“On a voulu industrialiser la ville. Les conséquences sont l’ennui, le désespoir et la révolte. Ce ne sont pas quelques parcs devant quelques barres qui peuvent rompre la terrible monotonie de la ségrégation. Il faut casser partout le mécanisme de l’exclusion. Faute de quoi, il n’y aura, pas d’identité, pas de dignité, pas de citoyenneté...”
François Mitterrand, à Bron
décembre 1990
La
Cité
de l'architecture et du patrimoine
à Paris a inauguré récemment une nouvelle exposition
: Mix(cité),
Villes en partage, présentant
un
« panorama analytique et prospectif sur la mixité urbaine,
sous toutes ses formes. » Elle est l’aboutissement des
travaux d’analyse et de réflexion menés par l’Observatoire
de la Ville,
organisme fondé par le groupe Bouygues.
Une
exposition indécente et injurieuse car Bouygues depuis sa création
en 1952 est justement l'un des principaux acteurs du séparatisme
urbain, de la non-mixité sociale ; une entreprise de maçons
dont le rôle est prédominant pour le développement de la construction économique et
l'architecture inhumaine des grands ensembles d'habitat social ; mais c'est aussi dès 1956 une grande entreprise de promotion immobilière - la
STIM (Société de Technique Immobilière) -
dont l'histoire est souillée de scandales financiers, d'affairisme,
d'opérations de spéculation, autant que d'immeubles de standing et de vastes lotissements de
« maisons de maçons » qui défigurent encore aujourd'hui
les paysages des périphéries des villes.
Mais
plus que cela, Bouygues
s'est toujours distingué de ces concurrents par
l'emploi massif d'ouvriers non qualifiés d'origine immigrée, hier
d'Afrique du Nord, aujourd'hui de l'Europe de l'Est, une masse
sous-payée placée sous le racisme assumé du fondateur Francis
Bouygues, qui imagina de les "encadrer" sérieusement par
des "kapos",
sorte
d'aristocratie ouvrière privilégiée pompeusement appelée «
l’Ordre des compagnons du Minorange »,
bénéficiant de nombreux avantages,
devant assurer l'ordre, la surveillance et la pression psychologique,
structure
officieuse de mouchards
selon un ancien ouvrier ; nul ne sait le nombre d'infractions
à la réglementation du travail, notamment du
recrutement d'intérimaires et d'illégaux, de travail dissimulé et
d'emploi de main-d’œuvre étrangère sans autorisation de travail
au sein de sociétés sous-traitantes, d'infractions
à la réglementation de
la sécurité sur les chantiers et de délits d'obstacle aux missions
de l'inspection du travail. La mixité sociale n'a jamais existé sur
les chantiers où flotte le drapeau Bouygues, le racisme y est
organisé et institué volontairement.
Tel
est le tableau rapidement esquissé des méthodes de Francis
Bouygues, qui appartient à cette race d'industriels du
« nouveau » patronat de la France des trente Glorieuses,
capable de convertir les élites politiques aux « mérites » de
l'exemple américain des grands consortiums : l'ère de la multitude
des petites entreprises familiales, propre au patronat patrimonial
traditionnel qui prévalait jusqu'alors ne peut affronter un monde en
mutation s'ouvrant déjà à l'ère de la mondialisation. Le
point commun de cette nouvelle génération tient sans doute à ce
que les transformations qu'elle introduit portent moins sur des
innovations techniques que sur des innovations organisationnelles,
commerciales, et financières. Et les méthodes employées pour
assurer leur croissance seront souvent décriées parce qu'elles
rompent, par leur brutalité, avec les règles de l'establishment, et
qu'elles franchissent allègrement la frontière jadis plus ou moins
respectée, de l'illégalité. Bouygues sera vilipendé, dès ses
premiers succès « commerciaux », par les médias de
gauche ou admiré par ceux de droite, honni ou porté aux nues.
Les
principales attaques seront portées par le jeune Parti Socialiste ;
Alain Savary – co-fondateur du Parti Socialiste Unifié -, lors
d'une émission de télévision en 1971, déclarait dans un reportage
que :
« Sauvegarder
les espaces verts, construire pour ceux qui en ont besoin, rapprocher
le lieu de travail de l'habitation, ce n'est pas le souci des
promoteurs, la réglementation établie par le gouvernement
[de Gaulle - Pompidou] lui-même, est ignorée, tournée par les sociétés de
promotion immobilière, dont l'unique objectif est le profit. »
Le
mécanisme de ces dérogations est mystérieux, Gilles Martinet
[co-fondateur du PSU] en a déterminé les rouages :
« J'ai
pris l'exemple de ce bois qui est situé au sud-est de Paris,
c'est-à-dire les bois de Notre-Dame, les bois de la Grange, la forêt
d'Armainvilliers, et de Gros-bois. En 1965 ces terrains boisés qui
constituent des espaces verts très importants, les poumons de
l'agglomération parisienne, étaient considérés comme terrains
inconstructibles, on n'avait pas le droit de construire. Or cette
même année 1965, les principaux groupes de promoteurs parisiens,
notamment le groupe Bouygues et le groupe Balkany, décident
d'acheter ses bois. Balkany achète Gros-bois, Bouygues achète le
bois de la Grange. Alors pourquoi achètent-ils ces terrains, puisque
eux leur métier c'est de construire ? D'abord parce qu'ils sont
moins chers : dans cette région un terrain agricole qui se vend 1,5
million d'anciens francs l'hectare, lorsqu'il est inconstructible, se
vend lorsqu'il y a la possibilité d'élever des immeubles, 100
millions de francs l'hectare. Vous voyez la différence. Il y a donc
cette première raison ; mais encore faut-il obtenir l'autorisation
d'élever ces immeubles. Alors les promoteurs sont persuadés dès le
départ, qu'ils vont obtenir des autorités, du gouvernement les
dérogations nécessaires. Les premières négociations s'engagent,
les résultats ne sont pas brillants, mais enfin tout de même, dans
les bois de la Grange, le groupe Bouygues obtient l'autorisation de
la construction de 2000 logements, ce qui n'est pas négligeable,
mais il veut plus ; alors il déclenche une campagne de presse qui se
développe dans les milieux politiques et qui aboutit en 1967 au vote
d'une loi nationale, permettant de construire sur 1/10e des surfaces
boisées, alors que jusqu'à présent il était complètement
interdit de construire. Bouygues a 400 hectares ici, ce qui veut dire
qu'il pourra construire sur 40 hectares. Nouvelles négociations, et
l'on accorde à Bouygues la construction de 6400 logements. Alors
comment on-t-il obtenu cela ? A mon avis pour deux raisons. D'abord
parce qu'ils ne sont pas seuls ces promoteurs, ils agissent avec les
banques. Les bois de la Grange, cela a couté 4 milliards d'anciens
francs, Bouygues n'en met que 200 millions, et le reste est versé
par la banque de Paribas, de Suez, le Crédit Lyonnais et un certain
nombre de compagnies d'assurance ; et ces banques qui ne tiennent pas
à immobiliser éternellement leur argent, font pression sur les
pouvoirs publics pour obtenir des dérogations. Et puis il y aussi
les hommes politiques : l'homme qui a négocié les bois de la
Grange, s'appelle Granet, député de l'UDR, et il a été un moment
directeur d'une des entreprises Bouygues, et au sein du conseil
d'administration du groupe Bouygues siège un autre député de
l'UDR, Monsieur Morizet. […].
