ZOOS HUMAINS


« Nous n’irons pas à l’exposition coloniale »
Les surréalistes, 1931

L’Année des outre-mer en eaux troubles au Jardin d’acclimatation à Paris
Par Siegfried Forster
Article paru sur RFI

En 2011, c’est l’Année des outre-mer en France. Le 9 avril s'ouvre une exposition sur les cultures ultramarines au Jardin d’acclimatation à Paris. 300 000 visiteurs sont attendus dans ce parc de loisir au cadre verdoyant, mais entre le théâtre de Guignol et le zoo des petits se cache une histoire très sombre. C’est ici qu’on exhibait des Nubiens en 1877, des Kali'na de Guyane en 1892 ou des « Kanaks cannibales » en 1931. Des voix s’élèvent pour protester contre la non-évocation de cette histoire douloureuse à l’exposition des cultures ultramarines dans ce lieu symbolique. L’historien Nicolas Bancel [1] parle d’une « coupable légèreté ». Ce spécialiste de l'histoire de la colonisation est le porte-parole du collectif Nous n’irons pas au Jardin d’acclimatation. Entretien.
1931                                                  2011


RFI : Pourquoi cette exposition Un Jardin en Outre-mer dans le cadre de l’Année des outre-mer au Jardin d’acclimatation représente un scandale pour vous ?
Nicolas Bancel : Je trouve tout à fait étrange que cette exposition ouvre en ignorant complètement que le lieu qui a été choisi pour l’exposition est précisément celui où étaient présentées des exhibitions ethniques, ce qu’on appelait les « zoos humains ». Et parmi les populations qui ont été présentées dans des conditions dégradantes, on trouve des populations d’outre-mer. Vous pouvez facilement imaginer l’émotion qu’a pu susciter la préparation de cette exposition et surtout le choix de ce lieu qui a été fait à mon avis d’une manière légère. Je ne suis pas contre l’exposition, mais je pense qu’il fallait faire un travail sur le lieu lui-même, puisque le lieu fait partie de l’histoire des outre-mer.

L’écrivain Daniel Maximin, le commissaire de l’Année des outre-mer, a déclaré qu’il était temps pour l’outre-mer de réinvestir ce Jardin d’acclimatation et qu’il que le présent pouvait permettre d’effacer ce passé. Vous y croyez ?
N.B. : On peut dépasser le passé une fois que le passé est assumé. Là, il ne s’agit pas d’une opération qui permet d’assumer ce passé. Il serait possible de dépasser ce passé par exemple en accompagnant l’exposition d’une action pédagogique, de débats ou de conférences sur l’histoire de ce lieu. Penser qu’on va dépasser le passé sans le comprendre ou en refusant de le voir, je pense que c’est une erreur.
Portrait des Kali'na, des Indiens de Guyane,
exhibés au Jardin d'acclimatation de Paris en 1892.


Aujourd’hui, le Jardin d’acclimatation est connu comme un lieu de détente, de plaisir, de loisir. Existe-t-il aujourd’hui une plaque pour rappeler cette histoire douloureuse des « zoos humains » ?
N.B. : Non, il n’y a absolument aucun renseignement qui est fourni aux visiteurs, ce que je trouve dommage. Je crois savoir que le ministère a décidé de poser une plaque à l’entrée du Jardin d’acclimatation. Ce que je trouve une bonne chose, mais je pense aussi que cette histoire des exhibitions ethniques et des « zoos humains » est encore mal connue et c’est pourquoi il est explicable que les organisateurs de l’exposition –comme d’ailleurs les dirigeants du Jardin d’acclimatation- l’aient ignorée. Ce n’est pas un reproche, c’est un constat. Maintenant, tout le monde est au courant. Il faut tenir compte de ce passé sans faire acte de repentance, c’est simplement faire acte de connaissance. Une fois la connaissance acquise, une fois le lieu reconnu pour ce qu’il a été, allons vers l’avenir.

