Marseille | Résidence privée Roucas Blanc |
Fermeture résidentielle et politiques urbaines : le cas marseillais
À Marseille, la
fermeture résidentielle se caractérise ici par une intensité
exceptionnelle : 80 000 logements soit 19 % de l’ensemble
selon notre enquête. Elle demeure d’abord associée aux aires
socialement favorisées (quartiers du littoral sud) où elle atteint
48 % des surfaces urbanisées et jusqu’à 90 % des
logements dans les zones de grands ensembles aisés en copropriété
du sud de la ville.
Elisabeth
Dorier-Aprill
Isabelle
Berry-Chikhaoui
Sébastien Bridier
Articulo - Journal of
Urban Research | 2012
La spectaculaire
expansion mondiale des lotissements résidentiels fermés, sécurisés
– dont les espaces communs et équipements internes sont gérés de
manière privative – suscite l'attention depuis plus de vingt ans,
que cela soit sur le continent américain ou au-delà, notamment au
Moyen-Orient et Afrique du sud. La recherche s’est largement
focalisée sur les liens que cette expansion entretient avec les
inégalités sociales, les problématiques sécuritaires et sur le
fait que les enclaves résidentielles renvoient à des dynamiques de
territorialisation infra-urbaines marquées par des formes de
fragmentations sociale et gestionnaire. Grâce au travail d’un
réseau de recherche international peu à peu structuré en Europe,
on a pu suivre tant la diffusion mondiale de ce phénomène –
d’abord qualifié d’« américanisation » – que la progressive
banalisation sociale des fermetures et de leurs contextes. On
insistera davantage ici sur les travaux abordant la fermeture
résidentielle dans les villes françaises, objet d’un débat
scientifique, politique et médiatique dont les termes ont évolué
depuis une décennie.
Marseille quartier - alors populaire - de la Joliette-Arenc (périmètre Euromed) | Architectes : Yves Lion, Roland Castro (!) : l'accès est autorisé aux seuls résidents de cette nouvelle et vaste opération de promotion immobilière - ilôt M5.
Un
état de la question en France
En France, des formes
anciennes de lotissements résidentiels fermés de très haut niveau
ont préexisté à la diffusion mondiale du modèle des gated
communities, à l'image du Parc Montretout à Saint-Cloud, loti en
1832, des « cités » ou « villas » associées aux «
beaux-quartiers » parisiens ou aux résidences de luxe construites
dans des zones balnéaires. C’est la multiplication d’ensembles
résidentiels fermés de classes moyennes, au début des années 2000
dans les périphéries des villes françaises, qui interpelle
profondément les chercheurs français. Bien que le phénomène
consiste surtout en la prolifération de petits lotissements et
groupes de quelques immeubles enclos - sans qu’on puisse
généralement parler de « gated communities » –, le débat est
sensible. On peut l’interpréter en référence à une culture
politique jusqu’alors assez consensuelle dans le champ des études
urbaines françaises, portée par un certain idéal d’urbanité
républicaine où l’« intérêt général » dépasse la somme des
intérêts particuliers. La conception rousseauiste du « Contrat
social » continue à imprégner les représentations... au moins
celles des intellectuels et des analystes de la ville. Selon cette
grille de lecture, la privatisation de la circulation et de la
sécurité matérialisée par les enclosures porterait en germe la
multiplication de « sociétés partielles » (Rousseau 1762)
inégalitaires et centrifuges au sein des espaces urbains ainsi qu’un
délitement social et politique.
On peut comprendre
ainsi la tonalité d’« alerte citoyenne » des premiers essais qui
ont débattu cette problématique en France sur le thème de la «
sécession sociale » et de l’éclatement urbain. L'enclavement
résidentiel est alors décrit comme un processus « par lequel des
groupes s'approprient de manière exclusive des espaces où s'exprime
l'absence de référence à la société globale ». Les premières
études empiriques de la fermeture résidentielle en périphéries
urbaines (Paris, Lyon) s’intéressent aux stratégies sociales
d’évitement des quartiers « difficiles » s’articulant avec des
formes de refus de la différence sociale lorsque celle-ci est
spatialement proche. Selon cette lecture, la multiplication des
restrictions d’accès autour de certains lotissements pourrait
traduire une sorte de refus du « vivre ensemble » propre à
l’urbanité... La somme de comportements et d’aspirations
individualistes identifiée au sein des classes moyennes périurbaines
résidant en ensembles fermés traduirait une conception utilitariste
des institutions politiques territoriales et une pratique
contractuelle et révocable du groupe résidentiel gestionnaire de
son lotissement, totalement opposée à la notion de communauté. Ce
processus, sensible dans d’autres pays européens, est décrit par
Charmes sous le terme de « clubbisation ».
D’autres analyses
soulignent la diversité des mécanismes de la fermeture et refusent
une lecture déterministe du social par le spatial. Les analyses du
phénomène dans le contexte français ont considérablement évolué
depuis dix ans, à mesure que la tendance se banalise dans l’offre
immobilière, au point de devenir parfois incontournable pour les
accédants à la propriété. L’influence d’une offre commerciale
globalisée ainsi que le marketing politique et économique de la «
sécurité » apparaissent d’une importance primordiale,
susceptible de surdéterminer les choix des habitants, comme l’ont
montré les évaluations quantitatives sur les nouveaux « produits »
résidentiels fermés à partir d’annonces de promoteurs. Les
résidences fermées, qui incluent souvent des prestations
additionnelles à la sécurisation (parcs, équipements ludiques),
apparaissent comme un nouveau modèle et un créneau porteur de
l’immobilier résidentiel neuf, à destination de certaines
catégories d’accédants à la propriété et d’investisseurs .
