Du
GP à UP. 6
De
la Révolution à l'Institution
Jean-Pierre Le Dantec
Les
mouvements de la Gauche radicale des années 1968, auront fourni un
contingent non négligeable de hauts responsables politique convertis au socialisme ; on peut citer Pierre Moscovici,
actuel Ministre de l'Economie et des Finances [!] qui débuta sa
carrière au sein de la Ligue
Communiste Révolutionnaire, Lionel
Jospin qui participa à
l’Organisation
Communiste Internationaliste.
Les « renégats » de l'intransigeante
Gauche
Prolétarienne,
appartiennent davantage au monde culturel et médiatique :
Serge July, Gérard Miller, André Glucksman, Marin
Karmitz [MK2], etc., et Jean-Pierre Le
Dantec, enseignant puis directeur de l'Ecole d'architecture de Paris
La Villette [Unité Pédagogique n° 6], entre 2001 et 2006.
En 1967, jeune ingénieur
diplômé de l’École centrale, Le Dantec devient le responsable de
l'Union
de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste)
(tendance maoïste), et s'envole avec une délégation invitée,
pour la Chine, alors en révolution culturelle. Il sera ensuite un
des leaders de la
Gauche
Prolétarienne
– GP ou Gépé –,
la principale organisation maoïste des années 1960-1970, née en
mai-juin 1968 ; un mouvement révolutionnaire pratiquant la
propagande par le fait, une véritable « guérilla non-armée »
contre l'Etat [1]. En 1970, en tant que directeur de la publication
du journal La
Cause du Peuple,
Le Dantec
est arrêté et placé en détention provisoire ; en mai, il est
condamné à un an de prison pour « délits
de provocation aux crimes contre la sûreté de l'État et apologie
du meurtre, du vol, du pillage et de l'incendie. »
De sérieux incidents entre la police et les manifestants ont lieu le
jour de son procès. Il sera libéré le 23 décembre 1970. Fin
1972, la
Gauche
Prolétarienne
s'auto-dissout, et débute alors le cycle de l'auto-critique et le
bal ininterrompu de la dénonciation du totalitarisme maoïste [2].
Le Dantec le qualifia d' « entrailles puantes de la politique
absolue », dans son livre auto-critique paru en 1978 : Les
dangers du Soleil,
[dans la mythologie révolutionnaire, le soleil est le symbole de la
victoire – Mao par exemple était comparé au soleil Rouge, qui
illuminait le peuple chinois, selon Le Dantec], rejoignant
ainsi les renégats de la grande famille que Guy Hocquenghem,
plus tard, baptisa de « bloc coagulé de déceptions et de
copinages », dénonçant les anciens maoïstes et trotskistes,
convertis à la pensée libérale-libertaire, et faisant carrière ou
fortune au soleil, cette fois-ci, mitterrandien.
Mais
Le Dantec, ancien héros ayant connu les geôles de la République,
refusa d'exploiter son passé révolutionnaire prestigieux, pour
« être » ou « exister » médiatiquement, ou
au besoin, faire fortune : à peine une carrière professionnelle
d'enseignant – certes fort avantageuse - consacrée
en 2001 par le poste
de directeur de la plus grande Ecole d'architecture de France à
Paris [de par le nombre d'étudiants, et d'ex-maoïstes enseignants].
Il préféra aux projecteurs médiatiques, aux postes à haute responsabilité dans un ministère, à la différence d'autres
d'anciens héros de 68 recyclés – Roland Castro [3], par exemple
-, une existence discrète et les fades néons des classes de l'École
d'Architecture n° 6, là où étudiant, je suivais ses cours.
Le Dantec n'abandonna pas tout à fait l'arme critique et
jusqu'à l'orée des années 1990, ses articles vilipendaient la
stérilité de la pensée architecturale,
l'évolution de l'architecture vers le spectaculaire, les dérives
égocentriques d'architectes reconnus et celles de maires érigeant
d'orgueilleux et coûteux capteurs médiatiques. Cela étant, Le
Dantec
tarissait d'éloges les travaux de son ancien camarade architecte Roland Castro, et notamment ceux de Banlieue
89,
commandités par Mitterrand : une véritable caution morale en faveur
d'un projet présidentiel, d'une politique de la ville vouée, dans
son principe comme dans son énoncé – intégrer les banlieues au
Grand Paris -, à l'échec. De même, Le Dantec sera d'une extrême
indulgence avec Christian de Portzamparc - ancien maoïste de la
mouvance Vive La Révolution -, empruntant la voie grotesque
post-moderne de constructions affligées de colonnes doriques et de
frontons.
On
peut s'interroger sur le rôle de Le Dantec, dans le
processus d'embourgeoisement de la pensée de cette UP 6, hier ancien
repaire d'enseignants-militants gauchistes, aujourd'hui fabrique
d'esclaves lobotomisés destinés au marché – saturé – de
l'emploi, futurs salariés n'ayant comme seul et unique désir,
d'accéder à la reconnaissance internationale, à la notoriété, au
cercle restreint des médiatisés, au mieux pour d'autres, à
pénétrer le réseau gauchiste – qui s'opposait à celui des
Beaux-Arts - pour une carrière universitaire, voire dans
l'administration. Le Dantec avance l'idée pour expliquer une telle
évolution, les nouvelles générations d'étudiants qui :
« ont
tendance à avoir perdu la curiosité intellectuelle qui était celle
des étudiants des années 70 et 80. Aujourd’hui, si on fait venir
un architecte star qui va montrer ce que les étudiants ont déjà
tous trop vu dans les revues, il y a du monde. Mais lorsqu’il
s’agit d’essayer d’apporter des éléments de réflexion qui
viennent d’ailleurs, pas du cœur du métier, on sent qu’il y a
beaucoup moins d’intérêt qu’autrefois. C’est la première
difficulté. Cela tient à l’évolution de la société. »
Certes.
Mais
je ne puis m'empêcher, un jour, d'évoquer sa responsabilité, et
celles de ces camarades post-révolutionnaires, dans ce que l'on
nommait alors, la crise
de l'architecture. Le Dantec, pourtant brillant homme d'esprit,
évoqua la classique ritournelle clemenceau-nienne [Qui
n'a pas été anarchiste à 20 ans, etc.]
:
« Humainement,
nous avons fait tout ce qu'on a pu, et c'est à vous maintenant, aux
plus jeunes, de continuer les luttes. »
Encore
faut-il que l'ex-maoïste nous transmette son savoir, l'héritage de
la Gauche
Prolétarienne,
concernant les domaines qui nous occupe : l'occupation de foyers
Sonacotra, les actions contre l'épicerie de luxe Fauchon [Fauchons
Fauchon !] à Paris, et la redistribution gratuite des vivres
expropriées dans les bidonvilles de Nanterre, l'organisation des
Comités de lutte et de défense des mal-logés, avec des militants du Secours Rouge, les campagnes de la
GP pour le métro gratuit, etc.
Après
la révolution, le passage à l’acte
Jean-Pierre
Le Dantec
Propos
recueillis par Pierre Vincent Cresceri et Stéphane Gatti
La
Parole Errante
À
UP6, créée à la place de la section parisienne d’architecture de
l’École des beaux-arts, s’expérimentent de nouveaux rapports au
savoir, à l’enseignement et à l’institution qui les abrite.
Juste après mai 68, la plupart des professeurs sont militants
gauchistes. Ils sont partagés : ceux pour qui le savoir livresque,
irrémédiablement bourgeois, est à détruire, et ceux qui préfèrent
mettre « cul par-dessus tête » l’enseignement, pour imaginer, en
l’occurrence, de nouvelles façons d’être architecte.
Jean-Pierre Le Dantec, ingénieur de formation, quoi qu’appartenant
aux maoïstes de la Gauche prolétarienne, va peu à peu se tenir
dans l’enseignement critique. Comme les autres professeurs, il a
été recruté par la base, par un comité d’action d’étudiants
: UP6 fonctionne alors sans tête, à coups d’assemblées
générales.
L’enseignement
permet alors de lever le nez des planches à dessin : arts
plastiques, sociologie, philosophie nourrissent les réflexions. Et
plusieurs fronts permettent à l’architecture ainsi conçue de
s’inscrire dans un désir général de transformation de la vie
quotidienne.
Destruction
ou critique du savoir ?
Après
68, dans l’affrontement avec l’État, peu de choses ont
finalement bougé. Néanmoins, des chantiers de réflexion et de
transformation sont apparus dans différents domaines. Un des
exemples caractéristiques, ça a été le CERFI, que Linhart dénonce
à l’époque en disant : « Les gauchistes veulent se vendre à
l’État. » Il est vrai que les maoïstes n’étaient pas à
l’avant-garde de la critique du savoir – de par leur ouvriérisme,
tout simplement…
Oui,
après la dissolution, pas seulement de la GP, mais un peu de tous
les mouvements structurés hormis les mouvements trotskistes de
l’après-68, cela va être la mise en place de pas mal de chantiers
de tentatives de transformation de la société. J’y reviendrai.