La ministre des outre-mer, Marie-Luce Penchard, vous a reproché de vouloir détruire l’Année des outre-mer en France.
N.B. : La réaction de la ministre est excessive, parce qu’il ne s’agit pas d’une volonté de destruction de l’Année des outre-mer. Il s’agit au contraire de compléter quelques une de ces manifestations, particulièrement celle qui aura lieu au Jardin d’acclimatation, par un travail d’histoire qui concerne précisément les outre-mer.

La députée Christiane Taubira dénonce une programmation festive dans un lieu qui porte une forte charge symbolique. Il y a aussi d’autres élus de la Guyane qui se sont déclarés offensés par cette exposition au Jardin d’acclimatation. Aujourd’hui, quelle est l’ampleur de votre mouvement ?
N.B. : C’est un mouvement localisé. Les réactions concernent surtout des originaires des outre-mer qui peuvent se déclarer offensés du choix du lieu de l’exposition. Il ne faut pas oublier que par exemple le footballeur Christian Karembeu vient de sortir un ouvrage (Christian Karambeu, Kanak, éditions Don Quichotte, ndlr) où il rappelle l’histoire douloureuse de sa famille qui a été mêlée à un de ces spectacles exotiques qui étaient censés représenter des cannibales kanaks. Son arrière-grand-père était dans ce spectacle et il s’est produit à cet endroit. Mais ce n’est pas une histoire qui concerne seulement les outre-mer, elle nous concerne tous. Elle fait partie de cette histoire que nous avons entretenue depuis le début de la grande expansion coloniale, que nous avons entretenue avec nos possessions ultra-marines. C’est une histoire qui n’est pas toujours agréable à entendre, qui n’est pas toujours tissée de fleurs, mais c’est une histoire qui mérite notre attention. L’ignorer et ignorer ces réactions de blessure, c’est faire preuve d’une coupable légèreté.

Quatre représentants amérindiens ont accepté de se rendre au Jardin d’acclimatation pour présenter leur artisanat traditionnel. Ils se trompent ?
N.B. : Non, je ne veux mettre en cause personne. Ce n’est pas la manifestation en elle-même que je remets en question. Je pense qu’il est de la responsabilité des organisateurs de la manifestation et du ministère de tenir compte à la fois de ces réactions de blessure, parce qu’elles ne sont pas négligeables, et d’autre part de prendre en compte la totalité de l’héritage.

Il y avait récemment le film La Vénus noire, le livre Christian Karambeu, Kanak, vous avez édité en 2004 le livre collectif Zoos humains. Est-ce que cela a changé les mentalités ?
N.B. : Je pense que des choses ont changé. Le livre a eu un certain succès mais ce n’est pas comparable à l'impact du film, qui a vraiment marqué les esprits. Cela a aidé à prendre conscience de toute cette part de notre héritage culturel qui est celui des exhibitions ethniques et des « zoos humains » qui étaient un phénomène de très grande ampleur. On ne parle pas seulement de l’exhibition de la Vénus hottentote ou de quelques exhibitions au Jardin d’acclimatation. C’est un phénomène qui a touché l’ensemble de l’Europe occidentale, les Etats-Unis, qui a concerné des dizaines et des dizaines de troupes qui ont été vues par des dizaines de millions de spectateurs pendant plus d’un demi-siècle. C’est un phénomène massif et important sur le plan historique. Jusque l’an 2000, on n’en avait pas pris la mesure. Aujourd’hui, les historiens ont pris cette mesure-là qui rend l’initiative, un peu légère, de présenter cette exposition au Jardin d’acclimatation d’autant plus incompréhensible.

L’Année des outre-mer en eaux troubles au Jardin d’acclimatation à Paris
Par Siegfried Forster
Article paru sur RFI :

Via le site de Pierre Sarramagnan-Souchie :

MAYOTTE 2011 : bidonville-Kaweni 
NOUMEA, Nouvelle Calédonie 2011 : "squat" Kanak 
TAHITI 2011 : bidonville

NOTE
[1] Nicolas Bancel, historien, codirecteur du livre collectif "Zoos humains" (La Découverte, 2004), co-auteur de "Sud-Ouest, porte des Outre-mers" (éditions Milan, 2006) et porte-parole du collectif "Nous n’irons pas au Jardin d’acclimatation".

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