LONDRES JO 2012 | Etat et Espaces d'Exception


London 2012 | Olympic parc brand zone 




Citius  Altius Fortius

Plus vite, plus haut, plus fort
Devise des Jeux Olympiques

Au Royaume-Uni, les lois anti-terroristes, l’Antiterrorism, Crime and Security Act 2001, le Prevention of Terrorism Act 2005 et The Terrorism Bill 2006, représentent pour le sociologue Jean-claude Paye, le démantèlement de l’État de droit et font entrer le Royaume-Uni dans une nouvelle forme de régime politique que la théorie du droit désigne comme dictature. L’avocat David Anderson évoque l’un des systèmes les plus répressifs opérés par des démocraties occidentales comparables. Propos qui illustrent de manière exemplaire les théories du philosophe Giorgio Agamben, pour qui l'état d'exception est devenu une technique de gouvernement, un état permanent et non plus une juridiction exceptionnelle provisoire. Ses théories peuvent nous aider à comprendre la configuration juridique et spatiale de la capitale du Royaume-Uni, et des conséquences de la venue des Jeux Olympiques.

Concernant l'urbanisme, l'état d'exception s'applique, depuis longtemps à Londres, par zones, par « espaces d'exception », outre celles des aéroports, des gares, et d'une manière générale des grands équipements publics, s'ajoutent celles privatisées, des résidences fermées, des centres commerciaux et des Business Improvement District ; les sites olympiques constitueront, dans cette mosaïque de districts aisés et pauvres qui forment le Great London, pendant les Jeux mais aussi après la cérémonie de clôture, d'autres « espaces d'exception », notamment celui du Parc olympique reconverti en une gigantesque gated commnunity privée, adossée au centre commercial le plus vaste d'Europe. Un état d'exception se matérialisant par zones géographiques bien délimitées, mais étendu au Great London, par un réseau de vidéo-surveillance unique en Europe : 500.000 caméras scrutent en permanence les espaces publics et privés. Le Comité invisible écrivait à propos de Londres que :


Au projet Keynésien qui visait à réaliser l'utopie-capital in vivo, en s'appuyant sur le mythe de l'accession progressive de tous à une société d'abondance où les inégalités seraient corrigées par l'interventionnisme étatique, s'est substituée aujourd'hui le projet cybernétique de l'Empire qui s'appuie sur la gestion optimale du chaos. L'Empire réalise l'utopie-capital in vitro, dans des espaces limités, des noeuds d'exception du tissu biopolitique, comme il l'a déjà amorcé avec la reconquête des centre-villes historiques par la néo-bourgeoisie, la colonisation de zones décrétées « branchées » ou le modèle californien des gated-communities. Le Bloom à haute valeur ajoutée qui vit ou peut se rendre dans ces zones « privilégiées » ne peut ignorer que s'il ne joue pas le jeu il sera sans pitié précipité au-dehors ; car dans le même temps, les portions ingérables du territoire (dont la taille va de celle d'un quartier « difficile » jusqu'à celle de provinces, voire de pays entiers) sont désormais constitués en lieu de ban ressortissant à l'autorité brute de la police.


Guérilla urbaine

Historiquement, l'état d'exception au Royaume-Uni s'est mis en place progressivement depuis l’entre-deux guerre, contre le terrorisme révolutionnaire de l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) qui, au début des années 70, reconstituée occupe à nouveau le devant de la scène, dans un contexte marqué par l’essor du mouvement des droits civiques et l’intervention des troupes britanniques en Irlande du Nord. L'IRA invente alors – par pur hasard, selon la légende - un nouvel explosif bon marché, aisément disponible et extrêmement puissant, l’ANFO (un mélange de nitrate d’ammonium et d’essence), et entame un cycle d'attentats à la voiture piégée particulièrement meurtrier et destructeur. Mike Davis considère qu'à travers le monde :
Ces bombes firent passer le terrorisme urbain de l’artisanat à l’industrie, et rendirent possible des attentats contre des centres-villes entiers, ainsi que la destruction totale de grattes-ciel en béton et de blocs résidentiels. La voiture piégée se transforma alors en une arme semi-stratégique, comparable à certains égards à la puissance de l’aviation du fait de sa capacité à détruire des localités urbaines et des quartiers généraux, et à terroriser les populations de villes entières.
En 1974, après les villes de l'Irlande, l'IRA décide d'attaquer Londres. Quatre voitures piégées explosent faisant 180 blessés et 1 tué. Bien que les 8 poseurs de bombes de l’IRA aient été rapidement arrêtés, ils furent acclamés dans les ghettos de Belfast-Ouest, et l’opération devint un modèle pour les futures vagues d’attentats de l’IRA à Londres, qui atteignirent leur point d’orgue avec les énormes explosions qui dévastèrent la City, et déstabilisèrent l’industrie mondiale de l’assurance en 1992 et 1993.

Ces séries d'attentat provoqueront une profonde révulsion parmi les catholiques, offrant au gouvernement britannique l'occasion inespérée grâce à la condamnation quasi-unanime, de poursuivre sa politique d’emprisonnement arbitraire de militants républicains et de renforcer militairement Londres, afin de la sécuriser. Les attentats du 11 septembre 2001 à New York seront l'occasion de nouvelles lois, le Terrorism Act 2001, promulguées dès décembre 2001. Afin de faire voter cette loi, le gouvernement britannique a institué une dérogation à la Convention européenne des droits de l’homme. Elle se base sur la notion d’état d’urgence et fait ainsi exception à l’article 5 de cette convention qui garantit la liberté des personnes. Le Terrorism Act 2001, et la débauche sécuritaire démontrèrent cependant leurs limites, lors des attentats de 2005, perpétrés dans les transports en commun londoniens par des kamikazes islamistes, 24 heures seulement après que l'organisation des Jeux olympiques de 2012 eut été confiée à la ville. Bien évidemment, ces attentats contribuèrent à alimenter la paranoïa, et à renforcer l'arsenal juridique de nouvelles lois autoritaires voire liberticides, au nom de la lutte contre le terrorisme, dont le système d’ordonnances de contrôle.


Zones sécurisées,
d'exception,
d'exclusivité commerciale...


Londres se caractérise, plus que n'importe quelle capitale européenne, par la prolifération de zones « protégées », d'enclaves privées, de résidences fermées, de gated communities, de centres commerciaux, des Business Improvement District, et enfin avec la venue des Jeux, des Olympics Brand Exclusion Zone, toutes dotées de statut juridique particulier.

Concernant les centres commerciaux, un éminent membre du Comité Invisible prit en flagrant délit de photographie par la milice du gigantesque mall – centre commercial – Bluewater, jugeait ainsi :
Cet incident est à rapprocher de la définition que donne Walter Benjamin de la « dialectique du flâneur » : d'un côté l'homme qui se sent regardé par tout et par tous, comme un vrai suspect ; de l'autre, l'homme qu'on ne parvient pas à trouver, celui qui est dissimulé. C'est probablement cette dialectique-là que développe « L'homme des foules » (Paris, Capitale du 19e siècle). Nous avons expérimentés qu'avec les techniques de contrôle mises en oeuvre à Bluewater, la dissimulation dans la foule devient impossible et que cette dialectique se réduit à son premier terme : le flâneur est à priori un individu à risques. A la différence qu'aujourd'hui l'indifférence de tous à l'égard de chacun réduit grandement le sentiment d'être objet de l'attention d'autrui. Le seul regard auquel est soumis le flâneur, finalement, est celui des machines panoptiques dissimulées et de leurs scrutateurs.

Gated Community

Les quartiers résidentiels sécurisés au Royaume-Uni, en appellent à un type d’habitat « fortifié ». Mais, selon Sarah Blandy, plusieurs études démontrent que la question de l’insécurité ne figure pas toujours au premier rang des préoccupations citoyennes. Le développement des gated communitites serait surtout la conséquence d’une érosion des idéaux de justice sociale et d’égalité, du passage d’un système informel à un système formel de contrôle social mais aussi et surtout à une envie toujours croissante de vivre avec des gens de même statut et de bénéficier de toute une série de services. De même, la majorité des résidents de ce type de communauté n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, issue des classes les plus aisées, mais bien de la classe moyenne. Pour ceux qui appartiennent aux classes les mieux nanties, le côté « avantage et commodité » est clairement prédominant. Le coût d’une habitation au sein d’une gated community ultra-sécurisée est également un facteur important : plus le prix est élevé, plus les avantages sont grands et plus la situation de vie est considérée comme privilégiée.

Les Business Improvement Districts (BIDs)
La politique de réhabilitation des quartiers des centres villes historiques, d'anciennes friches industrielles, tout particulièrement à Londres, est largement déterminée par des intérêts commerciaux au détriment des intérêts sociaux. Bien entendu, ces projets de rénovation sont présentés comme étant dans l’intérêt de tous en raison de la prospérité économique attendue (notamment les créations d’emplois) qu’ils peuvent apporter à un quartier. Anna MINTON assure ainsi qu'au nom de la rénovation urbaine, d’importantes parties de villes comme à Londres sont aujourd’hui la propriété de sociétés privées.