Francis
Bouygues interviewé se justifia ainsi :
« Je
suis très heureux de faire une mise au point. Mon entreprise emploie
7000 salariés, 1200 techniciens, 250 ingénieurs diplômes des
Grandes Écoles, et nos chantiers sont à la pointe des techniques,
certains reçoivent des visiteurs du monde entier. A ce jour, nous
avons construit 60.000 logements sociaux, quant à la promotion
immobilière elle-même, elle représente moins de 8 % de notre
activité. Deuxièmement, je ne veux pas entrer dans une polémique,
je suis un technicien de la construction et de l'équipement, un
point c'est tout. Troisièmement, je réponds simplement pour ce qui
concerne le domaine de la Grange, il a été acheté en 1964 et non
en 1965 comme il a été dit, par un groupe de 35 sociétés
françaises, et notre participation est inférieure à 10 %. Ce
domaine comprend 400 hectares de bois, comme il a été dit, mais on
a oublié de mentionner 300 hectares de plaines. Je considère
personnellement en tant que technicien, qu'il constitue un site
remarquable pour la construction, et que cependant à ce jour, il n'a
donné lieu à aucune autorisation de construire de quelque nature
que ce soit. C'est à l'évidence, la démonstration exacte, de ce
que prétend prouver Monsieur Martinet. Avant de terminer, je suis
heureux de l'occasion qui m'est donné ce soir, pour déclarer que
nous sommes essentiellement des bâtisseurs au service de l'Etat et
des français pour réaliser des logements, des équipements.
Voilà. »
Aujourd'hui
encore, le groupe Bouygues, concernant la construction et la
promotion immobilière, fait l'objet de multiples scandales et de
procédures judiciaires. Ainsi, deux juges d'instruction enquêtent
sur d'éventuels faits de corruption et trafic d'influence en marge
de l'attribution du chantier du futur ministère de la Défense, le
projet du "Pentagone français" remporté en mai par
Bouygues. De même certains députés s'étonnaient du financement du
contrat décroché par Bouygues, un contrat de Partenariat public
privé (PPP) d'une ampleur inédite pour une administration. L'Etat
ne commencera à payer qu'en 2014, lorsque les nouveaux bâtiments
seront livrés. Pendant 27 ans, il devra alors débourser une
redevance annuelle comprise entre 100 millions et 150 millions
d'euros soit 4 milliards d'euros pour la fourchette haute (redevance
à 150 millions). Le
parquet de Cherbourg a ouvert une enquête préliminaire contre
Bouygues sur le chantier de
l'EPR à Flamanville, soupçonné d'avoir employé illégalement des
intérimaires, tandis que les syndicats dénonçent les épouvantables
conditions de travail et le racisme latent. D'autres sont en cours, et de
même, des scandales éclatent régulièrement contre les filiales de
Bouygues à l'étranger.
Cette réussite est parfois comparée à celle de Silvio Berlusconi, qui bâti sa fortune et son empire par la promotion immobilière, et la corruption généralisée. Certains
soulignent le fait que l'extraordinaire et fulgurante ascension de la
petite entreprise de maçonnerie créée par Bouygues en 1952,
devenue 35 années plus tard en 1987, le numéro 1 mondial du BTP,
s'est effectuée à la frontière de l'illégalité, protégée par
le monde politique gaulliste, une oeuvre – et une fortune -
reposant sur les bases d'un esclavagime moderne.
Voici brièvement décrites les principales accusations portées contre ce fleuron de l'industrie française qui concernent les domaines de l'habitat, pour la période des années fastes du capitalisme urbain : celles de la reconstruction du pays, de l'industrialisation de l'urbain et du nouveau patronat européen.
La promotion immobilière
1952,
l'heure est à la reconstruction de l'appareil productif. Francis
Bouygues jeune entrepreneur cherche à se faire une place sur le
marché du bâtiment industriel : le premier chantier est la
rénovation de la papeterie Darblay, puis la construction des garages
Luchard, de l'usine Doiteau, de la fabrique Guinard constituent ses
premières affaires. Dès la fin de 1952, l'entreprise employait dix
compagnons à temps complet. Au cours de l'année suivante, ses
relations permet à cette petite entreprise le premier gros contrat :
celui de la construction des bureaux d'IBM-France.
Au
regard de ses ambitions, le choix de ce secteur de l'industrie
s'avère très judicieux : le Ministère
de la Reconstruction et de l'Urbanisme dans le cadre du Plan
de Modernisation et d’Equipement,
élaboré sous la direction de Jean Monnet pour les années
1947-1951, qui fixait les orientations et choix budgétaires pour
l’ensemble des pouvoirs publics, donnait la priorité à la
reconstruction des infrastructures de transport, et des moyens de
production et non au logement, conformément aux obligations qui
conditionnaient l’obtention de subventions américaines dans le
cadre du Plan Marshall. Après la Seconde Guerre mondiale, le temps
est à la reconstruction et la priorité n'est pas donnée à
l'habitat. D'autre part, ce secteur particulier de la construction
est facilement accessible car constitué
par une multitude d'artisans, de
petites et moyennes entreprises, mal organisées, à l'inverse des
travaux publics où dominent de grandes sociétés.
Mais
bien vite, Francis Bouygues se tourne vers la promotion immobilière.
C'est en 1956 qu'il crée sa filiale de promotion immobilière, la
STIM (Société de Technique Immobilière) et qu'il s'engagea
dans des opérations immobilières de haut standing : ce fut le cas
avec celle du 52, avenue Foch, à Paris. A cette occasion, il testa
la méthode employée très souvent par la suite :
1)
acquérir un terrain bien situé ;
2)
emprunter aux banques ;
3)
faire payer les acquéreurs avant même d'avoir construit les
fondations.
Cette première opération ayant été fructueuse, Bouygues bénéficia désormais du soutien constant du Crédit lyonnais qui, à cette occasion, lui avait avancé de fortes sommes. Avec son appui, Bouygues s'affirma peu à peu comme l'un des grands promoteurs parisiens. L'activité immobilière s'amplifia à partir de 1964, c'est-à-dire à l'arrivée de Paul Granet, énarque et ancien chargé de mission du ministère de l'Intérieur. Au cours des années 1960, Bouygues se rapprocha du groupe Suez, afin d'accroître sa marge de manoeuvre en matière d'immobilier. D'autres affaires suivront cette première opération de prestige, située dans les beaux quartiers de Paris. Elles se feront de plus en plus ambitieuses et de plus en plus controversées aussi. Dans le monde de la promotion, Francis Bouygues relève de cette « nouvelle vague immobilière », à laquelle appartient également Robert de Balkany, le promoteur de Parly II (Bouygues sera son constructeur). Les deux hommes s'illustreront par de grandes opérations en zones sauvegardées, contre, souvent, l'avis des municipalités concernées. Comme celle du Domaine du bois de la Grange évoquée en introduction.
En 1963, Bouygues créé une nouvelle filiale, l'Union immobilière d'investissement et de participation ou UNIVEST, qui, au contraire de la STIM, se contentait de participer financièrement à des opérations de promotion lancées par d'autres groupes. Le rôle d'UNIVEST ne cessa de s'accroître au cours des premières années 1970, au point qu'en 1973 son capital dépassait en importance celui de la STIM. Cette dernière engagea en outre, à partir de 1973 aussi, son redéploiement vers la province. Cette même année vit s'amorcer une réorientation au profit du marché de la maison individuelle : ce fut la raison de la création de France-Cottages, avant tout destinée à assurer la promotion de lotissements.
