La plus grande majorité des organisations communistes révolutionnaires pratiqueront la propagande par le fait dirigée contre des cibles précises et elles ne feront guère usage de la violence aveugle dans le but intentionnel de tuer le plus grand nombre de civils innocents. Peu ont recours à la voiture piégée, instrument de mort et de destruction massive. Mike Davis nous raconte l'histoire de la voiture piégée, aussi bien utilisée par la CIA que par les groupes terroristes dont la logique est la terreur aveugle, le but, d’indicibles carnages. Une forme de fascisme.
Mike DAVIS
Les forces aériennes du Pauvre
Article publié par TomDispatch.com en 2006
Prélude au livre Petite histoire de la voiture piégéePrésentation de Jean BATOU
Via : Solidarités.ch
Le texte que nous présentons aujourd’hui s’intitule «Les forces aériennes du pauvre». Il y ébauche une histoire des attentats à la voiture piégée. Pour Davis, il s’agit d’une «arme semi-stratégique, comparable par sa puissance (…) à l’aviation, du fait de sa capacité de détruire des localités urbaines et des quartiers généraux». Peu coûteuse, elle est à la portée des plus démunis, en particulier des mouvements populaires des pays dominés, acculés à des guerres asymétriques (Palestiniens, IRA, Tigres tamouls, résistance irakienne, etc.).
Elle a connu ses développements les plus spectaculaires après la Seconde guerre mondiale, de la Palestine au Sri Lanka, en passant par l’Irlande, mais aussi par le Liban, l’Afghanistan, la Tchétchénie, le Pérou, etc., et aujourd’hui l’Irak. Ces deux documents [avec «Les Héros de l’enfer», du même auteur] permettent de débattre du développement possible de nouveaux types de violences à la périphérie des luttes sociales d’aujourd’hui, au Sud certes, mais aussi au Nord, dans la mesure surtout où les inégalités sociales et l’oppression de populations entières continueraient à croître dans la période à venir. Ils amènent ainsi à interroger la catégorie passe-partout du «terrorisme» en replaçant sa trajectoire historique dans un contexte politique et social marqué par l’injustice et la violence de l’ordre dominant. Avant de revenir sur «l’Histoire des attentats à la voiture piégée», nous reviendrons sur les trajectoires du terrorisme révolutionnaire dans la première moitié du 20e siècle.
Elle a connu ses développements les plus spectaculaires après la Seconde guerre mondiale, de la Palestine au Sri Lanka, en passant par l’Irlande, mais aussi par le Liban, l’Afghanistan, la Tchétchénie, le Pérou, etc., et aujourd’hui l’Irak. Ces deux documents [avec «Les Héros de l’enfer», du même auteur] permettent de débattre du développement possible de nouveaux types de violences à la périphérie des luttes sociales d’aujourd’hui, au Sud certes, mais aussi au Nord, dans la mesure surtout où les inégalités sociales et l’oppression de populations entières continueraient à croître dans la période à venir. Ils amènent ainsi à interroger la catégorie passe-partout du «terrorisme» en replaçant sa trajectoire historique dans un contexte politique et social marqué par l’injustice et la violence de l’ordre dominant. Avant de revenir sur «l’Histoire des attentats à la voiture piégée», nous reviendrons sur les trajectoires du terrorisme révolutionnaire dans la première moitié du 20e siècle.
Terrorisme révolutionnaire
dans l’entre-deux-guerres
Comme le montre Mike Davis, le terrorisme révolutionnaire ne disparaît pas avec «la danse du spectre» du petit artisanat européen, dans les deux décennies qui précèdent la Première Guerre mondiale. En réalité, il continue à hanter les mouvements d’émancipation sociaux de la périphérie européenne, avec des prolongements aux Etats-Unis et en Amérique latine, jusque dans les années 1930. En effet, le premier conflit mondial, la Révolution russe et la guerre civile internationale qui lui fait suite ont sonné le glas de la «vieille tactique éprouvée» de la social-démocratie européenne, fondée sur l’accumulation de succès électoraux et de conquêtes sociales. Ils ont ainsi redonné crédit à l’action directe des mouvements sociaux, qui se heurte pourtant à de nouvelles formes de répression, plus sélectives en Europe occidentale et aux Etats-Unis, plus directes et radicales dans les pays d’Europe orientale, centrale ou méridionale, voire en Amérique latine et dans le monde colonial. Contre elles, le terrorisme révolutionnaire lancera de nouvelles attaques sanglantes, de Sofia à Rome, de Barcelone à Buenos Aires, de Paris à New York…
La brutalité de la contre-révolution d’après-guerre alimente ainsi une nouvelle vague d’actions terroristes, la violence réactionnaire entraînant des représailles du côté de ses victimes, selon un cycle ininterrompu déjà mis à jour par Edgar Quinet dans sa «Théorie de la Terreur» (1865).1 Comme le montrait bien Mike Davis dans son étude sur «Les Héros de l’enfer», Buenaventura Durruti et Francisco Ascaso en Espagne, mais aussi Max Hoelz en Allemagne et les communistes bulgares qui dynamitent la cathédrale de Sveta-Nedelja à Sofia en 1925, sont représentatifs du recours à la terreur dans l’action révolutionnaire d’après-guerre. De façon plus isolée, des hommes comme Friedrich Adler en Autriche, Mario Buda aux Etats-Unis, Sholom Schwarzbard en France, Severino di Giovanni en Argentine, Michele Schirru et Angelo Sbardellotto en Italie, Emídio Santana au Portugal, et bien d’autres, perpétuent de la même façon la tradition des attentats contre des figures emblématiques de la propriété ou du pouvoir.
De la légitimité du tyrannicide
A ce propos, Davis déplore que l’insuccès des anarchistes italiens et l’opposition dogmatique du KPD n’aient pas permis d’abattre Mussolini et Hitler dans les années 30, ce qui aurait sans doute prétérité sérieusement l’avenir de ces deux régimes fascistes. Cette attitude des communistes allemands est d’autant plus surprenante, qu’au même moment, la Russie stalinienne érigeait la terreur en règle de conduite contre ses opposants présumés, notamment après l’assassinat de Kirov en décembre 1934, justifiant cette politique par l’irruption d’une menace terroriste contre les sommets du pouvoir, voire contre le dictateur lui-même. Rappelons que l’attentat contre Hitler du 8 novembre 1939, qui a été sans doute le plus près d’aboutir, avait été minutieusement préparé par un ouvrier menuisier syndiqué, ancien membre du Roter Frontkämpferbund – l’organisation de masse du Parti communiste –, auditeur clandestin de Radio-Moscou. Il avait agi seul, accumulant pendant une année les explosifs nécessaires et travaillant de longs mois à la concrétisation matérielle de son projet dans la grande salle des fêtes de la Bürgerbräukeller de Munich, où le Führer et les hauts dignitaires nazis commémoraient chaque année le putsch manqué de 1923. Ce jour-là, cependant, Hitler et ses acolytes quittèrent les lieux avant l’heure pour regagner Berlin par le rail en raison d’une météo défavorable: en explosant un peu plus tard, la bombe fit huit morts parmi l’assistance. «Si Elser avait réussi, nul doute que la face du monde en eût été changée », remarque à juste titre Gilles Perrault. 2 Après son arrestation, Georg Elser a rendu compte précisément de ses motivations, d’ailleurs assez raisonnables, aux enquêteurs de la Gestapo. Il vaut la peine de le citer: «Le mécontentement que j’observais depuis 1933 dans le monde ouvrier et la guerre qui me paraissait inévitable depuis l’automne 1938 occupaient sans cesse mon esprit. (…) Je réfléchissais seul à la manière dont il aurait été possible d’améliorer la condition des ouvriers et d’éviter la guerre. Personne ne m’a incité à me poser ces questions (…) Je n’ai jamais non plus entendu Radio-Moscou dire qu’il fallait renverser le gouvernement et le régime allemands. Les constatations que je faisais me menaient à la conclusion qu’il ne serait possible de changer la situation qu’en éliminant le régime en place. Quand je dis ‘régime’, je pensais aux dirigeants, c’est-à-dire à Hitler, Goering et Goebbels. A force de réfléchir, j’en suis venu à penser qu’en éliminant ces trois hommes, d’autres viendraient sur le devant de la scène qui ne poseraient pas à l’étranger de conditions inacceptables, qui ne voudraient pas absorber de pays tiers et qui s’efforceraient d’améliorer la condition ouvrière. (…) Je n’avais pas l’intention d’éliminer le nationalsocialisme. J’étais persuadé que les nationaux-socialistes avaient le pouvoir entre les mains et qu’ils ne le lâcheraient jamais. Je pensais tout simplement que l’élimination des trois hommes que j’ai nommés permettrait de calmer les exigences politiques.»3
Irlande, Macédoine, Palestine, Liban…
Durant l’entre-deux-guerres, le terrorisme révolutionnaire se développe surtout en relation avec les combats des nations opprimées. Ce sont avant tout l’Armée républicaine irlandaise (IRA) et l‘Organisation intérieure macédonienne révolutionnaire (VMRO) qui multiplient alors les coups de main et les attentats. Pendant ce temps, les luttes d’indépendance du monde colonial présentent un tableau plus complexe, fait de mobilisations sociales et politiques, qui débouchent parfois sur de véritables soulèvements populaires, combinées à différentes formes de lutte armée, d’attentats et de sabotage. Après la Seconde guerre mondiale, dès 1948, ce sont les Palestiniens qui reprennent le flambeau des attentats comme arme politique, en réponse à ceux des extrémistes sionissionistes.
Enfin, au début des années 70, l’IRA reconstituée occupe à nouveau le devant de la scène, dans un contexte marqué par l’essor du mouvement des droits civiques et l’intervention des troupes britanniques en Irlande du Nord. C’est elle qui met au point ce nouvel explosif bon marché, aisément disponible et extrêmement puissant, l’ANFO (un mélange de nitrate d’ammonium et d’essence), qui sera de plus en plus utilisé dans le cadre des guerres asymétriques de la fin du 20e siècle et du début du 21e siècle.
Mike Davis montre comment, en 1983, le Hezbollah libanais ou peut-être d’autres groupes, ont réussi à précipiter le retrait de la Force multinationale de Beyrouth, en multipliant les explosions de très forte puissance contre les installations militaires et de renseignement états-uniennes et françaises. Dans un seul attentat, peut-être «la plus grande déflagration non nucléaire jamais [délibérément] provoquée à la surface de la terre», les Marines déploreront 241 morts, soit «la plus importante perte de ce corps en un seul jour depuis Iwo Jima, en 1945». En Afghanistan, la lutte contre l’occupant soviétique fera aussi largement appel à des méthodes terroristes très meurtrières (1050 tués et 12000 blessés entre 1992 et 1998), soutenues cette fois-ci par les services secrets pakistanais et la CIA. Plus près de nous, tous les protagonistes du conflit irakien font aujourd’hui un usage sans précédent de la voiture piégée, contre les forces d’occupation occidentales et leurs alliés locaux bien sûr, mais surtout dans le cadre d’une guerre civile inter-confessionnelle extrêmement sanglante: à l’heure qu’il est, ce attentats ont sans doute causé la mort de plus de 10000 personnes !
Une arme intrinsèquement fasciste?
Le premier attentat d’envergure de l’après-Deuxième guerre mondiale remonte au 12 janvier 1947. Perpétré par le groupe sioniste d’extrême droite Stern, il fera 144 morts dans les rues de la ville palestinienne d’Haïfa, encore sous mandat britannique. Il s’agit d’une figure de transition entre deux phénomènes qui tendent dès lors de plus en plus à se confondre et à se superposer: d’une part, le terrorisme révolutionnaire, lié à des mouvements nationalistes aux racines populaires; de l’autre, celui des élites coloniales, des services secrets, mais aussi des groupes mafieux ou fascisants. Dans Les forces aériennes du pauvre, Mike Davis montre ainsi combien cette arme terroriste continue certes aujourd’hui à servir les desseins de mouvements de résistance d’obédiences diverses, avec l’appui plus ou moins direct de services secrets étrangers (iraniens, syriens, indiens, pakistanais, états-uniens, etc.). Mais il souligne qu’elle peut aussi être instrumentalisée au profit de la guerre coloniale ou impérialiste, de stratégies de tension, voire d’intérêts privés, par des groupes qui ne se soucient guère de ses dégâts collatéraux, quand ils ne visent pas précisément le carnage pour en tirer un parti politique ou matériel indirect. Ainsi, les attentats aux véhicules piégés (vélos, automobiles, camions) ont été l’arme de prédilection de la CIA à Saigon en 1952-1953, de l’OAS à Alger au début des années 60, de secteurs de la mafia sicilienne en 1963-1964, du Mossad et du Shin Bet au Liban dès les années 70, mais aussi d’extrémistes de droite à Oklahoma City en 1995. Avec le détournement d’avions de ligne à cette même fin, ils constituent aussi aujourd’hui le principal modus operandi du réseau al-Qaida, cette phalange décentralisée au service d’un terrorisme de millionnaires, qu’inspire un secteur dissident des pétro-monarchies du golfe. Contrairement aux attentats de l’IRA du début des années 90 contre la City de Londres, qui visaient à maximiser les dégâts matériels tout en épargnant les vies humaines, ces forces font exploser leurs bombes au milieu des foules les plus denses, donnant ainsi à ce type d’armes, comme le relève d’ailleurs Mike Davis, un caractère «intrinsèquement fasciste». De tels actes ne peuvent évidemment participer d’aucun combat d’émancipation digne de ce nom.