Opérationnelles depuis longtemps Outre-Atlantique, les Business Improvement District, sont aujourd'hui des outils classiques pour fédérer les acteurs économiques - entrepreneurs, commerçants, milieu d'affaires, etc. - d'un quartier et plus généralement d'une zone délimitée, leur permettant de compléter ou d'accroître à leur convenance, les services fournis traditionnellement par les municipalités en matière de propreté, d’amélioration de l’environnement urbain et de dynamisme économique, et surtout de sécurité. Ces structures à but non-lucratif, qui se concentrent essentiellement dans les secteurs d’affaires et les zones commerçantes doivent défendre activement leurs intérêts auprès des autorités compétentes. Véritables opérations de promotion des quartiers, tout ce qu’ils entreprennent relève du marketing dans le sens le plus large du terme; il s’agit tout à la fois de garder et d’attirer clients, employés et investisseurs [1].

Propreté et sécurité figurent généralement en tête des priorités, La réduction de la criminalité – dans leur propre zone - est une mission clé des  Business Improvement Districts, afin de créer des conditions favorables au développement du commerce, à la mise en valeur et à la sécurisation d'une zone. Le Conseil de chaque BID a le pouvoir de modifier substantiellement les règlements locaux, d'élaborer leur propres règles et d'organiser leur propre milice privée de sécurité. Selon les cas, leur accès est réglementé, la zone soumise à une vidéo-surveillance continue et des gardiens de sécurité peuvent intervenir à tout moment. Certaines catégories de la population ne peuvent y accéder, les mendiants, les sans-abris, les quêteurs, les marchands ambulants sont immédiatement expulsés ; de même que certaines pratiques : le pique-nique, le skateboard, la consommation d’alcool, les manifestations, les photographies, etc., y sont interdites. Dans les cas extrêmes, certains types de comportement sont non grata, on peut citer à titre d’exemple la décision prise par les dirigeants du centre commercial de Bluewater d’interdire le port des sweatshirts à capuche et des casquettes. Dans d'autres cas, il ne s’agit pas uniquement d’exclure les délinquants potentiels mais également ceux qui veulent profiter de l’espace public sans dépenser d’argent.


La priorité des BIDs est donc l’élimination de tout ce qui pourrait effrayer ou gêner les consommateurs potentiels de visiter leur zone. La criminalité, la petite délinquance, le vandalisme, les actes d'incivilités sont ainsi identifiées comme des ennemis qu'il convient d'éradiquer, ce qui explique le chevauchement des politiques pénales et celles de réhabilitation urbaine. Ainsi, le London Bridge Business Improvement District Company annonce clairement sa mission :
« To make London Bridge a world-class business district and visitor destination that is better managed, cared-for and connected. »
« We aim to make the London Bridge area as safe and secure as possible – and the perception of safety is just as important to us as crime statistics. »


Aujourd'hui des dizaines de BIDs existent en Angleterre et au pays de Galles, régies par la loi sur le gouvernement local de 2003 (The Local Government Act, articles 41-59).


L'architecture
des Jeux


Le Comité International Olympique (CIO) est une organisation à but non lucratif, basée en Suisse, qui détient la propriété exclusive des jeux Olympiques, comprenant les droits sur l'organisation, l'exploitation, la retransmission, l'enregistrement, la représentation, la reproduction, l'accès et la diffusion, et ce, sous n'importe quelle forme ou par n'importe quel moyen ou mécanisme, existants ou à venir, ainsi que le contrôle exclusif de l'utilisation du symbole, du drapeau, de la devise, de l'hymne, de l'emblème, de la flamme olympique et de la torche, qu'on appelle « les propriétés olympiques».



Le CIO a le pouvoir d'élire la ville parmi les candidatures soumises par les Comités Nationaux Olympiques, implantés dans chaque pays, ou presque. La ville élue, devenant la ville hôte, s'engage auprès du CIO à respecter scrupuleusement les conditions d'organisation des 26 manuels techniques, contraignants, qui réglementent en détail l'ensemble des dispositions pour chaque domaine, tels que l'accréditation, l'hébergement, les cérémonies, les divertissements, le commerce, le village olympique, etc.

Dans ce cadre, sera créé par la mairie de Londres et le secrétaire d'État à la Culture, des Médias et du Sport, un organisme, le London Organising Committee of the Olympic Games and Paralympic Games (Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques) (LOCOG) , qui « doit fournir le maximum d'avantages et d'efficacité », responsable de l'organisation, de la planification, du financement et du déroulement des Jeux. L'approbation en 2006 par le Parlement anglais des jeux Olympiques, a complété la structure juridique nécessaire par la création d'une institution publique responsable de la construction de l'infrastructure nécessaire pour les Jeux : The Olympic Delivery Authority (ODA), responsable des opérations d'urbanisme avant et après les jeux (l'acquisition ou l'expropriation de terrains, la construction des équipements et de l'hébergement, etc.), le plan des transports, et la réglementation des activités commerciales, de la publicité - y compris la capacité à prendre des mesures juridiques en cas d'infraction.

L'Olympic Delivery Authority cumule ainsi des pouvoirs extraordinaires ayant la charge de coordonner avec autorité, les différentes administrations chargées de la planification urbaine, de l'architecture, des infrastructures, des transports publics, des règlements commerciaux, de la police et toute autre entité publique d'un quartier concerné par un site olympique. Le parlement peut être amené à voter des lois facilitant son travail, diminuant le recours des tiers, ou le temps des procédures judiciaires, etc. Tout ceci forme une des caractéristiques essentielles de l'état d'exception notée par Agamben: l'abolition provisoire de la distinction entre les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutifs. Une sorte d'"état d'exception mentale" accompagne généralement l'annonce de la candidature d'une ville et dans ce cadre propice au nationalisme, la population et ses dirigeants acceptent plus facilement une simplification des procédures, la limitation des droits et autres mesures "nécessaires", réclamées par la ville-hôte qui justifie ces mesures d'exception par l'importance de l'évènement, l'ampleur des travaux et des difficultés, et de l'image qu'elle se doit d'offrir au monde entier, et ce , à toutes les phases de l'organisation. Finlo Rohrer affirmait ainsi à la BBC en 2005 : Si vous croyez dans les chances de Londres 202, vous êtes un chic type qui aspire à la réussite de la Grande-Bretagne ; mais si vous exprimez des doutes, vous êtes un sale rabat-joie. 


BANKSI | JO 2012


Les zones d'exception olympique

La charte du Comité international olympique, stipule que les sites olympiques, leurs abords, les enceintes sportives, le village olympique et autres lieux dédiés aux jeux, doivent impérativement être protégés contre plusieurs types de menaces :
  • le terrorisme, prérogative exclusive de l'Etat hôte où le CIO n'intervient pas ;
  • les mouvements citoyens de contestation comprenant les domaines religieux, ethnique, éthique et politique ; la Charte olympique oblige ainsi que : Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans les zones olympiques ;
  • le terrorisme commercial, prérogative exclusive du CIO et des sponsors officiels.

Clean venue

Le CIO utilise dans sa charte le terme Clean venue, traduisible littéralement par « zone propre », qui s'applique à un lieu en conformité avec les normes établies dans le Contrat ville hôte et la Charte olympique. Le terme se réfère à toutes les structures, les installations et les zones qui sont utilisées aux fins officielles olympiques, d'être exemptes de toute publicité commerciale – autres des sponsors - et d'autres messages jugés inappropriés pour l'environnement des Jeux Olympiques. Dans ce cadre, les Olympics Brand Exclusion Zone sont élaborées en tant que mécaniques de génération de plus-value, pour la protection du sponsoring officiel et pour lutter contre le terrorisme commercial des marques non officielles et concurrentes.

Le Terrorisme Commercial


Le sponsoring sportif et le marketing urbain, sont à l'origine du concept de Brand Exclusion Zone, une zone parfaitement délimitée dans laquelle seules sont admises, lors des grands évènements sportifs, voire culturelles, par les autorités compétentes et les organisateurs, des entreprises privées à y faire figurer leur logo, et à mener leurs actions commerciales (affichage, manifestation, évènementiel, etc.). Les Brand Exclusion Zones, élaborées en concertation avec  les sponsors, s'inscrivent dans les chartes des plus grands organisateurs de manifestations sportives : la FIFA, l'UEFA, le Comité international olympique, etc, et les villes hôtes doivent s'y contraindre, en accepter les termes et ce, avant d'être élue,  dès leur candidature. 

Ces chartes doivent assurer aux sponsors officiels leur bonne visibilité et dorénavant, une protection contre l'ambush marketing des marques concurrentes. Cette stratégie encore appelée « pseudo-sponsorship ou pseudo-parrainage », « marketing ou commerce d’embuscade », « marketing parasitaire », « marketing pirate », « marketing sauvage », « guet-apens commercial » ou « guérilla marketing », consiste pour une marque voulant s'associer indirectement à un évènement dans le but de profiter de la reconnaissance et des bénéfices qui sont attachés au fait d'être un sponsor officiel, à organiser une campagne publicitaire planifiée. L'objectif principal des ambushers n‟est pas seulement d'obtenir une grande visibilité mais bien de créer la confusion dans l'esprit du public afin qu'il soit difficile de savoir qui sponsorise vraiment l’évènement et de se faire ainsi passer pour un sponsor, ou alors de diminuer l'impact d‟un concurrent qui sponsoriserait l’évènement. 


