Garder
les gares telles qu’elles sont. Leur laideur assez émouvante
ajoute
beaucoup à l’ambiance de passage qui fait le léger attrait de ces
édifices.
Gil J Wolman réclame que l’on supprime ou que l’on fausse
arbitrairement
toutes les indications concernant les départs
(destinations,
horaires, etc.). Ceci pour favoriser la dérive. Après un
vif
débat, l’opposition qui s’était exprimée renonce à sa
thèse, et le
projet
est admis sans réserves. Accentuer l’ambiance sonore des gares
par la
diffusion d’enregistrements provenant d’un grand nombre
d’autres
gares – et de certains ports.
POTLATCH
Bulletin d’information de l’Internationale lettriste.
Mensuel.
N° 23 – 13 octobre 1955
Le phénomène de la marchandisation des espaces publics est observé depuis des décennies, critiqué par l'universitaire Marcel Roncayolo, admis par l'architecte Rem Koolhaas, le constat est évident : la progression des surfaces dédiées au commerce prend des proportions inquiétantes dans les coeurs mêmes des édifices publics. Le simple souterrain qui reliait la station de métro Hôtel de Ville au Bazar de l'Hôtel de Ville, à Paris, première manifestation d'un nouveau type d'urbanisme commercial moderne devint dans les années 1970, le gigantesque complexe souterrain du Forum des Halles ; le summum, en France, d'un espace public dédié autant aux transports en commun qu'à l'activité commerciale. L'un soutenant l'autre.
Rem Koolhaas analysa dans plusieurs articles, l'arrivée en puissance du commerce dans les grands équipements de notre temps ; des aéroports devenus un excellent support pour l'activité commerciale jusqu'aux prestigieux musées rénovés, dont Le Louvre constitue un exemple significatif. Du simple guichet où le public se pressait pour y acheter un souvenir, la Ville Louvre déploie à présent un véritable centre commercial basé sur l'Art.
Paradoxalement,
les gares, en France, étaient plus ou moins préservées ;
l'activité commerciale existait mais se limitait aux besoins stricts des
voyageurs : lecture, restauration et alimentation. L'espace des
gares, les salles de pas perdus, les grands halls étaient dédiés
davantage aux flux, à la flânerie et à la simplicité
architecturale. Ce qui n'était déjà plus le cas pour les grandes
gares du Japon et d'Angleterre, qui deviendront par la suite des
modèles pour les décideurs de la SNCF.
Ce
n'est qu'à partir des années 1990, lors de la construction et de la
rénovation des gares devant accueillir le tgv, que s'opéra le
changement : les surfaces commerciales au sein des gares deviennent
aussi importantes que celles dédiées au flux des passagers.
Parallèlement, les attentats perpétrés à cette époque,
engageront également une autre vision pour le renforcement de la
sécurité dans les espaces publics des gares sncf, rer et des
réseaux métropolitains des grandes villes. Enfin, pour parachever
l'ensemble, la hausse vertigineuse de l'immobilier dans les grandes
villes sera l'occasion de transformer à la fois la gare et son
environnement proche, la gare devenant ici l'équipement moteur du
développement ou de la valorisation d'un quartier ; quartier qui
bien souvent, était le réceptacle de populations immigrées et
marginales, ou bien comme à Paris, le terminus de périphéries considérées comme « dangereuses ». Quartier mal-habité ou mal-famé, qu'il convient de
nettoyer de la plèbe.
Privatisation
La
privatisation peut-être considérée comme le motif principal
pour expliquer la mutation des gares ; aucun autre argumentaire ne peut
lui être opposé, et surtout pas celui avancé par les décideurs de la
sncf et de ces filiales. La privatisation d'une partie des espaces
publics des gares, mis à disposition contre des baux à des
concessionnaires privés, doit permettre de substantielle économie
pour leur nécessaire modernisation, leur réaménagement : les gares d'année en année doivent faire face à
un accroissement du nombre d'usagers. Face également au
désengagement financier de l'Etat et aux – soi-disantes -
difficultés économiques des Régions, partenaires de la sncf, pour
ces opérations.
Dans
ce cadre, le patrimoine foncier appartenant à la sncf, ou à la rff
fait également l'objet de mise en vente ou de transactions avec les
villes, les Régions, dans des opérations
d'urbanisme placées sous le commandement d'un PPP, Partenariat
Public Privé. Un exemple significatif à Bruxelles, est l'opération
PPP pour la rénovation du quartier de la gare du Midi, à laquelle
nous avons consacré un article. Car ce ne sont pas seulement les
gares qui aujourd'hui sont soumises aux lois de l'urbanisme
capitaliste, mais bien leur environnement proche, leur espace
périphérique qui est constitué, le plus souvent, de vastes
terrains dédiés au stockage des trains, des voies de garage, au
formation des convois marchandises, d'anciens ateliers de réparation,
ateliers de maintenance, etc. Des terrains d'une valeur inestimable,
car souvent à proximité ou dans les centres villes mêmes, qui
appartiennent à l'Etat, via la SNCF et ses nombreuses filiales, RFF,
ICF, etc. Pour les promoteurs, les terrains en friche ou en passe
d'être reconvertis situés dans un rayon de mille mètres d'une
gare, SNCF, TGV, RER, sont aujourd'hui considérés comme un
véritable eldorado pour les grandes opérations immobilières. Pour
les dirigeants de la nébuleuses SNCF, et les maires, il est admit
que les pôles gares multimodaux doivent être des lieux d’habitat,
d’activité économique, de valorisation et de commerce. Ainsi par
exemple, le quartier Euralille dont le programme comporte une
nouvelle gare tgv accolée à un centre commercial.
