Juan Manuel Sanchez Gordillo |
Marinaleda, est un village d'Andalousie, dans la province de Séville ; le maire, Juan Manuel Sanchez Gordillo,
anticapitaliste et républicain, et les 2700 habitants s'activent
depuis maintenant plus de 30 ans pour construire une alternative socialiste au capitalisme : une expérience unique en
Europe de gestion municipale. Ici, peu de chômage, pas de police, pas de promoteur, ni
de curé, ni de slogan politicien, mais une politique mettant en
pratique les droits au travail, au logement, à l'éducation, à la
culture, sous l'égide d'une démocratie directe, authentique pouvoir
populaire : Utopique ? Juan Manuel Sanchez Gordillo la revendique :
« La gauche doit se
situer le plus à gauche possible, et doit donc aspirer à l'Utopie.
Elle ne doit pas être considérée comme une chimère, mais comme le
droit que les personnes ont de rêver et, grâce à la lutte, de voir
leurs rêves devenir réalité. […] Nous pensons que le pouvoir ne
peut pas être neutre. Le pouvoir entre les mains des travailleurs
doit être un contre-pouvoir. Pour que ce pouvoir du peuple et pour
le peuple soit une force, nous avons pensé que la participation
était essentielle. C'est pour cela que nous avons créé l'assemblée
générale des quartiers, notre organe suprême de décision. Nous
avons compris que la démocratie directe est meilleure que la
démocratie représentative : les gens ne participent pas à la
politique tous les 4 ans lors d'élections, mais chaque jour, à ce
qui relève du quotidien. »
Andrea
Duffour
Association Suisse-Cuba
Depuis l’alerte google
Alternatives au capitalisme j’ai récemment découvert l’existence
de MARINALEDA, une commune de 2645 habitants en Andalousie « où
Marx vivrait s’il était encore en vie, avec zéro chômage, zéro
policier et des habitations à 15 euros par mois ». Une
alternative au capitalisme réalisée à moins de 2000 km de chez
nous et qui fonctionne depuis plus de 30 ans sans que je n’en aie
jamais entendu parler ? A la première occasion, c’est donc sac à
dos, train, bus et autostop que j’irai pour vérifier si cette
belle utopie existe vraiment…
Comme c’est Pâques, je
tombe en pleine Semana Santa. Au village voisin on m’avertit : «
Leur maire est un fou, quand nous autres, Espagnols, faisons des
processions religieuses, eux ils font la fête pendant 5 jours ».
J’apprends que la fête de la paix qui tombe durant la Semaine
Sainte y est effectivement une tradition depuis plusieurs années et
beaucoup de jeunes de Sevilla, Granada ou Madrid ont rejoint les
villageois. Des lectures, des films ou une conférence, en solidarité
avec la Palestine, ainsi qu un appel au boycott des produits
israéliens ouvrent les soirées de concerts et de fête. Pour les
nuits, l’immense complexe poly-sportif reste ouvert pour loger les
visiteurs de l’extérieur. Une première auberge est en
construction.
En tant que membre de
l’association de solidarité Suisse-Cuba, je m’étais déplacée
pour voir s’il existait effectivement une expérience socialiste un
peu similaire à la révolution cubaine ici en Europe et j’en ai eu
pour mon compte.
Le droit à la terre et
au travail
A Marinaleda aussi, il a
fallu d’abord passer par une réforme agraire. « La lutte
révolutionnaire du peuple cubain a été une lumière pour tous les
peuples du monde et nous avons une grande admiration pour ses acquis
», m’explique Juan Manuel Sanchez Gordillo, maire communiste,
réélu depuis 31 ans. Il était le plus jeune édile d’Espagne en
1979. En 1986, après 12 ans de luttes et d’occupations où les
femmes ont joué le rôle principal, ce village a réussi à obtenir
1200 ha de terre d’un grand latifundiaire, terre qui a aussitôt
été redistribuée et transformée en coopérative agricole de
laquelle vit aujourd’hui presque tout le village. « La terre
n’appartient à personne, la terre ne s’achète pas, la terre
appartient à tous ! ».
A la ferme de la
coopérative, EL HUMOSO, les associés travaillent 6.5h par jour, du
lundi au samedi, ce qui donne des semaines de 39 h. Tout le monde a
le même salaire, indépendant de la fonction. 400 personnes du
village les rejoignent pendant les mois de novembre à janvier
(olives), et 500 en avril (habas, haricots de Lima).