C'est bien une « guérilla marketing » que se livrent tous les grands consortiums mondiaux – sans quasiment aucune exception - mais aussi les marques n'ayant pas les moyens financiers d’accéder au statut de sponsor officiel. Dans cet affrontement sans merci, l'année 1996 marque un tournant dans les rivalités : l'année 1996 des grands rendez-vous sportifs de classe internationale, le Championnat d'Europe de football, organisé par l'Angleterre et les jeux Olympiques d'Atlanta, aux Etats-Unis.

L'édition de l'Euro 96, a fourni un magnifique exemple d'ambush marketing qui a profondément modifiée la destinée du sponsoring sportif : Nike s'opposait alors à la marque anglaise Sportswear Company Umbro, fournisseur  officiel de vêtements de sport, dont le logo allait inonder les écrans de télévision. Les dirigeants de Nike ripostèrent en achetant chaque moindre espace publicitaire dans un large périmètre autour du stade de Wembley, et notamment dans et aux alentours de la station de Métro Wembley Park, principal hub de transport public. La Sportswear Company Umbro était ainsi cantonnée aux stades, assiégée par la campagne publicitaire Nike. La même chose s'est produite en 1998, opposant cette fois-ci Nike à son éternel rival et fournisseur officiel Adidas ; Nike avait à cette occasion créé son propre « Nike Village » à proximité du village officiel. 

Lors des Jeux d'Atlanta, un des sponsors officiels, Reebok, s'est à nouveau retrouvé confronté à la concurrence d'un ambusher. Il s‟agissait cette fois-ci de Puma qui avait donné au coureur anglais Linford Christie des lentilles de contact bleues incrustées du logo Puma blanc qu'il avait portées lors d‟une conférence de presse. Kodak sponsor de l’évènement aura à affronter son concurrent Fuji qui organisa-sponsorisa une exposition photo : « Images of Excellence » en l'honneur des 100 ans de l'athlétisme. Cette exposition voyagea à travers les Etats-Unis pour finalement atteindre Atlanta au même moment... que les Jeux Olympiques. Kodak avait beau avoir payé près de 40 millions de dollars pour sponsoriser les Jeux, Fuji était tout de même parvenu à s‟associer à l’évènement.  



Les grands organisateurs d’évènements et leurs sponsors, payant des sommes pouvant parfois atteindre des centaines de millions d'euros, renforceront chaque année leur charte afin d'empêcher, dans la mesure du possible, les pratiques d'ambush marketing et de renforcer les droits exclusifs liés aux différents types de marketing touchant à l’évènement. C'est un point capital pour les organisateurs, car en effet, s'il était possible pour une marque d'obtenir des avantages comparables gratuitement, par des attaques pirates, plus aucune marque ne serait prête à débourser le moindre centime pour obtenir des droits de parrainage. Les villes en acceptent les termes, car ces sponsors sont vitaux pour l'organisation d’évènements de ce type. Leur organisation requiert, des coûts très importants, voire pharaoniques dans le cas des Jeux, et la majeure partie des revenus touchés par l'organisateur ne provient pas de la vente de tickets mais bien du paiement de droits de parrainage et de droits de retransmission.

Ainsi, face à l'ambush marketing, les organisateurs et sponsors renforceront progressivement leur arsenal de normes légales et règlementaires ainsi que toute une série de moyens non-contentieux  pour tenter d'évincer les ambushersLes organisateurs exigent des villes d'obtenir une réglementation spécifique et temporaire, leur offrant un maximum de garanties, taillées sur mesure pour  les sponsors. A l'occasion des Jeux Olympiques de Sydney en 2000, deux lois furent votées afin de protéger l'évènement. L'une concernant la protection des signes tels que « Jeux de Sydney », « olympiade », « olympique », etc.. ; l'autre avait trait à la publicité dans l'enceinte olympique et aux alentours de celle-ci. 

De même lors des Jeux Olympiques d'Athènes en 2004, une loi fut également prise pour interdire la publicité par des sociétés non autorisées dans l'enceinte et aux alentours de l’évènement, y compris dans l'espace aérien. Au sol, un stripteaseur avait fait sensation lors d'une compétition de natation, en surgissant dans le plus simple appareil, avec un slogan publicitaire barrant sa poitrine.


Les jeux Olympiques de Beijing en 2008 utilisèrent les mêmes procédés. Une stratégie de lutte efficace contre l'ambush marketing nous est donnée par les mesures mises en place par la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) à l'occasion de la Coupe du Monde de football 2010, en Afrique du Sud. Parmi  les principales mesures,  les Brand Exclusion Zone ne s'appliquaient plus seulement à l'intérieur des stades, à leurs parvis et façades, mais étaient considérablement élargies à un périmètre étendu, ayant comme épicentre le coeur des stades. La stratégie de guérilla publicitaire de Nike s'adapta à ces restrictions et s'engouffra, avec une étonnante efficacité, dans les graves lacunes laissées dans les réglements. Ainsi, Nike contourna la Brand Exclusion Zone, insitutant un large périmètre de restrictions d'affichages publicitaires – traditionnels - autour des stades, en projetant sur les façades d'un building du centre de Johannesburg, ses messages et images, d'une hauteur de 90 mètres, parfaitement visibles depuis les quartiers centraux...



Le plus parfait exemple s'est déroulé lors du match Danemark contre les Pays-Bas en juin 2010, un groupe de jeunes femmes vêtues de mini robes oranges – couleurs des Pays-Bas et de la bière hollandaise Bavaria – a été expulsé du stade. Lors du match, elles ont en effet retiré leurs vêtements de ville, faisant apparaître leur tenue orange sur lesquelles apparaissait un logo discret de Bavaria, peu visible. Par ailleurs, une opération marketing en amont avait également été préparée car ces tenues étaient déjà offertes à l'achat de packs de bières. Cette campagne provoqua à nouveau la colère de la FIFA car Bavaria ne faisait pas partie des sponsors officiels mais tentait de profiter de la visibilité de l’évènement. Budweiser était la seule bière autorisée pour cette Coupe du Monde. Une action civile a donc été intentée contre Bavaria. Une trentaine de jeunes femmes furent interrogées et deux d‟entre elles, suspectées d‟avoir conçu la campagne, ont été pénalement poursuivies devant un tribunal de Johannesburg pour violation du Merchandise Marks Act. L'affaire s'est finalement soldée par un arrangement entre les deux compagnies... Au final, Bavaria a bénéficié d'une large couverture médiatique, le tout avec un budget dérisoire contrairement aux millions d'euros dépensés par Budweiser : les jeunes femmes ont fait l'objet de l'attention des caméras et beaucoup de gens ont perçu les démarches de la FIFA comme exagérément agressives, entraînant de la sympathie pour les jeunes femmes. L'affaire a fait couler beaucoup d'encre et cela a bénéficié à Bavaria qui a vu ses ventes augmenter. 


Parmi les centaines d'exemples concernant d'autres manifestations sportives internationales, l'ambush marketing lors du match de rugby entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande, consista à faire parcourir par  deux hommes nus le stade avec le logo de Vodafone peint sur leurs corps alors que l'entreprise ne sponsorisait pas l’évènement. Plus classique : lors du tournoi de tennis de Wimbledon, la marque de chips Pringles, appartenant au groupe Procter & Gamble, décida d‟une opération de distribution de boîtes de chips aux alentours du stade, aux passants se dirigeant vers le stade.  Deux sosies de célèbres joueurs de tennis (Roger Federer et Bjorn Borg) avaient été spécialement recrutés pour attirer d'avantage l'attention.  La marque "pirate" s'est ainsi clairement associée à l’évènement. Ou bien encore,  la marque de chaussure K-SWISS a disposé en 2008 près du stade de Roland-Garros une voiture sur le toit de laquelle était incrustée une balle géante aux couleurs de la marque et en face, un camion recouvert d‟une affiche représentant un tennisman en action donnant l'impression de frapper sur la balle. K-SWISS ne sponsorisait pas le tournoi de tennis mais son action a été fort remarquée. 


Clean Venue Implementation

Ainsi le CIO place le problème de l'ambush marketing au centre des demandes faites à la ville hôte car les sponsors olympiens sont une source vitale de financement, sans lequel le Royaume-Uni, ni aucun autre pays, ne serait pas en mesure d'accueillir les Jeux. Ils sont l'une des principales sources de financement, sans laquelle rien n'est possible. Le Comité international olympique, devant protéger au mieux l'intérêt de ses sponsors, les assurent qu'à Londres, les pratiques d'ambush seront - quasi-immédiatement – éliminées hors du cadre télévisuel, le réseau de vidéo-surveillance - 500.000 caméras -, et la « police » y veilleront. De même, les parlementaires anglais ont voté un amendement qui vise à proscrire toute publicité illicite lors des Jeux.