Effectivement, dans la période pré-68, il y avait dans la pré-GP,
si l’on peut dire, une domination pendant une période de la
nécessité du savoir. D’ailleurs, à l’UEC dans les débats pour
le dernier congrès important auquel j’ai participé, il y avait
des contributions écrites avec plein de citations de tous les grands
classiques du marxisme. On lisait énormément. La librairie Maspero
était le lieu où l’on avait à peu près tout ce qu’on pouvait
trouver comme littérature, à la fois ancienne et nouvelle, avec les
Cahiers marxistes-léninistes, les Cahiers pour l’analyse. Chaque
groupe avait ses centres de réflexion théorique. Nous, on avait
comme idée qu’il fallait, avant de faire la révolution, faire
l’équivalent du livre de Lénine sur l’analyse des classes en
Russie, une sorte d’analyse de la société nouvelle, celle des
années 60, de l’après-guerre, des « Trente Glorieuses » comme
on dit maintenant. Quand on revient de Chine en 66, Robert Linhart,
moi et quelques autres, on dit : « Il faut rompre avec le savoir
livresque. » On connaissait par cœur tout cela, on était des
étudiants qui avaient déjà terminé leurs études avec beaucoup de
réussite. La tendance du savoir livresque est remplacée par une
volonté de prendre les idées dans les masses. « La ligne de masse
», comme on disait.
Puisque
les masses qui nous intéressent principalement, c’est la classe
ouvrière, cela correspond à un certain ouvriérisme, c’est-à-dire
à la sacralisation de la parole ouvrière supposée représenter le
suc de tout ce qui se pense et se dit. On colle à cela et l’on ne
comprend pas qu’il puisse y avoir des choses intéressantes dans la
lutte anti-autoritaire des étudiants. Au contraire, avec la
naissance de la GP, on va de nouveau accentuer le caractère
anti-autoritaire : il va y avoir un Cahier prolétarien qui ne
s’appelle plus Cahier marxiste-léniniste. Dans le premier Cahier
prolétarien, il y a un texte de Benny Lévy qui dit, si je me
souviens bien – c’est d’ailleurs une citation assez rigolote en
termes freudiens ou lacaniens – : « Le canon du fusil loge sous la
toge du savoir. » On voit un instrument phallique qui est en train
d’émerger. C’est dire qu’il faut faire une critique radicale
cette fois-ci, mais vraiment radicale, du savoir bourgeois. La
position de la GP va être, non pas la reconstruction, par exemple,
de l’Université, mais une thèse beaucoup plus radicale : sa
destruction. La destruction de toutes les formes de transmission du
savoir bourgeois. D’où les aspects extrêmement radicaux des
interventions des maos à Vincennes ou dans la section d’architecture
des Beaux-Arts.
Puisqu’on
a eu les diplômes pour, l’idée est qu’on peut être assistant,
commencer d’enseigner, mais l’objectif reste quand même de
détruire. Cela produit des contradictions évidentes. On sait, par
exemple à Vincennes, que les maos qui avaient une position, je ne
dirai pas hégémonique, mais une position solide sur le plan
matériel et physique, s’en prenaient globalement à tout le monde
– même s’il y avait certaines relations d’amitié ou de
connivence avec Deleuze ou Foucault, par exemple. Il restait qu’il
y avait une bande de cinglés qui avaient comme idée de tout foutre
en l’air et de donner des UV gratuites.
C’était
aussi le cas aux Beaux-Arts, à l’UP6 en particulier, où je suis
entré un peu par hasard. Jusque-là, j’avais subsisté en étant
prof de maths, d’abord dans une boîte privée et après en ayant
un poste très subalterne à Créteil. Par hasard, le principal
demande que l’inspecteur général vienne me voir. Je fais mon
cours et, à la fin, l’inspecteur général me dit – preuve qu’à
ce moment-là déjà j’aimais bien enseigner – : « Voulez-vous
faire carrière dans l’enseignement ? » Et j’ai été bombardé
contractuel équivalent agrégé. Je suis passé du plus bas au plus
haut en une seule séance d’inspection avec mes élèves de
troisième.
Malraux
avait décidé qu’il y aurait cinq unités pédagogiques
d’architecture en région parisienne pour remplacer l’ancienne
section parisienne de l’école des Beaux-Arts, et qu’il y en
aurait aussi un certain nombre en province. Immédiatement en
apparaît une sixième qui regroupe le noyau de la contestation
soixante-huitarde qui va depuis les gauchistes déclarés des
différentes tendances, Castro, par exemple, l’aile mao avec
Portzamparc, jusqu’à des communistes un peu critiques comme un
architecte qui est mort maintenant, mais qui a eu une grosse
importance dans l’enseignement, qui s’appelle Bernard Huet.
Et
tout cela se forme avec des artistes, des économistes comme Massiah,
par exemple, qui sont plutôt PSU tendance ML. Parce qu’il y a eu
aussi une tendance marxiste-léniniste dans le PSU. Ils sont
économistes ou sociologues, venant souvent du ministère des
ex-colonies, et ont été recasés à la Culture. Un regroupement
d’étudiants et d’enseignants se produit et ils disent : « On va
faire une unité pédagogique qui va s’appeler n°6. » Tout de
suite, elle est la plus nombreuse et recueille l’adhésion de gens
très importants, y compris dans le monde architectural de l’époque
– comme Candilis, par exemple. Ce qui fait que l’État est obligé
d’acquiescer. Des scissions se produiront au sein de ces
différentes choses puisqu’on va arriver à UP 7, UP 8. UP 8 sera
une scission d’UP 6, c’est Bernard Huet qui part avec une partie
des enseignants et des étudiants d’UP 6 parce qu’il trouve que
c’est trop le bordel et que l’architecture lui importe beaucoup.
Donc, il va créer une école d’architecture sérieuse dominée par
une idéologie proche de ce qui s’appelait en Italie, à l’époque,
la Tendenza, qui était grosso modo structuralomarxiste.
UP
6 se forme et ils sont à la recherche dans certaines matières
d’enseignants qui seraient des vacataires. Il y a eu une sorte
d’appel d’offres dans deux directions : les jeunes ingénieurs et
la sociologie. On avait appris cela, il y avait des nécessités
matérielles. Dans la catégorie ingénieurs se présentent moi et
Gilles Olive. Gilles Olive était à Centrale et il avait été aussi
dans notre cercle de l’UEC. Il devait devenir un des leaders de
VLR. On est recrutés par le Comité d’action, c’est-à-dire les
étudiants et les enseignants. En revanche, deux de la GP se
présentent en sociologie, qui vont être refusés comme trop
sectaires : Jean Schiavo et Serge July. Du coup, Gilles et moi, on
commence. J’avais été recruté pour faire un cours de matériaux
de construction. J’essaie de le faire, mais en même temps je suis
très partagé entre l’idée qu’il faut détruire et le fait que
j’aime enseigner, que j’aime transmettre et que j’y crois en
quelque sorte. Je crois au contenu ; c’est comme pour les maths,
j’y crois. Donc je suis un petit peu le cul entre deux chaises.
Parfois donnant les UV, mais faisant quand même cours. L’ambiance
était assez animée à UP 6, c’est le moins qu’on puisse dire.
Il y en avait qui profitaient de la situation : il y avait une bande
de Grecs riches, de familles richissimes, le genre gourmette en or,
poils qui sortent de la chemise, qui étaient pratiquement tout le
temps à la terrasse des « Deux Magots » à draguer et qui savaient
qu’ils pouvaient obtenir les UV gratuites ! Je me souviens d’un,
en particulier, qui ne comprenait apparemment pas un mot de français,
alors que mon cours était en amphi. Il vient me demander une UV avec
un interprète, je ne lui ai pas donné ! Franchement, j’avais
trouvé que, là, c’était excessif. Mais dans d’autres cas, les
choses se faisaient.
Qu’est-ce
que cela signfie quand tu dis que c’est le Comité d’action qui
t’a embauché.
Le
Comité d’action était au sein du regroupement d’enseignants et
d’étudiants qui venait de l’ancienne section des Beaux-Arts et
qui avait obtenu de la part du ministère qu’on légalise
l’existence d’une sixième unité pédagogique d’architecture.
