Élisée
Reclus* (1830-1905), anarchiste [rappelons
la violence des actions du mouvement anarchiste juste à cette époque
: crimes et attentats de Ravachol condamné à mort en 1892,
assassinat du Président Carnot en 1894 par l'anarchiste Casiéro,
etc.],
communard de 1871, est considéré comme le père de la géographie sociale
et politique ; le prix de ces convictions libertaires,
après sa mort, sera le silence et l'oubli, malgré l'ampleur de son
oeuvre,
superbement ignoré. Une
des caractéristiques majeures de la géographie-universitaire,
est l'exclusion des phénomènes politiques du champ de ses
préoccupations : “ La corporation considère, contre toute évidence,
qu'ils ne sont pas géogaphiques et estime que les prendre en compte
est la négation d'une démarche scientifique”, affirmait le
géographe Yves Lacoste en 1981. Tant il est vrai qu'affirmer ses
convictions politiques à la fin de l'introduction d'un livre de
géographie physique pouvait choquer cette corporation. Il en serait
sans doute encore de même aujourd'hui, en France tout du moins.
La « lutte des classes»,
la recherche de l'équilibre et la décision souveraine de
l'individu, tels sont les trois ordres de faits que nous révèle
l'étude de la Géographie sociale ; écrivait Reclus pour
terminer sa préface à son ouvrage majeur L'Homme et la Terre,
terminé l'année de son décès en 1905, dont
plusieurs chapitres sont consacrés aux villes dont « Horreur et splendeur des villes ». Plus de cent années
après, les thèmes qu'il abordait alors, peuvent nous paraître
aujourd'hui d'une étonnante actualité.
Philippe
PELLETIER
La
grande ville
entre
barbarie et civilisation
chez
Élisée Reclus (1830-1905)
Le
regard qu’a porté Élisée Reclus (1830-1905) sur la ville à la
fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle mérite d’être
analysé compte tenu de l’influence vaste et polymorphe que ce
géographe anarchiste a exercée au sein de multiples milieux,
savants, populaires et militants. Il s’avère en outre novateur
pour son époque (1).
En
effet, les géographes contemporains et suivants immédiats tendent
alors à négliger le fait urbain, à l’instar d’un Paul Vidal de
la Blache (1845-1918) dont le gendre Emmanuel de Martonne (1873-1955)
reconnaît, à propos des Principes de géographie humaine (1922)
compilées après la mort de Vidal, ne pas avoir pu dégager sur les
villes « que quelques pages, sorte d’introduction ou de sommaire »
(2). Yves Lacoste souligne qu’ « il n’y a aucun paysage
urbain, ni à plus forte raison d’usine ou de voie ferrée »
dans le Tableau géographique de la France (1905) de Vidal de
la Blache (1845-1918), et que les cinq pages sur la ville des
Principes en font moins que celles qui sont consacrées aux
Esquimaux (3). Avant lui, André Meynier n’avait pas manqué de
constater que « la place des villes dans les descriptions
régionales reste longtemps infime » chez les géographes
vidaliens (Vidal lui-même, Demangeon…) (4). Mais, comme le relève
Sophie Gourlaouen, Meynier, dans sa comptabilité des pages
consacrées à la description de telle ville chez tel auteur ancien,
oublie Reclus, qu’il cite pourtant par ailleurs. Or Élisée Reclus
était plus prolixe et, surtout, plus fin (5). De ce point de vue, il
anticipe sur Raoul Blanchard (1877-1965), souvent considéré comme
le précurseur de la géographie urbaine en France avec son étude
sur Grenoble publiée en 1911 (Grenoble, une étude de géographie
urbaine).
1.
Le fait urbain replacé dans une conception dialectique
Le
corpus d’Élisée Reclus sur la ville est assez conséquent (6). Il
est de trois sortes :
1/
De nombreuses pages au sein des dix-neuf volumes, rien moins, de la
Nouvelle Géographie Universelle (1876-1894), où les villes,
notamment les grandes, de chaque pays sont décrites en détail.
Certaines d’entre elles ont été visitées par l’auteur lui-même
(la plupart des villes européennes, plusieurs villes nord et
sud-américaines, Constantinople, Le Caire, Alger…), d’autres ont
été racontées par des témoins de première main (comme Tôkyô
par Léon Metchnikoff (1838-1888), secrétaire et ami d’Élisée
Reclus de 1880 à 1883) (7).
2/
Au sein de plusieurs articles (8).
3/
Plusieurs passages de L’Homme et la Terre (1905), notamment
un chapitre du tome cinquième qui reprend le fameux article The
Evolution of Cities (1895) (9). Fameux car Élisée Reclus y
expose les linéaments d’une théorie des places centrales, telle
qu’elle sera réalisée plus tard par Walter Christaller, à partir
de 1933, et parce qu’il a été récemment exhumé et traduit par
des urbanologues contemporains (10). Au demeurant, cet article
constitue un excellent résumé des positions d’Élisée Reclus sur
la grande ville. Une comparaison avec sa reprise et son
approfondissement dans L’Homme et la Terre, donc une dizaine
d’années plus tard, permet également de voir quelle a été
l’évolution d’Élisée Reclus sur la question urbaine, quels
sont les précisions et les compléments qu’il apporte, les
remarques qu’il retranche.
Une
approche rétrospective sur les supposées « urbaphilie » ou «
urbaphobie » de Reclus passe nécessairement par l’étude de son
analyse du phénomène urbain. Dès la fin du XIXe siècle, Élisée
Reclus prévoit au moins deux évolutions à ce propos :
-
l’extension des « villes immenses », qu’il considère de façon
positive sans préjugés : « Une prochaine agglomération de dix,
de vingt millions d’hommes, soit dans le bassin inférieur de la
Tamise, soit à la bouche du Hudson, ou dans tout autre lieu d’appel,
n’aurait rien qui pût surprendre, et même il faudra y préparer
nos esprits comme à un phénomène normal de la vie des sociétés »
(11) ;
- la
rurbanisation (même s’il n’emploie bien entendu pas ce mot),
avec la « transformation des cités » par leur « mariage
avec la campagne environnante » (12). « Évidemment, les
villes qui grandissent déjà si vite le feront encore plus vite ou
plutôt elles se fondront peu à peu dans la campagne… « (13).
Élisée
Reclus anticipe sur la critique urbaphobe en soulignant quatre points
:
-
Ces phénomènes ne sont ni pathologiques, ni effrayants. Ils
résultent d’un processus logique, quasi naturel, des organisations
humaines.
-
Ils sont complexes, issus de causes multiples.
-
Ils correspondent à un mouvement du « progrès » et de la «
civilisation », conforme à « l’évolution ».
-
La critique des grandes villes relève d’un « moralisme » que
l’on peut qualifier de réactionnaire. « Là où grandissent
les cités, l’humanité progresse ; là où elles dépérissent, la
civilisation elle-même est en danger » écrit-il d’emblée
(14). Cette affirmation condense plusieurs éléments de sa
conception générale de la géographie. Élisée Reclus insiste en
effet sur la dynamique des divers éléments composant le monde dans
le cadre d’une évolution. Il tire ce principe du darwinisme, comme
tant d’autres à son époque, mais en récusant le
social-darwinisme, de concert, d’ailleurs, avec son compère
géographe et anarchiste Pierre Kropotkine (1842-1921) qui théorise
sur l’entraide comme facteur d’évolution, et en ajoutant des
compléments. Il articule en effet l’évolution en progrès et en
régrès. Cette idée est inspirée de la théorie du philosophe
napolitain Gian-Battista Vico (1744-1803) des corsi et ricorsi
et, peut-être, mais ce n’est qu’une hypothèse difficile à
vérifier, de la dialectique sérielle de Pierre-Joseph Proudhon
(1809-1865). Selon Reclus, le progrès n’est jamais définitif et,
dans sa progression historique même, il contient des éléments de
régrès.