Cette première opération ayant été fructueuse, Bouygues bénéficia désormais du soutien constant du Crédit lyonnais qui, à cette occasion, lui avait avancé de fortes sommes. Avec son appui, Bouygues s'affirma peu à peu comme l'un des grands promoteurs parisiens. L'activité immobilière s'amplifia à partir de 1964, c'est-à-dire à l'arrivée de Paul Granet, énarque et ancien chargé de mission du ministère de l'Intérieur. Au cours des années 1960, Bouygues se rapprocha du groupe Suez, afin d'accroître sa marge de manoeuvre en matière d'immobilier. D'autres affaires suivront cette première opération de prestige, située dans les beaux quartiers de Paris. Elles se feront de plus en plus ambitieuses et de plus en plus controversées aussi. Dans le monde de la promotion, Francis Bouygues relève de cette « nouvelle vague immobilière », à laquelle appartient également Robert de Balkany, le promoteur de Parly II (Bouygues sera son constructeur). Les deux hommes s'illustreront par de grandes opérations en zones sauvegardées, contre, souvent, l'avis des municipalités concernées. Comme celle du Domaine du bois de la Grange évoquée en introduction.
En 1963, Bouygues créé une nouvelle filiale, l'Union immobilière d'investissement et de participation ou UNIVEST, qui, au contraire de la STIM, se contentait de participer financièrement à des opérations de promotion lancées par d'autres groupes. Le rôle d'UNIVEST ne cessa de s'accroître au cours des premières années 1970, au point qu'en 1973 son capital dépassait en importance celui de la STIM. Cette dernière engagea en outre, à partir de 1973 aussi, son redéploiement vers la province. Cette même année vit s'amorcer une réorientation au profit du marché de la maison individuelle : ce fut la raison de la création de France-Cottages, avant tout destinée à assurer la promotion de lotissements.
Au
tournant des années 1970, la stratégie immobilière du groupe
connut une sensible inflexion. Bien que la STIM eût continué à
lancer des opérations de grand standing à Paris ou de logements
aidés en banlieue, le départ de P. Granet — élu député UDR de
l'Aube en mars 1967 — , la mise en cause de la société, largement médiatisée par les quotidiens de Gauche, concernant de nombreuses affaires de corruption (le Domaine de la Grange,
Jouy-en-Josas, la rue de l'abbé Groult à Paris 7, etc.), et ses trop proches relations avec le ministre de l'Equipement, Albin
Chalandon, incitèrent ses dirigeants à la prudence, sinon à
plus de retenue mais de discrétion.
Dans sa politique de diversification, stratégie constante, Bouygues fonda en 1972
une filiale, la Gestion immobilière moderne, GIM, destinée à exercer
les fonctions de syndic de copropriété et d'administrateur
d'immeubles locatifs d'habitation, de bureaux ou de commerce. Le
groupe chercha également à obtenir des concessions. En 1972, la
société Bouygues prit une participation dans la SA du Parking
Maillot, qui avait pour objet la construction et l'exploitation de ce
dernier. Cette même année, elle devenait actionnaire d'APEL,
société chargée de la construction, de l'exploitation et de
l'entretien de l'autoroute A4 Paris-Metz. Cette nouvelle prise
d'intérêts consacrait la réussite du groupe.
Le logement social
Si
la carte de la promotion immobilière permet à Francis Bouygues de
développer son sens des affaires, c'est le logement social qui
révélera ses qualités d'entrepreneur et l'efficacité de ses
méthodes industrielles. L'heure est à l'importance de la commande
publique. Mais alors qu'avant guerre, celle-ci s'était adressée
essentiellement au secteur des travaux publics, à partir de 1954, elle concernera le Bâtiment et portera en priorité sur le
logement.
Les" besoins" sont considérables : sur 14,5 millions de
logements, la moitié ne dispose pas d'eau courante, les 3/4 de
WC, 90 % de salle de bains. On dénombre 350.000 taudis, 3
millions de logements surpeuplés et un déficit constaté de 3
millions d'habitations. Le blocage des loyers depuis 1947, très
partiellement atténué par la Loi de 1948, ne favorise pas les
investissements privés.
L'État tente de changer la
situation en impulsant à l'industrialisation des entreprises du
bâtiment : en 1950, Eugène Claudius-Petit, ministre de la
reconstruction, lance le concours de la Cité Rotterdam à
Strasbourg. Ce programme doit comporter 800 logements, et le
concours, ouvert à un architecte associé à une entreprise de BTP,
prend en compte des critères de coût et de rapidité d'exécution.
En 1953 toujours, Pierre Courant, Ministre de la Reconstruction et du
Logement, fait voter une loi qui met en place une série
d'interventions (appelée "Plan Courant") facilitant la
construction de logements tant du point de vue foncier que du point
de vue du financement (primes à la construction, prêts à taux
réduit, etc.) : la priorité est donnée clairement par le ministère
aux logements collectifs et à la solution des grands ensembles. La
même année, est créé le fameux "1 % patronal". Ces
fonds sont réunis par l’Office Central Interprofessionnel du
Logement (OCIL), à l'origine de la construction d'un certain nombre
de grands ensembles.
Mais le véritable choc
psychologique intervient en 1954 : le terrible hiver et l'action de
l'Abbé Pierre engage le gouvernement à lancer une politique de
logement volontariste. Un programme de "Logements économiques
de première nécessité" (LEPN) est lancé en juillet 1955 : il
s'agit de petites cités d'urgence sous la forme de pavillons en
bandes. En réalité, ces réalisations précaires s'avèrent
catastrophiques et se transforment en taudis insalubres dès l'année
suivante. La priorité est donnée alors résolument à l'habitat
collectif de grande taille et à la préfabrication en béton, comme
seule solution au manque de logements en France.
L'Etat
prend désormais à sa charge l'essentiel du financement du logement,
à travers l'extension de la part du secteur H.L.M., qui passe de
20,5 % en 1953 à 31,5 % en 1959, dans un volume de production totale
qui sera multiplié par 3,2, entre ces deux dates (la production
annuelle de logements atteint 280 000 unités dès 1956) et l'on
prévoit de l'accroître encore à travers les IVe et Ve plan
(1962-1965 ; 1966-1970) : en trois ans, de 1961 à 1964, la
production annuelle totale de logements passe de 300 000 à 400 000
logements pour atteindre les 500 000 en 1970. La part du logement HLM
se stabilise à 30 % du total.
Bouygues
prendra rapidement son essor dans ce secteur du
bâtiment constitué de petites entreprises artisanales aux méthodes
de constructions traditionnelles, incapables de construire des
logements en grande quantité et rapidement. Le contexte est donc
très favorable. En 1955, Bouygues se lance dans la
construction de cités HLM dans le cadre de programmes largement
financés par l'État français, lancés pour subvenir aux besoins
grandissants de logements, dans la continuité de l'appel de l'abbé
Pierre pendant l'hiver 54. A
Nanterre en 1956-1961, 45 LOPOFA à Fresnes en
1955-1960,
puis 160 HLM dont 45 LOPOFA en 1956-1965, 160 LEN à
Bonneuil-sur-Marne en 1955-1964,
80
LEN à Maisons-Alfort
en 1958-1960 ; 90
LOPOFA à Nanterre
en 1956-1957 ; 80
LEN à Maisons-Alfort
en 1956 ; 160
LOPOFA à Fresnes
en 1956-1958, etc.
Francis Bouygues, toutefois, ne se
tourne pas d'emblée vers le marché du logement social, et préfère
asseoir sa croissance sur des marchés plus rémunérateurs, ceux des bureaux, sièges sociaux et grands équipements publics , dont les hôpitaux. Il
lui faudra obtenir une commande de 3.000 logements pour l'opération
de Choisy-Orly en 1959, pour qu'il commence à s'y intéresser plus sérieusement. A
cette date, l'entreprise Francis Bouygues compte 10.000 logements
sociaux à son actif ; elle en comptera 15.000 l'année suivante.