Notons au passage le mot « unité pédagogique d’architecture »,
c’est vraiment dans le langage de l’époque. Ils avaient obtenu
cela. Il y avait l’AG et un Comité d’action mandaté par l’AG
pour recruter quelques vacataires supplémentaires. C’était une
sorte de cooptation sur la base qu’il fallait être expert et
rouge, si on peut employer ce langage maoïste. Je n’ai pas fait
long feu dans l’école puisque j’ai été arrêté peu de temps
après avoir été nommé. Comme j’ai passé neuf mois à la Santé,
j’ai filé mon poste… Il a été admis que mon poste soit filé à
un ancien Centralien, un copain qui était Jean-Claude Vernier, le
fondateur de Libération. À mon retour, le ministre de la Culture de
l’époque, Monsieur Duhamel, a accepté que je reprenne mon
enseignement comme vacataire. Quand j’étais en taule, les autres
enseignants se cotisaient pour donner à peu près le montant de mon
salaire à mon épouse. Monsieur Duhamel a accepté de me reprendre
alors que j’étais privé de droits civiques, ce qui est d’ailleurs
une curiosité dans mon parcours de « fonctionnaire ». Entre ma
libération et l’amnistie correspondant à l’élection de Giscard
d’Estaing, il y a un trou. Je recevais des bulletins de salaire où
il n’y a pas de sécurité sociale. J’ai été payé – pas
beaucoup puisque c’était comme vacataire – mais j’ai été
payé hors droits parce que Duhamel l’avait accepté.
Dans
UP 6 il y avait, je crois, des choses fondamentales qui réunissaient
tout le monde. D’une part le fait qu’il fallait complètement
mettre cul par-dessus tête l’enseignement ancien tel qu’il était
dispensé aux Beaux-Arts. C’était des ateliers dans lesquels les
patrons venaient de temps en temps pour lancer quelques aphorismes.
Il y avait différents ateliers qui n’avaient pas les mêmes
stratégies. Il s’était créé un atelier extérieur, le Groupe C,
qui s’était installé hors de l’école des Beaux-Arts et dans
lequel les étudiants et les enseignants étaient déjà plus actifs
dans les années 65-66. Il y avait donc des clivages antérieurs qui
existaient. Ce qui, en tout cas, constituait le socle d’UP 6 était
la volonté d’inventer un nouvel enseignement, sauf les GPistes qui
étaient plus pour détruire carrément l’enseignement. Le débat
qui prend assez vite dans l’école est : autour de quoi peut-on
construire un nouvel enseignement de l’architecture ? Est-ce autour
de l’architecture elle-même, c’est-à-dire de l’apprentissage
du projet architectural avec ses exigences ? À l’époque, c’était
plan-coupe-élévation, maintenant il y a un petit peu
d’informatique, forcément. Donc un enseignement rénové de
l’architecture ou, au contraire, quelque chose qui s’appuierait
sur l’extérieur de l’architecture elle-même. À l’époque, on
estimait que l’essentiel de la création architecturale en France
et des architectes étaient des laquais du pouvoir et des affairistes
qui avaient construit sans état d’âme les grands ensembles et
produit une catastrophe architecturale. La majorité d’UP6 estimait
qu’on ne pouvait pas reconstruire un enseignement de l’architecture
en s’appuyant sur la pratique de l’architecture elle-même telle
qu’elle était, en tout cas en France, mais qu’il fallait
peut-être aller voir ailleurs et qu’il fallait aller voir du côté
d’autres disciplines : les sciences sociales, la réflexion sur la
société en général, la philosophie, les arts plastiques, la
technique pour les ingénieurs, l’histoire de la culture en
général.
C’est
là-dessus d’ailleurs que se fait la première scission, celle de
Bernard Huet, qui se dit : « Ce n’est pas possible, parce qu’il
faut bien qu’ils apprennent à dessiner, à faire une coupe »,
alors que dans UP6, le courant principal est l’architecture de
papier. Il y a des mémoires, on passe des diplômes dans lesquels il
n’y a pratiquement pas de projet, mais des diplômes très épais,
rédigés, réfléchis, parlant d’art, de philosophie. L’époque
se prête beaucoup aux lectures multiples ; les étudiants de cette
période-là, comme ils ne sont pas encore obsédés par leur devenir
professionnel, sont très curieux et très ouverts à des lectures
multiples. Une fois la scission UP8 partie, l’ensemble des
enseignants est plutôt sur la reconstruction par l’extérieur. À
ce moment-là, trois tendances vont se manifester. Une tendance qui
est portée plutôt par une CFDT d’extrême gauche, le PSU, les
sociologues. Une tendance dans laquelle je suis, qui est plutôt sur
l’architecture alternative, celle qui s’intéresse déjà au
solaire, à l’écologie mais aussi à l’autoconstruction. Les
cabanes comme cela se faisait aux Etats-Unis ; Hassan Fathi,
l’architecte égyptien, qui construisait avec le peuple, comme on
disait, et qui a écrit de beaux livres là-dessus. On monte avec un
enseignant d’architecture une sorte d’atelier pour fabriquer des
techniques alternatives dans la cour.
En
fait, cette tendance est très en relation avec ce qui se passe à
l’époque dans le pays, à savoir les mouvements des communautés
où l’idée d’auto-construction est très importante puisque la
plupart d’entre eux s’établissement à la campagne, dans des
endroits paumés, où ils se mettent à reconstruire des hameaux ou
des villages. Ils font tous de l’élevage de chèvres. Je me
souviens d’anciens de la GP et de l’UJ qui avaient formé dans
les Cévennes une coopérative qui s’appelait les « Barbus
bâtisseurs » et qui, après avoir refait tout un village, en
faisaient pour d’autres. Il y avait une vraie tendance à chercher
d’autres mouvements qui étaient aussi en relation avec le Larzac
et puis tout ça à ce moment-là. On produit, par exemple avec
Laberthonnière, la crèche sauvage où les enfants amenés par leurs
parents étudiants venaient. On construit avec des moyens alternatifs
un local dans l’enceinte de l’école. C’était un ouvrage aux
formes un peu mammaires. C’est un endroit qu’on avait fait avec
une sorte de coffrage perdu, dessiné sur le sol.
On
a ensuite croisé des lames de bois qui forment une coque variée sur
laquelle on projette un mélange de plâtre armé avec de la fibre de
verre. C’est une technologie qu’on avait un peu inventée. Cela a
fonctionné pendant un moment, malgré les plaintes des voisins, en
particulier de Madame Defferre, à l’époque – c’est-à-dire
Edmonde Charles-Roux – dont les fenêtres donnent sur les
Beaux-Arts. C’était sur un petit jardin à la française et on
avait installé cela de façon sauvage. Elle disait : « Ces bulbes
mammaires », et on réplique par une affiche qui disait : « Les
cons nous cernent. »
Après la révolution,
le passage à l’acte
On
a trouvé un texte qui date de 68, signé par onze architectes, dont
Portzamparc, notamment, où ils déclarent qu’ils ne construiront
plus. Cela a-t-il pesé dans l’histoire de l’école ?
Tout
à fait. Il y a eu dans le mouvement de 68 et sa suite un certain
nombre de jeunes gens parmi les plus brillants, qui venaient
d’obtenir leur diplôme ou qui étaient sur le point de l’avoir,
et qui ont une critique radicale de l’architecture – que Bernard
Huet, par exemple, ne peut pas comprendre. Ils disent : «
L’architecture, on en fera après la révolution. Pour l’instant,
c’est une machine à opprimer le peuple. » D’ailleurs, Castro,
Portzamparc maniaient le mot « architecte » comme une insulte : «
Bande d’architectes ! » Il y a cette rupture-là qui est très
forte pendant quelques années. Mais, parmi ceux qui avaient dit
qu’ils ne feraient plus d’architecture, la conjoncture a changé.
Émerge l’idée qu’il est temps, que cela a suffisamment macéré,
que c’est en train de pourrir, et qu’il faut peut-être passer à
l’acte. Pas mal d’entre eux sont d’ailleurs passés aussi en
analyse, dont certains chez Lacan, comme Castro, Portzamparc, Antoine
Grumbach. Un groupe qui prend la parole, le Groupe des 7, publie un
texte très lacanien. Ce groupe réunit Portzamparc, Grumbach,
Castro, Naizot. Naizot était un peu plus ancien puisqu’il avait
été « grand massier ». Cela voulait dire qu’il était
représentant des étudiants dans la grande masse. Antoine Grumbach
aussi, mais dans des époques un peu différentes. Gilles Olive,
Jean-Paul Dollée, philosophe, et puis Jean-Pierre Buffi, architecte
d’origine italienne, s’étaient joints à ce groupe. Ils
prononcent solennellement dans l’école une sorte de manifeste où
ils expliquent pourquoi il va falloir construire, qu’ils sont prêts
à passer à l’acte. Sur le moment, cela me paraît un petit peu
comme une trahison, mais en fait non.
Assez
rapidement, on se met d’accord sur le fait – on arrive dans les
années 76 – qu’à la fois le travail de deuil sur l’idée de
révolution, et le travail sur soi-même qui s’est fait pour
beaucoup d’entre eux par la psychanalyse, les amènent à la
possibilité d’y aller.