Jean BATOU
Mike DAVIS
Les forces aériennes du Pauvre
2006
Cet article a été publié en anglais par le bulletin électronique TomDispatch.com [vivement recommandé] en deux livraisons, les 12 et 14 avril 2006. Il a été traduit en français par José Antonio Garcia Simon. Par ailleurs, l’ensemble des notes et commentaires hors-texte sont de Razmig Keucheyan. Nous tenons enfin à remercier Mike Davis pour avoir autorisé solidaritéS à en publier ici la version française.
LA CHARRETTE DE BUDA (1920)
«Vous n’avez montré aucune pitié pour nous ! Nous ferons de même. Nous vous dynamiterons!»
Avertissement anarchiste (1919)1
Au cours d’une chaude journée de septembre 1920, quelques mois après l’arrestation de ses camarades Saco et Vanzetti, un anarchiste italien vindicatif dénommé Mario Buda rangea sa charrette près de l’angle de Wall Street et de Broad Street, juste en face de la société J.P. Morgan. Il en descendit nonchalamment et disparut sans se faire remarquer dans la foule de midi. A quelques rues de là, un employé de poste apeuré trouva des tracts sur lesquels était imprimé un étrange avertissement : « Libérez les prisonniers politiques ou ce sera la mort certaine pour vous tous!» C’était signé: «Les combattants anarchistes américains». Les cloches de l’église de la Trinité, non loin de là, commencèrent à sonner midi. Lorsqu’elles s’interrompirent, la charrette, chargée de dynamite et de balles de fer, vola en éclats. «Le cheval et la charrette furent réduits à néant», écrit l’historien du mouvement anarchiste américain Paul Avrich, qui révéla la véritable histoire de cet attentat. «Une averse de bris de verre tomba des fenêtres des bureaux, et l’immeuble s’enflamma jusqu’au douzième étage. Les gens, terrorisés, tentaient de fuir lorsqu’un immense nuage de poussière couvrit la zone. Au siège de J. P. Morgan, un certain Thomas Joyce, membre du département de sécurité, tomba raide mort sur son bureau au milieu des décombres. Dehors, une foule de corps parsemait les rues.»2
Buda fut certainement déçu lorsqu’il apprit que J. P. Morgan3 lui-même ne faisait pas partie des 40 morts et plus de 200 blessés. Le fameux baron voleur se trouvait alors en Ecosse dans son pavillon de chasse. Il n’en reste pas moins qu’un pauvre immigré muni de dynamite volée, d’un tas de ferraille et d’un vieux cheval, avait réussi à semer une terreur sans précédent en plein coeur du sanctuaire du capitalisme américain.
L’attentat à la bombe de Wall Street était l’aboutissement d’un demi siècle de fantasmes anarchistes peuplés d’anges vengeurs munis de dynamite. Mais il s’agissait également d’une invention, à l’instar de la «machine à différences» de Charles Babbage4, très en avance sur l’imaginaire de son temps. Ce n’est que bien plus tard, lorsque la barbarie des bombardements stratégiques sera devenue banale et que l’aviation poursuivra des insurgés dans le labyrinthe des villes pauvres, que sera pleinement atteint le potentiel de radicalité de la «machine infernale» de Buda.
La charrette de Buda est le prototype même de la voiture piégée. Il s’agit de la première utilisation d’un véhicule discret, passant inaperçu dans toute agglomération urbaine, visant à acheminer d’importantes quantités d’explosifs de grande puissance jusqu’à une distance raisonnable d’une cible symbolique. A ma connaissance, un événement de cet ordre ne se reproduisit pas avant le 12 janvier 1947, lorsque le groupe Stern abandonna un camion chargé d’explosifs devant un poste de police britannique à Haïfa, en Palestine, qui tua 4 personnes et en blessa 140. Le groupe Stern était un groupe séparatiste profasciste, dirigé par Abraham Stern, fruit d’une scission de l’Irgun, une formation paramilitaire sioniste de droite. Cette bande employa des camions et des voitures piégés pour massacrer des Palestiniens, innovation atroce à laquelle allaient riposter immédiatement des déserteurs britanniques combattant du côté des nationalistes palestiniens.
Par la suite, des véhicules piégés furent utilisés de manière sporadique, produisant des massacres impressionnants à Saigon (1952), Alger (1962) et Palerme (1963). Mais les portes de l’enfer ne furent véritablement ouvertes qu’en 1972, lorsque l’Armée républicaine irlandaise (IRA) créa accidentellement - ainsi le veut en tout cas la légende - la première voiture piégée à base de nitrate d’ammonium et d’essence (ANFO). Cette nouvelle génération de bombes, qui n’exigeait que des ingrédients industriels ordinaires et des engrais chimiques, était aussi puissante que facile à produire.
Ces bombes firent passer le terrorisme urbain de l’artisanat à l’industrie, et rendirent possible des attentats contre des centres-villes entiers, ainsi que la destruction totale de grattesciel en béton et de blocs résidentiels. La voiture piégée se transforma alors en une arme semi-stratégique, comparable à certains égards à la puissance de l’aviation du fait de sa capacité à détruire des localités urbaines et des quartiers généraux, et à terroriser les populations de villes entières. Les attentats-suicides qui dévastèrent l’ambassade américaine et les casernes de «marines» à Beyrouth en 1983 l’emportèrent, du point de vue géopolitique, sur la puissance de feu des chasseurs- bombardiers et des navires de guerre de la sixième flotte de la marine américaine, et forcèrent l’administration Reagan à se retirer du Liban. Au Liban, dans les années 1980, l’usage virtuose et impitoyable des voitures piégées par le Hezbollah [ou d’autres formations, j.b.] pour contrer la technologie militaire des Etats Unis, de la France et d’Israël, encouragea rapidement une dizaine d’autres groupes à déplacer leurs révoltes et djihads vers les métropoles.
Certains de ces terroristes de la nouvelle génération étaient en réalité des diplômés des écoles de terrorisme créées par la CIA et les services secrets pakistanais (ISI), au moyen de financements saoudiens, au milieu des années 1980. Ceux-ci formaient les Moudjahidin au terrorisme contre les Russes qui occupaient Kaboul. Entre 1992 et 1998, les seize attentats à la voiture piégée les plus importants tuèrent 1050 personnes, et en blessèrent près de 12000 dans treize villes différentes. Plus important du point de vue géopolitique, l’IRA et la Gama’a al-Islamiyya 5 infligèrent des milliards de dollars de dégâts aux deux principaux centres de contrôle de l’économie mondiale - la City de Londres (1992, 1993 et 1996) et le bas Manhattan (1993) - et conduisirent à une réorganisation de l’industrie globale de la réassurance.
Au seuil du nouveau millénaire, 85 ans après le premier massacre de Wall Street, les voitures piégées sont presque aussi répandues dans le monde que les iPods et le VIH, creusant des cratères dans les centres urbains, de Bogota à Bali. Les attentats-suicides à la voiture piégée, jadis signe distinctif du Hezbollah, ont été exportés au Sri Lanka, en Tchétchénie et en Russie, en Turquie, en Egypte, au Koweït et en Indonésie. Sur les graphiques du terrorisme urbain, la courbe représentant les attentats à la voiture piégée grimpe de manière exponentielle.
L’Irak sous occupation américaine est bien entendu le plus terrible des enfers, avec plus de 9000 morts, des civils pour la plupart, attribués aux véhicules piégés pendant la période allant de juillet 2003 à juin 2005. Depuis lors, la fréquence des attentats à la voiture piégée a dramatiquement augmenté: 140 par mois à l’automne 2005, 13 à Bagdad dans la seule journée du Nouvel An 2006. Si les bombes posées au bord de la route ou les mines improvisées sont les dispositifs les plus efficaces contre les blindés américains, la voiture piégée est l’arme privilégiée pour commettre des massacres contre des civils chiites, devant les mosquées et les marchés, et pour provoquer une guerre des religions apocalyptique.
Assiégés par des armes en libre circulation, les appareils administratifs et financiers se retirent peu à peu à l’intérieur d’«anneaux d’acier» et de «zones vertes». Mais le défi que posent les voitures piégées semble à bien des égards insurmontable. Les bombes nucléaires de contrebande,le gaz sarin et l’anthrax pourraient bien constituer le pire des cauchemars à l’avenir, mais la voiture piégée est l’outil de travail quotidien du terrorisme urbain. Avant de nous pencher sur sa généalogie, il n’est pas inutile de résumer les caractéristiques qui ont fait de la charrette de Buda une source d’insécurité urbaine si redoutable et permanente.
Premièrement, les véhicules piégés constituent des armes furtives d’une étonnante puissance et d’une efficacité destructrice. Des camions, des camionnettes, et même de grosses voitures peuvent aisément transporter l’équivalent de plusieurs bombes conventionnelles de 450 kg jusqu’au pas de porte d’une cible. Qui plus est, leur pouvoir de destruction continue d’évoluer, grâce aux constants bricolages des artificiers. Nous n’avons pour l’heure pas encore été confrontés à l’horreur absolue que constitueraient des explosions de semi-remorques capables d’anéantir toute vie dans un rayon de 200 mètres, ou à des bombes sales recouvertes de suffisamment de déchets nucléaires pour rendre le centre de Manhattan radioactif pour des générations.
Deuxièmement, ces bombes sont extrêmement bon marché. 40 ou 50 personnes peuvent être abattues au moyen d’une voiture volée et d’à peu près 400 dollars d’engrais et de systèmes électroniques piratés. Ramzi Yousef, le cerveau de l’attentat du World Trade Center en 1993, se vantait du fait que ses dépenses les plus élevées avaient été des appels téléphonique internationaux. L’explosif - une demi tonne d’urée - avait coûté 3615 dollars, auxquels il faut ajouter les 59 dollars pour la location quotidienne d’une petite camionnette Ryder d’une longueur de dix pieds. En comparaison, les missiles de croisière, devenus la riposte américaine classique aux attentats terroristes à l’étranger, coûtent 1.1 million de dollars chacun 6.
Troisièmement, les attentats à la voiture piégée sont, d’un point de vue opérationnel, simples à organiser. Bien que certains refusent de croire que Timothy McVeigh et Terry Nichols ne furent pas secrètement aidés par un gouvernement ou une mystérieuse organisation, deux hommes ordinaires - un garde de sécurité et un fermier - projetèrent et menèrent à bien le terrible attentat d’Oklahoma City avec des livrets d’instruction et des informations acquises dans le milieu des armes à feu 7.
Quatrièmement, au même titre que le plus «intelligent» des bombardements aériens, l’attentat à la voiture piégée est fondamentalement aveugle. Les «dommages collatéraux» sont inévitables. Si la logique d’un attentat est de massacrer des innocents et de semer la panique de la manière la plus étendue pour développer une «stratégie de tension» ou démoraliser une société, l’attentat à la voiture piégée est l’option idéale. Il est vrai que cette option est également efficace pour détruire la crédibilité morale d’une cause et lui faire perdre tout soutien populaire, comme ont pu le constater l’IRA et l’ETA. La voiture piégée est une arme intrinsèquement fasciste.
Cinquièmement, l’attentat à la voiture piégée est anonyme et laisse peu de traces. Après son attentat, Buda rentra tranquillement en Italie, laissant William Burns, J. Edgar Hoover, et le Bureau d’Investigation (qui allait devenir par la suite le FBI) se couvrir de ridicule en poursuivant de fausses pistes pendant une décennie. La plupart des descendants de Buda ont eux aussi échappé à l’arrestation. Les voitures piégées sont vivement recommandées à ceux qui aiment masquer leurs oeuvres, comme la CIA, le Mossad israélien, le GSD syrien, le Pasdaran iranien et l’ISI pakistanais, qui ont tous causés d’indicibles carnages avec de tels engins.
DÉTONATIONS PRÉLIMINAIRES
(1948–63)
«Les bombes à retardement des Rouges détruisent le centre-ville de Saigon»
Titre du New York Times (10 janvier 1952).
