La prison animale - le parc zoologique - du bois de Vincennes est à nouveau ouverte au public, qui peut, nous assure-t-on, apprécier l'"environnement naturel" des détenus reconstitué le plus fidèlement possible ; non loin de là, et du centre de rétention administrative, le public pourra apercevoir un autre "zoo", la "zone" où se concentrent les cabanes et tentes de sans abri, victimes, eux, de l'"environnement économique". Le photo-journaliste Stéphane Remael les a rencontré.
Stéphane REMAEL
Les Favelas de Vincennes
Francis,
55 ans, 3 ans en cabane. Francis vit dans une petite maison, avec un
plancher, un toit, des fenêtres en plexiglas, et une serrure, pour
se protéger des intrus. «Je dépense près du tiers de mon RMI en
matériel de bricolage.», dit-il. A l’intérieur, des meubles de
récupération, un lit clic-clac, une machine à café, et une
télévision dernier cri. Francis est l’un des rares robinsons à
avoir l’électricité : un générateur, qui s‘arrête de tourner
à la fin du mois, faute d’argent pour payer l’essence. Francis a
un quotidien de sédentaire. Il fait ses courses dans les
supermarchés des villes bourgeoises voisines, va chez Leroy Merlin
et organise des soirées crêpes. Il a perdu son appartement à
Malakoff qu’il partageait avec femme et enfant. «Ici, je suis
libre, je suis indépendant, on vient pas m’emmerder. A un moment,
après 29 ans de rue, il a fallu prendre une résolution, avoir un
chez moi.»
Régis,
49 ans, cinq ans de cabane. Sa bicoque est un assemblage très
personnel de branches et de bâches. Une vraie petite maison, avec
des casseroles pendues, un vaisselier, un canapé vieillot, et
quelques journaux. Au fond, plantée derrière un paravent, une tente
igloo: sa chambre. Pour donner des couleurs à sa vie, Régis a aussi
accroché deux affiches - un Goya et un Modigliani - et un drapeau
helvétique. Montrant ce dernier, il lance, malicieux : « Bienvenue
à l’ambassade de Suisse!» Régis revendiquerait bien un statut
d’extraterritorialité, histoire d’être enfin tranquille. Il est
sans-abri depuis huit ans. « Je me suis fait expulser de chez moi.
Et les galères ont continué. De mon passé, j’ai tout oublié ».
Il a appris à vivre sans eau ni électricité, avec ses deux chats,
et sa solitude. « Je suis mieux ici qu’en HLM.» Régis a bientôt
50 ans, et il est presque heureux.
Thierry,
52 ans, trois ans de cabane. Thierry est le mystique du bois. Cet
ancien menuisier se retrouve à la rue après plusieurs dépressions.
Il s’est construit un petit autel au fond de son abri, où il prie
Dieu et Bouddha. Il pratique aussi le zen et la méditation
transcendantale au milieu des faisans, des mésanges et des
écureuils. Mais il n’aurait jamais pu jouer les robinsons en rase
campagne. « J’ai besoin de la ville. D’entrer dans la société,
de pénétrer dans la foule. » Thierry est un marginal qui survit en
restant près du centre. « La nature est un appel d’énergie. Je
reste ici le temps que le Bien reprenne le pouvoir sur le Mal. »
Jérôme,
31 ans, 8 mois de tente. "Géronimo" comme on l'appelle, a
planté sa tente dans le bois l’été dernier. Au départ, il a
rejoint un campement de punks et de teuffeurs. Mais ceux-ci ont
déserté, et Géronimo a maintenant « du mal à trouver une
communauté. » Avant, il vivait sur la côte d’azur, avec sa
petite amie et son enfant. Leur couple a mal tourné, il est tombé
dans l’alcool et le shite. La suite, il l’imagine plus colorée,
acteur ou artiste pourquoi pas…
Chantal,
50 ans, 1 an de tente. On la surnomme « la mama de la rue » parce
qu’elle pousse les jeunes exclues à se chercher un logement. «
Les filles sont très vulnérables. Si t’es seule, les mecs, ils te
sortent leur machin et ils disent : vas-y, on baise. Ensuite, ils te
frappent comme ils veulent. Et faut pas compter sur les flics pour
venir t’aider. » Pour se protéger de ces violences urbaines,
Chantal a vécu plusieurs mois à Vincennes. « Cette fois, ce sont
des gens de ‘la haute’ qui m’ont emmerdée. » Elle campe alors
avec des amis. Un jour, des habitués du bois leur demande de
déplacer leur campement, hors de vue de leur chemin de promenade.
