« Pendant
les moments les plus tristes, Amnesty International ne faisait pas
campagne pour nous parce que nous avions utilisé la lutte armée et
cette organisation ne défendait aucune personne qui avait choisi la
violence. C’était pour cette raison que je pensais que le comité
Nobel ne retiendrait jamais pour le prix de la paix le nom de l’homme
qui avait créé Umkhonto weSizwe. »
Nelson
Mandela
Prix
Nobel de la Paix
UMKHONTO
WE SIZWE
Guérilla Urbaine
1961 - 1964
Umkhonto
weSizw,
[Fer
de Lance],
l'alliance armée de l'AFrican National Congress [ANC] et du South
Africa Communist Party [SACP], fut créé en 1961 sous l'initiative
de la jeune garde menée par Nelson Mandela, son premier commandant.
Refusant
le modèle de Gandhi d'une lutte pacifiste de désobéissance
civile, Nelson
Mandela préférait les conquêtes militaires de Ho Chi Minh, du
Front de Libération d'Ahmed Ben Bella, de Fidel Castro et du
commandant Guevara, qu'il citait en exemple [1].
Cette deuxième partie concerne le processus de formation de Umkhonto [ou MK], la période de la guérilla urbaine, jusqu'à sa complète défaite et son exil en Tanzanie amie. Les larges extraits du récit autobiographique de Nelson Mandela, LONG WALK TO FREEDOM, que nous présentons ici, retracent l'histoire, et celle de son expérience dans la lutte urbaine menée par les résidents du quartier Sophiatown à Johannesburg, contre leur éviction ; importante car son échec renforça encore sa détermination à engager le processus de la lutte armée : « A un certain moment, on ne peut combattre le feu que par le feu. »
LE
PLAN-M
Partisan
de méthodes plus violentes, Mandela était moins optimiste que les
patients leaders historiques de l'ANC, sûrs qu'un jour à force de persuasion, le système accepterait de partager démocratiquement le
pouvoir, selon la formule de la Charte de la Liberté : ONE MAN,
ONE VOTE. Après avoir formé la Ligue de la Jeunesse au sein de l'organisation vieillissante, devenu jeune membre du directoire de l'ANC, persuadé que seule la lutte armée serait en mesure de contraindre le système à la table des négociations, il organisa les premiers réseaux clandestins, bien avant l'interdiction de l'ANC (1960),
afin de préparer l'inexorable lutte armée qu'il espérait :
« Comme beaucoup
d’autres, j’étais convaincu que le gouvernement avait
l’intention de déclarer l’ANC et le SAIC illégaux, exactement
comme pour le Parti communiste [interdit dès 1950]. Il semblait inévitable que l’Etat
essaie de nous mettre hors course en tant qu’organisation légale
le plus tôt possible. Je suis donc allé à la direction nationale
avec l’idée que nous devions élaborer un plan d’urgence en
prévision d’une telle éventualité. J’ai dit que ce serait
abdiquer nos responsabilités de dirigeants du peuple de ne pas le
faire. On m’a demandé d’établir un tel plan, qui permettrait à
l’organisation de travailler clandestinement. Cette stratégie a
été connue sous le nom de Plan-Mandela ou, simplement, Plan-M.
L’idée consistait à mettre sur pied un mécanisme d’organisation
qui permettrait à l’ANC de prendre au plus haut niveau des
décisions faciles à transmettre rapidement à l’organisation tout
entière sans avoir besoin de réunion. En d’autres termes, cela
permettrait à une organisation illégale de continuer à fonctionner
et aux responsables sous l’effet d’une interdiction de continuer
à diriger. Grâce au Plan-M, l’ANC pourrait recruter de nouveaux
membres, réagir aux problèmes locaux et nationaux, et maintenir des
contacts réguliers entre les membres et la direction clandestine.
J’ai tenu un certain
nombre de réunions secrètes avec des membres de l’ANC et du SAIC
sous le coup d’une interdiction ou non, afin de discuter des
éléments du plan. J’y ai travaillé pendant plusieurs mois et
j’ai mis au point un système assez général pour qu’il puisse
s’adapter aux conditions locales sans entraver les initiatives
individuelles mais tout en restant suffisamment détaillé pour
faciliter l’ordre. La plus petite unité était la cellule qui,
dans les townships urbains, comprenait en gros dix maisons d’une
rue. Un délégué de cellule avait la responsabilité de chacune de
ces unités. Si une rue comptait plus de dix maisons, un délégué
de rue était responsable et les délégués des cellules le tenaient
au courant. Un groupe de rues formait une zone dirigée par un
délégué en chef qui était à son tour responsable du secrétariat
de la branche locale de l’ANC. Le secrétariat était un
sous-comité de la direction de la branche locale, et rendait compte
au secrétaire provincial. Mon idée, c’était que chaque délégué
de cellule et de rue devrait connaître chaque personne et chaque
famille dans son secteur, et que les gens lui feraient confiance et
qu’il saurait à qui faire confiance. Le délégué de cellule
organisait des réunions, des cours de politique et encaissait les
cotisations. Il était la cheville ouvrière du plan. Cette stratégie
avait été créée à l’origine surtout pour les zones urbaines,
mais on pouvait l’adapter à la campagne. Le plan a été accepté
et immédiatement appliqué. On a incité les branches locales à
commencer cette restructuration clandestine. Nombre d’entre elles
l’ont adoptée tout de suite, mais certaines, dans les avant-postes
les plus éloignés, ont pensé qu’il s’agissait d’une
tentative de Johannesburg en vue de contrôler les régions.
L’ANC a introduit
dans le plan un cours d’initiation à la politique, pour ses
membres dans tout le pays. Il s’agissait de conférences destinées
non seulement à éduquer mais aussi à maintenir la cohésion de
l’organisation. Elles étaient données secrètement par les
responsables des branches locales. Ceux qui y assistaient faisaient
les mêmes conférences dans leurs communautés. Au début, elles
n’étaient pas systématiques, mais après quelques mois on a mis
au point un programme. Il y avait trois grands cours : « Le monde
dans lequel nous vivons », « Comment nous sommes gouvernés » et «
La nécessité du changement ». Dans le premier cours, nous
discutions des différents types de systèmes politiques et
économiques dans le monde et en Afrique du Sud. C’était un tour
d’horizon du développement du capitalisme et du socialisme. Nous
parlions, par exemple, de la façon dont les Noirs sud-africains
étaient opprimés en tant que race et en tant que classe économique.
Les conférenciers étaient pour la plupart sous le coup d’une
interdiction et, moi-même, j’ai souvent donné des conférences le
soir. Cette organisation avait l’avantage de permettre aux bannis
de rester actifs et de maintenir les adhérents en contact avec ces
responsables. Pendant ce temps, les membres de la direction sous le
coup d’une interdiction se rencontraient souvent entre eux et
organisaient des réunions avec les responsables en poste. L’ancienne
et la nouvelle direction se coordonnaient très bien et la prise de
décisions était collective comme auparavant. Parfois, on avait
l’impression
que rien n’avait
changé sauf que nous devions nous retrouver clandestinement.
SOPHIATOWN
« A Johannesburg,
le projet de déplacement des zones ouest prévoyait l’évacuation
de Sophiatown, de Martindale et de Newclare, dont la population
totale se situait entre 60 000 et 100 000 personnes. En 1953, le
gouvernement nationaliste avait acheté une étendue de terre appelée
Meadowlands, à une quinzaine de kilomètres de la ville. Les gens y
seraient réinstallés en sept « groupes ethniques » différents.
Le gouvernement avançait comme excuse la suppression des
bidonvilles, un écran de fumée pour dissimuler la politique
gouvernementale qui considérait que toute zone urbaine était
blanche et que les Africains n’étaient que des résidents
temporaires.
Le gouvernement
subissait la pression de ses partisans des environs, de Westdene et
Newlands, qui étaient des zones blanches relativement pauvres. Ces
Blancs de la classe ouvrière lorgnaient sur les belles maisons que
possédaient certains Noirs à Sophiatown. Le gouvernement voulait
contrôler les déplacements de tous les Africains et cela se
révélait beaucoup plus difficile dans les townships urbains où les
Noirs étaient propriétaires et où les gens allaient et venaient à
leur guise. Bien que le système fût toujours en vigueur, on n’avait
besoin d’aucune autorisation particulière pour entrer dans un
township de propriétaires, contrairement aux locations municipales.
Les Africains habitaient et étaient propriétaires à Sophiatown
depuis plus de cinquante ans ; et maintenant le gouvernement
envisageait impitoyablement de reloger tous les Africains de
Sophiatown dans un autre township noir. Le plan du gouvernement
manifestait un tel cynisme que le déplacement était prévu avant
même que les maisons qui devaient accueillir les gens aient été
construites. Le déplacement de Sophiatown fut la première grande
épreuve de force pour l’ANC et ses alliés après la Campagne de
défi.
Le projet de
déplacement de Sophiatown avait débuté en 1950, mais les efforts
de l’ANC pour s’y opposer n’ont pas commencé vraiment avant
1953. Vers le milieu de l’année, les branches locales de l’ANC,
le Transvaal Indian Congress et l’Association des contribuables ont
mobilisé les gens pour résister. En juin 1953, la direction
provinciale de l’ANC et le TIC ont organisé une réunion publique
au cinéma Odin de Sophiatown pour discuter de la mobilisation. La
réunion a été animée et exubérante et a rassemblé plus de 1 200
personnes qui ne semblaient pas intimidées par la présence de
plusieurs douzaines de policiers armés jusqu’aux dents. […] A
l’intérieur, les policiers étaient provocateurs et méprisants.
Armés de pistolets et de fusils, ils déambulaient dans la salle en
bousculant les gens et en faisant des remarques insultantes.