Les membres du groupe Stern étaient des apôtres de la violence. Ils se déclaraient admirateurs juifs de Mussolini, et étaient issus de la tradition terroriste du Parti socialiste révolutionnaire russe d’avant 1917, de l’ORIM macédonienne 8 et des Chemises Noires italiennes. Courant le plus extrémiste du mouvement sioniste en Palestine - des «fascistes» selon la Haganah, des «terroristes» d’après les Britanniques - ils ne s’embarrassaient pas, tactiquement ou moralement, de considérations diplomatiques et ne cherchaient nullement à s’attirer les faveurs de l’opinion publique mondiale. Ils avaient une réputation redoutable plus que méritée due à l’originalité de leurs opérations et au caractère imprévisible de leurs attentats. Le 12 janvier 1947, dans le cadre d’une campagne visant à empêcher tout compromis entre le principal courant du sionisme et le gouvernement travailliste britannique, ils firent exploser un puissant camion piégé au poste de police central d’Haïfa, causant 144 victimes. Trois mois plus tard, ils employèrent la même tactique à Tel-Aviv, faisant sauter la caserne de police de Sarona (5 morts) au moyen d’un camion postal volé bourré de dynamite. En décembre 1947, suite au vote à l’ONU d’une résolution favorable à la partition de la Palestine, des combats de grande envergure éclatèrent entre les communautés juives et arabes, de Haïfa à Gaza. Le groupe Stern, qui rejetait tout ce qui s’écartait du rétablissement de l’Israël biblique, introduisit alors le camion piégé comme arme de terreur massive. Le 4 janvier 1948, deux hommes habillés comme des Arabes conduisirent un camion chargé d’oranges vers le centre de Jaffa, et le garèrent à côté du New Seray Building. Ce bâtiment renfermait le siège du gouvernement municipal palestinien, et accueillait également une soupe populaire pour les enfants pauvres. Les deux hommes s’attardèrent imperturbables dans un café voisin, et s’en allèrent quelques minutes seulement avant la déflagration. «Une explosion tonitruante, écrit Adam LeBor dans son histoire de Jaffa, secoua la ville. Des éclats de verre et des débris de murs se dispersèrent tout le long de Clock Tower Square. Le New Seray Building et les murs latéraux s’effondrèrent dans un amas de décombres et de poutres pliées. Seule la façade néo-classique survécut. Après un moment de silence, les cris commencèrent. 26 personnes avaient été tuées, et des centaines blessées. La plupart étaient des civils, dont de nombreux enfants qui mangeaient à ce moment-là la soupe populaire.»9
L’attentat manqua la direction palestinienne locale, qui avait déménagé dans un autre bâtiment. Mais il constitua une grande réussite, qui terrifia les habitants et mis en place les conditions de leur départ à venir. L’attentat poussa les Palestiniens à des représailles tout aussi cruelles. Le Haut Comité Arabe avait sa propre arme secrète, en la personne de déserteurs britanniques blonds luttant aux côtés des Palestiniens 10. Neuf jours après l’attentat de Jaffa, un groupe de déserteurs, emmenés par Eddie Brown, un ancien caporal de police dont le frère avait été tué par l’Irgun, réquisitionnèrent un camion de livraisons postales, qu’ils remplirent d’explosifs et firent sauter dans le centre du quartier juif de Haïfa, blessant 50 personnes.
Deux semaines plus tard, Brown, au volant d’une voiture volée et suivi par un camion de cinq tonnes conduit par un Palestinien en uniforme de policier, réussit à passer les contrôles britanniques et de la Haganah, pour entrer dans la ville nouvelle de Jérusalem. Le conducteur se gara devant le Palestinian Post, alluma la mèche, et pris la fuite avec Brown dans l’autre voiture. Le siège du journal fut ravagé, l’attentat faisant 1 mort et 20 blessés. Selon un chroniqueur de cet épisode, Abdel Kader el-Husseini, le chef militaire du Haut Comité Arabe, avait été si impressionné par la réussite de ces opérations, involontairement inspirées par le groupe Stern, qu’il autorisa l’organisation d’un prolongement ambitieux, mis en oeuvre par six déserteurs britanniques. «Cette fois-ci. trois camions furent utilisés, escortés par un blindé britannique avec un jeune homme blond en uniforme de police placé dans la tourelle.» Une fois encore, le convoi traversa aisément les contrôles et se dirigea vers l’Atlantic Hotel sur Ben Yehuda Street. Un gardien de nuit trop curieux fut assassiné en affrontant le commando, qui prit le large dans le blindé après avoir amorcé les charges d’explosifs dans les trois camions. L’explosion fut colossale et le bilan sinistre: 46 morts et 130 blessés La fenêtre d’opportunité pour de tels attentats - la possibilité de passer d’une zone à l’autre - se ferma rapidement, lorsque Palestiniens et Juifs s’enlisèrent dans une guerre totale.
Mais un attentat final allait préfigurer le brillant avenir qui attendait la voiture piégée comme instrument de massacre. Le 11 mars, la limousine officielle du consul général américain, arborant la bannière étoilée et conduite par son chauffeur habituel, fut reçue dans la cour de l’enceinte protégée de l’Agence Juive. Le conducteur, un Palestinien chrétien du nom d’Abu Yussef, espérait assassiner le leader sioniste David Ben Gurion. La limousine fut déplacée juste avant qu’elle n’explosât. 13 employés de la Jewish Foundation Fund furent néanmoins tués et 40 blessés.
Ce bref mais furieux échange de voitures piégées entre Arabes et Juifs entrera dans la mémoire collective du conflit. Il ne sera toutefois repris à grande échelle qu’à partir de 1981, lorsqu’Israël et ses alliés phalangistes 11 commenceront à terroriser Beyrouth Ouest au moyen d’attentats, provocation qui réveillera par la suite le dragon chiite endormi. Pendant ce temps, la suite des événements se déroulait à Saigon. Une série atroce d’attentats à la voiture et à la motocyclette piégées s’y déroule en 1952-53, l’un d’entre eux devant l’opéra. L’écrivain Graham Greene évoque ces attentats dans son roman, Un américain bien tranquille 12. Il en attribue l’orchestration secrète à l’agent de la CIA Alden Pyle, qui aurait ainsi conspiré afin d’affaiblir le Vietminh (sur lequel allait retomber la responsabilité de cette vague d’attentats et les Français (incapables de garantir la sécurité publique) par un parti pro-américain.
Dans la réalité, cet «Américain bien tranquille» était un expert en lutte anti-insurrectionnelle, le colonel Edward Lansdale, qui s’était illustré aux Philippines contre des paysans communistes. Le véritable chef de la «Troisième Force» était son protégé, le général Trinh Minh The, qui appartenait à la secte religieuse Cao Dai.13 Selon son biographe, le général The «instigua de nombreux attentats terroristes à Saigon, ayant recours pour ce faire à des charges de plastique placées dans des véhicules ou cachées à l’intérieur de cadres de bicyclettes. La Li An Minh, l’armée de The, fit notamment exploser plusieurs voitures devant l’opéra de Saigon, en 1952. Ces “bombes à retardement” consistaient en 50 kg d’explosifs, des charges larguées par l’aviation française mais non explosés et récoltés par la Li An Minh.»14
Lansdale fut envoyé à Saigon par Allen Dulles, directeur de la CIA, quelques mois après l’attentat de l’opéra, immortalisé dans le magazine Life par la photo du cadavre debout d’un conducteur de pousse-pousse avec les deux jambes déchiquetées. La culpabilité en fut officiellement rejetée sur Ho Chi Minh. Bien que Lansdale fût conscient que la paternité de ces attentats sophistiqués - les explosifs étaient cachés dans de faux compartiments à côté des réservoirs de carburant des voitures - revenait au général The, il disait du seigneur de la guerre du Cao Dai, qu’il était un patriote de la trempe de Washington et de Jefferson. Après que des agents français ou des cadres du Vietminh eussent assassiné The, Lansdale en fit l’éloge à un journaliste, le présentant comme un homme bon: «C’était un général bon et modéré, qui était de notre côté, et qui nous coûtait vingt-cinq mille dollars.»15
Que ce soit par émulation ou réinvention, les attentats à la voiture piégée firent leur apparition peu après dans une autre colonie française en guerre, à savoir à Alger, pendant les derniers heures du règne des Pieds Noirs. Certains officiers français, déçus de leur passage à Saigon en 1952-53, allaient devenir des cadres de l’Organisation Armée Secrète (OAS), dirigée par le général Raoul Salan. En avril 1961, après l’échec de son soulèvement contre le président Charles de Gaulle, lequel était disposé à négocier avec les rebelles algériens, l’OAS versa dans le terrorisme, puisant dans l’expérience redoutable de ses vétérans parachutistes ou légionnaires. La liste de ses ennemis déclarés comprenait notamment De Gaulle lui-même, les forces de sécurité françaises, les communistes, les pacifistes - dont le philosophe et militant politique Jean-Paul Sartre - et, tout spécialement, les civils algériens. Le plus meurtrier de leurs attentats à la voiture piégée causa la mort de 62 dockers musulmans dans le port d’Alger en mai 1962. Il ne réussit toutefois qu’à renforcer la détermination des Algériens de jeter tous les Pieds Noirs à la mer.16
La destination suivante de la voiture piégée sera Palerme, en Sicile. Angelo La Barbera, le Capo de la mafia du centre de Palerme, suivait avec attention les attentats algériens. Il aurait même eu recours au savoir-faire de l’OAS lorsqu’il lança son offensive dévastatrice contre son rival mafieux, Greco «le petit oiseau», en février 1963. Le bastion de Greco était la ville de Ciaculli, aux environs de Palerme, où il était protégé par une armée d’acolytes. La Barbera surmonta l’obstacle avec l’aide de l’Alfa Romeo Giulietta. «Le salon de famille à quatre portes, écrit John Dickie dans son histoire de la Cosa Nostra, était l’un des symboles du miracle économique italien – ‘svelte, pratique, confortable, sûre et commode’ - comme disait la publicité» La première Giulietta bourrée d’explosifs détruisit la maison de Greco. La seconde, quelques semaines plus tard, tua l’un de ses principaux alliés. Les hommes de Greco ripostèrent en blessant La Barbera à Milan, au mois de mai. En réponse, les ambitieux lieutenants de La Barbera, Pietro Torreta et Tommaso Buscetta (qui deviendra plus tard le plus célèbre de tous les pentiti, c’est-à-dire des repentis, de la mafia) déclenchèrent une autre vague meurtrière de Giuliettas 17.
Le 30 juin 1963, une énième Giulietta bourrée de TNT fut abandonnée dans l’un des vergers de mandariniers entourant Ciaculli. Un réservoir de butane avec une amorce était clairement visible sur le siège arrière. Une Giulietta avait déjà explosé le matin dans une ville voisine, tuant deux personnes. Les carabinieri furent donc prudents et appelèrent à la rescousse des sapeurs de l’armée. «Deux heures plus tard deux experts en déminage arrivèrent, coupèrent l’amorce, et déclarèrent que la voiture pouvait être approchée sans risque. Or, lorsque le lieutenant Mario Malausa fit inspecter le contenu du coffre, il fit accidentellement détoner l’immense quantité de TNT qui s’y trouvait. Lui-même et six autres hommes furent déchiquetés par l’explosion, qui brûla et ébrancha les mandariniers à des centaines de mètres à la ronde.»18 Le site abrite aujourd’hui l’un des nombreux monuments aux victimes des attentats de la région de Palerme.
Avant que cette «Première guerre de la mafia» ne prenne fin en 1964, la population sicilienne tremblait à la seule vue d’une Giulietta. Les attentats à la voiture piégée étaient devenus une activité courante dans le répertoire criminel de la Mafia. Ils furent à nouveau employés pendant la Deuxième guerre de la Mafia, ou Matanza, entre 1981 et 1983, plus sanglante encore que la première, puis utilisés contre la population italienne au début des années 90 après la condamnation des chefs de Cosa Nostra dans une série de «méga-procès» spectaculaires.
Le plus notoire de ces attentats aveugles - vraisemblablement organisé par Provenzano dit «le tracteur» et son fameux clan des Corleonesi - fut l’explosion de mai 1993, qui endommagea la Galerie des Offices, mondialement célèbre, au coeur de Florence, tuant 5 passants et en blessant 40 autres.
« LA CHOSE NOIRE »
«Nous pouvions sentir les vibrations de là où nous étions. Nous avons alors réalisé que nous avions découvert quelque chose, et c’est là que tout a commencé.»
Un vétéran de l’IRA à propos de la première voiture piégée à l’ANFO 19.
La première génération de voitures piégées - Jaffa et Jérusalem, Saigon, Alger et Palerme - était relativement meurtrière, dotée d’un rendement maximal équivalent à plusieurs centaines de kilos de TNT. Mais elle exigeait l’accès à des explosifs industriels ou militaires volés. Les apprentis artificiers connaissaient cependant une alternative artisanale, réputée dangereuse à concocter,mais qui offrait des perspectives de destruction illimitées à bas prix. Le nitrate d’ammonium est un engrais chimique facilement accessible et un ingrédient industriel ayant des propriétés explosives extraordinaires. Celles-ci ont pu être constatées à l’occasion d’accidents industriels, comme l’explosion de la centrale chimique d’Oppau, en Allemagne, en 1921, dont les ondes de choc furent ressenties à 240 kilomètres et qui creusa un immense cratère à l’endroit où se trouvait la centrale. Ou encore l’accident de Texas City de 1947, qui fit 600 morts et endommagea 90% de la ville. Le nitrate d’ammonium est vendu en tonnes à des prix abordables, même par les terroristes les plus fauchés. Mais le mélange avec l’essence, nécessaire à la confection de l’explosif ANFO, est délicat, comme allait le découvrir l’Armée Républicaine Irlandaise Provisoire (IRA) à la fin de 1971. «La voiture piégée fut [re]découverte tout à fait par hasard, explique le journaliste Ed Maloney dans son livre L’histoire secrète de l’IRA, mais son utilisation par l’IRA de Belfast ne le fut pas. L’enchaînement des événements commença fin 1971, quand le chargé du ravitaillement de l’IRA, Jack McCabe, fut mortellement blessé par l’explosion d’une mixture artisanale à base d’engrais, connue sous le nom de “chose noire”, alors qu’il la mélangeait avec une pelle dans son garage, dans les faubourgs du nord de Dublin. Le QG de l’IRA prévint immédiatement que cette mixture était dangereuse à manipuler, mais Belfast en avait déjà reçu une livraison. Quelqu’un eut alors l’idée de s’en débarrasser en la chargeant dans une voiture avec une amorce et une minuterie, et de la laisser quelque part dans le centreville de Belfast.» L’explosion qui en résulta fit une grande impression sur le commandement de l’organisation 20. La «chose noire» - que l’IRA apprit bientôt à manipuler en toute sûreté - libéra l’armée clandestine des servitudes liées aux difficultés d’approvisionnement.