Les travaux récents
sur la fermeture résidentielle en France entendent donc désormais
aborder ce phénomène dans sa complexité en considérant sa
banalisation sociale, une diffusion de plus en plus ubiquiste du
phénomène et la pluralisation de ses formes. Les auteurs
s’accordent pour relativiser les premières interprétations de la
tendance en terme de « privatisation » de la ville : ce sont des
espaces privés qui se ferment (et non des espaces publics qui se
privatisent). Il n’y a pas à strictement parler de «
privatisation » mais une tendance de plus en plus forte à la
restriction d’usages collectifs d’espaces privés.
On approfondira ici des
questionnements novateurs, mis en relief par des études conduites en
Île-de-France sur la position ambivalente des collectivités
territoriales face à la prolifération de ces formes résidentielles
et sur le rôle croissant des associations de copropriétaires ou de
riverains dans la gestion des espaces urbains. Elles s’inspirent en
partie d’analyses de lotissements périurbains en Californie, ou
encore d’opérations de renouvellement urbain aux USA qui montrent
le lien possible entre politiques de requalification de zones
péricentrales en difficultés à travers des partenariats publics
privés et fermeture résidentielle. Dans les contextes périurbains
d’Île-de-France, Le Goix suggère de prendre en compte les
contextes institutionnels dans l’analyse de la fermeture
résidentielle et d’interroger les logiques d’action des
différents partenaires de la production des espaces urbains (acteurs
publics, investisseurs fonciers privés, lotisseurs, etc.).
Le
choix d’une méthodologie empirique
Notre essai
d’interprétation de la fermeture résidentielle se fonde sur une
enquête directe de 3 années réalisée entre 2007 et 2010 sur
financement du Plan urbanisme construction architecture (PUCA), avec
un relevé systématique de terrain dans l’espace communal
marseillais.*
Nous avons considéré
comme « ensemble résidentiel fermé » (ERF) tous les groupes de
plus de 5 logements dont les parties communes extérieures (voirie
interne, espaces verts et parkings) sont cernées par des clôtures
et des portails verrouillés au moins la nuit et non traversables par
ceux qui n’y résident pas. Cette taille minimale peut sembler
faible, mais elle concerne une minorité de cas. La plupart des ERF
sont groupés, et ces grappes de petites résidences fermées
finissent par former des unités spatiales conséquentes. Plus de
1000 ensembles résidentiels, entourés d’espaces communs
clôturés-sécurisés et de voies fermées, ont été identifiés.
Une
approche politique
de
la fermeture résidentielle
à
Marseille
Les interrogations sur
le rôle des pouvoirs publics et la montée des partenariats publics
privés dans la fabrique et la gestion urbaines sont apparues
particulièrement pertinentes pour l’étude du cas marseillais. La
recherche était initialement centrée sur les enjeux sociaux et
sécuritaires de la fermeture. Mais très vite, face à l’ampleur
inattendue du phénomène, cette entrée s’est avérée
insuffisante.
En effet, la fermeture
résidentielle se caractérise ici par une intensité exceptionnelle
(80 000 logements soit 19 % de l’ensemble selon notre enquête). Le
phénomène, récent, se diffuse à l’ensemble du territoire
communal en devenant une norme (implicite) d’aménagement. Seuls 18
quartiers administratifs sur 111 ne contiennent aucun ensemble fermé
(notamment des quartiers de l’hypercentre). L’emprise spatiale
moyenne des ensembles résidentiels fermés, calculée à partir de
notre SIG, est de 8,5 %. Elle demeure d’abord associée aux aires
socialement favorisées (quartiers du littoral sud) où elle atteint
48 % des surfaces urbanisées (figure 1) et jusqu’à 90 % des
logements dans les zones de grands ensembles aisés en copropriété
du sud de la ville (figure 2). Dans cette ville où les contrastes
sociaux sont très marqués (écarts inter-déciles de 1 à 15 entre
les revenus médians marseillais), la dynamique d’enclosure est
inégale mais se banalise. Elle n’est plus l’apanage des zones
favorisées et prend des formes diverses (lotissements aisés de
villas, grands immeubles en copropriété, petits ensembles
pavillonnaires, habitat social résidentialisé, etc.), plus ou moins
étanches.
Figure 1 : Surface des quartiers occupée pas les résidences fermées en 2009
Figure 2 : Taux de
logements dans une résidence fermée par quartier en 2009
En analysant la
chronologie de la fermeture (figure 3), on constate un développement
majoritaire et spectaculaire d’enclosure ex-post de rues et de
résidences préexistantes, souvent anciennes (60 % des ensembles
inventoriés). Cette fermeture récente et massive d’espaces
demeurés accessibles jusqu’aux années 2000 se combine à la
construction de nouveaux ensembles résidentiels fermés parfois
situés au sein de périmètres de projets publics. Cette double
dynamique – qui tend à se poursuivre d’après nos sondages dans
plusieurs quartiers en 2012 – interroge particulièrement la
position passée et actuelle de la municipalité, ses logiques
politiques de production, de gestion et de renouvellement de l’espace
urbain. Dans quelle mesure la forte diffusion de la fermeture
résidentielle constitue-t-elle un résultat assumé de politique
publique, un effet pervers non planifié, un processus mal compris ou
peu anticipé ?