Ils
se sont présentés à différents concours parce que la politique de
l’État, à ce moment-là, a changé avec Giscard – pas toujours
en bien d’ailleurs. Elle a changé vis-à-vis de l’architecture
en ceci qu’elle a d’abord arrêté les rénovations
pompidoliennes, interdit les tours par exemple, peut-être de façon
excessive. Ceci au nom d’un goût de Giscard qui est plutôt
vieille France. Je sais, par exemple, que lors d’un concours auquel
beaucoup d’entre nous participent, qui est le concours sur le parc
de la Villette, il avait comme idée de faire un parc à la
française. Il y a eu le premier concours des Halles, où émerge
quelqu’un que je ne connaissais pas à l’époque, parce qu’il
n’était pas dans le milieu enseignant, mais qui est un des
fondateurs du syndicat de l’architecture à l’époque et qui
vient d’avoir le prix Pritzker. C’est Jean Nouvel, qui est un
petit peu plus jeune. Grosso modo, il y a quand même une scène
très intéressante qui se produit à ce moment-là et qui est en
relation avec un mouvement international de remise en question des
principes énoncés par les architectes modernes des années 30,
Gropius, Le Corbusier, etc. Tout en gardant une grande admiration
pour eux, on estime qu’en particulier sur le plan de la ville ils
ont fait des dégâts considérables en détruisant l’idée de la
rue, de la place. Il faut donc reprendre cela. Tout était un peu
mélangé, c’est le courant qu’on appelle post-moderne à
l’époque. L’idée de postmodernité est d’ailleurs née dans
le milieu architectural international avant que les philosophes ne
s’en emparent. Avant qu’il y ait des débats célèbres à la fin
des années 70 entre Habermas, par exemple, qui dit que la modernité
est un mouvement inachevé, et Lyotard, qui écrit sur la
post-modernité en disant que c’est la fin des grands récits qui
ont structuré l’histoire de l’Occident, que ce soient les grands
récits modernes du capitalisme ou les grands récits modernes du
communisme. On ne peut plus croire à ces grands récits, on est donc
entré dans une période nouvelle. Je partage plutôt ce point de
vue-là tout en étant très sceptique sur ce que je vois apparaître
comme étant de l’architecture post-moderniste, c’est-à-dire une
sorte de bric-à-brac de citations architecturales venues d’un peu
toute l’histoire de l’architecture avec des frontons, des choses
comme ça. Tout cela n’ayant pas de sens puisqu’en mélangeant un
peu tous les signes architecturaux de la haute culture et de la basse
culture architecturale, on essaie de faire comme si c’était en
pierre alors que l’architecture n’est plus en pierre, mais en
béton. Au final, cela donne l’impression d’être du carton…
Vers
74-75, ce qui va donc émerger, c’est le Groupe des 7, dont
Jean-Paul, et cela me fait rigoler qu’il dise aujourd’hui que ce
soit une fermeture, parce que cela peut être considéré aussi comme
une ouverture à laquelle il a participé puisqu’il était dans ce
groupe dont je ne faisais pas partie à l’origine. Mais on a assez
vite fusionné. À l’époque, les incidents étaient encore
constants au Quartier latin… Il faut savoir qu’UP6 était
vraiment au centre quand même : c’était tous les jours, toutes
les semaines que la rue Bonaparte était barrée. Il y avait quelque
chose qui se passait. Il y avait des étudiants très contestataires
qui fumaient beaucoup de joints… C’était considéré comme un
bordel. Il y avait aussi le MLF qui venait faire ses réunions dans
l’école, il y avait toute une série d’histoires qui se
racontaient à l’extérieur, que c’était vraiment dans un état…
Plus rien n’était nettoyé, mais ce n’était pas tellement la
faute des étudiants. L’État essayait de faire crever l’UP 6 à
ce moment-là. Il décide donc de nettoyer l’École des beaux-arts
d’UP 6 et de trouver un autre endroit pour les faire dégager des
lieux. Quand l’État décide des trucs comme cela, il est capable
d’être très efficace. On savait à peine, en juin, où on irait.
On a été relogé en octobre-novembre dans un bâtiment refait, dans
une ancienne usine de faïence du 19e arrondissement. Ce n’était
pas très intéressant comme bâtiment, mais tout avait été
déménagé. Il n’y avait plus d’UP 6 rue Bonaparte. Ceci avait
été précédé par des discussions assez tendues avec la majorité,
que j’appellerai par simplification CFDTiste, du type Massiah, qui
voulait garder le cap d’une école dans laquelle les architectes
seraient en quelque sorte minorés comme on avait voulu le faire au
départ. Mais on estimait, nous, que cette phase-là était terminée
et que, maintenant, on était prêt à revenir enseigner
l’architecture de façon différente, qu’on avait appris
suffisamment de choses. Notre courant avait réuni le Groupe des 7 et
les alternatifs. À ce moment-là, je me rappelle qu’on avait pensé
créer une nouvelle UP qu’on aurait appelé UP 11.
Toujours
est-il qu’on est transféré et il y a eu alors une ou deux années
de grosses discussions. Il faut dire que dans toute cette période,
il n’y a pas d’instance légale de l’école. C’est-à-dire
que l’école fonctionne par assemblées générales. C’est une
assemblée générale qui décide. Il y a un directeur qui est un
jeune haut fonctionnaire. On voit même arriver le fils de Lévi
Strauss, qui est bombardé à la tête et qui est supposé gérer un
peu les moyens. Par conséquent, il a l’essentiel des pouvoirs
matériels puisqu’il n’y a pas de conseil d’administration.
Mais il y a consensus là-dessus : toutes les décisions se prennent
en AG et donc il y a des AG tout le temps.
La France sauvage
Tu
finis par t’éloigner de Paris pour te rapprocher de la Bretagne.
Je
ne viens pas toujours, pas seulement aux AG, mais aussi aux cours
parce qu’à l’époque j’habite en Bretagne. J’ai quitté
Paris en 74 et je n’y reviendrai qu’en 78. Il y a eu une période
où, comme tout est un peu flou, il peut m’arriver de manquer le
train pendant une semaine. Tout le monde s’en fout. Le retour en
Bretagne correspondait aussi aux pratiques politiques alternatives
post-72-73. C’est le moment où se dégagent dans certaines régions
« à forte identité », comme on dit, la Bretagne, l’Occitanie,
des mouvements gauchistes qui prennent l’hégémonie dans des
mouvements, autrefois, plutôt aux mains de courants
hyper-conservateurs. C’est le cas en Bretagne, où le mouvement
breton était et avait été mouillé pendant l’avant-guerre et
pendant la guerre avec Vichy et même avec les nazis, mais qui avait
toujours eu une composante de gauche. Je m’investis donc pas mal
dans ce mouvement-là. Le Bris aussi. Le Bris écrit ; en 74, on
fonde une collection chez Gallimard avec l’appui de Sartre : La
France sauvage. L’idée est de déplier une France alternative qui
est en train de se mettre en place. Le premier livre de la collection
est Occitanie et volem viure de Le Bris. Le deuxième, ce doit être
le mien, sur la Bretagne. Je m’appuie sur les luttes sociales
importantes qu’il y a dans le milieu ouvrier, le milieu paysan et
le milieu culturel. L’hégémonie de gauche et d’extrême gauche
est très forte dans ce mouvement-là. Sauvageot nous rejoint même.
J’ai eu une réunion avec Sauvageot, qui va devenir le directeur de
l’École des Beaux-arts de Rennes. Après on publie un livre de
Jean-Pierre Barou, Gilda, je t’aime, à bas le travail, des livres
sur les prisons avec des préfaces de Foucault.
En
77-78, il y a l’apparition du mouvement dit des « Nouveaux
Philosophes » auquel Le Bris se rattache par un livre qu’il publie
chez Grasset. Ce qui est un cas de rupture totale avec Gallimard. À
ce moment-là, Gallimard me demande de reprendre non seulement cette
collection, mais de prendre la direction d’une petite maison
d’édition dans laquelle ils estiment, eux aussi, qu’il y a un
avenir pour cette pensée alternative. Ils pensent en termes
commerciaux, évidemment. Cela va être Les Presses d’aujourd’hui,
dont je vais être le directeur littéraire pendant quatre, cinq ans,
jusqu’à ce que Gallimard s’aperçoive que ce n’est pas
rentable du tout. Le premier livre qu’on publie, c’est le mien,
Les dangers du soleil. Après, on va faire de la littérature, des
choses très bien qui sont toujours sur le marché. Mais cela ne
marche pas parce qu’à chaque fois que je trouve un écrivain il
m’est piqué par une autre maison d’édition plus riche. Donc je
n’ai pas réussi dans la mission qui m’avait été confiée.
