Selon les sources officielles, plus de 400 millions d'Indiens, sur une population totale de 1.21 milliard, vivent aujourd'hui dans la plus grande pauvreté. Pour d'autres experts, le seuil officiel de pauvreté (17 roupies [0,29 euro] par jour en milieu urbain et 12 roupies [0,20 euro] en milieu rural) n'est guère admissible et largement sous-évalué. Selon eux, si l'on relevait le seuil de pauvreté à 2 dollars, soit 90 roupies (1,50 euro) par jour, le nombre de pauvres dépasserait les
800 millions.
Le deuxième pays le plus peuplé de la Terre, et qui risque de dépasser la Chine d'ici 30 ans, s'inscrit dans une économie capitaliste particulièrement prédatrice mais au-delà, les observateurs avancent également le poids des traditions encore bien inscrites dans les mentalités dont notamment le système de castes, aboli depuis plus de 50 ans pourtant, qui maintient de nombreux Indiens dans la misère et empêche l'évolution sociale. Les pays occidentaux et les médias préfèrent à ce sombre constat, les merveilleuses réussites accomplies en quelques années : la réussite des nouveaux milliardaires, le système éducatif qui a permis de former 4 millions de scientifiques (numéro 2 mondial !), dans le logiciel notamment, et plus largement son fort taux de croissance économique, tout en faisant l'éloge du film Slumdog millionnaire, prétendant ainsi que vivre dans un bidonville n'est pas forcement synonyme de destinée contrainte. L'exposition dédiée à l'Inde qui se tient en ce moment à Beaubourg, par exemple, ne concerne que le brillant vernis apposé sur les 800 millions de pauvres dont la perspective est l'exil forcé et/ou l'entassement dans des bidonvilles gigantesques, aux portes des grandes agglomérations.
Le journaliste Samar Halarnkar écrivait en 2010 : La pauvreté, qui est endémique en Inde, va être encore exacerbée par l'effondrement imminent du système de sécurité sociale. Dans l'Uttar Pradesh [Nord], des enfants mangent de la boue pour apaiser leur faim ; à Bolangir, dans l'Orissa [Sud-Est], des hommes et de femmes trentenaires meurent de malnutrition. Dans le Jharkhand [Centre], des enfants se nourrissent de baies sauvages et de fourmis rouges, leurs ventres sont gonflés par la maladie et, suivant une superstition tribale, on soigne la malnutrition en leur perçant l'estomac avec un poinçon chauffé à blanc. On assiste aujourd'hui à la faillite de notre gouvernance.
Dans ces conditions, la guerre civile menée depuis 40 années par les groupes révolutionnaires armés maoïstes contre l'État et les autorités fédérales, dont certaines communistes, prend aujourd'hui de l'ampleur, s'inscrivant en parallèle des destructions de toute sorte opérées, produites par le capitalisme, instituées par le désengagement du Walfare State et de son virage ultralibéral de 1991.
Inde : Dans le corridor rouge
Alternative Libertaire
Publié le 10 septembre 2010
Autoproclamée « plus grande démocratie du monde », l’Inde s’est installé dans les contradictions d’une politique insolemment inégalitaire et libérale : la guérilla naxalite et le gouvernement s’affrontent depuis cinquante ans sur un immense territoire, faisant des centaines de victimes tous les ans.
Au commencement, il y a un pays fourmillant d’intelligence, riche de ressources et de possibilités, qui a bravé l’Empire britannique, et dont les millions de pauvres attendent tout. Mais au lendemain de l’indépendance, au projet collectiviste et essentiellement rural de Gandhi, Nehru préfèrera engager le vaste chantier de modernisation de l’Inde – « Abolir la grande propriété terrienne et investir dans l’irrigation ». Si la révolution verte apporta une relative prospérité à certaines campagnes, elle ne put s’établir qu’au moyen d’une industrialisation aussi radicale que brutale et en créant une infrastructure d’une telle ampleur qu’elle arracha à leurs villages plus de 40 millions de personnes. L’économie planifiée de type socialiste, céda progressivement la place (1980) à l’économie de marché, qui, en 1991 devait s’ouvrir au libéralisme le plus cynique.
Mais avant, il y eut Naxalbari.
En 1967, au Bengale occidental, dans le village de Naxalbari, au pied des monts de Darjeeling, une violente insurrection soulève 20 000 paysans contre leurs propriétaires terriens et donne l’occasion à une scission maoïste du PC indien de se former, sous la conduite de Charu Majumdar et Kanu Sanyal. Idéologues emblématiques des futurs Naxalites, ils posent les bases d’un maoïsme indien qui veut renverser le régime et le remplacer par un gouvernement révolutionnaire. Ce 25 mai 1967, ce qui commence comme une jacquerie se rend maître de quelques 2000 villages pendant trois mois. Brutalement reprise par l’armée, cette région du Bengale ne sera plus jamais complètement tranquille.
Après la création du CPI-ML en 1969 (Communist Party of India- Marxist-Leninist, maoïste) et pendant les trente ans qui suivent, la guérilla ne réitèrera pas un deuxième Naxalbari mais s’étendra, d’attaques de casernes en embuscades, à 17 des 28 États indiens. Fidèle à la stratégie d’encerclement mise au point par Mao, le mouvement s’accroche profondément en milieu rural et forêts, et commence à infiltrer les villes.