Nous avons formulé
l’hypothèse d’un double rôle, passif (laisser-faire) et actif,
des pouvoirs publics dans la diffusion du cloisonnement dans des
quartiers qui présentent des profils socio-économiques différents.
Plus précisément, nous avons interrogé la part des héritages
fonciers dans la fermeture résidentielle en soulignant le rôle
historique de la Ville de Marseille dans la constitution d’une
forme urbaine facilitant aujourd’hui les fermetures. Nous
questionnons aussi la position actuelle de la municipalité, son
laisser-faire ainsi que son engagement dans des politiques urbaines
qui semblent participer fortement, en synergie avec les stratégies
immobilières, à la fabrique du cloisonnement résidentiel. Dans
quelle mesure le processus de fermeture, qui connaît une diffusion
particulièrement forte dans la deuxième commune française,
n’est-il pas l’avatar d’une stratégie urbaine globale de «
renaissance d’une ville perdante », tel que cela a pu être
analysé par ailleurs pour les phénomènes (les politiques) de
gentrification ou d’internationalisation de la ville ?
Figure 3 :
Comparaison des périodes de construction et de fermeture
Les
héritages d’un urbanisme
de
lotissements et de copropriétés privées
La spécificité du
contexte foncier marseillais, finement analysé par la thèse
magistrale de Roncayolo, nous a incités à resituer les dynamiques
de fermeture dans le temps long de l’histoire sociale urbaine. La
genèse de ces dynamiques est ancienne et renvoie tout autant à
l’histoire des relations entre pouvoirs publics et opérateurs
fonciers qu’aux seules initiatives des multinationales de
l’immobilier et des évolutions néolibérales.
Le
laisser-faire public :
une
posture municipale historique
Un retour sur
l’histoire foncière de Marseille aux XIXe et début du XXe siècle
(et ses mécanismes politiques) éclaire en effet les évolutions
contemporaines vers l’enclosure ex post des ensembles résidentiels
et la fermeture de voies. Comme le montre Roncayolo, la position
historique de la municipalité dans la production des espaces
résidentiels s’est illustrée par des stratégies libérales de
laisser-faire, sans doute plus que dans d’autres grandes villes
françaises. Cette production a été dominée depuis le début du
XIXe siècle par des dynamiques de morcellement et de viabilisation
d’un parcellaire rural (notamment celui des bastides, grandes
propriétés bourgeoises) par des propriétaires terriens ou des
sociétés financières. Les initiatives des propriétaires
lotisseurs sont dispersées, et, selon Roncayolo, « s’émiettent
parfois aux dimensions d’une seule propriété et de ce fait
partent en tous sens ». La Ville impose aux propriétaires
lotisseurs « de percer les voies, de supporter les frais de premier
établissement de pavage et d’éclairage, d’édification des
trottoirs et d’écoulement des eaux ». Au conseil municipal, la
tolérance l’emporte concernant le tracé de ces voies, parfois
discontinues : « si la ville concourait on aurait le droit d’être
rigoureux, mais ne concourant pas, on ne peut pas imposer aux
intéressés de faire des ouvertures sur d’autres propriétés
privées... ». Au cours du vingtième siècle, les mêmes principes
de lotissement au gré des opportunités restent en vigueur.
Les héritages de cette
histoire urbaine, qui donne une place prépondérante aux acteurs
privés, se lisent donc dans la juxtaposition de lotissements anciens
situés aujourd’hui en cœur d’agglomération. Dans leur version
la plus bourgeoise, de vastes résidences de luxe héritières des
bastides du XIXe siècle occupent jusqu’à la moitié de la surface
des « beaux quartiers » de la colline Périer et du Roucas Blanc
(figure 4). Des répliques récentes de ce modèle prestigieux lié à
un cadre de vie privilégié et à de larges espaces verts tendent à
se diffuser dans les interstices non bâtis du littoral sud.
Figure 4 : de 1934 à
2010 : bastides, lotissements ruraux et ensembles résidentiels
fermés contemporains
Dans les quartiers de
classes moyennes aisées du sud/sud-est de Marseille, la fermeture de
ces lotissements anciens s’impose comme un mode d’aménagement
dominant (de 30 % à 90 % des logements). Le processus de fermeture
est facilité juridiquement par le statut demeuré privé des voies
ou leur non-classement par la ville. Les co-lotis, structurés en
associations syndicales libres (ASL), étaient supposés céder
gratuitement leur voirie. Mais, depuis un siècle, les municipalités
successives sont réticentes à les reclasser en domaine public, ce
qui imposerait de prendre en charge leur entretien. Nous avons
analysé en détail les demandes de reclassement de voies formulées
depuis les années cinquante par plusieurs ASL, et qui n’ont jamais
abouti. On constate en revanche des accommodements avec la Ville,
sous forme de subventions d’entretien de voirie, réseaux ou
ramassage des ordures, négociées au cas par cas.