La voiture piégée augmenta ses capacités de destruction, de même qu’elle réduisit la probabilité que les volontaires de l’IRA soient arrêtés ou périssent dans des explosions accidentelles. La combinaison de l’ANFO et de la voiture piégée était une révolution militaire inespérée et prometteuse, à même de causer des désastres moraux et politiques sans précédent. «La dimension de ces engins, souligne Moloney, fit croître considérablement les risque de morts civils dans des opérations négligées ou manquées.»21.
Le Conseil militaire de l’IRA, dirigé par Sean MacStiofain, trouva les capacités de cette nouvelle arme trop séduisantes pour se soucier de ses funestes conséquences. Les voitures piégées renforcèrent l’illusion, partagée par la plupart des membres de son haut commandement, que l’IRA était au seuil de l’offensive militaire finale contre le gouvernement anglais. En mars 1972, deux voitures piégées furent envoyées au centre-ville de Belfast, suivies d’avertissements téléphoniques confus qui amenèrent la police à évacuer les gens par inadvertance en direction de l’une des explosions. 5 civils furent tués, ainsi que 2 membres des forces de sécurité. En dépit de l’indignation générale et de la fermeture immédiate de la circulation dans la très commerçante Royal Avenue, l’enthousiasme de la brigade de Belfast pour la nouvelle arme demeura intact. Le commandement projeta une attaque de grande ampleur destinée à donner un coup d’arrêt à la vie commerciale normale en Irlande du Nord. MacStiofain se vanta de la mise au point d’une offensive de «la plus grande férocité et cruauté», qui briserait “l’infrastructure coloniale” »22.
Le vendredi 21 juillet, les volontaires de l’IRA placèrent 20 voitures piégées et des charges d’explosifs cachées dans la périphérie du centre- ville, munies de détonateurs réglés pour exploser successivement à environ cinq minutes d’intervalle. La première voiture explosa devant la Banque de l’Ulster, au nord de Belfast, et arracha les jambes d’un passant catholique. Les explosions suivantes endommagèrent deux gares, le dépôt de bus de l’Ulster sur Oxford Street, plusieurs embranchements routiers, ainsi qu’une zone résidentielle où cohabitaient catholiques et protestants sur Cavehill Road. «Au plus fort des attentats le centre de Belfast ressemblait à une ville sous le feu de l’artillerie. Des nuages de fumée asphyxiante enveloppaient les immeubles, alors que les explosions se succédaient l’une après l’autre, couvrant les cris hystériques des acheteurs paniqués.»23 Une série de coups de fil d’avertissement de la part de l’IRA provoqua davantage de chaos, les civils fuyant une explosion pour se retrouver repoussés par une autre. 7 civils et 2 soldats furent tués et plus de 130 personnes grièvement blessées.
Bien que cela ne déboucha pas sur un K.O. économique, le Bloody Friday marqua le début d’une campagne d’attentats sans précédent, qui infligea de sérieux dommages à l’économie de l’Irlande du Nord, et notamment à sa capacité d’attirer des investissements privés et étrangers. La terreur de ce jour-là obligea les autorités à resserrer l’«anneau d’acier» anti-voitures piégées autour du centre-ville de Belfast, véritable prototype des enclaves fortifiées et des futures «zones vertes». Dans la tradition de leurs ancêtres, les Fenians 24, qui avaient donné naissance aux attentats à la dynamite, dans les années 1870, les républicains irlandais avaient écrit de nouvelles pages du grand livre de la guérilla urbaine.
A l’étranger, et en particulier au Moyen-Orient, des aficionados observaient sans doute attentivement les innovations jumelles de la voiture piégée à l’ANFO et de son emploi dans une campagne prolongée contre l’économie d’une région urbaine. Ce qui fut moins bien compris hors d’Irlande, c’est la gravité de la blessure que ces attentats infligèrent au mouvement républicain luimême. Le «vendredi sanglant» mit à bas l’image populaire d’une IRA héroïque et opprimée. Il provoqua une profonde révulsion parmi les catholiques, et donna au gouvernement britannique un sursis inespéré grâce à la condamnation unanime qui suivit le massacre du Bloody Sunday, lui permettant de poursuivre sa politique d’emprisonnement arbitraire des militants républicains. Ces attentats offrirent à l’armée un parfait prétexte pour lancer l’opération Motorman. 13’000 hommes, conduits par des chars Centurions, firent leur entrée dans les zones d’exclusion de Derry et Belfast, et prirent le contrôle des rues aux dépens du mouvement républicain. Le même jour, un sanglant attentat à la voiture piégée tua 8 personnes dans le village de Claudy, situé dans le comté de Londonderry. Les groupes paramilitaires protestants loyalistes - qui ne s’embarrassaient jamais d’avertissements, prenant délibérément pour cible les civils de l’autre camp - utiliseront le Bloody Friday et l’événement de Claudy pour justifier leur triple attentat à la voiture piégée à Dublin, durant les heures de pointe, le 17 mai 1974. Ces attentats se soldèrent par 33 morts, le bilan le plus élevé pour une seule journée dans la course aux «troubles».
La débâcle de Belfast fut un tournant majeur pour la direction de l’IRA, mais ne dissipa pas le culte qu’elle vouait aux voitures piégées, présumées capables de modifier le sort de la bataille. Contraints à la défensive par l’opération Motorman et suite au contrecoup du «vendredi sanglant», elle décida de frapper au coeur du pouvoir britannique. La brigade de Belfast projeta d’envoyer dix voitures piégées à Londres, via le ferry Dublin-Londres, en mettant à contribution des volontaires disposant de casiers judiciaires vierges, parmi lesquels se trouvaient deux jeunes soeurs, Marion et Dolours Price. Des obstacles surgirent, et seules quatre voitures arrivèrent à destination. L’une d’entre elles explosa devant l’Old Bailey, une autre dans le centre de Whitehall, près de la résidence du Premier ministre au 10, Downing Street. 180 Londoniens furent blessés et 1 tué. Bien que les 8 poseurs de bombes de l’IRA aient été rapidement arrêtés, ils furent acclamés dans les ghettos de Belfast-Ouest, et l’opération devint un modèle pour les futures vagues d’attentats de l’IRA à Londres, qui atteignirent leur point d’orgue avec les énormes explosions qui dévastèrent la City, et déstabilisèrent l’industrie mondiale de l’assurance en 1992 et 1993.
LA CUISINE DE L’ENFER
(Les années 1980)
«Nous sommes des soldats de Dieu et désirons ardemment la mort. Nous sommes disposés à faire du Liban un autre Vietnam.»
Communiqué du Hezbollah 25
Jamais dans l’histoire une ville n’a été le théâtre d’autant d’idéologies opposées, d’obédiences religieuses, de vendettas locales et d’interventions étrangères que Beyrouth au début des années 80. Le conflit triangulaire de Belfast, opposant trois camps armés - républicain, loyaliste et britannique - et leurs groupes éclatés semblait simple, comparé à la complexité fractale, en forme de poupée russe, de la guerre du Liban. Une guerre civile (chiites contre Palestiniens, par exemple), à l’intérieur d’une autre guerre civile (maronites contre musulmans et druzes), à l’intérieur de conflits régionaux (Israël contre la Syrie) et enfin des guerres subalternes (l’Iran contre les Etats–Unis) à l’intérieur de la guerre froide. A l’automne 1971, on comptait 58 groupes armés différents à Beyrouth Ouest. Avec tant de gens essayant de se tuer les uns les autres pour des motifs aussi divers, Beyrouth devint à la technologie de la violence urbaine ce qu’une forêt tropicale est à l’évolution des plantes.
Les voitures piégées commencèrent à semer la terreur régulièrement à Beyrouth Ouest (la partie musulmane de la ville) à l’automne 1981, ce qui répondait apparemment à la stratégie israélienne pour évincer l’OLP du Liban. Les services secrets israéliens, le Mossad, avaient précédemment employé des voitures piégées à Beyrouth pour assassiner des leaders palestiniens, comme le romancier Ghassan Kanafani 26, en juillet 1972. C’est pourquoi, personne ne fut étonné lorsque des preuves s’accumulèrent qu’Israël soutenait ces carnages. D’après le spécialiste du Moyen-Orient, Rashid Khalidi, «une suite de confessions publiques de conducteurs capturés établirent clairement que ces attentats à la voiture piégée étaient utilisés par les Israéliens et leurs alliés phalangistes afin d’augmenter la pression sur l’OLP pour qu’elle parte.»27 Le journaliste Robert Fisk était à Beyrouth lorsque la «colossale explosion [d’une voiture piégée] creusa un cratère de 45 pieds dans la route et mit à bas un bloc entier d’appartements. L’immeuble s’effondra comme un accordéon, écrasant mortellement plus de 50 personnes, la plupart d’entre elles étant des réfugiés du Sud Liban». Plusieurs poseurs de bombes furent capturés et confessèrent que les bombes avaient été élaborées par le Shin Bet, l’équivalent israélien du FBI ou de la British Special Branch.
Mais si de telles atrocités étaient destinées à créer un abîme de terreur entre l’OLP et les musulmans libanais, elles produisirent le résultat contraire, au même titre que l’usage des bombes à fragmentation par les forces aériennes israéliennes sur des zones civiles. Elles firent passer les chiites du statut d’alliés informels des Israéliens à celui d’ennemis parmi les plus déterminés.28 Le Hezbollah était alors le nouveau visage du militantisme chiite. Cette organisation se forme, au milieu de l’année 1982, suite à une fusion de l’organisation Amal [d’une fraction issue de l’organisation Amal, j.b.] avec d’autres groupuscules pro-Khomeiny. Entraînés et conseillés par le Pasdaran iranien dans la vallée de la Bekaa, le Hezbollah est à la fois un mouvement de résistance autochtone qui dispose d’un enracinement profond dans les quartiers chiites de Beyrouth Sud, et le représentant de la révolution théocratique iranienne. Bien que certains experts avancent des théories différentes, Amal et le Hezbollah sont généralement considérés comme les auteurs, avec le concours syrien et iranien, des attaques dévastatrices contre les forces américaines et françaises à Beyrouth pendant l’année 1983 [A l'exception de l'attentat de novembre 1983 contre le siège des forces d'occupation de Tyre, le Hezbollah a toujours nié toute implication dans les attentats de Beyrouth; les services secrets n'ont d'ailleurs jamais fourni la moindre preuve à ce sujet (Judith P. Harik, Hezbollah: The Changing Face of Terrorism, New York, 2005), j.b.].
L’innovation terrible du Hezbollah consistait à combiner les voitures piégées à l’ANFO de l’IRA avec des attaques kamikazes, en utilisant des candidats au suicide pour lancer des camions chargés d’explosifs contre les halls des ambassades et les casernes de Beyrouth et, plus tard, contre les postes de contrôle israéliens et les patrouilles du Sud Liban 29.
