A
Roland Castro, « architecte du roi » [1]
&
à son concubin Régis Debray
Cette
violente tribune contre l'architecte Roland Castro* a été écrite en
1986, par Guy Hocquenghem –
ancien camarade maoïste -, décédé en 1988 ; il n'aura donc pas pu
juger de l'ascension de l'architecte dans les salons feutrés
des ministères de la présidence chiraquienne, puis de Sarkozy –
Grand Paris -, et sans doute de Hollande ; mais Hocquenghem le
prédisait ou le présentait déjà : Heureusement
que nous ne vivons ni sous Staline ni sous Mussolini. Parce que tu
irais tout droit proposer tes services, tout pareil, « de chef à
chef ».
Un auteur talentueux de BD a récemment refusé la Légion d'honneur ; ce n'est pas le cas de Roland
Castro, égo-centrique notoire, qui ne laissera à la postérité ni
aucune oeuvre d'architecture et d'urbanisme innovante, voire de
qualité, ni même de théories ayant fait date dans ces domaines ;
bien au contraire, il participera avec d'autres théoriciens, au
retour d'une architecture traditionnelle, évoquant les temps des
faubourgs pré-industriels, et évacuant au fil de sa longue
carrière, les problématiques sociales, pour celles - plus rentables - de l'écologie.
Il est cependant possible de lui reconnaître une qualité : son
engagement en tant qu'enseignant anti-Beaux-Arts, au sein de l'Ecole d'Architecture
de Paris La Villette ; tout du moins jusqu'à une certaine
période, celle où étudiant, je pus
apprécier, un discours et une posture d'enseignant qui étaient
alors rares de trouver dans d'autres Ecoles. Sans doute, lui dois-je, de publier régulièrement des articles
dans cette tribune.
Guy Hocquenghem
Lettre
ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary
| 1986
(Ré)
Editions AGONE | 2003
Mon
vieux Roland,
Toi,
tu es pathétique. Suant et pétant le faux enthousiasme, la fausse
naïveté, le « rêve » et la « folie » à la commande, criant
sans cesse ta « volonté démocratique », « positive », et
assurant la promotion de ton bonheur-pour-tous dans les HLM, ton
militantisme populiste fut pathétique, comme ton optimisme forcé.
C’est pathétiquement, toi qui n’as jamais rien pu construire,
que tu prétends au constructif, au positif ; ce cirque de clown
gaucho-fêtard-coluchien se résume en ces titres : architecte du
président Mitterrand, gauchiste de service, valet du roi.
Architecte
sans architecture ; au moins Arno Breker bâtissait-il statues et
monuments. Pardon, j’oubliais la « bourse du travail de
Saint-Denis », un minuscule Beaubourg de banlieue. Tu n’as
construit que des maquettes, des plans, des projets et des
circulaires, des comités, des réunions et des tables rondes ; peu
connu du public, tu as surtout été l’organisateur de « fêtes »
(sans spectateurs) en banlieues, destinées à redorer là-bas le
score électoral du PS, et masquées d’un reste d’idéologie
gaucho. Tu as servi, à Mitterrand, de propagandiste « culturel »,
et de symbole de ralliement, de cache-sexe quant aux nullités des
choix architecturaux du socialisme, et d’alibi destiné à
accréditer une continuité du gauchisme inventif aux bureaucraties
prébendaires du socialisme installé.
Tu
auras laissé, à défaut de monuments, l’histoire la plus
désopilante du quinquennat en matière d’action culturelle. Celle
des bistrots de banlieue, qui, un bref moment, t’a fait connaître
; légitimement inquiet de l’incapacité des foules
banlieusardes à voir la vie en rose, et soucieux de développer les
industries chimiques nationales du pastis et du gros rouge, le
gouvernement, à ton instigation, avait décidé d’« autoriser en
plus grand nombre les débits de boissons alcoolisées » en ces
terres sevrées. Autrement dit, les troquets pour se pinter. Voilà
de l’épiquement culturel, hic, de l’équipement culturel ou je
me trompe. Une larme, un soupçon, disait le capitaine Haddock. Toi,
c’est à l’hectolitre, au wagon-citerne, que tu voulais abreuver
de culture pinardière nos malheureuses banlieues. « Il faut faire
tomber le tabou de l’anti-alcoolisme », aurait pu titrer Libé
pour soutenir ton projet. Les Français, croyait-on, buvaient
trop (premier taux d’alcoolisme au monde) ; mais Roland Castro,
agitateur culturel diplômé, a trouvé la faille. En fait, ils ne
boivent pas assez. Et de donner l’exemple en payant de sa personne.