La logique de fermeture
est similaire pour les très grandes copropriétés collectives
construites dans ces mêmes secteurs dans les années 1960 pour
accueillir les rapatriés d’Algérie et dont certaines présentent
des équipements internes (présence de commerces ou de services
publics). Le maillage de voirie publique y est faible, les immeubles
ont été conçus avec des architectures largement ouvertes sur les
voies principales, mais leur voirie interne est demeurée privée.
Tolérance
et retraits publics actuels
D’un point de vue
technique, la fermeture peut être facilitée par des configurations
de voies en boucle et en peigne. Mais ce n’est pas toujours le cas.
La morphologie initiale des lotissements, ou des grandes copropriétés
des années soixante, très connectées aux voies de circulation
automobile, n’est pas toujours favorable à la fermeture. Celle-ci
nécessite alors des aménagements spécifiques dans l’espace
(multiplicité des portails véhicules et portillons piétons) et
dans le temps (horaires d’ouverture partielle la journée). Ces
aménagements induisent des surcoûts importants qui dénotent une
forte motivation collective des copropriétaires, mais aussi un
laisser-faire public.
Parmi ces dispositifs,
beaucoup ont pu en effet être réalisés, selon nos enquêtes, sans
demande d’autorisation de travaux : la commune de Marseille a fait
preuve d’une large tolérance face à ces pratiques, dans un
contexte de difficultés financières où elle tend à restreindre de
plus en plus son champ d’intervention sur les espaces. Comme dans
d’autres communautés urbaines françaises, la position de la
communauté urbaine Marseille Provence Métropole créée en 2002 est
aussi de ne pas reclasser les voies étroites des nouveaux
lotissements dont la morphologie dénote un usage interne, ce qui
encourage les dynamiques de fermeture peu après la construction.
Depuis les années 90, les confins ruraux nord-est marseillais ont
fait l’objet de zonages d’aménagement qui ont favorisé les
lotissements de vastes tènements ruraux sous forme d’ensembles
pavillonnaires. Ceux-ci ont conservé leur voirie privée (refus de
la commune de les intégrer), ce qui leur a permis de se clôturer
massivement a posteriori lors des 10 dernières années (Mont Riant,
Les Olives). La fermeture des lotissements, en imposant des détours
d’un lieu à l’autre, accentue le « tout automobile » qui est
ici nécessaire pour les déplacements quotidiens. Et le tout
automobile accentue à son tour la demande de parkings clôturés.
On observe toutefois
une prise de conscience publique, très récente, de difficultés
liées à la fermeture de voies privées. La généralisation de la
fermeture en supprimant les connexions entre lotissements ou
résidences pose en effet des problèmes de circulation automobile,
de mobilités de proximité et d’accès à certains secteurs par
les services de sécurité (lors d’un incendie dans les quartiers
sud en 2009, les Marins-Pompiers ont été gênés par les clôtures
des voies d’accès aux résidences).
Les
nouvelles résidences fermées,
outils
d’une stratégie volontaire de
«
renaissance urbaine » ?
Au-delà du
laisser-faire évoqué ci-dessus on observe aussi – peut-être même
au premier plan des facteurs explicatifs de la diffusion de la
fermeture résidentielle à Marseille – des synergies fortes entre
les stratégies immobilières fortement spéculatives de la dernière
décennie et les stratégies d’action municipale en matière
d’aménagement urbain et de logement.
Parmi le millier
d’ensembles fermés que nous avons inventoriés sur le terrain, 255
résidences ont été construites depuis 2000, la plupart d’entre
elles conçues fermées. Les promoteurs (essentiellement des majors
internationaux) jouent évidemment un rôle essentiel dans la
définition économique, le marketing et la diffusion de ces nouveaux
produits où l’architecture, la voirie, la disposition des parties
communes ont été pensées pour la fermeture. Cette production
coïncide à Marseille avec un effet de bulle foncière et
immobilière alimentée par une spéculation sur l’effet TGV (train
à grande vitesse plaçant Marseille à 3 h de Paris) et celui de
grands programmes publics d’aménagement (Euroméditerranée). Elle
se traduit par un rattrapage spectaculaire des prix immobiliers entre
la fin des années 90 et le début des années 2000. La géographie
de cette offre fermée récente à Marseille renvoie tant aux
logiques traditionnelles du logement dans les beaux quartiers (sud)
qu’aux recompositions actuelles des territoires urbains dans les
quartiers nord qui offrent des prix relativement bas, des
exonérations fiscales et de belles opportunités environnementales.
Cependant, les nouveaux
programmes immobiliers, notamment fermés, ont été soutenus par une
politique municipale volontariste qui cherche à fixer et à drainer
des catégories sociales solvables et imposables en donnant la
priorité au « logement de qualité », terme récurrent dans le
discours des élus, et qui constitue un enjeu du débat politique
local. Il y a donc convergence entre les stratégies immobilières et
les priorités municipales.