Mais c'est l'arrivée dans l'entreprise, en 1965, de Charles
Defontaines, polytechnicien, qui a véritablement convaincu Francis
Bouygues de l'intérêt de développer ce marché, de créer un
service commercial ad hoc pour le logement social, et d'élaborer une
stratégie spécifique. L'occasion leur en sera donnée l'année
suivante, lorsque le ministère de la Construction lance en 1966 le
concours P.P.L. (Programmes Pluriannuels de Logements). Ce concours
repose sur l'idée de la mise en compétition d'équipes
architecte-entreprise constituées pour étudier un projet-type de
bâtiment. Les lauréats se voient alors garantir le droit à des
commandes de réalisation successives sur plusieurs années, donnant
lieu à des marchés de gré à gré (en l'occurrence, le PPL
garantit aux partenaires la construction de 1.000 logements par an
pendant 5 ans). Ce concours préfigure la politique des modèles.
Bouygues s'associe aux architectes Andrault et Parat. L'équipe est
placée en tête des lauréats. Elle se bâtit une image de marque
sur ce marché en pleine expansion.
La
carte que Francis Bouygues jouera vise à limiter le risque attaché
à l'appel à la concurrence et aux formes de compétition ouverte.
Les marchés publics sont soumis à des règles strictes de mise en
concurrence aux termes desquelles l'attribution va au moins-disant.
Il se fera une spécialité de passer le maximum de ses marchés en
gré à gré. Pour cela, il développe, le premier, la fonction
commerciale destinée à le placer en lice dès la conception du
projet.
Le
logement social dès lors, occupera une place très importante dans
les marchés de l'entreprise. Il représente 44 % du chiffre
d'affaires de celle-ci en 1968 et constitue alors la première des
activités de l'entreprise. La construction totale de logement,
public et privé, représente 60 % du chiffre d'affaires de
l'entreprise.
L'affaire du Quartier de la Grande Borne
La
Grande Borne implantée à l'écart des communes de Grigny et
Viry-Châtillon, est une cité d’habitat social comprenant 3.685
logements, imaginée par l’architecte Émile Aillaud sous la
maîtrise d’ouvrage de l’Office public HLM interdépartemental de
la Région parisienne. La cité fut bâtie à l’origine dans le
cadre de la résorption des bidonvilles de la région parisienne et
fut destinée à reloger les habitants du 13e arrondissement de Paris
alors en pleine transformation. La réalisation entre 1967 et 1971,
fut confiée à l’entreprise Bouygues.
La
Grande Borne symbolise parfaitement les méthodes de Bouygues : une
incroyable économie de moyens, une technique de panneaux béton
défectueuse entrainant des malversations, et l'éviction de
l'architecte Émile Aillaud par les ingénieurs
Bouygues, dont le rôle s'arrêta à la conception du plan masse, et
au choix des artistes venant ici « humaniser » les
espaces et colorier les façades...
Les
ingénieurs Bouygues imposèrent une réalisation par
coffrages-tunnel et panneaux de façade lourds exécutés suivant le
procédé "Costamagna", malgré la complexité induite par
les courbes des constructions. Une technique mal maîtrisée ne
s'adaptant pas à l'architecture imaginée par l'architecte mais qui
permettait la réalisation de longs édifices au moindre coût et en
un temps record. La recherche d’économies vise à réduire au
maximum l’isolation phonique
et thermique. Le constructeur imposa de même seulement trois types
de fenêtres pour l'ensemble des habitations (soit 21 000 fenêtres)
: une fenêtre carrée (1,35 m × 1,35 m), une porte-fenêtre étroite
(0,85 m × 2,1 m) et une porte-fenêtre large (1,35 m × 2,1 m)
réservée aux séjours.
Le
génie d'Émile Aillaud a donc dû composer avec ce mode construction
et bâtir la cité à partir d'un panneau de façade de 2,7 mètres
par 2,7 mètres et de trois types de fenêtres. Néanmoins, selon un témoignage, les propos d'Aillaud pouvaient parfois surprendre, il regrettait, par exemple d'être contraint à se tenir éloigné de l'autoroute, car les femmes s'ennuyant disait-il, auraient été heureuses de pouvoir regarder passer les voitures ...
Quelques
mois seulement après la construction de la cité, les panneaux de
façade présentèrent des microfissures. Elles seront à l'origine
d'importantes infiltrations d'eau, qui
entraînaient des moisissures dans les pièces d’habitation. Le
phénomène s’amplifia et ce fut toute la cité qui fut victime des
malfaçons, allant même jusqu’à rendre
certains logements inhabitables. Moins de dix ans après la fin des
travaux en 1982, plus de 750 logements étaient touchés :
300 logements étaient déclarés inhabitables pour cause
d’insalubrité, et 450 bien que considérés comme insalubres
étaient habités, le loyer de ces locataires ayant été minoré.
L’exigence
par les résidents d’une réhabilitation lourde et couteuse des
façades apparaît dès 1975. Les locataires se heurtèrent alors au
silence et à la répression de la part du bailleur. La répression
s'abat sur les locataires les plus actifs dans la contestation,
certains d’entre eux n’hésitant pas à aller jusqu’à la
suspension du paiement des loyers. La solidarité s’est alors
renforcée, l’identité de la Grande Borne aussi, et les habitants
s’organisent : en 1975, près de 1 000 locataires se retrouvent
dans un gymnase pour exiger des mesures. La CNL de la Grande Borne a
été créée à cette occasion et a engagé de nombreuses actions
pour l'aide au relogement des personnes habitant des appartements
insalubres, humides ou fissurés, le blocage des charges en vue
d’obtenir que des travaux soient effectués immédiatement, et
organisèrent nombre de manifestations pour exiger l'arrêt des
expulsions de locataires en difficultés financières, ou bien
l’augmentation des charges... Certains, par contre, se
décourageaient et quittaient le quartier ; mais toutes les demandes
de mutations, y compris dans les cas extrêmes, étaient refusées.
La guerre était déclarée. Rien ne sera fait pour accompagner les
locataires dans leurs difficultés.
Face à cette situation L’O.P.I.R.P demanda dans un premier temps à l’entreprise Bouygues de remédier à ces malfaçons dans le cadre de sa garantie décennale. Les résultats obtenus n’ayant donné que trop partiellement satisfaction, l’O.P.I.R.P engagea une action devant le tribunal administratif qui désigna un expert pour définir la nature, l’importance et les causes des désordres et pour indiquer quels étaient les travaux nécessaires. Dans ces conditions les deux antagonistes (l’O.P.I.R.P et Bouygues) recherchèrent par l’intermédiaire de leurs conseils une issue à l’amiable au conflit.
L’argent
public va venir au secours des malfaçons. Un
accord intervint entre les deux parties ; un marché
de dupe pour les locataires : la réhabilitation contre 37 %
d’augmentation du loyer. Aubaine pour le bailleur, pour l’Etat...
Et pour Bouygues qui pourtant responsable
de fautes graves ayant entrainé l'insalubrité de plusieurs
centaines de logements et la dégradation rapide de la quasi totalité
des façades de la cité, récupéra le marché de la réhabilitation
lourde, d'un montant de 320 millions de francs.
Pour les locataires, la réhabilitation marque le début de la
descente aux enfers : la réhabilitation va durer 10 ans pendant
lesquels le nouveau bailleur va favoriser l’arrivée en masse des
catégories de population les plus défavorisées. La concentration
s’organise méthodiquement, cage d’escalier par cage d’escalier.
Les prestations minimums
ne sont plus assurées.