Gares
& Connexions et AREP
Concernant
les gares, l'arrivée de capitaux privés, doit permettre leur
modernisation – une rénovation et/ou une extension - et de baisser
les coûts importants destinés à la maintenance et à l'entretien. Paradoxalement,
alors que le nombre d'usagers empruntant quotidiennement les gares
augmentent, les surfaces dédiées aux flux piétons, aux circulations, dans le cas des
gares rénovées, diminuent au profit des surfaces privées
commerciales ; ce qui conduit, à leur extension en surface, comme
notamment à Marseille Saint-Charles [1] et Strasbourg, ou en
souterrain, comme dans le cas de la Gare du l'Est et de la station Magenta.
Cette
mission, en oeuvre depuis quelques années, a été dédiée à une
nouvelle filiale de la SNCF, Gares & Connexions, créée
en 2009 pour gérer et développer les gares voyageurs du réseau
national, qui s'appuie sur deux filiales : A2C pour la
commercialisation des espaces en gare et l'agence d'architecture de
la SNCF, AREP (Architecture - Urbanisme - Ingénierie –
Design) filiale qui se superpose à la Direction de l'Architecture et
de l'Aménagement des Bâtiments, et sa filiale PARVIS (Assistance à
maîtrise d’ouvrage - Conduite d’opérations immobilières et
d’aménagement des gares). AREP [1] qui est en France, une des plus grandes agences d'architecture employant un peu moins de 500 salariés, plus d'une centaine d'architectes.
Le
Territoire de la mobilité exclusive
Rappelons plutôt l'excellent projet imaginé par plusieurs architectes dans les années 1980, défendant l'idée de déplacer les grandes parisiennes en périphérie, afin de re-générer certains quartiers : la gare du Nord à Saint-Denis, la gare d'Austerlitz à Ivry, etc. D'autres envisageaient sinon la relocalisation de grands musées, d'administrations, mais la construction de nouveaux sur ces mêmes territoires ; en considérant que Paris était déjà sur-équipé et se devait de partager ses richesses avec des communes plus pauvres, en tout cas démunies de ses précieux équipements, réceptacle des équipements techniques de Paris (autoroutes, cimetières, usines traitement des eaux, des déchets, voies de garage sncf, etc.). La Sncf refusa catégoriquement en arguant la rivalité entre le tgv et les compagnies aériennes, tandis que le maire, J. Chirac s'y opposa farouchement. Mitterrand abdiqua et préféra embellir la capitale plutôt que la périphérie.
Les
gares
Les
gares ainsi se transforment et deviennent de véritables
condensateurs des dérives de l'urbanisme, reflétant parfaitement
celles de nos sociétés : marchandisation des espaces, surveillance
généralisée, ségrégation et exclusion.
Des
dérives qu'ont observé Julia Z., dans un très bel article consacré à la gare du Nord paru sur le non moins excellent site Article 11 ainsi que les universitaires Hélène DANG VU et Hubert JEANEAU, dans un article présentant la commercialisation de trois gares parisiennes, paru dans la revue Espaces et sociétés.
Julia Z :
Hélène DANG VU et Hubert JEANEAU :
Claude Monet, Gare Saint-Lazare, 1877 |
NOTES
[1] Suite à notre article consacré au dissident chinois Ai Weiwei, nous avons eu des commentaires à propos de l'éthique des architectes ayant des contrats en Chine, qui est une des plus dures dictatures du monde, un pays pris en étau entre un communisme totalitaire et liberticide et un ultra-capitalisme fabriquant plus de pauvreté que de richesses. Nous soulignons donc que Arep collabore avec ses mêmes autorités et a construit de nombreux bâtiments en Chine.
[2]
L'incroyable exemple de la gare tgv de Marseille est surprenant :
l'extension est entièrement dédiée aux commerces et en-dehors de
la zone des circulations et d'attente connexes aux quais. De fait,
lors des jours de grande migration [vacances scolaires, jours fériés,
etc.] la foule se presse comme au bon vieux temps dans le même
espace stratégique pour une gare. A noter également, le scandale de la gare tgv d'Aix-en-Provence, bâtie à moins de 15 minutes de la gare Saint-Charles à Marseille sur la même ligne...
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