Belgique | Nucléaire Urbain

Image du film de Michelangelo Antonioni | Il Deserto Rosso | 1964

La situation belge est unique au monde. 
Dans un rayon de 20 km autour de la centrale nucléaire de Doel 
vivent, sur le sol belge, plus de 900.000 personnes

En cas de catastrophe nucléaire, deux dangers menacent les populations : les radiations directes provenant du réacteur, et tout aussi dangereux, les nuages chargés de particules radioactives s'en échappant. Les scientifiques estiment qu'une zone d'évacuation est nécessaire, d'un rayon compris entre 10 et 30 kilomètres pour échapper aux radiations ; au-delà de ce périmètre, l'évacuation est inutile, mais les populations doivent se prémunir des nuages radioactifs se déplaçant au gré du vent.


En Belgique, selon Greenpeace, le plan national d’urgence nucléaire comporte de nombreuses lacunes, qui estime les mesures envisagées par le ministère de l’Intérieur insuffisantes en cas d’accident majeur sur ce territoire le plus densément peuplé d'Europe : "en cas d'accident nucléaire grave, le plan national d'urgence nucléaire belge est un emplâtre sur une jambe de bois." En effet, rien n'est prévu pour l'évacuation des villes proches des centrales, et surtout des mouvements de "panique" qui pourraient survenir à  Bruxelles... si un nuage radioactif venait la survoler. 

Greenpeace | Belgique
mars 2011

Notre pays, petit et dense, est un des rares pays qui a décidé depuis les années 1960 de jouer à fond la carte de l'énergie nucléaire. Notre particularité, c'est d'être le seul pays où les centrales nucléaires ont été implantées à proximité de grands centres urbains. 



En conséquence, il y a sur notre territoire une grande concentration d'installations nucléaires, avec entre autres :
  • deux centrales nucléaires constituées de sept gros réacteurs, dont 4 à Doel (11km d'Anvers) et 3 à Tihange (4km de Huy). Sur ces sites se trouvent également des bassins de stockage contenant des éléments de combustible usés hautement radioactifs et chauds provenant des réacteurs ;
  • le Centre d'Etudes Nucléaires (CEN) de Mol, avec entre autres le réacteur de recherche BR2 à uranium enrichi;
  • Belgoprocess à Mol et Dessel rassemble, transforme, conditionne et stocke les déchets faiblement, moyennement et hautement radioactifs qui sont produits en Belgique;
  • FBFC-International assemble dans son usine de Dessel les éléments combustibles pour les centrales belges et françaises;
  • Belgonucléaire à Dessel, usine entretemps fermée, où le combustible au plutonium était fabriqué;
  • de plus, la base militaire de Kleine Brogel, qui abrite /est en mesure d'abriter 20 bombes atomiques du type B61, chacune ayant un potentiel explosif 14 fois plus puissant de celle d'Hiroshima.

Ce n'est pas tout. Non loin de nos frontières sont installées un certain nombre de centrales et d'installations nucléaires :
  • Aux Pays-Bas, nous avons la centrale nucléaire de Borssele (1 réacteur) et les installations de stockage de déchets radioactifs COVRA à Vlissingen, à un jet de pierre de Zelzate et Eeklo ;
  • En France: les centrales nucléaires de Chooz (2 réacteurs) à 4 km de la frontière belge et 20 km de Dinant; Gravelines (6 réacteurs) à 30 km de La Panne sur la côte belge; Cattenom (4 réacteurs) à 35 km d'Arlon ;
  • En Allemagne: centre de recherches nucléaires de Jülich, à 30 km des Cantons de l'Est.


La situation belge est unique au monde. Dans un rayon de 20 km autour de la centrale nucléaire de Doel vivent, uniquement sur le sol belge, plus de 900.000 personnes, selon la Cellule de Crise du Ministère des Affaires Intérieures. A 20 km de la centrale de Tihange, vivent quasiment 500.000 personnes, tout comme autour des sites nucléaires de Mol et Dessel.

