Tant qu'un homme pourra mourir de faim
à la porte d'un palais où tout regorge,
il n'y aura rien de stable dans les institutions humaines.
Eugène Varlin
Mercredi 19 octobre 2011 : Trois semaines de rassemblements et de manifestations à Mayotte, en France. Au cours d'une manifestation, Ali El Anziz est décédé suite à un tir de grenade lacrymogène de la police. Le préfet, évoque un malaise cardiaque... [!] Mayotte, département français d'Outre Mer où s'érige, comme en Guyane, à Nouméa, les plus grands bidonvilles de France.
Témoignage d'un clandestin [ 29 ans] vivant à Mayotte dans le plus grand quartier/bidonville de France : Kawani.
Je suis arrivé d’Anjouan en 1995, ma famille a quitté les Comores parce qu’on n’avait pas d’argent. J’ai construit ma maison avec des tôles et du bois, il y a l’électricité mais pas l’eau courante. Ma mère et mes trois enfants habitent avec moi. Ma femme aussi vivait avec nous mais elle a été expulsée il y a 2 mois, elle n’a pas encore réussi à revenir. Pour faire vivre ma famille, je fais des bricolages de temps en temps et quand on est malade, on essaie d’abord d’utiliser la médecine traditionnelle avec des plantes. Ici, il y a beaucoup de gens qui ne vont pas à l’hôpital parce qu’ils ne peuvent pas payer et aussi parce qu’ils ont peur de la police. Dans le quartier, il y a souvent des rafles, certains finissent par avoir envie de rentrer parce que c’est de pire en pire, ils ne sont pas tranquilles quand ils dorment, ils ont tellement peur qu’ils préfèrent rentrer. Pour moi, ça ne sera pas plus facile de repartir.
MAYOTTE, Bidonville Combani, photo : Nguyen Vincent |
En 1975, le gouvernement français par référendum pose la question de l'indépendance aux habitants des îles de l'archipel des Comores : trois des quatre îles (Grande Comore, Mohéli, Anjouan) votent [ à 99 %] pour l’indépendance. Mayotte vota contre l'indépendance. C'est dans cette île que résidait la mince couche politique locale qui avait servi d'appui au colonisateur et en avait tiré quelques privilèges, au détriment de la population des autres îles. Car en effet, Mayotte n’a jamais été protectorat, au contraire de ses soeurs. Elle est devenue colonie française quand les Français en ont pris possession, par traité, en 1843. Les trois autres îles de l’archipel : Grande Comore, Mohéli et Anjouan seront en 1886 annexées de force en tant que protectorat. Pendant une quarantaine d'années, ce sera donc là que s'établiront les colons. Mayotte a été beaucoup plus imprégnée par la présence française que les trois autres îles des Comores. Ce colonat important de petits colons, venus de La Réunion, ont développé durant un certain temps la production sucrière et par la suite celle des plantes à parfum, en exploitant la population locale, comme de coutume.
Cette domination française d’une grande puissance européenne n’a pas bien été acceptée par les Comoriens et les révoltes se succèderont. A Mayotte, île peu peuplée, au contraire, un seul mouvement de résistance vit le jour en 1856, la «Révolte de Bakari Koussou». Les travailleurs des plantations, qui étaient maltraités et humiliés par les colons, se sont révoltés. Quant aux trois autres îles, il y a eu des mouvements de résistance spectaculaires notamment à Anjouan en 1891, une révolution des paysans pauvres et des esclaves qui a menacé le protectorat français très sérieusement. Il a fallu évacuer l’île et la reconquérir au prix d’une expédition militaire. De même, après de nombreux soulèvements, en juillet 1915, sur la Grande Comore, une insurrection fait rage contre les colons.