Reclus
applique ce raisonnement, qu’on peut qualifier de « dialectique »
bien qu’il n’utilise pas ce mot, à l’évolution des
civilisations, notamment dans leur rapport avec le milieu dont la
dégradation (dessication, déforestation) peut conduire à leur
ruine, ainsi qu’à la théorie politique, où l’évolution est
inséparable de la révolution, la révolution elle-même n’étant
pas exempte de brutaux retours en arrière. Cette idée inspirée de
la Révolution française se vérifiera en Russie ou en Chine…
La
dialectique reclusienne se distingue de la dialectique classique des
contraires, qui s’opposent et s’excluent, et de la dialectique
hégéliano-marxiste où les deux termes des contraires se résolvent
dans un troisième terme qui est celui de la synthèse. Elle met les
termes contradictoires à la fois en opposition et en combinaison ;
par exemple : autorité et liberté, égalité et liberté. Elle
forme des couples de tension et de composition, des antinomies, sans
synthèse, qui évoluent en balance (Proudhon) ou en équilibre
instable (Reclus). Cette dialectique est très proche de la
conception qu’a développée le monde sinisé avec le fameux binôme
du yin et du yang. Elle anticipe de façon novatrice
sur l’approche systémique telle qu’on la connaît actuellement,
mais en étant réfractaire à tout esprit de système clos : elle
reste essentiellement ouverte, dynamique et libre.
À
cette dialectique de l’évolution s’ajoute une conception,
également dynamique, du milieu qu’il dédouble en « milieu espace
» et en « milieu-temps ». Le « milieu-espace » correspond au «
milieu primitif », « constitué par l’ambiance des choses », la
« nature extérieure ». Il est modifié par le « milieu-temps »,
« avec ses transformations incessantes, ses répercussions sans fin
» :
«
L’histoire de l’humanité, dans son ensemble et dans ses
parties, ne peut donc s’expliquer que par l’addition des milieux
avec « intérêts composés » pendant la succession des siècles ;
(…) les milieux ont eux-mêmes évolué, par le fait de la
transformation générale, et modifié leur action en conséquence.
(…) Le développement même des nations implique cette
transformation du milieu : le temps modifie incessamment l’espace »
(15).
Appliquée
au fait urbain, cette approche privilégie une dimension
géohistorique, à la fois diachronique et synchronique, replacée
dans une conception de l’évolution. La dialectique reclusienne
permet de dépasser l’opposition stricte entre avantages et
inconvénients des villes, entre leurs bienfaits et leurs méfaits,
puisque les uns accompagnent les autres. La ville est un fait social,
vivant, changeant par définition, comme il le dit à propos de la
géographie dans un passage sur l’évolution urbaine :
« La
géographie n’est pas un donné immuable. Elle se fait et se refait
jour après jour. Elle est modifiée à chaque heure par l’action
des hommes » (16).
2.
La cité, quintessence de la sociabilité humaine
Selon
Reclus, les cités traduisent le niveau de civilisation, laquelle
relève du progrès technique et social. Cette civilisation n’est
pas forcément aboutie, et Reclus parle plus exactement à ce propos
de « demi-civilisation puisqu'elle ne profite point à tous »
(17). Le progrès est largement issu de l’Occident, mais il
ne lui appartient pas, ni ne constitue un élément de supériorité
de l’Occident sur les autres peuples. Avec son frère Élie, Élisée
Reclus est d’ailleurs l’un des rares savants de l’époque à
s’intéresser sérieusement, sans préjugés ni discrimination, au
sort des peuples aborigènes.
D’après
Reclus, la concentration urbaine résulte de plusieurs facteurs : la
sociabilité humaine, l’échange de biens, la sécurité
psychologique et sociale. Le développement de telle ou telle ville
dépend des conditions du lieu, du pays, du développement général
de la société et de l’économie, des choix politiques et
administratifs. En conséquence,
«
chaque ville a son caractère particulier, sa vie personnelle, son
aspect physique propre. L’une est gaie et animée, l’autre
entretient une mélancolie qui gagne le visiteur. Chaque génération
laisse ce caractère à la suivante comme un héritage. Il y a des
villes qui vous glacent dès l’entrée tant leur aspect est dur et
hostile. Il y en a d’autres où vous êtes gai et léger comme à
la vue d’un ami » (18).
«
Horreur et splendeur des villes », tel est le premier sous-titre du
chapitre « Répartition des hommes » de L’Homme et la Terre.
Il est parfaitement significatif de la dialectique reclusienne à
propos de l’urbain. D’un côté, Élisée Reclus vise les villes
industrielles : leur atmosphère épaisse (la pollution, pour
reprendre le vocabulaire contemporain), leur noirceur (Saint-Étienne
!…), la monotonie de leurs constructions identiques, leur laideur,
leur puanteur, le bruit, l’insulabrité… (19) Il n’oublie pas,
dans l’évocation de ces villes, de décrire la dureté de la
condition ouvrière qui en est le corollaire, ainsi que la laideur
des moeurs (alcoolisme, naissances illégitimes, haines religieuses…)
(20).
Il
partage l’idée, qui se développe depuis le XVIIIe siècle, de la
grande ville mortifère, dévoreuse de vies humaines, notamment
enfantines, et ne se perpétuant que grâce à l’immigration (21).
Il considère que l’espérance de vie est inférieure dans la ville
par rapport à la campagne, phénomène au demeurant confirmé à
propos du XIXe siècle (22). Il en évalue toutefois mal certaines
causes, partageant avec ses contemporains la théorie erronée des
miasmes, tout en relevant également la théorie bactériologique de
Pasteur, confirmée celle-là. Comme le rappelle Sophie Gourlaouen, «
qu’un géographe aujourd’hui s’intéresse aux problèmes
d’égouts ou au système d’adduction d’eau peut paraître
banal, mais au XIXe siècle ce n’est pas le cas « (23).
D’un
autre côté, Élisée Reclus relève les beautés architecturales
des villes, les monuments, les points de vue, les paysages, la vie et
l’activité de la foule… Il en propose aussi l’illustration par
des gravures. Sophie Gourlaouen relève le caractère élogieux du
vocabulaire utilisé pour décrire les monuments, ainsi l’exemple
de Paris : « Trésors artistiques », « riches ornements », «
vitraux éblouissants », « immense écrin », « magistralement
décorée », « singulière élégance », « merveilles »… (24).
Sans parler de l’Alhambra à Grenade, « merveille de l’art
humain, un de ses chefs-d’oeuvre d’architecture » ou de la
Coupole de Sainte-Sophie à Constantinople qui « produit un effet
prodigieux : c’est une merveille de force et de légèreté »
(25).
Avec
justesse, Reclus n'adopte pas une position tranchée vis-à-vis du
phénomène urbain, et des profondes mutations sociales, spatiales ou
écologiques qui l'accompagnent. Il relève ainsi que la croissance
urbaine résulte non seulement de facteurs négatifs, ceux qui
déclenchent par exemple l'exode rural, mais aussi de facteurs
positifs. D’une part, la suppression des terrains communaux,
l'industrialisation des campagnes, les besoins de la ville en
travailleurs, d’où le délabrement des campagnes que cela
entraîne. D’autre part, il existe un attrait des hommes pour la
vie urbaine, synonyme ou symbole de modernité, de lumières, de
foule mais aussi permission d'anonymat.
C'est
d'ailleurs une parfaite illustration des phénomènes migratoires qui
vont opérer avec encore plus d'ampleur qu'à son époque, au cours
du XXe siècle : s'il n'y avait que des facteurs négatifs chassant
les hommes d'un endroit et les poussant vers un autre, ces phénomènes
ne pourraient pas vraiment opérer. Il faut aussi des facteurs
attractifs. Reclus souligne donc que les villes ne sont pas que des «
monstres, des vampires gigantesques, suçant la vie des hommes »
et que « tout phénomène est complexe ». S'exerce aussi
l'attrait de la culture (musées, bibliothèques, écoles) et Reclus,
sous-entendant le poids du conservatisme des campagnes, de rappeler
sous une autre forme son constat déjà exprimé dans L’Évolution
des villes :
«
Quand les villes s'accroissent, l'humanité progresse, quand elles
diminuent, le corps social menacé régresse vers la barbarie »
(26).