Le CIO ajoute également - est-ce de l'humour britannique ? - vouloir assurer un environnement accueillant pour les spectateurs [ensure a welcoming environment for spectators].


Les différentes échelles d'exclusions

Le CIO exige des mesures strictes dans les enceintes classifiées olympiennes, propriétés temporaires spirituelle et symbolique du Mouvement olympique. Au-delà de ces enceintes sacrées, les périmètres des Olympics Brand Exclusion Zone sont définies par le CIO, et ainsi, du terrain ou de l'aire de jeu à l'espace aérien, chaque périmètre est soumis à des règles concernant la publicité et l'identification commerciale.

En outre, intervient également d'autres facteurs différenciant les « lieux de compétition » qui s'appliquent à toute structure ou zone dans laquelle un événement sportif a lieu, et les « zones de non-compétition », terme qui s'applique à toute structure dédiée officiellement à d'autres activités que les événements sportifs, dont le Main Press Centre (MPC), l' International Broadcast Centre (IBC), le village olympique, et l'Hôtel du CIO.

La charte et les guides techniques du CIO sont indicatifs, et révisés en fonction des actions pirates survenues lors des grands évènements sportifs internationaux. Chaque action terroriste commerciale est répertoriée et catégorisée, et les lignes directrices s'adaptent aux stratégies d'ambush marketing. Ainsi, à Londres, les recommandations et les obligations faites par le CIO, concernant le terrorisme commercial et les pratiques d'ambush marketing, stipulent d'agir sur quatre types de zones géographiques ayant chacune leurs propres règles, périmètres et temporalité.

Olympic Marketing Ambush Prevention and Clean Venue Guidelines

ZONE de Niveau 4 - l'agglomération
Les zones de niveau 4 comprennent l'espace aérien, les routes d'accès aux sites, les bâtiments – notamment de grande hauteur -, à proximité ou visibles depuis des sites, etc. Toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour veiller à ce qu'aucune propagande de toute nature apparaisse dans le champ de vision des caméras de télévision et des spectateurs. Dans ce cadre, une attention particulière est d'éviter la publicité et la propagande dans l'espace aérien – avions, aéronefs, ballons, etc. - de la ville hôte et d'autres villes qui accueillent des événements olympique (CIO, 2005, p. 10). Une pratique déjà proscrite par les autorités qui s'inscrit dans la sécurisation militaire des sites et de la ville hôte, interdite de survol. Londres olympisée représente une certaine radicalisation de la charte du Comité international olympique : en effet, l’accord sur le programme de marketing conjoint signé par Londres et le Comité National Olympique britannique, et accepté par le CIO,  prévoit des garanties pour tous les espaces publicitaires extérieurs de la ville de Londres, sauf pour approximativement 1 % des 2 700 espaces contrôlés par la BAA (British Airports Authority – société des aéroports britanniques), laquelle est liée par des contrats à long terme. Le CIO est en mesure de contrôler l'ensemble des panneaux publicitaires légaux du Great London : les meilleurs emplacements publicitaires - gares, métro, autoroutes et rocades menant aux sites olympiques ou à l'aéroport, lieux emblématiques ou historiques, etc. - sont en principe "réservés" aux sponsors, leurs concurrents sont toutefois admis mais certainement contraints aux zones de moindre importance, et bien sûr, interdits dans les enceintes et leurs périmètres d'Olympics Brand Exclusion Zone. Pour les marques non-olympisées, l'enjeu tient au génie des publicitaires d'inventer des pratiques légales, ou justement inédites et non encore proscrites par le CIO.

ZONE de Niveau 3 – les périmètres étendus des sites olympiques
Elles comprennent les espaces techniques ou annexes – parkings public ou officiel, parvis d'accès, etc. -, les abords immédiats des sites olympiques aujourd'hui délimités par un large périmètre, une zone tampon. Elles peuvent concerner également les voies d'accès entre une station de Métro et une enceinte olympique.



Dans ces zones, la publicité ou toute autre activité commerciale est autorisée pour les partenaires officiels. À Londres les Brand Exclusion Zone, affichent les règlements d'une certaine radicalité ; celle du Parc olympique de Strartford, est étendue au-delà de son périmètre, pour une période de 35 jours. La promotion, la publicité des marques concurrentes des sponsors officiels olympiques,  et des "partenaires" [sponsors nationaux ou locaux dans les catégories non concurrentes de celles des sponsors Top et donnant droit au marketing olympique uniquement dans leur pays] seront strictement interdites, et les contrevenants passibles de lourdes amendes.   Les restrictions concernent les traditionnels supports publicitaires - affichage, projection, manifestation, prospectus, son, etc., les vendeurs ambulants, les kiosques, etc.  La vente ambulante peut compromettre, selon le CIO, "certains aspects de la présentation visuelle des Jeux, et porter atteinte à l'intégrité du Mouvement olympique, et diminuer l'image des Jeux, la ville hôte, et la citoyenneté locale." [sic].

Et ce jusqu'aux restrictions faites sur les usagers, quels qu'ils soient, spectateur ou simple promeneur, empruntant ces zones : ainsi, par exemple, sont strictement interdits, les vêtements ou accessoires, ou tout autre objet arborant des marques non grata ; de même des emballages d'aliments ou de packagin de boissons estampillés d'un logo non officiel, etc. L'humour britannique ironise ainsi que porter un tee-shirt Pepsi-Cola - Coca-Cola étant le sponsor officiel - sera considéré comme un acte de terrorisme publicitaire, qu'il vous faudra expliquer au commissariat du coin. Le CIO indique aux organisateurs que trois types de violation sont à prendre en considération : accidentelle, provoquée ou délibérée. Le premier cas, peut concerner, par exemple, un spectateur entrant dans une enceinte sportive avec un signe distinctif – logo, emblème, etc - d'une marque non-officielle sur un t-shirt, un parapluie ou un coussin de siège, etc... lui interdisant l'accès.

Cette restriction, nous l'avons évoqué s'applique plus largement à tous les domaines, religieux, politique, ethnique... comme nous le verrons par la suite. Elle s'applique plus particulièrement pour les zones 1 et 2.





ZONE de Niveau 2 – les sites
Les zones de niveau 2 comprennent :
  • tous les espaces intérieurs, autre que l'aire de jeux et des gradins, d'une enceinte sportive : les zones de circulation ou de déambulation, les accès, les halls, les toilettes publiques, etc.
  • et dans le cas de Londres, le parc olympique, incluant vastes espaces extérieurs publics, les zones de guichets, les lieux d'aisance et de loisirs, les restaurants, etc.
Aucune publicité d'aucune sorte n'est autorisée, sauf pour les sponsors officiels et fournisseurs des Jeux. Le summum de cette mégalomanie publicitaire est atteinte dans les sites olympiques existants de la capitale : à Coventry, les panneaux de signalisation [sponsorisés par des entreprises] ont été modifié de manière à supprimer le logo de Ricoh Arena, qui accueille habituellement les matchs du tournoi de football ; de même, les logos sur les sèche-mains dans les toilettes seront éliminés provisoirement.


Le centre commercial de Westfield Stratford City implanté stratégiquement à proximité du Parc olympique et connecté à l'une des stations de Métro le desservant représente l'exception notable. 

ZONE de niveau 1 – les enceintes sportives
Les zones de niveau 1 comprennent :
  • l'aire de compétition (le terrain ou l'aire de jeu) ;
  • la zone des spectateurs (les tribunes, les gradins)
  • tout autre lieu ou emplacement qui peut être vu par les caméras de télévision qui couvrent la compétition sportive et les tribunes des spectateurs.

Les installations commerciales et les panneaux publicitaires sont interdits – y compris des sponsors - dans et au-dessus des stades et autres aires de compétition [Article 61]. Aucune publicité ou activité commerciale de quelque nature n'est autorisée, autre que l'identification très limitée des fabricants de matériel sportif, équipement technique, équipement personnel, et des uniformes. Aucune forme de publicité ou de propagande, commerciale ou autre, ne doit figurer sur les personnes, sur les vêtements de sport, les accessoires ou, plus généralement, sur n'importe quel équipement porté ou utilisé par les athlètes ou les autres participants, à l'exception de l'identification du fabriquant de l'article ou de l'équipement concerné, sponsor d'une équipe, et à la condition que cette identification ne doit pas être marquée de manière ostensible à des fins publicitaires. La taille des logos des sponsors sur les vêtements des sportifs en compétition est codifiée.

Les exhibitionnistes candidats au striptease publicitaire lors des JO de Londres de 2012 seront sévèrement châtiés aux termes d'une législation renforcée soumise aux députés. La loi prévoit jusqu'à 20.000 livres (22.900 euros) et/ou une peine de prison à l'encontre des "streakers", s'ils aggravent leur cas en peignant sur une partie de leur anatomie dénudée des slogans vantant un produit ou une marque. Il faut savoir que les streakers, au Royaume-Uni se manifestent régulièrement sur les pelouses sportives, de préférence lors de rencontres télévisées, au point que cette spécificité apparaît comme un autre sport national, au côté du football et du rugby.