Des troquets, des bistrots, des zincs, des comptoirs ; comme en
Russie, le peuple boira pour oublier ses soucis. Chaque bistrotier
aurait pu devenir un votant socialo de plus, un Montand de plus. Dans
ton inénarrable vocabulaire, pour répondre aux protestations des
ligues anti-alcooliques, tu prétendis par cette mesure « faire du
baroque moderne ». Le gars qui
voit
un rhinocéros vert danser des claquettes sur le bar, il fait du «
baroque moderne ».
Peu
brillant bilan. Au moins cela t’aura-t-il empêché de construire,
Mitterrand n’étant tout de même pas assez fou pour confier de
vrais crédits à un agité du bocal comme toi. Si l’on en juge par
ce projet de « tour de Babel techno pour la Défense » (sic)
que publia Actuel, c’est tant mieux. Faute d’assouvir dans
le béton ta mégalomanie, tu n’auras servi que pour la frime, te
faisant bateleur du mitterrandisme. Tu as pris en main la grotesque «
animation » des banlieues (« Banlieues 89 »), sinistre caricature
de festivités sans public, octroyées aux Dionysiens, Beurs et
autres Billancourtais (sans leur demander leur avis). Pur « rêve »
officiel d’une joie sur ordre, « techno » elle aussi, quoique
habillée de tous les beaux mots de la création et de la
poésie. C’était donc pour cette frime, pour ce titre ridicule
(l’architecte du président, qui-ne-construit-rien), de
complaisance et de cour, que tu as abjuré le maoïsme en déclarant
« revenir à l’architecture » ?
Tu
ne seras jamais un artiste. Tu es un agitateur de bureaucrates, comme
il y a des moniteurs de gym pour vieillards. On te voit si bien, tes
vieilles pompes de traviole enfoncées dans le gazon de l’Élysée,
agrippant au collet les bureaucrates tes frères, préfets et
administrateurs, pour leur débiter tes enthousiasmes usés : « Il
faut être positif, inventif ! Prospectif ! Apporter l’art aux
ménagères ! » Tes éternelles déclarations d’intentions avaient
trouvé preneur ; l’État aime les bavards officiels. Tes mots
creux, tes coq-à-l’âne, tes humanismes suintant les bons
sentiments, tes cheveux déjà gris mais toujours trop longs, tes
vestes velours côtelé façon Beaux-Arts, ont donné un semblant de
vie à la mortuaire irréalité des cercles de pouvoir.
«
Cet homme prend le risque de passer pour un fou : il croit que la
gauche a les moyens d’embellir la vie. » (Croire une telle chose
sous la gauche est d’un courage tout de même relatif.) Ainsi te
présenta ton ami, le directeur d’Actuel, Jean-François
Bizot, en son magazine. Il t’appelait « l’architecte au lyrisme
emporté ». N’exagérons pas l’ampleur de tes envolées ; plus
bafouillées, et vagues, que vraiment « lyriques », tes envolées
allusives, comme les raisonnements de Sganarelle, ont tendance à se
casser le nez.
Ah,
l’audace qu’il faut pour être modéré ! « Vous pensez »,
continuait, pris d’un doute, Jean-François Bizot, « qu’il est
impossible de glisser un pied-de-biche dans les coffres de l’État
» (intéressante métaphore pour désigner le but des Castro et
compagnie) « et vous êtes sûrs que ce vieil appareil est peuplé
d’abrutis. […] Et pourtant, quand on parle de projets fous
japonais ou qu’on raconte UNE SUPER MAGOUILLE, on dresse l’oreille.
Banlieues 89 est un projet fou français » et
donc une « superbe magouille ».
