Photo couverture : David Goldblatt
L’apartheid
est un crime contre l’humanité.
Nelson
Mandela
La
France est considérée comme le seul véritable soutien de l’Afrique
du Sud parmi les grands pays occidentaux. Non seulement elle lui
fournit l’essentiel des armements nécessaires à sa défense, mais
elle s’est montrée bienveillante, sinon un allié, dans les débats
et les votes des organisations internationales.
Centre
Français du Commerce Extérieur, 1975.
L’apartheid
(littéralement développement séparé) n’est pas né du jour au
lendemain, c’est l’héritage et la continuation d’une
ségrégation pragmatique élaborée depuis la colonisation en 1652 ; c’est l’aboutissement, ou plutôt une phase d’un long
processus alternant des périodes de guerre et de paix, d’entre-deux,
au gré des événements internationaux, des crises économiques et
de la prospérité nationales. Le “système”, autre nom de
l’apartheid, n’invente presque rien, ses architectes reprennent
stricto sensu les techniques, les méthodes et les lois des décennies
le précédant, mais ils les radicalisent, ils les modernisent et les
adaptent à leur époque, et les imposent autoritairement aux
gouvernements provinciaux, aux City Councils qui jadis soit
rechignaient à les appliquer, soit, plus souvent, n’en n’avaient
pas les moyens ; pour y parvenir les immenses richesses minières de
l’Afrique-du-Sud serviront ainsi à financer la séparation des
races autant dans les consciences des masses que dans les espaces
public et privé.
En réponse au péril noir, la dictature pseudo-démocratique devait assurer à chaque instant et dans chaque lieu, même le plus reculé du pays, une sécurité totale, un risque zéro, pour les populations d’origine européenne et leurs alliés Africains. L’aménagement du territoire, l’urbanisme et l’architecture ont ainsi été mis à contribution pour assurer cet enjeu premier, de sécuriser et de défendre le territoire, dans le cadre d’un apartheid social engineering s’appuyant sur un appareil et une stratégie militaires intervenant dans la vie quotidienne de chaque citoyen de la société civile.
Diviser
pour mieux régner : jamais cet adage n’a été aussi bien appliqué
qu’en Afrique du Sud par l’administration britannique puis de
l‘apartheid ; favorisant au mieux les tensions ancestrales entre
les tribus africaines, et entre les Africains, les métis et les
Indiens, en élevant des barrières étanches - plus ou moins
naturelles - entre les syndicats d’ouvriers d’origine européenne
et africaine, en privilégiant l’opposition des classes sociales
africaines, accordant des privilèges aux familles royales et
princières, en émancipant la bourgeoisie éduquée, soucieuse,
donc, de se démarquer des classes les plus humbles, et surtout, en
facilitant les dissensions entre les urbains nés en ville - le
prolétariat - et les ruraux venant s’y installer - le
sous-prolétariat -; ce à quoi s’ajoutent, les propres désunions
politiques de l’ennemi, entre l’African National Congress, le Pan
African Congress, le Parti communiste et les syndicats dont l’un
des plus puissants, l’Industrial and Commercial Workers’ Union.
A
l’inverse, les architectes de l’apartheid auront cette mission
d’unifier toutes les composantes sud-africaines d’origine
européenne, toutes ces classes sociales - y compris indigentes -
pour former un Peuple uni et soudé, sous cet adage populiste : «
C'est eux ou nous » : soit l'organisation d'un monde manichéiste,
d'un monde compartimenté.
L’apartheid
est un crime contre l’humanité, affirmait Mandela. Pour les
penseurs marxistes, c’est aussi, et surtout, le stade ultime et
final du capitalisme moderne, dont tout l’enjeu est d’asservir
les populations ouvrières, considérées dans cette société comme,
tout simplement, des esclaves, et traitées en conséquence ;
certains auteurs Sud-Africains estiment même que l’originel modèle
du compound - cités-casernes ouvrières closes et surveillées - des
industriels des mines de diamants, a ainsi été élargi à
l’ensemble du territoire, faisant du pays un vaste camp de
concentration construit selon les préceptes du panoptisme et de la
paranoïa ; c’est-à-dire, une utopie. Car en réalité,
l’apartheid théorisé n’a jamais été appliqué, tout du moins,
n’a pas réussi à imposer ses lois et limites : la résistance des
non-Européens conjuguera - pour cette période d’avant la guerre
civile - désobéissance civile, longs boycotts, manifestations et
illégalité qui s’observa en particulier dans les villes : contre
toute attente, des millions d’Africains assignés à demeure dans
leurs homelands, braveront les lois, au mépris de la police et des
milices pour venir s’y installer sans autorisation : l’apartheid
sera incapable d’y faire face.
L’URBANISME DE LA
SEGREGATION
Précédant
l’urbanisme de l’apartheid, les planificateurs anglais de la fin
du 19e siècle s’attaquaient en Afrique du Sud au développement
exponentiel des villes, confrontés en cela aux intérêts de la
grande industrie, que ce soient dans les villes minières ou les
grands ports qui exigeait une main d’oeuvre toujours plus nombreuse
et si possible proche de ses centres de production. Certes, cet
urbanisme de la ségrégation était déjà bien établi qui a
conduit à une
urbanisation
séparée des populations africaines : en 1855 à Port
Elizabeth, en 1856 à Grahamstown, en 1873 à Worcester, en 1879 à
Queenstown, etc., pour ne citer que quelques villes, qui avaient
délimité des terrains réservés à la résidence des indigènes
(Natives), les premiers Townships périphériques. Mais les
frontières étaient encore très poreuses, dans les villes mêmes
subsistaient les Native Locations plus ou moins homogènes par la
race où habitaient Africains, Indiens, Métis, et des quartiers tout
à fait mixte où cohabitaient des Blancs. De même, la classe
indigène était soumise à différents traitements selon qu’elle
appartienne à l’une de ces trois catégories :
. [the temporary or migratory], les temporaires ou migrants, principalement les ruraux venant s’établir en ville, habitants des bidonvilles et des taudis urbains ;
. [the permanent or settled], les permanents ou établis, concernant la petite bourgeoisie, l’aristocratie ouvrière, disposant d’un salaire régulier ;
. [the educated or superior Natives], les éduqués ou supérieurs, concernant l’élite, la frange occidentalisée et embourgeoisée africaine et métis, et la noblesse - familles royale et princière. Les plus corrompus étaient traités d’« Anglais noirs » par dérision.
Ainsi
le capitalisme sud-africain pré-apartheid ne s’embarrassait pas
de la couleur de la peau ; la classe bourgeoise africaine, issue en
grande partie des familles royale et princières jadis en guerre
contre les colons, cette nouvelle classe éduquée au sein des
institutions religieuses, renonce à la guerre et se préoccupe
désormais de politique, comme le souligne André Odendaal :
« Dans les années 1880, à une époque qui coïncide approximativement avec la fin de la résistance militaire, une augmentation considérable de l’activité politique africaine eut lieu. Les inscriptions sur les listes électorales s’accélérèrent, les Africains commencèrent à fonder des organisations, politiques ou autres, un journal africain fut lancé et l’on assista à la montée en puissance de la première génération de responsables politiques africains non tribaux. La population de cette nouvelle classe instruite augmenta au point que ces Africains furent identifiés comme une nouvelle couche sociale distincte et bien définie.» (Vukani Bantu ! : The Beginnings of Black Protest Politics in South Africa to 1912, 1984).
A
l’opposé, la pauvreté “Blanche” existait bien : le nombre de
pauvres Blancs était estimé avant la seconde guerre mondiale entre
200.000 à 300.000, la plupart anciens fermiers Boers ruinés par la
guerre ou une période de sécheresse trop longue, la peste bovine et
le phylloxéra, par l’industrialisation de l’agriculture, ayant
rejoint les villes à la recherche d’un emploi, et Européens
immigrés, à la faveur d’une crise économique, d’une faillite.
Bien souvent, ils allaient s'installer dans les mêmes taudis des
grandes villes que les Africains, métis et Indiens. Marc-Antoine
Pérouse de Montclos dresse ainsi le portrait de ce sous-prolétariat
:
« Les taudis du centre-ville comptent aussi bien des Africains que des Indiens et des Afrikaners ; la misère est leur lot commun et ils vivent qui de la domesticité, qui de la fabrique de briques, qui du secteur des transports, qui de la prostitution.»
Philippe
Guillaume rapporte cet article du Transvaal Leader, daté du 6
février 1915, à propos des quartiers centraux de la métropole :
« Ces cours ressemblent à des terriers de lapins d’où partent un labyrinthe de passages, repaire du criminel, de l’indigène sans pass, du tire-au-flanc. Il y a des cours où Indiens, Malais, Blancs et Kaffirs s’entassent dans la promiscuité. Il y a des maisons, jadis demeures des Blancs de la classe supérieure, qui sont aujourd’hui abandonnées à la lie d’une population mélangée. Je me souviens encore d’avoir monté les escaliers de cette maison de Marshall Street et trouver un Blanc, une Noire, un mouton et une chèvre vivant ensemble dans la chambre du haut. »
Les
diamants de Kimberley
La
découverte en 1860 d’un fabuleux gisement de diamants à Kimberley
suscita une formidable ruée vers le diamant de prospecteurs,
d’aventuriers, de nouveaux émigrés venus de l’Europe, et de la
frange défavorisée des communautés blanche et métis du pays, et
enfin d’Africains. Johannesburg, ville champignon est ainsi créée
du jour au lendemain. Les grandes sociétés minières firent venir
d’Europe, en général de Grande-Bretagne, la main-d’oeuvre
qualifiée dont elles avaient besoin ; mais ce salariat européen
constituait une moins value par rapport au salariat indigène moins
exigeant, et une menace potentielle lorsqu’ils s’avisaient
d’organiser des syndicats. Le principal problème était ainsi la
main d’oeuvre : les Africains du pays rechignaient à travailler
dans les mines, qui imposa à leurs dirigeants de recruter une main
d’oeuvre étrangère ; en 1889, 60% des mineurs venaient d’autres
pays, en particulier du Mozambique.
« Dans la province du Cap, le gouvernement est appelé à “scruter l’humanité de la Chine au Pérou” dans l’espoir de de créer et de conserver une classe de main-d’oeuvre bon marché qui accepterait volontiers des travaux serviles sans être troublée par l’ambition déplacée d’améliorer sa condition. »
exprimait
en 1876, John X. Merriman, ministre des Transports publics (Public
Works Department Report on Immigration and Labour Supply).
La
Chamber of Mines (COM), association regroupant les principaux
dirigeants des mines d’Afrique-du-Sud, décida ainsi les autorités
à instaurer une Hut Tax, un impôt concernant les villages ruraux,
destiné à obliger les Africains du pays à travailler aux mines. Un
de ses plus riches membres, Cecil John Rhodes affirmait ainsi :
"You will remove them, the natives, from the life of sloth and laziness, you will teach them the dignity of labour, and make them contribute to the prosperity of the State and give them some good return for our wise and good Government."
Dès
lors, les directeurs des mines pouvaient recruter plus volontiers en
traitant avec les rois, régents, chefs de tribus, pour obtenir
continuellement une main d’oeuvre abondante ; en compensation, ils
pouvaient désigner leurs représentants chargés de surveiller et
d’administrer leurs sujets. Travail harassant, accidents et
conditions de vie pénible, épidémies parfois, faisaient que le
taux de mortalité y était élevé, dangerosité compensée par des
salaires plus élevés que dans d’autres secteurs.