[…]
[…]
A ce moment-là, l’ANC
tenait des réunions chaque dimanche à Freedom Square, au centre de
Sophiatown, pour mobiliser l’opposition au déplacement. Il y avait
des moments vibrants, ponctués par les cris sans cesse répétés de
« Asihambi ! » (Nous ne bougerons pas !) et la chanson «
Sophiatown likhaya lam asihambi » (Sophiatown, c’est chez moi ;
nous ne bougerons pas). Des membres de l’ANC, des propriétaires,
des locataires, des conseillers municipaux et souvent le père
Huddleston, qui ignorait les avertissements de la police de s’en
tenir aux affaires de l’Eglise, prenaient la parole. »
L'APPEL A LA VIOLENCE
« Un dimanche
soir, peu de temps après l’incident du cinéma Odin, il était
prévu que je parle à Freedom Square. La foule était ardente et son
émotion m’influençait certainement. Il y avait beaucoup de jeunes
en colère qui avaient envie de passer à l’action. Comme
d’habitude, les policiers entouraient la place. Comme d’habitude,
ils étaient armés de fusils et de stylos pour noter le nom de ceux
qui parlaient et ce qu’ils disaient. C’était un fléau auquel on
s’habituait. Nous essayions d’en faire une vertu en étant aussi
francs que possible avec la police, pour montrer qu’en fait nous
n’avions rien à cacher, même pas notre mépris à son égard.
J’ai commencé à parler de la répression grandissante du
gouvernement à la suite de la Campagne de défi. J’ai dit que,
maintenant, le gouvernement avait peur de la force du peuple
africain. Tout en parlant, je sentais mon indignation monter. A cette
époque, j’étais un orateur qui avait tendance à mettre le feu
aux poudres. J’aimais exciter un public et c’est ce que je
faisais. Alors que je condamnais le gouvernement pour sa brutalité
et sa façon de ne pas respecter la loi, je suis allé trop loin :
j’ai dit que le temps de la résistance passive était terminé,
que la non-violence était une stratégie vaine et qu’elle ne
renverserait jamais une minorité blanche prête à maintenir son
pouvoir à n’importe quel prix. J’ai dit que la violence était
la seule arme qui détruirait l’apartheid et que nous devions être
prêts, dans un avenir proche, à l’employer.
La foule était
transportée ; les jeunes en particulier applaudissaient et criaient.
Ils étaient prêts à agir comme je venais de le dire. A ce
moment-là, j’ai entonné un chant de liberté dont les paroles
disaient : « Voici nos ennemis, prenons les armes, attaquons-les. »
Je chantais et la foule s’est jointe à moi et, à la fin, j’ai
montré la police et j’ai dit : « Regardez, les voici, nos ennemis
! »La foule a recommencé à crier des hourras et a fait des gestes
agressifs en direction des policiers. Ces derniers étaient inquiets
et beaucoup me désignaient du doigt comme pour me dire : « Mandela,
tu vas nous le payer ! » Ça m’était égal. Dans la chaleur du
moment, je ne pensais pas aux conséquences. Mais ce que j’avais
dit ce soir-là ne tombait pas du ciel. J’avais pensé à l’avenir.
Le gouvernement ne cessait de prendre des mesures pour que des choses
comme la Campagne de défi ne se reproduisent pas. J’avais commencé
à analyser la lutte dans des termes différents. L’ANC avait pour
ambition de lancer une lutte de masse, d’engager les ouvriers et
les paysans d’Afrique du Sud dans une campagne si vaste et si
puissante qu’elle devrait mettre à bas le statu quo de
l’oppression blanche. Mais le gouvernement nationaliste rendait
impossible toute expression légale différente ou toute
protestation. Je voyais qu’il réprimerait impitoyablement toute
manifestation légitime de la part de la majorité africaine. Un Etat
policier ne semblait plus très loin. J’ai soupçonné que les
manifestations légales et non constitutionnelles deviendraient
bientôt toutes deux impossibles.
En Inde, Gandhi avait
eu à faire à une puissance étrangère qui en fin de compte s’était
montrée plus réaliste et plus clairvoyante. Ce n’était pas le
cas des Afrikaners en Afrique du Sud. La résistance passive non
violente est efficace tant que votre adversaire adhère aux mêmes
règles que vous. Mais si la manifestation pacifique ne rencontre que
la violence, son efficacité prend fin. Pour moi, la non-violence
n’était pas un principe moral mais une stratégie. Il n’y a
aucune bonté morale à utiliser une arme inefficace. Mais sur ce
sujet, ma réflexion n’avait pas encore abouti, et j’avais parlé
trop vite. C’était sans doute l’opinion du Comité national de
direction. Quand il a été mis au courant du contenu de mon
discours, j’ai été sévèrement critiqué pour avoir défendu une
rupture aussi radicale avec la politique de l’ANC. Certains membres
de la direction pensaient comme moi mais personne n’a soutenu la
méthode irréfléchie avec laquelle j’avais parlé. La direction
m’en a fait le reproche en soulignant que la politique que j’avais
défendue n’était pas seulement prématurée mais dangereuse. De
tels discours pouvaient inciter l’ennemi à écraser entièrement
l’organisation puisque l’ennemi était fort et que nous étions
toujours faibles. J’ai accepté la critique, et ensuite j’ai
fidèlement défendu la politique de non-violence en public. Mais au
fond de moi, je savais que la non-violence n’était pas la réponse.
[...]
La
campagne contre le déplacement de Sophiatown fut
une bataille de longue haleine. Nous restions sur nos positions, le
gouvernement aussi. Tout au long de 1954 et au début de 1955, des
réunions ont eu lieu deux fois par au début de 1955, des réunions
ont eu lieu deux fois par semaine, le mercredi et le dimanche soir.
Les orateurs dénonçaient les uns après les autres les projets du
gouvernement. L’ANC
et l’Association
des contribuables, sous la direction du Dr. Xuma, protestaient auprès
du gouvernement avec des lettres et des pétitions. Nous avons
conduit la campagne contre le déplacement avec le slogan « sur nos
cadavres », un thème souvent crié du haut des tribunes et repris
par la foule. Un soir, cela poussa même le Dr. Xuma, d’habitude
fort prudent, à hurler le slogan mobilisateur utilisé au siècle
dernier pour entraîner les guerriers à la bataille : « Zemk’inkomo
magwalandini ! » (L’ennemi
a pris le bétail, bande de lâches !)
Le
gouvernement avait prévu que le déplacement aurait lieu le 9
février 1955. Au fur et à mesure que la date approchait, Oliver et
moi allions chaque jour dans le township, pour rencontrer les
responsables locaux, discuter les plans et agir dans notre domaine
professionnel en faveur de ceux qui étaient expulsés ou poursuivis
en justice. Nous cherchions à prouver au tribunal que la
documentation du gouvernement était souvent incorrecte et que
beaucoup d’ordres
d’expulsion
étaient par conséquent illégaux. Mais ce n’était
qu’une
mesure temporaire ; le gouvernement ne laisserait pas quelques
illégalités lui faire obstacle. Peu avant la date prévue, une
réunion de masse particulière fut organisée à Freedom Square. Dix
mille personnes se réunirent pour entendre le chef Luthuli. Mais au
moment de son arrivée à Johannesburg, on lui remit un ordre
d’interdiction
qui l’obligeait
à retourner au Natal.
La
veille du déplacement, Joe Modise, un des responsables locaux de
l’ANC les
plus engagés, prit la parole devant un rassemblement de plus de 500
jeunes militants qui attendaient un ordre de l’ANC.
Ils espéraient qu’on
leur dirait d’engager
la bataille avec la police et l’armée.
Ils étaient prêts à dresser des barricades dans la nuit et, le
lendemain, à attaquer la police avec des armes et tout ce qui leur
tomberait sous la main. Ils prenaient notre slogan au pied de la
lettre : on ne déplacerait Sophiatown qu’en
passant sur nos cadavres.
Mais
après des discussions avec la direction de l’ANC,
y compris avec moi, Joe dit aux jeunes de ne pas bouger. Ils étaient
furieux et se sentaient trahis. Mais nous pensions que la violence
aurait conduit au désastre. Nous avons insisté sur le fait qu’une
insurrection exigeait une organisation minutieuse sinon cela tournait
au suicide. Nous n’étions
pas encore prêts à nous engager sur le même terrain que l’ennemi.
Le 9 février, dans la brume du petit matin, 4 000 policiers et
soldats ont évacué le township tandis que des ouvriers rasaient les
maisons vides et que les camions commençaient à transporter les
familles de Sophiatown à Meadowlands. La nuit précédente, l’ANC
avait regroupé plusieurs familles dans des locaux préparés avec
l’aide de
familles pro-ANC, à l’intérieur
de Sophiatown. Mais c’était
insuffisant et trop tardif et ce ne pouvait être qu’un
pis-aller. L’armée
et la police se montrèrent d’une
efficacité impitoyable. Au bout de quelques semaines, notre
résistance s’effondra.
La plupart de nos responsables locaux avaient été interdits ou
arrêtés et, à la fin, Sophiatown est mort non pas dans les
détonations des fusils mais dans le bruit des camions et des
marteaux-piqueurs.
On
peut toujours faire une analyse correcte d’une
action politique qu’on
lit dans le journal du lendemain, mais quand on se trouve au coeur
d’un
combat politique, on n’a
guère le temps de réfléchir. Nous avons fait beaucoup d’erreurs
dans la campagne contre le déplacement et nous en avons tiré
beaucoup de leçons.« Sur nos cadavres » était un slogan
mobilisateur mais qui se révéla autant un obstacle qu’une
aide. Un slogan est un lien vital entre l’organisation
et les masses qu’elle
tente de conduire. Il doit synthétiser une revendication précise en
une phrase simple et nerveuse, tout en mobilisant les gens pour le
combat. Notre slogan frappait l’imagination
des gens mais il les incitait à croire que nous allions nous battre
jusqu’à
la mort pour nous opposer au déplacement.