À
ce moment-là je reviens à Paris, à la fois pour enseigner et pour
diriger cette maison d’édition. Mais là, on est déjà dans une
période où les choses ont basculé sur le plan idéologique. Moi et
la plupart de mes copains, on a fait le deuil, non seulement de la
révolution, mais progressivement de l’idée même que les
pratiques alternatives peuvent avoir un avenir sur le long terme. Je
pense que la plupart d’entre elles ont dévié ou sont en train de
basculer dans une marginalité complète qui peut, d’ailleurs,
amener à de la délinquance ordinaire. On publie, par exemple, dans
cette collection un livre qui s’appelle Le Tupamaros Berlin Ouest,
qui est un témoignage de Bommi Baumann, avec une préface de Dany et
de Sartre rédigée en fait par moi, qui raconte l’itinéraire des
alternatifs berlinois avec les communautés et jusqu’où cela peut
les mener. On fait donc le deuil de l’hypothèse d’une rupture
radicale, révolutionnaire, et d’un front de pratiques alternatives
dont on sent qu’il n’a pas de véritable consistance politique.
Je ne me sens pas personnellement proche de tout cela. J’ai
toujours eu des goûts en musique, plutôt de musique classique que
de rock et de jazz ; sur la littérature, c’est un peu pareil, je
ne suis pas un fanatique des fanzines ou des choses comme ça. C’est
un effet de génération aussi, de formation que j’ai eue.
La fabrique
d’architectes
C’est
à la même époque que vous décidez qu’il est temps de «
construire » ?
À
partir de ce moment à UP 6, on estime qu’on peut se remettre à
l’architecture. Je m’y mets aussi. Je n’étais pas architecte,
j’étais ingénieur, mais toujours intéressé par ces questions et
par les questions de l’art contemporain. Quand la CFDT, jusque-là
majoritaire, décide de passer la main, de faire qu’il y ait une
alternance, ils me demandent de prendre la direction de l’école
comme président du conseil d’administration. Et là, on a basculé,
les choses se sont relativement normalisées. On a accepté
finalement qu’il y ait un conseil d’administration, donc des
élections. À partir de ce moment, UP 6, tout en demeurant un lieu
de production d’idées « contestataires » sur l’architecture et
la ville, devient, en même temps, un lieu de production «
sérieusement contestataire ». Pas seulement dans une sorte
d’ébullition permanente, mais de production aussi de jeunes
architectes de très bon niveau qui renouvellent l’architecture et
l’urbanisme français dans une perspective qui n’est plus ni
révolutionnaire ni alternative. C’est François Barré qui, lui
aussi, a une histoire liée au gauchisme, qui a beaucoup insisté
pour que je devienne directeur d’UP 6. J’ai accepté au bout de
débats intérieurs compliqués, mais, assez vite, je me suis heurté
aux autres directeurs et à la direction de l’architecture qui
détruisaient tout l’héritage.
J’ai
assisté pendant que j’étais directeur de l’école à une
tentative réussie de destruction de ce qu’UP 6 avait voulu faire.
Parce que, derrière l’idée de cette révolution dans
l’enseignement, il y avait quand même l’idée de faire en sorte
que cet enseignement de l’architecture échappe aux professionnels.
Et on disait même qu’on n’enseignait pas à devenir des
architectes, qu’on n’était pas une école d’architectes, mais
une école d’architecture, ce qui est un peu différent. Ce qui est
totalement opposé aux canons actuels de l’enseignement supérieur
dans lequel l’idée de rentabilité de l’enseignement est devenue
dominante, et qui suppose que les étudiants réclament un
enseignement qui leur assure avant tout un avenir professionnel, de
rentrer dans une case... Moralité, ils ont tendance à avoir perdu
la curiosité intellectuelle qui était celle des étudiants des
années 70 et 80. Aujourd’hui, si on fait venir un architecte star
qui va montrer ce que les étudiants ont déjà tous trop vu dans les
revues, il y a du monde. Mais lorsqu’il s’agit d’essayer
d’apporter des éléments de réflexion qui viennent d’ailleurs,
pas du cœur du métier, on sent qu’il y a beaucoup moins d’intérêt
qu’autrefois. C’est la première difficulté. Cela tient à
l’évolution de la société. D’autre part, les autorités de
tutelle ont comme objectif de diplômer le plus rapidement possible.
La formation en architecture, en moyenne, dure huit ans. C’est un
métier très complet. C’est quelque chose de très compliqué
parce qu’il faut avoir à la fois une formation en dessin, en arts
plastiques, en technologie, en philosophie. Il faut être capable de
croiser tout cela, de développer une vision sociale, éthique sur la
société. Or, une des revendications initiales d’UP 6 avait été
de faire en sorte les étudiants puissent avoir accès aux meilleurs
enseignants dans les domaines para-architecturaux.
Arrive
la réforme LMD. En principe, on est pour, puisque c’est une
réforme qui veut que l’enseignement de l’architecture rentre
dans l’enseignement universitaire. Sauf que cela va être un
prétexte pour ramener les études légales de six ans à cinq ans,
afin que l’étudiant termine le plus vite possible son parcours. Et
que la fin de parcours ne soit pas un travail personnel de fin
d’études auquel il réfléchit pendant un an, un an et demi, qu’il
défend ensuite devant un jury, mais un travail encadré avec un
projet comme on en fait tout le long des études. Et puis, il y a un
doctorat. J’encadre des doctorants et je sais que tout se fait avec
des moyens ridicules par rapport à nos collègues européens les
plus costauds, les Allemands, les Anglais. On ne peut rien dire des
Américains avec qui on peut comparer puisqu’on a même un groupe
franco-américain dans l’école avec Atlanta. On s’aperçoit que
nos étudiants de quatrième année sont meilleurs que les leurs,
avec un an d’avance à peu près. Bon, mais qu’ils perdent après
parce que… On assiste à une déconstruction de l’enseignement à
forte composante intellectuelle qu’une école comme la nôtre,
comme UP 8 et quelques autres avaient tenté de mettre en place au
profit de quelque chose qui devient plus scolaire et plus rentable à
court terme. Cela va tout à fait dans le sens du mouvement global de
la société. L’enseignement des humanités, comme on dit, est
maintenant considéré comme superfétatoire, alors que je reste
convaincu que quelqu’un qui a eu cette formation solide des
universités, des humanités, peut très bien trouver des débouchés
professionnels dans pratiquement tous les domaines. C’est une
vision professionnalisante à court terme. Ce qui avait été notre
projet le plus fondamental, faire en sorte que l’enseignement de
l’architecture soit le plus culturel possible, est en passe d’être
détruit.
Les
étudiants de l’école se sont révoltés contre cela, mais ils ont
été seuls. Dans les autres écoles, quelques-uns les ont suivis. Et
la machine maintenant est bien rodée. C’est une des raisons pour
lesquelles j’ai d’ailleurs abandonné la direction de l’école.
J’en avais marre de parler avec des gens qui ne m’intéressaient
pas. Évidemment, la direction de l’architecture a été très
heureuse quand je leur ai dit que je laissais tomber. Ils n’osaient
pas me virer parce qu’ils avaient peur que cela foute un merdier
deux fois plus grand. C’est une aventure un peu douloureuse dans
son aboutissement actuel parce que, qu’il s’agisse de
l’enseignement ou qu’il s’agisse des pratiques professionnelles
actuelles, beaucoup de praticiens, maintenant, repartent un peu avec
des slogans simples, y compris des jeunes gens assez brillants qu’on
a formés. Avec des slogans simples parce qu’ils sont débrouillards
et parce qu’ils veulent se faire une place dans la société, sans
beaucoup de contenu de pensées, mais beaucoup d’effet plastique,
avec une sorte de langue publicitaire. Ça ne me fait pas grand
plaisir.
Nouvel
et Portzamparc, c’est différent. Ce sont de grands architectes et,
en même temps, des gens qui pensent, qui réfléchissent. D’autres
de cette génération, comme Ciriani ou Gaudin, sont des architectes
géniaux et de grands intellectuels, mais, en même temps, ils n’ont
plus une commande. Eux-mêmes sont mis en marge d’un système
qu’ils avaient cru reconstruire. Ils s’aperçoivent que,
malheureusement, la machine s’est remise en marche dans l’autre
sens. Évidemment, on est dans des conditions tout à fait
différentes de celles des années 60, mais, parfois, on est quand
même un peu estomaqué de voir des jeunes architectes, sous prétexte
de dire le contraire de ce qu’on avait essayé de leur apprendre,
faire l’apologie des dalles ou des grands ensemble avec une vision
soi-disant esthétique de la chose. Je pense pourtant que l’histoire
a tranché sur le fait que construire des dalles, c’est con.
Ce
sont des machines à vent et cela a introduit des séparations dans
la ville. Même si les appartements des grands ensembles étaient
assez grands, c’était quand même absurde de faire ces cages à
lapins superposées, sans socle, sans rue... Aujourd’hui, je sens
un retour, y compris parmi les architectes, à des idées simplistes
dont le fondement est toujours le même : on entre dans une époque
absolument nouvelle, il faut donc faire absolument autre chose.