Tous les sites olympiques seront ainsi soumis à de telles restrictions et étroitement surveillés, y compris les épreuves sportives se déroulant en "extérieur", dont les 42.195 kilometres, du marathon, se déroulant dans les rues de Londres. Dans ce cas, des exceptions sont acceptées, mais limitées dans la mesure du possible.




L'éthique olympique


Le sponsoring peut aussi devenir une arme à double tranchant, en donnant une résonance planétaire aux critiques. L'implication dans les JO de Londres du groupe américain Dow Chemical a ainsi fait l'objet d'une vive campagne d'opposition en Inde et au Royaume-Uni en raison de son lien avec la gigantesque catastrophe industrielle de Bhopal en 1984. Le comité olympique indien a officiellement protesté, et Meredith Alexander, membre de la commission d’éthique des Jeux olympiques a récemment démissionné.



D'autres sponsors de ces Jeux sont des cibles potentielles de protestataires, comme le pétrolier BP visé par les défenseurs de l'environnement pour l'extraction de sables bitumineux. Des professeurs de médecine britanniques ont de leur côté demandé le retrait de McDonald's et Coca-Cola au nom de la lutte contre l'obésité et des syndicats de mineurs sont déjà venus manifester à Londres contre le groupe minier Rio Tinto - fournisseur des matériaux précieux des médailles -, à cause d'un conflit social au Canada. L'aciériste ArcelorMittal qui ferme des sites en Europe, confronté à des conflits sociaux, n'améliore guère son image "sociale" et planétaire en dépensant une somme considérable pour parrainer les JO, et une épouvantable sculpture géante en acier conçue par l'artiste Anish Kapoor, la tour Orbit, qui offrira un point de vue sur le parc olympique du haut de ses 115 mètres.


Amnesty International demande ainsi si le Comité international olympique et le Comité national olympique ne devraient-ils pas s'efforcer de prendre toutes les précautions nécessaires, en faisant preuve d'équité, de transparence, d'objectivité et de rigueur, afin de s'assurer que les entreprises qu'ils choisissent comme partenaires respectent les droits humains ? Les remarques désobligeantes ne manquent pas, mais le CIO, souligne que les jeux Olympiques se différencient des autres compétitions sportives majeures en interdisant la publicité dans les aires de compétitions...



La militarisation
de l'espace urbain

Les jeux Olympiques de Londres 2012, prennent place dans un pays depuis longtemps soumis à des lois d'exception, qu'elles soient nationales concernant l'anti-terrorisme, municipales et locales, en vigueur dans les Business Improvement Districts. Dans le cas de Londres, l'organisation des Jeux Olympiques bénéficie de dispositifs sécuritaires exceptionnels et d'une longue expérience, tel le réseau de vidéo-surveillance constitué de 500.000 caméras, unique en Europe, ou la pratique acquise des milices privées de sécurité, voire même des « taupes » infiltrées dans les organisations les plus actives du type Occupy London.


Etat d'exception ou dictature ?

Trois lois se complétant sont au coeur du système juridique britannique – et font l'objet d'une prodigieuse controverse - : celle promulguée en 2001, le Terrorism Act 2001, The Prevention of Terrorism Bill, votée en 2005, et The Terrorism Bill 2006, votée après les attentats du mois de juillet 2005.

The Prevention of Terrorism Bill met fin à un double système d’organisation juridique : État de droit pour les nationaux et violence pure pour les étrangers. La suppression de l’habeas corpus est généralisée à l’ensemble des habitants. On entre dans un état d’exception généralisé. The Prevention of Terrorism Bill, autorise le ministre de l’Intérieur à prendre des mesures de contrôle pouvant conduire aux arrêts domiciliaires d’une personne, lorsqu’il « a des raisons fondées de soupçonner qu’un individu est ou a été impliqué dans une action liée au terrorisme ». Il pourra également lui interdire l’utilisation d’un téléphone mobile, limiter son accès au Net, l’empêcher d’avoir des contacts avec certaines personnes, l’obliger à être chez lui à certaines heures, autoriser la police et les services spéciaux à avoir accès à toute heure à son domicile. Il a également la possibilité de limiter son accès à un emploi ou à une occupation. Elle donne au ministre de l’Intérieur des pouvoirs de magistrat. Une personne est désignée comme terroriste non par un jugement, mais par un certificat établi par un représentant du pouvoir exécutif. Ce dernier ne doit, à aucun moment, justifier une décision qui s’applique à de simples suspects. Les éléments objectifs, devant servir de base à ces soupçons, ne sont même pas nécessaires puisqu’ils restent secrets. Il suffit que l’autorité administrative affirme les détenir et que cette déclaration soit corroborée par un tribunal. C'est le cas de Marian Price, figure publique du mouvement républicain irlandais « dissident » prônant la lutte armée pour mettre fin à la domination britannique. Elle est aujourd'hui emprisonnée en Irlande du Nord depuis plus d’un an, sur le fondement de preuves secrètes que ni elle ni ses avocats n’ont été autorisés à voir. Elle est internée sans procès ni accusation et sans date de libération en vue. [Source Secours Rouge | Belgique].

En outre, le gouvernement ne fixe aucune limite temporelle, la lutte anti-terroriste étant conçue comme une guerre de longue durée contre un ennemi multiforme. Cette loi ne s’inscrit plus que formellement dans un état d’exception. Selon le sociologue Jean-Claude Paye, l’Antiterrorism, Crime and Security Act 2001 ainsi que le Prevention of Terrorism Act 2005 représentent un pas supplémentaire dans le démantèlement de l’État de droit. :
Cette loi fait entrer le Royaume-Uni dans une nouvelle
forme de régime politique que la théorie du droit désigne
comme dictature.


The Terrorism Bill 2006, représente un nouveau pas en avant dans la capacité offerte au pouvoir exécutif de criminaliser, non seulement toute action politique, mais aussi toute parole d’opposition radicale ou de soutien à ces actions. La matérialité des faits n’est plus nécessaire pour poursuivre des comportements, ni l’intention attribuée aux personnes incriminées. Il s’agit là de l’apport spécifique de cette loi [3]. L’avocat David Anderson évoquait l’un des systèmes les plus répressifs opérés par des démocraties occidentales comparables", le sociologue Jean-Claude Paye analyse ses principales caractéristiques : 

Pour comprendre toute la portée des nouvelles incriminations, celles d’incitation indirecte et de glorification du terrorisme, on doit les relier au Terrorism Act 2000 qui définit comme terroriste l’acte qui entraîne des « dommages sérieux à la propriété », qui « a pour objectif d’influencer le gouvernement ou d’intimider la population ou une partie ce celle-ci » et qui « le fait avec le but de promouvoir une cause politique, religieuse ou idéologique ». Une telle définition du terrorisme permet de criminaliser, non seulement des actions ayant des références religieuses, mais aussi des mouvements sociaux de défense des droits politiques et économiques. On voit tout de suite l’utilisation que le pouvoir peut faire de ces nouvelles incriminations pour s’attaquer à des actions non violentes, des paroles de solidarité vis-à-vis de personnes ayant commis des actes désignés comme terroristes ou simplement des déclarations, des prises de position hostiles à l’action politique, économique ou sociale du gouvernement ou d’une organisation internationale.

Par rapport au Terrorism Act 2000, le Terrorism Act 2006 représente un nouveau pas dans le démantèlement des libertés publiques. Le Terrorism Act 2000, comme les lois anti-terroristes adoptées au niveau de l’Union européenne, permet de s’attaquer à toute action politique que le gouvernement juge indue. Il criminalise le but de l’auteur d’un délit, celui de faire pression sur un gouvernement ou sur une organisation internationale. Il met en place un délit d’intention.

Le Terrorism Act 2006 remet en cause la possibilité d’exprimer une opinion politique qui soit inacceptable pour le gouvernement, que ce soit au niveau des affaires intérieures ou au niveau de sa politique internationale. Il s’écarte encore davantage de la matérialité des faits et s’inscrit pleinement dans le virtuel, puisque l’intention de la personne poursuivie d’obtenir par son discours un résultat déterminé n’est même plus nécessaire, seule compte la manière dont peuvent être interprétées ses paroles, sans qu’il y ait nécessité d’un rapport objectif entre le discours prononcé et les faits incriminés. Le Terrorism Bill 2006 représente un pas important par rapport au Terrorism Act 2000 dans la capacité de criminaliser des groupes de plus en plus importants de la population. La clause 21 de la nouvelle loi permet une extension des raisons qui permettent une mise hors la loi des personnes stigmatisées.