En
fait, l’ANC
n’y était
pas du tout préparé. Nous n’avons
jamais proposé d’autre
solution. Quand les habitants de Sophiatown se sont rendu compte que
nous ne pouvions ni arrêter le gouvernement ni leur fournir de
logements ailleurs, leur propre résistance a faibli et le flot de
ceux qui allaient à Meadowlands n’a
cessé de croître. Beaucoup de locataires sont partis volontairement
quand ils ont découvert qu’à
Meadowlands ils auraient des logements plus grands. Nous n’avions
pas pris en considération les situations différentes des
propriétaires et des locataires. Les propriétaires avaient des
raisons de rester, mais beaucoup de locataires étaient incités à
partir. L’ANC
était critiqué par beaucoup de ses membres africanistes, qui
reprochaient aux responsables de protéger les intérêts des
propriétaires aux dépens des locataires. J’ai
retiré de cette campagne la leçon qu’au
bout du compte nous n’avions
pas d’autre
choix que la résistance armée et violente. Nous avions utilisé
toutes les armes non violentes de notre arsenal – discours,
délégations, menaces, arrêts de travail, grèves à domicile,
emprisonnement volontaire –, tout cela en vain, car quoi que nous
fassions, une main de fer s’abattait
sur nous. Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que
c’est
l’oppresseur
qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à
l’opprimé
d’autre
recours que d’utiliser
les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur.
A un certain moment, on ne peut combattre le feu que par le feu. »
UMKHONTO
L'apartheid
instaura des lois plus en plus sévères qui s'échelonnent dans le
temps alors que les pays d'Afrique colonisés obtenaient leur
indépendance [2]
; l'année 1960 est particulièrement riche :
Cameroun,
Togo, Madagascar, R. du Congo, Somalie, Bénin, Niger, Burkina Faso,
Cote D'ivoire, Tchad, Centrafrique, Congo, Gabon, Sénégal, Mali,
Nigeria, Mauritanie, deviennent des pays souverains.
En
Afrique du Sud, la même année se déroule le massacre de
Shaperville : la police fait feu lors d'une manifestation organisée
par le Pan African Congress [PAC], faisant 69 morts et environ 400
blessés [3] ; puis le
gouvernement procéda à l'instauration de la loi martiale, et à
l'interdiction des organisations opposées à l'apartheid et à l'arrestation de leurs membres, dont bien
sûr, ceux de l'ANC et du Pan African Congress qui passait aux premiers
rangs de la lutte, en Afrique comme dans le monde entier. Ces
évènements vont jouer en faveur d'un changement radical dans la
stratégie de l'ANC. Nelson Mandela :
« Le
débat sur l’utilisation de la violence durait entre nous depuis le
début de 1960. J’avais parlé pour la première fois de la lutte
armée avec Walter [Sisulu] dès 1952. Je lui en parlai à nouveau et
nous fûmes d’accord pour reconnaître que l’organisation devait
s’engager dans une nouvelle voie. Le Parti communiste s’était
secrètement reconstitué dans la clandestinité et envisageait de
former sa propre branche militaire. Nous avons décidé que je
poserais le problème de la lutte armée au Comité de travail et je
le fis au cours d’une réunion en juin 1961.
J’avais
à peine commencé à formuler ma proposition que Moses Kotane, le
secrétaire du Parti communiste, et l’un des personnages les plus
puissants de la direction de l’ANC, lança une contre-attaque en
m’accusant de ne pas avoir suffisamment réfléchi à ma
proposition. Il dit que j’avais été dépassé et paralysé par la
réaction du gouvernement, et que maintenant, en désespoir de cause,
j’avais recours au langage révolutionnaire. « y a encore de la
place, insista-t-il, pour les vieilles méthodes si nous avons assez
d’imagination et de détermination. Si nous nous embarquons dans la
voie que Mandela propose, nous exposerons des gens innocents à être
massacrés par l’ennemi. »
Moses
parlait de façon convaincante et je voyais que j’avais perdu.
Walter lui-même ne prenant pas la parole pour me soutenir, j’ai
renoncé ; je lui ai ensuite dit mon mécontentement et lui ai
reproché de ne pas être venu à mon aide. Il a ri et m’a répondu
que ç’aurait été stupide de vouloir lutter contre l’orgueil de
deux lions en colère. Walter est un homme plein de ressource et de
diplomatie. « Laisse-moi arranger une rencontre entre Moses et toi,
me dit-il, et tu pourras défendre ton point de vue. »
J’étais
dans la clandestinité mais Walter réussit à nous réunir dans une
maison du township et nous avons parlé toute la journée. J’ai été
franc et j’ai expliqué pourquoi je croyais que nous n’avions pas
d’autre choix que de nous tourner vers la violence. J’ai utilisé
une vieille expression africaine : « Sebatana ha se bokwe ka diatla
» (On ne peut détourner l’attaque d’une bête sauvage les mains
nues). Moses était un communiste de la vieille école, et je lui dis
qu’en s’opposant à moi, il était comme le Parti communiste de
Cuba sous Batista. Le Parti avait insisté en disant que les
conditions n’étaient pas réunies et il attendit parce qu’il
suivait simplement le manuel de définitions de Lénine et de
Staline. Castro n’attendit pas, il agit – et triompha. Si l’on
attend que les conditions du manuel soient réunies, cela n’arrivera
jamais. J’ai dit à Moses que son esprit sortait du vieux moule de
l’ANC organisation légale. Les gens formaient déjà des groupes
militaires dans leur coin et seul l’ANC avait la poigne suffisante
pour les diriger. Nous avions toujours affirmé que le peuple était
en avance sur nous et actuellement il l’était. Nous avons parlé
toute la journée, et à la fin, Moses m’a dit : « Nelson, je ne
te promets rien, mais repose la question au Comité et nous verrons
ce qui arrivera. » Une réunion était prévue une semaine plus tard
et j’ai posé de nouveau la question. Cette fois, Moses est resté
silencieux, et un consensus s’est dégagé pour que je fasse la
proposition à la Direction nationale à Durban. Walter s’est
contenté de sourire.
La
réunion de la Direction à Durban, comme toutes les réunions de
l’ANC à l’époque, eut lieu en secret et la nuit, afin d’éviter
la police. Je pensais rencontrer des difficultés parce que le chef
Luthuli serait présent et je connaissais son engagement moral envers
la non-violence. Je me méfiais aussi du moment : je soulevais la
question de la violence tout de suite après le procès de trahison
où nous avions soutenu que pour l’ANC la non-violence était un
principe inviolable et non pas une tactique dont on pouvait changer
en fonction des circonstances. Moi-même, je croyais exactement
l’inverse ; que la non-violence était une tactique qu’on devrait
abandonner quand elle ne serait plus efficace.
A
la réunion, j’ai soutenu que le gouvernement ne nous laissait pas
d’autre choix que la violence. J’ai dit qu’il était faux et
immoral d’exposer notre peuple aux attaques armées du gouvernement
sans lui offrir une sorte d’alternative. J’ai signalé de nouveau
que le peuple avait pris les armes tout seul. La violence
commencerait, que nous en prenions ou non l’initiative. Ne
vaudrait-il pas mieux guider cette violence nous-mêmes, d’après
nos principes selon lesquels nous attaquions les symboles de
l’oppression, et non le peuple ? Si nous ne prenions pas maintenant
la direction de la lutte armée, dis-je, nous serions des
retardataires et les suiveurs d’un mouvement que nous ne
contrôlerions pas.
Au
début, le chef s’opposa à mes arguments. Pour lui, la
non-violence n’était pas simplement une tactique. Mais nous avons
continué à lui parler toute la nuit ; et je pense qu’au plus
profond de lui il s’est rendu compte que nous avions raison. Il a
finalement accepté l’idée qu’une campagne militaire était
inévitable. Quand, plus tard, quelqu’un insinua que peut-être le
chef n’était pas préparé pour un tel changement de direction, il
répliqua : « Si quelqu’un pense que je suis un pacifiste, qu’il
vienne prendre mes poulets, et il verra qu’il se trompe ! » La
Direction nationale accepta formellement la décision préparatoire
du Comité de travail. Le chef et d’autres suggérèrent que nous
traitions de cette nouvelle résolution comme si l’ANC n’en avait
pas encore discuté. Le chef ne voulait pas mettre en danger la
légalité de nos alliés non interdits. D’après lui, un mouvement
militaire devait être un organisme séparé et indépendant, lié à
l’ANC et sous le contrôle général de l’ANC, mais
fondamentalement autonome. Ce seraient deux courants de la lutte.
Nous avons tout de suite accepté la suggestion du chef. Avec
d’autres, il nous a mis en garde afin que cette nouvelle phase ne
soit pas une excuse pour négliger les tâches essentielles de
l’organisation et les méthodes traditionnelles de lutte. Cela
aussi serait autodestructeur parce que la lutte armée, au moins au
début, ne serait pas l’élément central du mouvement.
La
nuit suivante, une réunion des différentes directions était prévue
à Durban. Y participaient le Congrès indien, le Congrès métis, le
Congrès des syndicats sud-africains et le Congrès des démocrates.
En général, ces autres groupes acceptaient les décisions de l’ANC
mais je savais que certains collègues indiens s’opposeraient
énergiquement à ce changement vers la violence. La réunion
commença de façon malheureuse. Le chef Luthuli, qui présidait,
annonça que, même si l’ANC avait accepté une décision sur la
violence, c’était une question d’une telle gravité qu’il
aimerait que ses « collègues présents ici ce soir reposent à
nouveau la question ». Il était évident qu’il n’avait pas
encore entièrement accepté notre nouvelle décision. La réunion
commença à 8 heures dans une atmosphère houleuse. Je donnai les
mêmes explications et plusieurs personnes firent des réserves.
Yusuf
Cachalia et le Dr. Naicker nous supplièrent de ne pas nous embarquer
dans cette voie, en soutenant que le gouvernement allait massacrer
tout le mouvement de libération. J.N. Singh, un orateur redoutable,
prononça cette nuit-là des mots qui me résonnent encore dans la
tête : « La non-violence ne nous a pas mal servis, dit-il, c’est
nous qui avons mal servi la non-violence. » Je lui ai répondu que
c’était bien la non-violence qui ne nous avait pas servis car elle
n’avait rien fait pour arrêter la violence de l’Etat ou pour
changer le coeur de nos oppresseurs. Nous avons parlé toute la nuit,
et au petit matin, j’ai commencé à sentir que nous faisions des
progrès. Beaucoup de responsables indiens envisageaient maintenant
avec tristesse la fin de la non-violence. Puis brusquement, M.D.