Pour ces habitants, le plan national d'urgence nucléaire prévoit la distribution de tablettes d'iode, qui doivent être ingérées aussi vite que possible après un accident nucléaire libérant de l'iode-131, pour limiter les risques de cancer de la thyroïde. C'est une mesure nécessaire, mais cela ne protège pas contre l'impact d'autres radioisotopes comme le Césium et le Strontium. Pourquoi cette mesure est-elle limitée à un périmètre de 20 km dans un pays aussi densément peuplé ? Réponse: il n'existe pas de fournisseur à même de servir toute la population.

Zone d'évacuation insuffisante

A côté de cela, le plan d'urgence prévoit pour chaque site nucléaire des actions de protection comme « la mise à l'abri »et « l'évacuation ». Les préparatifs qui s'y rapportent concernent seulement une zone de 10 km autour des centrales nucléaires et 4 km, en ce qui concerne l'évacuation, autour des sites de Mol et Dessel. Cela est insuffisant, étant donné la grande densité de population en dehors du rayon de 10 km.

En 1991, le rapport final de la Commission d'information du Sénat, chargée d'examiner et d'apprécier les dispositions relatives à la sécurité dans le domaine nucléaire, mise en place après de désastre de Tchernobyl, mentionne :

« La distance de 10 km ne s'appuie sur aucune décision scientifique. Selon la nature de l'accident et en fonction des conditions météorologiques lors des émissions de particules radioactives, cette distance pourrait être trop petite. Pour couvrir le plus grand nombre d'éventualités, un plan d'urgence adapté doit être prévu et il doit prévoir une distance de 30 km ou plus. (NDLR : traduction libre. »

Les responsables de la Cellule de Crise du Ministère de l'Intérieur annoncent une zone d'intervention officielle de 10 km, en ce qui concerne l'évacuation, tout en précisant que rien n'empêche d'élargir le périmètre si la situation d'urgence le requiert. Un plan d'urgence n'est pas une liste de souhaits et bonnes intentions, mais doit être préparé en détail à l'avance. L'infrastructure nécessaire doit pouvoir être prévue (e.a. capacité de transport, logistique pour les personnes évacuées,...). Les personnes qui ont une fonction spécifique doivent être formés (e.a. Corps d'intervention, médecins, enseignants, journalistes,...). Un plan d'urgence efficace doit être confronté à la réalité de manière régulière. Des exercices répétés doivent avoir lieu. Nous sommes préoccupés par la question suivante : ceci est-il organisé de manière efficace pour le périmètre des 10km ?


L'efficacité d'une évacuation de la ville d'Anvers, qui serait décidée à la hâte sans avoir été préparée, nous paraît peu probable. Or , la ville d'Anvers se trouve à 11 km de la centrale de Doel. En cas d'accident nucléaire et de vent d'Ouest, 700.000 Anversois devraient être évacués vers l'Ouest, et ce via deux tunnels sous l'Escaut. Ce qui pourrait bien se terminer par une belle pagaille.

Même si la zone d'évacuation est limitée, des milliers de personnes vivant un peu plus loin pourraient spontanément se mettre à fuir. Telle fut l'expérience lors de l'accident de Three Mile Island, où il fut décidé d'évacuer les femmes enceintes et les enfants dans un rayon de 5 milles autour de la centrale. En réaction, 200.000 personnes ont spontanément quitté leur domicile, et ce dans un rayon de 25 km, ce qui a donné lieu à une situation chaotique sur les routes... De plus, de nombreux membres du personnel des services de secours et corps d'intervention, semblent avoir donné priorité à la sécurité de leur propre famille, avant de remplir leur devoir.

Les zones de retombées radioactives ne suivent bien sûr pas le tracé de cercles concentriques parfaits de 10, 20 ou 30 km de rayon. Des facteurs variables déterminent la nature d'un accident, tels que la quantité et la nature des matières radioactives libérées, la direction du vent et sa force, les précipitations etc. Tchernobyl nous apprend que les retombées d'un nuage radioactif après un accident nucléaire sérieux prend des formes capricieuses et s'étend sur des milliers de kilomètres. Certaines régions situées à ces centaines de kilomètres de Tchernobyl ont été plus contaminées que certaines autres dans la zone d'exclusion de 30 km autour de la centrale. Le site http://zerodegreeburn.com/chernobyl/ propose une reconstitution du nuage radiactif de Tchernobyl, réalisée par l'agence gouvernementale française, l'Institut de Radioprotection et Sureté Nucléaire.