Élisée
Reclus critique donc les « moralistes » qui dénigrent l’extension
urbaine sans en voir les vraies causes ou les autres aspects. Ils les
nomment dans L’Homme et la Terre : Rousseau qui
«
déplorant l’avilissement de tant de campagnards qui vont se
perdre dans les grandes villes, appelle celles-ci « Gouffres de
l’espèce humaine »,
Herder
qui « voit en elles les « camps retranchés de la Civilisation »
», Ruskin qui dénonce « cette sale ville de Londres, bruyante,
grondante, fumante, puante, un amas hideux de briques surchauffées,
rejetant le poison par chaque pore » (27).
Élisée
Reclus se gausse alors : « C'est un plaisant langage que celui
des propriétaires moralistes qui conseillent aux campagnards de
rester attachés à la terre, alors que, par leur agissements, ils
déracinent le paysan et lui créent des conditions de vie
l'obligeant à s'enfuir vers la cité » (28). Il assimile sans
peine ces « moralistes » aux religieux qui dénonçaient déjà les
supposées horreurs de la grande ville :
« On
pourrait presque reprendre la parabole biblique contre ces
prodigieuses concentrations humaines et prophétiser contre elles
comme Isaïe contre Tyr, « pleine de sagesse et parfaite en beauté
», ou contre Babylone, « la fille de l’Aurore » » (29).
3.
La commune insurgée mais pas la communauté volontaire
Reclus
ajoute : « Il est vrai, toutes les vitupérations des maudisseurs
sont justifiées, mais aussi toutes les exaltations des
glorificateurs » (30). À propos de Paris, il met en opposition
un Barbier clamant qu’
« il
est au monde une infernale cuve » et un Hugo qui « magnifie
ce même Paris en des vers enthousiastes : « Paris est la cité
mère… où pour se nourrir de l’idée viennent les générations
» (ib.).
Et de
conclure : « N’est-ce pas de ces réunions d’hommes qu’ont
jailli les idées et que s’est fait l’enfantement des oeuvres
nouvelles, qu’on éclaté les révolutions qui ont débarrassé
l’humanité des gangrènes séniles ? » (ib.).
On
devine dans ce dernier propos l’option politique de Reclus qui,
conformément à une pensée héritée de la Révolution française,
voit dans les villes la source principale de l’impulsion
révolutionnaire, le lieu premier de la nouveauté et du changement
social. L’expérience même d’Elisée Reclus, qui a participé à
la Commune de Paris (1871), ainsi que son frère Élie, témoigne en
ce sens. Reclus relève du communisme anarchiste qui fait de la
commune, du syndicat et de l’association les trois piliers de la
société libérée. Lieu privilégié de la culture et de
l’instruction, lieu potentiel pour le progrès des moeurs malgré
les vices précédemment évoqués, la ville est historiquement, et
donc fondamentalement, un lieu de liberté. C’est un espace où se
sont structurées les libertés publiques, et donc le progrès :
« Ce
que la république d’Athènes avait été deux mille années
auparavant, la république de Florence le fut à son tour ; pour la
deuxième fois s’éleva un de ces grands foyers de lumière dont
les reflets nous éclairent encore. Ce fut un vrai renouveau de
l’humanité. La liberté, l’initiative, et avec elles les
sciences, les arts, les lettres, tout ce qu’il y a de bon et de
noble dans ce monde se produisit avec un joyeux élan que les
générations avaient depuis longtemps perdu » (31).
Élisée
Reclus évoque ainsi les communes autonomes de Flandres, du Brabant,
de Toscane, de Vénétie, avec des accents qui convergent étroitement
avec l’argumentation politico-historique de Pierre Kropotkine :
« Un
nouvel ordre de choses avait commencé, car c’est d’en bas, de la
masse profonde du peuple, qu’était née l’indépendance des
villes » (32).
Pierre
Kropotkine insiste beaucoup sur la dimension et la trajectoire
communalistes dans l’histoire de l’émancipation humaine. C’est
en partie pour cette raison qu’Élisée Reclus n’en parle pas
davantage dans son oeuvre. Mais on le sent aussi moins optimiste que
Kropotkine dans la capacité révolutionnaire de la Commune. Il
s’agit probablement là d’un bilan tiré de la Commune de Paris,
que vient corroborer son appui à la recomposition du mouvement
anarchiste et à son changement de stratégie. En effet, pendant et
après la période dite des attentats en France (1892-1893), la
majorité des anarchistes se tournent vers le syndicalisme et
participent à la construction de la future C.G.T. C’est notamment
le cas de Fernand Pelloutier (1867-1901), rédacteur de la fameuse
Lettre aux anarchistes (1899), invitant ceux-ci à construire
le syndicalisme révolutionnaire. Pelloutier est secrétaire de la
Fédération des bourses du travail (1895), qui va fusionner avec la
C.G.T. (1902), et il est en contact avec Élisée Reclus (33). Mais
Reclus, accaparé par d’autres tâches, ne s’engage pas plus sur
ce terrain, tandis que Pelloutier meurt rapidement et cède la place
à une autre génération (Émile Pouget, Victor Griffuelhes, Paul
Delessalle, Georges Yvetot…).
Reclus,
comme Kropotkine d’ailleurs, se montre par ailleurs sceptique,
critique et finalement hostile vis-à-vis des tentatives anarchistes,
souvent issues du courant individualiste, qui visent à constituer
des micro-sociétés anarchistes, des « milieux libres » selon le
vocabulaire de l’époque ou des « communautés » pour reprendre
le langage soixante-huitard. Cette position politique renvoie
également à la question urbaine dans la mesure où ces communautés
sont généralement fondées à la campagne et véhiculent plus ou
moins un sentiment anti-urbain.
Dans
une contribution à la revue Les Temps nouveaux (1895-1914),
l’un des principaux organes anarchistes français animé par Jean
Grave (1854-1939) et très influent, Élisée Reclus n’hésite pas
à rejeter toute tentative de se situer dans l’en-dehors (34) pour
privilégier le choix d’oeuvrer en dedans la société actuelle :
« En
un mot, les anarchistes se créeront-ils des Icaries en dehors du
monde bourgeois ? Je ne le pense ni ne le désire. (…) Dans notre
plan d’existence et de lutte, ce n’est pas la petite chapelle des
compagnons qui nous intéressent, c’est le monde entier »
(35).
Pierre
Kropotkine a un jugement tout aussi sévère sur l’impasse que
constituent ces « communes volontaires » (36). C’est d’ailleurs
une position adoptée par le congrès anarchiste de Londres de 1896,
où participent Reclus et Kropotkine. Selon Max Nettlau,
l’investissement de quelques anarchistes dans les « milieux libres
» remonte à 1885, à la période charnière où l’ensemble du
mouvement socialiste n’a pas encore digéré l’échec sanglant de
la Commune de Paris, tandis que les anarchistes sont rejetés par les
nouveaux congrès socialistes successifs et que certains d’entre
eux se tournent vers l’illégalisme.
« À
partir de 1885, des ramifications idéologiques, auxquelles on
n’avait prêté aucune attention les années précédentes, se
répandirent. Elles furent : le naturisme, l’apologie du
primitivisme sauvage, puis le naturisme en matière diététique, le
végétarisme… et toute une quantité de petits foyers éphémères,
de petits systèmes, de Gravelle à Zisly, en passant par Butaud,
Sophie Zaikowska et autres. Par ailleurs, le néo-malthusianisme,
propagé avec beaucoup de mauvaise foi par Paul Robin, conquit un
terrain énorme. (…) Tout cela constituait pour notre milieu une
grande perte d’énergie » (37).