Naidoo, membre du Congrès indien d’Afrique du Sud, s’est levé
et a dit à ses collègues indiens : « Vous avez peur d’aller en
prison, c’est tout ! » Sa réplique a créé le désordre dans la
réunion. Quand on remet en cause l’intégrité d’un homme, on
peut s’attendre à un conflit. Le débat en est revenu à son point
de départ.
Mais
au lever du soleil, nous avons abouti à une résolution. Le Congrès
m’autorisait à former une nouvelle organisation militaire, séparée
de l’ANC. La politique de l’ANC resterait la non-violence.
J’étais autorisé à réunir tous ceux que je voulais ou dont
j’avais besoin pour créer cette organisation et je ne dépendrais
pas du contrôle direct de l’organisation mère. Nous avions
franchi une étape décisive. Pendant cinquante ans, l’ANC avait
considéré la non-violence comme un principe central. Désormais,
l’ANC serait une organisation d’un genre différent. Nous nous
engagions dans une voie nouvelle et plus dangereuse, la voie de la
violence organisée, dont nous ne pouvions connaître les résultats
d’avance. [...]
Moi
qui n’avais pas été soldat, qui n’avais jamais combattu, qui
n’avais jamais tiré un coup de feu sur un ennemi, on m’avait
confié la tâche d’organiser une armée. Cela aurait été une
entreprise intimidante pour un général en retraite mais beaucoup
moins pour un novice. Cette nouvelle organisation s’appelait
Umkhonto we Sizwe (La lance de la nation), abrégé en MK. On avait
choisi le symbole de la lance parce qu’avec cette simple arme les
Africains avaient résisté aux Blancs pendant des siècles. La
direction de l’ANC n’admettait pas de Blancs, mais MK n’avait
pas ce genre de contrainte et j’ai immédiatement recruté Joe
Slovo, et, avec Walter Sisulu, nous avons constitué le Haut
Commandement, dont j’étais le président. Par l’intermédiaire
de Joe, je me suis appuyé sur les efforts de membres blancs du Parti
communiste, déjà engagés sur la voie de la violence, et qui
avaient réalisé des actes de sabotage comme la coupure de lignes
téléphoniques et de voies de communication du gouvernement. Nous
avons recruté Jack Hodgson, qui avait combattu dans la Seconde
Guerre mondiale avec la légion Springbok, et Rusty Bernstein, tous
deux membres du Parti communiste. Jack est devenu notre premier
expert en destruction par explosifs. Notre mandat était de commettre
des actes de violence contre l’Etat, mais nous n’avions pas
encore décidé de la forme que prendraient ces actes. Nous avions
l’intention de commencer par ce qui était le moins violent pour
les individus et qui causait le plus de dommages pour l’Etat.
J’ai
commencé par ce que je connaissais, en lisant et en parlant à des
experts. Ce que je voulais trouver c’était les principes
fondamentaux pour commencer une révolution. J’ai découvert qu’on
avait abondamment écrit sur le sujet et je me suis lancé dans la
littérature disponible sur la lutte armée et en particulier la
guerre de guérilla : comment créer, entraîner et maintenir une
force de guérilla ; comment devait-elle être armée ; où
trouvait-elle ses approvisionnements – autant de questions
élémentaires et fondamentales. Chaque source de renseignements
m’intéressait. J’ai lu le rapport de Blas Roca, le secrétaire
général du Parti communiste cubain, sur les années d’illégalité
pendant le régime de Batista. Dans Commando de Deneys Reitz, j’ai
lu les tactiques de la guérilla non conventionnelle des généraux
boers pendant la guerre des Boers. J’ai lu des livres de et sur Che
Guevara, Mao Zedong, Fidel Castro. Dans le très beau Etoile rouge
sur la Chine d’Edgar Snow, j’ai vu que c’était la
détermination et la pensée non traditionnelle de Mao Zedong qui
l’avaient conduit à la victoire. J’ai lu La Révolte de Menahem
Begin et j’ai été encouragé en voyant que le leader israélien
avait mené une guerre de guérilla dans un pays sans montagnes et
sans forêts, ce qui était une situation semblable à la nôtre.
J’avais
envie d’en savoir plus sur la lutte armée du peuple d’Ethiopie
contre Mussolini et sur les armées de guérilla du Kenya, d’Algérie
et du Cameroun. Je suis remonté dans le passé de l’Afrique du
Sud. J’ai étudié notre histoire à la fois avant et après
l’arrivée des Blancs. J’ai analysé les guerres des Africains
contre les Africains, des Africains contre les Blancs et des Blancs
contre les Blancs. J’ai fait un relevé des plus importantes
régions industrielles du pays, du système national de transport, du
réseau de communications. J’ai accumulé les cartes détaillées
et j’ai systématiquement analysé le terrain des différentes
régions du pays. […].
Au
cours de ces premiers mois de clandestinité, j’ai vécu pendant
quelques semaines chez une famille dans Market Street, après quoi
j’ai partagé l’appartement d’une pièce au rez-de-chaussée de
Wolfie Kodesh, à Berea, une banlieue blanche et tranquille pas très
loin, au nord du centre ville. Wolfie était membre du Congrès des
démocrates et reporter à New Age. Il avait combattu en Afrique du
Nord et en Italie pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa connaissance
de la guerre et son expérience personnelle du combat m’ont été
extrêmement utiles. Sur son conseil, j’ai lu De la guerre du
général prussien Carl von Clausewitz. La thèse centrale de
Clausewitz, à savoir que la guerre est la continuation de la
diplomatie par d’autres moyens, rejoignait ce que je pensais
instinctivement. Je demandais à Wolfie de me fournir de quoi lire et
je crains d’avoir empiété sur sa vie, aussi bien sur son travail
que sur ses loisirs. Mais c’était quelqu’un de si aimable et de
si réservé qu’il ne s’est jamais plaint [...]
A
ce moment-là, MK s’exerçait aux explosions. Un soir, j’ai
accompagné Wolfie dans une vieille briqueterie aux limites de la
ville où avait lieu une démonstration. C’était une infraction à
la sécurité, mais je voulais assister au premier essai d’un
dispositif de mise à feu de MK. Il y avait souvent des explosions
dans cette briqueterie car on se servait de dynamite pour dégager
l’argile avant de la ramasser pour fabriquer des briques. Jack
Hodgson avait apporté un bidon de pétrole rempli de nitroglycérine
; il avait mis au point un mécanisme à retardement avec l’intérieur
d’un stylobille. Il faisait sombre, nous avions peu de lumière et
nous nous tenions sur le côté tandis que Jack travaillait. Quand il
a été prêt, nous nous sommes reculés et nous avons compté trente
secondes. Il y a eu un énorme grondement et beaucoup de terre
déplacée. L’explosion avait été un succès ; nous sommes
revenus rapidement vers les voitures pour partir dans des directions
différentes. […]
La
présence d’Arthur Goldreich fournissait une excellente couverture
à nos activités. Arthur était un artiste et un dessinateur de
profession, militant du Congrès des démocrates et l’un des
premiers membres de MK. La police ne savait rien de ses activités
politiques et il n’avait jamais subi d’interrogatoire ni de
perquisition. Dans les années 40, il avait combattu avec le Palmach,
la branche armée du Mouvement national juif en Palestine. Il
connaissait bien la guerre de guérilla et m’a beaucoup aidé à
combler mes lacunes. C’était un personnage extraordinaire, qui fit
régner une atmosphère d’optimisme. […]
En
organisant la direction et la forme que prendrait MK, nous
avons envisagé quatre types d’action violente : le sabotage, la
guerre de guérilla, le terrorisme et la révolution ouverte. Pour
une armée limitée et novice, la révolution ouverte était
inconcevable. Inévitablement, le terrorisme donnait une mauvaise
image à ceux qui l’employaient et détruisait le soutien public
qu’ils auraient pu recueillir. La guerre de guérilla était une
possibilité, mais comme l’ANC avait hésité à adopter la
violence, il semblait logique de commencer avec la forme de violence
qui causait le moins de tort aux individus : le sabotage.
Etant
donné qu’il n’impliquait pas la perte de vies humaines, il
laissait le meilleur espoir pour la réconciliation entre les races
par la suite. Nous ne voulions pas faire éclater une guerre à mort
entre Noirs et Blancs. L’animosité entre les Afrikaners et les
Anglais était encore vive cinquante ans après la guerre des Boers ;
que seraient les relations entre Noirs et Blancs si nous provoquions
une guerre civile ? Le sabotage avait l’avantage supplémentaire
d’exiger peu d’effectifs. Notre stratégie consistait à faire
des raids sélectifs contre des installations militaires, des
centrales électriques, des lignes téléphoniques, et des moyens de
transport ; des cibles, qui non seulement entraveraient l’efficacité
militaire de l’Etat, mais qui en plus effraieraient les partisans
du Parti national, feraient fuir les capitaux étrangers et
affaibliraient l’économie. Nous espérions ainsi amener le
gouvernement à la table des négociations. On donna des instructions
strictes aux membres de MK : nous n’acceptions aucune perte de vies
humaines. Mais si le sabotage ne produisait pas les effets escomptés,
nous étions prêts à passer à l’étape suivante : la guerre de
guérilla et le terrorisme.
