NAPOLI Le mani sulla città




Main basse sur la ville, [Le mani sulla città] réalisé en 1963 par Francesco Rosi, napolitain d'origine, est un film quasi documentaire sur les malversations d’un promoteur/politicien à Naples. Il constitue, aujourd’hui, un précieux témoignage sur les modalités d’actions des spéculateurs, le processus de corruption des administrations et un aperçu de la vie des habitants pauvres et riches de Napoli. Il est également un témoignage de l’engagement des intellectuels contre le système politique. Le mani sulla città est devenu une référence et une expression courante en Italie pour dénoncer les malversations de la spéculation et du monde politique. 







Dans ce film, la ville martyr est omniprésente pour dénoncer la corruption et l’absence de responsabilité morale des politiciens. Mais Rosi, plus ou moins affilié au parti Communiste, critique également la crédulité des citoyens qui élisent à chaque élection les candidats de la Démocratie-chrétienne [Droite].  Ainsi, le conseiller communiste De Vita dénonce avec véhémence les agissements de ses adversaires, mais aussi le vote des ouvriers napolitains ; dans une scène, De Vita pris à parti par les habitants expulsés, leur répond : « Il faut vous en prendre à vous-mêmes. Vous avez donné vos voix à ces gars-là et voila ce que vous y avez gagné. Vous ne comprenez pas ? C’est vous qui leur donnez la force de faire ce qu’ils veulent. Qu’est ce qu’ils ont fait pour vous ? Vous êtes éternellement des mal-logés, ils vont vous tirer d’un taudis pour vous mettre dans un taudis encore pire. Ils vous enlèvent même la possibilité de travailler. » Rosi crittique également une particularité du peuple italien qui est de donner son vote à celui qui l’aide, pour obtenir un logement, un emploi, ou plus simplement, de l’argent. C’est par ses moyens que Nottola le promoteur-politicien peut prétendre être réélu adjoint au maire, en distribuant généreusement à ces concitoyens des précieux avantages. Le générique de fin est explicite « Les personnages et les faits narrés sont fictifs alors que sont réels le climat social et le milieu qui les ont produits ». 





Le film est une véritable tribune contre la Démocratie-chrétienne (le parti politique de Nottola n’est pas nommé, mais le spectateur s’en doute) et les partis politiques du centre gauche, faisant alliance avec Nottola à la fin du film. Rosi, dans une interview, estimait que des hommes comme Nottola étaient peut-être nécessaire pour moderniser la ville et améliorer les conditions de vie des populations pauvres. Ce n'est tant l'enrichissement du promoteur qu'il critique, que les moyens politiques, le jeu d'alliances et leur mépris pour les habitants. Car en effet, en 1963, la crise du logement en Italie était à son apogée : les bidonvilles cernaient la plupart des grandes villes, les centres historiques dont notamment celui de Naples, étaient devenus de véritables taudis, surpeuplés, non équipés pour recevoir autant d'habitants. A Naples, le choléra fera des ravages jusque dans les années 1980. Rosi estimait que Nottola représentait le bien et le mal : le bien comme entrepreneur pour son intelligence, son dynamisme et sa capacité d'action, le mal comme politicien par les moyens utilisés pour parvenir à ses fins. De Vita ne condamne pas les buts poursuivis par Nottola mais souhaite que les édifices soient bâtis selon les lois, le respect des habitants et non selon l'intérêt des puissants. La scène de confrontation entre De Vita et Nottola est à ce sujet ambigu : dans un appartement neuf qui surplombe les taudis du centre ville, Nottola affirme qu'il agit pour le bien de la communauté et des plus pauvres, en démolissant ces lieux de misère et de maladies pour bâtir la ville moderne et salubre. 


En 1995, Rosi déclarait à propos de ces films : "Avec mes films, j’ai cherché avant tout à comprendre mon pays et à le raconter à travers un instrument, le cinéma qui, parmi les moyens de communication et de connaissance dont nous disposons, est celui qui nous permet, dans les ombres qui prennent vie sur l’écran, de reconnaître nos espoirs, nos échecs et nos victoires, d’accentuer nos doutes et de réfléchir à la façon de transformer ces doutes en force pour la conquête du mieux par le moyen de la raison. J’ai toujours cru en la fonction du cinéma en tant que dénonciateur et témoin de la réalité, et en tant que support d’histoires dans lesquelles les enfants puissent connaître leur pères et en tirer un enseignement afin de se former un jugement dont l’Histoire serait la référence. Le cinéma est Histoire et en tant que tel il devrait devenir dans toutes les écoles du monde un complément indispensable de l’enseignement”. Pour autant Francesco Rosi contestait l’idée que ses films soient vus comme un cinéma documentaire :Ce n’était pas du cinéma documentaire, bien que scrupuleusement documenté dans le but de restituer la vérité et de faire renaître les émotions vraies d’une mémoire inapaisée."




Dans les années 1970, le film projeté dans les cinémas de quartier servait de support aux organisations politiques de la Gauche extraparlementaire pour des débats et des rencontres avec les habitants : ce chef d’oeuvre devenu outil pédagogique participait pleinement à la propagande des mouvements politiques dans le cadre des luttes urbaines. La même année le film Processo alla città, [Procès à la ville] de Luigi Zampa, évoque les malversations de la Mafia, associée ici aux politiciens, et ses implications/imbrications à Naples et ses conséquences sur les injustices sociales et urbaines.


Quelques années plus tard, le peuple napolitain élira une municipalité communiste. Qui tentera de "réparer" l'urbanisme destructeur de vingt années de dictature et de trente années de corruption, de spéculation. 


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