En
fait, le mouvement des « milieux libres » démarre réellement à
partir de 1895 (38). La revue mensuelle La Nouvelle humanité qui
l’anime, éditée par Henri Beylie (1870- ?), Henri Zisly (1872-
1945) et Émile Gravelle (1855- ?), paraît de 1895 à 1898 (vingt
numéros) (39). La société « pour la création et le développement
d’un Milieu libre en France » est fondée en 1902 par les mêmes
Beylie et Zisly, auxquels s’ajoutent Georges Butaud (1868-1926) et
Émile Armand (1872-1962). Son but est de « tenter une expérience
de communisme libre ». Elle aboutit à la constitution du Milieu
libre de Vaux (Aisne) (1902-1907). Selon Jean Maitron, « dès
novembre 1903, une attaque en règle était menée contre la colonie
par certains milieux anarchistes » (40). Après la fin du milieu
libre de Vaux, d’autres expériences vont se succéder sans plus de
succès : Saint-Maur (1913), Bascon (Aisne, 1912) avec le
néo-naturien et végétalien Louis Rimbault (1877-1949)… Tous ces
courants et toutes ces expériences évoqués par Nettlau, visés par
Kropotkine et Reclus, ne sont pas essentiellement fondés sur un
rejet de la ville en tant que telle. Ils reposent plutôt sur une
critique de la civilisation moderne et un retour à la nature, qui
par là même finit par concerner la ville considérée comme
l’incarnation de cette civilisation artificielle et anti-naturelle.
Leur critique vise d’abord la massification, la technologie,
l’industrie, l’aliénation de l’individu, ce que résumera
cette définition d’Émile Armand lui-même : « La tendance «
naturienne » et « néonaturienne » apparaît sympathique en tant
que considérée comme réaction contre le surmenage fiévreux,
insensé de l’industrialisme et du commercialisme spéculateurs et
rationalisés » (41). Elle recherche la communauté autonome,
auto-suffisante, rurale. Ses types sont compliqués par la variété
des choix en matière de nourriture, de culture et de moeurs, selon
que l’on refuse plus ou moins la viande, les laitages,
l’habillement, que l’on pratique ou non les unions libres.
Reclus, qui est végétarien et qui défend le végétarisme (42),
comprend ce type de position mais n’en fait pas une solution
ultime.
L’un
des points communs des différents courants « naturiens » est la
recherche de l’hygiène : nourriture saine, nudisme, refus plus ou
moins gradué du tabac et de l’alcool, sexualité maîtrisée…
Cela peut conduire à un refus de la ville considérée comme non
hygiénique, sinon sale. Mais la revendication hygiéniste recoupe
une sensibilité plus générale, commune au XIXe siècle. Elle est
partagée par Reclus dénonçant qu’
« une
autre cause d’enlaidissement de nos villes modernes vient de
l’envahissement par les grandes industries manufacturières »
(43).
Il
critique les « cheminées puantes », les « rues noircies
», « le sol [qui] tremble », « l’air
presqu’irrespirable », « la boue et la suie » qui
suintent, « l’atmosphère souillée », les « saletés
de la ville » (ib.). De l’hygiénisme qu’il réclame à
partir de ce constat, il en fait aussi un argument socio-politique en
faveur des villes, en l’incluant dans un projet plus large
d’amélioration citadine.
4.
L’amélioration citadine
Élisée
Reclus ne considère pas qu’il faille attendre le Grand soir ou
s’échapper dans des communautés en dehors pour agir hic et
nunc. Il constate parallèlement - et cette observation de la vie
sociale guide fondamentalement, comme chez Kropotkine, sa réflexion
politique – que l’évolution des villes peut également aller
dans le sens de l’amélioration.
Il
estime que, même dans le système bourgeois et capitaliste, les
villes peuvent constituer des facteurs de progrès, au niveau de
l'hygiène principalement. Bourgeois et travailleurs devant vivre à
plus ou moins grande proximité, les bourgeois doivent absolument
prendre en compte une amélioration générale de l'hygiène
(infrastructures, adductions, assainissement…), sous peine de voir
maladies et pollutions diverses les contaminer également. Reclus
fait, de ce point de vue, une analyse lucide du mouvement hygiéniste
urbain de son époque, de même qu'il anticipe sur les politiques
écologistes et aménitaires prises par l'actuelle bourgeoisie dans
les grandes villes.
«
L'histoire est là pour enseigner que les maladies des uns
entraînent celles des autres et qu'il est dangereux pour les palais
de laisser la peste dévaster les taudis » (44).
Ce
n'est ni l'existence des villes, ni leur énormité qui gêne Reclus.
Conformément à ses options politiques, c'est l'organisation
socio-spatiale inégalitaire des villes qu'il déplore et condamne.
Il énonce à ce propos une phrase percutante:
« Les
édiles d'une cité fussent-ils sans exception des hommes d'un goût
parfait, chaque restauration ou reconstruction d'édifice se fît-elle
d'une manière irréprochable, toutes nos villes n'en offriraient pas
moins le pénible et fatal contraste du luxe et de la misère,
conséquence nécessaire de l'inégalité, de l'hostilité qui coupe
en deux le corps social » (45).
Autrement
dit, l'antagonisme entre la bourgeoisie et l'État d'une part, et les
exploités et dominés d'autre part, empêche route réalisation de
ville idéale. Tout embellissement urbain ne profite réellement qu'à
certains et pas à d'autres. Reclus souligne le fait que
« les
quartiers somptueux, insolents, ont pour contre-partie des maisons
sordides, cachant derrière leurs murs extérieurs, bas et déjetés,
des cours suitantes, des amas hideux de pierrailles, de misérables
lattes » (46).
Il
lie la question urbaine à la question sociale :
« La
division des classes se marque entre les ruelles sordides et les
avenues somptueuses » (47).
Il
dénonce la « spéculation barbare » , la « laideur »,
les pollutions (même s'il n'emploie pas ce mot). Il s’intéresse
aux problèmes de l’évacuation des ordures ménagères, de
l’épuration des eaux usées, de l’approvisionnement en eau,
regrettant que « trop de municipalités semblent ne pas
s’inquiéter de ces questions » (48).
Reclus
souligne que l'embellissement des centres-villes a pour corollaire le
rejet en périphérie des populations appauvries, phénomène bien
connu qui existe toujours actuellement :
« …
ce n'est qu'un demi-bien de transformer les quartiers insalubres, si
les malheureux qui les habitaient naguère se trouvent
expulsés de leurs anciens taudis pour aller en chercher
d'autres dans la banlieue… » (ib).
Quelle
solution ? La réponse d'Elisée Reclus est implicite, et explicite :
la suppression de l'inégalité, de l'hostilité qui coupe en deux le
corps social, suppression réalisable nous dit Reclus dans ses textes
plus expressément politiques par la Révolution sociale ayant pour
finalité le communisme libertaire, proposition qu'il élabora avec
les anarchistes Cafiero, Kropotkine et d'autres encore. Elle est même
exposée directement dans L'Homme et la Terre :
« À
bien considérer les choses, toute question d'édilité se confond
avec la question sociale elle-même » (49).
Reclus
prend également en compte l'existence de mesures qui n’ont pas
besoin d’attendre la révolution pour être instaurée. Il souhaite
une ville salubre, hygiénique, compacte, parsemée et entourée
d’espaces verts (50), débarrassée de ses quartiers miséreux. Il
cite à ce propos l’option des cités-jardins (51).
«
C'est à ce programme [conformer les villes aux besoins et aux
plaisirs de tous, devenir des corps organiques parfaitement sains et
beaux] que prétend répondre la ville-jardin. Et de fait, des
industriels intelligents, des architectes novateurs ont réussi à
créer en Angleterre, où le taudis urbain était le plus hideux, un
certain nombre de centres en des conditions aussi parfaitement saines
pour le pauvre que pour le riche » (52).
Ce
« prétendre » laisse entendre un scepticisme de la part de Reclus,
et l’on peut trouver de-ci delà dans ses écrits des éléments
qui l’expliquent. En 1896, dans la revue La Société nouvelle,
Élisée et son frère Élie narrent la rénovation d’Edimbourg
menée par leur ami Patrick Geddes (1854-1932) (53). Élisée en
parle également dans plusieurs de ses articles. Il s’attache
surtout à la dimension d’embellissement esthétique,
architectural, du projet de Geddes, critiquant avec des accents
ruskiniens l’art conventionnel habituellement imposé et empesé.