La
réhabilitation, fut réalisée en 5 tranches étalées entre 1983 et
1990 et fut confiée à Emile Aillaud, alors âgé et moins inspiré. Celle-ci consista en un
bardage extérieur de toutes les façades et en une transformation de
quelques appartements de type F5 en appartement plus petit. Cette
réhabilitation, notamment visible au Labyrinthe, sera à son tour,
frappée de vétusté. Une opération de rénovation commence à
nouveau en 2004...
Bouygues
interviendra également dans la construction de Grigny 2, une
co-propriété de
5.835 logements destinés à la classe moyenne, érigée à proximité du quartier de la Grande Borne. L'affaire fut prise
en main par la Direction Départementale de l'Équipement qui négocia
au mieux les intérêts de l'Etat, sous l'oeil intéressé du
ministre qui souhaitait que les partenaires privés puissent trouver
leur place dans l'effort de construction. Le
10 décembre 1968 le Ministre de l’équipement, Albin Chalandon,
délivre un accord préalable aux promoteurs, Balkany et la Banque
de Suez, sans tenir compte des objections de la municipalité. A
Parly 2, la publicité offrait un art de vivre ; à Grigny, destiné
à une population moins favorisée, la publicité attaquait le
problème du logement et offrait même à côté des logements prêts
à vendre, des logements prêts à finir. C’était «un nouvel art
de vivre», «la ville à la campagne» qui était vendue sur plan. A
25 km de Paris, le projet avait de quoi séduire. Contrairement à la
Grande Borne, les constructions seront particulièrement soignées et
ne souffriront d'aucune malfaçon...
L'affaire
du Parc des Princes
Bouygues
n'entend pas, cependant, se cantonner à la construction de logements
H.L.M. Pour sa croissance, pour son image aussi, il souhaite prendre
pied sur le terrain honorable des ouvrages d'art. Ce marché, dominé
par les grandes sociétés, est toutefois plus difficilement
accessible que celui du bâtiment. L'occasion d'y pénétrer lui sera
fournie par le nouveau projet du Parc des Princes, en 1969.
L'obtention et la réalisation de ce marché constitue sans doute
l'épopée la plus risquée que l'entrepreneur ait eu à connaître
jusqu'ici. Initié par Maurice Herzog, Ministre des Sports, ce projet
d'un nouveau stade de 50 000 places relève du domaine des grands
ouvrages d'art, véritable chasse gardée des cinq grands des travaux
publics (Campenon Bernard, S.G.E., G.T.M., Spie Batignolles,
Fougerolle). La conception en est confiée à Roger Taillibert,
architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, assisté
de SEEE, bureau d'études de structures lié à G.T.M. Le projet est
d'une grande complexité technique : la percée d'un tronçon
souterrain pour le boulevard périphérique entre la porte de
Saint-Cloud et la porte Molitor, impose des travaux sous le complexe
sportif. En outre, le projet prévoit que la couverture du stade,
sans point d'appui dans les gradins, doit être soutenue par 50
portiques de béton supportant des fléaux en porte à faux.
Bouygues
ne peut croire sérieusement à ses chances : il lui manque la
qualification technique nécessaire en matière de béton
précontraint. Soucieux d'entrer dans le monde prestigieux des
ouvrages d'art, il a, dans tous les cas, déjà recruté depuis
quelque temps un ingénieur ENSI, Pierre Richard, spécialiste des
travaux publics, et qui travaillait jusqu'ici aux côtés de Georges
Pébereau, à l'arrondissement de la Seine. Pour avoir le visa de la
qualification technique, Bouygues s'associe à la société
Boussiron, spécialiste reconnue du béton précontraint. Les deux
entreprises cependant mènent les études chacune de leurs côtés.
Aux côtés de Pierre Richard, Jean Etcheverry, entré chez Bouygues
en 1962, est quant à lui chargé de la proposition commerciale. Dans
les coulisses on murmure que le projet doit revenir à G.T.M. Tous
les compétiteurs préparent leur offre en fonction de cet accord
discret. Francis Bouygues entend bien déroger à ces usages de la
profession, ce « consensus des faibles », comme il le définit. Il
doit donc parvenir à faire l'offre la moins chère.Trois facteurs
lui assureront la victoire :
-
le facteur technique, tout d'abord. Pierre Richard préconise
l'application de méthodes de construction économiques pour la coque
elliptique du stade : la préfabrication et l'assemblage par
précontrainte des structures porteuses.
-
Le second facteur tient à une astuce commerciale. L'offre doit être
établie selon la méthode du « bordereau » : l'entreprise remet
une liste de prix unitaire qu'il suffira d'appliquer aux quantités
de matériaux réellement consommées sur le chantier. Or,
reconnaissent les experts, sur les grands ouvrages, les quantités
sont à la fois difficiles à estimer de façon précise. Mais
surtout, pour entrer dans les prix des marchés publics, elles sont
aussi souvent sous-évaluées par le client au départ, qui prend le
risque de devoir réévaluer le marché par la suite. Toute l'astuce
de Bouygues consiste à mettre des prix unitaires faibles là où les
quantités unitaires sont bien évaluées et des prix forts là où
elles sont sous-évaluées. L'optimisation de ces distorsions, sur un
programme informatique permet alors à l'entreprise de baisser son
prix de 4 à 5 %.
-
Enfin le troisième facteur repose sur la renégociation du contrat,
une fois le marché obtenu. Alors que le marché prévoyait que
l'activité du stade continue pendant les travaux, Francis Bouygues
obtient de pouvoir utiliser la pelouse pour y installer son usine de
préfabrication ; il promet en échange une réduction de délais de
six mois, qu'il tiendra. Prétextant la hausse des prix de l'acier,
il réclame également que les prix soient revus.
Sous
les feux de la critique, la ville de Paris vote des rallonges
budgétaires. Le « Scandale du Parc des Princes » s'étale à la
une des journaux. Les critiques concernent la conception défectueuse,
pelouse à refaire et le prix de l'ouvrage : la facture de 32
millions de Francs à l'origine se monte à 94 millions, dont il faut
encore ajouter 8 millions pour reprendre les vices de construction.
En 1979, sept poutrelles formant la toiture se détachent et
relancent par la même occasion la polémique.
Malgré
les critiques et le « scandale », Francis Bouygues a
acquis une belle référence. A bien des égards, cette opération
est exemplaire des méthodes Bouygues. Du Palais des Congrès à
l'Arche de la Défense, on retrouvera encore ce mélange de prouesses
techniques, d'astuces commerciales, de réclamations et de
contentieux. Elle lui ouvrira, dans tous les cas, la porte du Moyen
Orient.
Les
Lotissements Bouygues
Le
domaine de la maison individuelle, pour toute la période de
l'urbanisme des grands ensembles n'occupait pas une grande
importance. Bouygues associé aux architectes Andrault et Parat
avaient cependant répondu au concours international de la maison
individuelle de 1969, dit « concours Chalandon », et la
STIM avait engagé quelques opérations immobilières : Igoville,
Eure (500 maisons), Villepinte, Seine-Saint-Denis (450 maisons),
Baillet-en-France, Val d'Oise (1050 maisons), Châteaufort, Yvelines
(450 maisons).
Ce
n'est réellement que lorsque les grands ensembles seront
progressivement proscrits, que Bouygues
manifesta un intérêt croissant au marché de la maison
individuelle, nouvelle solution politico-architecturale capable de se
substituer aux barres et aux tours. Bouygues
opéra un changement majeur, en développant ce secteur par la
création de France
Cottages en
1974 qui lui permet de développer des programmes de maisons
individuelles groupées en ce qu'il nomme pompeusement « village ».
