« Non ! le présent ne songe qu'à lui.
Il se moque de l'avenir aussi bien que du passé. Il exploite les débris de l'un et veut exploiter l'autre par anticipation. Il dit : ''Après moi le déluge !’' ou, s'il ne le dit pas, il le pense et agit en conséquence. Ménage-t-on les trésors amassés par la nature, trésors qui ne sont point inépuisables et ne se reproduiront pas ? On fait de la houille un odieux gaspillage, sous prétexte de gisements inconnus, réserve de l'avenir. On extermine la baleine, ressource puissante, qui va disparaître, perdue pour nos descendants. Le présent saccage et détruit au hasard, pour ses besoins ou ses caprices .»
Auguste BLANQUI
La critique sociale
1885
Le présent ouvrage est une chronologie sommaire de l’histoire des rapports entre l’Homme, la Ville et la Nature en France, pour cette large période débutant de la construction de Versailles - ville neuve verte - qui appartient pleinement à la doctrine anti-urbaine, pour se clore avec le gouvernement de Pétain, allié des nazis, également urbaphobes - et urbicides, sur le modèle irréel de Mussolini, précurseur moderne de l’anti-urbanisme autoritaire. D’aucun pourront considérer qu’il est d’une ambition démesurée ; mais, plus modestement, et de manière plus pragmatique, fidèles en ce sens au bricolage inter-trans-disciplinaire que nous avons déjà éprouvé, cette esquisse a été conçue selon les propos de Fustel de Coulanges :
« À en croire certains esprits, il faut borner le travail à un point particulier, à une ville, à un événement… J’appellerai cette méthode le spécialisme. Elle a son mérite et son utilité, elle peut réunir sur chaque point des renseignements nombreux et sûrs. Mais est-ce bien là le tout de la science ? Supposez cent spécialistes se partageant par lots le passé de la France ; croyez-vous qu’à la fin ils auront fait l’histoire de la France ? J’en doute beaucoup : il leur manquera au moins le lien des faits, or ce lien est aussi une vérité historique. » (L’esprit de doute, le spécialisme. Leçon d’ouverture à la Sorbonne).
Un des
liens les plus remarquables qui émerge et qui marque cette longue
période, est la doctrine anti-urbaine, déclinée sous sa forme la
plus radicale en utopies, ou avec plus de modération ou de réalisme
en idéologies. L’anti-urbanisme n’est pas une critique contre la
ville, mais bien contre leur développement sans fin, leur
gigantisme, c’est une remise en cause radicale du fait urbain en
tant que tel, et surtout, des relations dépravées, dénaturées
entre la trilogie Ville-Homme-Nature ; c’est une proposition
alternative au développement urbain non maitrisé, une proposition
d’harmonie ou d’équilibre entre Nature et Urbanité, d’une
ville autre dotée d’une physionomie autre: lorsque Ebenezer Howard
conçoit sa cité-jardin théoriquement habitée par 32.000
habitants, il s’agit bien là d’une ville - une cité - à part
entière.
D’où
la difficulté de rendre définissable et d’utiliser à bon escient
le mot, ou plutôt la notion d’anti-urbanisme et ses dérivés :
l’urbanophobie (ou urbaphobie), le désurbanisme, l’anti-croissance
(no growth) ou la dé-croissance, la ruralophilie, le naturalisme
urbain, la déconcentration urbaine, etc., et dans une moindre mesure
l’agoraphobie, et dans un autre registre, l’urbicide et
l’écocide. Il serait même possible de le définir dans certains
cas, en tant qu’ « urbanisme organique », en référence à
l’architecture du même nom - opposée à l’architecture dite
fonctionnelle -, pour qui la Nature n’est plus seulement un objet
de connaissance, ou bien de modèles, mais de responsabilité, et qui
se veut d’être à la mesure humaine avant d’être humaniste.
Quantité Qualité
Anti-urbanisme,
sous ce nom - qui ne figure pas dans les dictionnaires - s’accumule
une somme d’expériences historiques plus que ne se profile la
rigueur d’un concept unique. Elles ne forment pas un corps
doctrinal qui relèverait de telle ou telle méthode, de telle ou
telle discipline spécialisée : la philosophie, la politique et
l’économie politique, l’écologie, la sociologie, l’urbanisme,
l’architecture, etc., tout autant que la morale et la religion ;
mais l’un de leur principe commun appelle à une harmonie entre les
hommes d’une même cité, et d’autres cités soeurs, et un juste
équilibre avec leur environnement naturel : pour y parvenir, les
cités anti-urbaines (sic), à divers degrés, entendent établir une
limitation stricte du nombre d’habitants. La doctrine de
l’anti-urbanisme prend donc comme postulat que l’homme n’est
plus maître du dessin et du destin d’une ville, des habitants et
de son environnement, au-delà d’un certain seuil d’habitants
propriétaires ; le problème est éludé par la déconcentration en
bâtissant d’autres cités lointaines qui doivent former ensemble
un réseau solidaire ; et à la gestion parfaite de la démographie
urbaine, s’ajoute pour nombre d’utopies anti-urbaines, la
solution préconisée pour certaines, la condition sine qua none pour
d’autres : la complète maîtrise des sols par une autorité
supérieure, morale, éthique ou politique. C’est une théorie de
l’équilibre qui construit les cités idéales : le rapport
Quantité Qualité, où l’on tient pour acquis qu’elles sont des
entités proportionnelles ou relatives entre elles. L’historien
Giulio Carlo Argan affirmait :
« La
relation - autrefois proportionnelle, aujourd’hui antithétique -
entre quantité et qualité est à la racine de toute la
problématique urbanistique occidentale.» (De Storia dell’arte
come storia della città, 1983).
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