Les Etats Unis et la France devinrent des cibles du Hezbollah et de ses patrons syriens et iraniens, après que la Force multinationale à Beyrouth, dont la mission était prétendument de permettre l’évacuation de l’OLP, passa du statut d’allié informel à celui d’allié déclaré du gouvernement maronite dans sa guerre civile contre la majorité druze et musulmane. La première riposte contre la politique du président Reagan eut lieu le 18 avril 1983, lorsqu’une camionnette transportant 2000 livres d’explosifs ANFO fit soudain, en plein milieu de la circulation, une embardée en direction de l’ambassade américaine à Beyrouth. Le conducteur fit rouler le camion au-delà d’un garde effrayé, et s’écrasa contre la porte du hall. «Même pour les standards de Beyrouth, écrit un ancien agent de la CIA, Robert Baer, c’était une explosion énorme, qui fracassa toutes les fenêtres. L’USS Guadalcanal, ancré à huit kilomètres de la côte, vibra du fait des secousses. A l’épicentre de l’explosion, le coeur de l’ambassade de sept étages fut soulevé en l’air à des dizaines de mètres, resta suspendu pendant ce qui parut une éternité, puis s’abattit dans un nuage de poussière, de gens, de meubles éclatés et de papiers.»30
Que ce fût le résultat d’une superbe capacité de renseignement ou du pur hasard, l’attentat coïncida avec une visite à l’ambassade de Robert Ames, le responsable de la CIA pour le Proche-Orient. Il en est mort («ses mains furent trouvées flottant un mile au large, l’alliance encore au doigt»), ainsi que les 6 autres membres de l’antenne de la CIA à Beyrouth. «Jamais auparavant la CIA n’avait perdu autant d’officiers dans une seule attaque. Ce fut une tragédie dont l’agence ne se remettrait jamais.»31 Elle laissa les Américains désorientés à Beyrouth, les forçant à dépendre des bribes de renseignements de l’ambassade de France ou de la station d’écoute britannique au large de Chypre. Une année plus tard, le Hezbollah compléta sa guerre extermination contre la CIA à Beyrouth en enlevant et en exécutant le chef de son antenne, William Buckley. L’agence ne put de ce fait jamais prévoir la mère de toutes les attaques à la voiture piégée. Faisant fi des réserves du colonel Geralthy, chef des marines américains à Beyrouth, le conseiller de Reagan à la Sécurité Nationale, Robert McFarlane, ordonna en septembre à la Sixième flotte d’ouvrir le feu sur les milices druzes qui livraient l’assaut aux positions des forces armées libanaises dans les collines au-dessus de Beyrouth, lançant cyniquement les Etats Unis dans le conflit aux côtés du gouvernement réactionnaire d’Amin Gemayel. Un mois plus tard, une Mercedes de cinq tonnes se rua à toute vitesse sur des sentinelles des Marines, protégées par des sacs de sable, et s’écrasa contre un corps de garde, au rez-de-chaussée du Beyrouth Hilton, qui comptait des casernes militaires US établies dans un ancien quartier général de l’OLP, près de l’aéroport international. La charge utile du camion atteignait le poids mirobolant de 5500 kg d’explosifs de grande puissance. «On dit que c’est la plus grande déflagration non nucléaire jamais [délibérément] produite à la surface de la Terre. La force de l’explosion, note Eric Hammel dans son histoire des troupes de débarquement des Marines, souleva la structure de quatre étages dans sa totalité, en fendant les bases des colonnes d’appui en béton, qui mesuraient chacune quatre mètres et demi de circonférence, et étaient renforcées par des tiges en acier de quatre centimètres. L’immeuble suspendu en l’air retomba alors sur lui-même. Une onde de choc massive et des boules de gaz enflammées étaient projetées violemment dans toutes les directions.»32 Le bilan de 241 morts fut la plus importante perte de ce corps en un seul jour depuis Iwo Jima, en 1945 33.
Au même moment, un autre kamikaze emboutissait sa camionnette chargée d’explosifs contre les casernes françaises de Beyrouth Ouest, faisant s’écrouler le bâtiment de huit étages et tuant 58 soldats. Si l’attentat de l’aéroport était une riposte contre les Américains pour être venus au secours de Gemayel, la seconde explosion était probablement une réplique à la décision française de livrer des jets Super-Etendard et des missiles Exocet à Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran. La distinction entre les griefs chiites locaux et les intérêts de Téhéran devint plus confuse encore lorsque deux membres présumés du Hezbollah se joignirent à 18 chiites iraquiens afin de faire sauter, au moyen d’un camion piégé, l’ambassade américaine au Koweït, à la midécembre. L’ambassade française, la tour de contrôle de l’aéroport, la principale raffinerie de pétrole et une enceinte résidentielle d’expatriés furent aussi visées, dans ce qui fut manifestement un sévère avertissement aux ennemis de l’Iran 34.
A la suite d’un autre attentat au camion piégé contre les Français à Beyrouth, ainsi que des attaques meurtrières contre des postes avancés des Marines, la Force multinationale commença son retrait du Liban en février 1984. Ce fut la défaite géopolitique la plus accablante de Reagan. Comme le dit le reporter du Washington Post Bob Woodward, «nous avons essentiellement pris nos jambes à notre cou et quitté le Liban en courant.» La puissance américaine au Liban, renchérit Thomas Friedman du New York Times, fut neutralisée avec «seulement 12 000 livres de dynamite et un camion volé.» 35
L’UNIVERSITÉ DE LA VOITURE PIÉGÉE DE LA CIA
«Les agents de la CIA avec lesquels Youssef collabora étroitement lui firent comprendre une règle: ne jamais utiliser les termes sabotage ou assassinat lorsqu’on parle avec des Congressistes en visite.»
Steve Coll, Ghost Wars 36
La diplomatie des torpilleurs avait été défaite au Liban par des voitures piégées, mais l’administration Reagan, et surtout le directeur de la CIA William Casey, avaient soif de revanche face au Hezbollah. D’après Veil [Le Voile], le livre retraçant sa carrière, écrit par Bob Woodward, en 1985, Casey élabora un plan avec les Saoudiens pour utiliser une voiture piégée afin de tuer cheikh Fadlallah [le chef spirituel du Hezbollah], qui était selon eux l’une des personnes impliquées non seulement dans l’attaque contre les casernes des marines, mais aussi dans la prise d’otages américains à Beyrouth… Ce fut Casey lui-même qui affirma: «Je vais résoudre le problème en étant tout autant, voire plus implacable que les terroristes dans l’usage de leur propre arme: la voiture piégée.»37 Les agents de la CIA s’avérèrent cependant incapables de mettre l’attentat à exécution. Casey laissa donc en sous-traitance l’opération à des agents libanais dirigés par un ancien officier britannique du SAS et financés par l’ambassadeur saoudien, le prince Bandar. En mars 1984, une grosse voiture piégée explosa à 45 mètres environ de la maison de cheikh Fadlallah à Bir El-Abed, un quartier chiite populaire de Beyrouth Sud. Le cheikh ne fut pas blessé, mais 80 résidents et passants innocents furent tués et 200 blessés. Fadlallah fit immédiatement accrocher une immense banderole «MADE IN USA» à travers la rue dévastée. Le Hezbollah rendit la pareille en septembre, lorsqu’un conducteur de camion suicide réussit à franchir le périmètre de sécurité prétendument inexpugnable de la nouvelle ambassade américaine dans la partie chrétienne de Beyrouth Est, tuant 23 employés et visiteurs.
Malgré le fiasco de l’attentat visant Fadlallah, Casey conserva son enthousiasme pour le terrorisme urbain afin de faire avancer les intérêts étatsuniens, spécialement contre les Soviétiques et leurs alliés en Afghanistan. Un an après le massacre de Bir El-Abed, Casey obtint l’approbation de la directive secrète NSDD 166 par le président Reagan qui, comme le dit Steve Coll dans Ghost Wars, inaugura une «nouvelle ère de transmission directe des technologies militaires américaines sophistiquées en Afghanistan, d’entraînements intensifs des guérillas islamistes aux explosifs, techniques de sabotage et attaques ciblées contre des officiers soviétiques.» Des experts des forces spéciales américaines allaient dorénavant fournir des explosifs «high-tech» et enseigner les technologies de pointe en matière de sabotage - y compris la fabrication des voiturés piégées à l’ANFO - à des officiers des services de renseignement pakistanais, l’ISI, placés sous le commandement du brigadier Mohammed Yousaf. Ces officiers, à leur tour, allaient instruire des milliers de Moudjahidin afghans et étrangers, parmi lesquels les futurs cadres d’al-Qaida, dans de nombreux camps d’entraînement financés par les Saoudiens. «Sous la direction de l’ISI, écrit Coll, les Moudjahidin reçurent des explosifs malléables et pratiques pour monter des attentats à la voiture piégée - et même au chameau piégé - dans les villes occupées par les Soviétiques, destinés à tuer des soldats et des commandants soviétiques. Casey approuvait tout ceci en dépit des scrupules de certains officiers de carrière de la CIA.»
Les poseurs de bombes moudjahidin, travaillant avec des équipes de snipers et d’assassins, non seulement terrorisèrent les forces militaires soviétiques par le biais d’une série d’attaques dévastatrices en Afghanistan, mais massacrèrent l’intelligentsia de gauche de Kaboul. «Yousaf et les escouades de poseurs de bombes qu’il entraîna, écrit Coll, considéraient les professeurs de l’université de Kaboul comme des cibles légitimes», de même que les salles de cinéma et les événements culturels. Bien que certains membres du Conseil de Sécurité Nationale aient dénoncé les attentats et les assassinats comme du «pur terrorisme», Casey était enchanté des résultats obtenus. Pendant ce temps, «vers la fin des années 1980, l’ISI avait efficacement éliminé tous les partis politiques royalistes, de gauche et laïques, qui s’étaient formés quand les réfugiés afghans avaient fui le régime communiste.» Les milliards de dollars que les Saoudiens et Washington injectèrent en Afghanistan finirent dans les mains de groupes islamistes radicaux, soutenus par l’ISI. Ils furent aussi les principaux bénéficiaires des énormes quantités d’explosifs fournies par la CIA, ainsi que des milliers de détonateurs à retardement sophistiqués E-cell. Ce fut le plus grand transfert de technologies terroristes de l’histoire.
Il n’était pas nécessaire aux islamistes enragés de prendre de longs cours sur la voiture piégée avec le Hezbollah, puisqu’ils pouvaient acquérir une licence en sabotage urbain délivrée par la CIA dans les provinces de la frontière pakistanaise. «Dix ans plus tard, remarque Coll, la vaste infrastructure d’entraînement que Yousaf et ses collègues avaient bâtie avec les budgets colossaux approuvés par le NSSD-166 – les camps spécialisés, les manuels d’entraînement en sabotage, les détonateurs de bombe électroniques, etc. – allaient être désignés d’office aux Etats Unis sous le nom “d’infrastructure terroriste”». Qui plus est, des élèves des camps d’entraînement de l’ISI, tels que Ramzi Yousef, qui projeta le premier attentat contre le World Trade Center en 1993, ou encore son oncle Khalid Sheikh Mohammed, apparemment le cerveau du second attentat, allaient bientôt mettre en pratique leur savoir-faire sur tous les continents.
VILLES ASSIÉGÉES
(Les années 1990)
«L’heure de la dynamite, de la terreur sans limites, est arrivée.»
Gustavo Gorritti, journaliste péruvien,
1992 38
Le recul du 21e siècle permet de mettre en évidence le fait que l’échec de l’intervention au Liban en 1983-84 et, par la suite, la sale guerre de la CIA en Afghanistan, ont eu des répercussions géopolitiques plus vastes et plus puissantes que la perte de Saigon en 1975. La guerre du Vietnam fut une lutte épique, dont l’empreinte sur la politique intérieure américaine demeure profonde. Mais elle appartient à l’époque de la guerre froide et à sa rivalité bipolaire entre superpuissances.
En revanche, la guerre du Hezbollah à Beyrouth et au Sud Liban a préfiguré, voire inspiré, les conflits «asymétriques» qui caractérisent le tournant du millénaire. A la différence des guerres de libération nationale soutenues par le FLN algérien et les Nord-vietnamiens pendant plus d’une génération, les attentats à la voiture piégée et le terrorisme suicidaire peuvent être mis en pratique facilement dans des contextes très divers. Bien que des guérillas rurales aient perduré dans des réduits comme le Cachemire, la passe de Khyber, et les Andes, le centre de gravité des révoltes populaires s’est déplacé des campagnes aux villes et à leurs faubourgs misérables. Dans le contexte urbain de l’après-guerre froide, l’attentat du Hezbollah contre les casernes de Marines est devenu le modèle par excellence du terrorisme. On peut avancer l’hypothèse que les attaques du 11 septembre 2001 ont constitué une escalade inévitable, des attentats-suicides au camion piégé aux attentats-suicides en avion.
Washington a hésité à admettre la force militaire inédite que de puissants véhicules piégés donnaient à ses ennemis, ou même à reconnaître leur surprenante capacité de destruction. Après les attentats de Beyrouth, en 1983, le Laboratoire national de Sandia, au Nouveau Mexique, a entamé une recherche sur la structure physique des camions piégés. Les chercheurs ont été stupéfaits par ce qu’ils ont découvert. En plus de leur souffle mortel, les camions piégés dégagent des ondes d’une magnitude prodigieuse. «Les accélérations latérales propagées par le sol par un camion piégé excèdent de loin celles produites dans sa magnitude maximale par un tremblement de terre.» Les scientifiques de Sandia sont arrivés à la conclusion qu’une détonation proche d’une centrale nucléaire pourrait «causer assez de dommages pour entraîner une libération mortelle de radiations, voire une fusion nucléaire.» Toutefois, en 1986, la Commission de la régulation nucléaire a refusé d’autoriser l’installation de barrières protégeant les centrales nucléaires, et n’a rien fait pour changer un plan de sécurité obsolète, prévu pour déjouer l’infiltration de quelques terroristes à pied 39.
Washington semblait réticente à tirer les leçons de la défaite de Beyrouth, ainsi que de ses succès secrets en Afghanistan. Les administrations Bush et Reagan paraissaient considérer les attentats du Hezbollah comme le fruit du hasard, et non comme une menace inédite résultant des mésaventures impériales et des escapades anti-soviétiques. Bien qu’il fût inévitable que d’autres groupes rebelles essaient d’imiter le Hezbollah, les planificateurs états-uniens -quoiqu’en partie responsables - échouèrent à prévoir l’extraordinaire «globalisation» des attentats à la voiture piégée dans les années 1990, et les stratégies de déstabilisation urbaine inédites et sophistiquées qui l’accompagnaient.