Afin de
s’assurer qu’aucun vol ne soit commis, est inventé le système
des « compounds » ; un camp de travail clos et militairement
surveillé, où devaient vivre les travailleurs des mines pendant
toute la durée de leur contrat. Bâti à proximité immédiate des
mines, le compound regroupe des bâtiments pour les dortoirs, les
cuisines et cantines en commun, regroupant souvent des travailleurs
de la même ethnie, et les commerces offrant les produits nécessaires
pour restreindre les allers et venues extérieures. Leurs familles
n’y étaient pas admises. Le très jeune Nelson Mandela, d’origine
princière, y travailla - refuge contre un mariage forcé qu’il
refuse - et dans ses mémoires, il en faisait la description :
“Une mine d’or n’a rien de magique. Autour, tout est aride et sale, de la boue et pas d’arbres, des clôtures de tous les côtés ; cela ressemble à un champ de bataille ravagé par les combats. Un bruit violent venait de partout : le grincement des monte-charge remontant les équipes, le bruit discordant des marteaux-piqueurs, le grondement lointain de la dynamite, les ordres que l’on aboie. Partout, je voyais des Noirs avec des salopettes poussiéreuses, l’air fatigué et courbant le dos. Ils vivaient sur le carreau de la mine dans des baraques sinistres pour célibataires qui comprenaient des centaines de couchettes en ciment séparées seulement de quelques dizaines de centimètres. [...] La plupart de ces hommes habitaient dans le même « hostel » car normalement les mineurs étaient logés en fonction de leur tribu. Les compagnies minières préféraient une telle ségrégation, car elle empêchait les différents groupes ethniques de s’unir sur une même revendication et renforçait le pouvoir des chefs. Cette séparation entraînait aussi des combats entre groupes et clans ethniques que les compagnies ne décourageaient pas.”
Ce type
de cité ouvrière surveillée se développa à d’autres
industries, à Cape Town, la compagnie des Docks exploitant
l'imposant port bâtira un compound à ce point inhumain, que les
plus anciens dockers Noirs refuseront de s'y installer : ils seront
licenciés par centaines et remplacés.
C’est
ainsi qu’en 1884 à Kimberley, les compagnies minières voulurent
imposer aux mineurs européens le même système du compound : ce
fut la révolte. Les ouvriers organisèrent des piquets de grève.
Des troupes de l’armée ouvrirent le feu sur les grévistes faisant
quatre morts. Mais cela n’empêcha pas la grève de continuer, tant
et si bien que les compagnies durent céder.
Se
développe également l’hostel, un type de caserne destinée aux
ouvriers Africains célibataires, où logent les travailleurs d’une
même compagnie. Il n’y a pas d’Hostel type, des bâtiments
comportant un seul rez-de-chaussée à ceux disposant de plusieurs
étages, la typologie est assez vaste. Mais Le plus souvent, les
résidents dorment en dortoir, parfois séparé par des cloisons
laissant un peu d’intimité à deux résidents, ou bien sur des
lits superposés qui composent les plus vastes et sordides dortoirs.
Pour d’autres, des banquettes de ciment font office de lits sur
lesquelles le résident doit mettre son propre matelas. Pour les
plus humains, le dortoir fait place à une succession de chambres,
d’une surface minimum, partagée par deux résidents. Les
sanitaires et la cuisine sont communs, qui bien sûr, facilitent les
épidémies ; de fait, n’existe aucun espace d’intimité pour les
résidents. La recherche architecturale est là pour renforcer et la
sécurité des gardiens et la surveillance des résidents ; le
panoptisme est le modèle, décliné sous plusieurs formes, et
souvent les hostels sont enclos de murs ou de barbelés. Les familles
des résidents ne peuvent y venir, les prostituées non plus, mais
pour les plus laxistes disposant de chambres, leurs venues sont
possibles, à la merci cependant des raids policiers. Mieux encore,
sous l’apartheid, les hostels étaient considérés par les élites
du régime comme un lieu d’enfermement raréfiant les rapports
sexuels pour ces résidents forçats du célibat et donc comme un
contraceptif devant empêcher l’accroissement d’une population
jugée indésirable. Pourtant, ce sont dans ces hostels, entre autres
lieux de misère, que se formeront à la politique les jeunes
célibataires venant des campagnes, brisant leurs liens étroits
d’une société traditionnelle conservatrice.
Camp de
concentration
L’Etat
britannique dans l’objectif de s’accaparer les riches terres
minières des deux république Boers s’engagea dans deux guerres
successives contre les fermiers Afrikaners (entre 1880 et 1881, puis
de 1899 à 1902) et apparurent les premiers camps modernes de
concentration [1] [à ne pas confondre avec les camps d'extermination
nazis] – laagers en néerlandais - en 1900, conçus par les
stratèges militaires britanniques sur le modèle des camps
d’internement espagnols à Cuba, destinés à enfermer les familles
des guérilleros Boers, afin de les priver d’un soutien primordial
dans la poursuite de la guerre. Avec Cuba, c’est la première fois,
dans l’histoire moderne, qu’une stratégie militaire vise
directement et implicitement des civils non armés.
Ce sont
simplement des campements de tentes, de baraquements sommaires, délimités par cette belle
invention qu’est le fil de fer barbelé permettant avec une
économie de moyens d’enclore de vastes espaces. Plus de 116.000
Boers furent envoyés dans des camps de concentration administrés
dans un premier temps par les militaires, soit à peu près un quart
de la population, auxquels s’ajoutaient encore quelque 120.000
Africains noirs. Il y eut au total 45 camps de tentes construits pour
enfermer ces civils ainsi que 38 autres pour les Natives au service
des Boers, ou habitant les villages des zones de guérilla, villages
d’ailleurs rasés des cartes, comme leurs cultures afin d’affamer
l’ennemi. Un rapport postérieur à la guerre estima à près de
28.000 le nombre de Boers morts dans les camps, dont 22.000 enfants
de moins de 16 ans, victimes notamment d’une épidémie de
rougeole. Selon Annette Becker :
“Les 38 camps pour Africains connaissent des taux de mortalité encore plus forts que les autres, mais l’opinion publique blanche, dans ce cas, ne s’en émeut guère : tout juste sont-ils signalés par les témoins.” (La genèse des camps de concentration, Revue d’Histoire de la Shoah, 2008/2).
L’indignation
- plutôt hypocrite - des pays occidentaux prit rapidement corps et
l’on protesta énergiquement contre ces méthodes barbares ; mais
quelque temps plus tard, les Allemands afin de mater une rébellion
africaine emprunteront ces mêmes méthodes, et iront jusqu’à
décider d’un génocide.
La
situation deviendra d’autant plus difficile pour les Afrikaners des
campagnes, paysans d’un âge passé et révolu en proie après la
guerre qui les a décimé, à l’industrialisation de l’agriculture,
aux grandes fermes employant des dizaines de travailleurs Africains,
profitant des lois et des lois leur accordant des avantages pour
amplifier leur production, des progrès techniques également. De
fait, les familles ruinées qui n’ont pas su ou voulu s’adapter,
n’ont d’autre choix que de rejoindre le sous-prolétariat des
villes. En 1932, une commission est chargée d’enquêter sur The
Poor White Problem in South Africa, qui présente dans son rapport
final des conclusions alarmantes soulignées par une série de
photographies du monde rural blanc évocatrices.
Native
Location
A
l'époque où s'érigent ces premiers camps de
concentration-détention, les villes de la colonie britannique,
avaient, pour la plupart, tenté d'isoler dans des quartiers de ville
plus ou moins bien délimités les populations Indigènes.
En
1855, le City Council de Port Elizabeth décide d’installer les
Africains squattant des terres sur un terrain jouxtant une mission
station de la London Missionary Society, qui d’ailleurs concentrait
déjà un grand nombre d’Africains qu’il s’agissait de
convertir. En 1901 au Cap et en 1904 à Johannesburg, suite à des
épidémies ravageuses, et plus particulièrement les migrants
ruraux, ont l'obligation de résider dans un quartier spécifique, ou
dans des zones d'habitat informel, qui leur sont réservés. De même,
les grandes compagnies logent leurs employés Africains dans des
compounds et des Hostels isolés du reste de la ville.
A Cap
Town, en 1900, 1500 migrant workers travaillant aux Docks étaient
logés dans un compound et 8000 Native Africans habitaient le
quartier District 6, dans des “kaffir haunts” ; un quartier mixte
entre centre ville et port, où co-habitaient à l’origine des
esclaves affranchis, marchands et commerçants, et les immigrants.
Suite à des cas de peste, fût dressé en 1901 le camp d'isolement
sanitaire d'Uitvlugt qui devint en 1902, par décret, une Native
location, le premier véritable township de la ville : Ndabeni,
destiné quasi exclusivement au relogement des Africains dont l’on
soupçonnait que leurs quartiers de taudis étaient le foyer de
l’infection - qu’il convenait de brûler - puis aux migrants
indigènes venant des campagnes souhaitant travailler en ville. Le
camp Ndabeni, tracé au cordeau tel un camp militaire alignait des
baraquements sommaires ; les autorités pensèrent cependant à
l’équiper : au fil du temps, un hôpital, plusieurs églises et un
recreation hall s’y dressaient. Selon la classe sociale, les
planificateurs prévoyaient d’établir les plus aisés - “civilised
Africans”- habitant la ville dans des cottages au sein d’une
garden city verdoyante, et les migrants temporaires - “migratory
Natives” - dans de vastes dortoirs.
Ndabeni
Vue aérienne
1926
Les
déportables s’y opposèrent sérieusement, refusant cette
décision, et l’armée procéda à l’expulsion de ceux et celles
qui ne remplissaient pas les conditions d’habitabilité en ville,
soit près de 1000 personnes habitant District 6. En 1902, la
municipalité étendra cette assignation à résidence à l’ensemble
des Natives de la ville, exceptés les propriétaires de demeure -
concernant la bourgeoisie -, ou de fermes, la masse de serviteurs
habitant chez leurs employeurs-logeurs, les employés municipaux,
etc. Y habitent près de 5000 personnes. Myriam Houssay-Holzschuch
décrit la composition des habitations :
“Le
parc de logements construit à Ndabeni a été insuffisant dès le
départ. Deux types d’habitation étaient prévus :
– Unités
familiales :
– 192
huttes logeant 234 familles (cf. carte 4.4) ;
– 3
dortoirs divisés en en 14 compartiments chacun, ce qui loge 42
autres familles ;
– 24
maisons plus « luxueuses » ou better-class houses.
– Logement
des « célibataires » :
– 400
huttes logeant sept « célibataires » chacune ;
– 10
huttes logeant sept femmes seules chacune ;
– 2
dortoirs logeant chacun 250 personnes ;
– et,
à partir de 1923, 10 tentes d’acier pour loger les habitants
supplémentaires et remplacer les plus dégradées des anciennes
huttes.”
Les
autorités y instaurèrent une stricte et liberticide réglementation
:
• Chaque
résident devait posséder un token, jeton de métal indiquant qu’il
était un résident légal de Uitvlugt. Sans ce jeton, il lui était
interdit de prendre le train au départ de la location.
• Chaque
nouvel arrivant à Uitvlugt devait déclarer sa présence dans les 24
heures au Superintendant.
• Aucune
hutte ou bâtiment ne pouvaient être construits sans une permission
spécial du Secrétaire colonial.
• Agriculture
et jardinage étaient interdits.
• Le
Superintendant et toute personne ayant son autorisation pouvaient
pénétrer dans les baraquements et les logements à n’importe
quelle heure.
• Le
port de sagaies, de casse-têtes ou de toute arme pouvant être
utilisée de façon offensive était prohibé.
• Le
brassage de bière ou de toute autre boisson alcoolisée et leur
consommation était interdit.
• Aucune
femme ne pouvait être présente dans les quartiers destinés aux
travailleurs migrants célibataires.
