© Holger Trülzsch, 1984. La porte d'Aix, Marseille.
Marseille
photographiée en 1984 par Holger Trülzsch, sculpteur, musicien,
peintre, photographe et vidéaste, dans le cadre du programme de la
« Mission photographique » de la Délégation
interministérielle à l'aménagement du territoire et à
l'attractivité régionale (DATAR) [1].
Jean-Paul de Gaudemar, de la Datar, exprimait son point de vue sur la photographie de la porte d'Aix en chantier et plus largement sur l'urbanisation alors en cours à Marseille (extrait) [2] :
" Pour qui connaît Marseille, l'image est saisissante et porte sur l'un des points les plus névralgiques et les plus symboliques de la ville. A gauche, cette sorte d'arc de triomphe, c'est la porte d'Aix où surgit brutalement une autoroute, pénétrant jusqu'au coeur de la ville. Au-delà de cette porte commencent en somme la Provence et les Alpes puisque c'est la principale sortie de Marseille vers le nord. Au fond à gauche, on devine les "barres" des années 1960 construites à la va-vite pour accueillir les milliers de rapatriés d'Afrique du Nord qui se bousculaient sur le port.
A droite, au premier plan, un vieux quartier insalubre longe la rue d'Aix, une sorte de "Barbès" marseillais, depuis longtemps abcès de fixation du débat sur l'immigration maghrébine. Et ce réverbère moderne au premier plan laisse deviner que devant l'image s'est posé Trülzsch, la rénovation est déjà faite. Exact : là est maintenant le nouveau siège du conseil régional, symboliquement situé au centre névralgique de la ville, sur cette butte des Carmes qui fut si souvent dans l'histoire un des bastions ultimes de résistance, mais aussi à la porte de la ville vers le nord, c'est-à-dire le reste de la région non maritime.
Cette rénovation en marche donne le sentiment de contempler une ville qui vient d'être bombardée, une ville usée, fatiguée, au bout du rouleau, comme laminée par son propre territoire.
C'est probablement vrai, Marseille n'en finit pas de ne pas pouvoir faire son deuil de sa splendeur coloniale, de son long passé de ville-comptoir. Depuis sa fondation, elle a toujours paru tourner le dos à sa région et à son pays. On ne peut s'empêcher de penser qu'elle rumine toujours sa défaite contre César : un arc de triomphe posé au milieu d'un champ de ruines...
Marseille n'a pas choisi définitivement sa voie. La reconstruction du centre, oui, mais ensuite ? L’impulsion est donnée mais tout reste à faire, en particulier le passage d'une culture du replu sur soi et ses richesses passées à une culture du développement sur des bases nouvelles. Cette ville d'apparence si cosmopolite, habitée et parcourue depuis si longtemps par tant de populations différentes, identifiée si fortement à son port, est guettée par les fermeture sur elle-même, le repli sur les seuls voisinages de bon aloi, strictement déterminés socialement. Simultanément, l'économie rétrécit, l'industrialisation ancienne cédant la place à la friche ou au mirage des nouvelles technologies sans que le commerce ou les services n'atteignent le rythme de développement qui irait au-delà de simple compensation.
Tableau noir, sans nul doute. Mais le ville hésite entre le "lifting" et la réincarnation, entre le camouflage élégant de son usure ou la mutation douloureuse, risquée, celle qui passe par la remise en cause des équilibres les plus confortables, économiques, sociaux ou politiques.
Économiquement parlant, le dilemme se situe entre la poursuite du rêve d'une richesse arrachée ailleurs et rapatriée - la rente "coloniale" - et l'acharnement à promouvoir un développement endogène valorisé par d'importants échanges extérieurs.
Sans doute Marseille rêve-t-elle d'échapper à ce dilemme. Mais le rêve n'est pas encore la contrepartie fiévreuse de l'ambition. Il reste nostalgique du passé, nostalgie du lointain départ ou de l'arrivée-surprise. Marseille ou le rêve de l'Orient."
In Paysages Photographies. En France les années 80.
Editions Hazan, Datar, 1989.
Jean-Paul de Gaudemar, de la Datar, exprimait son point de vue sur la photographie de la porte d'Aix en chantier et plus largement sur l'urbanisation alors en cours à Marseille (extrait) [2] :
" Pour qui connaît Marseille, l'image est saisissante et porte sur l'un des points les plus névralgiques et les plus symboliques de la ville. A gauche, cette sorte d'arc de triomphe, c'est la porte d'Aix où surgit brutalement une autoroute, pénétrant jusqu'au coeur de la ville. Au-delà de cette porte commencent en somme la Provence et les Alpes puisque c'est la principale sortie de Marseille vers le nord. Au fond à gauche, on devine les "barres" des années 1960 construites à la va-vite pour accueillir les milliers de rapatriés d'Afrique du Nord qui se bousculaient sur le port.