Une
politique municipale volontariste
Depuis une quinzaine
d’années, malgré la précarité des finances municipales liée
entre autres aux faibles rentrées fiscales, la municipalité conduit
une politique active, qu’on peut assimiler au paradigme de la
renaissance urbaine qui entend sortir la ville du « déclin »,
économique, social et financier, attirer des catégories sociales de
cadres supérieurs, la positionner comme une métropole européenne
de l’arc méditerranéen. Par renaissance urbaine, Smith souligne
le passage de politiques urbaines sectorielles dans les années 1980
à des « stratégies urbaines globales » prenant la forme de «
véritables programmes » à partir des années 1990. Ces stratégies
se mettent en place dans un contexte de concurrence économique
accrue entre les villes sur la scène mondiale et d’injonction à
la métropolisation. Elles favorisent l’investissement privé
souvent sous la forme de partenariats publics-privés comme un levier
majeur de la requalification urbaine. Si les travaux interrogeant la
requalification urbaine éclairent particulièrement bien les
processus de gentrification en quartiers anciens, et les politiques
publiques qui les confortent, nos enquêtes à Marseille montrent
que, dans cette ville, la « renaissance » passe aussi, depuis 15
ans, par un soutien actif de la municipalité à la réalisation de
programmes immobiliers fermés. En effet, de nouveaux ensembles
sécurisés se multiplient au sein même des périmètres
d’intervention publique, dans le cadre de partenariats
publics-privés. D’autres bénéficient de désengagements fonciers
de la Ville qui cède des terrains de gré à gré. Les exemples ne
manquent pas de ventes de parcelles communales dispersées,
inutilisées ou délaissées, pour faciliter certaines opérations
résidentielles qui aboutissent à des produits fermés, parfois de
prestige, et de niveaux de prix tendanciellement plus élevés que
ceux de leur environnement.
Si la diffusion de
produits immobiliers fermés standardisés est largement attribuable
aux promoteurs, les actions de la municipalité sur le plan de la
politique du logement favorisent ici clairement le développement de
ce type d’offre selon une double logique territoriale : le
renforcement du parc de logements de qualité des secteurs déjà les
mieux dotés de la ville et la requalification ou reconquête des
zones dévalorisées.
Le
renforcement des secteurs privilégiés
La dynamique de
construction de nouveaux programmes immobiliers fermés dans une
couronne proche des secteurs les mieux dotés, au sud de la ville,
renforce leur image positive et une composante sociale aisée. Ainsi,
l’implantation récente de nouvelles résidences clôturées se
réalise de manière de plus en plus systématique dans les
interstices non bâtis du bord de mer en valorisant notamment des «
délaissés » du domaine public ou des parcelles du domaine privé
communal. Des terrains communaux ont été déclassés et cédés de
gré à gré ou inclus dans des périmètres de Zones d’aménagement
concerté (ZAC) visant des opérations fermées de luxe. Elles
s’inscrivent dans la cohérence d’un projet territorial dont les
enjeux sociaux restent officieux, bien que clairement explicités par
les élus dans la presse ou en délibérations de conseil municipal :
pour un « Littoral sud » de prestige, drainant des habitants à
pouvoir d’achat élevé.
Ce projet est élargi
aux franges dévalorisées des quartiers sud, sur certains
territoires à fortes aménités environnementales, en direction du
massif des calanques, par exemple dans une ZAC située au voisinage
d’une cité de logement social implantée au début des années
1970. La promotion immobilière fermée parvient à attirer ici des
classes moyennes dans un environnement social réputé difficile
comme premier élément d’une possible reconquête.
Le
développement d’une offre nouvelle
en
direction des classes moyennes
supérieures
sur des secteurs ouverts
récemment
à l’urbanisation
Le projet est récurrent
depuis 20 ans de faire émerger, aux marges non bâties des
arrondissements populaires du nord de Marseille, des polarités
résidentielles de qualité autour d’anciens noyaux villageois «
typiques », de nouveaux parcs d’activités tertiaires ou de
réseaux de transports nouveaux. La moitié des 700 hectares
d’espaces ruraux ouverts à l’urbanisation par la révision du
Plan d’occupation des sols (POS) en 2000 est située dans ces
périphéries nord, non loin des grandes cités HLM qui y sont
concentrées.
Dans ces nouveaux
espaces destinés aux classes moyennes, l’emprise des ensembles
résidentiels fermés s’est fortement affirmée au sein même des
périmètres d’urbanisme publics (Sainte Marthe, technopole de
Château Gombert). Il s’agit principalement de programmes conçus
et construits fermés, commercialisés au cours des dix dernières
années et qui témoignent de la diffusion de produits génériques
(lotissements pavillonnaires, petits collectifs) par les majors de
l’immobilier. On assiste ainsi à la formation de grappes de
petites résidences étanches entre elles (plus d’une centaine
répertoriées), entre technopole, « villages urbains » et espaces
verts. Les opérateurs (aménageur public et promoteurs) ont
anticipé, avec un indéniable succès d’attractivité, la demande
de certaines catégories sociales. Les résidents sont de jeunes
ménages avec enfants et au moins deux voitures. Ces secteurs
lointains sont mal desservis en transports en commun, accentuant le
besoin de motorisation et d’espaces de stationnement. Les
logements, spacieux, sont dotés de terrasses, de vue sur des espaces
verts communs protégés très réglementés et de larges espaces
pour les parkings sécurisés. Ces résidences constituent ainsi de
larges enclaves de classes moyennes de niveau de vie homogène à
proximité d’un environnement social populaire.