Voilà
la clef de l’admiration du très néo-libéral Bizot pour le très
étatiste Castro. Intellectuel, non ? Ta folie convenue est bien
sage, ton agitation bien gélatineuse, ta perduration dans le «
généreux » n’est qu’une angoisse tenace de chef sans emploi
qui ne connaît qu’une chanson. Tu sais que tout cela est verbal,
la fidélité, les idéaux de Mai accomplis par Fabius : fausses
fenêtres d’une perspective officielle, façade de respectabilité
pour les « magouilles ».
À
l’époque Mao, quand tu as fondé ton propre groupe, scissionnant
d’avec les « militaristes » prolétariens, tu l’as appelé «
Vive la Révolution ». J’y ai, à l’époque, adhéré, sur la
garantie qu’il s’agissait plus d’anarchisme que de maoïsme. «
Vive, tu comprends, vive. Je ne cherchais pas le sang. » Sacré
menteur. Je me souviens de cette journée, à l’École normale,
consacrée à préparer des cocktails d’essence et de désherbant
en bouteilles. Althusser, secrétaire général, fermait les yeux sur
l’occupation des salles, puisque j’étais élève. Tu voulais
moins le sang que d’autres, c’est vrai ; mais tu avais honte de
le moins vouloir. Tu faisais un complexe d’infériorité par
rapport aux « durs », aux maniaques de la violence du prolétariat.
C’est par procuration, comme eux, que tu as eu ton martyr, notre
ami Richard Deshayes, aveuglé par une grenade de la police, parce
que vous vouliez la cogne, et toi aussi. Mais c’est lui, bien sûr,
qui s’est fait amocher. La vie est cruelle aux chefs : tu en as
souffert dans ton gros coeur, un gros chagrin. « Sous acide, Richard
découvrit que j’étais un vrai salaud qui l’avait envoyé se
faire amocher », confies-tu, à propos de cet incident. Pas besoin
d’acide pour y penser. Mais Richard n’a pas été mutilé pour
rien. Grâce à son épreuve, « j’ai senti que je n’étais plus
un chef ». Non-violent habité de désirs violents, poète des
bureaucraties, orateur des intentions vides, tu es un anti-chef hanté
d’autoritarisme et de « magouilles ».
As-tu, comme tu le prétends, vu « la révolution dans tous les
nouveaux mouvements, le rock, les jeunes, la libération sexuelle, le
MLF, les communautés, les pédés, l’écologie » ?
En
fait, tu as suivi le mouvement ; des homosexuels, tu dis ailleurs
(interview à Gais pour les libertés) : « J’ai une
vieille histoire avec eux, au moment de Vive la révolution. […]
Cette époque m’a beaucoup frappé, et c’est une histoire avec
moi-même », et tu précises dans Actuel : « J’étais
contre l’adhésion d’Hocquenghem à Vive la révolution, et il
est rentré » (subtilité de l’image : comme dans du beurre). «
Le mouvement pédé m’en a fichu un coup. […] J’étais
méditerranéen, un peu homo refoulé en plus… » Architecte
refoulé, martyre refoulé, homo refoulé, tout est refoulé chez
toi, même ce prétendu « lyrisme » qui ne trouve pas ses mots,
sauf l’habileté manoeuvrière. Lyrique, cette vue de l’avenir ?
« Si les Français ont tellement envie de jardins, pourquoi ne se
mettent-ils pas en tête d’acquérir une résidence secondaire ? Au
moins deux pour tous !
C’est
comme ça que je vois, et que je voudrais l’avenir. » (Actuel)
De la banlieue partout, ce qui d’ailleurs se fait déjà de
soi-même, voilà ta plus folle vision. « On n’aura jamais deux
fois une occase pareille à l’âge de la maturité », disais-tu
pour justifier ton ralliement à l’État. Magouilles et occases : «
Roland Castro est parti à la chasse au tout-État avec pour arme son
baratin », dit Actuel. Et de préciser que pour te remercier
de ton poème, écrit le soir du 10 mai et offert à Mitterrand,
celui-ci t’invita à déjeuner. Lyrisme bedonnant et jdanovien !
Citons ledit « poème » : « Faire des oeuvres, créer, travailler
avec joie [!], liquider le cynisme, [toujours la “liquidation” de
l’adversaire] en finir avec la façon grincheuse de dire et la
façon morbide de ricaner, c’est la fin des minorités agissantes.