Vers le milieu des années 1990, il y avait davantage de villes assiégées par des attentats à la voiture piégée qu’à n’importe quelle autre période, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Les guérillas urbaines employaient des voitures et des camions piégés pour frapper de plein fouet certaines des plus puissantes institutions financières du monde. Chaque réussite encourageait les groupes à élaborer encore plus d’attaques et à recruter de nouveaux groupes disposés à lancer leur propre «forces aériennes du pauvre». Début avril 1992, par exemple, les maoïstes occultes du Sentier lumineux descendirent de l’altiplano péruvien pour répandre la terreur dans les villes de Lima et Callao, au moyen de puissantes coches bombas. «De vastes réserves d’explosifs, signala le magazine Caretas, sont en vente libre dans une nation qui est elle-même minée.» Les senderistas étaient prodigues en cadeaux dynamités. Il firent sauter des chaînes de télévision, plusieurs ambassades étrangères, ainsi qu’une dizaine de postes de police et de camps militaires 40. Leur campagne re-parcouru l’histoire des voitures piégées. Elle progressa depuis de modestes explosions à un attentat plus puissant contre l’ambassade américaine, puis à des massacres collectifs similaires à celui du Bloody Friday, qui avaient recours à 16 voitures à la fois. Le sommet – et l’apport majeur du Sendero à ce genre d’action – fut atteint au moment de la tentative de faire sauter tout un quartier des «classes ennemies». Une immense explosion d’ANFO dans le district élitiste de Miraflores, le soir du 16 juillet, causa la mort de 22 personnes, en blessa 120 et détruisit ou endommagea 183 maisons, 400 commerces et 63 voitures. La presse locale dit de Miraflores: «On aurait dit qu’un bombardement aérien avait rasé la zone.»41
Si l’un des avantages de l’aviation c’est de parvenir, partout dans le monde, à surprendre l’ennemi son lit, l’année 1993 a donné véritablement des ailes à la voiture piégée. C’est alors que des groupes issus du Moyen-Orient frappèrent pour la première fois des objectifs dans l’hémisphère occidental. L’attaque du World Trade Center du 26 février fut organisée par le génie des explosifs d’al-Qaida Ramzi Yousef, en collaboration avec un ingénieur koweïtien nommé Nidal Ayyad, et des membres immigrés du groupe égyptien, Gama’a al-Islamiyya, dirigés par le cheikh Omar Abdel-Rahman (dont l’obtention d’un visa pour les Etats-Unis aurait été facilitée par la CIA)42. Leur ambition était de tuer des dizaines de milliers de New-Yorkais au moyen d’une puissante explosion qui aurait brisé les fondements de l’une des tours du WTC et l’aurait abattue sur sa tour jumelle. L’arme de Yousef était une petite camionnette Ryder, chargée d’une version améliorée de façon ingénieuse de l’explosif classique ANFO de l’IRA et du Hezbollah. «La bombe même, écrit Peter Lange, dans son histoire de l’attentat, était constituée de quatre boîtes en carton remplies d’un composé de nitrate d’urée et d’essence, avec des rebuts de papier comme liant. Les boîtes étaient entourées de réservoirs d’hydrogène compressé d’un mètre, connectés par quatre amorces de poudre sans fumée à combustion lente de six mètres de long emballées dans du tissu. Youssef portait autour de lui quatre ampoules de nitroglycérine.» Les conspirateurs n’eurent aucune difficulté à garer la camionnette à côté du mur d’appui Sud de la tour Nord. Toutefois, les énormes charges d’explosifs s’avérèrent insuffisantes, creusant un cratère de quatre étages de profondeur au sous-sol, tuant six personnes et en blessant un millier, mais échouant à abattre la tour. «Nos estimations ne furent pas très précises cette fois-ci, écrit Ayyad dans une lettre. Cependant nous vous promettons que les prochaines le seront, et que le Trade Center sera l’une de nos cibles.»43
Deux semaines après l’attentat du WTC, une voiture piégée d’une puissance comparable explosa dans le parking souterrain de la Bourse de Bombay, abîmant sérieusement le gratteciel de vingt-huit étages et tuant une cinquantaine d’employés de bureau. Douze autres voitures ou motos piégées firent bientôt sauter d’autres cibles prestigieuses, tuant encore 207 personnes et en blessant 1400. Ces explosions constituaient une vengeance pour la mort de centaines de musulmans tués par des hindous lors d’émeutes inter-religieuses, quelques mois auparavant. Les attaques auraient été organisées depuis Dubaï par le roi de la pègre de Bombay en exil, Dawood Ibrahim, sur l’ordre des services secrets pakistanais. D’après un compte-rendu des événements, Dawood envoya trois bateaux vers Karachi où ils furent chargés d’explosifs militaires. Les douaniers indiens furent soudoyés pour qu’ils détournent le regard pendant que «la soupe noire» était envoyée en contrebande à Bombay 44. Des fonctionnaires corrompus furent également soupçonnés d’avoir facilité l’attentat-suicide contre l’ambassade israélienne à Buenos-Aires, en Argentine, le 17 mars 1993, qui fit 30 morts et 242 blessés. L’année suivante, un second «martyr», identifié plus tard comme militant du Hezbollah, âgé de 29 ans, et en provenance du Sud Liban, rasa l’immeuble de sept étages de l’Association Mutuelle Israël-Argentine. Ce massacre fit 85 morts et plus de 300 blessés. Les deux poseurs de bombes suivirent avec soin le modèle de Beyrouth, de même que le militant islamiste qui lança sa voiture contre le quartier général central de la police d’Alger, en janvier 1995, tuant 42 personnes et en en blessant plus de 280.
Mais les meilleurs disciples du Hezbollah ont été les Tigres tamouls du Sri Lanka, le seul groupe non musulman à avoir pratiqué des attentats suicides à la voiture piégée sur une large échelle. Leur leader Prabhaakaran «avait pris la décision stratégique d’adopter la méthode des attaques-suicides après avoir constaté son efficacité lors des attentats contre les casernes américaines et françaises à Beyrouth en 1983». Entre leur première opération de 1987 et l’an 2000, ils ont été responsables de deux fois plus d’attaquessuicides que le Hezbollah et le Hamas réunis. Bien qu’ils aient intégré les voitures piégées dans leur tactique militaire (notamment le recours à des kamikazes au volant de camions pour attaquer des camps de l’armée sri lankaise), leur théâtre d’opérations le plus prisé dans la lutte pour l’indépendance tamoule a été Colombo, la capitale du Sri Lanka, où ils ont perpétré leur premier attentat à la voiture piégée en 1987. Il s’agissait d’une attaque macabre de la principale gare routière, où des centaines de passagers périrent calcinés à l’intérieur de bus bondés 45. En janvier 1996, un Tigre noir - c’est le nom donné à l’élite kamikaze - conduisit un camion transportant 440 livres d’explosifs militaires de grande puissance devant l’immeuble de la Banque Centrale, opération qui se solda par la mort d’environ 1400 personnes. Vingt mois plus tard, en octobre 1997, lors d’une opération plus complexe, les Tigres attaquèrent les tours jumelles du World Trade Center de Colombo. Ils réussirent à se faufiler à travers les barricades et déclenchèrent une voiture piégée devant le WTC, puis affrontèrent les forces de police avec des armes automatiques et des grenades. Le mois de mars suivant, un minibus kamikaze contenant des bombes chargées d’éclats d’obus fixés sur les côtés, explosa à l’extérieur de la gare principale, au coeur d’un immense embouteillage. Parmi les 38 morts, il y avait une douzaine d’enfants qui se trouvaient dans un bus scolaire. Les Tigres tamouls sont un mouvement nationaliste de masse doté d’un «territoire libéré», d’une armée de grande envergure, et même d’une modeste marine de guerre. 20000 cadres ont reçu des entraînements paramilitaires secrets dans l’Etat indien de Tamil Nadu, entre 1983 et 1987, du fait du soutien dont ils bénéficiaient de la part de la première ministre Indira Ghandi et de l’équivalent indien de la CIA, la Research and Analysis Wing (RAW)46. Mais un tel soutien explosa littéralement à la barbe de la direction du Parti du Congrès, lorsque le fils et successeur d’Indira, Rajiv, fut assassiné dans un attentat par une femme kamikaze issue des Tigres en 1993. Le modèle le plus fréquent en matière de terrorisme, que celui-ci ait été soutenu par la CIA, la RAW, ou le KGB, a été le «retour à l’expéditeur» - notoirement dans les cas des anciens «agents» de la CIA, comme le cheikh aveugle Rahman et Ousama Ben Laden.
L’attentat d’Oklahoma City, en avril 1995, représente un contrecoup de nature différente bien qu’effrayante, organisé par deux vétérans américains de la Guerre du Golfe en colère, plutôt que par l’Irak ou par un groupe islamiste. Quoique des théoriciens du complot aient énormément spéculé à propos de l’étrange coïncidence qui plaça Terry Nichols et Rami Youssef à côté l’un de l’autre à Cebu City aux Philippines, en novembre 1994, le projet de l’attaque semble avoir été inspiré par l’obsession de Timothy McVeigh pour ce livre de recettes diaboliques qu’est The Turner Diaries. Ecrit en 1978, après le «vendredi sanglant», mais avant Beyrouth, le roman du néo-nazi William Pierce décrit avec une délectation pornographique la manière dont des racistes partisans de la suprématie de la race blanche détruisent le quartier général du FBI à Washington à l’aide d’une voiture piégée à l’ANFO, puis écrasent un avion transportant une bombe nucléaire volée contre le Pentagone. McVeigh imita au pied de la lettre la recette détaillée par Pierce dans son roman (plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium dans un camion à l’arrêt), plutôt que celle autrement plus compliquée de Youssef au WTC, bien qu’il substituât l’essence utilisée dans les courses de voiture et le diesel par du mazout ordinaire. L’explosion causa la mort de 168 personnes dans l’immeuble fédéral Alfred Murrah, le 19 avril 1995, et fut trois fois plus puissante que n’importe quelle explosion de camion piégé que le Bureau des Alcools, du Tabac et des Armes, ainsi que d’autres agences fédérales, aient étudiée au cours de leurs essais au Nouveau Mexique. Les experts furent stupéfaits par le rayon des destructions: «équivalent à 1860 kg de dynamite, le souffle de l’explosion abîma 312 immeubles, brisa des vitres à deux miles à la ronde.» Des sismographes éloignés l’enregistrèrent comme un tremblement de terre de magnitude 6 sur l’échelle de Richter 47.
Mais l’attentat de McVeigh, démonstration diabolique des conséquences possibles du terrorisme «do-it-yourself», n’était pas le dernier cri en termes de puissance de destruction. Il était sans doute inévitable que les sinistres jeux olympiques du carnage urbain soient remportés par une équipe du Moyen-Orient. Bien que la liste des victimes (20 morts, 372 blessés) ne soit pas aussi longue que celle d’Oklahoma City, le camion piégé colossal que des militants présumés du Hezbollah abandonnèrent, en juin 1996, à l’extérieur des tours Khobar de Dhahran - un dortoir utilisé par le personnel de l’armée de l’air américaine en Arabie Saoudite –allait battre tous les records de magnitude, comparable à l’équivalent de 20 bombes de 450 kg. Qui plus est, le nombre de morts aurait été aussi grand que celui des casernes des Marines au Liban, en 1983, si les sentinelles n’avaient pas été alertées et commencé l’évacuation peu avant l’explosion. Toujours est-il que l’attentat (avec des explosifs militaires) laissa un incroyable cratère de 25 mètres de largeur et 10 de profondeur.
Deux ans plus tard, le 7 août 1998, al- Qaida revendiqua la palme de champion du meurtre collectif quand elle écrasa des camions piégés kamikazes contre les ambassades américaines de Nairobi au Kenya et Dar-es-Salaam en Tanzanie, dans une répétition des attaques simultanées contre les Marines et les soldats Français à Beyrouth en 1993. Située près de deux des rues les plus animées de la ville, insuffisamment en retrait et dépourvue de vitres de protection, l’ambassade de Nairobi était particulièrement vulnérable, comme l’ambassadeur Prudence Bushnell l’avait vainement fait savoir au Département d’Etat. Dans l’attentat, des Kenyans ordinaires – brûlés vifs dans leurs véhicules, lacérés par des éclats de verre, ou enterrés sous des débris carbonisés – ont été les principales victimes de l’immense explosion qui causa la mort de plusieurs centaines de personnes et en blessa plus de 5000. Une autre dizaine de personnes sont mortes et presque une centaine ont été blessées à Dar-es-Salaam.