Les créations de
produits fermés à l’intérieur de périmètres d’urbanisme
municipal permettent à la ville d’asseoir ses stratégies de
développement, d’internationalisation et de marketing territorial,
tout en se déchargeant de l’amortissement – en particulier de la
gestion de la voirie et des espaces verts – sur les investisseurs,
les acquéreurs regroupés en associations syndicales et les
usagers-résidents. L’enclosure et le gardiennage, prévus ex-ante
et inclus d’emblée dans les charges locatives, visent clairement à
circonscrire le rôle de la collectivité : il s’arrête au portail
de ces résidences.
Figure 5 : Les
programmes immobiliers fermés 2008 et les périmètres d’action
publique
La
revalorisation des quartiers populaires :
la
clôture pour introduire la mixité sociale ?
La fermeture devient
aussi une nouvelle norme d’aménagement au sein des territoires les
plus paupérisés de Marseille, prioritaires de la « politique de la
ville », que ce soit à travers des ZAC, des périmètres
d’opération de réhabilitation ou des Zones urbaines sensibles
(ZUS), dont celles conventionnées avec l’Agence nationale pour la
rénovation urbaine (ANRU). Elle est présentée, dans ces secteurs,
comme un des moyens de favoriser la mixité sociale.
L’idée n’est
certes pas nouvelle de soutenir à travers les politiques urbaines
l’arrivée des classes moyennes dans les quartiers populaires. Elle
s’est même renforcée au cours des deux dernières décennies en
lien avec la consécration progressive de la mixité sociale par la
législation française sur le logement, la lutte contre les
exclusions et le renouvellement urbain. Pourtant les études
scientifiques interrogent largement les ambiguïtés et les paradoxes
de ces politiques de mixité. Elles soulignent notamment leur
réalisation aux dépens des catégories populaires, soumises à des
pressions immobilières nouvelles dans les quartiers populaires.
Dans les quartiers
centraux paupérisés, la « renaissance urbaine, » promue par la
Ville de Marseille, est soutenue par l’État à travers le projet
Euroméditerranée démarré en 1995. La perspective de reconquête
sociale par les classes moyennes supérieures se réalise à travers
un ambitieux programme de réhabilitation de l’habitat et de
reconversion des friches urbaines, le développement d’un quartier
d’affaires, la construction de grands équipements d’infrastructure
et culturels et le recours à des architectes de renom. La dimension
de marketing urbain de ce projet n’est plus à démontrer, il vise
bien la compétitivité territoriale et l’internationalisation de
la ville.
L’apparition
d’ensembles résidentiels fermés dans le cadre de ce grand
programme public Euroméditerranée (affectant des espaces paupérisés
et des friches urbaines ou industrielles entre le port, les docks et
la gare) est ici liée à la restructuration d’îlots anciens,
inscrits dans la trame historique du quartier. Le renouvellement
urbain s’appuie entre autres sur la création d’ensembles
d’immeubles organisés autour de patios ou jardins privatifs
clôturés sur lesquels l’Etablissement public Euroméditerranée a
largement communiqué. Deux de ces îlots anciens rénovés,
d’architecture soignée et destinés aux classes moyennes, ont fait
l’objet d’une importante médiatisation, car ils contiennent une
petite proportion de logements sociaux. Ils sont clôturés de
manière étanche. L’un d’entre eux, créé en 2009 dans une ZAC,
inclut même une ancienne voie publique communale partiellement
déclassée afin d’être transformée en allée centrale pour la
résidence et fermée de grilles (figure 5). La dynamique de
fermeture est toutefois faible dans ces secteurs de trame urbaine
ancienne en comparaison avec ce qui se passe dans d’autres
quartiers. L’attraction des catégories moyennes ou moyennes
supérieures y est davantage soutenue par les grosses opérations de
réhabilitation de l’habitat et de reconversion fonctionnelle des
friches urbaines.
Figure 6 : Ilots
fermés M5 et M1 dans le périmètre « Euroméditerranée »
Marseille | Ilot M5 | Architectes : Yves Lion, Roland Castro
En périphérie
populaire, les « quartiers nord » de Marseille regroupent les
principales ZUS de la ville organisées, depuis le lancement du
Programme national de rénovation urbaine (PNRU) (2004), en
territoires de projet faisant l’objet de conventions avec l’ANRU.
Ce sont les territoires par excellence de la « politique de la ville
» de Marseille, qui, depuis la fin des années 1970, tente de
remédier au malaise urbain dans les grands ensembles de logements
sociaux de l’après-guerre.
Dans ces quartiers
socialement dévalorisés et très stigmatisés, mais dotés de réels
potentiels environnementaux (vue sur la mer, exposition), la
fermeture résidentielle prévue pour rassurer les candidats à
l’installation, met en scène la prévention ou le cantonnement des
incivilités redoutées. Elle est conçue comme un argument
commercial pour attirer les acheteurs potentiels, qu’ils viennent
d’autres quartiers pour accéder à la propriété à moindre coût
ou proviennent eux-mêmes des cités HLM voisines, dans une
trajectoire d’accession à la propriété.
Pour la municipalité,
la fermeture participe donc pleinement au renouvellement urbain et à
la mixité sociale, en attirant les classes moyennes aux abords des
cités d’habitat social et des grandes copropriétés dégradées.