Puis en 1978, est créée la filiale Maisons
Bouygues
dirigée par les deux fils cadets de l'entrepreneur.
S'y ajoutèrent, en 1980 et 1986 respectivement, France Construction
et Maisons Marianne, cette dernière société s'adressant à une
clientèle bourgeoise. Dans le contexte nouveau résultant de
l'institution, en 1978, des programmes d'accession à la propriété,
ce secteur connaîtra un fort essor, Maisons Bouygues s'imposant
rapidement au second rang national de la spécialité derrière
Maisons Phénix.
Comme
les autres groupes de ce secteur, Bouygues pratiqua largement la
corruption, offrant aux maires réticents de financer leur campagne
électorale, voire des avantages en nature, en contrepartie de
dérogations ou de d'obtention rapide de permis de construire, ou les
deux.
Ces
lotissements de « maisons de maçon », édifiés à la
périphérie des villes, défigurent encore aujourd'hui le paysage
des villes de France et feront l'objet par leurs propriétaires
dupés, de multiples procès pour défauts de construction, retards
de livraison, en autres.
L’Ordre
Minorange
L'architecte
Pierre Riboulet définissait ainsi en 1970, le travail immigré :
Indispensable
à plus d'un titre, et c'est là que ce problème est d'une grande
importance théorique. La présence de cette main-d'oeuvre permet un
taux d'exploitation plus élevé, et ce, de l'aveu même de la classe
qui l'exploite. La présence de ces travailleurs est utile aussi à
la classe capitaliste, dans la mesure où elle permet une division
efficace de la classe ouvrière En
créant un sous-prolétariat,le pouvoir économique et politique
dominant montre, d'une façon concrète, aux ouvriers français que
le statut social de la petite-bourgeoisie lui est ouvert et qu'ils
peuvent avoir une place privilégiée dans la production. Il y a une
concomitance frappante entre l'annonce de la société gaulliste de
participation, c'est-à-dire une politique de collaboration de
classes, l'idylle garantie entre le capital et le travail, d'une
part, et l'existence des travailleurs étrangers, de plus en plus
nombreux, d'autre part. La force de travail étrangère est en
quelque sorte le soubassement indispensable sur lequel le gaullisme
va, soi-disant, résoudre la question sociale. Au passage, et ce
n'est pas là le moindre avantage pour le pouvoir, les forces
constituées de la classe ouvrière française sont mises en
porte-à-faux. Les intérêts de classe, bien qu'étant
fondamentalement les mêmes entre les travailleurs français et les
travailleurs immigrés, sont rendus différents par les situations
historiques respectives dans lesquelles se trouvent ces travailleurs.
Des
caractéristiques qui seront au coeur du système Bouygues, qui
investira
dans la mécanisation des chantiers et l'organisation scientifique du
travail. L'organisation scientifique du travail se traduira très
concrètement par la création d'un service d'études du travail,
chargé de définir et de chronométrer les tâches, pour mieux
cerner les temps et les coûts unitaires.
Avec
l'explosion de la demande adressée au Bâtiment, en particulier en
matière de logement, la question à l'ordre du jour est bien celle
du passage à l'industrialisation pour la production des bâtiments.
En rationalisant les tâches et en spécialisant le travail, Francis
Bouygues peut recourir à une main-d'oeuvre moins qualifiée et donc
abaisser ses coûts de production par rapport à ses concurrents.
Bouygues se fait le pionnier de la taylorisation dans le bâtiment.
L'une des conséquences en est l'accroissement spectaculaire du
turn-over sur les chantiers. Avec 250 % de moyenne annuelle, le
turn-over chez Bouygues au début des années 1960, crève tous les
plafonds. Les ouvriers de métier refusent d'y venir travailler.
Francis Bouygues développe alors des actions dans deux directions :
-
la première est de se tourner massivement vers l'emploi de
travailleurs étrangers. Leur part dans la structure du personnel
ouvrier est rapidement l'une des plus fortes parmi les entreprises de
bâtiment de la région parisienne. L'entrepreneur reconnaîtra plus
tard que cette politique lui permet d'abaisser ses coûts de 10 %
environ par rapport à ses concurrents ;
-
la seconde porte sur la création d'un « ordre » compagnonique,
réservé aux ouvriers de son entreprise, avec sa hiérarchie, ses
mots d'ordre, ses symboles, ses droits et ses obligations. L'Ordre
des Compagnons du Minorange (provenant de la contraction de Minium
Orange, cette peinture anti-rouille que l'entrepreneur utilise déjà
pour tout son matériel) voit le jour en 1963. Francis Bouygues en
est le Président. L'accession à l'Ordre est destinée à
récompenser les plus méritants. Les compagnons, dont la proportion
voisinera toujours autour de 10 % du personnel de chantier, se
remarquent sur les chantiers à la couleur de leur tenue de travail
(bleu bugatti) et aux insignes qui les distinguent en fonction du
grade occupé dans l'Ordre. Les droits réservés aux compagnons se
réduisent au port de ces marques distinctives, à un banquet une
fois l'an que préside Francis Bouygues, ainsi qu'à un voyage annuel
offert par l'entreprise, de même qu'à leurs épouses. Au nombre de
leurs devoirs, figure celui de « connaître l'obéissance et la
discipline librement consentie ». A travers cette institution,
l'entrepreneur cherche à se constituer un noyau stable de
travailleurs dévoués, dont il attend qu'ils donnent l'exemple sur
les chantiers pour tenir les délais, éponger les retards. Ainsi,
Francis Bouygues réussit ce tour de force de couler la figure de
l'ouvrier spécialisé dans l'image compagnonique.
De
fait, l'efficacité de l'ordre reposera moins sur l'identification à
l'entreprise que sur les caractéristiques sociales des compagnons,
recrutés essentiellement dans la partie la plus captive de la
main-d'oeuvre : les travailleurs étrangers sans formation. Ainsi,
dès la première moitié des années 1960, l'entrepreneur met en
place une organisation du travail d'inspiration taylorienne. Lorsque,
en 1964, Francis Bouygues diagnostiquait une pénurie de
main-d’œuvre, il se refusait dans le même texte à tenir
l’immigration pour un remède, car la :
«
main-d’œuvre
immigrée […]
est
toujours d’une qualité très médiocre ».
Francis
Bouygues n’hésitera pas à recourir largement aux ouvriers
d’origine étrangère : dès la fin des années 1960, ils
représentent 80 % de son personnel de chantier, soit une proportion
bien plus forte qu’ailleurs. Francis Bouygues dira plus tard que
cet emploi massif de travailleurs étrangers lui permet d’être à
10 % moins cher que ses concurrents. La contradiction n’est
peut-être qu’apparente, la déconsidération d’une catégorie de
main-d’œuvre préparant son exploitation.
La
crise sociale de mai 1968 marqua une étape nouvelle dans la mise en
place du modèle « Bouygues ». Bien qu'il y ait eu occupation des
locaux — à l'usine de Villeneuve-le-Roi ou au dépôt des Sablons
— , l'agitation sociale demeura limitée sur les chantiers, en
raison, entre autres, de l'importance des effectifs étrangers qui y
étaient employés. De surcroît, dès le 24 mai, F. Bouygues décréta
le lock-out au siège social afin de parer à tout risque
d'occupation, et des substantielles hausses de salaires consenties
entre 1968 et 1974,.
A
« l'esprit Minorange », encore très empreint des traditions du
bâtiment, s'est substité peu à peu l'« esprit Bouygues », plus à
même de favoriser l'intégration de personnels de toutes catégories
et appartenant à des entreprises fort diverses. Au cours des années
1980, le groupe avait en effet pris le contrôle de firmes
importantes, dont certaines caractérisées par une culture
d'entreprise forte — à l'instar de Colas ou SACER — et une
pratique sociale progressiste — dans le cas de SCREG, par exemple.