MAYOTTE, Bidonville Kaweni, photo : Nguyen Vincent |
Aujourd'hui, Mayotte vit dans une situation économique lamentable, comme bien d'autres territoires sous tutelle de la France. Depuis 1974 les gouvernements français successifs ne se soucient guère d'améliorer le sort des habitants de Mayotte, continuant en cela la politique de l'époque coloniale, où ces îles n'étaient considérées comme des bases dans l'océan Indien. Aujourd'hui encore, l'intérêt de Mayotte pour l'Etat français réside dans les bases de surveillance du transport pétrolier qui y sont installées et qui permettent le contrôle de la voie maritime empruntant le canal du Mozambique, une des plus importantes au monde pour ce type de produit. Les hôpitaux et les maternités sont insuffisants. Les villages n'ont l'eau potable et l'électricité que depuis quelques années. Dans des chefs-lieux, les égouts sont à ciel ouvert et on a diagnostiqué plusieurs cas de choléra. Les premières écoles datent à peine d'une dizaine d'année. 35 % de la population est au chômage. Et ce tableau est aggravé par l'afflux de réfugiés des îles voisines, notamment d'Anjouan, encore plus pauvres.
MAYOTTE, Bidonville Kaweni, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Kaweni, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Vahibe, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Kaweni, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Kaweni, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Kaweni |
L'esclavagisme moderne
Mayotte attire chaque année des milliers de clandestins venus des îles de l'archipel et moins nombreux, d'Afrique. Selon l’Insee, sur une population de 160 000 habitants, l’île compterait 55 000 clandestins, venus essentiellement des Comores mais également de Madagascar et d’Afrique continentale. Ils forment l’essentiel de la main-d’œuvre exploitée dans l’agriculture, la pêche, le bâtiment, la restauration. Les immigrés sont également domestiques chez les "m’zoungous", les Blancs métropolitains, ou les riches Mahorais.
Bien évidemment, les clandestins constituent une main d'oeuvre bon marché, malléable et non déclarée. Le travail au noir constitue l’unique ressource de ces clandestins et ils occupent les domaines délaissés par la population locale, jusqu’à devenir un pilier « invisible » de l’économie de Mayotte. "Les Mahorais et les Mzungu les exploitent ! L’esclavage existe vraiment ici !" s’insurge Jean-Michel Clerc, directeur de la seule agence Pôle Emploi de l’île.
Bidonvilles sur toute l'île
Bidonvilles sur toute l'île
A Mayotte, la machine policière des reconduites à la frontière tourne à plein régime. Chaque année des milliers de reconduites ont lieu. La crainte d’un contrôle d’identité inopiné des forces de l’ordre hante les esprits. « Ils arrêtent les taxis, organisent des rafles dans des quartiers ciblés, arrêtent les gens dans les rues ».
Pour échapper aux arrestations, nombre de sans-papiers se sont réfugiés dans la forêt, sur les hauteurs de Mamoudzou, la grande ville de l'île. A la lisière de Mamoudzou, dans le quartier de Kawéni, s’élève le plus vaste bidonville de France. Éparpillées à flanc de colline, des centaines de baraques en tôle et en terre, les bangas. Parmi les poules, les chèvres, les zébus, au milieu des tuyaux d’arrivée d’eau rafistolés, des fils électriques trafiqués, des ordures ménagères dispersées, impossible de savoir exactement combien de familles d’immigrés vivent – survivent – dans ces conditions. Et pourtant Kawéni n’est qu’un bidonville parmi tant d’autres à Mayotte. Dans chaque village, les grandes maisons mahoraises dissimulent des bangas où se réfugient les sans-papiers.
Ce ne sont pas seulement les clandestins qui vivent dans les bidonvilles, les plus pauvres Mahorais, notamment les jeunes, y trouvent également refuge. Le peu de logements sociaux les contraint à construire illégalement des cabanes en tôle et en bois. En mai 2011, une des baraques a pris feu, quatre adolescents ont péri :
Une situation qui en ce moment même provoque de violentes manifestations bien légitimes ; des révoltes qui marquent la conclusion de dizaines d'années de politique -de Droite comme de Gauche-incohérente, au service des plus riches, au mépris des plus pauvres. Ainsi, pendant des décennies, la France a laissé venir nombre de clandestins, laissé se bâtir des zones d'habitat précaire, sans équipements, et notamment médicaux qui obligea Médecins Sans Frontières d'ouvrir un centre de soins destiné aux clandestins. Le seul de ce type en France.