La totale indifférence pour les carnages collatéraux causés par ses engins, y compris des musulmans innocents qui en sont régulièrement victimes, est une empreinte des opérations organisées par le réseau al-Qaida. Comme ses précurseurs Hermann Goering et Curtis LeMay 48, Ousama Ben Laden semble exulter à la lecture des statistiques des dégâts causés par ses bombes, mais aussi dans la course à des explosifs toujours plus performants, provoquant des quantités de morts toujours plus élevées. L’une des plus rentables de ses innovations (en plus des avions, des gratte-ciel et des transports publics) a été l’attentat à la voiture piégée contre des touristes occidentaux dans les pays musulmans, bien que l’attentat d’octobre 2002 dans une boîte de nuit à Bali (202 morts) et l’explosion des hôtels de Charm el-Cheikh en Egypte, en juillet 2005, aient certainement tué presque autant de travailleurs locaux que de «croisés» d’antan.50
UNE ÉCOLOGIE DE LA PEUR 49
(Les années 90)
«La voiture piégée est l’arme nucléaire de la guerre de guérilla»
Le chroniqueur du WashingtonPost, Charles Krauthammer
Une «explosion à un milliard de livres»? On pense d’abord à la masse de TNT contenue dans deux ou trois bombes atomiques de la dimension de celle d’Hiroshima, c’est-à-dire à peine une infime partie de la puissance de déflagration d’une simple bombe H. L’autre possibilité, un milliard de livres (1,45 milliard de dollars), c’est ce que l’IRA coûta à la City de Londres lorsque, en avril 1993, un camion à ordure bleu contenant une tonne d’ANFO explosa sur Bishopsgate Road, en face de la tour NatWest, au coeur du deuxième centre financier le plus important du monde. Malgré le fait qu’un spectateur ait été tué et plus d’une trentaine de personnes blessées par l’immense explosion - qui démolit une église médiévale ainsi que la station de métro Liverpool Street - le bilan des pertes humaines fut négligeable en comparaison des dommages économiques, véritable objectif de l’attaque. Alors que les autres vagues d’attentats au camion piégé de la décennie - Lima, Bombay, Colombo, etc. - avaient suivi au pied de la lettre le manuel d’instructions du Hezbollah, l’attentat de Bishopsgate, que Moloney décrit comme «la tactique militaire la plus réussie depuis le début des émeutes», faisait partie d’une nouvelle stratégie de l’IRA consistant à faire la guerre aux centres financiers afin d’arracher des concessions aux Britanniques pendant les difficiles négociations de paix des années 90 51. Bishopsgate fut la deuxième et la plus coûteuse des trois explosions de très gros calibre mise à exécution par l’élitiste - et plus ou moins autonome - South Armagh IRA 52 sous le commandement du légendaire «Slab» Murphy.
Une année plus tôt, ils avaient fait sauter un camion piégé au Baltic Exchange, sur St. Mary Axe, qui couvrit les rues environnantes d’un million de livres d’éclats de verre et de débris, et causa la mort de trois personnes, en en blessant près d’une centaine 53. Les dégâts économiques, bien qu’inférieurs à ceux de Bishopsgate, étaient tout de même stupéfiants: environ 1,2 milliard de dollars, qui dépassaient le total approximatif cumulé de 900 millions de dommages, infligés au cours de vingt-deux ans d’attentats en Irlande du Nord 54. En 1996, avec le blocage des pourparlers de paix et le Conseil militaire de l’IRA en révolte contre le dernier cessez-le-feu, la brigade South Armagh introduisit en Angleterre une troisième voiture piégée de grande envergure, qui explosa dans le garage souterrain de l’un des immeubles de bureaux postmodernes près de la Canary Wharf Tower, dans les quartiers des docks de Londres réhabilités, tuant deux personnes et provoquant environ 150 millions de dollars de dégâts 55. Le total des dommages causés par ces trois explosions se chiffrait au moins à 3 milliards de dollars.
Comme le fait remarquer Jon Coaffe dans son livre sur l’impact des attentats, si l’IRA avait simplement voulu semer la terreur ou interrompre le cours normal de la vie à Londres, au même titre que les Tigres tamouls ou al-Qaida, elle aurait déclenché les explosions un jour de travail, aux heures de pointe – elles «furent mises à feu à une heure où la City était virtuellement déserte –, et/ou aurait attaqué le coeur de l’infrastructure des transports, comme les kamikazes islamistes qui se firent exploser dans des bus et des métros de Londres, en juillet 2005» 56. Au contraire, Slab Murphy et ses camarades se concentrèrent sur ce qu’ils considéraient être le maillon faible de la finance : l’industrie européenne et britannique chancelante de l’assurance. A la grande horreur de leurs ennemis, ils réussirent de façon spectaculaire. «Les sommes colossales déboursées par les compagnies d’assurance, commenta brièvement la BBC après l’attentat de Bishopsgate, amenèrent une crise dans le secteur, y compris la quasi faillite du leader mondial du marché de la [ré]assurance, la Lloyds de Londres.»57 Des investisseurs allemands et japonais menacèrent de boycotter la City si la sécurité physique n’était pas renforcée et le gouvernement accepta de subventionner les coûts d’assurance.
Malgré une longue histoire d’attentats à Londres par les Irlandais, qui remonte aux Fenians et à la reine Victoria, ni Downing Street ni la police londonienne n’avaient prévu cette série de dégâts financiers et physiques précisément ciblés. En fait, Slab Murphy aurait été lui-même surpris. Comme les premiers attentats à l’ANFO, ces super-attentats furent probablement une trouvaille de l’IRA. La riposte de la City fut une version plus sophistiquée de «l’anneau d’acier» (des barrières en béton, de hautes clôtures en fer et des portes inviolables) qui avait été construit autour du centre-ville de Belfast, après le «vendredi sanglant», en 1972. Après l’attentat de Bishopsgate, la presse financière réclama une protection similaire: «La City devrait être transformée en une enclave fortifiée dans le style médiéval pour parer à des attaques terroristes.» Ce qui fut mis en oeuvre dans la City, et plus tard dans les quartiers des docks, était un réseau technologiquement avancé de restrictions à la circulation et de cordons de sécurité, y compris des «caméras enregistrant automatiquement, pour une durée de 24 heures, les numéros des plaques d’immatriculation, et reliées aux bases de données de la police», ainsi qu’une surveillance publique et privée intensifiée. «Le temps d’une décennie, écrit Coaffe, la City de Londres devint l’endroit le plus surveillé de Grande Bretagne, et probablement du monde, avec plus de 1500 caméras de surveillance en fonctionnement, beaucoup d’entre elles reliées au système ANPR [Système de reconnaissance automatique des immatriculations].» 58
Depuis le 11 septembre 2001, ce système de surveillance anti-terroriste a été étendu à l’ensemble du centre de Londres, sous l’apparence anodine du célèbre plan «halte aux embouteillages» du maire Ken Livingstone pour libérer la ville de l’encombrement de la circulation. Selon l’un des principaux titres dominicaux britanniques: «The Observer a découvert que le MI5, la Special Branch et la Police Métropolitaine ont secrètement commencé à développer le système dans le sillage des attaques du 11 septembre. En effet, ce projet controversé va donner naissance à l’un des systèmes de défense les plus intimidants pour protéger une ville de premier ordre au niveau mondial. Il semblerait que le système utilise aussi un software de reconnaissance faciale, qui identifie automatiquement des suspects ou des criminels connus entrant dans cette zone de huit miles carrés. Tous leurs faits et gestes seront traqués par camera depuis le point d’entrée… Toutefois, des défenseurs des libertés civiques affirmaient hier que des millions avaient été attribués à la double fonction du projet, promu essentiellement comme un moyen de réduire les embouteillages dans le centre de Londres.»59
Dès 2003, l’adjonction de ce nouveau scanner panoptique de la circulation au vaste système de vidéo surveillance de Londres garantit que le citoyen moyen est «enregistré par ces caméras 300 fois par jour». Il sera peut-être plus simple pour la police d’attraper des terroristes non kamikazes. En revanche, ce sera un faible secours pour protéger la ville d’attentats à la voiture piégée bien élaborés et complètement masqués 60. La «Troisième Voie» de Blair a été une voie rapide pour l’adoption d’une surveillance orwellienne et l’usurpation des libertés civiques. Cependant, à moins d’un miracle technologique (et il n’y en a pas en vue) qui permette aux autorités de «renifler» à distance une molécule ou deux d’explosif dans le flux de la circulation d’une heure de pointe, les poseurs de bombes continueront à faire leur boulot.
LE « ROI » DE L’IRAK
(Les années 2000)
«Les insurgés ont fait exploser treize voitures piégées à travers tout le pays ce dimanche, dont trois à Bagdad dans un laps de temps de trois heures.»
Dépêche de l’Associated Press,
1er janvier 2006.
Les attentats à la voiture piégée - quelque 1293 entre 2004 et 2005, selon des chercheurs de la Brookings Institution - ont dévasté l’Irak comme jamais un autre pays ne l’a été dans l’histoire. Les plus infâmes, conduites ou abandonnées par des jihadistes, ont visé des chiites iraquiens devant leurs maisons, mosquées, commissariats de police et marchés: 125 morts à Hilla (le 28 février 2005), 98 à Mussayib (le 16 juillet), 114 à Bagdad (le 14 septembre), 102 à Blad (le 29 septembre), 50 à Abu Sayda (le 19 novembre), etc. Certains des engins étaient gigantesques, comme l’attentat commis avec un camion-citerne volé, qui dévasta Mussayib. Mais ce qui est encore plus extraordinaire, c’est leur fréquence. Dans un intervalle de 48 heures, en juillet 2005, au moins 15 attentats-suicides à la voiture piégée ont eu lieu à Bagdad ou dans ses environs. La sinistre figure censée être derrière les pires de ces massacres est Abu Musab al-Zarquaoui, l’archi-terroriste jordanien, qui aurait critiqué Ousama Ben Laden pour son manque de zèle à s’attaquer à ces ennemis de l’intérieur que sont les «infidèles chiites». Al-Zarqaoui, dit-on, poursuivrait plus un objectif eschatologique que politique: une épuration sans fin des ennemis, jusqu’à ce que la Terre soit régie par un califat juste et unique 61. A cette fin, il – ou ceux qui invoquent son nom – semble avoir accès à une réserve presque illimitée de voitures piégées, dont quelques unes, apparemment volées en Californie et au Texas, sont transportées par bateau jusqu’au Moyen-Orient 62. Les Saoudiens et autres volontaires impatients de s’immoler dans les flammes et le métal fondu afin d’emporter avec eux un petit nombre d’écoliers chiites, de marchands ou encore de «croisés» étrangers, ne semblent pas non plus manquer. Le zèle des kamikazes diplômés des madrasas 63 paraît dépasser de loin ce que la logique des attentats suicides (telle qu’elle a été raffinée par le Hezbollah et les Tigres Tamouls) requiert en réalité : un grand nombre d’explosions en Irak pourraient être déclenchées à distance. Mais l’attentat à la voiture piégée, au moins dans la vision apocalyptique d’al-Zarquaoui, est une voie pour atteindre le paradis ainsi que l’arme du génocide.
Mais al-Zarquaoui n’est pas à l’origine des attentats terroristes à la voiture piégée le long des rives du Tigre et de l’Euphrate. Cet honneur macabre revient à la CIA et à son protégé, Iyad Allawi. Comme le révélait le New York Times, en juin 2004 : «Iyad Alawi, premier ministre iraquien, a dirigé une organisation en exil résolue à déposer Saddam Hussein, qui envoyait des agents à Bagdad, au début des années 90, pour poser des bombes et saboter des bâtiments du gouvernement, et ce sous la direction de la CIA, affirment plusieurs ex-fonctionnaires de l’agence. La formation du Dr. Allawi, l’Accord National Iraquien, utilisa des voitures piégées et autres engins explosifs expédiés en contrebande à Bagdad depuis le nord de l’Irak… Un ancien officier de la CIA, Robert Baer, qui était basé dans la région, rappelle qu’à cette période, un attentat ‘fit sauter un bus scolaire; des écoliers furent tués’».64 Selon l’un des informateurs du Times, la vague d’attentats, les écoliers tués et tout le reste, «c’était un test plus qu’autre chose, pour démontrer des capacités». Cela devait permettre à la CIA de dépeindre Allawi, exilé à cette époque, et son groupe d’ex-baasistes qui suscitait bien des soupçons, comme une opposition sérieuse à Saddam et une alternative à la coterie (préférée par les néo-conservateurs de Washington) qui entourait Ahmed Chalabi. «Personne n’avait de problème avec les sabotages d’alors à Bagdad, analyse un autre vétéran de la CIA. Je crois que personne n’aurait pu deviner comment les choses allaient tourner.»65 Aujourd’hui, les attentats à la voiture piégée font la loi en Irak. En juin 2005, dans un article titré «Pourquoi l’attentat à la voiture piégée est roi en Irak?», James Dunnigan avertissait que la voiture piégée prenait progressivement le dessus sur les bombes laissées au bord des routes (lesquelles «sont découvertes plus fréquemment ou désactivées avec des engins électroniques»), comme l’«arme la plus effective» des insurgés sunnites, ainsi que d’al-Zarquaoui, et que donc, «les terroristes sont en train d’en fabriquer autant qu’ils le peuvent». La récente «augmentation effrénée» des propriétaires de voitures en Irak, ajoutait-il, avait «permis aux voitures piégées de se fondre plus facilement dans la circulation»66.
