, c'est une immoralité. On ne peut pes accepter l'idée que les grands capitalistes qui ont utilisé la banlieue comme lieu de capitalisation sauvage offrent une solution à la ville. C'est un authentique désastre. […]

Mais les architectes n'ont pas le pouvoir dans la plupart des cas.

L'architecte, comme presque tous les professionnels, est au service des politiques et des gens de pouvoir. La grande tradition du Mouvement moderne proposait de s'opposer aux simples intentions des promoteurs, ce qui constituait une véritable révolution. Or les architectes aujourd'hui ne veulent plus faire la révolution. Ils se satisfont des idées des promoteurs, de changements esthétiques, de décoration superficielle, mais n'ont pas de revendication sur les grands problèmes de l'architecture et de la ville. Il me semble que les architectes ont perdu cette vieille moralité, qui était l'éthique du Mouvement moderne, et qui considéraient que l'architecture était aussi une manière de changer la vie.

La ville totale ressemblerait donc à votre utopie personnelle ?

La seule réflexion que je peux avoir concerne la relation de la ville avec le futur politique du monde. Elle consiste donc à envisager deux futurs : le futur immédiat et le futur à long terme. Le futur immédiat est le présent de toutes les villes européennes qui sont en train de devenir le résultat direct du capitalisme sauvage. Les exemples de Londres, de Berlin, de Paris et de tant d'autres villes sont simplement ceux de la demande de l'exploitation capitaliste la plus directe. Le futur immédiat, c'est donc cette ville horrible, chaotique, spéculative comme invention du capitalisme. Cela ne devrait pas durer. On dit toujours que la crise économique est la conséquence de la fin du communisme. Je pense au contraire que c'est la conséquence de la fin du capitalisme, que c'est la fin d'une situation économique et sociale qui ne peut plus continuer. Je vois donc le futur à long terme dans le retour à la ville socialiste. On devrait opérer une révision du marxisme et appliquer les vieilles idées du socialisme plus dur pour réformer à nouveau les villes, comme on l'avait fait au commencement de ce siècle. Peut-être qu'à la fin de ce siècle ou au début du prochain on retrouvera cette ligne de moralité, d'équilibre social et d'intervention de l'urbanisme et de l'architecture dans les grands événements éthiques de la société.





NOTES :

[1] La ville, six interviews d'architectes, par Odile Fillion.
[2] Référence à l'urbanisme du chaos théorisé par l'architecte Rem Koolhaas.




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