Elle se réalise selon deux logiques principales.
D’une part, à
travers des programmes fortement standardisés de résidentialisation
de l’habitat social lui-même. Comme dans les autres villes
françaises, ils se sont intensifiés avec le PNRU. Ces enclosures
(plus symboliques que véritablement étanches) visent depuis la fin
des années 90 à clarifier les statuts entre espaces privés et
publics et donc les responsabilités entre ville et bailleurs sociaux
pour la gestion de proximité, mais aussi la sécurisation et la
responsabilisation des habitants.
D’autre part, la
fermeture se diffuse à travers la création privée de nouveaux
programmes immobiliers clôturés dans et aux marges des périmètres
ANRU. Rentrant pleinement dans les objectifs partagés de la ville de
Marseille et de l’État français de favoriser la diversité de
l’habitat dans ce type d’espace et d’y introduire la mixité
sociale tant désirée en attirant des classes moyennes, ces
opérations sont dynamisées par toute une série d’avantages
financiers et fiscaux (comme la TVA minorée à 5,5 %, des
allègements de taxe foncière pour les acquéreurs) et bénéficient
d’une publicité soutenue…
Si la dynamique
immobilière privée aux marges des projets ANRU est loin d’être
spécifique à Marseille (ANRU 2010), elle prend spectaculairement
ici les atours de la fermeture résidentielle. En 2009, lors de la
venue du premier ministre François Fillon, le programme de visites
organisé par la municipalité comporte le chantier des Terrasses de
la Méditerranée, nouvel ensemble résidentiel « fermé et sécurisé
» avec vue panoramique sur la baie de l’Estaque, juxtaposant
villas avec jardins, petits collectifs et 20 % de logements sociaux.
Construit sur un terrain communal vendu spécialement à un
promoteur, il jouxte le grand ensemble de logement social en
restructuration de Plan d’Aou. Il est proche aussi de plusieurs
autres grandes cités HLM très démunies de Marseille, et situé au
cœur d’un de ses périmètres ANRU.
Ce projet a été très
controversé par l’opposition municipale, les associations et même
plusieurs organismes publics, au nom de la « privatisation de la vue
» et parce qu’il contrecarrait un projet antérieur de parc
belvédère public (figure 7). En revanche, il a été fermement
défendu et médiatisé par la municipalité. Il est même devenu
l’emblème de sa politique de revalorisation sociale des quartiers
populaires, à travers une politique de « logement de qualité »
supposé générer de la mixité sociale « par le haut ». Cette
initiative a d’ailleurs déclenché une dynamique de fermetures
ex-post et la création de nouvelles résidences closes dans le
secteur.
À Marseille,
l’argument de la mixité sociale justifie et banalise donc aussi la
fermeture résidentielle dans les quartiers populaires en
requalification. Mais la juxtaposition spatiale d’ensembles de
qualité architecturale et de niveaux sociaux inégaux séparés par
des clôtures est-elle susceptible de générer de la cohésion et de
la solidarité urbaine ? Il importerait d’en évaluer précisément
la pertinence, l’efficacité et les effets pervers éventuels, en
particulier les tensions de voisinages entre « ceux qui s’enferment
» et leurs riverains. Nos premières observations menées en
2010-2012 dans ces nouvelles résidences fermées proches de cités
paupérisées suggèrent plutôt une faible intégration des
résidents des ensembles fermés à la vie de ces quartiers et de
nouvelles tensions de voisinage.
Figure 7 : Les
nouvelles résidences fermées d’une périphérie populaire en
2010. Plan d’Aou et ses environs (Quartiers nord, XVe
Arrondissement de Marseille)
Conclusion
La fermeture
résidentielle à Marseille se caractérise donc par son intensité
(quasiment 20 % du total des logements de la commune) et son emprise
spatiale très forte dans certains quartiers (plus de 40 % de leur
surface urbanisée) où elle forme des agrégats infranchissables.
Elle se diffuse en prenant des formes extrêmement variables
(lotissements, résidences collectives, grandes copropriétés, cités
d’habitat social, etc.), qu’il s’agisse de clôtures ex post,
majoritaires, ou de produits immobiliers conçus fermés.
Le cas marseillais
analysé ici révèle l’importance qu’il y a à explorer les
mécanismes politiques de la fermeture et les nouvelles formes du «
transfert de la responsabilité d’urbaniser », car le rôle de la
municipalité – soit par défaut, soit de manière volontariste –
semble important pour expliquer cette forte dynamique. Le double
mouvement de laisser-faire et d’engagement volontaire semble bien
participer d’une stratégie libérale mise en œuvre à Marseille
depuis maintenant quasiment deux décennies pour mener, sans moyens
financiers, un double projet de « renaissance urbaine » et de «
compétitivité territoriale ».
Il s’agit là d’un
modèle libéral revendiqué pour le développement des espaces
résidentiels dont on observe différentes déclinaisons, en premier
lieu à travers les réalisations immobilières de prestige
encouragées et aidées par la municipalité, en particulier pour
renforcer les secteurs aisés déjà socialement valorisés et bien
dotés au sud de la ville. Par ailleurs, dans sa stratégie actuelle
pour attirer les classes moyennes supérieures – et des taxes
foncières –, la fermeture résidentielle est utilisée comme un
outil de valorisation foncière et d’attractivité au sein des
périmètres municipaux d’aménagement urbain (ZAC) ou dans ceux de
la politique de la ville, au nom de la diversité de l’habitat et
de la mixité sociale (ZUS et projets ANRU).