La récolte (huile d’olive
extra vierge, artichauts, poivrons, etc.,) est mise artisanalement en
boite ou en bocal dans la petite fabrique HUMAR MARINALEDA au milieu
du village où travaillent env. 60 femmes et 4-5 hommes en bavardant
dans une ambiance décontractée. Le tout est vendu principalement en
Espagne. Une partie de l’huile d’olive part pour l’Italie qui
change l’étiquette et la revend sous un autre nom. « Nous avons
la meilleure qualité, mais malheureusement, c’est eux qui ont les
canaux pour la commercialisation » m’explique un travailleur de la
ferme. Avis donc aux magasins alternatifs de chez nous pour leur
proposer un marché direct…
Les bénéfices de la
coopérative ne sont pas distribués, mais réinvestis pour créer du
travail. Ça a l’air si simple, mais c’est pour cela que le
village est connu pour ne pas souffrir du chômage. En discutant avec
la population, j’ai pourtant appris qu’à certaines époques de
l’année, il n’y a pas assez de travail dans l’agriculture pour
tous, mais que les salaires sont tout de même versés. Comme à
Cuba, l’habitation, le travail, la culture, l’éducation et la
santé sont considérées comme un droit. Une place à la crèche
avec tous les repas compris coûte 12 euros par mois. A nouveau, ça
rappelle Cuba où l’éducation est gratuite, depuis la crèche
jusqu’à l’université.
Les maisons
auto-construites
Plus de 350 maisons ont déjà
été construites par les habitants eux-mêmes. Il n’y a pas de
discrimination et l’unique condition pour une attribution est de ne
pas déjà disposer d’un logement. La municipalité met à
disposition gratuitement la terre et les conseils d’un architecte,
Sevilla fait un prêt des matériaux. Les maisons ont 90m2, deux
salles d’eau et une cour individuelle de 100m2 où on peut planter
ses légumes, faire ses barbecues, mettre son garage ou agrandir en
cas de besoin. Comme dans certaines régions à Cuba, un groupe de
futurs voisins construisent ensemble pendant une année une rangée
de maisons mitoyennes sans savoir encore laquelle sera la leur. Une
fois le logement attribué, les finitions, l’emplacement des
portes, les ouvertures peuvent être individualisées par chaque
famille. Le loyer se décide en réunion du collectif. Il a été
arrêté fixé à moins de 16 euros par mois. Les constructeurs
deviennent ainsi propriétaires de leur maison, mais elle ne pourra
jamais être revendue. (En dehors de l’auto-construction, j’ai
rencontré une famille qui loue à 24 euros par mois ainsi que la
seule ouvrière de la fabrique Humar Marinaleda qui vient de
l’extérieur et qui paye, elle, 300 euros pour son logement. Les
personnes qui souhaitent vivre à Marinaleda doivent y passer deux
ans d’accoutumance avant une décision définitive).
Le coiffeur, qui fait plutôt
partie de la minorité de l’opposition, est propriétaire de sa
maison et se plaint de devoir travailler quand même. A ma question,
pourquoi il ne vend pas sa maison à une des nombreuses familles
espagnoles qui aimeraient venir rejoindre ce village, il dit qu’il
y a tout de même aussi des avantages de rester ici. (L’opposition
serait financée par le PSOE, Partido socialisto obrero espagnol,
selon certaines sources).
Ce samedi de Pâques, les
intéressé-e-s sont invités à la mairie pour une petite
conférence. Le maire nous explique son point de vue sur différents
points avant de répondre à nos questions. En voici quelques
extraits ou résumés :
S’organiser
« Il faut lutter unis. Au
niveau international, nous sommes connectés avec Via campesina, puis
nous nous sommes organisés syndicalement et politiquement », nous
communique le maire. Esperanza, 30 ans, éducatrice de profession,
conseillère sociale bénévole de la municipalité, m’avait déjà
expliqué ceci la veille au « syndicat », bar et lieu de rencontres
municipal : « Ici, nous avons fait les changements depuis le bas,
avec le SAT, syndicat de travailleurs d’Andalousie, anciennement
SOC, syndicat fondé en 76, juste après Franco, et avec la CUT,
collectif unitaire de travailleurs, parti anticapitaliste ».
Pas de gendarme
« Nous n’avons pas de
gendarmes ici - ça serait un gaspillage inutile » Les gens n’ont
pas envie de vandaliser leur propre village. « Nous n’avons pas de
curé non plus –gracias à Dios ! » plaisante le maire. La liberté
de pratiquer sa religion est pourtant garantie et une petite
procession religieuse timide défile discrètement, sans spectateurs,
dans le village en évitant la place de fête.
Le capitalisme
« La crise ? Le système
capitaliste a toujours été un échec, la crise ne date pas
d’aujourd’hui. L’avantage de la crise : le mythe du marché est
tombé (...) Les réalités sont toujours les mêmes : quelque 2%
détiennent 50% de la terre (…). Ceux qui veulent réformer le
capitalisme veulent tout changer pour que rien ne change ! Dans le
capitalisme, on a des syndicats de régime et non pas des syndicats
de classe, il y a beaucoup d’instruments d’aliénation, pas de
liberté d’expression, seulement la liberté d’acquisition (...)