Au sein
du quartier Ndabeni, y régnait une certaine entente, face à
l’adversité : la ségrégation favorisait au mieux la solidarité
; en 1902, une grève des loyers (rent boycott) est déclarée : 200
habitants sont arrêtés et condamnés. Plus radicaux, certains
exigent le retour en ville - la déportation sanitaire était
provisoire - maintenant que l’épidémie est terminée. La faction
radicale est emmenée par Alfred Mangena, avocat, qui sera l’un des
fondateurs du South African Native National Congress (premier nom de
l’African National Congress en 1912). Mais ce camp clos de barbelés
va connaître un tout autre destin que celui dont rêvait les
planificateurs : à la faveur d’une crise sévère entre 1903 et
1909, et d’un chômage conséquent, leurs habitants incapables de
payer le loyer quittent la Native location, soit pour retourner dans
leur contrée d’origine, soit pour se loger en ville en sous-louant
aux Africains autorisés de résider en ville, une pièce ou l’espace
d’un couchage, soit enfin, en retournant dans leurs maisons
d’origine comme à District 6. Pour ces derniers, les raids de
police sont incapables d’avoir un réel impact à long terme sur le
contrôle de la population noire, d’autant qu’outils législatifs
et moyens policiers manquent. La Native location se repeuple à
partir de 1910 : la fin de la crise autorise l’embauche donc
l’arrivée de migrants ruraux, donc une surpopulation, donc
l’augmentation des loyers en ville. Ndabeni est ainsi rapidement
surpeuplé avec comme conséquence, hausse de la criminalité, des
épidémies de pneumonie et de typhus. Myriam Houssay-Holzschuch
évoquait les réactions :
“Le
ministre de la santé publique (Minister of Public Health), le
secrétaire à la santé publique (Secretary of Public Health) et
l’assistant officier sanitaire (Assistant Health Officer) de
l’Union sud-africaine visitent Ndabeni en mai 1921 :
« [Ils ont trouvé,] dans l’ensemble, les logements très sales et infestés. Toute la location est mal tenue, dégradée, sale et malsaine. On trouve partout les preuves d’une surveillance et d’une supervision inefficaces. »
Un
éditorial du Cape Argus du 25 juin 1921 renchérit :
« La location indigène est surtout un dortoir pour notre maind’oeuvre non qualifiée. C’est son rôle fondamental ; la honte de Ndabeni est son échec à remplir convenablement une tâche aussi simple. »”
L’Union
Sud-Africaine
Huit
ans après la guerre des Boers en 1910, la colonie fut unifiée sous
le nom d’Union-Sud-Africaine, avec un gouvernement siégeant à
Prétoria, un parlement siégeant au Cap. Elle prit la forme d’une
fédération comprenant le Natal, la province du Cap, l’État libre
d’Orange et le Transvaal. La colonie reçut le statut de dominion,
c’est-à-dire qu’elle disposa d’une très grande autonomie. En
fait, la fondation de l’Union-Sud-Africaine, la réconciliation
entre la Grande-Bretagne et une fraction des dirigeants boers
correspondait aussi à une alliance de classe que l’on a nommée,
de façon imagée, « l’alliance de l’or et du maïs » : celle
des classes dirigeantes boers, c’est-à-dire en fait les secteurs
capitalistes de l’agriculture sud-africaine avec le grand capital
impérialiste de la puissance coloniale, l’Angleterre. De plus en
plus d’ailleurs, à la différence de ce qui se passait dans les
autres colonies, ce grand capital impérialiste tendit à réinvestir
sur place et à devenir en fait un capital sud-africain. Sous la
poigne de ces deux classes qui progressivement n’en firent plus
qu’une, le nouvel État accéléra l’entrée de l’Afrique du
Sud dans l’ère capitaliste. Se formèrent ainsi les deux clans
antagonistes : en 1912, est fondé par les bourgeois Noirs, l’African
National Congress, parti anti-apartheid, partisan de la non violence,
membre de l'Internationale socialiste ; et en 1918, l'Afrikaner
Broederbond (Ligue des frères afrikaners) naît à Johannesburg avec
pour objectif de défendre et promouvoir les Afrikaners au détriment
des indigènes.
NATIVES
LAND ACT
C’est
une loi infâme qui marque prépare - où débute - l’apartheid en
Afrique du Sud : le Natives Land Act de 1913, la « loi sur les
terres indigènes » restreint l’accès des Africains à la
propriété foncière, limité à des réserves, les « scheduled
native areas » qui constituaient 7,3 % de la superficie de toute
l’Union-Sud-Africaine (pourcentage qui fut porté en 1936 à 12,7
%). Les discriminations frappaient aussi, avec certaines
particularités, les quelque 500.000 métis et les 150.000 Indiens,
défendus par les plus audacieux par Gandhi qui exerça sa profession
d’avocat en Afrique du Sud (de 1893 à 1915). Soit 7% du
territoire, pour les Africains formant 67% de la population totale du
pays ! Les objectifs de cette loi étaient multiples, certes priver
les Africains d’un droit au sol et s’accaparer les terres les
plus fertiles ou riches en minerais, mais plus que cela, il
s’agissait de fournir un contingent ouvrier, l’armée de réserve,
qu’exigeait le monde industriel britannique des villes ainsi que
les grandes exploitations agricoles des Afrikaners. En effet,
interdits et privés de terre, les fermiers Africains n’avaient
d’autres choix que l’exil vers les villes ou les fermes boers,
sachant que souvent les conditions de vie et de travail y étaient
inhumaines, et que les réserves étaient bien incapables
d’accueillir et de nourrir tous les Noirs d’Afrique du Sud ; de
même, suite à une sécheresse prodigieuse après la première
guerre mondiale, des fermiers Afrikaners ruinés, sont contraints eux
aussi de rejoindre le sous prolétariat urbain non qualifié.
NATIVE
URBAN AREAS ACT
Le
Native Urban Areas Act de 1923 établit les règles du logement en
ville des Africains sur l’ensemble du pays, prenant pour modèle
les Native locations ; plusieurs raisons expliquent cette loi
liberticide : en premier lieu, en 1921, une crise économique ayant
eu pour conséquence une extraordinaire récession posa le problème
de la gestion des flux des populations ouvrières Noires au sein des
agglomérations, au gré des récessions et des périodes d'appel des
industriels. Cette masse ouvrière organisée en syndicats et
associations politiques revendiquant sinon l’indépendance mais
davantage de droits fondamentaux, pouvait s’avérait dangereuse
pour la minorité blanche. L’exode rural des Noirs des provinces,
résultat de la Land Act de 1913, sabordait complètement les
structures spatiales destinées aux résidents permanents. Pour les
autorités, le Native Affairs Department, le moyen d'y remédier
devait reposer sur un strict contrôle de la circulation des
personnes (influx control), en fonction des besoins de l'industrie.
D’autre part, le syndrome des épidémies était encore bien ancré
: en 1918 sévit une épidémie de grippe espagnole, particulièrement
meurtrière pour la population Noire (500.000 morts), et l'on nomma
une commission d'enquête - Stallard Commission – qui chargée
d'établir les conditions de vie des populations Noires, préconisera
l'amélioration de l'hygiène des quartiers et des habitations, et en
conclusion :
« Nous considérons que l’histoire des races, en particulier en ce qui concerne l’histoire de l’Afrique du Sud, montre que le mélange des Noirs et des Blancs n’est pas souhaitable. L’indigène ne devrait être autorisé à pénétrer dans les zones urbaines, qui sont essentiellement la création de l’homme blanc, que s’il vient y répondre aux besoins de l’homme blanc, et devrait en repartir lorsqu’il aura cessé de le faire. »
C’est
dans ce contexte qu’est adopté l’Urban Areas Act qui consacre
l’idée d’une présence africaine seulement temporaire en milieu
urbain. Il comprend la possibilité de rapatrier la population «
superflue », inutile, c’est-à-dire sans emploi fixe, dans ses
contrées d’origine ; ce qui revenait à inventer un système de
contrôle pour une population de plusieurs millions de personnes : en
1926, la mise en application de la loi instaure pour les Africains
urbains, un permis de 14 jours pour trouver un emploi sous peine
d’arrestation et de rapatriement, et un permis touriste de 30 jours
pour les visiteurs.
La loi
prévoit également le transfert de la responsabilité de l’Etat
aux City Councils concernant le logement des non-Européens ; et le
gouvernement exige des municipalités de déterminer et d’assigner
des quartiers spécifiques - des locations et des townships - pour
chaque race coloured, et le déplacement des populations dans chaque
quartier selon leur race, en créant, au besoin, de nouvelles zones
résidentielles. Ces quartiers ghettos étaient sous l’administration
d’un superintendant résidant sur place, qui consultait un conseil
de résidents et de notables élus par les habitants, l’Advisory
Board, élus désignés en réalité par le City Council. En fait,
selon Claire Benit:
« si cette dernière loi est nationale, elle laisse aux municipalités une grande latitude dans son application ; peu d'entre elles l'adopteront, notamment parce qu'elles ne veulent pas assumer les coûts d'un relogement des Noirs dans des quartiers nouveaux et périphériques, dont la construction reste en grande partie à leur charge. En effet, même si des subventions nationales sont attribuées par un Haut Conseil au Logement (national), le financement du logement des Noirs en townships est avant tout local, reposant sur les loyers, les taxes et les bénéfices tirés de la vente d'alcool, monopole municipal. C'est cette latitude municipale qui sera restreinte puis supprimée sous le régime d'apartheid. »
Selon
Myriam Houssay-Holzschuch :
“Cette mise en place est progressive dans le temps, inégale dans l’espace, inégalitaire et non systématique dans son application. Dans le temps, elle progresse souvent par à-coups, en fonction de nouvelles législations, mais aussi d’évènements spécifiques : par exemple, épidémies, conflits sociaux et émeutes provoquent de nouvelles mesures de planification ségrégatives. Dans l’espace, les compétences territoriales se heurtent souvent : l’application du Native (Urban Areas) Act par les pouvoirs locaux est facultative et les municipalités optent parfois pour des politiques différentes. Le Cap en particulier a une politique différente, plus flexible. Enfin, cette ségrégation ne s’applique pas à l’ensemble du corps social : les Africains en sont en général les seules victimes et tous les Africains en ville ne sont pas concernés. Des conditions de revenu ou d’éducation peuvent leur permettre d’échapper à l’obligation de logement. De fait, il faut attendre l’après guerre et l’arrivée au pouvoir des partisans Afrikaners de l’apartheid pour voir se concrétiser réellement cette séparation spatiale, la ghettoïsation d’une société entière.”
Joburg
A
Johannesburg dans les années 1930, de nouveaux Native Townships sont
en construction, dont celui d’Orlando à partir de 1932 ; mais les
efforts ne sont guère à la mesure de l’enjeu, faute de moyens
financiers conséquent : en 1939, le total des matchboxs construites
s’éleve à 8900, et le nombre de places dans les Hostels pour les
travailleurs célibataires à 6700, alors que la population Noire est
estimée à près de 245.000 habitants. La seconde guerre mondiale
bouleverse largement les rapports de force et les restrictions
concernant les populations d’origine africaine, et celle métis ;
nombreux sont les hommes d’origine européenne partis sur le front,
et l’effort de guerre industriel est porté par les ouvriers de
couleur à qui l’on concède maintes dérogations ; à la fin de la
guerre, la population Black de Johannesburg atteint 395.000 habitants
; c’est bien, pour les observateurs, la formation d’une classe
urbaine Noire, qui, de plus, prend conscience de sa force politique,
en s’engageant nombreux dans les syndicats ouvriers. De même, le
nombre de femmes Africaines présentes à Johannesburg, en constante
augmentation (ratio 3:1 en 1939, 2:1 en 1945) démontre également
que les travailleurs célibataires coupent les liens avec le monde
rural soit en rapatriant leurs épouses, soit en constituant une
famille en ville ; et plutôt que s’établir en ville
temporairement, selon la traditionnelle migration saisonnière, la
tendance s’inverse par une installation définitive en ville, et
donc, une démographie en très nette hausse ; phénomène commun aux
villes sud-africaines, et irrévocable. Ils n’ont d’autre choix
que de s’installer dans les locations surpeuplés de la ville qui
atteignent un nombre record d’habitants, ou bien de sous-louer un
lit, une paillasse dans une matchbox d’un township, qui est
parfaitement illégal, mais pendant la guerre toléré. A partir de
1944, le phénomène du squat dans des bidonvilles bâtis à la
périphérie de la ville, proche des Native Townships se développe à
une vitesse fulgurante. Oriel Monongoaha, un des leaders of the
Pimville squatters ne s’embarassait pas en déclarant dans un
discours :
“The Government is beaten, because even the Government of England could not stop the people from squatting. The Government was like a man who has a cornfield which is invaded by birds. He chases the birds from one part of the field and they alight in another part of the field We squatters are the birds'. The Government sends its policemen to chase us away and we move off and occupy another spot. We shall see whether it is the farmer or the birds who get tired first...” (cité dans un memorandum de l’Advocate Rosenberg au Minister of Native Affairs en Septembre 1946).