La
structure de MK s’inspirait de celle de l’organisation
mère. Le Haut Commandement national se trouvait au sommet ;
au-dessous, il y avait les commandements régionaux, un dans chaque
province, en dessous les commandements locaux et les cellules. Les
commandements régionaux étaient répartis dans tout le pays et une
zone comme l’Eastern Cape avait plus de cinquante cellules. Le Haut
Commandement déterminait la tactique et les cibles générales et
avait la responsabilité de l’entraînement et des finances. A
l’intérieur du cadre établi par le Haut Commandement, les
commandements régionaux avaient toute autorité pour choisir les
cibles locales à attaquer. Il était interdit aux membres de MK de
participer armés à une opération et, malgré tout, ils ne devaient
pas mettre leur vie en danger. […]
Le
lendemain du retour de Luthuli d’Oslo, MK annonça de façon
spectaculaire son existence. Sur l’ordre du Haut Commandement, aux
premières heures du 16 décembre – le jour où les Blancs
d’Afrique du Sud célébraient la fête de Dingane –, des bombes
artisanales explosèrent dans des centrales électriques et des
bureaux du gouvernement à Johannesburg, Port Elizabeth et Durban. Un
de nos hommes, Petrus Molife, fut tué par mégarde – la première
mort d’un soldat de MK. Mourir à la guerre est une chose
malheureuse mais inévitable. Chaque homme qui rejoignait MK savait
qu’on pouvait lui demander le sacrifice ultime. A l’heure des
explosions, des milliers de tracts avec le nouveau manifeste de MK
furent distribués dans tout le pays, annonçant la naissance
d’Umkhonto we Sizwe :
Des
unités de Umkhonto we Sizwe ont exécuté aujourd’hui des
attaques prévues, dirigées contre des installations
gouvernementales, en particulier en relation avec la politique
d’apartheid et de discrimination raciale. Umkhonto we Sizwe est une
nouvelle organisation indépendante formée par des Africains. Elle
comprend dans ses rangs des Sud-Africains de toutes les races.
Umkhonto we Sizwe continuera le combat pour la liberté et la
démocratie par d’autres méthodes, nécessaires pour venir en
complément du mouvement de libération nationale. Dans la vie de
toute nation, il vient un moment où il ne reste que deux choix : se
soumettre ou combattre. Ce moment est arrivé en Afrique du Sud. Nous
ne nous soumettrons pas et nous n’avons pas d’autre choix que de
répondre par tous les moyens en notre pouvoir pour défendre notre
peuple, notre avenir et notre liberté […]. Les responsables
d’Umkhonto ont toujours recherché – comme l’ensemble du
mouvement de libération – à atteindre la libération sans
effusion de sang ni guerre civile. Nous espérons encore maintenant
que nos premières actions réveilleront tout le monde et feront
prendre conscience de la situation désastreuse à laquelle conduit
la politique nationaliste. Nous espérons que le gouvernement et ses
partisans reprendront leurs esprits avant qu’il soit trop tard afin
qu’on change de gouvernement et de politique pour que les choses
n’atteignent pas le stade désespéré de la guerre civile.
Nous
avions choisi le 16 décembre, la fête de Dingane, pour une
raison précise. Ce jour-là, les Sud-Africains blancs célébraient
la défaite du grand chef zoulou Dingane, à la bataille de la Blood
River (le fleuve de sang) en 1838. Dingane, le demi-frère de Chaka,
dirigeait alors l’Etat africain le plus puissant qui ait jamais
existé au sud du fleuve Limpopo. Ce jour-là, les balles des Boers
furent trop nombreuses pour les lances des impis et leur sang rougit
l’eau du fleuve proche. Les Afrikaners célèbrent le 16 décembre
comme leur triomphe sur les Africains et la preuve que Dieu était de
leur côté ; alors que ce jour-là, les Africains pleurent le
massacre de leur peuple. Nous avions choisi le 16 décembre pour
montrer que les Africains avaient seulement commencé la lutte et que
le bon droit – et la dynamite – était de notre côté. Les
attentats prirent par surprise le gouvernement, qui les condamna
comme des crimes odieux tout en les ridiculisant comme l’oeuvre
d’amateurs stupides. Ces sabotages firent également prendre
dramatiquement conscience aux Sud-Africains blancs qu’ils étaient
assis sur un volcan.
Quant
aux Sud-Africains noirs, ils comprirent que l’ANC n’était plus
une organisation de résistance passive, mais une lance puissante qui
porterait la lutte au coeur du pouvoir blanc. Nous organisâmes et
exécutâmes une autre série d’attentats, quinze jours plus tard,
pendant la nuit du Jour de l’an. Le bruit combiné des cloches qui
sonnaient et des sirènes qui hurlaient n’était pas seulement une
cacophonie pour fêter le Nouvel an, mais un bruit qui symbolisait
une nouvelle ère dans notre lutte de libération. La déclaration
d’Umkhonto [4]
déclencha une contre-offensive haineuse et implacable de la
part du gouvernement, à une échelle que nous n’avions encore
jamais vue. La Special Branch de la police se fixa comme mission
prioritaire la capture des membres de MK et elle ne ménagea aucun
effort. Nous leur avions montré que nous ne resterions plus inactifs
; ils allaient nous montrer que rien ne les arrêterait dans leur
volonté d’extirper ce qu’ils considéraient comme la plus grande
menace pour leur survie. […]
En
décembre, l’ANC avait reçu une invitation du Mouvement
panafricain de libération de l’Afrique orientale, centrale et
australe (PAFMECSA), pour assister à sa conférence d’Addis-Abeba
en février 1962. Le PAFMECSA, qui deviendrait plus tard
l’Organisation de l’unité africaine (OUA), avait pour but de
réunir les Etats indépendants d’Afrique et de promouvoir les
mouvements de libération sur le continent. La conférence
apporterait d’importantes relations à l’ANC et serait la
première et la meilleure occasion de trouver un soutien, de l’argent
et un entraînement militaire pour MK. La direction clandestine me
demanda de conduire la délégation de l’ANC à la conférence. Ma
mission en Afrique ne consistait pas seulement à assister à la
conférence ; je devais trouver un soutien politique et financier à
notre nouvelle force militaire et, plus important, des possibilités
d’entraînement pour nos hommes dans le plus grand nombre
d’endroits possible sur le continent. J’étais aussi déterminé
à oeuvrer pour la réputation de notre mouvement, qui restait encore
relativement inconnu en Afrique. Le PAC avait lancé sa propre
campagne de propagande et j’étais chargé de défendre notre
cause. […]
La
situation en Algérie était pour nous le modèle le plus proche du
nôtre parce que les rebelles affrontaient une importante communauté
de colons blancs qui régnait sur la majorité indigène. Le Dr.
Mustafa nous a raconté comment le FLN avait commencé la lutte avec
quelques attentats en 1954, ayant été encouragé par la défaite
des Français à Diên Biên Phu, au Vietnam. Au début, le FLN
croyait pouvoir vaincre les Français militairement, nous a dit le
Dr. Mustafa, puis il s’est rendu compte qu’une victoire purement
militaire était impossible. Les responsables du FLN ont donc eu
recours à la guerre de guérilla. Il nous a expliqué que ce genre
de guerre n’avait pas comme objectif de remporter une victoire
militaire mais de libérer les forces économiques et politiques qui
feraient tomber l’ennemi. Le Dr. Mustafa nous a conseillé de ne
pas négliger le côté politique de la guerre tout en organisant les
forces militaires. L’opinion publique internationale, nous a-t-il
dit, vaut parfois plus qu’une escadrille d’avions de combat à
réaction. Au bout de trois jours, il nous a envoyés à Oujda, une
petite ville poussiéreuse près de la frontière algérienne, et
quartier général de l’armée du FLN au Maroc. Nous avons visité
une unité sur le front ; à un moment j’ai pris une paire de
jumelles et j’ai vu des soldats français de l’autre côté de la
frontière. J’avoue que j’ai pensé voir les uniformes des forces
de défense sud-africaines.
[…]
[…]
J’étais
triste de quitter mes amis de Londres, mais je partais maintenant
dans la partie de mon voyage qui m’était la moins familière :
l’entraînement militaire. J’avais prévu de recevoir un
entraînement de six mois à Addis-Abeba. Là-bas, je retrouvai le
ministre des Affaires étrangères, qui m’accueillit
chaleureusement et qui m’emmena dans une banlieue appelée Kolfe,
le quartier général du Bataillon révolutionnaire éthiopien où je
devais apprendre l’art et la science des armes. Bien qu’étant
boxeur amateur, je connaissais à peine les rudiments du combat. Mon
instructeur était le lieutenant Wondoni Befikadu, un soldat
expérimenté qui avait combattu les Italiens dans la clandestinité.
Notre programme était très dur : entraînement de 8 heures à 13
heures ; douche et déjeuner ; puis nouvelle séance de 14 à 16
heures. A partir de 16 heures, le colonel Tadesse me donnait des
cours de science militaire ; c’était l’adjoint du préfet de
police et il avait réussi à faire échouer une tentative de coup
d’Etat contre l’empereur. J’ai appris à tirer avec un fusil
automatique et un pistolet et je me suis entraîné au tir à la fois
à Kolfe avec la garde de l’empereur, et sur un champ de tir à une
cinquantaine de kilomètres avec tout le bataillon. On m’a enseigné
la démolition et l’utilisation d’un mortier, ainsi que la
fabrication de petites bombes et de mines – et la façon de les
éviter. Je me sentais transformé en soldat et je commençais à
penser comme un soldat – ce qui est loin de la façon de penser
d’un politicien.[...]
Pendant
les cours, le colonel Tadesse traitait de questions comme la création
d’une force de guérilla, le commandement d’une armée et la
discipline. Un soir, pendant le dîner, il me dit : « Ecoutez,
Mandela, vous créez une armée de libération, pas une armée
capitaliste conventionnelle. Une armée de libération est
égalitaire. On doit traiter ses hommes d’une façon tout à fait
différente de la façon dont on les traiterait dans une armée
capitaliste. Quand on est de service, on doit exercer son autorité
avec assurance et contrôle. Ce n’est pas différent d’un
commandement dans une armée capitaliste. Mais quand on n’est pas
de service, on doit se conduire sur la base d’une égalité
parfaite, même avec le soldat le moins gradé. On doit manger comme
ses hommes ; on ne doit pas aller dans son bureau mais manger et
boire avec eux, ne pas s’isoler. »
Tout
cela me semblait admirable et sensé, mais tandis qu’il me parlait,
un sergent est entré dans la salle et a demandé au colonel où il
pouvait trouver un certain lieutenant. Le colonel l’a regardé avec
un mépris mal dissimulé et lui a répondu : « Tu ne vois pas que
je parle à quelqu’un d’important ? Tu ne sais pas qu’il ne
faut pas m’interrompre quand je mange ? Maintenant, hors de ma vue
! » Puis il a repris sur le même ton didactique. L’entraînement
devait durer six mois, mais au bout de huit semaines, j’ai reçu un
télégramme de l’ANC qui me demandait de rentrer de toute urgence.