Mais il est réticent sur deux points : le financement, qui dépend
en dernier ressort des banques si les généreux philanthropes ne
sont plus là pour payer, et la question des miséreux chassés par
la rénovation, qui ont été tout simplement expulsés.
Il
semble que de façon assez générale Reclus soit assez réfractaire
à l'idée d'« utopie », même urbaine. Il n'emploie pas le mot. Il
a, comme on l’a vu, critiqué sévèrement les tentatives de
communautés anarchistes qui ont fleuri à la fin du XIXe siècle. Il
est sensible à cet égard aux accusations d’irréalisme qu'ont
portées les adversaires de l'anarchisme, préférant parler d'idéal
(s'attirant l'étiquette d'« idéaliste » de la part d'Engels) ou
souligner la part déjà libertaire (anarchique) de la société
existante sur laquelle doit se fonder le « progrès », autre terme
qu'il chérit. À cet égard, Reclus s'écarte d'un certain nombre de
penseurs socialistes, voire de proches comme Patrick Geddes ou Lewis
Mumford (1895-1990).
En
fait, Élisée Reclus part toujours et encore de la réalité pour
construire son projet social. Il le juge réaliste si l’observation
scientifique, et singulièrement la géographie, montre qu’il
l’est. Or il y a assez de terres fertiles pour nourrir tous les
êtres humains, supprimer la famine, donc une partie de la misère et
progresser vers la richesse pour tous. Les villes, historiquement
agents de la liberté et de l’initiative par la commune,
s’étendent-elles ? Il n’y a pas lieu de s’en alarmer à
condition que la laideur et la misère en soient également chassées.
«
Les plaintes de ceux qui gémissent de la dépopulation des
campagnes ne peuvent donc arrêter le mouvement ; rien n’y fera,
toutes les clameurs sont inutiles. Devenu, grâce à une plus grande
aisance et au bon marché relatif des voyages, possesseur de cette
liberté primordiale « d’aller et de venir », de laquelle
pourraient à la longue découler toutes les autres, le cultivateur
non propriétaire obéit à une impulsion bien naturelle lorsqu’il
prend le chemin de la cité populeuse dont on lui conte tant de
merveilles » (54).
Il
faut même supprimer tout ce qui pourrait entraver l’extension de
la ville, comme les remparts ou les forteresses, tout en maintenant
de nombreux espaces verts. Élisée Reclus propose donc une solution
originale à l’une des thématiques fondamentales du socialisme, à
savoir la suppression de l’opposition entre la ville et la campagne
: celle d’une ville qui s’étendrait à perte de vue, d’une
ville illimitée (55). Il se démarque ainsi de certains projets
socialistes comme ceux de John Ruskin (1818-1900) ou de William
Morris (1834-1896). Cette extension de la ville ne doit toutefois pas
se faire au profit d’une « rage d’appropriation » ni au
détriment de la beauté de la nature.
On
peut discuter de la pertinence de cette expression de « ville
illimitée » proposée par Sophie Gourlaouen et que Reclus n’utilise
pas explicitement, ou des formes exactes que Reclus envisageait pour
ce nouvel ensemble fatalement très peuplé. Mais telle est la vision
qui se dégage de sa géographie, de sa description du présent et de
sa proposition pour le futur. Il constate les phénomènes qui «
tendent à favoriser une déconcentration dans la ville moderne et
à ouvrir un peu ses espaces centraux à des activités venues de
l’extérieur » (56).
Et
il encourage ce double processus de déconcentration, par exemple des
« institutions implantées à l’origine au coeur de la ville
[qui] se déplacent vers la campagne », et de reconquête des
centres, car « trop utile à l’ensemble des citoyens pour être
monopolisé par des familles privées, le coeur de la cité est le
patrimoine de tous » (ib.).
Ces
thèmes qui nous sont désormais familiers ne l’étaient pas à
l’époque. Reclus s’oppose à « l’enfermement » des petites
communautés utopiques, ainsi qu’aux murs, aux enceintes ou aux
limitations que certains rénovateurs voudraient imposer (Raymond
Unwin, Patrick Geddes, Lewis Mumford…). Il prône
l’interpénétration de la ville et de la campagne, comme ces
rénovateurs, certes, mais sans limites définies démographiquement
ou spatialement. Il réclame l’extension, sur une base fédérale,
des relations de communes à communes. D’où l’importance donnée
par Reclus aux communications et aux transports.
«
Alors que l’homme de la campagne devient de jour en jour un
citadin dans son mode de vie et de penser, le citadin, lui, se tourne
vers la campagne et aspire à être un campagnard. C’est sa
croissance même qui permet à la ville moderne d’abandonner son
existence solitaire et de tendre à se fondre avec d’autres villes,
retrouvant ainsi la relation originelle qui unissait le marché
naissant à la campagne dont il était issu. L’homme doit avoir le
double avantage d’accéder aux plaisirs de la ville, avec ses
solidarités de pensées et d’intérêts, les possibilités qu’elle
offre d’étudier, de pratiquer les arts et, en même temps, il doit
jouir de la liberté qui existe dans la liberté de la nature et se
déploie dans le champ de son vaste horizon » (57).
Vers
cette ambition, le chemin est ouvert selon Reclus :
« À
mesure que les hommes modifient leur propre idéal de vie, ils
doivent nécessairement faire évoluer, en accord avec celui-ci,
cette « corporéité » élargie que constitue leur habitat. La
ville reflète l’esprit de la société qui l’a créée »
(58).
Philippe
PELLETIER
Université
Lyon 2
22
mars 2007
* Béatrice Giblin :
Qui connaît aujourd'hui Elisée Reclus ?
Revue Hérodote | 1981
Qui sait qu'il fut un
géographe extrêmement célèbre au XIXe siècle ? Si les milieux
anarchistes le reconnaissent comme un des leurs — il fut l'ami de
Bakounine et de Kropotkine —, les géographes français l'ignorent
superbement, comme si Reclus n'avait été qu'un obscur géographe
d'une époque « préscientifique ». Et pourtant sa célébrité il
la doit bien plus à la qualité de ses travaux géographiques qu'à
la portée théorique de ses écrits anarchistes. Ce géographe
avait acquis une notoriété internationale, les savants de l'époque
le tenaient pour l'un des meilleurs, tous le considéraient comme un
géographe de grand talent. Et le public ne s'y était pas trompé :
ses ouvrages furent publiés à des milliers d'exemplaires, réédités
plusieurs fois, traduits en anglais, en russe, en espagnol, en
italien.
Alors pourquoi ce silence,
pourquoi cet oubli ?
Qui était donc Elisée
Reclus pour avoir été un géographe si renommé et si vite oublié
? D'où vient ce géographe libertaire ?
Un voyageur par goût, par
contrainte et par métier
Originaire du sud-ouest de
la France, Elisée Reclus naît à Sainte-Foy-la-Grande, petite ville
des bords de la Dordogne, le 15 mars 1830. Il est le troisième
enfant de Jacques Reclus, un pasteur calviniste, en fait un
véritable mystique, et de Zéline Trigant, issue d'une famille
bourgeoise du Bordelais, sans doute peu préparée à élever une
famille nombreuse : onze enfants. Elle a dû s'installer comme
institutrice pour subvenir aux besoins de la famille, son mari étant
plus préoccupé de ses rapports avec Dieu que de problèmes
matériels !
En 1831, la famille Reclus
s'établit à Orthez, près des Pyrénées. A l'âge de treize ans,
Elisée suit son frère et sa soeur aînée à Neuwied en Allemagne,
dans un collège religieux dirigé par les Frères Moraves, le
pasteur Reclus ayant jugé que seule cette congrégation religieuse
était digne de confiance. En quoi il se trompait lourdement, car
Elisée Reclus est vite écoeuré par l'hypocrisie de ces religieux,
plus soucieux de gagner de l'argent que de former sérieusement
leurs élèves.