Leur
arrivée massive est expliquée d’une part par les conditions de
travail inhumaines pour un salaire misérable dans les fermes des
Afrikaners et d’autre part, par les hausses continuelles, pendant
la guerre, des produits de première nécessité (charbon, parafine,
riz, bois, etc), et peut-être d’une hausse du prix du maïs bien
organisée - et illégale - par les fermiers dissimulant une partie
de leurs récoltes pour les revendre à un bon prix sur le marché
noir (selon un article du Bantu World, 13 April, 1946 to "starving
and desparate Africans at anything from £1.10 to £2.10 a bag")
; la crise du logement déjà chronique devient exceptionnelle, et
aggravée par les restrictions de la guerre : aucune matchbox
construite en 1943 et en 1944. Des journalistes évoquaient à
l’époque les désaccords entre la municipalité et le gouvernement
concernant le financement des Native Townships à bâtir, et les
moyens à déployer pour mettre un terme à l’influx ; et l’intérêt
tout particulier des industriels pour cette armée de réserve, en
considérant que le gouvernement souhaitait diversifier les activités
de l’industrie (secondary industry) qui était à Joburg
essentiellement portée par les mines.
Le
mouvement des squatters de Johannesburg débute ainsi avec cette
déclaration de rébellion ouverte, en mars 1944, quand James
"Sofasonke" Mpanza, membre de l’Advisory Board du
township d’Orlando, prend la tête d’un groupe de sous-locataires
et des familles de Newclare et KLiptown pour s’installer sur un
terrain proche d’Orlando et d’une voie de chemin de fer, et y
bâtir leurs abris de fortune. Au fil des jours, environ 250
shelters y habitent, ou survivent, pour atteindre en avril environ
7000 squatters, et leurs épouses bien organisées par l’active
épouse, Julia Mpanza. Les squatters, sous l’emprise des leaders
Mpanza, devaient régler une sorte de loyer incluant notamment du
charbon, du pain, et la protection des "Sofasonke Guards"
qui interdit l’entrée aux officiels Blancs (no-go area for white
officialdom), organise la protection et la sécurité des habitants,
intervient en cas de troubles et punit les récalcitrants, encadre
les meetings, etc. ; ceux désirant ouvrir un commerce informel
devaient s’acquitter d’une redevance, et l’on interdit le camp
aux commerçants ambulants extérieurs ; de même, l’organisation
spatiale du campement est bien déterminée pour assurer la sécurité
: implanté dans une zone vierge dégagée (open land), le campement
est compact et les abris disposés de telle manière qu’auncun
véhicule ne puisse y pénétrer et y circuler : bref, un véritable
Black City Council fait régner l’ordre au sein de cette “Liberated
Zone”.
La
réaction initiale du City Council a été de condamner ce mouvement,
en traitant les leaders de terroristes administrant l’illégalité
dans la terreur grâce à une bande de mafieux rackettant les
squatters et organisant la prostitution et la production d’alcool,
et a été décidé de procéder à une évacuation immédiate, mais,
avant, le gouvernement central exigeait de lui :
"nothing could be gained by chasing a number of people from a spot where they were settled unless the authorities knew of a place to which they could go.”
En
somme, il s’agissait d’autoriser temporairement les campements
illégaux, et de les surveiller au mieux (controlled squatting
camps). Qui obligea ainsi le City Council à parlementer avec les
squatters du Mpanza's camp, en leur proposant de ne pas les chasser à
la condition d’interdire aux nouveaux squatters de venir s’y
installer, et la promesse d’un logement temporaire dans des
“breeze-block rooms” (abris de fortune, pas de porte, pas de
fenêtres) établis à Jabavu (Happiness en anglais), un site and
service équipé d’eau potable gratuite et de sanitaires. Le City
Council leur apporta également une aide alimentaire, pain et soupe
populaires distribués gratuitement, mais Julia et ses complices
refusèrent, déclarant :
“We need houses, and no soup. Build us houses and not soup”. (Quotidien The Star, 17 juin 1944).
Le
Council soupçonnait fortement les militants du parti communiste de
leur apporter un soutien - soupe populaire de poulet - voire même,
d’entretenir la rébellion, mais rien n’est moins sûr. De même,
les militants de l’African National Congress n’ont guère accordé
d’attention au mouvement des squatters (dans ses mémoires,
Mandela, habitant Joburg à cette époque, n’y fait aucune
référence), préférant peut-être se focaliser sur les grèves
ouvrières de la fin de la guerre.
Finalement,
Mpanza et ses partisans acceptèrent l’offre, mais furent incapable
de stopper l’influx arrivant au camp. Fin mai 1944, 200
“breeze-block rooms” avaient été construit à Jabavu, et en
octobre 1945, 4042, où s’entassaient près de 20.000 ex-squatters,
et le Mpanza's shanty-town fut détruit. Le second mouvement de squat
eut lieu en janvier 1946, sur le modèle de Mpanza : entre 200 à 300
familles squattent les matchboxs d’un township, mais évacués par
les forces de l’ordre, elles s’installent à proximité,
suscitant l’afflux continu d’autres squatters ; cette fois-ci, le
City Council décide d’utiliser la répression et au cours d’une
émeute, deux squatters sont tués. Mais sous l’injonction du
gouvernement, le Council n’a d’autre alternative de composer avec
les leaders des squatters : on leur propose, à nouveau, de s’établir
temporairement dans un site and service à proximité de Jabavu, et
en attendant son aménagement, le droit de résider là où ils se
trouvent à la condition de payer un loyer destiné à financer le
site & service.
En
fait, le City Council était confronté à l’énormité du problème
: d’un côté, la chasse aux squatters par la police s’avérait
parfaitement inutile, car évacués, ils rebâtissaient leur
campement le jour même dans un autre lieu, de même l’arrestation
des leaders, et autres investigateurs squatters, interdits de séjour
à Joburg et condamnés à l’exil rural comme Mpanza, n’opérait
aucun effet sur la masse ; de l’autre, si le Council se montrait
plus conciliant, c’était offrir aux prétendants squatters,
l’espoir. En 1944, le gouvernement central ne pouvait plus ignorer
ce phénomène et le problème de la pénurie de logements pour les
non-Européens et décida d’un Housing Amendment Act qui donnait la
possibilité aux gouverneurs des provinces d’instaurer des mesures
d’Housing Emergency facilitant la construction de camps d’urgence,
ou la régulation temporaire de squats illégaux, la réquisition ou
l’expropriation de terre afin de les y établir, etc.
En
1946, à Johannesburg, l’on comptabilisait 9573 matchboxs et 7270
lits dans les Hostels, soit environ un total de 55.000 habitants. Le
mouvement des squatters s’amplifiait ; l’immense campement de
Volkshaven, sur le même modèle organisationnel de Mpanza, en
particulier, inquiétait le Council, qui décida d’une évacuation
des squatters à Albertyn, et la construction d’un camp provisoire
(“emergency camp”) : 10.000 personnes furent ainsi déportées
dans le camp Moroka, en fait, un bidonville comportant le strict
minimum pour assurer la survie des habitants et clos de barbelés.
Les planificateurs prétendaient, sans ironie, avoir démantelé
plusieurs bidonvilles en édifiant ce bidonville mais qui était,
lui, surveillé et enclos. En septembre 1947, une émeute s’y
déroule faisant trois victimes parmi les white policemen venus ici
détruire des trading stores illégaux. En réponse, plusieurs squats
sont évacués, dont Monongoaha et Komo, du nom du leader qui est
arrêté comme tous les autres suspectés de l’être, et ceux et
celles sans emploi.
Le
Council de Johannesburg expliquait le mouvement squat, à la
Governmental Commission of Enquiry, comme "Fundamental Causes",
la naissance d’une nouvelle classe urbaine Noire :
"In the submission of the Council, the fundamental cause of the riot is the attitude of mind produced in the urban native population by the series of squatter movements which have occurred in Johannesburg since 1944 and which may best be summarized as one of contempt for authority and for constitutional methods in favour of direct action, however illegal and violent, coupled with growing political and national consciousness of the urban Native population".
En
1948, la plupart des grands campements illégaux ont été
démantelés, leurs occupants relégués dans les emergency camps et
les camps temporaires de breeze-block rooms. Mais le mouvement
perdure, et entame à Moroka et Jabavu la grève des “loyers”
(rent boycott), les jugeant par trop excessifs ; des meetings de
protestations sont organisés régulièrement et selon les
estimations près de la moitié de population ainsi sous-logée par
le Council participait au boycott. Un des leaders, Ntoi, proclamait
qu’il était clair que l’enjeu n’était pas la baisse des
loyers, mais bien la fin des loyers :
“the people should not pay any rent at all, because the Council would use this money to build houses for Natives for which they would, in due course, also have to pay rent.
Le
Non-European Affairs Department de Joburg estimait que 62.000 maisons
devaient être bâties dans les cinq années à venir afin d’assurer
la demande de logements.
LES
QUARTIERS DE NELSON
MANDELA
Nelson
Mandela, dans ses mémoires (Long Walk To Freedom, 1995), décrivait ainsi
la vie des quartiers d'Alexandra, de Soweto et de Sophiatown à
Joburg, peu avant l’apartheid :
Alexandra
« A cette époque, Johannesburg était un mélange de ville frontière et de ville moderne. Des bouchers débitaient de la viande dans la rue devant un immeuble de bureaux. Des tentes se dressaient à côté des boutiques et des femmes étendaient leur linge près des gratte-ciel. L’industrie fonctionnait à plein à cause de l’effort de guerre. En 1939, l’Afrique du Sud, membre du Commonwealth britannique, avait déclaré la guerre à l’Allemagne nazie. Le pays fournissait des hommes et des biens à l’effort de guerre. Il y avait une grande offre d’emplois et Johannesburg était devenu un véritable aimant pour les Africains de la campagne qui cherchaient du travail. Entre 1941, date de mon arrivée, et 1946, le nombre d’Africains à Johannesburg a doublé. Chaque matin, l’agglomération semblait plus grande. Les hommes trouvaient des emplois dans les usines et habitaient dans les « townships pour non-Européens » de Newclare, Martindale, George Goch, Alexandra, Sophiatown et dans le Western Native township, un ensemble qui ressemblait à une prison, quelques milliers de maisons boîtes d’allumettes sur un terrain sans arbres.