Le Terrorism Act 2000 permet déjà de poursuivre les individus et les organisations violentes. Être membre d’une telle organisation est un délit qui peut conduire à une peine de dix ans d’emprisonnement. Le soutien à de telles organisations est également poursuivi . La notion de soutien ne se limite pas à ses aspects financiers ou matériels, il est suffisant « de supporter ou de favoriser les activités d’une organisation par n’importe quel moyen ». Est également poursuivi le fait « de porter un signe distinctif ou un vêtement qui peut conduire à une suspicion raisonnable que l’on est membre ou que l’on supporte une organisation interdite ». La nouvelle loi permet, quant à elle, à travers la notion de glorification, de s’attaquer à des groupes non violents, de criminaliser des individus qui supportent des groupes violents, simplement par la parole ou par des écrits. Elle s’attaque à une glorification « illégale ».

En fait, la nouvelle loi anglaise donne au gouvernement la possibilité de proscrire toute organisation politique, d’emprisonner ou de déporter toute personne qui exprime, a exprimé ou exprimera une opinion politique différente de celle du gouvernement concernant un conflit violent n’importe où dans le monde.

À travers les notions d’incrimination indirecte et de glorification du terrorisme, The Terrorism Bill donne au pouvoir exécutif et aux tribunaux britanniques le pouvoir, non seulement de criminaliser toute forme de soutien à un mouvement social, à une action destinée à faire pression sur le gouvernement anglais, mais aussi de déterminer ce qui est bon et ce qui mauvais partout dans le monde. Cette loi nie l’essence même du politique. Il n’y a plus de conflits d’intérêts, mais une lutte mondiale du bien contre le mal. Il instaure également une solidarité entre pouvoirs constitués vis-à-vis de leur opposition politique, en criminalisant tout acte de résistance armée, mais aussi de toute action de solidarité matérielle et de soutien, verbal ou écrit, vis-à-vis, par exemple, de la résistance armée tchétchène ou palestinienne ou vis-à-vis de groupes ou de personnes qui défendent, ou qui ont défendu dans le passé de telles luttes. Dans les faits, se positionner politiquement, en désaccord avec le gouvernement britannique, peut devenir un délit.

The Terrorism Bill représente le point le plus avancé dans la mise en place d’un nouvel ordre juridique. Le droit n’est plus ce qui délimite les prérogatives du pouvoir, mais au contraire ce qui supprime toute frontière à son action. L’ordre juridique devient la symbolisation du non-droit. Il s’agit également d’estomper toute délimitation entre la matérialité du fait et sa simple possibilité, le délit existe car le pouvoir en a posé l’éventualité.


Parmi cet arsenal de lois, l'article 44 du Terrorism Act 2001, est sans doute le plus contraignant pour l'ensemble de la population ; elle prévoit l'arrestation immédiate par la police, de personnes susceptibles d'être des "terroristes en mission de reconnaissance". Aujourd'hui encore, on ne compte plus les excès de zèle des policiers qui n'hésitent pas à arrêter les touristes-terroristes qui photographient innocemment les monuments ou les choses les plus anodines : récemment, deux Autrichiens suspects car en train de photographier un arrêt de bus ont été interpellés, ainsi que le célèbre photographe Martin Parr, qui photographiait des fêtards à Liverpool.


Un cadre propice pour les Jeux Olympiques...

De fait, la sécurisation des Jeux Olympiques peut s'appuyer largement sur les lois d'exception existantes et les décrets de lois votés après les émeutes de Londres en 2011, concernent de nouvelles mesures destinées à légaliser la surveillance étendue du réseau internet, autoriser la police à l'accès aux données des opérateurs de téléphonie mobile (le nouveau système autorise à vérifier l’heure, la durée et les numéros de téléphones d’un appel téléphonique, ou une adresse e-mail. [3]), l'utilisation de drones, de logiciel à reconnaissance faciale, etc.



Selon les organismes responsables, le risque premier et le plus grave auquel sont confrontés les Jeux Olympiques est le terrorisme international, de sorte que Londres est placée en état d'alerte maximum. Sous la pression des États-Unis, inquiets quant aux faibles mesures de sécurité prévues initialement, les effectifs de sécurité ont été plus que doublés pour un montant devant atteindre 553 millions de livres selon les hypothèses les plus hautes (environ 663 millions d'euros). Pour assurer la sécurité des Jeux, la plus grande mobilisation de forces militaires et de police depuis la seconde guerre mondiale sera mise en œuvre à Londres : des avions et hélicoptères de combat - avec pour ces derniers, des tireurs d'élite de la Royal Air Force à leur bord - seront temporairement stationnés à la base de la Royal air force Northolt à Londres ; des dispositifs de défense aérienne - missiles sol-air - seront déployés sur les sites, les toits des immeubles, pour protéger l’espace aérien britannique ; le HMS Ocean, le plus grand navire de la Royal Navy, sera stationné sur la Tamise pour fournir un soutien logistique, des logements et des pistes d’atterrissage pour les hélicoptères ; 13.500 militaires seront officiellement déployés. Les effectifs militaires totaux sont estimés à entre 24.000 et 49.000 soldats, mais le chiffre réel est secret, ce qui explique l'ampleur de cette fourchette ; 1.000 agents de la diplomatie américaine et du FBI ainsi que 55 patrouilles avec des chiens seront envoyés sur la zone olympique ; d’autres nations enverront probablement leurs propres équipes de sécurité pour accompagner leur délégation d’athlètes et de politiciens.

Secure by Design” (SBD)

Criminal Chalklist

Une des préoccupations essentielles de Scotland Yard est d'éviter les rassemblements de type « Occupy », les manifestations de protestations susceptibles de venir perturber la grand'fête olympienne. Le gouvernement a adopté des mesures de plus en plus répressives et décidé d’accorder des pouvoirs accrus à la police pour agir contre toute forme de protestation, parmi lesquels la constitution de zones d'exclusion où sont strictement interdites les manifestations, donnant à la police le droit de pénétrer dans les domiciles privés, ou celui de saisir des affiches ou tracts politiques. La Loi confère à la police le droit d'entrer, par effraction au besoin, dans une propriété privée pour supprimer une publicité non autorisée ou bien, par exemple, une banderole de protestation.   Des « zones de contrôle policier » ont été délimitées – dans toutes les villes du Royaume-Uni -, correspondant à des cibles potentielles d'attaque terroriste mais également de rassemblements ou de manifestations. De même, il est probable que des agents aient infiltré les organisations les plus sérieuses ou rémunérer des indicateurs.

Les efforts se concentrent sur le parc olympique, situé dans le "pauvre" district populaire de Newham. Parmi le prodigieux arsenal de mesures policières, notons le couvre-feu pour les jeunes de moins de 16 ans entre  21 heures et 6 heures, sauf s'ils sont accompagnés par un parent ou un responsable âgé de plus de 18 ans. Ici plus qu'ailleurs, la police est autorisée  à arrêter et à fouiller quiconque, sans motifs raisonnables, sur la simple présomption d'intention criminelle ou terroriste.  Les rassemblements, les manifestations, les protestations pacifiques ou tout autre action individuelle considérée comme telle,  y sont interdites pendant toute la durée des Jeux ; la distribution de tracts, et les affiches politiques interdites de mêmes. 


Les rues du district ont été nettoyé de tout ce qui est considéré allant à l'encontre de l'esprit olympique, les pauvres, les mendiants, les quêteurs, les drogués et les prostituées.  Les maisons closes dans l'East End ont été perquisitionné et fermé ; tandis que les alcooliques et les sans-abris ont été depuis longtemps  transférés hors de la zone via le Samu Social.


 Westfield Stardford City


La protestation ?

Ce déploiement de force et de lois d'exception, les expulsions, les pénibles travaux et l'embourgeoisement du quartier n'ont guère entraîné les habitants dans la lutte, et on remarque la quasi absence de mouvements de contestation d'habitants de Stratford. Ce manque de résistance, la passivité peuvent s'expliquer par le fait que l'implantation du Parc olympique se situe dans un quartier pauvre, concentrant un grand nombre de travailleurs étrangers et en situation illégale, condamnés au silence ; un quartier "déshérité", véritable ghetto, dont le plan de renouvellement urbain satisfait les propriétaires, assurés d'une avantageuse plus-value. De même, le site olympique s'est implanté sur d'anciennes friches industrielles et ferroviaires : le nombre d'habitants expropriés est infime. Les associations de riverains contestant tel ou tel point du plan général d'aménagement,  contre certains aspects du projet urbain, existent mais sont isolées.  L'ordre règne, si ce n'est un vague mouvement de contestation de personnes expulsés, rapidement maîtrisé. La principale association de riverains en lutte, s'oppose à l'utilisation par l'armée de missiles sol-air, et des possibles retombées dangereuses sur des zones habitées.

Outre ces rêves  de plus-values immobilières, d'amélioration du "cadre" de vie,  le gouvernement, le maire de Londres, et de Newham, ont assuré aux habitants, et plus particulièrement aux chômeurs des quartiers concernés, qu'ils seraient assurés d'un emploi dans les entreprises chargées de la construction du site olympique, des grandes infrastructures,  ou bien d'un emploi dans les cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux, dans les sociétés de gardiennage, de service, les parades publicitaires, etc., et mieux encore dans les activités post-olympiennes du gigantesque centre commercial, des hôtels, des restaurants, des services, etc., et enfin, pour compenser des désagréments, d'une position privilégiée pour obtenir gratuitement des billets pour les JO. 