Dans tous les cas, les
stratégies spéculatives des promoteurs-constructeurs convergent
bien avec les stratégies territoriales des élus, même si aucun ne
se déclare jamais explicitement favorable à la fermeture. Il semble
néanmoins clair que la diffusion de la fermeture résidentielle peut
se comprendre par rapport au projet de politique urbaine. Les
synergies libérales entre projet public territorial et offre
immobilière fermée dans un contexte de ville désindustrialisée,
perdant des habitants et en difficulté financière, résorbent le
fameux dualisme introduit par D. Mangin entre « urbanisme de produit
» et « urbanisme de projet ».
Cependant, l’analyse
de la géo-histoire des espaces marseillais nous amène à dépasser
la vision du cloisonnement résidentiel comme une rupture brutale
d’un modèle urbain idéal. L’héritage historique d’un
urbanisme ancien de lotissements peu ou mal reliés entre eux avec la
persistance d’une voirie privée ou aux statuts mal identifiés
dans un contexte de faible régulation publique, facilite pour partie
les processus récents et majoritaires de fermeture ex post. Sans
pour autant minimiser les mécanismes politiques actuels, il importe
donc d’interroger aussi dans son historicité la dynamique
observée. L’analyse approfondie d’archives cadastrales, celles
des règlements de lotissements et de copropriétés aurait sans
doute beaucoup à apporter, dans nombre d’autres villes, à
l’analyse des processus actuels d’enclosure urbaine, que l’on a
peut-être trop tendance à attribuer aux seules dynamiques
contemporaines...
L’aménagement du
territoire marseillais et sa planification se trouvent aujourd’hui
au cœur des interrogations des services d’urbanisme sur la
fermeture résidentielle et ses externalités négatives.
L’enclavement résidentiel commence à être perçu comme un
problème en termes de double fragmentation, spatiale et sociale,
contradictoire avec les nouvelles directives territoriales
d'aménagement et de développement durables de la loi Grenelle II
(continuités urbaines, mobilités douces). La banalisation du
cloisonnement de l’espace par les dispositifs de fermeture,
initiatives des promoteurs, des résidents, tolérés par certaines
mairies d’arrondissement, remet en question certains projets
d’échelle plus globale. Il impose des détours aux circulations,
restreint les cheminements de proximité, limite la traversabilité
des quartiers et l’accessibilité aux équipements collectifs et
accroit l’usage de l’automobile. Les services techniques de la
ville et l’agence d’urbanisme de l’agglomération ont commencé
à s’en préoccuper (2011-2012) dans le cadre de l’élaboration
actuelle du SCOT (schéma de cohérence territoriale) et du plan
local d’urbanisme. Toutefois, reprendre le contrôle d’une
dynamique de fermeture aussi intense est désormais d’une extrême
complexité, à la hauteur de celle des mécanismes qui la fondent, à
l’intersection du politique, du social et de l’économique, en
lien avec l’histoire urbaine.
NOTE
* L’objectif était
de fonder quantitativement une analyse des enjeux territoriaux
multiples de la fermeture résidentielle et de sa chronologie.
L’approche est originale en France où les analyses du phénomène
reposent, d’une part, sur des monographies résidentielles, d’autre
part, sur l’exploration des sites internet des promoteurs afin de
quantifier et d’analyser l’offre en cours de commercialisation à
l’échelle nationale. À l’étranger, les études fondées sur
inventaires exhaustifs de terrain, sans pré-sélection de contextes,
sont également très rares. Leur géolocalisation dans un SIG a
permis de les typifier selon leur statut et niveau de fermeture, mais
surtout de les replacer dans leur contexte, de vérifier leur statut
foncier et de mesurer l’intensité de leur emprise (en surface
urbaine occupée, en proportion du nombre de logements). Une
collaboration avec la Direction de l’urbanisme a permis la
confrontation à d’autres informations administratives,
historiques, cadastrales, fiscales, socio-économiques, politiques
(tracé et statut des voies, analyse des documents et projets
d’urbanisme des 10 dernières années, dépouillement des
comptes-rendus de conseils municipaux concernant le logement et les
zones d’urbanisme). La fermeture actuelle de lotissements anciens
nous a conduits à mobiliser des sources secondaires de nature
historique, en nous inspirant des travaux de Roncayolo sur la
production des espaces urbains marseillais.
Elisabeth Dorier
Professeur de
géographie. Université d’Aix-Marseille, UMR LPED.
elisabeth.dorier@univ-provence.fr
Isabelle
Berry-Chikhaoui
Maître de conférence
en géographie. Université de Montpellier 3, UMR ART-DEV.
berry-chikhaoui.isabelle@neuf.fr
Sébastien Bridier
Maître de conférence
en géographie. Université d’Aix-Marseille, UMR LPED.
sebastien.bridier@univ-provence.fr
Articulo
- Journal of Urban
Research | 2012
Marseille |Euromed | photo : Denis DARZACQ
Constructa : opération Le Konnect - Marseille 2012 : 100 % SECURITE
Le Roucas Blanc, Marseille | Photos :
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