La vie à Alexandra était merveilleuse et précaire. Il y avait une atmosphère vivante, un esprit aventureux, des gens ingénieux. Le township se vantait de posséder quelques beaux bâtiments mais on pouvait honnêtement le décrire comme un bidonville, le témoignage vivant de la négligence des autorités. Des rues non pavées et boueuses, remplies d’enfants affamés, sous-alimentés, qui couraient partout à demi nus ; la fumée épaisse des braseros et des poêles qui remplissait l’air. Il n’y avait qu’un seul robinet pour plusieurs maisons, et des flaques d’eau stagnante pleines de larves s’étalaient sur le côté de la route. On appelait Alexandra la « ville obscure » à cause de l’absence totale d’électricité. Il était dangereux de rentrer chez soi la nuit car il n’y avait pas de lumière, et des cris, des rires et parfois des coups de feu déchiraient le silence. Une obscurité fort différente de celle du Transkei qui semblait vous envelopper dans une étreinte de bienvenue.
Le township était désespérément surpeuplé ; chaque mètre carré était occupé soit par une maison délabrée, soit par une cabane au toit de tôle. Comme cela se passe trop souvent dans les endroits de grande pauvreté, les pires éléments étaient au premier plan. La vie ne valait pas cher ; la nuit, le revolver et le couteau faisaient la loi. Les gangsters – les tsotsis –, armés de couteaux à cran d’arrêt étaient riches et importants ; à cette époque, ils imitaient les vedettes du cinéma américain et portaient des borsalinos, des costumes croisés et des cravates aux couleurs vives. Les descentes de police rythmaient la vie à Alexandra. Régulièrement, elle arrêtait des quantités de gens pour infraction au pass, possession d’alcool ou non paiement de la taxe individuelle. Presque à chaque coin de rue, il y avait des shebeens, des buvettes clandestines où l’on vendait de la bière de fabrication artisanale. […]
Pendant la première année, j’ai plus appris sur la pauvreté que pendant toute mon enfance à Qunu. J’avais l’impression de ne jamais avoir d’argent et je réussissais à survivre avec de très maigres ressources. Le cabinet d’avocats me payait un salaire de 2 livres par mois, car il avait généreusement refusé l’indemnité que les stagiaires payaient normalement. Avec ces 2 livres, je payais 13 shillings et 4 pence de loyer mensuel pour ma chambre chez les Xhoma. Le moyen de transport le moins cher était le bus « indigène » – réservé aux Africains – qui avec 1,10 livre par mois écornait considérablement mon budget. Je payais aussi des droits à l’université d’Afrique du Sud afin de passer mon diplôme par correspondance. Je dépensais encore un peu plus d’une livre pour ma nourriture. Une partie de mon salaire passait dans quelque chose d’encore plus vital – des bougies, car sans elles, je ne pouvais pas étudier. Je n’avais pas les moyens de m’acheter une lampe à pétrole ; les bougies me permettaient de lire tard la nuit. »
Sophiatown
« Situé à six kilomètres du centre de Johannesburg, sur un affleurement rocheux qui surplombait la ville, il y avait le township africain de Sophiatown. Le père Trevor Huddleston, un des plus grands amis du township, compara une fois Sophiatown à une ville italienne construite sur une colline, et il est vrai que, de loin, la ville avait beaucoup de charme. Les maisons au toit rouge, serrées les unes contre les autres ; les volutes de fumée qui s’élevaient dans le ciel rose ; les grands eucalyptus qui entouraient le township. De près, on voyait la pauvreté et la saleté dans lesquelles vivaient trop de gens. Les rues étaient étroites et non pavées, et sur chaque lotissement, des douzaines de baraques s’entassaient les unes contre les autres.
Sophiatown faisait partie, avec Martindale et Newclare, de ce qu’on appelait les townships ouest. A l’origine, il s’agissait d’une zone destinée aux Blancs et un promoteur immobilier y avait effectivement construit un certain nombre de maisons pour des acheteurs blancs. Mais à cause d’une décharge d’ordures municipale, les Blancs avaient choisi de vivre ailleurs. Sophiatown était un des rares endroits du Transvaal où les Africains avaient pu acheter des terrains avant l’Urban Areas Act de 1923. Beaucoup de ces vieilles maisons de brique et de pierre, avec des vérandas couvertes de tôle, tenaient encore debout et donnaient à Sophiatown un air ancien et agréable. Avec le développement de l’industrie à Johannesburg, Sophiatown était devenu un quartier de main-d’oeuvre africaine et avait connu une rapide extension. C’était pratique et proche de la ville. Les ouvriers habitaient dans des cabanes construites dans les jardins, devant et derrière les vieilles maisons. Quarante personnes pouvaient partager le même robinet. Plusieurs familles pouvaient s’entasser dans la même cabane. Malgré la pauvreté, Sophiatown avait un caractère spécial ; pour les Africains, c’était la Rive gauche de Paris, ou Greenwich Village, c’est là qu’habitaient les écrivains, les artistes, les médecins et les avocats. Il y avait une atmosphère à la fois conventionnelle et de bohème, animée et calme. [...] Sophiatown se vantait de posséder la seule piscine pour enfants africains de Johannesburg. »
Johannesburg
Sophiatown | Toby Street
The street divided the black suburb of Sophiatown
Photo : Paul Popper
Vers 1950
David Goldblatt
Johannesburg
Children on the border between Fietas and Mayfair
1949
Soweto
« Au début de 1946, Evelyn et moi avons emménagé dans une maison de deux pièces de la municipalité, à Orlando East, et plus tard nous nous sommes installés dans une maison légèrement plus grande, n° 8115, à Orlando West. C’était un quartier poussiéreux et austère de maisons municipales, des « boîtes d’allumettes », qui plus tard ferait partie du Grand Soweto, Soweto étant l’abréviation de South-Western Townships. Notre maison était située dans une zone ironiquement surnommée Westcliff [Falaise Ouest] par ses habitants, du nom de la jolie banlieue blanche au nord. Le loyer de notre nouvelle maison s’élevait à 17 shillings 6 pence par mois. La maison elle-même était identique aux centaines d’autres maisons construites sur des terrains grands comme des mouchoirs de poche, au bord de routes boueuses. Elle avait le même toit de tôle, le même sol de ciment, une petite cuisine et, au fond, un seau comme toilettes. Il y avait des réverbères à l’extérieur, mais à l’intérieur nous utilisions des lampes à pétrole car les maisons n’avaient pas encore l’électricité. La chambre était si petite qu’un lit à deux places la remplissait presque entièrement. Les autorités municipales avaient construit ces maisons pour les ouvriers qui devaient habiter près de la ville. Pour briser un peu la monotonie, certains plantaient de petits jardins ou peignaient leurs portes de couleurs vives. »
Cape
Town
La
ville connaît le même phénomène d’arrivée massive d’Africains,
le “kaffir problem” (cafre, dénomination péjorative de
l’Africain selon l’expression des Blancs). Les nouveaux arrivants
s’installent en ville dans le quartier District 6, ou bien trouvent
refuge dans la black location de Ndabeni. Ils s’installent
également dans le bidonville périphérique de Windermere (2.000
habitants en 1923, 35.000 estimés dans les années 1940) proche
d’une zone industrielle, un “squatter settlements” ou un
“rat-infested slum” malfamé mais réputé pour ses dance-halls
et ses Shebeens. Les plus anciens et plus aisés habitent dans des
masures plus ou moins confortables faites de briques, souvent louées
à des propriétaires Indiens ; les plus humbles habitants survivent
dans des Timberyards ou Strongyards, constitués de pièces donnant
sur une cour intérieure commune, pouvant faire office de Shebeen.
D’autres bidonvilles se forment à Bellville, Parow et Goodwood.
Pour y
remédier, un nouveau township est bâti en 1927 : Langa et ses
baraquements sommaires, divisé entre zones pour célibataires
(Hostels) et familles (maisonnettes) ; il sera bâti successivement
par parties distinctes jusqu’au début de la guerre. Le
procès-verbal du conseil municipal décrit ainsi le plan élaboré
par Thompson pour Langa :
« [Il] a été conçu d’après les meilleurs exemples d’urbanisme moderne. Le chemin de fer donnant accès au village ne croisera aucune rue... Ceci permet au chemin de fer d’être totalement clos au contact du township indigène... Le maintien d’une ceinture arborée de 30 mètres de large à la limite ouest a été proposé... La principale voie d’accès au township devrait être Klipfontein Road... La question de la surveillance est une autre considération importante pour la conception du plan et l’emplacement du poste de police a été prévu pour permettre un contrôle suffisant. L’homme en faction sur la tour pourra voir la totalité du quartier... L’homme en faction au Central Square pourra voir... d’un bout à l’autre de Central Avenue... et pourra regarder dans chacun des grands compounds.» (Mayor’s Minutes, septembre 1923, cité par M. Houssay-Holzschuch).
Avec ce
camp d’internement, l’apartheid urbain et architectural sont nés
car Langa préfigure ce que seront les futurs Black Townships : un
vaste panoptique construit selon une stratégie quasi militaire. M.
Houssay-Holzschuch soulignait la monotonie du paysage urbain
“parfaitement saisie par le Révérend Citashe de l’Ethiopian Church of South Africa à Langa :
« Les architectes, ingénieurs et constructeurs de Langa devaient être conducteurs de locomotive ou contrôleurs. Tout Langa ressemble à des trains. Les maisons sont accrochées entre elles pour former des chaînes de plusieurs maisons. Chaque chambre consiste en une fenêtre, avec un toit qui a l’air de tomber sur la personne qui s’y trouve. » (Passenger-Train Architecture : Native Housing—Through A Native’s Eye ; Ragged Nerves in Crowded Quarters », Cape Argus, 28 novembre 1947).”
Les
premières maisons destinées aux familles comportent deux pièces
dont une seule pour le “dortoir” des parents et des enfants :
aucune intimité possible le soir venu ; ceux ayant déménagé de
Ndabeni sont souvent obligés, faute d’espace, de revendre leurs
mobiliers, trop grands pour y être installés... Un membre du
Ndabeni Advisory Board déplorait :
“I have got three children. One of them is in school in standard six, but how disgraceful it is when I go to bed with no privacy with the children, and the mother and everybody in the same room. If I want to have to have a little chat with mother the children already understand what I say to mother.” (Details of meeting between the NAC and the Residents of Ndabeni/Langa).
Les
résidents du premier quartier Noir Ndabeni sont invités à s’exiler
à Langa, contre leur volonté, ils résistent à l’éviction et
refusent d’aller y habiter, parce que les loyers sont de deux à
trois plus élevés, trop éloigné du centre ville et des
industries, ce qui représentait un surcoût important pour emprunter
le transport public, limité à une ligne de chemin de fer aux
horaires incompatibles avec ceux des travailleurs (pas de train tôt
le matin, ni en soirée), dont on déplore des retards fréquents,
des wagons de troisième classe inconfortables, et leur remarquable
absence les week-ends... Une étrange bataille s’engagea entre le
Native Affairs Committee et le General Manager of the Railways, les
premiers exigeant du second, une baisse substantielle des tarifs et
de meilleurs services ; ce à quoi répondait le responsable des
Railways, que c’était bien leur idée d’avoir bâti un Township
aussi éloigné de tout : il refusa poliment leurs propositions ;
comme d’ailleurs les grands industriels de l’agglomération
d’augmenter en conséquence les salaires de leurs employés. La
résistance des - rares - habitants de Langa commence très tôt par
une grève des loyers entre mai et août 1929 : leurs maigres
salaires ne sont pas à la mesure de loyers aussi élevés.
La
tentative du Council de persuasion auprès des habitants de Ndabeni
ayant largement échouée, l’on utilisa la manière forte, le City
Council augmente alors d’autant les loyers et cesse complètement
l’entretien des masures : qui entraîne effectivement le départ
d’habitants mais vers d’autres townships de l’agglomération
(Athlone, Cape Flats, Elsie's River, Kensington, Lakeside,
Muizenberg, Retreat). En 1930, 911 habitants seulement peuplaient
Langa, en majorité des travailleurs célibataires : le City Council
en prévoyait pour cette même année, 5000. Un article de la revue
The Architect, Builder & Engineer expliquait :
“The position in Cape Town today is, that while Ndabeni is full, Langa Township, which is designed for 5000 natives, has a population of 1000! This is largely due to the fact that the natives are able to live for the greater part of the year in the bush on the Cape flats beyond the limits over which the Council has jurisdiction. (They) enter (the city) daily (and) cause unemployment.” (Mars 1930).