La lutte armée prenait de l’ampleur et ils avaient besoin du
commandant de MK. Le colonel me fit conduire en avion jusqu’à
Khartoum. Avant que je parte, il m’offrit un pistolet automatique
et deux cents cartouches. Je lui fus très reconnaissant, pour son
enseignement et pour le pistolet. Malgré mes marches, je trouvai les
munitions très lourdes à porter. Une seule balle a un poids
étonnant : transporter deux cents balles, c’est comme porter un
petit enfant sur son dos.»
ARRESTATION
Peu
après son retour en Afrique du Sud, Nelson Mandela est arrêté le
dimanche 5 août 1962, en compagnie de Cecil Williams, un Blanc,
directeur de théâtre et membre de MK, lors d'un déplacement en
voiture, sur une route les menant à Johannesburg :
«
A Cedara, une petite ville située juste après Howick, j’ai
remarqué une Ford V-8 remplie de Blancs qui nous doublait à droite.
Instinctivement, je me suis retourné et j’ai vu deux autres
voitures avec des Blancs derrière nous. Soudain, la voiture devant
nous a fait signe de nous arrêter. J’ai su à cet instant que ma
vie de fugitif était terminée ; mes dix-sept mois de « liberté »
allaient prendre fin. […] La rumeur la plus persistante
était qu’un fonctionnaire du consulat américain ayant des liens
avec la CIA avait renseigné les autorités. Cette histoire n’a
jamais été confirmée et je n’ai jamais vu aucune preuve crédible
qui aurait pu l’étayer. Même si la CIA porte la responsabilité
de quantité d’actions méprisables dans son soutien à
l’impérialisme américain, je ne peux pas l’accuser de mon
arrestation. En vérité, j’avais été imprudent en ne maintenant
pas un secret absolu sur mes déplacements. En y repensant, je me
suis rendu compte que les autorités avaient eu des milliers de
façons de me localiser lors de mon voyage à Durban. En fait, il est
même étonnant que je n’aie pas été capturé plus tôt. »
LES
SABOTAGES
La
capture de Nelson Mandela – longtemps en voyage - ne porta pas un
coup fatal à l'organisation clandestine, Joe Slovo en prit la tête.
Selon les statistiques officielles – de l'époque -, l'année 1962
comptabilisait 105 attentats, la plupart étant attribué au MK, (une
vingtaine est à attribuer au National Committee for Liberation -
African Resistance Movement). Les attaques contre les points vitaux
de l’économie du pays devaient s’accompagner de sabotage des
bâtiments gouvernementaux et d’autres symboles de l’apartheid.
Selon Nelson Mandela :
« Ces
attaques devaient constituer un signal de ralliement pour notre
peuple, et l’encourager à participer à des actions de masse
non-violentes, comme des grèves et des manifestations. Constituant
par ailleurs un exutoire pour les partisans des méthodes violentes,
elles nous permettraient de prouver concrètement à nos militants
que nous avions adopté une ligne plus dure et que nous riposterions
désormais aux diverses positions de force du gouvernement. Les
dommages de ces premiers attentats étaient minimes, cependant leur
effet de propagande était irrésistible, et dès la première année
d'existence des volontaires en nombre décidèrent de rejoindre
l'organisation. Ce fut un changement contesté dans l’ANC. MK
n’était pas actif, mais l’aura de la lutte armée avait une
grande signification pour des quantités de gens. Même quand on n’en
parlait que comme d’un moyen théorique, la lutte armée était le
signe que nous combattions activement l’ennemi. Elle avait donc une
popularité hors de proportions avec les résultats obtenus sur le
terrain. »
Les principales cibles sont des structures administratives : les Bantu Affairs OffIces, Bantu Administration Offices, MunIcipal Bantu Control Offices, Bantu Affairs Department Offices, Bantu Labour Offices, Bantu School Board Offices, etc., les équipements publics (bureaux de poste, central et ligne téléphoniques), les équipements techniques du réseau ferré, les installations électriques, pylônes de ligne à haute tension alimentant les zones industrielles, et transformateurs, les postes de police, et les logements des policiers Noirs. Les sabotages auront été, dans les premiers temps, de peu d'envergure et les dégâts, dans la plupart des cas, sont minimes, outre la destruction des pylônes stoppant pour quelques heures l'activité des industries, ou des transports publics. Enfin, des cellules "The Volunteers" se spécialisent dans l'écriture à la peinture de slogans dans les espaces publics.
RÉPRESSION
Ces
campagnes de sabotage ont été l'occasion pour le gouvernement de se
débarrasser de la plupart, sinon de tous les contestataires
anti-apartheid les plus actifs, les plus connus, qu'ils soient Noirs, Blancs, Indiens ou Métis.
Neslon Mandela traçait ainsi les grande lignes de la stratégie
contre-insurrectionnelle, et expliquait l'échec de son PLAN-M :
« Le
Plan-M était conçu avec les meilleures intentions mais on l’a
appliqué avec des succès modestes et jamais sur une grande échelle.
Les résultats les plus impressionnants ont de nouveau été dans
l’Eastern Cape et à Port Elizabeth. L’esprit de la Campagne de
défi s’est poursuivi dans l’Eastern Cape bien après avoir
disparu ailleurs et les militants ont saisi le Plan-M comme un moyen
de continuer à défier le gouvernement. Le plan a rencontré de
nombreux problèmes : il n’était pas toujours correctement
expliqué aux adhérents ; il n’y avait pas d’organisateurs payés
pour aider à son application et à son fonctionnement ; et il y
avait souvent des discussions à l’intérieur des branches locales
qui empêchaient d’arriver à un accord pour la mise en oeuvre du
plan. Certains responsables de province s’y opposaient parce qu’ils
croyaient qu’il remettait en cause leur pouvoir. Pour d’autres,
le gouvernement ne semblait pas prêt à prendre une mesure
d’interdiction et ils n’ont pas pris les précautions nécessaires
pour en atténuer les effets, Quand le poing de fer du gouvernement
s’est effectivement abattu, ils n’étaient pas préparés.
[...]
Les
actes de terrorisme contre les Autorités bantoues augmentèrent
ainsi que la vigilance du gouvernement. John Vorster, le nouveau
ministre de la Justice, qui avait lui-même été emprisonné pendant
la Seconde Guerre mondiale pour son opposition à l’action du
gouvernement en faveur des Alliés, était un homme dépourvu de tout
sentiment. Pour lui, une main de fer représentait la meilleure
réponse à la subversion. Le 1er mai 1963, le gouvernement prit un
décret destiné à « briser les reins » d’Umkhonto, comme le dit
Vorster. La General Law Amendment Act, plus connue sous le nom de
Ninety-Day Detention Law (Loi de détention de quatre-vingt-dix
jours), abandonnait le droit de l’habeas corpus et donnait le
pouvoir à tout officier de police de détenir sans aucun mandat
toute personne soupçonnée de crime politique. Ceux qui étaient
arrêtés pouvaient être détenus, sans procès, sans chef
d’inculpation, sans possibilité de contacter un avocat et sans
aucune protection contre une inculpation à cause des propos tenus
pendant l’arrestation, et cela pendant quatre-vingt-dix jours. Mais
cette détention de quatrevingt-dix jours pouvait être prolongée,
comme l’expliqua Vorster de façon inquiétante, pendant toute la
durée de « ce côté de l’éternité ». La loi transformait le
pays en Etat policier ; aucun dictateur ne pouvait aspirer à plus de
pouvoir que celui que cette loi donnait aux autorités.
En
conséquence, la police devint encore plus féroce : les prisonniers
furent systématiquement battus et nous avons bientôt entendu parler
de tortures à l’électricité, d’étouffement, etc. Au
Parlement, Helen Suzman, la représentante du Parti progressiste, fut
la seule à voter contre la loi. On infligea des peines de plus en
plus lourdes pour appartenance à une organisation illégale ; de
cinq ans de prison jusqu’à la peine de mort pour ceux qui «
favorisaient les objectifs » du communisme ou d’autres
organisations interdites. Les prisonniers étaient à nouveau
détenus, comme je le découvris en 1963, quand la peine de trois ans
d’emprisonnement de Sobukwe s’acheva ; au lieu de le libérer, le
gouvernement le remit en prison sans accusation, et l’envoya à
Robben Island. Vorster défendit aussi la Sabotage Act (Loi sur le
sabotage), de juin 1962, qui permettait les assignations à résidence
et des interdictions plus rigoureuses sans possibilité d’aller
devant un tribunal, et qui limitait les libertés des citoyens comme
dans les dictatures les plus fascistes. Les peines sanctionnant les
actes de sabotage allaient d’un minimum de cinq ans de prison, sans
possibilité d’appel, jusqu’à la peine de mort. La rédaction de
la loi était si large que la possession illégale d’armes pouvait
constituer un sabotage. Une autre loi interdisait la reproduction de
toute déclaration faite par une personne sous le coup d’une
interdiction. Les journaux n’avaient plus le droit de citer ce que
je disais ou ce que j’avais dit. New Age fut interdit à la fin de
l’année 1962, et la possession d’une publication interdite
devenait une infraction passible de deux ans de prison. Le
gouvernement prit également des dispositions pour permettre
l’assignation à résidence, dont la victime la plus célèbre fut
la militante politique blanche Helen Joseph »
Aux
lois s'ajoutent de nouveaux services de renseignements, dont l'unité
spéciale « Sabotage Squad » placée sous l'autorité de
la section Republican Intelligence dépendante de la Security branch
de la police, dont les objectifs sont le recrutement et la formation
d'agents devant infiltrer les organisations subversives armées.