Arrive
une nouvelle démocratie, chacun dans son métier va construire le
changement. » Pourquoi pas chacun dans sa corporation, comme au
temps de Vichy ? On comprend que le président, autrefois décoré de
la francisque, ait été saisi par la beauté
de ton anacoluthe et t’ait à l’instant invité à
partager son magret-poivre-vert. « Quand Roland s’y met, il a
juste deux ou trois complices dans les ministères, […] ses vieux
copains de 68 », écrivait Bizot. Ta lourde « fantaisie » c’est
de la poésie d’État, et ta « genérosité » du calcul
magouillard. Il faudrait être fou pour être réaliste, te plains-tu
dans une autre interview (à Gais pour les libertés) ; et, en
te désolant qu’en ce pays de sages utopistes la gauche soit
assimilée « à une tradition de résistance, d’insurrection »,
tu exigeais une véritable « culture de gouvernement ». Toute
poésie est dans la collaboration. Et tu racontais : « Au dernier
colloque du PS, sur l’école, Chevènement a parlé de culture de
gouvernement, nous n’étions que trois à applaudir dans la salle.
»
Trop
réac même pour les socialistes. Comme disait Bizot : « J’adore :
Roland Castro mène seul sa nouvelle version de 68, cette fois au
sein de l’État. » Bénissons ta notoire incompétence, qui ne
t’aura, durant cette période, rien laissé d’autre que des
miettes de pouvoir, toi qui racontes ainsi ta psychanalyse avec Lacan
: «Mon problème, c’est le chef, alors j’y vais de chef à chef.
Lacan est le chef de la psychanalyse » et Mitterrand le chef de
l’État. Heureusement que nous ne vivons ni sous Staline ni sous
Mussolini. Parce que tu irais tout droit proposer tes services, tout
pareil, « de chef à chef ».
P.-S.
Apostille
à Régis Detray
Cher
maître ès renégats, cher aîné en reniement, ce livre n’aurait
pas été complet sans vous. Je profite de ce courrier expédié à
votre grand copain Roland Castro, votre collègue à la cour
élyséenne ; vous avez tant de beaux souvenirs en commun, habillés
de votre romantisme de trench-coat et de son « lyrisme » graisseux,
ou dénudés, mais toujours délicatement
sentimentaux ! « En 1960,
à La Havane, tout coexistait, l’espoir et les bordels »,
confie Roland Castro à Radio Nova. « On arrive comme ça, à trois
dans un bordel, et une fille vachement belle [lyrisme !] qui
s’appelle Laetitia nous dit : Vous trois, c’est pour moi ! Je
crois que c’est Régis qui est passé le premier. » Vous avez dû
vous en taper, hein, des chaudes-pisses au rhum, quand vous mettiez
tout en commun, communisme des nanas ! Partageant le même lit et la
même pute, vous fûtes concubins.
Assurément,
un gros plouc comme Roland Castro, vous, le fils de famille à la
moustache ténébreuse, le théoricien guérillero des beaux
quartiers, le guévariste venu du 16e arrondissement, vous n’aviez
aucune peine à l’impressionner. Toute première place se mérite,
même en reniement ; et vous l’avez payé, votre trône de renégat,
d’années de prison à Camiri, lors de ce triste épisode qui
permit aux militaires anti-castristes de retrouver Guevara en suivant
vos traces. Petit Poucet apprenti révolutionnaire ! Ils n’eurent
qu’à ramasser les indices dans la jungle pour vous retrouver,
peut-être les bouts dorés des anglaises expédiées par votre mère.
Devîntes-vous
l’instrument de la CIA, ou bien, comme on l’a dit, l’appât
d’un piège habile monté par Fidel Castro pour se débarrasser de
son encombrant rival le Che ? Le fait est qu’en son journal Guevara
ne vous ménage guère. Ridicule ou provocateur, peu importe ; mais
il est établi que, conseiller du Lider avant de l’être du Grand
François, vous portez la poisse ; vous passez à Santiago, et
Allende tombe. Vous accompagnez le Che, il meurt. Constant en votre
rôle de père Joseph de mauvais augure, ou de naïf qui se prend
pour l’oreille du chef, vous n’avez changé que de patrons.