Dans une société durement éprouvée par des décennies de capitalisme anti-social, propre au Royaume-Uni, et plus encore par la crise de 2008, la population de Newham cédera au mirage-miracle olympien, celui d'un possible emploi, assurée de l'amélioration des conditions de vie de leur quartier, voire de leur arrondissement, et peut-être fière d'habiter à proximité d'un site olympien promis à un avenir radieux. Quitte à accepter les formidables atteintes aux libertés civiles et individuelles, ainsi que les sévices de la police, les restrictions de circulation et des arrestations arbitraires. 




Cela étant, au fur et à mesure que la crise s'aggrave, les East Landers s'interrogent : les emplois politiquement promis existent bien mais sur la base de contrats précaires, intérimaires, les grandes entreprises anglaises du bâtiment privilégiant leur circuit d'entreprises sous-traitantes, employant une main d'oeuvre immigrée, voire illégale, en tout cas sous-payée. Les sponsors officiels préfèrent pour leur parade et activités publicitaires les étudiants londoniens de la middle-class médiatiquement plus télé et photogénique. Le village olympique a été vendu au gouvernement de Bahreïn, en dépit des engagements initiaux à stimuler l'habitat social. Les billets promis sont rares et concernent les épreuves sportives les moins appréciées...



L'ENFER OLYMPIEN



Entrez dans une zone d'exception olympique, ou même s'en approcher, c'est renoncer à ses droits fondamentaux, ou plus exactement, accepter le fait qu'ils ont été suspendus ; c'est cautionner la désinfection sociale et politique, appliquée par les forces de l'ordre et les milices privées, bafouant les valeurs fondamentales d'une démocratie.

Londres 2012 n'est en fait qu'un vaste complexe commercial du type Bluewater étendu à une agglomération, un "espace d'exception" de surveillance et de répression, et de marchandisation d'un spectacle planétaire, placé sous l'égide selon Pierre Bourdieu, d'une grande entreprise commerciale, dominée par une petite camarilla de dirigeants sportifs et de représentants de grandes marques industrielles : le Comité international olympique. Un organisme lié à des consortiums privés, ayant le pouvoir exhorbitant de désigner la ville hôte malgré des accusations avérées de corruption, et d'une éthique passablement réduite compromettant l'universalisme olympien. 
Pendant la période olympique, le Biopouvoir, le Spectacle et le marché seront intimement liés, indissociables même ; les lois, y compris les accords commerciaux, seront ainsi temporairement suspendus, et la ville hôte soumise à des lois d'exception en réponse à une nécessité anti-terroriste qui l’exige comme tel : Necessitas legem non habet, à entendre, selon G. Agamben, en ses deux sens opposés : « La nécessité ne reconnaît aucune loi » et « la nécessité crée sa propre loi » (ou, nécessité fait loi). L'impact de la constitution d'un nouveau cadre juridique, à plusieurs échelles spatiales et temporelles, doit exclure tout danger, toute menace possible ; rien ne doit être laissé au hasard dans la régulation et la surveillance de l'espace économique et politique de la ville, et dans leur relation avec la planification urbaine caractérisée par une stratégie de sécurité militarisée.


Le Parc olympique de Stratforf, constitue dans ce dispositif, la spatialisation concrète de l'état d'exception, l'espace idéal du plus parfait totalitarisme politique et commercial, une authentique utopie réalisée mais limitée à la durée des Jeux, du 27 juillet au 12 août 2012. A moins qu'il ne s'agisse ici d'une hétérotopie de compensation, définie ainsi par Michel Foucault, d'être un autre espace, un autre espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon. Un lieu hétérotopique qui :

« suppose toujours un système d'ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables. En général, on n'accède pas à un emplacement hétérotopique comme dans un moulin. Ou bien on y est contraint, c'est le cas de la caserne, le cas de la prison, ou bien il faut se soumettre à des rites et à des purifications. On ne peut y entrer qu'avec une certaine permission et une fois qu'on a accompli un certain nombre de gestes. »


Le Clean Venue, cet espace « propre » apparaît comme une des plus parfaites manifestations de l'ordre biopolitique contemporain, dans laquelle le sujet se heurte nu à la puissance déchaînée du pouvoir. Pour reprendre à nouveau Michel Foucault, cet espace d'exception et le périmètre de sa zone tampon, pouraient être un gigantesque panoptique inversé, où la «vie nue», c'est-à-dire l'individu dépouillé de ses attributs politiques et juridiques, est produite et gérée par le «pouvoir nu», le pouvoir illimité et libéré de toute base juridique. Ici, la distinction entre public et privé est désactivée, et appliquée jusqu'au corps même de l'individu, d'abord fouillé, puis soumis à des restrictions vestimentaire et alimentaire, à des obligations commerciales, et contrôlé en permanence ; il s'agit bien ici d'un espace totalitaire.



Michel Foucault affirme que le dispositif panoptique aménage des unités spatiales qui permettent de voir sans arrêt, sans être vu, et de reconnaître aussitôt.

Et pour s'exercer, ce pouvoir doit se donner l'instrument d'une surveillance permanente, exhaustive, omniprésente, capable de tout rendre visible, mais à la condition de se rendre elle-même invisible. Elle doit être comme un regard sans visage qui transforme tout le corps social en un champ de perception : des milliers d'yeux postés partout, des attentions mobiles et toujours en éveil [...]”

“ De là, l'effet majeur du Panoptique : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanent dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l'actualité de son exercice ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l'exerce [...]. Le Panoptique est une machine à dissocier le couple voir-être vu : dans l'anneau périphérique, on est totalement vu, sans jamais voir ; dans la tour centrale, on voit tout, sans être jamais vu.”

S'inspirant des théories d'Agamben, le criminologue Pete Fussey (et al. 2011) utilise le concept d'«espace d'exception» pour définir ce type de dispositif de «sécurité totale» basée sur l'orthodoxie du risque zéro, la militarisation de l'espace urbain, d'un grand déploiement de forces de police, le recours aux milices de sécurité privés, les conceptions militaires architecturales et environnementales, sur la forte dépendance de surveillance technologique, afin de dissuader les terroristes. Et la militarisation de l'espace urbain, comme mesure "nécessaire" aux différentes menaces terroristes, loin d'être temporaire va se dissoudre ad vitam dans le système de contrôle et de surveillance. Pete Fussey affirme qu'une fois établies, ces mesures génèrent des règles et des «visions» de l'ordre dans lequel elles tendent à devenir permanentes. En considérant que la plupart des dispositifs de sécurité sont intégrés dans la conception architecturale des constructions et des infrastructures, de sorte que leur démantèlement ultérieur est parfois compliqué, voire impossible.

Pete Fussey avance l'idée que le projet de renouvellement urbain de l'Est de Londres associé aux Jeux olympiques, qui cherche à convertir l'un des districts les plus pauvres de la ville, en un nouveau quartier habitable pour les classes moyennes, nécessite un important dispositif de sécurisation de ce district populaire.  "Le problème est que le parc olympique va devenir une sorte de ville d'or – golden city - entourée par un océan de pauvreté", déclarait John Biggs, membre du Labour Party. Dans ce contexte, il serait naïf de nier l'opportunité d'une infrastructure de sécurité destinée à « r-assurer » les potentiels investisseurs et futurs habitants. Un responsable de l'Association of Chief Police Officers affirme ainsi, qu'en fait, la conception même qui a été élaborée et les mesures de sécurité qui ont été mises en place, ont pour objectif post-olympien de réduire sur zone, la criminalité, le vandalisme, l'incivisme et les comportements anti-sociaux ; afin d'assurer aux futurs usagers, résidents et commerçants qu'ils pourront bénéficier d'un environnement prestigieux et sécuritaire et ce, dès la fin des Jeux. Les mesures contre-terroristes seront appliquées à des infractions plus prosaïques dans la période post-olympique. 




Occupy Olympics


La résistance contre les Jeux Olympiques s'est organisée au sein d'associations ; dont la "Newham Monitoring Project", un organisme indépendant anti-raciste née en 1980, qui s'est engagée  à lutter contre les restrictions de circulation et les arrestations arbitraires pendant la période olympique, avec des observateurs formés juridiquement, devant circulant dans la zone olympique de Stratford. Un numéro d'urgence est disponible 24 heures sur 24. Les observateurs bénévoles auront la charge d'aider les personnes « suspectées » soumises à une quelconque répression policière, et de collecter des données, des preuves contre les agissements arbitraires, discriminatoires ou abusifs de la police, pouvant par la suite être divulguées par la presse.