OPÉRATION
MAYIBUYE
En
1963, une opération policière – de la Sabotage Squad, semble-t-il
- permit la capture simultanée dans une ferme de plusieurs leaders
de Umkhonto en possession d'un document
intitulé Operation Maylbuye,
qui présentait les grandes lignes d'une future opération militaire
d'invasion éclair, avec l'appui militaire d'alliés, peut-être
inspirée de la Blitzgrieg menée par le commandant Che Guevara
durant la bataille finale de Santa Clara . Une « invasion »
depuis un sanctuaire, pays frontalier ami, menée par des bataillons
expérimentés – 7000 Freedom Fighters - dans quatre zones du
pays, devant effectuer des opérations de sabotage et de guérilla
entravant les mouvements et les communications des forces armées
ennemies. Le texte stipule que
la pierre angulaire de ces actions de guérilla est "d'attaquer
sans vergogne les plus faibles et de fuir les plus forts". Ces
opérations commandos devaient en outre coïncider avec une campagne
de propagande et un appel à la lutte et à la grève générale. Le
peuple opprimé, les forces alliées devaient rejoindre ou aider
l'armée de libération « capable de les conduire à la
victoire. » Le plan de l'opération prévoyait ainsi :
- Atterrissage et débarquement simultané de commandos par avions ou navires, armés et bien équipés de telle manière à être autonome pendant au moins un mois.
- Parachutage de fournitures, d'armes et d'autres matériels de guerre pour armer les populations locales qui intègrent les unités de la guérilla.
- Attaque des objectifs pré-sélectionnés en vue de prendre l'ennemi par surprise, en créant le maximum d'impact sur la population, et autant que possible de chaos et de confusion dans les rang ennemis.
- Établissement de bases d'attaque et de repli.
- Établissement d'un gouvernement révolutionnaire provisoire.
- Cette autorité politique s'occupera de la propagande et de :
- L'application complète de boycott,
- Obtenir le soutien du mouvement syndical international impliquant l'arrêt du travail dans les usines d'armement, de matériel de guerre et d'autres produits, fournissant le gouvernement sud-africain,
- Élever une tempête à l'Organisation des Nations Unies et obtenir une intervention militaire dans le Sud-Ouest africain [Namibie],
- Appel aux donations pour la poursuite de la lutte,
- Informer quotidiennement par radio le Monde et le peuple sud-africain,
- Appeler la population à se soulever contre le gouvernement,
- Création de ponts aériens hebdomadaire ou bi-hebdomadaire, pour le matériel et de nouvelles troupes y compris de pays alliés.
Ce
document était accompagné d'une série importante d'autres textes,
détaillant ou interrogeant les possibilités de développement d'une
guérilla armée, l'organisation des réseaux urbains de soutien, des
manuels d'instruction dont « Introduction
to Demolition and Theory of Explosives and "Strategic Problems
of Guerrilla Warfare" » rédigé à la main par Arthur
Goldreich, présentant les différentes techniques et méthodes pour
l'élaboration artisanale de bombes, grenades, mines, cocktails
Molotov, etc. Un autre document intitulé « Production
Requirements » détaillait le matériel nécessaire, concluant
au besoin de 15 tonnes de poudre noire, 21 tonnes de poudre
d'aluminium, 11 tonnes de nitrates d’ammonium, 1500 détonateurs,
48.000 mines et 210.000 grenades, etc.
Selon
Joe Slovo, l'opération Mayibuye fut adoptée par la direction
de Umkhonto dès juillet 1963, le National
Executive Committee de l'ANC approuva les grands principes. Car en
effet, après plus d'une année de sabotages, le résultat était peu
convaincant : le gouvernement poursuivait plus que jamais la
répression et augmentait encore le degré d'apartheid dans tous les
domaines, et la masse opprimée tardait à s'engager. Il devint clair
que la stratégie politico-militaire de sabotages ne pouvait suffire
à entraîner les masses, et à contraindre le gouvernement à des
pourparlers, au mieux servait-elle de « pont » entre
pacifisme et guerre armée, entre ancienne et nouvelle générations
militantes. Après
l'arrestation de Mandela, d'autres perspectives étaient également
évoquées de transformer les campagnes de sabotage en une guérilla
révolutionnaire urbaine, dont l'objectif n'était plus seulement de
contraindre le système à des négociations mais de convaincre et
d'entraîner la partie la plus politisée du peuple.
Les
documents retrouvés par la police en 1963, seront d'autant de
charges et de preuves contre Nelson Mandela, fondateur de Umkhonto,
déjà emprisonné. Sa condamnation à perpétuité en 1964, ainsi
que d'autres membres de l'ANC, provoqua au sein du mouvement un
véritable bouleversement : les partisans de la voie pacifique, de
l'action légale, d'une révolution réformiste, s'opposant à Umkhonto [de tendance communiste], ne pouvaient plus qu'accepter le chemin de la guerre.
0-018
AGENT
La
vague d'arrestations de l'année 1963 décapita l'ANC, le
South-Africa Communist Party, le National High Command de
Umkhonto, et les aveux extorqués sous la torture, les dénonciations
des traîtres, les actions des infiltrés, clairsemèrent leurs
rangs, et fragilisèrent les réseaux underground. Pour autant,
Umkhonto, disposait encore de leaders expérimentés, dont Joe Slovo
qui, par miracle, échappa aux rafles, ainsi que Wilton Mkwayi et
Abram Fischer du SACP, et d'autres encore. L'on tente de reconstituer
les réseaux clandestins, de coordonner les cellules survivantes,
d'intensifier les campagnes de sabotage, et de recruter des nouveaux
militants, formés pour des opérations de sabotage ou envoyés dans
les camps d'entraînement de Tanzanie. De nouvelles cellules
clandestines s'implantent dans les townships de Morota, Pillville,
Orlando, etc. Dans le Transvaal de nouvelles cellules sont
opérationnelles dans la plupart des villes. Mais l'ANC décida de
suspendre ou de diminuer les sabotages durant toute la période du
procès de Mandela et des leaders historiques, qui dura sept mois et
se termina en juillet 1964. Pour cette période, outre quelques
sabotages mineurs, "The Volunteers"
seront les plus actifs. Les sabotages
reprirent de plus belle après le verdict condamnant les leaders à
la prison à vie.
Mais
le
souffle continu de la répression policière loin de faiblir
s'accentua en 1964 -1965, grâce, en particulier, à l'agent 0-018,
Gerhard Ludi, qui parviendra à infiltrer les plus
hautes sphères du SACP, puis de Umkhonto ; ses informations
aideront la police à comprendre sa structure organisationnelle, à
connaître l'identité des principaux responsables et les cibles
potentielles des sabotages. En juillet Abram Fischer est arrêté
(par hasard, semble-t-il, mais dénoncé par un traître puis confondu
par l'agent 0-018) ;en août 1964 le commandant de Umkhonto
Wilton
Mkwayi est arrêté, puis son successeur Siegfried
Benghu également, peu de temps après. Les
arrestations se multiplièrent, la suspicion régnait entre les
rescapés des rafles. Les actions de sabotage devenaient risquées,
les cibles privilégiées des saboteurs étant étroitement
surveillées. Peu à peu cessèrent les campagnes de sabotage :
1961
[décembre] : 29
1962 : 105
1963 : 59
1964 : 20
1965 :
1
Ces
chiffres incluent les actions de sabotage de Umkhonto
et de l'African Resistance Movement,
dont les principaux leaders sont arrêtés en 1964.
En
1965, les infrastructures clandestines de l'ANC, du SACP et Umkhonto
n'existent plus et étaient réduite à des cellules éparpillées
dans le pays, isolées les unes des autres, ayant cessé leurs
activités pour leur sécurité, si ce n'est dans quelques villes,
des slogans peints sur les murs.
L'ANC décida alors de son exil à Londres notamment,
n'ayant d'autres choix. Le siège [Headquarter] de Umkhonto
en exil sera Dar El Salaam, en Tanzanie, pays socialiste dirigé par
Julius
Nyerere ; principale porte internationale, avec Alger, pour les
révolutionnaires du monde entier.
Il
est vrai que le système [l'apartheid] avait été surpris par le
niveau d'organisation des structures clandestines, par l'intensité
des sabotages, mais sa police, et ses services de renseignements
peuvent être satisfaisait de la besogne accomplie : en moins de
trois années, les principaux dirigeants de l'ANC, du SACP et
Umkhonto ont été arrêtés, dont Nelson Mandela, l'African
Resistance Movement est détruit à 100 %,
les réseaux ont été démantelés, des milliers de leurs militants
croupissaient pour de longues peines en prison, ou étaient assignés
à résidence, des centaines d'autres étaient en exil.
SOUMISSION
Ernest Cole | 1960 - 1966
SOUMISSION
En définitive, cette première victoire n'est pas celle du système policier, mais de la soumission exemplaire des populations noires – plus de treize millions - qui peu enclines à perdre leurs maigres avantages ont refusé de s'engager dans une lutte armée qu'elles estimaient perdue d'avance, voire l'ont critiqué ou réprouvé. Cette soumission est l'oeuvre, appuyée par la répression, d'une formidable propagande psychologique reléguant l'Homme Noir à un être inférieur, distillée dès le plus jeune âge par l'enseignement scolaire, et d'une propagande militaire lui démontrant quotidiennement la domination "armée", comme le note Mandela :
« En Afrique du
Sud, beaucoup de Noirs jugeaient toute tentative pour changer l’homme
blanc comme téméraire et vouée à l’échec ; l’homme blanc
était trop
intelligent et trop
fort. »
Il soulignait également :
« ... car la peur de la prison est un obstacle formidable à une lutte de libération. Elle n’est jamais allée au-delà du stade initial des petits groupes de volontaires essentiellement urbains. Le défi de masse, surtout dans les zones rurales, n’a jamais été réalisé. Nous n’avons réussi à atteindre le second stade que dans l’Eastern Cape, où un important mouvement de résistance est apparu à la campagne. En général, nous n’avons pas réussi à y pénétrer, ce qui était une faiblesse historique de l’ANC. »
Ceci confortera Umkhonto, pour de nombreuses années, à
construire sa stratégie politico-militaire sur les principes
marxistes-léninistes d'une avant-garde révolutionnaire guidant le
peuple opprimé, inconscient de sa force, et d'un lumpenproletariat
potentiellement dangereux, susceptible de collaboration. Et jusqu'en 1976, Umkhonto, privilégia la guérilla rurale en exil, hors et loin du pays.