Mais
ne pleurons pas sur Guevara. Après votre sacre, qu’il paya de sa
vie, vous devîntes mitterrandiste. « Vous avez fait le tour du
monde et de la révolution, et même de la révolution dans la
révolution. Des hommes se sont fait massacrer, vos écrits à la
main. Les idiots avaient suivi vos conseils
d’expert en guérilla », condense L’Express
(octobre 1982).
Et ç’aura été pour écrire, le 26 janvier, à propos de
Mitterrand, sous le titre « Le temps du respect » : « De Gaulle,
aujourd’hui, c’est Mitterrand. […] Je choisis le respect.» (Le
mot est quatre fois répété.) « Respect : contrainte acceptée »,
dit le Robert. Vous ajoutiez : « Si telle est la contrainte, je
l’accepte, je la veux, j’en suis fier. » Jusqu’à défendre
bec et ongles la force de frappe à Mururoa.
Fier
de votre livrée. « À croire, décidément, que la Révolution est
une école de respect pour les chefs et de mépris pour le peuple »,
note avec justesse Philippe Simonnot dans le même Express.
Docteur en reconversion, agrégé de retournements, vous avez bien
mérité la chaire de Reniement ; et même si pour un temps vous «
pantouflez » dans quelque haute administration, trou préparé pour
vous par la prévoyance mitterrandienne, c’est pour mieux nous
préparer un nouvel avatar, une nouvelle abjuration.
À
une époque, vous pourfendiez les médias et la médiocratie
journalistique. Je me rappelle même ce jour où vous me bourriez le
crâne, Jean-Pierre Ramsay et vous-même, pour me convaincre
d’attaquer à votre place, à la télé, tel rédacteur en chef en
l’accusant de l’assassinat de Henri Curiel. Ce que je fis
d’ailleurs, tout en ignorant le dossier. Vous m’aviez gentiment
envoyé au casse-gueule ; c’est chez vous une manie d’intoxiquer
les jeunes idéalistes. Mais votre idéalisme à vous a ses brides ;
le pourfendeur des compromissions intellectuelles, du réseau
pouvoir-culture, du temps que vous étiez dans l’opposition, était
devenu « chargé de mission auprès du secrétariat général de la
présidence de la République » sous Mitterrand Ier. Et surtout
l’ex-Don Quichotte s’est fait sergent recruteur d’intellectuels
à la botte, poussant le culot jusqu’à reprocher à Foucault
d’avoir refusé un poste officiel – conseiller culturel aux USA –
que vous lui aviez proposé. Et vous écriviez à ce propos,
dans
Le Monde (juillet 1983) : « Les intellectuels français ne
veulent avoir aucun rapport avec l’État, car l’État est
le mauvais objet, pour reprendre une expression maurrassienne.»
Qui n’est pas à vendre au pouvoir est maurrassien. Anar = extrême
droite. On connaît l’équation.
Que
l’ex-tiers-mondiste à revolver à bouchons se fasse l’apôtre du
réarmement européen (Les Empires contre l’Europe) comme un
vulgaire adepte de la Nouvelle Droite ne m’a même plus étonné.
Ce virus renégat, que vous avez dû attraper dans les bordels de La
Havane, vous l’avez transmis à ma génération ; vous êtes notre
aîné, mais votre maladie, hélas, est la nôtre.
Illustrations via :
www.archyves.net/
NOTES
[1]
Libération, janvier 1986.
*
Roland Castro, a été notamment le créateur de la revue
“TOUT”.