Ce séjour d'Elisée en
Allemagne ne dure qu'un an, mais il représente une coupure totale
avec sa famille, peu de courrier, aucun retour en France. Il est
contraint d'apprendre l'allemand rapidement. En 1844, il rentre à
Sainte-Foy-la-Grande pour continuer ses études secondaires. Il
obtient son baccalauréat en 1848. Après avoir passé un an au
séminaire protestant de Montauban, car à l'époque, il envisage
encore d'être pasteur, il repart en Allemagne à Neuwied chez les
Frères Moraves, mais en tant que moniteur ; en vérité, ses
parents étaient trop pauvres pour financer plus longtemps ses
études. Au bout de six mois, il s'ennuie tellement qu'il décidé
de partir pour Berlin et de s'inscrire à l'Université. Là, il suit
plus ou moins fortuitement les cours de géographie de Cari Ritter,
l'un des premiers géographes universitaires, très célèbre en
Allemagne. En septembre 1851, il rentre à pied à Orthez, en
compagnie de son frère Elie qui achevait des études de théologie
à Strasbourg. Autant par économie que par plaisir, les deux frères
traversent donc la France à pied, couchant la nuit à la belle
étoile. Peu de temps après, c'est le coup d'Etat du 2 décembre.
Républicains convaincus, les frères Reclus résistent au coup de
force du futur empereur et, sans être officiellement bannis, ils
doivent se réfugier en Angleterre.
Pour gagner sa vie, Elisée
donne quelques cours, il côtoie d'autres exilés français, ceux de
1848 et ceux du coup d'Etat, mais il ne se plaît guère en
Angleterre et il est déçu par l'accueil que les Anglais réservent
aux réfugiés politiques. A la première occasion, il s'installe en
Irlande en tant que régisseur d'une exploitation agricole. Il
s'attache à ce pays dont il analyse la tragique situation
économique et sociale, quatre ans après la terrible famine de 1847
et toute sa vie, il gardera le même intérêt pour ce pays dont il
prévoit les difficultés inéluctables engendrées par l'occupation
anglaise.
Puis il quitte l'Irlande
pour la Louisiane où il se retrouve précepteur des enfants d'un
planteur de canne à sucre pendant deux ans. Il analyse à loisir la
société sudiste et, scandalisé par le comportement des hommes
d'Eglise qui soutiennent les planteurs contre-les esclaves, il se
tourne définitivement vers l'athéisme. Certes, il avait déjà
renoncé à être pasteur, mais il était resté croyant.
En 1855, Reclus part pour la
Colombie, qu'on appelait à l'époque la Nouvelle-Grenade, où il
essaie vainement de s'installer comme planteur de café. Après de
multiples échecs, malade, sans un sou, endetté, il rentre en
France en 1857. Mais il a des carnets de voyages couverts de notes et
d'observations personnelles, et dès son retour, il essaie de
publier quelques articles à partir de ces écrits. L'intérêt de
Reclus pour la géographie s'est confirmé peu à peu, et il a très
envie de décrire les paysages si variés où il a voyagé, et
rendre compte du monde lui semble en vérité une tâche tout à
fait exaltante.
Il prend alors contact avec
diverses personnalités savantes et rédige quelques articles. La
maison Hachette envisage de publier le récit de ses voyages et lui
propose, en attendant, de travailler à la collection des guides
Joanne qu'elle publie et à d'autres publications géographiques.
Elisée s'installe chez Hachette, comme géographe, en décembre
1858 et commence à circuler le plus souvent à pied, en France et
dans les pays voisins, pour écrire ses guides. La publication de
quelques articles de géographie physique lui permet aussi d'adhérer
à la Société de géographie de Paris, qui était assez active à
l'époque et surtout qui possédait la meilleure bibliothèque
d'ouvrages de géographie et un très grand nombre de cartes. En 1869
paraît le premier ouvrage d'Elisée Reclus : La Terre. C'est un
véritable traité de géographie physique qui connaît un énorme
succès.
Le libertaire
Malgré le peu de temps que
lui laissent ses activités géographiques — voyages, publications
—, Elisée Reclus essaie d'être un militant actif au sein des
milieux socialistes, puis anarchistes. Il s'était intéressé très
jeune aux idées socialistes, avait lu Leroux, Owen, Fourrier. A son
retour d'Amérique, il est séduit comme son frère aîné Elie par
les idées anarchistes qui lui semblent les seules à accorder autant
d'importance à l'individu. Son éducation protestante est sans doute
à l'origine de sa préoccupation constante des droits de l'individu,
et plus encore le protestantisme particulier de son père qui en
toutes circonstances ne suivit que sa conscience: et refusa toujours
d'aliéner sa liberté, ne voulant rien ni personne entre lui et
Dieu.
Le protestantisme au sein
duquel Elisée Reclus a été élevé est en vérité une conduite
de vie, une morale qui repose sur l'autonomie totale de l'individu,
véritablement responsable de lui-même et qui ne doit rendre compte
de ses actes qu'à Dieu. Méfiance donc envers les rites et les
organisations qui ne sont que des barrières destinées à contrôler
les hommes et les femmes. Ces principes, on le voit, n'ont pu que
favoriser la marche de Reclus vers l'anarchisme. Ardent défenseur
de tous les opprimés, adversaire déclaré de l'Etat et de toutes
les lois autres que naturelles, il milite dans les milieux
anarchistes.
En 1864, Reclus fait la
connaissance de Bakounine et adhère avec son frère à sa société
secrète « La Fraternité internationale », il le suit dans les
activités de l'Internationale des travailleurs, où il rencontre des
partisans de Marx avec lesquels les anarchistes sont très vite en
désaccord. Marxistes et anarchistes s'opposent sur la marche à
suivre pour arriver à la libération des travailleurs. Les premiers
estiment qu'il ne faut pas négliger la voie légale et accordent un
rôle primordial à l'organisation, tandis que les anarchistes sont
convaincus qu'il est illusoire d'envisager la révolution par cette
voie-là. Marx et Engels parlent d'ailleurs des frères Reclus en
des termes ironiques et méprisants : « Ce que pensent les
socialistes parlant français m'amuse tout particulièrement. Ils
sont représentés, bien entendu, par la triste figure des frères
Reclus. » Ou encore : «Elisée est un compilateur ordinaire et rien
d'autre. [...] Politiquement, c'est un cafouilleux et un impuissant.
»
Les convictions anarchistes
d'Elisée Reclus vont encore se radicaliser lors de la Commune de
Paris. Bien sûr, il suit avec passion les débuts du mouvement,
avec ses frères Eliè et Paul. Devant l'attitude démissionnaire
des Versaillais face aux Prussiens, les frères Reclus rejoignent un
bataillon de fédérés. Mais pour Elisée Reclus, la période des
combats est de très courte durée, car il est fait prisonnier dès
le début d'avril 1871 et il est incarcéré en rade de Brest. Sa
réputation de savant lui permet d'avoir des conditions de détention
relativement favorables. Il dispose même d'une partie de sa
documentation afin de poursuivre son travail.
C'est en prison qu'il
négocié avec M. Templier, de la maison Hachette, son contrat pour
la rédaction d'une Géographie universelle. En novembre 1871, il
est Condamné à la déportation en Nouvelle-Calédonie. Cette
condamnation ne passe pas inaperçue et un groupe de savants
étrangers — anglais et américains— obtiennent en février 1872
du gouvernement français la commutation de sa peine en dix années
de bannissement. Reclus, menottes aux mains, quitte la France pour la
Suisse, où il rejoint son frère aîné qui s'y était déjà
réfugié.
L'exil en Suisse et la
rédaction de la « Nouvelle Géographie universelle », 1872-1894
Très vite, Reclus reprend
contact avec ses amis anarchistes (Bakounine est alors à Zurich).
Mais il se remet Surtout à son travail de géographe. Il a signé
au cours de l'été 1872 son contrat avec la maison Hachette pour la
rédaction d'une Nouvelle Géographie universelle. Il lui faut tenir
cet engagement et gagner sa vie. Afin d'être en possession de
l'information là plus récente, Reclus n'hésite pas à se rendre
dans les pays qu'il doit décrire. 11 voyage donc énormément,
s'informe auprès de ses amis géographes ou anarchistes. Quand
ceux-ci conjuguent ces deux qualités, c'est l'idéal.