C’était déjà la thèse des modernes des années 30 qui
expliquaient qu’il fallait détruire les villes anciennes parce
qu’elles ne seraient pas adaptées au monde moderne, qui allait
être le règne de la voiture, de la circulation rapide. Aujourd’hui
le discours est le suivant : on voit émerger un monde neuf où
l’espace n’est plus tant l’espace du corps propre que l’espace
de la communication en temps réel des réseaux, et où la logique
des lieux est battue en brèche par la logique des flux. Il y a du
vrai là-dedans, bien sûr, mais je ne vois pas ce qu’un architecte
peut construire d’autre que des lieux. Sauf qu’on voit maintenant
dans toutes les expositions internationales des mecs qui fabriquent
des trucs avec des ordinateurs, selon n’importe quelle forme. On ne
voit pas trop… ça peut être posé n’importe où.
Dans les jardins, lieux
d’expérimentations
Venons-en
aux jardins. On m’a souvent posé la question de savoir pourquoi
l’ex-révolutionnaire, d’un seul coup, s’intéresse aux
jardins. C’est bizarre, bucolique.
Non,
j’estime qu’à partir de tous les travaux que j’ai menés et
que je mène en ce moment – je viens d’écrire une somme depuis
cinq, six ans qui s’appellera Poétique des jardins – que le
jardin est justement un lieu d’expérimentation des rapports entre
l’homme et la nature, chose extrêmement banale – sauf que la
nature, aujourd’hui, n’est pas la même. Autrefois, c’était la
wilderness. Cela n’existe plus, toute la nature est hybridée par
la technique. Je ne suis pas du tout un militant écologiste, ce
n’est pas mon propos, mais ce sont des questions quand même
essentielles. En plus, les jardins sont une part essentielle des
villes. Les jardins, ce n’est pas un truc de retraités. Non. À
l’heure actuelle, le lieu majeur de création « jardiniste »,
comme je dis, c’est la ville, les projets de jardins urbains. De
plus, des analyses de paysages sont également nécessaires pour
élaborer des développements urbains. Avant, dans les années 70, on
construisait sur un champ de betteraves un grand ensemble, on s’en
foutait. Maintenant, avant de réfléchir à ce qu’on va bâtir
quelque part dans un lieu suburbain, une friche, quelque chose comme
ça, on essaye d’analyser les traces, les vues parce que les
fertilités du territoire ne sont pas homogènes. Quand on fait un
projet urbain, par exemple, une extension de ville comme cela se fait
dans pas mal de cas aujourd’hui, les meilleurs architectes et
paysagistes réfléchissent d’abord à cela. Ils commencent d’abord
par une analyse paysagère et réfléchissent aussi beaucoup au
végétal, aux jardins, à la fois comme lieu de promenade ou de
délassement, mais aussi comme lieu d’expérimentation de nouvelles
technologies d’épuration, de possibilités, au sein d’un monde
qui devient de plus en plus urbain, d’insérer des campagnes
urbaines, des endroits où l’on produit aussi directement des
produits pour la ville.
Pour
moi, cela fait partie intégrante d’une réflexion qui est
essentielle, celle du devenir urbain du monde actuel et des types de
pratiques à la fois spatiales et sociales des gens, outre l’aspect
poétique que je trouverais volontiers à cela. Ce n’est pas un
hasard si les meilleurs paysagistes aujourd’hui s’intéressent à
des aspects qu’on dit « sauvages » – ce n’est pas du tout
sauvage parce que c’est fabriqué – et à la biodiversité. Là,
il y a des évolutions positives. Ce n’est pas un hasard si,
récemment, l’Atelier parisien d’urbanisme, avec le Muséum et
avec mon laboratoire, qui s’appelle l’Architecture milieu
paysage, on a publié un livre qui s’appelle L’Atlas de la nature
à Paris. Il y a trois parties, une partie qui est plutôt faite par
le Muséum, qui recense les espèces animales et végétales qui
existent dans la ville, qu’on a repérées, et qui sont beaucoup
plus nombreuses qu’on ne le croit. Il y a une partie historique,
puis une partie plus urbanistique. Je me suis plutôt occupé avec
mon laboratoire de la partie historique. C’est intéressant que
l’urbanisme estime que la présence, par exemple, de chauves-souris
dans la ville soit importante, que ce n’est pas négligeable du
tout. Et Gilles Clément va même jusqu’à dire, quand il écrit
son livre sur le tiers paysage, qu’il remarque que les endroits des
campagnes qui sont cultivés de façon la plus traditionnelle, même
les prairies, les forêts, sont les endroits où la biodiversité est
la moindre et non pas dans les délaissés, ce qu’il appelle le
tiers paysage, là où la charrue ne passe pas.
Jean-Pierre
Le Dantec
Propos
recueillis par Pierre Vincent Cresceri et Stéphane Gatti
La
Parole Errante
à
la Maison de l’Arbre
9
rue François Debergue
Montreuil
93100
NOTES
[1]
Les principales dates du GP [liste non-exhaustive] :
Septembre-octobre
1968 : à la faculté de Nanterre, fondation par des militants
(UJC(ml), CVB...) de « Vive le communisme », qui publie un journal
du même nom, et qui deviendra « Vive la Révolution »,
Octobre
1968 : création de la Gauche prolétarienne (GP) par une
minorité de l'ex-UJC(ml).
27
octobre 1968 : la librairie maoïste Gît-le-Coeur à Paris est
plastiquée; les soupçons se portent sur le groupe d'extrême droite
Occident.
1er
novembre 1968 : la GP relance de La Cause du Peuple.
Janvier
1969 : assemblée nationale ouvrière, réunissant les établis,
par la GP.
10
février 1969 : la GP génère les premiers Comités Palestine.
Avril
1969 : parution du numéro 1 des Cahiers de la Gauche
prolétarienne (« De la révolte anti-autoritaire à la révolution
prolétarienne »).
2
mai 1969 : au Lycée Louis-le-Grand, les maoïstes repoussent un
« commando » d'Occident. Un lycéen est blessé et sera amputé de
la main.
17
juin 1969 : pour l'anniversaire de la mort de Gilles Tautin, plus
d'une centaine de militants de la GP entrent en force dans l'usine
Renault de Flins.
31
juillet 1969 : à l'usine Coder de Marseille, affrontements entre
la GP, des vigiles et des contremaîtres, dont l'un est blessé.
Août
1969 : sur invitation du représentant à Paris de l'OLP, Mahmoud
Hamchari, des représentants de la GP se rendent au camp palestinien
de Karameh, en Jordanie.
14
septembre 1969 : sur le marché d'Argenteuil (région
parisienne), affrontement violent entre la GP, conduite
par Jean-Pierre Le Dantec et les
militants du P « C » F.
26
septembre 1969 : la GP incendie le siège de la banque Rothschild
et attaque les locaux du quotidien L'Aurore.
Octobre
1969 : à Pékin, un responsable de la GP représente celle-ci
aux cérémonies du XXe anniversaire de la République populaire de
Chine.
19
novembre 1969 : la GP attaque un commissariat vers la porte
d'Aix, et incendient des fourgons de police.
17
janvier 1970 : des vendeurs de La Cause du peuple sont
appréhendés violemment par la police et condamnés à de la prison
avec sursis le 23 janvier 1970.
23
janvier 1970 : un groupe de la GP attaque le commissariat de
Mantes-la-Jolie.
4
février 1970 : à Paris, début de la campagne de la GP pour le
métro gratuit, affrontements avec des agents de la RATP, à la
station Billancourt.
5
février 1970 : à Dunkerque, aux chantiers navals, sabotages de
2 grues revendiqué par la GP avec un tract signé « Les nouveaux
partisans ».
13
février 1970 : à Grenoble, la GP manifeste en soutien à un
foyer de travailleurs immigrés.
14
février 1970 : à Nice, violents incidents à la faculté des
lettres, arrestations d'un responsable de la GP.
16-17
février 1970 : à Hénin-Liétard (Pas-de-Calais), la GP attaque
aux cocktails Molotov le siège de la direction des Houillères. Six
militants sont arrêtés
20
février 1970 : à Paris, des maoïstes attaquent deux bureaux du
Service d'aide technique aux travailleurs étrangers.
23
février 1970 : à Grenoble, la GP attaque le siège des
entrepreneurs de l'Isère.
27
février 1970 : à Nanterre, devant les usines Citroën, deux
militants de la Base ouvrière, Jean-Pierre Lecardonnel et Claude
Larbi sont arrêtés pour distribution de tracts et rébellion à
agents. Ils sont condamnés le 7 mars 1970 à de la prison.
5
mars 1970 : à Nancy, des militants maoïstes manifestent dans un
foyer d'immigrés nord-africains. Heurts avec la police.