A Marinaleda, nous serons les premiers quand il s’agit de lutter et
les derniers à l’heure des bénéfices. »
Démocratie
« Nous pratiquons une
démocratie participative, on décide de tout, des impôts aux
dépenses publiques, dans des grandes assemblées. Beaucoup de têtes
donnent beaucoup d’idées. Nos gens savent aussi qu’on peut
travailler pour d’autres valeurs qu’uniquement pour de l’argent.
Quand nous avons besoin ou envie, nous organisons un dimanche rouge :
par exemple certainement dimanche après cette fête, il y aura assez
de jeunes volontaires qui viendront nettoyer la place ou préparer un
petit déjeuner pour les enfants et tout ceci pour le plaisir d’être
ensemble et d’avoir un village propre (…). La démocratie doit
être économique et sociale, pas seulement politique. Quant à la
démocratie politique, la majorité 50%+1 ne sert à rien. Pour une
vraie démocratie, il faut au moins 80-90% d’adhérents à une
idée. D’ailleurs, toutes nos charges politiques sont tous sans
rémunération ».
Luttes futures et
amendes…
Le maire appelle à
participer à la grève générale annoncée par le SA pour ce 14
avril, en solidarité avec les sans terres en Andalousie qui ne
bénéficient pas encore de leur droit à la terre et aussi pour nos
revendications à nous. Il préconise aussi la nécessité de
nationaliser les banques, l’énergie, les transports, etc. Nous
devons 20-30 millions de pesetas d’amendes pour nos luttes
différentes…
La culture, les fêtes
« Nous faisons beaucoup de
fêtes avec des repas communs gratuits, et il y a toujours assez de
volontaires pour organiser tout cela. La joie et la fête doivent
être un droit, gratuites et pour tous. Ce n’est pas la mayonnaise
des médias qui vont nous dicter ce qui doit nous plaire, nous avons
une culture à nous. »
Expérience sociale
unique en Europe
Avec un sol qui n’est plus
une marchandise, mais devenu un droit pour celui qui veut le cultiver
ou l’habiter, une habitation pour 15 euros par mois, du sport ou la
culture gratuits ou presque (piscine municipale 3 euros pour la
saison), un sens communautaire de bien-être, je pense pouvoir dire
que Marinaleda est une expérience unique en Europe.
Chaque samedi d’ailleurs,
le maire répond également aux questions des villageois présent-e-s
à la maison communale sur la chaîne de la TV locale. Cela nous
rappelle l’émission « Alô présidente » de Hugo Chavez, un
autre leader pour lequel Gordillo a exprimé son admiration.
La désinformation
Apaga la TV, enciende tu
mente - Eteins la TV, allume ton cerveau, ce premier mural m’avait
frappé, il se trouve jusqu’en face de la TV locale… A ma
question en lien avec la désinformation, Juan Miguel Sanchez
Gordillo me fait part de son plan d’écrire un livre sur « Los
prensatenientes » – la demi-douzaine de transnationales qui
possèdent les médias dans le monde. « Pendant que la gauche écrit
des pamphlets que personne ne lit, la droite économique, la grande
bourgeoisie, installe chez toi plein de canaux de télévision
racontant tous les mêmes valeurs et propageant la même propagande
mensongère. (…) Au niveau de l’information, l’éducation est
très importante » et, en ce qui concerne le programme national de
l’éducation, cela ne lui convient pas. Jean Manuel Sanchez
Gordillo me confie donc qu’il compte venir bientôt en Suisse pour
étudier notre système d’éducation qui est organisé au niveau
cantonal... Probablement il pense que nous sommes une vraie
démocratie avec des programmes scolaires indépendants du pouvoir…
Des expériences
alternatives au capitalisme qui font peur
Par rapport aux médias, la
question que je me pose à nouveau est la suivante : Pourquoi
l’expérience de Marinaleda est si mal connue en Espagne ainsi
qu’auprès de nos édiles ? Pourquoi Cuba, cas d’école au niveau
mondial en ce qui concerne la désinformation, mérite un budget
annuel de 83 millions de dollars de la part des Etats-Unis, consacrés
uniquement au financement de la désinformation et des agressions
contre ce petit pays ?
Y aurait-il des alternatives
au capitalisme qui fonctionnent depuis longtemps et qui font si peur
à certains ?
Andrea
Duffour
Association Suisse-Cuba
LIENS
Les
sentiers de l'utopie
Livre
et film d'Isabelle Frémeaux et John Jordan
Film
| http://vimeo.com/21919175
Site
internet | http://lessentiersdelutopie.wordpress.com/info/
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