C'est le cas de Kropotkine.
Les deux hommes se rencontrent en 1877 et resteront des amis très
fidèles. Kropotkine a beaucoup aidé Reclus dans la rédaction du
volume de la Géographie universelle consacré à la Russie.
Ensemble, ils collaborent aussi à mettre sur pied une nouvelle
orientation du mouvement anarchiste, l'anarchisme communiste, qui
condamne la propriété privée : « Notre communisme n'est ni celui
des phalanstères, ni celui des théoriciens autoritaires allemands.
C'est le communisme anarchiste, le communisme sans gouvernement,
celui des hommes libres. C'est la synthèse des deux buts poursuivis
par l'humanité à travers les âges, la liberté économique et la
liberté politique » (KROPOTKINE, La Conquête du pain).
Malgré l'intérêt qu'il
porte au mouvement anarchiste, Reclus n'a guère de temps à y
consacrer. Il écrit pourtant quelques articles, et soutient
financièrement des publications anarchistes. L'essentiel de son
temps va à la rédaction de la Nouvelle Géographie universelle,
ouvrage colossal : 19 gros volumes. Il enseigne aussi à
l'université de Neufchâtel où il donne pendant plusieurs années
des conférences de géographie sur la Méditerranée. En 1879, la
Chambre des députés vote une amnistie partielle qui s'applique aux
frères Reclus, mais Elisée refuse de rentrer en France tant que
tous les communards ne seront pas amnistiés : bel exemple de
rectitude politique.
Toujours pour rédiger sa
Géographie universelle, il visite l'Egypte, séjourne plusieurs
fois au Maghreb, où l'une de ses filles est installée avec sa
famille en Algérie ; en Espagne, au Portugal, où il consulte les
archives de la colonisation de l'Amérique du Sud dans le but
d'accroître sa documentation.
En 1889, il part aux
Etats-Unis. Il retourne en Louisine, mais découvre surtout de
nouvelles régions, les Grands Lacs, New York et il travaille aussi
beaucoup en bibliothèque.
Bruxelles : le professeur, «
L'Homme et la Terre »
Au cours de l'été 1890,
Reclus quitte la Suisse et rentre à Paris tout en continuant à
voyager énormément. Il ne séjourne que quatre ans à Paris, où
d'ailleurs l'institution universitaire ne lui propose aucun poste
d'enseignement. Bien sûr, il n'est pas docteur d'Etat, mais sa
notoriété exceptionnelle pouvait lui ouvrir les portes du Collège
de France. Il n'en est rien : on dut considérer que ce géographe
de talent, mais libertaire et quelque peu original, n'avait pas sa
place au sein de l'institution. Après la parution du dernier volume
de la Nouvelle Géographie universelle en 1894, il est appelé par
l'Université libre de Bruxelles.
En vérité, l'arrivée d'un
géographe libertaire est contestée et en définitive refusée par
de nombreux enseignants. Aussi Elisée, son frère Elie et quelques
autres enseignants qui avaient les mêmes idées, fondent la Nouvelle
Université de Bruxelles, qui coexiste d'ailleurs pacifiquement
pendant vingt ans avec l'Université libre. Les professeurs ne sont
pas payés par l'Etat et cette université ne reçoit aucune
subvention. Aussi Reclus doit s'arranger pour gagner suffisamment
d'argent avec ses publications et ses travaux cartographiques afin
d'assurer des revenus à l'équipe enseignante qui travaille avec
lui. Il est aussi assez absorbé par la réalisation d'un
gigantesque globe en relief, car Elisée Reclus a toujours été
préoccupé par les problèmes que soulève une juste représentation
de la terre.
Mais surtout il consacre ses
dernières forces à un ouvrage qu'il considère comme la conclusion
de son oeuvre, L'Homme et la Terre, 6 tomes. Reclus le définit
comme un « ouvrage de géographie sociale » dans lequel il aborde
trois thèmes qu'il considère comme fondamentaux : « La lutte des
classes, la recherche de l'équilibre et le rôle primordial de
l'individu ». C'est une vaste fresque historique des luttes et des
progrès de l'humanité depuis la Préhistoire jusqu'au début du
XXe siècle. Mais c'est aussi — les deux derniers tomes — Un
traité de géographie humaine générale.
Malade depuis quelque temps
déjà, il meurt à ThoUrout en Belgique le 4 juillet 1905. Son
neveu Paul Reclus, fils d'Elie, se chargera de veiller sur la
parution des cinq derniers volumes et lui succède à la tête de
l'Institut de géographie de la Nouvelle Université de Bruxelles,
qui disparaît en 1914.
NOTES
1
PELLETIER Philippe (2005) : « La géographie innovante d’Élisée
Reclus ». Cahiers des Amis de Sainte-Foy et sa région, 86-2,
p. 7-38.
2
VIDAL DE LA BLACHE Paul (1922) : Principes de géographie humaine.
« Avertissement » par Emmanuel de Martonne, Paris, Armand Colin,
296 p., p. VI.
3
LACOSTE Yves (1990) : Paysages politiques. Paris, Le Livre de
Poche, p. 218 et p. 195.
4
MEYNIER André (1969) : Histoire de la pensée géographique en
France (1872-1969). Paris, PUF, 226 p., p. 86.
5
GOURLAOUEN Sophie (2004) : Élisée Reclus (1830-1905) : Un
géographe observateur des villes. Université de Tours,
département d’Histoire, T.E.R. sous la direction de Philippe
Chassaigne et Jean-Luc Pinol, 142 p.
6
Ma phrase, « Élisée Reclus a relativement peu écrit sur la
ville et sur le phénomène urbain en général », est ambiguë
et mal formulée. En utilisant le singulier (“la ville”, “le
phénomène urbain”), je voulais parler d’une théorie générale
de la ville présentée en tant que telle. En fait, on peut même
reconstituer celle-ci chez Reclus en piochant dans toute son oeuvre,
notamment son article “The Evolution of Cities” (Contemporary
Review, 1895, n° 350, p. 246-264). Comme on le sait, Élisée
Reclus, à l’instar des géographes de son temps d’ailleurs,
n’aime guère théoriser. PELLETIER Philippe (1999) : “La ville
et la géographie urbaine chez Élisée Reclus et à travers son
époque”. Réfractions, 4, p. 17-24.
7
PELLETIER Philippe (2005) : « La « plus grande merveille de
l’histoire », le Japon vu par Élisée Reclus ». Hérodote,
117, p. 183-191. JUD Peter (1995) : Léon Metchnikoff (Lev Il’ic
Mecnikov) 1838-1888, Ein russischer Geograph in der Schweiz.
Zürich, Oriole-Verlag, 104 p.
8
Comme : « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes »,
La Revue des Deux Mondes, tome 63, mai 1866, p. 351-357 et
371-377, réédité par Joël Cornuault (2002), Éditions Premières
Pierres, Charenton. (Avec Élie RECLUS) : « Renouveau d’une Cité
». La Société nouvelle, 138, juin 1896.
9
RECLUS Élisée (1895) : “The Evolution of Cities”. Contemporary
Review, n° 350, p. 246-264. (1905) : L’Homme et la Terre.
Paris, Librairie Universelle, tome cinquième, 582 p., livre
quatrième « Histoire contemporaine », chapitre II « Répartition
des hommes », p. 334-376, correspondant aux p. 26-47 de la réédition
partielle effectuée par Béatrice Giblin (1982), Paris, La
Découverte, vol. II.
10
Présenté et traduit par CHAMBOREDON Jean-Claude et MÉJEAN Annie
(1988) : « Villes et campagnes selon Élisée Reclus ». Cahiers
d’économie et sociologie rurales, 8, p. 67-74. Réédité par
RONCAYOLO Marcel et PAQUOT Thierry dir.(1992) : Villes &
civilisation urbaine, XVIIIe-XXe siècle. Paris, Larousse, 692
p., p. 158-173. C’est à cette réédition que renvoient les
références infra à L’Évolution des villes.
11
L’Homme et la Terre, tome V, livre IV, chap. II, p. 374-376.