par
Benoît Sabatier
Technikart
| Avril 2002
En 1970, juste avant l’apparition de Tout !, la presse gauchiste provoque déjà des remous. Avant 68, il y avait Clarté, journal de l’Union des étudiants communistes où écrivent Serge July et Jean Shalit (le rédacteur en chef). Ce dernier se fait exclure du Parti communiste français. Il crée alors Action en mai 1968. Guy Hocqenghem, futur rédacteur à Tout !, est de l’aventure, publiant dès le n° 1 le manifeste « Pourquoi nous nous battons ». Quotidien ou hebdomadaire, Action tient jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Pompidou. C’est la Cause du peuple, issu de la défunte Union de la Jeunesse Communiste Marxiste-Léniniste, où traîne Roland Castro (futur créateur de Tout !), qui prend la suite. Jean-Paul Sartre (futur « directeur de la publication » de Tout !) apporte son soutien à ce journal qui ne va pas faire dans la guimauve. La ligne : calquée sur l’idéologie de la Gauche Prolétarienne (GP), une organisation musclée qui voit « dans la révolution culturelle chinoise le modèle d’une révolution permanente ». C’est-à-dire, dixit Roland Castro, « faire bouffer leurs couilles aux patrons ». La Cause du peuple est saisi en mars 1970, la Gauche prolétarienne dissoute le 27 mai.
Parallèlement, Siné a fondé Enragé, Jean-Edern Hallier l’Idiot international (dont le « directeur de la publication » est… Sartre), Cavanna démarre Hara-Kiri hebdo, et Jean-François Bizot va bientôt lancer Actuel. Car malgré Louis de Funès et le Gendarme en balade, la France gronde. En janvier et mars 1970 ont lieu des incidents à l’université de Nanterre (plus de cent blessés). En février, des grèves paralysent la SNCF. En mars, manifs de camionneurs et de commerçants. Le 1<+>er mai 1970 a lieu le premier défilé syndical unitaire depuis 1947. Une semaine plus tard, un commando maoïste distribue dans des bidonvilles de la nourriture chouravée chez Fauchon. Suite au procès des boss de la Cause du peuple, Le Dantec et Le Bris, ont lieu des échauffourées.Sartre, un cache-sexe pratique
Roland Castro participe activement à ces remous : « Je suis alors à VLR, Vive La Révolution. On a fait une revue, un numéro unique qui était plutôt un manifeste. Monter Tout ! devenait ensuite une évidence. L’idée, c’était d’être moins dogmatique que La cause du peuple. Mao, oui, en reprenant le concept de révolution culturelle, mais dans un élan “spontané” : on nous appelait les Mao-Spontex. On adoptait une grille de lecture différente de l’individu plus que du collectif. On fédérait ainsi beaucoup d’étudiants issus des Beaux-arts, ce qui s’est ressenti dans la ligne de Tout !. »
Le slogan du journal – « Ce que nous voulons : tout ! » – est piqué aux ouvriers italiens de Turin, parmi lesquels de futurs Brigades Rouges. Guy Hocquenghem, Tino Grumbach, Jacques Bardat et Jean-Paul Dollé participent au lancement. Ainsi que Michel Chemin, alors ouvrier à Flins : « Je ne faisais pas directement partie de VLR. Tout ! était ouvert, c’était d’ailleurs sa caractéristique : ne pas prôner une ligne idéologique rigide, développer un côté anar, car on pressentait l’impasse vers laquelle se dirigeait le gauchisme. »
Le n° 1 sort le 23 septembre 1970. Huit pages. Périodicité : « Quinzomadaire ». Tirage : « 30 000 exemplaires. On atteindra ensuite les 80 000 », selon Castro. Mouais… Jean-Paul Sartre explique son soutien : « La classe dirigeante a l’intention de supprimer rapidement toute presse révolutionnaire. Pour mieux frapper ceux qui la contestent, la bourgeoisie n’hésite pas à violer ses propres lois ; il y a donc un combat politique à mener d’urgence à ce niveau. » Décryptage de Castro : « Sartre servait de cache-sexe. Le pouvoir n’osait pas l’inculper, on l’utilisait comme bouclier. »
« Nous ne sommes pas contre les vieux, nous sommes contre ce qui les a fait vieillir ! » (Richard Deshayes).