12
mars 1970 : nouvelle manifestation à Nancy dans un foyer
d'immigrés nord-africains, avec des tracts en arabe.
6
mars 1970 : à Corbeil-Essonnes, incendie des Grands Moulins par
la GP : le sigle NRP (Nouvelle résistance populaire) est retrouvé
sur les murs.
8
mars 1970 : à Besançon, la GP investit un foyer de travailleurs
arabes.
12
mars 1970 : à Nice, deux dirigeants de la GP sont poursuivis
pour destruction de véhicules, suite à des affrontements avec des
étudiants d'extrême droite.
17
mars 1970 : à Pontoise, procès de 3 membres de la GP pour
diffamation envers la mairie P « C » F d'Argenteuil.
22
mars 1970 : Le Dantec, directeur de La Cause du peuple est arrêté
et inculpé de provocation au crime, d'apologie de vol, de pillage,
d'incendie et de meurtre ; le n°18 de La Cause du peuple est saisi.
11
avril 1970 : dans Le Monde, article de Serge July, « Pour la
cause du peuple », en « Libres opinions ».
Mi-avril
1970 : rencontre entre Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir,
Alain Geismar, Pierre Victor et Serge July à propos de la direction
de La Cause du peuple.
26
avril 1970 : à Paris, attaque d'un groupe de militants contre
l'imprimerie du Parisien libéré et de La Nation, 7 maoïstes sont
arrêtés.
29
avril 1970 : à Besançon, un des leaders de la GP en
Franche-Comté, est condamné à de la prison ferme pour avoir
organisé une manifestation violente contre le film Les Bérets
verts, le 4 novembre 1969, à Besançon.
30
avril 1970 : le nouveau directeur de La Cause du peuple, est
arrêté.
1er
mai 1970 : Jean-Paul Sartre annonce dans le n°20 de La Cause du
peuple qu’il en prend la co-direction avec une de ses amies,
Liliane Siegel.
8
mai 1970 : à Paris, un groupe de la GP pille l'épicerie de luxe
Fauchon et en distribue les produits dans le bidonville de Nanterre
le lendemain.
11
mai 1970 : à Grenoble, un dirigeant de la GP est arrêté et
inculpé.
18
mai 1970 : le Nouvel Observateur, sous le titre « Jean-Paul
Sartre fait parler les « casseurs » », donne la parole à des
cadres de la GP, dont Alain Geismar et Serge July.
19
mai 1970 : une militante de la GP est condamnée à 13 mois de
prison ferme pour le pillage de Fauchon, devant la 24e Chambre
correctionnelle ; la cour d'appel lui accorde le sursis le 13 juin
1970, et elle est libérée.
25
mai 1970 : à Paris, meeting unitaire de l'extrême gauche
(excepté l'AJS) pour réclamer la libération des directeurs arrêtés
de La Cause du peuple.
27
mai 1970 : à Paris, procès des directeurs de La Cause du
peuple, dont Le Dantec : incidents violents au Quartier latin
(400 arrestations) ; l’État, par la voix de Raymond Marcellin,
ministre de l'Intérieur, dissout la GP et demande la saisie des n°15
à 19 de La Cause du peuple.
28
mai 1970 : la direction de la GP décide de créer une
organisation clandestine d'action, la Nouvelle résistance populaire
(NRP).
2
juin 1970 : à Sochaux, devant les usines Peugeot, la police
arrête et inculpe quatre militants maoïstes.
3
juin 1970 : à Grenoble, la police investit le campus pour
appréhender deux dirigeants de la GP, qui prennent la fuite.
5
juin 1970 : Jean-Paul Sartre annonce la création d'une
Association des amis de La Cause du peuple, dirigée notamment
par Simone de Beauvoir, qui se déclare prête à aller vendre ce
journal sur la voie publique.
11
juin 1970 : appel pour la création du Secours rouge,
organisation de défense de militants menacés par la loi «
anti-casseurs » du 30 avril 1970 (définitivement votée le 4 juin
1970) par 17 « personnalités » dont des anciens dirigeants de la
résistance communiste (Charles Tillon et Roger Pannequin) et des
anticolonialistes.
17
juin 1970 : à Grenoble, condamnation de huit militants de la GP
(pour l'affaire du foyer de travailleurs immigrés en avril 1970) à
de la prison, dont deux par défaut.
19
juin 1970 : à Grenoble, nouvelle arrestation d'un des leaders
local de la GP, accusé de destruction de drapeaux tricolores.
20
juin 1970 : à Paris, au Quartier latin, de nombreux
intellectuels, dont Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir,
distribuent des numéros interdits de La Cause du peuple ;
Sartre est interpellé et écroué brièvement.
25
juin 1970 : à Paris, arrestation d'Alain Geismar, dirigeant de
la GP.
27
juin 1970 : à Paris, dix-sept intellectuels, dont Jean-Paul
Sartre, Simone de Beauvoir, Patrice Chéreau, Louis Malle, Samy Frei,
distribuent de nouveau La Cause du Peuple, avec une cinquantaine de
militants de la GP.
13-14
juillet 1970 : des jeunes et des « maoïstes » attaquent le
commissariat de police de Saint-Etienne-du-Rouvray (76) ; quatorze
personnes sont écrouées.
27
juillet 1970 : le trésorier de la GP, est inculpé et écroué
pour tentative de réimprimer les Cahiers de la gauche prolétarienne
; il sera libéré le 18 septembre 1970.
1er-25
septembre 1970 : première grève de la faim d'une trentaine de
détenus maoïstes pour l'obtention du « régime spécial ».
Mi-septembre
1970 : création, par des militants issus pour partie de la
mouvance de la GP, des Comités de soutien à la révolution
palestinienne (CSRP), sur le modèle des CVB.
24
septembre 1970 : lors du concert des Rolling Stones au Palais des
Sports (Paris), Serge July fait acclamer le combat des détenus
maoïstes grévistes de la faim.
1er
octobre 1970 : deux militants de la GP sont condamnés par la
Cour de sûreté de l’État à 6 mois de prison pour reconstitution
de mouvement dissous.
5-6-7
octobre 1970 : devant la Cour de sûreté de l'Etat, condamnation
à de la prison ferme pour 5 militants de l'ex-GP, dont Jean-Pierre
Liban, écroué depuis le 10 juin, mais en liberté provisoire depuis
le 11 septembre.
15
octobre 1970 : parution du 1er numéro de Fedaï, journal des
Comités de soutien à la révolution palestinienne (CSRP) ; le n°2
sort le 5 novembre 1970.
20
octobre 1970 : à Paris, procès d'Alain Geismar devant la 17e
chambre correctionnelle ; le tribunal le condamne à 18 mois de
prison ferme.
21
octobre 1970 : à Renault-Billancourt, devant l’usine,
Jean-Paul Sartre, monté sur un tonneau, dénonce le procès du
leader de la GP, Alain Geismar.
28
octobre 1970 : à Montbéliard, arrestation de 4 militants de la
GP qui s'apprêtaient à commettre un attentat à l'explosif contre
les garages Peugeot.
1er
novembre 1970 : un n°0 de J'accuse paraît, titré « Le Temps
des procès ».
4
novembre 1970 : sortie en salles du film de Marin Karmitz (GP),
Camarades.
10
novembre 1970 : sortie des Minutes du procès d'Alain Geismar,
préface de Jean-Paul Sartre, aux éditions Hallier/L'Idiot
international.
24
novembre 1970 : second procès de Alain Geismar devant la Cour de
sûreté de l'Etat pour reconstitution d'organisation dissoute ; il
est condamné à 2 ans de prison ferme.
26
novembre 1970 : à Paris, en représailles à la condamnation de
Alain Geismar, enlèvement par la NRP du député gaulliste Alain de
Grailly, impliqué dans le scandale immobilier des abattoirs de la
Villette ; il est rapidement libéré.
26
novembre 1970 : à Toulouse, violents incidents entre
manifestants maoïstes, étudiants d'extrême droite et policiers sur
le campus de l'Arsenal ; 13 manifestants inculpés.
11
décembre 1970 : Le tribunal de Montbéliard condamne les quatre
maoïstes auteurs de « l'attentat manqué » contre les garages
Peugeot à 6 mois et 4 mois de prison ; ils seront libérés en
janvier 1971.
12
décembre 1970 : à Lens, un « tribunal populaire » est
organisé par la GP et le Secours rouge pour « juger » les
responsables des Houillères, suite à un accident minier (16 mineurs
tués le 14 février 1970). Jean-Paul Sartre en est le « procureur
», et Eugénie Camphin, communiste historique (adhéra au PCF vers
1920, hébergea J. Duclos à l'été 1940, membre du Comité Central)
ralliée à la GP, fait partie du « jury ».
14-17
décembre 1970 : à Paris, la Cour de sûreté de l’Etat juge
les inculpés de l’affaire d’Hénin-Liétard.