12
L’Évolution des villes, p. 159.
13
L’Évolution des villes, p. 172.
14
L’Évolution des villes, p. 159.
15
L’Homme et la Terre, tome I, p. 116-120.
16
L’Évolution des villes, p. 168.
17
« La vie plus active, plus passionnée, s’est par contre-coup
fréquemment compliquée de crises, et souvent l’arrêt se fait
brusquement par la mort volontaire. Là est le côté très
douloureux de notre demi-civilisation si vantée, demi-civilisation
puisqu’elle ne profite point à tous. La moyenne des hommes,
fût-elle de nos jours non seulement plus active, plus vivante, mais
aussi plus heureuse qu’elle l’était autrefois, lorsque
l’humanité, divisée en d’innombrables peuplades, n’avait pas
encore pris conscience d’elle-même dans son ensemble, il n’en
est pas moins vrai que l’écart moral entre le genre de vie
des privilégiés et celui des parias s’est agrandi ». H&T,
tome VI, p. 533.
18
L’Évolution des villes, p. 166. Cf H&T, V, p.
354.
19
Exemples rassemblés par Sophie Gourlaouen sur l’insalubrité dans
la NGU : NGU, III, p. 96 ; IV, p. 399, 614, 659 ; V, p.
517, 596…
20
Réflexion morale jamais découplée d’une réflexion politique et
d’un refus de l’hypocrisie : « Le vice de l’ivrognerie est
une grande source de revenus pour le gouvernement anglais, à cause
des droits de douane que l’État perçoit sur les spiritueux.
L’Église anglicane, propriétaire de plusieurs centaines de
cabarets fort bien achalandés, prend sa part de cet immense profit
». NGU, vol. IV, p. 859.
21
Reclus propose un graphique novateur comparant les parts
respectivement prises par la natalité et l’immigration dans la
croissance des grandes villes (européennes en l’occurrence). NGU,
vol. IV, p. 508.
22
« Du sentiment de la nature… », rééd. 2002, p. 63.
23
Gourlaouen (2004), op. cit., p. 34.
24
NGU, II, p. 723. Gourlaouen (2004), op. cit., p. 43.
25
NGU I, p. 747, IV, p. 520.
26
H&T, V, p. 339.
27
H&T, V, p. 336.
28
H&T, V, p. 337.
29
L’Évolution des villes, p. 159. L’image de Babylone
revient à plusieurs reprises (H&T, p. 336, 339). On sait que
Reclus, élevé dans une famille protestante rigoriste puis chez les
Frères moraves, dispose d’une grande culture sur la religion.
30
H&T, V, p. 336.
31
NGU, I, p. 420.
32
NGU, IV, p. 86.
33
Notamment pour la fondation de la revue L’Humanité nouvelle à
partir de 1897. JULLIARD Jacques (1971) :
Fernand
Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe.
Paris, Seuil, Points-Histoire, 300 p., p. 99.
34
L’Endehors (1891-1893) est le nom du journal fondé par
l’individualiste Zo d’Axa (1864-1930), pseudonyme du journaliste
Alphonse Gallaud de la Pérouse. Ce titre est repris en 1922 par
l’anarchiste individualiste E. Armand (1872-1962), pseudonyme
d’Ernest Juin.
35
RECLUS Élisée (1900) : « Les colonies anarchistes ». Les Temps
nouveaux, du 7 au 13 juillet, p. 1-2. Ces propos sont plus durs
que dans son seul ouvrage spécifiquement anarchiste, L’Évolution,
la révolution et l’idéal anarchique (1898). Dans les
dernières pages de ce livre, il évoque les « tentatives
d’associations plus ou moins communautaires » dont l’histoire
« raconte beaucoup plus d’insuccès que de réussites »,
en ajoutant qu’« aucun de ces insuccès ne saurait nous
décourager, car les efforts successifs indiquent une tension
irrésistible de la volonté sociale » (édition Stock, 1921,
rééd. p. 192 et p. 195).
36
KROPOTKINE Pierre (1896) : « Contre les communes volontaires » .
Communisme et Anarchie, texte du congrès de Londres ; repris
dans La Science moderne et l’Anarchie (1913), p. 152-154.
Cité par : ZEMLIAK Martin (1976) : Pierre Kropotkine, OEuvres.
Paris, Maspéro, 450 p., p. 41-43.
37
NETTLAU Max (1986) : Histoire de l’anarchie. Paris,
Artefact, 306 p., p. 263, éd. or. 1934.
38
BOCHET François (1993-1994) : « Naturiens, végétaliens,
végétariens et crudi-végétariens dans le mouvement anarchiste
français (1895-1938) ». Invariance, supplément au n° 9.
BAUBÉROT Arnaud (2002) : Le naturisme et la société française,
histoire sociale et culturelle d’un mythe : le retour à la nature
(fin du XIXe siècle, années trente). Université Paris XII,
doctorat d’histoire. MAITRON Jean dir. (1977 , 1987) : Dictionnaire
biographique du mouvement ouvrier français. Paris, les Éditions
ouvrières.
39
Il existe également d’autres publications dans la même veine à
la même époque, souvent de brève existence : L’État naturel
(1894), Le Naturien (1892), L’Âge d’or (1898),
Le Sauvage (1898-1899), L’Ordre naturel (1905), La
Vie naturelle (1907-1914).
40
MAITRON Jean (1975) : Histoire du mouvement anarchiste en France
(1880-1914). Paris, vol. 1. Paris Gallimard, éd. or. 1951. Ce
que confirme par exemple un propos publié par les Temps nouveaux
(1896, n° 12, p. 3) : « L’opinion naturienne est ridicule
».
41
ARMAND Émile (1931) : « Le Naturisme individualiste ». L’Endehors,
supplément au n° 212-213, 15 août. Armand ajoute : « Mais que
cette tendance prétende représenter l’individualisme anarchiste,
c’est ce qui ne saurait se concevoir ! ».
42
FUMEY Gilles (2005) : « Élisée Reclus végétarien, « étonnant
géographe » du monde animal et végétal ». Élisée Reclus et
nos géographies, textes et prétextes, colloque international,
Lyon, septembre 2005, communication.
43
L’Évolution des villes, p. 169. Repris dans H&T p.
362.
44
H&T, V, p. 364. Cf. L’Évolution des villes, p.
170 : « L’histoire les [= les municipalités] prévient que la
maladie n’épargne personne et qu’il est dangereux de laisser la
pestilence dépeupler les taudis accolés aux palais ».
45
H&T, V, p. 367. Dans L’Évolution des villes, ce
passage est : « Cependant, même si le riche entrepreneur et le
mécène officiel étaient toujours des hommes d’un goût cultivé,
les villes présenteraient un affligeant contraste entre le luxe et
la crasse, entre la somptueuse et insolente splendeur de quelques
quartiers ». L’Évolution des villes, p. 170.
46
H&T, V, p. 367.
47
H&T, V, 4, II, p. 367.
48
H&T, V, p. 368.
49
H&T, V, p. 370. Cf. L’Évolution des villes, p.
170 : « De ce point de vue, la question architecturale et
immobilière est indissociable de la question sociale dans son
ensemble ».
50
Il évoque « les jardins, les bois, les forêts, « poumons » de
Paris ». NGU, II, p. 731. Est-ce l’une des premières
occurrences de cette expression de « poumon » pour la verdure en
ville ?
51
C’est en 1898 qu’Ebenezer Howard (1850-1928) publie son célèbre
projet de cités-jardins : Tomorrow : a peaceful path to social
reform, réédité en 1902 sous le titre de Garden Cities of
Tomorrow.
52
H&T, V, p. 371.
53
RECLUS Élisée et Élie (1896) : « Renouveau d’une cité ». La
Société nouvelle, 138, juin.
54
« Du sentiment de la nature… », rééd. 2002, p. 61.
55
Gourlaouen (2004), op. cit., p. 93 et suivantes.
56
L’Évolution des villes, p. 172.
57
L’Évolution des villes, p. 173. C’est la conclusion de
l’article.
58
L’Évolution des villes, p. 171.
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