Ce ne sont pas seulement les clandestins qui vivent dans les bidonvilles, les plus pauvres Mahorais, notamment les jeunes, y trouvent également refuge. Le peu de logements sociaux les contraint à construire illégalement des cabanes en tôle et en bois. En mai 2011, une des baraques a pris feu, quatre adolescents ont péri :
Quatre jeunes adolescents ont péri dimanche dernier à Kawéni, dans un incendie survenu avant le lever du jour. L'incendie met en avant un véritable phénomène de société : les squats des jeunes adolescents. Des cabanons construits avec des planches de bois ou en tôles, dans lesquels cohabitent des jeunes, souvent livrés à eux-mêmes.Le drame a touché plusieurs familles ; en tout, ce sont quatre jeunes qui ont trouvé la mort. Deux enfants de 13 ans et deux autres de 12 et de 14 ans. C'est au petit matin, aux environs de six heures, que le feu s'est déclaré dans le petit cabanon situé au fond de la cour. Plongés dans le sommeil, à quelques mètres de là, aucun adulte ne se doute de ce qui se passe. D'ailleurs, c'est un passant qui va alerter les secours. 24 heures après la catastrophe, les premiers éléments de l'enquête montrent que les enfants qui ont péri dans ce feu n'avaient pas de lien de parenté entre eux. Et pour cause : il arrive souvent que des compagnons de jeux partagent la même couche, à quelques mètres du foyer familial ou parfois très loin de celui-ci. Cette pratique, qui a tendance à se généraliser dans les quartiers populaires et dans de nombreux villages de Mayotte, ne peut cependant s'assimiler à la tradition locale « des bangas bangas », où le jeune adolescent, aux alentour de 16 ans, construit à l'aide de ses amis un abri qui devient son espace privé pour acquérir d'avantage de maturité. Ici, nous avons à faire à de très jeunes garçons livrés à eux-mêmes et pouvant aller et venir sans aucune surveillance.
Source : http://www.comoresonline.net/
Mayotte Terre d'accueil ?
Si depuis 1974, les autorités françaises ont fait preuve d'un certain laxisme quant à l'émigration clandestine, les choses changèrent avec l'arrivée de Nicoles Sarkozy, ministre de l'Intérieur, qui exigea une tolérance zéro. Mais au-delà de l'action politicienne du ministre, les autochtones estimaient que le nombre maximum de clandestins pour le bon développement économique de l'île, pour leurs propres services, était atteint ; et qu'il convenait d'endiguer le flux qui de son côté augmentait. Outre ses considérations néo-colonialistes, il semblerait que l'île, aujourd'hui, ne puisse supporter un plus grand nombre de résidents : les terres sont rares, l'eau potable y est rare ainsi que les ressources agricoles qui ne suffisent plus à nourrir la population. Les prix des denrées alimentaires sont aujourd'hui trop élevés, pour les clandestins, pour les natifs pauvres et une partie de la classe moyenne, voire pour certains expatriés de l'administration, c'est dire.
MAYOTTE, Bidonville Kaweni, wc "publics" |
MAYOTTE, Bidonville Combani, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Combani, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Mogoni, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Mtsapere, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, Bidonville Mtsapere, photo : Nguyen Vincent |
Une situation qui en ce moment même provoque de violentes manifestations bien légitimes ; des révoltes qui marquent la conclusion de dizaines d'années de politique -de Droite comme de Gauche-incohérente, au service des plus riches, au mépris des plus pauvres. Ainsi, pendant des décennies, la France a laissé venir nombre de clandestins, laissé se bâtir des zones d'habitat précaire, sans équipements, et notamment médicaux qui obligea Médecins Sans Frontières d'ouvrir un centre de soins destiné aux clandestins. Le seul de ce type en France.
MAYOTTE, police, photo : Nguyen Vincent |
MAYOTTE, centre de rétention administrative [CRA] Pamandzi |
SOURCES
Daniel Mescla
Lutte Ouvrière
Nguyen Vincent
Photojournaliste.emi
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