Dans tous les cas, il est clair qu'un accident sérieux à Doel, Tihange, Mol, ou dans une centrales proches de nos frontières, avec libération de substances radioactives dans l'environnement, est un scénario réaliste. La zone de contamination couvrirait potentiellement une grande partie de la Belgique. Le plan d'urgence nucléaire tient compte des centrales nucléaires de Borssele (Pays-Bas) et de Chooz (France). Il prévoit, tout comme pour les centrales nucléaires belges, des exercices d'évacuation et de mise à l'abri dans un rayon de 10 kilomètres et la distribution de comprimés d'iode dans un rayon de 20 kilomètres. Trois autres installations, situées à 30 kilomètres à peine de la frontière, sont quant à elles totalement ignorées : il s'agit des centrales françaises de Cattenom et de Gravelines et du centre allemand de recherche nucléaire de Jülich.

Gravelines, à proximité de Dunkerque, est, avec ses six réacteurs, l'une des plus grandes centrales nucléaires au monde. Ces réacteurs français sont moins sécurisés que les centrales de Tihange et de Doel. A l'exception des réacteurs de Doel 1 et de Doel 2, tous les réacteurs nucléaires belges sont hébergés dans un bâtiment spécifique à double enceinte. La paroi intérieure sert à contenir un maximum de gaz radioactif à l'intérieur du bâtiment en cas d’accident ou du moins, à retarder leur dispersion dans l'environnement. La paroi extérieure sert, quant à elle, à maîtriser un impact externe, comme la chute d'un avion léger de type Cessna (lors de la construction des réacteurs dans les années 1970-1980, le risque d'un crash avec un Boeing dont les réservoirs sont remplis de kérosène n'a pas été pris en considération).

Les six réacteurs de Gravelines sont protégés par une paroi unique, ce qui augmente le risque de dispersion importante de radioactivité en cas d'accident. La direction des vents dominants sud-ouest risquerait par ailleurs de pousser le nuage radioactif en direction de la côte belge, qui se situe à 30 kilomètres à peine de Gravelines. Durant les vacances de Pâques ou d'été, on dénombre un bon million de personnes à la côte belge. Pourtant, le plan d'urgence nucléaire n'y prévoit pas la distribution de comprimés d'iode. Et il ne prévoit pas non plus d'exercices d'évacuation. La protection civile à Bruxelles et à Jabbeke dispose d'une réserve de comprimés d'iode mais il faudra un certain temps pour les acheminer vers la côte en cas d'accident et pour informer les populations locales et les touristes du lieu où ils peuvent retirer les comprimés. Et pendant ce laps de temps, de nombreuses personnes auront probablement déjà inhalé une dose d'iode radioactif. Il est aberrant de ne pas avoir prévu de plan d’urgence pour les grandes centrales nucléaires se trouvant à un jet de pierre de nos frontières.

Tchernobyl sur roues

Vu l'importante concentration d'installations nucléaires, notre pays est traversé par des transports de substances radioactives, via la route ou le rail. Parmi les transports les plus risqués figurent sans aucun doute les convois d'éléments de combustibles irradiés qui quittent les centrales nucléaires à destination de l'usine de retraitement de La Hague, en Normandie (France). Les transports néerlandais traversent également notre pays en direction de la France. Après retraitement à La Hague, les déchets hautement radioactifs vitrifiés et les déchets de moyenne activité compactés sont rapatriés.


Les déchets belges sont acheminés depuis La Hague par train via Mouscron, Courtrai, Gand, Anvers et Lier jusqu'à la gare de Mol. De là, ils sont chargés sur des camions puis acheminés jusqu'au site de Belgoprocess à Dessel. Ces transports sont effectués dans le plus grand secret. L'Agence Fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN) doit, pour chaque transport, délivrer une autorisation spéciale mais refuse, soi-disant pour des raisons de sécurité, d'en divulguer les détails. Lorsque nous interrogeons l'Agence à propos de la date précise d'un transport, nous obtenons systématiquement la même réponse : « Ces transports ne constituent aucun risque mais pour des motifs de sécurité, nous ne pouvons pas dévoiler la date. »