Ceux
ayant choisi de résister à Ndabeni engagent alors des procédures
en justice en arguant le caractère parfaitement illégal de
l’éviction, en mettant ainsi à profit les incohérences et les
flous juridiques des législations nationale, provinciale et locale ;
finalement, après quelques succès en justice leur ayant accordé
des temps de répit, ils échoueront dans cette tentative désespérée
mais ils obtiendront cependant quelques concessions, comme par
exemple, la baisse des loyers ; en 1936, Ndabeni est vide, la
dernière famille est évacuée le 4 janvier à Langa ; à cette
date, 3,730 personnes y habitent, loin de l’objectif des 5000...
Le City
Council en 1937 annonce un programme concernant la construction en
une dizaine d’années de 11.669 sub-economic housing units ;
toutefois en 1948, seulement 2.618 unités avaient été construites,
faute de financement du gouvernement, et de la résistance des
habitants opposés aux expropriations. En exemple, en 1942, le
Council décida de l’évacuation du quartier Blaauwvlei mais les
résidents organisèrent la résistance avec l’aide des militants
du Communist Party of South Africa (CPSA). Le Council multiplie les
lois destinées à contrôler l’influx : pass pour les travailleurs
Noirs, en 1939, les femmes Africaines devaient obtenir un permis pour
quitter leur village et entrer ou résider en ville, interdiction
pour les Africains de devenir propriétaires en ville, sauf exception
et dérogation pour les plus aisés.
Avec la
déclaration de la guerre mondiale, le gouvernement se devait de
fournir tous les équipements nécessaires pour un corps d’armée
de 300.000 soldats : à Cape Town, l’industrie répondant à cette
demande, et au départ d’ouvriers blancs, embaucha 100.000 ouvriers
d’origine africaine. Les impératifs amèneront les autorités à
suspendre l’influx control. L’exode des Africains à destination
des villes reprend alors : à Capetown et ses banlieues, vivaient
80.000 Black South Africans en 1945, en 1955, leur nombre est estimé
à 309.000. Selon M. Houssay-Holzschuch :
“Cependant, aucun logement n’est disponible pour les nouveaux arrivants : Langa est déjà surpeuplé et le conseil municipal ne souhaite pas investir dans le logement social. Langa loge en 1945 7.849 personnes. Les nouveaux arrivants n’ont ainsi d’autre possibilité de squatter des terrains libres et d’y dresser des cabanes (shacks ou pondokkies) à proximité des industries et en-dehors de la juridiction de Capetown, ou de rejoindre les bidonvilles existants comme Windermere, Blouvlei, Cook’s Bush, Vrygrond, Eureka Estate, Rylands Estate ou Sakkiesdorp, etc, ou bien le plus discret campement de Brown’s Farm établi à la fin des années 1940. Ses habitants ont occupé une clairière au centre d’une forêt. Il s’agit d’Africains dont la présence à Cape Town n’est pas légale, voire de personnes nées au Cap, mais qui ont perdu leur droit de résidence après un séjour dans les réserves ou un licenciement.”
Windermere
localisé hors de la juridiction du Cap, administré par le Cape
Divisional Council (Divco), a été incorporé en 1943 à la ville :
l’un des plus grands bidonvilles où survivent Métis, Africains,
Indiens et une poignée d’Européens. La planification de sa
démolition est envisagée pour des raisons sanitaires autant que
sociales et politiques. Les Métis sont envoyés par la municipalité
dans le quartier voisin de Factreton ou dans les logements neufs
construits sur le site du camp de squatters. Mais selon la coutume,
la municipalité, le Cape Divisional Council et le gouvernement
central se renvoient la responsabilité du financement de nouveaux
logements pour Africains.
Capetown
Nyanga Township
Vers 1960
En
1946, le Cape Town Divisional Council, l’autorité locale chargée
d’administrer les zones rurales autour de Cape Town décide de
construire la location de Nyanga pour y loger les Africains squattant
sur son territoire. Selon M. Houssay-Holzschuch :
“Le choix du terrain lui permet de « déguerpir » les résidents du camp de squatters de Sakkiesdorp—le village de sacs. La première tranche de Nyanga—la lune—est construite en bordure de Sakkiesdorp, formant le quartier de Old Location. Les maisons de ce quartier comprennent quatre pièces, soit deux chambres, un salon et une cuisine. Eau courante et électricité y sont installées. Mais elles n’ont pas de plancher : les sols sont en brique. En outre, elles n’ont qu’une porte intérieure. Enfin, le locataire peut y faire des améliorations à ses frais mais, ce qui n’a rien d’étonnant dans les townships de la Péninsule, il n’aura aucune compensation financière pour ces améliorations si son bail vient à être subitement résilié par les autorités locales.”
LA
VILLE BLANCHE
C’est
à partir du début des années 1930 que le South African Railways
and Harbours (SAR&H) et le City Council de Capetown songent à
étendre et moderniser le port, la gare ferroviaire et son réseau
ferré pour répondre à l’augmentation rapide des traffics
maritimes et concurrencer ainsi la modernisation d’autres ports du
pays, dont Port Elizabeth, abaisser un taux de chômage exceptionnel,
et en définitive, afin, rien de moins, d’y bâtir la Metropolis of
Tomorrow. Les deux entités vont pourtant être en désaccord sur la
nature du projet, le partage des coûts financiers et le montage de
l’opération, l’amplitude du projet, et entre autres, sur la
localisation des équipements structurants et des nouvelles grandes
avenues devant améliorer l’épouvantable circulation.
Grossièrement, les planificateurs adeptes de la City Beautiful
souhaitaient mettre en valeur le Waterfront de la ville par des parcs
et esplanades - landscaped public plazas - s’ouvrant sur la mer,
qui s’opposaient aux partisans plus pragmatiques soucieux avant
tout de moderniser l’appareil portuaire.
Plan de Capetown, 1938.
Plusieurs
projets sont esquissés par les City Engineers de la ville qui se
succèdent à la tâche, sans parvenir à faire consensus. Finalement
en 1935, avec la participation du Gouvernement central, le plan
proposé pour la reconfiguration des installations portuaires par
l’ingénieur Jack Craig est retenu et les travaux débutent par
l’agrandissement du port : le montant total des travaux des seules
infrastructures était estimé à 6 millions de £, somme imposante.
Il reste toutefois en suspend la nature du projet urbain, l’interface
entre ville et nouveau port, et là encore, les avis s’opposent.
Les débats étaient portés depuis longtemps sur la place publique,
alimentés parfois par des projets d’industriels, d’architectes,
d’ingénieurs et de néophytes à qui l’on ne demandait rien.
Emprise de l'agrandissement du port de Capetown, 1938.
En 1938
se tient le Town Planning Congress organisé par la prestigieuse
School of Architecture de l’University de Witwatersrand,
co-organisé par les étudiants, farouchement partisans des thèses
de Le Corbusier. C’était l’occasion d’y présenter plusieurs
projets pour Capetown dont :
. le
nouveau centre industriel de Vereeniging ;
. un
“model native township for 20,000 inhabitants”, projet
d’étudiants présenté par Roy Kantorowich ;
. le
“business center” de Capetown imaginé par un collège
d’architectes professionnels.
Le
“business centre for Capetown” s’appuyait ainsi et de manière
radicale sur les conceptions de la ville Radieuse de Le Corbusier :
autoroutes urbaines et larges avenues, imposants édifices alignés
au garde à vous répondant à de vastes espaces verts. En densifiant
la cité, il est alors possible d’offrir plus d’espaces libres au
sol pour la circulation, et les green and open spaces ; l’un des
concepteurs, Norman Hanson, résumait ainsi ce projet :
“Palliative measures are not enough - radical replanning is necessary”;
The business centre for Capetown Scheme
Architectes : John Fassler, Norman Hanson, Howie, McIntosh, Stewart, Wilson, Sinclair and Mrs Sinclair.
(In South-Africa Architectural Record 1938)
bref de
quoi effrayer les élites politiques et les décideurs, même si
l’ordre et la trame rigoureux du plan, symbolisant l’ordre
social, pouvaient certainement les chatouiller...
En
1938, pour sortir de l’impasse, l’on décide de faire appel à
deux urbanistes de réputation mondiale afin de produire deux plans
d’aménagement servant aux négociations. Le City Council appointa
le célèbre urbaniste français Eugène Beaudouin et
l’Administration engagea Leonard Thornton White associé à Francis
Longstreth Thompson, chargés d’imaginer la “Gateway to South
Africa”. Les deux équipes concurrentes rendirent leurs copies très
classiques en 1940 ; sur la base de leurs propositions, les
négociations entre les acteurs se finaliseront en 1942, avec un plan
schématique conçu par un Joint Technical Committee ; le plan
définitif sera rendu public par le City Engineer Lunn en 1944. Mais
pas tout à fait encore, car le nouveau Chief Town Planning Officer,
Roy Kantorowich - co-auteur de la Native City model de 1938 -,
commanditera à Beaudoin en 1945 puis en 1946, des études urbaines
sur des zones spécifiques, en partenariat avec le Cape Town
Foreshore Joint Technical Committee. Enfin, le plan final et
définitif est adopté en 1947 : il sera en partie inutilisable après la
construction d’un gigantesque entrepôt frigorifique et d’une
centrale thermique sur le Waterfront de la ville…
Longstreth Thompson and Thornton White, Architectes.
Report of the town planning advisers on the Cape Town Foreshore scheme,
1940.
Eugène Beaudouin, Architecte.
Report of the town planning advisers on the Cape Town Foreshore scheme,
1940.
Plan définitif d’urbanisation du centre ville de Capetown
Architectes : E. Beaudouin & Cape Town Foreshore Joint Technical Committee
1947
Bernard Cooke, 1947 illustration Plan.
A watercolour perspective from ground level, showing very few people in the landscape. All the buildings display the regular, restrained façade of Modernist architecture.
Une
anomalie ethnique : les Blancs pauvres
Le
sous-prolétariat blanc, longtemps ignoré, fit l’objet d’une
attention accrue à partir du moment où l’idéologie de la
suprématie des Blanc sur les autres races connaît son apogée avec
la propagande populiste des partisans de l’apartheid : en quelque
sorte, les plus pauvres Européens, ces anomalies ethniques,
faisaient tâche. Les sans domicile fixes et les squatters - familles
rurales Afrikaners ruinées, immigrés de l’Europe, etc. - étaient
bien visibles dans les villes de l’Afrique-du-Sud. Certes, les plus
humbles pouvaient s’appuyer sur les églises qui leur venaient en
aide, mais l’Etat - capitaliste - s’en souciait comme d’une
guigne. Ce sont donc les églises et les philanthropes qui se
chargèrent d’apporter un soutien aux plus humbles. En novembre
1926, la Dutch Reformed Church, l’Afrikaanse Christelike Vroue
Vereniging, une Afrikaan social work organisation et des business
leaders organisaient un meeting à Cape Town, berceau de la South
African housing company, et des Citizens’ Housing League Utility
Company. Cette Housing League s’occupa de bâtir des communautés
pour les plus humbles Blancs Sud-Africains, dont le premier le Good
Hope Model Ville à Cape Town en 1932, un lotissement de 45 maisons.
La Ligue envoya également des émissaires visités des opérations
du même type en Angleterre, Allemagne et Suède.
Constance Stuart Larrabee
Johannesburg
White Homeless man
1947-48
Constance Stuart Larrabee
Johannesburg
White Homeless men
1947-48
Constance Stuart Larrabee
1947-48
C’était
également une porte politique laissée grande ouverte à l’Afrikaner
organisation Broederbond - futur Parti national - qui décida de
s’emparer du poor white problem : la pauvreté blanche touchant les
Afrikaners devait cesser par un effort national de solidarité, car
elle questionnait directement leur suprématie sur les autres races.