A droite, au premier plan, un vieux quartier insalubre longe la rue d'Aix, une sorte de "Barbès" marseillais, depuis longtemps abcès de fixation du débat sur l'immigration maghrébine. Et ce réverbère moderne au premier plan laisse deviner que devant l'image s'est posé Trülzsch, la rénovation est déjà faite. Exact : là est maintenant le nouveau siège du conseil régional, symboliquement situé au centre névralgique de la ville, sur cette butte des Carmes qui fut si souvent dans l'histoire un des bastions ultimes de résistance, mais aussi à la porte de la ville vers le nord, c'est-à-dire le reste de la région non maritime.
Cette rénovation en marche donne le sentiment de contempler une ville qui vient d'être bombardée, une ville usée, fatiguée, au bout du rouleau, comme laminée par son propre territoire.
C'est probablement vrai, Marseille n'en finit pas de ne pas pouvoir faire son deuil de sa splendeur coloniale, de son long passé de ville-comptoir. Depuis sa fondation, elle a toujours paru tourner le dos à sa région et à son pays. On ne peut s'empêcher de penser qu'elle rumine toujours sa défaite contre César : un arc de triomphe posé au milieu d'un champ de ruines...
Marseille n'a pas choisi définitivement sa voie. La reconstruction du centre, oui, mais ensuite ? L’impulsion est donnée mais tout reste à faire, en particulier le passage d'une culture du replu sur soi et ses richesses passées à une culture du développement sur des bases nouvelles. Cette ville d'apparence si cosmopolite, habitée et parcourue depuis si longtemps par tant de populations différentes, identifiée si fortement à son port, est guettée par les fermeture sur elle-même, le repli sur les seuls voisinages de bon aloi, strictement déterminés socialement. Simultanément, l'économie rétrécit, l'industrialisation ancienne cédant la place à la friche ou au mirage des nouvelles technologies sans que le commerce ou les services n'atteignent le rythme de développement qui irait au-delà de simple compensation.
Tableau noir, sans nul doute. Mais le ville hésite entre le "lifting" et la réincarnation, entre le camouflage élégant de son usure ou la mutation douloureuse, risquée, celle qui passe par la remise en cause des équilibres les plus confortables, économiques, sociaux ou politiques.
Économiquement parlant, le dilemme se situe entre la poursuite du rêve d'une richesse arrachée ailleurs et rapatriée - la rente "coloniale" - et l'acharnement à promouvoir un développement endogène valorisé par d'importants échanges extérieurs.
Sans doute Marseille rêve-t-elle d'échapper à ce dilemme. Mais le rêve n'est pas encore la contrepartie fiévreuse de l'ambition. Il reste nostalgique du passé, nostalgie du lointain départ ou de l'arrivée-surprise. Marseille ou le rêve de l'Orient."
In Paysages Photographies. En France les années 80.
Editions Hazan, Datar, 1989.
Extrait d'un entretien de Holger Trülzsch accordé à Bernard Millet en 1988 :
Lorsque la Datar vous a proposé en 1984 de travailler pour la Mission photographie, votre choix s'est porté sur Marseille et sa région. Pourquoi ?
Je suis fasciné par cette ville dans laquelle tant d'artistes sont passés. De leur passage, il ne reste que des traces, des légendes et des dizaines de photographies. Beaucoup d'entre elles montrent des gens se disant adieu sur les quais et sur le pont des bateaux. J'ai choisi Marseille pour le souvenir de l'image de Duchamp quittant ses amis et n'emportant avec lui que son musée imaginaire, la boîte en valise. D'autres images m'ont également beaucoup touché. Les premières distorsions de Kertesz réalisées à Marseille ; Max Ernst et ses amis vendant leurs toiles accrochées aux platanes. A Marseille, je pense aussi à la détresse de Walter Benjamin.
Je suis venu dans cette ville avec toutes ces images en tête.
L'essentiel de mon travail a consisté à relier cette imagerie à toute une esthétique contemporaine présente à Marseille. Mais il fallait que je confronte également ma recherche à celles déjà effectuées par ces artistes qui m'ont précédé dans cette ville. C'était pour moi une recherche mnémographique.
Je me suis mis moi-même à la place de Wols errant sous la lumière crue de l'été. J'ai vu l'ombre des hauts murs qui divisait toujours les chemins étroits qui sillonnent les collines...
[...]
A Marseille, j'ai immédiatement envisagé mon travail dans une perspective précise. Je devais me confronter à un matériau qui me permettait de comprendre l'espace d'une façon différente que la peinture le permet. Mais avec les moyens de la photographie, avec la nécessité d'en dépasser l'utilisation classique. J'ai pu ainsi découvrir un code important me permettant de dérégler le jeu du médium. Il était donc nécessaire que je comprenne la règle pour parvenir à la dérégler. Mais tout cela prend du temps et je n'ai jamais éprouvé le désir d'aller trop vite. Je n'accepte pas d'être pressé. Il n'y a aucune nécessité de faire une exposition après l'autre."