Six pouces de terre
On estime à quelques 40.000 les combattants présents dans le « corridor rouge » (voir carte), véritable « infection » selon les termes du gouvernement indien, qui considère le naxalisme comme le « plus grand défi à la sécurité auquel le pays ait eu à faire face ». Courant le long des régions les plus pauvres du pays et dans les zones tribales, le corridor connaît un regain de violence et d’activité révolutionnaire depuis 2004. Et comment s’en étonner ? Non seulement la pauvreté et l’inégalité en Inde sont infectes, mais sa politique depuis le virage ultralibéral de 1991 cache à peine ses intentions de remettre le pays entre des mains privées. Depuis l’établissement de Zones économiques spéciales [1] (SEZ) dont on exproprie les habitants qui vont grossir les rangs des misérables des villes, jusqu’aux non-réformes agraires qui consistent là encore à confier le sort de millions de paysans à Monsanto et aux prescriptions de la Banque mondiale, ce sont 50 000 suicides annuels de fermiers, 280 millions de paysans sans terre et les populations les plus vulnérables, femmes, Dalit [2], Adivasis [3] qui assistent au démantèlement de tout le système social. Du concept politique et social d’autosuffisance, à la destruction des régimes généraux et agricoles, ils sont sans défense face à la loi du marché.
Le poids de l’exploitation est proprement inimaginable dans ce pays qui se veut la puissance mondiale montante. Des Adivasis, au Bihar et au Jharkhand (nord de l’Inde) se sont entendus dire qu’ils ne possédaient en propre que six pouces de terre et que tout ce qu’il y avait en dessous appartenait aux Tata, Salim, POSCO…de quoi relativiser le « miracle » indien que la presse occidentale autant qu’indienne a érigé en mythe.
Situation de la guérilla
De la prise du fort de Rani Bodli en 2007, jusqu’à l’embuscade du 30 juin dernier au Chhattisgarh (26 victimes policières), la guerre Naxalite fait des centaines de victimes par an. On fait sauter des pylônes électriques, des voies d’approvisionnement ; des postes militaires sont assiégés, des politiciens abattus en pleine rue.
Jusqu’en 2005, l’armée contenait les maquis autant par des actions classiques que par la terreur, viols systématiques, torture des prisonniers (c’est ainsi que C. Majumdar devait perdre la vie), harcèlement des populations rurales, assassinat pur et simple de militants d’ONG, destruction de bidonvilles…
Cette même année, l’État crée le Salwa Judum, les « chasseurs de paix », dans les zones tribales où les maoïstes ont leurs bases. Ces régions abandonnées par le pouvoir sont parmi les plus économiquement arriérées de l’Inde. Mais elles regorgent aussi de richesses minières et sont un Eldorado fiscal, et depuis une vingtaine d’année sont intensément spoliées par les projets de SEZ. Les cartes montrent bien que zones tribales et naxalites se confondent, comme la misère et la révolte.
L’État a donc l’idée d’armer les Adivasis pour former une milice contre-insurrectionnelle. Contre quelques promesses de développer les villages, ou de leur trouver du travail dans ces usines qui ont remplacé champs et villages expropriés, ce sont des pauvres pour contenir d’autres pauvres. « Nous avons deux ans pour gagner le cœur et l’esprit des populations » ose le gouvernement. Après quelques premiers succès militaires, le Salwa Judum essuie des représailles d’une violence inouïe. Pour la seule année 2007, les attaques maoïstes font 750 victimes. Et de fait, malgré l’opération « Green Hunt » (la Chasse verte) de 2009, la guérilla ne fait que se renforcer.
Assiégeant ou assiégé ?
Les combattants dans les jungles et campagnes se renforcent de près de 40 000 cadres, surtout dans les villes où s’opère la mutation du mouvement maoïste. Sa doctrine précise : « mobiliser des millions d’opprimés urbains et lutter contre le féodalisme […] le mouvement urbain est une des meilleures sources pour trouver des chefs et ouvre de nombreuses possibilités à la guerre populaire ». C’est ainsi qu’il tâche d’être présent sur tous les fronts, de la question tragique de la dot des filles, jusqu’à la lutte contre l’OMC et le travail social en bidonville.
Seulement le prix à payer est aussi à la charge de la population indienne. À la constante pression policière et militaire, il faut ajouter l’impôt révolutionnaire – la guérilla se nourrit sur le pays, et les villages pris entre Salwa Judum et naxalites paient deux fois le prix fort. Les industries installées dans les SEZ passent d’étranges compromis : en échange de 12 % de leurs revenus, elles ne les inquiètent plus.
Le mouvement naxalite n’est plus clandestin, et parfois même, il dirige officiellement des districts ou des villages. Ultra-violent et autoritaire, il est strictement proportionnel à ce que vit l’Inde au quotidien, et s’il grandit de jour en jour, c’est aussi le signe de l’entêtement criminel du capitalisme indien qui continue, 60 ans après Gandhi à ignorer sa propre misère.
Cuervo AL 95
[1] Zones riches en ressources agricoles, commerciales, minières, dont l’exploitation est confiée à des multinationales pour lancer des mégaprojets industriels.
Alternative Libertaire
Publié le 10 septembre 2010
Sources
Centre-Est de l’Inde : guerre contre la population
Article de Christine Schneider paru in : TEAN n°11 / Juin 2010
Via le site de Danielle Sabai
Inde : Dans le corridor rouge
Article paru in : Alternative Libertaire / septembre 2010
Comment se retrouver avec 100 millions de pauvres en plus ?
Article de Samar Halarnkar paru in : Hindustan Times / 23.04.2010
Via : Courrier International
Sites internet :
Comité de Soutien à la Révolution en Inde
Secours Rouge
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