En 1934, se déroula le Federasie van Afrikaanse Kultuurverenigings
volkskongres, organisation liée au Broederbond, à Kimberly qui se
concentra exclusivement sur le problème de la pauvreté des
Sud-Africains de race européenne. Les intellectuels Afrikaners de
l’église - dont la Dutch Reformed Church - et du Broederbond
adoptèrent plusieurs résolutions afin d’éradiquer la classe
blanche pauvre, qui avait aussi un rôle à jouer dans le processus
de la construction d’une grande nation et dont on estimait à cette
époque qu’elle représentait près de 20% de la population blanche
Sud-Africaine : bref, un possible réservoir de militants. Encore
fallait-il les “rééduquer” et leur inculquer leur idéologie
politique, et les vertus du hard labour. Harmoniser les relations
entre les classes sociales blanches étaient ainsi une question
importante pour l’unification du Afrikaner volk.
En
1936, Jan Hofmeyr est l’un des premiers lotissements consacré aux
humbles White South-Africans, construit à Johannesburg, dans un
quartier proche du centre ville. En 1938, à Capetown, sort de terre
en périphérie le Epping Garden Village, renommé plus tard,
Ruyterwacht, grâce aux efforts de la Citizens’ Housing League et
de généreuses donations de riches philanthropes : Dr. D.F. Malan
ouvre la cérémonie d’ouverture de cette Garden-city comprenant
près de 500 cottages, qui sera agrandi entre 1945 et 1947 pour
arriver à un total de 1.868 unités ; à son ouverture, 25% sont
affectées à des familles d’employés de la compagnie ferroviaire,
auparavant mal-logées, le restant est destiné à des familles
pauvres moins aisées, habitants ruraux de la province du Cap.
Politiquement, tous étaient militants ou sympathisants du National
Party... Et tous les résidents étaient pris en charge par un
travailleur social de la League :
“The Social Worker should have authority to visit any house in a friendly way, but where a housewife is untidy or any other problem situation arises, the Social Worker should visit the home very often and help and correct the family in as tactful way as is possible. Inspection of such houses should be done regularly.”
Et
automatiquement, les chefs de famille - d’ailleurs soigneusement
choisis - au chômage étaient assurés d’être employés en
bénéficiant du réseau - paternaliste - de relations de la ligue,
selon les indications du Social Worker. D’ailleurs les familles
résidentes seront également “suivies” par un contingent de
visiteurs réguliers des nombreuses associations de bienfaisance
d’essence Afrikaner : médecin, sage-femme et personnel de la
Society for the Protection of Child Life et du Afrikaanse Christelike
Vroueverening qui pour ce dernier organisait des meetings et réunions
politiques d’information et de propagande. Selon le témoignage de
résidents de l’époque recueilli par l’ethnologue Annika
Björnsdotter Teppo :
“We all had to be so white, white, white.” (F., 90 years.)
“There were watchful eyes” (F., 80 years, long-term resident.) (The Making of a Good White, 2004).
Annika Björnsdotter Teppo affirme ainsi :
“ The poor white bodies had to be disciplined, regimented and moved if the correct way of living was eventually to appear self-evident and unrehearsed. The relationship between work and honour was central to the category of a good white.”
Tout y
était surveillé et consigné dans des archives ; l’alcool y était
interdit, la vie sexuelle conditionnée, la vie sociale et
associative prônées, les relations avec le voisinage, le Social
worker contrôlait la propreté de la demeure, l’état du potager,
mais aussi des finances des ménages, etc., bref, une sorte de White
township.
Ce
lotissement disposait d’une gare et des équipements nécessaires à
proximité, des réseaux d’eau et d’électricité, les voiries
étaient parfaitement étanches et un bois bucolique jouxtait
l’ensemble. Contre la monotonie, l’architecte Martin Adams - et
directeur de la ligue - dessina quatre types de cottages différents,
et afin de réunir la famille dans de bonnes conditions, leurs
surfaces étaient généreuses, toilettes et salle de bains séparés,
le plancher en bois. Les cottages disposaient d’un jardin servant
de potager ; des espaces publics et un square central ponctuaient la
cité et aucune clôture n’y avait été bâti. Les partisans de
l’apartheid se félicitaient d’un village bâti sur la base d’un
mode de vie et de valeurs du “genuine Afrikaans-Christian”.
Malgré
ses opérations, en 1939 le nombre de Blancs pauvres restait très
alarmant, comme celui des familles européennes ayant un salaire
régulier mais vivant dans les taudis, l’offre de logements pour
cette classe étant très en-deçà de la demande ; mais la guerre
suivie de l’embauche massive d’ouvrier-e-s pour fournir l’armée,
diminuèrent largement ce nombre : la prospérité retrouvée mit
presque un terme au problème de la pauvreté des Sud-Africains
d’origine européenne, mais pas encore au problème de leur
logement. Au sein de la Garden City, les ouvriers et employés, grâce
aux loyers ridicules - et quelques aides sociales -
s’embourgeoisaient doucement ; selon une étude de 1942 concernant
le Epping Garden Village, plus de 60% des 680 familles avaient
amélioré leurs finances grâce aux loyers modiques.
Les
Africains y étaient présents : en 1941, 47 familles (7%)
disposaient d’employés noirs, en 1946, 27% des familles
employaient des domestiques de couleur de manière ponctuelle ou
quotidiennement ; il était interdit de les loger la nuit, mais des
familles outrepassaient le règlement, en expliquant que leurs
employés de couleur n’avaient d’autre choix pour se loger et
refusaient un emploi sans logement... A ce point embourgeoisé pour
certaines familles, donc, que le Social Welfare Committee demanda aux
plus aisés - en particulier aux possesseurs d’automobile - de
quitter la cité à caractère social, pour laisser leurs cottages
aux plus nécessiteux, avec comme sous-entendu que la League refusait
l’assistanat social à outrance.
A
Native City Model
Les
architectes, pour ceux peu favorables à la ségrégation,
dénonçaient souvent les conditions de vie des populations les plus
humbles et des Africains, et les plus modérées City Councils
considéraient que si des quartiers dédiés exclusivement aux Noirs
était préférable, ils ne devaient pas pour autant être sans
qualités, et prendre le modèle de la City-garden de Howard. Un
article de la revue The Architect, Builder & Engineer soulignait
:
“Natives form an integral part of the industrial life of the community, and the ratepayers are under a moral obligation to see that they are provided with efficient housing conditions.” (Octobre 1932).
La
construction du township d’Orlando, à Soweto, Johannesburg, avait
été précédé d’un concours d’architecte en 1930 ; les
lauréats, Kallenbach, Kennedy et Furner, proposaient une véritable
cité-jardin comprenant plusieurs modèles de cottages, pour rompre
la monotonie d’ensemble comme d’ailleurs les voiries, des squares
de voisinage, des parcs urbains, et tous les équipements nécessaire
à une cité de 80.000 habitants. Cet ambitieux projet restera dans
les cartons...
D’autres
architectes s’attaquaient au problème logement du plus grand
nombre sur le modèle théorique de Le Corbusier et des architectes
Allemands de la République de Weimar, pour certains émigrés aux
USA. Mais, face aux lois urbaines ségrégatives et en général, au
peu de moyens financiers alloués pour les classes populaires dans le
domaine du logement public, ils soulignaient qu’ils étaient bien
incapables de formuler d’autres projets que ceux exigés par leurs
commanditaires : l’existenzminimum.
Les
partisans de Le Corbusier, nombreux, posaient également le problème
du type idéal pour l’habitat des Black South Africans et
préféraient au modèle de la maison familiale isolée, l’immeuble
collectif ; cependant fidèles à la city-garden, alors en vogue,
l’idéal serait le modèle de la ville Radieuse de Le Corbusier où
les édifices sont bâtis sur de vastes surfaces libres et
verdoyantes. Ils avançaient plusieurs avantages au collectif par
rapport à l’individuel :
. Une
plus grande densité ;
. Un
coût de construction réduit ;
. Y
compris pour la viabilisation des terrains (voies, réseaux d’eaux,
etc.) ;
. Une
surveillance des habitants accrue par rapport à une cité-jardin :
une porte d’accès à l’immeuble pour plusieurs familles ;
. Un
mode d’habitat moderne susceptible d’éduquer les Africains à la
vie et ville contemporaines, et de les éloigner des traditions et
culture rurales ;
. Et,
dans le même registre, préférer le communautarisme à
l’individualisme.
En
1938, lors de l’annuel Town Planning Congress, un groupe
d’étudiants (Roy Kantorowic [urbanisme], Kurt Jonas [sociologie],
Connell [technique], Charles Irvine Smith [économie], et Wepener
[psychologie]), présenta un projet pour une Native City Model. La
revue South-Africa Architectural Record publia un article
retranscrivant la conférence de Roy Kantorowic ; en introduction,
un long réquisitoire présente l’architecture des coloured
townships, une dénonciation des conditions de vie des Africains :
“ [...] The minimum demands I outlined for housing are, further, in no way solved at all at present. You find Native families of 5, 10, 15, existing in three bare rooms, with no kitchens, no separate place to eat, no separate bedrooms, no segregation of the sexes. No attempt is made to meet elementary moral demands. Let us leave the locations to look at it for a while from a distance. We find an amorphous group of little shacks, with roofs unpainted horrible galvanised iron things. We find no focal points. No arrangement of the houses in some formal way about the civic centre. The Natives become isolated, for they have no method of relating themselves to the community, because there is nothing - in the architecture which helps them to relate themselves to that community [...].”
La
seconde partie de son exposé présentait le projet ; sur le modèle
des cités de Le Corbusier, mais adapté aux conditions économiques
des travailleurs Africains : c’est une ville radieuse pour le
sous-prolétariat composée d’immeubles d’habitations collectifs
et de - très - vastes surfaces verdoyantes consacrées aux loisirs
et sports, aux équipements nécessaires à une cité, prenant place
dans un rigoureux damier urbain. Comme il se doit, il commence par
une description des “cellules d’habitations”, spacieuses, pour
enchaîner sur les caractéristiques d’un immeuble et terminer sur
l’image de la ville de 20.000 habitants. Un long chapitre - le plus
important sans doute -, conclut sur la faisabilité économique de
l’opération qui, d’après les auteurs, est tout à fait
envisageable :
“In this scheme which has been presented we find that the economic difficulties have been overcome ; the minimum requirements have been overcome the right number of rooms, of a decent size, and the necessary amenities have been provided. Morally the Natives would be able to live in a better background. Psychologically, I think there is no doubt that this scheme would provide some background for the Natives in their new urban life. It will have been noticed that the general principle of modern flat design enumerated in the previous lectures, where the housing portion adjoins directly those services common to the occupants (the creches, schools, gardens and sports fields, for example) is expressed in this scheme. The arrangement of the whole scheme around its communal focal interests conforms in addition with the thesis. It may be said, I think, in conclusion, that the scheme, as a demonstration in a particular case of the general thesis, can be taken as an indication of what the modern architect can do in the way of housing.”
Roy Kantorowic [urbanisme], Kurt Jonas [sociologie], Connell [technique], Charles Irvine Smith [économie], et Wepener [psychologie].
South-Africa Architectural Record, 1938.