Pour les stratèges, il s'agit là de deux erreurs fondamentales.
Pour les stratèges, il s'agit là de deux erreurs fondamentales.
Partie 2 : Umkhonto weSizw | Guérilla Urbaine | 1961 - 1964
Partie 3 : Umkhonto weSizw | Guérilla Rurale | 1965 - 1984
Partie 3 : Umkhonto weSizw | Guérilla Rurale | 1965 - 1984
NOTES
[1]
En 1991, lors d'une visite à La
Havane,
Mandela lui rendit hommage :
« Les
exploits de Che Guevara dans notre continent étaient d'une telle
ampleur qu'aucune prison ou censure ne pouvait nous les cacher. La
vie du Che est une inspiration pour tous les êtres humains qui
aiment la liberté. Nous honorerons toujours sa mémoire. ».
D'une
manière générale, Mandela ne reniera jamais les dirigeants des
pays ayant lutté contre l'apartheid lorsque les USA et ses alliés
soutenaient le régime de Pretoria ; en 1998, Nelson Mandela :
« l’un
des premiers chefs d’État que j’aie invités dans ce pays a
été Fidel
Castro…
et j’ai aussi invité le frère Mouammar
Kadhafi.
Je fais cela à cause de notre autorité morale, qui nous dit que
nous ne devons pas abandonner ceux qui nous ont aidés aux moments
les plus sombres de notre histoire. »
[2]
Dates d'indépendance des pays de l'Afrique :
1951
| Libye
1956 |
Soudan | Maroc | Tunisie
1957 |
Ghana
1958 |
Guinee
1960 |
Cameroun | Togo | Madagascar | Rd Congo | Somalie |Bénin | Niger
|Burkina Faso| Cote D'ivoire| Tchad | Centrafrique | Congo | Gabon |
Senegal | Mali |Nigeria | Mauritanie
1961 |
Sierra Leone | Afrique Du Sud
1962 |
Rwanda | Burundi | Algerie | Ouganda
1963
| Kenya
1964 |
Tanzanie (Tanganyika 9 Déc. 1961 – Zanzibar 10 Déc. 1963) |
Malawi |Zambie
1965 |
Gambie
1966
| Botswana | Lesotho
1968 |
Maurice | Swaziland | Guinee Equatoriale
1974
| Guinee-Bissau
1975 |
Mozambique | Cap-Vert | Comores | Sao Tome Et Principe | Angola
1976 |
Seychelles
1977 |
Djibouti
1980 |
Zimbabwe
1990 |
Namibie
1993 |
Erythree
[3]
Le
récit de la tragédie par Nelson Mandela :
« Sharpeville
était un petit township à une cinquantaine de kilomètres au sud de
Johannesburg, dans la banlieue industrielle sinistre qui entoure
Vereeniging. Les militants du PAC y avaient fait un excellent travail
d’organisation. En début d’après-midi, une foule de plusieurs
milliers de personnes entoura le commissariat de police. Les
manifestants étaient contrôlés et sans armes. Les forces de
police, qui comptaient 75 hommes, se sentirent dépassées par le
nombre et paniquèrent. Personne n’entendit de coups de semonce ni
l’ordre de tirer, mais brusquement les policiers ouvrirent le feu
sur la foule et ils continuèrent à tirer alors qu’elle s’enfuyait
effrayée. Quand la place fut dégagée, 69 Africains étaient morts,
la plupart touchés dans le dos pendant leur fuite. Plus de 700 coups
de feu avaient été tirés dans la foule en blessant 400 personnes
dont des dizaines de femmes et d’enfants. C’était un massacre
et, le lendemain en première page, les photos publiées dans la
presse du monde entier en montrèrent la sauvagerie. »
[4]
MANIFESTE D'UMKHONTO WE SIZWE
16
décembre 1961
Des
unités de UMKHONTO WE SIZWE ont aujourd'hui mené des attaques
planifiées contre des installations gouvernementales, en particulier
celles qui mettent en oeuvre la politique d'apartheid et la
discrimination raciale.
UMKHONTO
WE SIZWE est un organisme nouveau, indépendant, formé d'Africains.
Il
a dans ses rangs des Sud-Africains de toutes races. Il n'est
nullement lié à un prétendu "Comité de Libération
Nationale" dont l'existence a été annoncée dans la presse.
UMKHONTO
WE SIZWE poursuivra la lutte pour la liberté et la démocratie en
utilisant des méthodes nouvelles, complément nécessaire aux
actions du mouvement de libération nationale existant déjà, et nos
membres, individuellement et conjointement, se placent sous la
direction politique de ce mouvement.
Il
est cependant bien connu que les principales organisations de
libération nationale dans ce pays ont suivi une politique de
non-violence. Elles se sont conduites à tout moment de façon
pacifique, sans se laisser détourner par les attaques du
Gouvernement et les persécutions dont elles furent les victimes, et
malgré les
provocations
encouragées par le gouvernement pour les entraîner à la violence.
Elles
ont agi de la sorte parce que le peuple préfère les méthodes de
changement pacifiques pour la réalisation de ses aspirations sans
les souffrances et l'amertume d'une guerre civile. Mais la patience
du peuple n'est pas infinie.
IL
ARRIVE TOUJOURS, DANS LA VIE D'UNE NATION, UN MOMENT OÙ IL NE RESTE
QUE DEUX CHOIX: SE SOUMETTRE OU COMBATTRE. CE MOMENT EST ARRIVE EN
AFRIQUE DU SUD. NOUS NE NOUS SOUMETTRONS PAS ET NOUS N'AVONS D'AUTRE
CHOIX QUE DE RIPOSTER PAR TOUS LES MOYENS DONT NOUS DISPOSONS POUR
DÉFENDRE
NOTRE PEUPLE, NOTRE AVENIR ET NOTRE LIBERTÉ.
Le
gouvernement a interprété le pacifisme du mouvement comme une
faiblesse; la politique non-violente du peuple a été comprise comme
un feu vert à la violence gouvernementale. Le refus de recourir à
la force a été interprété par le gouvernement comme une
invitation à employer la force armée contre le peuple sans aucune
crainte de représailles.
Les
méthodes de UMKHONTO WE SIZWE marquent une rupture avec ce passé.
Nous
ouvrons un nouveau chemin à la libération du peuple de ce pays.
La
politique de force du gouvernement, la répression et la violence
n'affronteront plus uniquement une résistance non-violente! Ce choix
n'est pas le nôtre; il a été celui du gouvernement Nationaliste
qui a rejeté toute revendication pacifique du
peuple
pour ses droits et sa liberté et a répondu à chaque fois par la
force et encore plus de force!
Deux
fois dans les dix-huit derniers mois la loi martiale a été imposée,
afin d'empêcher l'action de grève pacifique et non-violente du
peuple menée pour la défense de ses droits. Il se prépare
maintenant en élargissant et en réarmant ses
forces
armées et entraînant la population civile blanche dans des
commandos et des clubs de tir à des actions militaires
anti-populaires de grande échelle.
Le
gouvernement Nationaliste a choisi le recours à la force et au
massacre, maintenant, délibérément, comme il le fit à
Sharpeville.
UMKHONTO
WE SIZWE sera sur la ligne de front pour la défense du peuple. Il
sera l'arme combattante du peuple contre le gouvernement et sa
politique d'oppression raciale. Il sera la force de frappe du peuple
pour sa liberté, ses droits et sa libération finale!
Que
le gouvernement, ses supporters qui l'ont mis au pouvoir, et ceux
dont la tolérance passive à l'égard de la réaction lui permettent
de rester au pouvoir, voient où le gouvernement Nationaliste est en
train de mener le pays!
Nous,
UMKHONTO WE SIZWE, avons toujours cherché comme le mouvement de
libération l'a fait à parvenir à la libération sans effusion de
sang ni heurt civil.
Nous
le faisons encore.
Nous
espérons même à cette dernière heure que nos premières actions
éveilleront chacun pour qu'il réalise jusqu'à quelle situation
désastreuse mène la politique Nationaliste.
Nous
espérons que nous ferons retrouver leur bon sens au gouvernement et
à ses supporters avant qu'il ne soit trop tard, de telle sorte que
l'on puisse changer le gouvernement et sa politique avant que la
situation n'atteigne l'étape désespérée de
la
guerre civile. Nous pensons que nos actions portent un coup aux
préparations
Nationalistes
de guerre civile et de gouvernement militaire.
Par
ces actions, nous travaillons pour les meilleurs intérêts du peuple
tout entier de ce pays Noirs, Métis et Blancs dont le bonheur futur
et le bien-être ne peuvent être atteints sans la chute du
gouvernement Nationaliste, l'abolition de la suprématie blanche et
l'acquisition de la liberté, de la démocratie, des pleins droits
nationaux et de l'égalité pour tous les peuples de ce pays.
Nous
faisons appel au soutien et à l'encouragement de tous les
Sud-Africains qui veulent le bonheur et la liberté du peuple de ce
pays.
AFRIKA
MAYIBUYE!
LE
COMMANDEMENT DE UMKHONTO WE SIZWE.
SOURCES
Nelson Mandela
Long Walk to Freedom
1994
The
report of the Truth and Reconciliation Commission
Rapports [en six volumes] de la Commission Vérité et Réconciliation
1998
vous voyez Mandela, disciple de staline également, grâce à la grande urss, cuba la ddr et tous ses alliés socialistes, il a pu vaincre l'apartheid
RépondreSupprimermalheureusement une fois au pouvoir il trahit ses engagements par une politique libérale