En
France, cet « esprit Bouygues » se caractérise par la
sous-traitance, employant hier des ouvriers non qualifiés d'Afrique
du Nord, aujourd'hui
des travailleurs originaires des pays de l’Est, et toujours par des
conditions de travail inhumaines. Ainsi,
par exemple, France Soir révélait que pour la construction du
futur réacteur nucléaire de nouvelle génération
EPR
à Flamanville,
Bouygues Construction, employait plus d’un millier d’étrangers
sur les 3.200 salariés, essentiellement roumains et bulgares mais
aussi espagnols ou portugais. Certains de ses travailleurs ont
placardé sur le chantier une affichette pour exprimer leur
ras-le-bol, sur lequel on pouvait lire “stress, oppression,
désespoir, on en a marre”. Les syndicats s’inquiètent aussi des
conditions de travail de ces salariés étrangers. “Elles ne sont
pas tout à fait les mêmes que pour les travailleurs français, mais
là, impossible de savoir combien ils sont payés et combien d’heures
ils font réellement”, assure à France
Soir Jacques
Tord, délégué CGT sur le chantier de Flamanville. Toujours selon
ce syndicat, la grande majorité des salariés roumains, employés
par Bouygues Construction, travailleraient entre 10 et 15 heures par
jour. “Parfois ils commencent à 6 heures du matin pour finir à 22
heures le soir. C’est inacceptable”, confie-t-il, au micro
d’Europe 1.
Du
côté de Bouygues Construction, premier employeur du chantier, on
explique ce recours massif à des travailleurs des pays de l’Est
par le fait que ces emplois “pénibles” n’auraient pas trouvé
preneurs parmi les ouvriers français. “Le recrutement effectué au
niveau local n’a pas tenu toutes ses promesses, [en raison du]
manque de candidats expérimentés pour des postes de gros œuvre
allant de la maçonnerie au banchage en passant par le ferraillage”,
a précisé l’entreprise à France
Soir.
L'
Etat et Bouygues
Quelle
est la part de responsabilité des uns et des autres dans cette
formidable catastrophe urbaine et architecturale, dont les
conséquences sociales – ghettorisation, révoltes urbaines, etc. -
se font encore sentir de nos jours, et qui demandent encore aux
gouvernements successifs des budgets considérables pour leur
réhabilitation ou leur destruction ? Qui
a impulsé les orientations successivement données au développement
spatial des grandes villes et de la capitale ? Quels modèles ont
irrigué la théorie de cette opération qui a d’abord été
envisagée en termes d’extension, puis de planification, enfin
d’aménagement ?
Des
questions qui se placeront au coeur des préoccupations de la
nouvelle génération de sociologues et d'architectes qui tentèrent
de replacer ses mécanismes dans une perspective marxiste, autour de
l'orbite de l'année 68, dont notamment François Ascher et Chrisitan
Topalov qui signa une brillante étude à propos des promoteurs immobiliers.
Une somme importante d'études et d'articles y sont consacrés dont
nombre accusent ouvertement les pouvoirs publics – le capitalisme
monopoliste d'Etat - d'offrir des conditions propices
d'enrichissement – des dérogations – aux trois principaux
acteurs associés, producteurs du cadre bâti : le monde de la
finance, de la politique et des grandes entreprises, de construction
et de fabrication de matériaux.
Aux
critiques du monde universitaire, s'ajoutèrent celles virulentes du
monde intellectuel, tel l'hebdomadaire Le Nouvel
Observateur qui
publiait ce type d'article :
« Urbaniser
ne signifie pas dépenser de l'argent, mais en gagner. Aujourd'hui la
ville est le terrain de prédilection pour les opérations des
concentrations bancaires. C'est dans leur entourage, en leur faveur
et par leurs soins que les taux de profit les plus élevés peuvent
être – et seront – réalisés. Les objectifs des maîtres
d'ouvrage ne visent certainement pas à faire comprendre
l'architecture, mais à faire du profit ; et ces maîtres
d'ouvrage-là s'appellent Paribas, l'Union bancaire, le Crédit
lyonnais, le groupe Weil, etc. »
De
même que le socialiste Gilles Martinet :
« Pour
Paris, toutes ces dérogations et ces changements interviennent parce
qu'il y a une concertation et des compromis permanents entre d'une
part les promoteurs et les banques, d'autre part les fonctionnaires,
qui dans toute la mesure du possible, c'est vrai, cherchent à
sauvegarder les meubles, mais qui doivent tenir compte de la logique
du compromis, et puis les hommes politiques qui facilitent ses
compromis, hommes politiques qui à Paris appartiennent à la
majorité [de droite], des députés, conseillers municipaux... Voilà
le mécanisme, voilà le système qui intervient à Paris, dans la
banlieue parisienne et dans toute la France, et bien au-delà du
secteur immobilier. »
Parmi la multitude de critiques, citons celle d'Henri
Lefebvre, auteur du livre « Le droit à la ville » publié
en 1967, qui estimait d'une coordination exemplaire entre l'Etat – et
ses grands commis chargés de la ville et de l'architecture – et le
« nouveau » monde de la finance, malgré les critiques
des hommes de bonne volonté, philanthropes, humanistes contre
les promoteurs qui imposent, en la rendant lisible, une
idéologie du bonheur par la consommation :
La
laideur bourgeoise, l’âpreté au gain visible et lisible dans les
rues, s’installent à la place de la beauté un peu froide et du
luxe aristocratique. La bourgeoisie progressiste prenant en charge la
croissance économique, dotée d’instruments idéologiques aptes à
cette croissance rationnelle, qui va vers la démocratie et remplace
l’oppression par l’exploitation, cette classe en tant que telle
ne créé plus : elle remplace l’œuvre par le produit (p.12).
Comme
la démocratie urbaine menaçait les privilèges de la nouvelle
classe dominante, celle-ci l’empêcha de naître. Comment ? En
expulsant du centre urbain et de la ville elle-même le prolétariat,
en détruisant l’urbanité (p.13). La IIIe République assurera la
fortune des hommes politiques avisés, appartenant au centre droit.
Ils conçoivent la notion d’habitat. Jusqu’alors habiter, c’était
participer à une vie sociale, à une communauté, village ou ville.
A la fin du XIXe siècle, les notables isolent une fonction, la
détachent de l’ensemble.
Les
banlieues, certes, ont été créées sous la pression des
circonstances, pour répondre à la poussée aveugle de
l’industrialisation, à l’arrivée massive des paysans conduits
vers les centres urbains par l’exode rural. Le processus n’en a
pas moins été orienté par une stratégie. Le caractère de classe
semble d’autant plus profond que plusieurs actions concertées,
axées sur plusieurs objectifs, ont cependant convergé vers un
résultat final.
Il
va de soi que tous ces notables ne se proposaient pas d’ouvrir une
voie à la spéculation ; certains d’entre eux, hommes de
bonne volonté, philanthropes, humanistes, semblent même souhaiter
le contraire. Ils n’en ont pas moins étendu autour de la ville la
mobilisation de la richesse foncière, l’entrée dans l’échange
et la valeur d’échange sans restriction du sol et du logement.
Avec les implications spéculatives. Ils ne se proposaient pas de
démoraliser la classe ouvrière mais au contraire de la moraliser,
ainsi ils imaginèrent avec l’habitat l’accession à la propriété
(p 14-15).