Dans ce royaume de la voiture piégée, les occupants se sont retranchés presque complètement dans leur propre cité interdite, la «Zone Verte». Rien à voir avec le high-tech de la City de Londres, dont les sensors font office de snipers, mais une enclave totalement moyenâgeuse, cernée de murailles de béton, défendue par des tanks Abrams M1 et des hélicoptères puissamment armés, ainsi que par un corps exotique de mercenaires privés (dont des Gurkhas indiens, des commandos de l’ex-Rhodésie, des vétérans du SAS britannique et des paramilitaires colombiens amnistiés). Cet ancien Xanadu6 7 de la classe dominante baasiste, cette «Zone Verte» de dix kilomètres carrés, telle que décrite par le journaliste Scott Johnson, est maintenant un parc d’exposition surréaliste de l’American way of life : «Des femmes en shorts et T-shirts font leur jogging sur de larges avenues et le Pizza Inn fait de mirobolantes affaires sur le parking de l’ambassade US lourdement fortifiée. Près du bazar de la Zone Verte, des gosses iraquiens fourguent des DVD porno aux soldats. Sheikh Fuad Rashid, l’imam de la mosquée locale, appointé par les Américains, vêtu comme une none, se teint les cheveux en blond platine et affirme que Marie, la mère de Jésus, lui est apparu en vision (d’où son accoutrement). Chaque soir, les résidents peuvent écouter un karaoké, jouer au badminton ou fréquenter l’un des nombreux bars interlopes, y compris un bar clandestin accessible sur invitation et géré par la CIA.» 68
Hors de la «Zone Verte», c’est bien sûr la «Zone Rouge», où l’Irakien du commun peut être taillé en pièces au hasard par des voitures piégées ou mitraillé par des hélicoptères. C’est sans surprise, que les irakiens riches et les membres du nouveau gouvernement revendiquent bruyamment leur admission dans la «Zone Verte» sécurisée. Cependant des officiels US assuraient à Newsweek l’année dernière, que «l’idée d’un retrait américain relevait de la pure «fantaisie»69. Des milliards ont été investis dans la «Zone Verte» et dans une dizaine d’autres enclaves américaines, officiellement désignées comme «camps durables». Et même d’éminentes personnalités irakiennes ont été contraintes d’assurer leur propre sécurité hors des murailles blindées de cette Amérique exclusive et éphémère. Une population qui a supporté la police secrète de Saddam, les sanctions de l’ONU et les missiles de croisière US, s’endurcit à présent pour survivre aux véhicules piégés qui hantent les quartiers chiites pauvres à la recherche de sinistres martyrs. Pour des raisons tout à fait égoïstes, espérons que Bagdad ne soit pas la métaphore de notre futur collectif.
Mike DAVIS
Les forces aériennes du Pauvre
Article publié par TomDispatch.com [vivement recommandé]
les 12 et 14 avril 2006
www.tomdispatch.com
Le texte en intégralité en anglais :
http://www.tomdispatch.com/books/
Une interview de Mike Davis à propos des slums et résidences armées de Bagdad
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Via : Solidarités.ch [vivement recommandé]
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NOTES
1 Paul Avrich, Sacco and Vanzetti: the Anarchist Background, Princeton, 1991, p. 137.
2 Ibid., pp. 205-07. Voir aussi Charles McCormick, Hopeless Cases: The Hunt for the Red Scare Terrorist Bombers, Lanham, 2005.
3 J. P. Morgan (1837-1913) est le fondateur de la banque du même nom, l’une des plus puissantes au monde à l’heure actuelle. Il était lui-même l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis. Sa réputation de «baron voleur» lui vient des opérations douteuses auxquelles il se livra pour amasser sa fortune, notamment au cours de la guerre civile américaine. Comme les autres «barons
voleurs» - Carnegie, Rockefeller, Vanderbilt - Morgan était un collectionneur et patron des arts.
4 La «machine à différences» («Difference engine») de Charles Babbage (1791-1871) est l’un des ancêtres de l’ordinateur. Babbage, un mathématicien britannique, en formula le principe dans les années 1820.
5 Mouvement islamiste égyptien issu d’une scission des Frères musulmans dans les années 1970, au moment où ceux-ci renoncent à la violence politique. Il est sans doute impliqué dans l’assassinat, en 1981, du président égyptien Sadate, et de nombreux attentats en Egypte depuis lors. Ce mouvement a par ailleurs perpétré le premier attentat contre le World Trade Center en 1993. Son chef spirituel est le cheikh aveugle Omar Abdel-Rahman, emprisonné à vie aux Etats-Unis pour la préparation d’un attentat.
6 Peter Lange, 1000 Years for Revenge, New York, 2003, pp. 102 & 112.
7 Cf. infra.
8 L’ORIM (VMRO en bulgare et macédonien, IMRO en anglais) - Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne - est le nom d’une organisation fondée en 1893 par des activistes bulgares. Son but était l’autonomie de la Macédoine et de la Thrace, alors sous domination ottomane, en évitant son partage par les Etats balkaniques voisins, qui deviendra pourtant effectif en 1912. A l’origine, l’ORIM reçoit l’influence du populisme russe et de l’anarchisme, avant de se rallier à une perspective nationaliste bulgare. Durant l’entre-deux-guerres, elle va développer des activités terroristes sur une large échelle et se rapprocher du fascisme italien. Aujourd’hui, ses lointains héritiers, gagnés au libéralisme pur et dur, ont remporté les élections bulgares de juillet 2006.
9 Extraits de Adam LeBor, City of Oranges: Arabs and Jews in Jaffa, Londres, 2006, publiés dans The Independent, 25 January 2006.
10 Les éléments qui suivent sont basés sur Ovid Demaris, Brothers in Blood, New York, 1977, pp. 94-97.
11 Les «phalanges» désignent ici les milices chrétiennes, alliées d’Israël, responsables notamment du massacre de Sabra et Chatila en septembre 1982. Elles ont été dirigées par Elie Hobeika (1956-2002), puis par Samir Geagea.
12 Voir Graham Greene, Un américain bien tranquille, Paris, 2003.
13 La secte Cao Dai présente une tentative de créer un syncrétisme religieux inspiré des principales religions du monde. Elle apparaît au Vietnam dès les années 1920.
14 Sergei Blagov, Honest Mistakes: The Life and Death of Trinh Minh The, Huntington (NY), 2001, p. 48.
15 Lansdale s’adressant au reporter Keyes Beech, cité par Jonathan Nashel, Edward Lansdale’s Cold War, Amherst, 2005, p. 157
16 Martha Crenshaw, «The Effectiveness of Terrorism in the Algerian War,» in Crenshaw (ed.), Terrorism in Context, University Park, 1996, pp. 504-06.
17 John Dickie, Cosa Nostra: A History of the Sicilian Mafia, Londres, 2004, pp. 312-15.
18 Ibid., p. 306.
19 Ed Maloney, A Secret History of the IRA, New York, 2002, p. 115.
20 Ibid.
21 Ibid, p. 116.
22 M. Smith, Fighting for Ireland? The Military Strategy of the Irish Republican Movement, Londres, 1995, pp. 99 et 109.
23 Moloney, p. 116.
24 Le mot «Fenian» est dérivé de «Fianna», qui désigne un groupe de héros gaéliques légendaires. Il est revendiqué, dès les années 1850, par diverses organisations républicaines irlandaises, notamment par les membres de l’Irish Republican Brotherhood au moment de la rébellion de 1867. Le terme sert plus généralement à désigner les partisans de l’indépendance et de la réunification de l’Irlande.
25 Cité par Christopher Dobson and Ronald Payne, War Without End, Londres, 2003, p. 36.
26 Ghassan Kanafani (1936-1972), écrivain et journaliste palestinien, a été assassiné par des agents israéliens à Beyrouth en 1972. Parmi ses oeuvres figurent notamment Des hommes dans le soleil, Paris, Actes Sud, 1990, et Retour à Haïfa, Paris, Actes Sud, 1997.
27 Rashid Khalidi, Under Siege, New York, 1986, p. 88 et note 39, p. 202.
28 Sur l’usage israélien des bombes à fragmentation fournies par les Etats-Unis contre les musulmans de Beyrouth, voir Gearge W. Ball, Error and Betrayal in Lebanon, Londres, 1984, p. 48.
29 Edgar O’Balance affirme que le Sheikh Abbas Moussawi, secrétaire général du Hezbollah, revendiqua l’attaque suicide à la voiture piégée. Voir Islamic Fundamentalist Terrorism, 1979-95, Londres, 1997, p. 65.
30 Robert Baer, See No Evil, New York, 2002, p. 67.
31 Ibid.
32 Eric Hammel, The Root: The Marines in Beirut, August 1982- February 1984, San Diego, 1985, p. 303.
33 La bataille d’Iwo Jima - une île japonaise - opposa les Etats-Unis et le Japon en février 1945. Elle fit en tout 7000 morts et 18’000 blessés du côté des Etats-Unis. Suite à cette bataille, l’île fut occupée jusqu’en 1968.
34 Magnus Ranstorp, Hizb’allah in Lebanon, New York, 1997, p. 116.
35 Interview avec Bob Woodward, PBS Frontline: Target America, octobre 2001, en ligne à l’adresse www.pbs.org; et Thomas Friedman, From Beirut to
Jerusalem, New York, 1989, p. 206.
36 Steve Coll, Ghost Wars. The Secret History of the CIA, Afghanistan, and Ben Laden, from the Soviet Invasion to September 10, New York, 2004
37 Bob Woodward, Veil: The Secret Wars of the CIA, 1981-1987, New York, 1988.
38 Cité dans Caretas, 8 juin 1992, p. 16
39 Voir «The Truck Bomb Problem», Three Mile Island Alert. La recherche sur les camions piégés a recommencé après la première attaque contre le WTC en 1992. Le projet «Dipole Might», cofinancé par l’Army Corps of Engineers, l’ATF, et la Defense Nuclear Agency, a fait exploser plusieurs camions et camionnettes au White Sands Proving Ground afin de générer des données numérisées et de mieux comprendre les effets de bombes placées dans des poids lourds.
40 Caretas, 8 juin 1992, pp. 10-15.
41 «Ante el horror sin limite, hay salida?», Ideele, août 1992, pp. 3-17.
42 Voir O’Balance, p. 31.
43 La suite de cette opération, censément prévue à New York, fut évitée du fait de l’arrestation du reste du groupe de la Gama’a al-Islamyya, y compris le cheikh Rahman. Le groupe avait semble-t-il planifié de faire exploser une voiture piégée devant les Nations Unies et le quartier général du FBI, et de faire sauter les tunnels Holland et Lincoln pendant les heures de pointe.
44 Suketu Mehta, Maximum City: Bombay Lost and Found, New York, 2004, p. 137.
45 C. Christine Fair, Urban Battle Fields of South Asia, Rand Corporation, Santa Monica, 2004, pp. 35, 37-41 & 47.
46 Ibid., p. 35
47 Spencer Hsu and Sari Horwitz, «Impervious Shield Elusive Against Drive-By Terrorists», Washington Post, 8 août 2004.
48 Curtis Le May (1906-1990) est un général de l’armée de l’air américaine, qui a été candidat à la vice-présidence des Etats-Unis en 1968. Pendant la deuxième guerre mondiale, il fut l’un des concepteurs de la stratégie de frappes aériennes systématiques, dont on a vu récemment au Kosovo, en Afghanistan et en Irak, qu’elle joue toujours un rôle central dans la stratégie militaire américaine. Il a par ailleurs préconisé à plusieurs reprises, pendant la guerre froide, l’emploi de la manière forte contre l’Union soviétique, notamment au moment de la crise des missiles cubains de 1962.
49 Le sous-titre anglais choisi par Mike Davis – «Form Follows Fear» – est un clin d’oeil au livre publié sous la direction de Nan Ellin, The Architecture of Fears, New York 1997, que l’on traduit parfois par «écologie de la peur». Pour cet urbaniste critique, la construction des immeubles et des villes est largement déterminée, non pas d’abord par la fonction qui leur est assignée («Form Follows Function»), mais par les craintes du pouvoir.
50 Charles Krauthammer, «War by Car Bomb», Washington Post, 31 octobre 2003.
51 Moloney, p. 411.
52 Armagh est une ville d’Irlande du Nord. La South Armagh Brigade est notamment responsable de l’explosion qui détruisit un centre commercial dans le centre de Manchester en 1996. Thomas «Slab» Murphy est considéré par certains comme ayant été le chef du conseil militaire de l’IRA.
54 Jon Coaffee, Terrorism, Risk and the City, Aldershot, 2003, p.131.
55 Moloney, p. 441
56 Coaffee, p. 87.
57 BBC, 23 avril 1993.
58 Joan Coaffee, «Rings of Steel, Rings of Concrete and Rings of Confidence», International Journal of Urban and Regional Research, 28 (1), mars 2004, pp. 203-05.
59 Mark Townsend and Paul Harris, «Security Role for Traffic Cameras», The Observer, 9 février 2003.
60 Coaffee, «Rings of Steel…», p. 209.
61 Nir Rosen, «Iraq’s Jordanian Jihadis», New York Times Magazine, 19 février 2006, p. 60.
62 Byran Bender, «US Car Theft Rings Probed for Ties to Iraq Bombings», Boston Globe, octobre 2005.
63 Ecoles religieuses islamiques.
64 Joel Brinkley, «Ex-CIA Aides Say Iraq Leader Helped Agency in 90’s Attacks», New York Times, 9 juin 2004.
65 Ibid.
67 Xanadu était la résidence d’été de l’empereur mongol Kubilay Khan (1213-1294), petit-fils de Gengis Khan et fondateur de la dynastie des Yuan en Chine.
68 Scott Johnson, «Lost in the Green Zone», Newsweek, 20 septembre 2005. Voir aussi William Langewiesche, «Welcome to the Green Zone», The Atlantic
Monthly, novembre 2004
69 Johnson, ibid.
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