Le fait est que des milliers de citoyens vivant le long du parcours sont confrontés au risque d'un accident nucléaire. Les containers d'éléments de combustibles irradiés et les déchets vitrifiés hautement radioactifs contiennent une dose de rayonnement supérieure à celle libérée lors de la catastrophe de Tchernobyl. On peut imaginer différents scénarios d'accident au cours desquels ces containers céderaient. Si cela devait se produire dans une région densément peuplée, les conséquences seraient dramatiques. Une fois de plus, le plan d'urgence nucléaire existant ne tient pas compte de tels scénarios. Ainsi, il n'existe aucun plan d'évacuation pour Gand ou Courtrai, des villes par lesquelles passent la plupart des transports radioactifs à destination ou en provenance de France.

Sortons du nucléaire !

Le plan d'urgence nucléaire a bien sûr le mérite d'exister et sera efficace en cas d'incidents nucléaires. Toutefois, son effet sera pour ainsi dire réduit à néant en cas de catastrophe majeure. Il est par ailleurs aberrant de constater que des centrales nucléaires situées à 30 kilomètres à peine de nos frontières ne soient pas reprises dans le plan. Cette aberration se vérifie pour les zones densément peuplées le long du trajet emprunté par les déchets hautement radioactifs. Les compagnies d'assurance calculent le risque en multipliant la probabilité d'un accident par les conséquences. La probabilité d'une grave catastrophe nucléaire en Belgique (ou dans
l'une des centrales situées le long de la frontière) est plutôt faible, mais pas inexistante. Une grave catastrophe nucléaire se produit environ une fois tous les dix ans :
  • Windscale (Grande-Bretagne) en 1957,
  • Three Mile Island (États-Unis) en 1979,
  • Tchernobyl (Ukraine) en 1986,
  • Tokai Mura (Japon) en 2000
  • et en 2011 à Fukushima (Japon).

Il s'agissait à chaque fois de scénarios d’accident totalement différents, dans des types de centrales nucléaires différents. Avant chaque catastrophe, on niait la possibilité qu'elle puisse se produire ou du moins, on prétendait qu'elle était à ce point improbable qu'on n'en tenait pas compte. En d'autres termes : on part du principe que des accidents dans des réacteurs nucléaires ne se produisent pas, jusqu'à ce que les choses tournent mal. Ainsi, jusqu'à ce le drame actuel au Japon ne se produise, on n'estimait pas la possibilité d'une fusion nucléaire partielle simultanée dans trois réacteurs d'une même centrale comme envisageable.

Des centrales vétustes

Nos centrales nucléaires vieillissent. Ceci augmente le risque d'accidents suite à des symptômes de vétusté. Au niveau mondial, nous n'avons que très peu d'expérience avec des grosses centrales atomiques commerciales de plus de 40 ans. Prolonger la durée de vie de ces centrales constitue un risque réel. Greenpeace plaide pour le respect de la loi sur la sortie du nucléaire et pour leur fermeture progressive dès qu'elles atteignent l'âge de 40 ans.

Les trois réacteurs les plus vétustes (et les plus petits) doivent être fermés en 2015 (Doel 1, Doel 2 et Tihange 1). Les quatre réacteurs restants atteindront l'âge de 40 ans entre 2022 et 2025. Si nous voulons véritablement minimiser le risque d'une catastrophe nucléaire et en limiter les conséquences, il nous faudra bien plus que le plan d'urgence nucléaire actuellement sur la table et la distribution de comprimés d'iode dans un rayon de 20 kilomètres autour des centrales nucléaires.

L'avenir est aux renouvelables

Les sources d'énergies renouvelabes constituent la seule voie possible vers un approvisionnement énergétique durable et sûr. Différentes études, parmi lesquelles celles publiées par Greenpeace et le European Renewable Energy Council (EREC), ont montré que l'Europe peut effectuer une transition énergétique menant à près de 100% de renouvelables en 2050. Les décisions doivent être prises maintenant, afin d'instaurer les conditions qui permettront un véritable essor des renouvelables dans notre pays. Cela passe entre autres par le respect de la loi de sortie du nucléaire votée en 2003.

Greenpeace | Belgique
mars 2011



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