La
construction prise en charge par l’Etat ne transforme pas les
orientations et conceptions adoptées par l’économie de marché.
Les groupes et partis de gauche se contenteront de réclamer
davantage de logements. Ce n’est pas une pensée urbanistique qui
guide les initiatives des organismes publics et semi-publics, c’est
simplement le projet de fournir le plus vite possible au moindre coût
le plus possible des logements. (p.16).
L’urbanisme
des administrateurs liés au secteur public se veut scientifique. Ce
scientisme, qui s’accompagne de formes délibérées du
rationalisme, tend à négliger le facteur humain. Tantôt à travers
telle science, une technique prend le dessus et devient le point de
départ ; c’est généralement une technique de circulation
(p.22). Cet urbanisme technocratique et systématisé, avec ses
mythes et son idéologie (à savoir la primauté de la technique),
n’hésiterait pas à raser ce qui reste de la ville pour laisser
place aux voitures (p.22).
Tandis
que les promoteurs imposeront, en la rendant lisible, une idéologie
du bonheur par la consommation. Cet urbanisme programme une
quotidienneté opératrice de satisfaction. La consommation
programmée et cybernétisées deviendra règle et norme pour la
société entière. D’autres promoteurs édifieront des
centres décisionnels, concentrant les moyens de la puissance. Si une
stratégie unitaire se constituait (entre les administrateurs et les
promoteurs) et réussissait, ce serait peut-être irréparable (pour
l’urbain) (p.23).
Puisque
la société ne fonctionne pas d’une manière satisfaisante, n’y
aurait-il pas une pathologie de l’espace, s’interrogeront
certains. Dans cette perspective, on ne conçoit pas la priorité
presque officiellement reconnue de l’espace sur le temps comme
indice de pathologie sociale. On se représente au contraire des
espaces malsains et des espaces sains (p.41).
Celui
qui conçoit la ville et la réalité urbaine comme systèmes de
signes les livre implicitement à la consommation comme objets
intégralement consommables : comme valeur d’échange à
l’état pur (p.62). Attribuer la crise de la ville à la
rationalité bornée, au productivisme, à l’économisme, à la
centralisation planificatrice soucieuse avant tout de croissance, à
la bureaucratie de l’Etat et de l’entreprise, ce n’est pas faux
(p.77).
Or,
l’urbain est une forme mentale et sociale, celle de la
simultanéité, du rassemblement, de la convergence, des rencontres.
C’est une différence ou plutôt un ensemble de différences
(p.79). L’urbain se fonde sur la valeur d’usage. Le conflit ne
peut s’éviter (p.80).
En
conclusion, le socialisme ne peut aujourd’hui se concevoir que
comme production orientée vers les besoins sociaux et par conséquent
vers les besoins de la société urbaine (p.117). Nécessaires, ces
conditions ne suffisent pas. Une force sociale et politique capable
de mettre en œuvre ces moyens est également indispensable. La
proclamation et la réalisation de la vie urbaine comme règne de
l’usage (de l’échange et de la rencontre dégagés de la valeur
d’échange) réclament la maîtrise de l’économique (de la
valeur d’échange, du marché et de la marchandise).
Pour
la classe ouvrière, rejetée des centres vers les périphéries,
dépossédée de la ville, ce droit à la ville a une portée et une
signification particulières ; mais cette action virtuelle de la
classe ouvrière représente aussi les intérêts généraux de la
civilisation et les intérêts particuliers de toutes les couches
sociales d’habitants, pour qui l’intégration et la participation
deviennent obsessionnelles sans qu’ils parviennent à rendre
efficaces ces obsessions (p.133).
Mix(cité),
Villes en partage
Ainsi
Bouygues ne manque ni de cynisme, ni d'indécence pour oser
entreprendre une exposition à propos de mixité sociale et de villes
en partage.
Car on peut avancer l'idée que Bouygues ne constitue pas seulement une simple pièce d'engrenage répondant aux autres, celles de la multitude d'acteurs engagés dans le domaine de l'habitat, publics et privés, mais bien l'un des moteurs. En d'autres termes, Bouygues a contribué à façonner les nouvelles conditions de production du cadre bâti. Car le système spéculation-construction-promotion mis en place par Bouygues, cautionné par les politiciens gaullistes, aura pour vocation d'innover en permanence, ne serait-ce que pour contrer la concurrence, donc d'imaginer de nouvelles stratégies financières, d'élaborer des techniques de construction, de créer de nouveaux marchés, etc., afin de parvenir au maximum de profits avec un minimum de moyens, financier, matériel ou humain.
Une vision qui pèsera - encore aujourd'hui - sur l'avenir de centaines de milliers d'habitants, ceux des
grands ensembles d'habitat social, comme ceux des
lotissements de périphéries, mais aussi sur le destin de ces innombrables ouvriers
immigrés qui bâtirent ces prisons au détriment de leur santé, du
racisme et du paternaliste de Francis Bouygues, et en fait, auront fait la
fortune d'une famille, leur unique préoccupation. Depuis plus de
trente années, les efforts financiers conséquents de l'État et
donc des contribuables, tentent de « réparer » le fruit
empoisonné de leur malhonnêteté, de leur cupidité maladive, en
réhabilitant ou en démolissant les grandes cités d'habitat social.
L'architecte Christian Devillers, spécialiste de la chose, hier encore grand penseur de l'urbanisme, aujourd'hui associé à cet organisme représente parfaitement cette génération d'architecte-théoricien insipide léguant à la postérité la médiocrité de leurs réalisations, reflétant celle de leurs théories anesthésiantes, aussi tristes qu'inutiles. Une génération vieillissante, toujours plus avide de reconnaissance, qui se pavane en compagnie des grands administrateurs de l'Etat, dans cette fameuse Cité de l'architecture et du patrimoine.
L'architecte Christian Devillers, spécialiste de la chose, hier encore grand penseur de l'urbanisme, aujourd'hui associé à cet organisme représente parfaitement cette génération d'architecte-théoricien insipide léguant à la postérité la médiocrité de leurs réalisations, reflétant celle de leurs théories anesthésiantes, aussi tristes qu'inutiles. Une génération vieillissante, toujours plus avide de reconnaissance, qui se pavane en compagnie des grands administrateurs de l'Etat, dans cette fameuse Cité de l'architecture et du patrimoine.
La
direction de la Cité
de l'architecture et du patrimoine qui a accepté cette exposition était placé sous l'égide
d'un président de la République proche de la famille Bouygues, qui
lui a proposé d'ailleurs, après sa déchéance, un poste au sein de leur entreprise. Cette
Cité
de l'architecture, tenait lieu de véritable office de propagande du
gouvernement Sarkozy, et présentait de nombreuses expositions
consacrant l'architecture du star-système, des architectes "amis", l'urbanisme académique, dont notamment celle du projet Grand Pari,
et organisait régulièrement des conférences où étaient conviés
hommes politiques et architectes : le maire Gaudin (dit Dingo à
Marseille) et d'autres présentèrent ainsi le renouvellement urbain
de leur ville. La - moindre - critique n'entrait pas dans ce temple dédié au politiquement correct. Il est désormais aux ordres du nouveau gouvernement
socialiste de François Hollande qui en fera sa caisse de résonance,
sa vitrine en matière d'architecture et d'urbanisme d'Etat. Espérons
que les nouveaux dirigeants sauront apprécier la moralité et le
passé des futurs exposants, et éviteront une trop grande proximité
avec ceux qui ont façonné la ville du profit, pour l'ouvrir au contraire vers
d'autres horizons, mieux encore : à tous.
EXTRAITS
Elisabeth
Campagnac
Francis
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novembre 1958
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