Se débarrasser du gauchisme
Dans ces conditions, les journalistes de Tout ! peuvent s’en donner à cœur joie. L’orientation : disons entre la Cause du peuple et Actuel. Du gauchisme légèrement pop, anar ultragauche, mao libertaire. Au contraire d’Actuel, illico branché fumette-BD-rock, « Nous ne voulions pas faire le deuil du politique, ne traiter que de mœurs ou de culture, explique Castro, nous voulions toujours changer la société. » Michel Chemin : « On avait conscience que le gauchisme, c’était fini. On essayait d’inventer d’autre chose. » Les sujets : « Si ça continue, faudra que ça cesse ! » (à propos du travail à la chaîne), un reportage sur les Young Lords (l’organisation de libération des Portoricains aux Etats-Unis), « Le ministre du Black Panther Party défend les homos et les femmes pour leur libération », « Le mouvement pop ne se recopie pas », « Combler le fossé entre gauchistes et France sauvage », « Mai 68 = Woodstock ? », « Les yippies parlent », etc.
Le courrier des lecteurs s’enflamme : « Monsieur Sartre, vous exécrez les bourgeois décadents, mais vous en êtes ! », côtoie « Enlevez un ministre ». Michel Chemin : « Les répercussions étaient bonnes. A la suite de papiers sur la situation aux Etats-Unis, on a fait venir des Black Panthers à Paris. On faisait parler de nous car notre démarche sortait du strict cadre militant. » Dans le n° 7 (10 janvier 1971), l’article « Pour faire la révolution : il va bien falloir se débarrasser du gauchisme » (« Le gauchisme crève d’être gauchiste, c’est-à-dire marginal, simpliste, anachronique… Ne perdez plus votre temps à faire des tracts ! ») provoque un sacré séisme. Suite dans le n° 8 des articles prodrogue, puis dans le 9, le manifeste de Richard Deshayes, du Front de Libération de la Jeunesse : « Nous ne sommes pas contre les vieux, nous sommes contre ce qui les a fait vieillir ! » C’est la porte ouverte à toutes les fenêtres : passées les bornes, y a plus de limite. Un nouveau cap est franchi avec le n° 12. Sous l’impulsion de Guy Hocquenghem, Tout ! passe entre les mains du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) et du MLF. Proposition appétissante et néanmoins révolutionnaire : « Et si tout le monde devenait homosexuel ? Vers l’élargissement sans contrainte du désir. »
TOUT !
Sartre inculpé pour pornographie
Suivant son précepte fondateur (« Ce que nous voulons : tout ! »), le journal réclame : avortement et contraception libres et gratuits, droit à l’homosexualité et à toutes les sexualités, et droit des mineurs à la liberté du désir et à son accomplissement. Et bien sûr le droit à se branler sans honte. Castro : « Nous sommes en 1971.
Ce numéro a fait l’effet d’une bombe. Y compris dans nos sphères : les prolos de VLR se sentaient atteints dans leur virilité, ils étaient furieux. Mais à côté de ça, beaucoup de personnes se sont senties libérées, se déclarant homos et fiers de l’être. J’ai vu des brutes épaisses revendiquer leur féminité ! »
En juillet 1971, après dix-sept numéros et la dissolution de VLR, Castro jette l’éponge : « Avec la montée du FHAR et du MLF, je ne contrôle plus rien. Tout ! était déjà très désorganisé avant le n° 12. Après, ce sera le foutoir total. » Exemple ? Des papiers frôlant l’apologie de la pédophilie : « Que fera-t-on, nous, demain, si un gosse vient se frotter contre nous, nous caresse de partout ? Ne pensez-vous pas qu’il est temps de cesser d’avoir honte de ces désirs et de leur trouver une place ? » Castro : « Oui, c’était n’importe quoi, justifié par le fameux “Il est interdit d’interdire” ».
Le n° 12 vaudra finalement à Jean-Paul Sartre, directeur de la publication, d’être inculpé pour « outrage aux bonnes mœurs et pornographie ». En juin 1971, l’auteur de la Nausée prend la direction du journal Révolution !et fonde le 18 juin, avec Maurice Clavel, l’agence de presse Libération. Le lendemain, il est inculpé de diffamation pour des articles parus dans la Cause du Peuple et Tout !. L’effondrement de ces deux journaux va lui permettre de se consacrer plus activement à la sortie du quotidien Libération, dans lequel iront écrire plusieurs ex-Tout ! (Guy Hocquenghem, Michel Chemin, Annette Levy-Villard…). Les autres sombreront dans la dépression, le repli communautaire, la drogue. Ou pire : l’architecture et le communisme.
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