Janvier
1971 : début d'une seconde grève de la faim des détenus
maoïstes pour réclamer le régime spécial.
Janvier
1971 : parution du n°1 des Cahiers prolétariens de la GP, qui
annonce les grands axes d'une « guérilla non-armée » contre
l'Etat.
8
janvier 1971 : dans La Cause du peuple n°33, un article évoque
« Les Groupes ouvriers anti-flics à l'action » à
Renault-Billancourt.
15
janvier 1971 : parution du 1er numéro de J’Accuse, mensuel
créé par la GP pour élargir l'audience avec les intellectuels dits
« démocrates » (il y aura 5 numéros).
22
janvier 1971 : par solidarité avec les prisonniers maoïstes,
des militants du Secours rouge entament une grève de la faim à la
chapelle Saint-Bernard (Paris).
26
janvier 1971 : à Paris, Simone de Beauvoir du Secours Rouge,
sous un grand portrait de Mao Zedong, lance un meeting de soutien aux
détenus maoïstes en grève de la faim depuis le début du mois.
8
février 1971 : fin de la grève de la faim des détenus
maoïstes, suite à une décision d'amélioration des conditions de
détention; Michel Foucault annonce la création du Groupe
d'information sur les prisons (GIP), avec Pierre Vidal-Naquet et
Jean-Marie Domenach, lors d'une conférence de presse du Secours
rouge.
9
février 1971 : à Paris, lors d'une manifestation (interdite) du
Secours rouge, Richard Deshayes, militant de VLR !, établi et
dirigeant du FLJ, est blessé au visage (il perdra un oeil) par une
grenade tirée à bout portant ; un lycéen est arrêté et inculpé.
13
février 1971 : à Paris, occupation de l’église du Sacré-Cœur
par des militants de la GP, avec Jean-Paul Sartre et Liliane Siegel,
pour protester contre la répression de la manifestation du 9 février
1971.
13-14
mai 1971 : dans la nuit, la NRP plastique les locaux de
l'hebdomadaire d'extrême droite Minute.
24
mai 1971 : premier numéro de J’Accuse-La Cause du peuple, qui
ont fusionné.
29
mai 1971 : Alain Jaubert, journaliste au Nouvel Observateur, est
tabassé par la police après une manifestation ; il est inculpé de
rébellion et violences à agents. ; un comité de « compagnons de
route » de la GP se forme pour défendre la liberté de la presse,
prémices de l'Agence de Presse Libération.
18
juin 1971 : création de l'Agence de presse Libération (APL),
dirigée par Maurice Clavel et Jean-Pierre Vernier, afin d'informer
sur les conflits sociaux.
18
juin 1971 : la GP et des « compagnons de route » comme Maurice
Clavel, Jacques Debu-Bridel, Jean Cassou et Wladimir Jankélévitch
organisent un dépôt de gerbe au Mont-Valérien pour rendre hommage
« Aux victimes du fascisme, ancien et nouveau ».
15
juillet 1971 : à Paris, des militants du Comité de lutte
Renault attaquent, devant les portes de Citroën, quai de Javel, des
membres du syndicat « jaune », la Confédération française du
travail (CFT).
23
juillet 1971 : à Paris, la GP et les Comités Palestine
organisent une manifestation devant l'ambassade de Jordanie pour
protester contre la venue du roi de Jordanie à Paris : un
responsable de la GP, établi à l'usine de Renault-Billancourt, est
blessé par balles par un policier.
Octobre
1971 : la Cause du peuple appelle à la formation d'une « Union
des Comités de lutte d'ateliers ».
7
novembre 1971 : à Paris, manifestation du Comité Djellali, du
Secours rouge et des Comités Palestine à la Goutte-d’Or (Paris)
contre le meurtre raciste de Djellali Ben Ali, 15 ans, le 27 octobre
1971 dans le quartier.
27
novembre 1971 : réunion du Comité Djellali et du Secours rouge
à la Goutte- d'Or (Paris) au local de la Maison Verte, puis
manifestation dans le quartier, conduite par Michel Foucault, Jean
Genet, Jean-Paul Sartre et Catherine Von Bülow.
14
décembre 1971 : fondation du Comité Vérité Toul (CVT), chargé
d'enquêter sur la mutinerie dans une prison ayant eu lieu du 5 au 13
décembre.
23
décembre 1971 : Alain Geismar est libéré.
Fin
décembre 1971 : le Secours rouge et le GIP diffusent un tract, «
Qui vole un pain va en prison. Qui vole des millions va au
Palais-Bourbon ! », pour dénoncer la condition des prisonniers.
15
janvier 1972 : à Nancy, mutinerie des prisonniers à la prison
Charles III, violemment réprimée. La GP soutient l’action, ainsi
que le GIP.
29
janvier 1972 : la direction de Renault-Billancourt licencie trois
maoïstes membres du Comité de lutte, qui entament alors une grève
de la faim.
Février
1972 : à Saint-Denis (93), création du premier Comité de lutte
et de défense des mal-logés, par des militants du Secours rouge,
suite à des occupations de locaux vides ; d'autres Comités sont
créés ensuite à Paris.
14
février 1972 : à Paris, des militants de la GP s’introduisent
dans l’usine Renault-Billancourt avec Jean-Paul Sartre et des
journalistes, pour distribuer des tracts.
25
février 1972 : à Paris, Pierre Overney, militant de la GP, est
abattu aux portes de Renault-Billancourt par un vigile, Jean-Antoine
Tramoni, alors qu'il distribuait des tracts appelant à une
manifestation pour ce jour, pour le 10ème anniversaire de Charonne.
4
mars 1972 : à Paris, obsèques de Pierre Overney au
Père-Lachaise, suivies par 200 000 manifestants.
8
mars 1972 : la NRP (GP) enlève un responsable du personnel de
Renault-Billancourt, Robert Nogrette ; il est libéré le 10 mars.
25
mars 1972 : la NRP donne un entretien sur ses objectifs et ses
actions dans La Cause du peuple-J'Accuse.
Mars-avril
1972 : auto-dissolution des Comités de soutien à la révolution
palestinienne (CSRP).
6
avril 1972 : à Bruay-en-Artois, découverte du corps d'une jeune
ouvrière, Brigitte Dewèvre. C'est le début de l'« affaire de
Bruay-en-Artois », dans laquelle la GP s'implique fortement, avec le
Comité justice et vérité.
Mai
1972 : parution d’un numéro hors-série de la revue Les
Temps modernes, rédigé par les dirigeants de la GP (en
particulier Benny Lévy et André Glucksman), « Nouveau fascisme,
nouvelle démocratie ».
1er
mai 1972 : à propos de l'« affaire de Bruay-en-Artois », sous
le titre « Et maintenant, ils massacrent nos enfants », La Cause du
peuple (n°23) prend violemment partie contre le notaire Pierre
Leroy, inculpé du meurtre.
4
mai 1972: création d'un Comité pour la vérité et la justice à
Bruay-en-Artois, sous l'impulsion de la GP.
Novembre
1972 : premier Congrès des Comités de lutte d'ateliers, qui met
en place une Union nationale des Comités de lutte d'ateliers (UNCLA)
et élit un Conseil national dirigé par un militant de l'usine
Colgate-Palmolive de Compiègne.
Novembre
1972 : pour dénoncer son ordre d'expulsion, Saïd Bouziri,
leader du Mouvement des Travailleurs Arabes et membre de la GP,
débute une grève de la faim dans le quartier de Barbès à Paris;
grâce à une forte mobilisation, l'arrêté d'expulsion est annulé.
4
janvier 1972 : annonce par Jean-Paul Sartre, Philippe Gavi, Serge
July, Jean-Claude Vernier et Jean-René Huleu de la naissance
prochaine du quotidien Libération.
9
janvier 1972 : ouverture du procès en cour d'assises de
Jean-Antoine Tramoni ; il est condamné le 13 janvier à 4 ans de
prison pour le meurtre de Pierre Overney.
18
avril 1972 : parution du premier numéro de Libération, après
un essai raté le 5 février 1973. Il est dirigé par des cadres de
la GP dont Serge July.
13
septembre 1972 : dernier numéro (n°48) de La Cause du peuple,
avec un mot d'ordre: « Puisez dans le stock d'idées Lip! »
3-4
novembre 1972 : en région parisienne, dernière réunion (qu'on
appellera la « réunion des chrysanthèmes ») de la GP; devant 200
militants, les dirigeants annoncent l'auto-dissolution de
l'organisation.
[2]
Claire Briere-Blanchet : Voyage
au bout de la révolution. De Pékin à Sochaux
, Paris, Fayard, 2009, qualifie « ce groupuscule de dangereux
malfrats », qu'était la Gauche Prolétarienne.
[3] Hocquenghem Guy, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao
au Rotary, Paris, Albin Michel, 1986, rééd., Marseille, Agone,
2003.
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