In Catalogue d'exposition "Holger Trülzsch. Oeuvres récentes 1984 - 1988", 31 mars - 28 mai 1988, au centre de la vieille Charité, Marseille, édité en 1988.
Lorsque la Datar vous a proposé en 1984 de travailler pour la Mission photographie, votre choix s'est porté sur Marseille et sa région. Pourquoi ?
Je suis fasciné par cette ville dans laquelle tant d'artistes sont passés. De leur passage, il ne reste que des traces, des légendes et des dizaines de photographies. Beaucoup d'entre elles montrent des gens se disant adieu sur les quais et sur le pont des bateaux. J'ai choisi Marseille pour le souvenir de l'image de Duchamp quittant ses amis et n'emportant avec lui que son musée imaginaire, la boîte en valise. D'autres images m'ont également beaucoup touché. Les premières distorsions de Kertesz réalisées à Marseille ; Max Ernst et ses amis vendant leurs toiles accrochées aux platanes. A Marseille, je pense aussi à la détresse de Walter Benjamin.
Je suis venu dans cette ville avec toutes ces images en tête.
L'essentiel de mon travail a consisté à relier cette imagerie à toute une esthétique contemporaine présente à Marseille. Mais il fallait que je confronte également ma recherche à celles déjà effectuées par ces artistes qui m'ont précédé dans cette ville. C'était pour moi une recherche mnémographique.
Je me suis mis moi-même à la place de Wols errant sous la lumière crue de l'été. J'ai vu l'ombre des hauts murs qui divisait toujours les chemins étroits qui sillonnent les collines...
[...]
A Marseille, j'ai immédiatement envisagé mon travail dans une perspective précise. Je devais me confronter à un matériau qui me permettait de comprendre l'espace d'une façon différente que la peinture le permet. Mais avec les moyens de la photographie, avec la nécessité d'en dépasser l'utilisation classique. J'ai pu ainsi découvrir un code important me permettant de dérégler le jeu du médium. Il était donc nécessaire que je comprenne la règle pour parvenir à la dérégler. Mais tout cela prend du temps et je n'ai jamais éprouvé le désir d'aller trop vite. Je n'accepte pas d'être pressé. Il n'y a aucune nécessité de faire une exposition après l'autre."
In Catalogue d'exposition "Holger Trülzsch. Oeuvres récentes 1984 - 1988", 31 mars - 28 mai 1988, au centre de la vieille Charité, Marseille, édité en 1988.
Ressources en ligne :
© Holger Trülzsch
NOTE
[1] Selon le site dédié de la DATAR :
"A
l’occasion de ses vingt ans, la Délégation à l’aménagement du
territoire et à l’action régionale (DATAR, 1963
- 2014)
lance une vaste commande artistique de photographies ayant pour objet
de « représenter le paysage français des années 1980 ».
Cette initiative baptisée « La Mission photographique de la
DATAR » est avalisée par le Premier ministre lors d'une
réunion du Comité Interministériel à l'Aménagement du
Territoire, le 18 avril 1983. Le projet est annoncé publiquement en
1984 par Bernard Attali, alors Délégué à l’Aménagement du
Territoire et à l’Action régionale. Prévu pour une seule année
à l’origine, il va finalement durer jusqu’en 1989, sous la
direction conjointe de Bernard
Latarjet,
alors en poste à la DATAR, l’initiateur et le responsable de la
Mission, et du photographe François
Hers,
en charge de la direction artistique et technique. Il réunit les
travaux de vingt-neuf photographes, jeunes auteurs ou artistes
confirmés, français et étrangers.
Les
premiers résultats de la Mission sont dévoilés à la fin de
l’année 1985 dans une exposition qui présente les travaux des
quinze premiers photographes sollicités, et une partie des clichés
est publiée dans un ouvrage au titre explicite : Paysages,
photographies, travaux en cours, 1984-1985.
Ce catalogue se veut en effet n’être qu’ « un carnet
d'étape » d’un projet au long cours, l'exposition n'étant
elle-même que la présentation d'un « atelier provisoire ».
L’exposition, initialement installée au Palais de Tokyo à Paris,
va circuler en France et en Europe jusqu’en 1987.
Après
1985, la Mission continue son travail, avec l’arrivée de nouveaux
photographes ou pour certains, la poursuite des recherches déjà
initiées. La Mission se termine en 1989 avec l’édition d’un
second ouvrage, Paysages,
Photographies, 1984-1988.
Ce dernier constitue ainsi non pas une vision exhaustive des images
réalisées mais un bilan raisonné de ces années d’expérimentation
photographique et visuelle sur le paysage français."
[2] La porte d'Aix au début du 20e siècle :
A consulter, l'urbanisme selon le maire Defferre :
https://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.com/2018/11/marseille-gaston-defferre.html
[2] La porte d'Aix au début du 20e siècle :
A consulter, l'urbanisme selon le maire Defferre :
https://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.com/2018/11/marseille-gaston-defferre.html
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