Les squatteurs ne bougent pas. Une semaine après, leurs tentes ont
disparu. Ils les retrouvent déchirées, jetées en tas quelques
centaines de mètres plus loin. « J’ai pas supporté. Je suis
retournée à Châtelet, dans la rue. »
Jean,
64 ans, trois ans et demi de cabane. Cet ancien carreleur n’aime
pas tellement se promener dans le bois. Mais il est capable de rester
des heures, des années sous sa bâche rafistolée, à papoter et à
refaire le monde ; un monde dont il s’est exclu, après quinze ans
de rue. « On n’est moins bête qu’on en a l’air. » A
Vincennes, Jean se sent « bien et pas bien. » Il apprécie la vie
sauvage, mais regrette d’avoir construit son toit si près d’une
route passante. Il a pourtant renoncé à déménager. « On ne campe
pas n’importe où, il y a de plus en plus d’habitants dans le
bois. Nous avons nos propres règles de savoir vivre ».
Dédé,
60 ans, 2 ans de cabane. On le connaît comme « Dédé le boulanger
». Dans une autre vie, André se levait tous les matins à l’aube
pour faire son pain. « Je faisais aussi les gâteaux, la caisse…
Quand t’es patron, faut savoir tout faire. » Après une rupture et
une dépression, il passe une vingtaine d’années dans la rue. II
mendie devant les supermarchés de Charenton. « Je gagnais une
cinquantaine d’Euros les bons week-ends». Aujourd’hui
grabataire, il ne peut plus sortir seul de sa cabane. « Malade mais
pas fou », il sait qu’il n’en a plus pour longtemps, et cette
cabane sera sa dernière demeure.
Jean-Claude,
50 ans, trois ans de cabane. « Je suis un artiste. », répète-t-il.
Avec des portes d’armoires, des planches de récupération et des
fleurs en plastique en guise de déco, il a construit son œuvre,
derrière le terrain de boules. Cet ancien enfant de la Ddass s’est
retrouvé à la rue il y a quinze ans. « C’est arrivé très vite,
dit-il. Je faisais des petits boulots en intérim. Mais je n’avais
pas assez d’argent pour régler mon loyer. Un jour, ma
propriétaire, que je payais au noir, m’a expulsé. Alors je suis
allé dans des squats. Les gens étaient violents. Ils buvaient, se
droguaient…» Jean-Claude revendique une grande sobriété. Et un
style plus sportif que bohème. « J’ai fait cinq Paris-Lyon et
deux Paris-Marseille à vélo. » Quand il partira, il léguera sa
cabane à la ville : une trace artistique de son passage…
Georges,
54 ans, 12 ans dans le bois. Son allure d’ours solitaire est
trompeuse. Georges, dit Jojo, met tout de suite le visiteur à
l’aise, vous prenant à part comme un copain de trente ans. Très
vite, il raconte l’incendie dans sa tente, il y a sept ans, un
accident qui lui a ravagé le visage. Ce pionnier de Vincennes aime
surtout parler du bois. Pour écouter ses histoires, il faut parfois
le chercher longtemps. Jojo est toujours en vadrouille. « Vous
savez, pour nous, tout est long. Aller chercher son courrier prend
une journée, prendre sa douche une journée, toucher son RMI une
journée… » Si on l’expulsait demain ? «J’achèterai une
guitare et je reprendrai la route…»
STÉPHANE REMAEL
Les Favelas de Vincennes
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