BANKSI | JO 2012

D'autre part, pour le mouvement Occupy London, les jeux Olympiques représentent une formidable tribune mondiale et les militants ont annoncé et promis des manifestations, des sit-in, et autres actions pacifiques. D'autres associations dont le groupe "Our Olympic - London 2012 Reclaim" dénoncent la commercialisation des Jeux, les sponsors - Dow Chemical en tête - la restriction des libertés individuelles, et du droit de manifester, etc. et prône la désobéissance civile durant les JO :

We exist to provide a hub for creating and promoting acts of civil disobedience around the London 2012 Olympics.
We believe that the London 2012 Olympics is an £11bn tax payer funded ad campaign for some of the worst offending corporations in our world.
We believe that public funds should be spent on public services, not redirected to private profits.
We believe the policy of Austerity is a lie.  It is a means of imposing an economic apartheid upon the UK.
We believe that it is time for us TO, come together and make London 2012 the greatest act of non violent civil disobedience of our time.



Les militants prévoient ainsi une journée d'action de masse le 28 juillet prochain, au lendemain de l'ouverture des Jeux ; ils espèrent perturber l'organisation en empruntant, par exemple, les voies VIP des autoroutes et des rocades réservées aux officiels. Les autres actions restent secrètes. 


Mais les conséquences les plus négatives de l'intrusion de la machine olympienne à Londres, n'ont finalement pas initié un mouvement d'opposition national - comme la campagne du NO GAMES, pour les jeux d'hiver de Vancouver en 2010 -, ni même londonien,  même si une multitude d'associations et d'organisations s'activent à l'approche de l'ouverture. Comme le note les organisations de la Gauche radicale, tout ceci se déploie sans grande concertation. Elles soulignent cependant que l'aspect positif a été d'initier un mouvement protéiforme de contestation et, peut-être, de relancer le mouvement Occupy London. 

Il est vrai que les jeux olympiques ont un fort potentiel anesthésique et offre un support parfait pour un nationalisme exacerbé, mettant en veille la contestation. Personne ne sait dans quelle mesure ces associations vont pouvoir rassembler suffisamment de militants, d'activistes pour pouvoir perturber l'organisation des jeux Olympiques, et quelle sera la réaction des forces de police. Mais le gouvernement a d'ores et déjà prévenu sa plus grande fermeté à s'opposer à la moindre action de protestation... et d'ambush marketing. Entre activisme citoyen et terrorisme commercial, les jeux Olympiques 2012 nous réservent en fait, bien d'alléchantes surprises...



Le sport anglais

Le Royaume-Uni a donné naissance à de nombreux sports - et le terme anglais [4] repris littéralement dans de nombreux pays -, le Football, tennis, rugby, hockey, golf, etc. ainsi qu'à leur codification. Selon Frédéric Baillette, dans ses premières réglementations, l'exercice physique a été envisagé comme moyen d'enrayer, puis de contrôler les débordements d'hostilité au pouvoir. Dans les domaines terriens de l'Angleterre du 18e siècle, la "sportivation" (codification, arbitrage, parrainage "militant"...) des affrontements festifs et anarchiques de la plèbe, par la nouvelle bourgeoisie agrairienne (Gentry tory), permit de "canaliser l'agitation populaire" dans des divertissements tolérables.

Frédéric Baillette
Révoltes sociales et orthopédie sportive
sport et normalisation de la déviance
Extraits


Au début de 19e siècle, les pédagogues britanniques (r)usèrent de la même stratégie interventionniste, organisatrice et normalisant, pour "discipliner l'effervescence" collégienne. Thomas Arnold sut rétablir l'ordre en aménageant les jeux violents et revendicatifs introduits par des élèves révoltés. En Angleterre, il y avait [...] des écoliers à domestiquer et à civiliser [...] écrit Eugen Weber. Après les années 1830, les ardeurs excessives furent canalisées dans des jeux réglementés et les braconniers transformés en garde-chasse. Le même "mécanisme pacificateur", la même ruse civilisatrice, sera envisagé pour supprimer les "moeurs belliqueuses" des tribus colonisées.

Dans la lutte contre les individus en rupture, l'intérêt pour la pratique sportive se situe à tous les niveaux. En amont de " l'acte délictueux " (dans les clubs sportifs), elle serait un moyen de prévention efficace. La " contamination " de la jeunesse serait évitée en s'attaquant aux racines du mal : des loisirs mal employés, en inculquant une discipline de vie et en occupant le terrain des passions adolescentes. En aval (dans les centres de rééducation, dans les prisons, ou encore dans les banlieues " chaudes "), elle s'inscrit dans le processus curatif en permettant une décontamination, une réacclimatisation sociale du déviant, un retour dans le droit chemin ( su stade). " Sauvegarde " et " régénéresence " sont les deux thèmes forts de cette thérapie sportive.


Le sport doit freiner la progression des déviances, et réablir l'ordre. Cette conception du sport, comme remède anti-loubards, anti-casseurs, anti-drogués, anti-gauchistes..., pour dépassée qu'elle puisse paraître, est régulièrement réaffirmée et réactualisée par les médias et les hommes politiques les plus en vue.


SOURCES


Jean-Claude PAYE
Le modèle anglais

Pete Fussey et al.
Securing and sustaining the olympic
city: Reconfiguring London for 2012 and beyond.
Burlington: Ashgate Publishing | 2011

Lida Achtari
Le régime de l’ambush marketing : une oeuvre inachevée ?
2010

International Olympic Committee
Brand Protection
Olympic Marketing Ambush Prevention and Clean Venue Guidelines


Amnesty International

United Kingdom: five years on: time to end the control orders regime | 2010

Amnesty International qui avait organisé une campagne de boycott des Jeux de Beijing en 2008,  semble bien timide quant aux mesures dictatoriales de Londres 2012... Si ce n'est un rapport qui accuse le gouvernement britannique de mettre en place une justice parallèle qui restreint fortement les droits des personnes soupçonnées d'activités liées au terrorisme. Dans un nouveau rapport intitulé United Kingdom: Five years on: time to end the control orders regime, l'organisation demande une nouvelle fois aux autorités du Royaume-Uni d'abroger la Loi de 2005 relative à la prévention du terrorisme et de cesser d'avoir recours aux ordonnances de contrôle, qui bafouent les droits à la liberté, au respect de la vie privée et à la liberté de mouvement, d'expression et d'association. « Les mesures appliquées aux termes de la Loi relative à la prévention du terrorisme ont créé une justice parallèle, inéquitable et secrète pour les personnes soupçonnées d'activités liées au terrorisme, a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d'Amnesty International.




NOTES


[1] L’administration du BID et l’ensemble des prestations sont financés par un impôt spécial dont tous les bénéficiaires des services doivent s’acquitter, (les résidents en général ne payent qu’une contribution très symbolique). Cette taxe, prélevée par la municipalité avant d’être reversée au BID, est calculée soit sur la base du montant de l’impôt foncier, soit proportionnellement à la surface de la propriété ou au métrage de la vitrine. C’est un conseil d’administration, composé de quelques uns des
principaux décideurs de la vie économique locale (propriétaires
immobiliers, entrepreneurs, responsables d’hôtels...) et de représentants de la mairie et des services municipaux, qui se charge de définir les grandes orientations.
[2]. Il suffit qu’une personne, n’importe laquelle, déclare se sentir incitée à commettre des actes terroristes, par des paroles qui ont été prononcées par un tiers, pour que l’on puisse poursuivre l’auteur du discours. La personne qui parle est donc responsable de la manière dont ses déclarations peuvent être reçues, quel que soit son objectif. Il n’est pas non plus nécessaire qu’il y ait un lien matériel entre le contenu du discours prononcé, par exemple entre des paroles de soutien à la résistance palestinienne et les actes qu’elles auraient « incités », par exemple la pose de bombes dans le métro de Londres. Pour être poursuivi, il suffit qu’un tribunal estime que ces paroles ont créé un « climat » favorable au terrorisme. Cette loi donne également une compétence universelle aux tribunaux britanniques, celle de nommer comme terroriste toute action politique, développée n’importe où dans le monde, et ainsi de criminaliser tout soutien, effectif ou par la parole, à ces actes.
[3] Elles n’incluent pas le contenu d’une conversation téléphonique ou d’un e-mail. Les méta-données sont devenues une information extrêmement importante pour les services de renseignement ; qui les jugent au moins aussi instructives que le contenu lui-même des communications. Le gouvernement britannique à demandé au parlement d’adopter une loi qui obligerait les Fournisseurs d’Accès Internet à fournir en temps-réel un accès à toutes les communications électroniques du pays, pour l’ensemble de la population, afin que les services secrets puissent réaliser une base de données qui leur permettra de savoir qui a l’habitude de parler avec qui. Jusqu’à présent, seules les personnes faisant l’objet d’une enquête pouvaient faire l’objet d’une surveillance de leurs communications, sur autorisation.
[4] En France, le Larousse indiquait : « Sport s. m. (sport - mot anglais formé du vieux français desport, plaisir, divertissement) », d'après ce dictionnaire, de tels mots "gâtent la langue évidemment mais il n'existe pas de douane pour les prohiber à la frontière". (P. Larousse, Grand dictionnaire universel du 19e siècle, Paris, 1875, tome 14, p. 1031). Furent également importés d'Angleterre en France, dans les faits comme dans  la langue « turf », « jockey », « match », « boxe », etc. 

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