Permanently
Urbanized African Labour
Avant
l’arrivée au pouvoir en 1948 du Parti national, les politiques
reconsidèrent la question de la permanence d’ouvriers
non-Européens dans les villes qui s’était posée de manière
cruciale pendant la guerre. Plusieurs rapports en effet, commandités
par le gouvernement à des Inter-departmental Committees et au Social
and Economic Planning Council (SEPC), exploraient la possibilité
d’autoriser l’urbanisation permanente des travailleurs Africains
dans les aires urbaines (permanently urbanized African labour) ; le
rapport Fagan (1946-1948, The Native Laws Commission report), du nom
de son auteur, juge et homme politique modéré, pour la ségrégation
contre l’apartheid, insistait sur l’inéluctabilité d’une
classe urbaine africaine :
“The Natives have come to town and in many cases they have come to stay. Economic forces have proved stronger than legislation-Natives have been pushed out of the rural areas because the reserves are over-populated, because conditions on European farms are not sufficiently attractive to offset the seemingly higher wages and educationall opportunities in the towns, and because the territories outside the Union are economicaly backward; and they have been pulled towards the urban areas because of the labour requirements of the expanding industrial centres. Nor has it been possible to keep the Natives in town as migratory workers only, for conditions in the rural areas have forced many hundreds of thousands of Natives to regard the towns as their permanent home.”
Son
rapport préconisait et établissait :
“Summing up the situation tho following emerges:
1. That the idea of total segregation is completely impracticable.
2. That the rural and urban movement is a natural economic phenomenon engendered by necessity-one which possibly can be regulated but cannot be reversed.
3. That the Native population in the urban areas consists not only of Native migrant workers, but also of a settled permanellt Native population.
With these important premises established it, is clear that the old cry " Send them back" is no longer a solution to the problem, and that legislation based on the concept laid down by the Stallard Commission is no longer able to cope with the situation which has materially altered during the past 25 years.”
Pour
les industriels cette question n’avait plus à être débattue :
l’African Urban Labour était pour eux, une des conditions pour
accroître la compétitivité industrielle nationale et par là,
moderniser le pays. Il s’agissait plutôt de se focaliser sur les
conditions de leur urbanisation, d’interroger son coût global, le
portage entre industriels et City Council et Central Gouvernment,
l’incidence entre montants des salaires et des loyers, etc..
Dans ce
cadre est fondé en 1946, le National Building Research Institute's
'Native housing' research programme. Dès
lors, les conférences s’enchaînent autour de ce thème, dont en
particulier, en 1946 une organisée par l’University of the
Witwatersrand,à Johannesburg ; en 1947, est organisée une
conférence à Port Elizabeth ayant pour objet la African housing
crisis, et les moyens techniques et économiques pour y mettre un
terme. La conclusion sera reportée dans un memorandum présentant
des “Minimum Standards of Accomodation” et des “maximum
Standards of Accomodation” pour les non-Européens et Sud-Africains
d’origine européenne. Les habitations pour les non-Whites posaient
cette question :
“Depuis de nombreuses années, nous concevons des maisons pour les autochtones sur la base de suppositions approximatives quant à leur mode de vie - des suppositions qui vont de celles qui affirment que les Natives sont complètement européanisés à celles qui considèrent que les locations devraient être construits dans la tradition tribale.”
Des
experts apprécient également le modèle expérimental américain
des site & service qui se développe dans les pays du Tiers
Monde, offrant à la fois aux sous-developpés, la possibilité
d’être propriétaire d’un lopin de terre, d’obtenir un
micro-crédit afin d’y auto-bâtir une maisonnée, ou de se porter
acquéreur d’une préfabriquée à monter-soi-même avec l’aide
de techniciens. En effet, les programmes d’Amélioration de
l’habitat par la promotion de l'effort personnel en français, the
Aided Self-help In Housing Improvement en anglais, sont estimés et
bientôt considérés par de multiples expérimentations par les
experts planificateurs occidentaux comme LA solution permettant de
résoudre le crucial problème du logement dans les pays en voie de
développement, et à la fois, d’enfermer le prolétaire dans un
système, le propriétarisme, devant en principe le détourner de la
révolte ou plus grave de la voie communiste.
Et de
rapports en commissions expertes, des doutes s’élèvent quant à
la proposition du programme politique du National Party pour les
élections prochaines d’instaurer l’apartheid : même si les
architectes de l’apartheid reprennent et acceptent les conclusions
du gouvernement, et les demandes insistantes des industriels, dont
celle de l’inéluctabilité de la présence urbaine africaine, leur
programme de séparation des races implique d’autres visions et
conclusions des planificateurs, des experts et techniciens modérés,
et au-delà, une mission religieuse, divine même, qu’ils n’avaient
pas entrevue ; J.C. van Rooy, président du Broederbond
affirmait en 1944 :
« Une Idée Divine est incarnée dans chacun des Peuples du monde, et la tâche de chaque Peuple et de construire sur cette Idée et de l’accomplir. Ainsi, Dieu a créé le Peuple Afrikaner avec sa langue unique, avec sa philosophie unique, son histoire et sa tradition propre afin qu’il puisse répondre à une vocation et une destinée particulières dans ce coin sud de l’Afrique. Nous devons monter la garde autour de tout ce qui nous est particulier, et construire dessus. Nous devons croire que Dieu nous a appelés pour que nous soyons ici même les serviteurs de Sa Justice. Nous devons marcher sur le chemin qui mène de l’obéissance à la foi. »
1948 :
L'APARTHEID
Sans
droit de vote pour les non-Européens, en 1948, le Parti national
accède au pouvoir : l’apartheid commence dès lors avec l’adoption
de lois radicalement racistes [1]. Selon Nelson Mandela :
“Le Parti national avait refusé de soutenir la Grande-Bretagne et avait publiquement sympathisé avec l’Allemagne nazie. La campagne du Parti national se concentra sur le « Swart Gevaar » (le péril noir), avec comme slogans : « Die kaffer op sy plek » (le nègre à sa place), et « Die koelies vit die land » (les coolies à la porte) – coolie étant le terme méprisant pour désigner les Indiens. Les nationalistes, dirigés par le Dr. Daniel Malan, un ancien pasteur de l’Eglise réformée hollandaise et ancien directeur de journal, formaient un parti animé par l’amertume – amertume envers les Anglais qui, pendant des décennies, les avaient traités comme des inférieurs, et amertume envers les Africains car les nationalistes croyaient qu’ils menaçaient la prospérité et la pureté de la culture afrikaner.”
David Goldblatt
Johannesburg
1955
L'air
de la ville rend libre : la ville traditionnelle, la ville héritée,
lieu privilégié des melting-pots sociaux, culturels et raciaux, ne
pouvait en aucune manière être adaptée aux principes d'exclusion
et de sécurité essentielle pour la survie de l'espèce dominante
Blanche. Le Swart Gevaar (le péril noir) apparût clairement lors
des grandes grèves ouvrières Noires de 1946, et le recensement de
la même année affichait pour la première fois dans l'histoire du
pays, la supériorité numérique des Noirs sur les Blancs dans les
villes. Les nouveaux dirigeants peuvent s’appuyer, dans le domaine
de l’urbanisme, sur le rapport Sauer, écrit en 1947 (Herenigde
Nasionale party Verslag van die Kleurvraagstud-Koramissie, 1947) qui
préconisait de renverser le mouvement d’urbanisation des
populations non-Européennes et de les confiner dans des segregated
areas autonomes et surveillés :
“The (number of) detribalized natives in the towns must be frozen and preference as far as work and other rights will be given to them in the cities as long as they are there and until such time as the ideal of total apartheid is achieved... The native in the white urban areas should be regarded as a ‘visitor’ who has come to offer his services to his own advantage and that of the white man.”
Les
premières mesures expéditives donnent la mesure ; à Johannesburg,
par exemple, dès 1948, le Council refuse l’entrée sur son
territoire de près de 15.000 ruraux Africains et expulse plusieurs
milliers d’Africain-e-s sans emploi.
L’on
charge les planificateurs et urbanistes - aidés des militaires - de
concevoir à la fois le territoire, la ville et l’architecture de
l'apartheid : chaque échelle est liée et imbriquée l’une dans
l’autre, faisant ainsi un système complet totalitaire ; de la
surface exacte d’une matchbox à l’emplacement idéal d’un
township, tout est pensé, calculé et dessiné afin de réduire au
minimum les frais de construction, de gestion et d’entretien, coûts
qui incombe d’ailleurs aux habitants. L’urbanisme de l’apartheid
doit matérialiser dans les différents espaces de la vie
quotidienne, les principes de la séparation totale des races, et
plus important, de maîtriser la menace révolutionnaire du « Swart
Gevaar ».
En tant que dominion britannique, les planificateurs
portent naturellement toute leur attention et préférence à
l'idéologie anti-urbaine : aux théories de la Garden City de Howard
et de ses adeptes, d’ailleurs, les architectes de l’apartheid
songeaient, dans les premiers temps, à effectivement bâtir des
colonies verdoyantes. Le plan schématique de la Garden City de
Howard propose aux planificateurs de l’apartheid un modèle qu’il
s’agit d’adapter : le centre ville historique et financier,
résidentiel réservé aux Blancs serait au centre de la figure,
protégé par une buffer zone, et les villes satellites tout autour
serait dédié à l’habitat résidentiel pour les non-européens, à
proximité des centres industriels ; l’ensemble relié par un
réseau de transports.
Les
planificateurs de l’apartheid seront également sensibles aux
théories de l’urbaniste anglais Abercrombie, auteur du plan pour
le Grand Londres durant la seconde guerre mondiale. Dans son schéma
intitulé London, social and functional analisys, Abercrombie
présente sa vision d’une capitale britannique agencée comme une
sorte d’agglomérats de quartiers indépendants, isolés les uns
des autres par des espaces laissés intentionnellement libres et
verdoyants, laissant songer à un organisme vivant observé par un
microscope.
Patrick Abercrombie, architecte urbaniste
London Social & Functional Analysis
Vers 1942
Le modèle d’urbanisation d’Abercrombie repris par l’apartheid : un conglomérat de globules urbains socialement homogènes isolés par des espaces laissés intentionnellement libres.
Mais si
ce modèle d’urbanisme et d’aménagement du territoire ont
inspiré les planificateurs sud-africains, ils auront également une
autre source d’inspiration auprès des architectes allemands
socialistes de la République de Weimar, et surtout, avec les
expériences du régime fasciste de Mussolini, ayant colonisé une
partie de l’Afrique du Nord.
LE
MODELE MUSSOLINI
Hendrik
Verwoerd, homme politique sud-africain et principal architecte de
l'apartheid [il fut ministre des Affaires Indigènes puis Premier
ministre], ainsi que d'autres futurs ministres du régime de
l'apartheid, ne cachaient pas, jusqu'aux heures les plus sombres de
la guerre mondiale, leurs sympathies pour le fascisme de Mussolini,
dont le racisme contre les Noirs avait peu d'égal. Sous sa
dictature, la colonie éthiopienne sera d'ailleurs soumise à des
lois raciales plus tard reprises par l'apartheid [Mussolini en
personne interdit les rapports sexuels entre Noires et Blancs en
1937], et meurtrie par le massacre, le carnage d'Addis-Abeba, en
février 1937, par l'armée et les Chemises noires fascistes, suite
à l'attentat manqué du général Graziani : 30.000 civils
[estimation haute], femmes, enfants, vieillards, sont pourchassés
dans la ville et tués méthodiquement pendant trois jours, selon les
ordres de Mussolini.
Contemporaines
des premières lois ségrégatives de l'Afrique du Sud, le régime
fasciste instaura dans l'entre-deux guerre des lois et réformes
urbaines tout aussi radicales, plus tard réadaptées –
socio-racialement - par l'apartheid :
• Lois
et de mesures restrictives concernant le choix du lieu d’habitation
des ouvriers, et sur la mobilité résidentielle (obligation d'un
travail régulier et déclaré pour se loger dans une résidence en
ville).
• Relégation
des classes indigentes, pauvres et ouvrières hors des centres
villes.
• Politique
sociale n’assurant aucunement la demande et les besoins de la
population ouvrière dans les grandes villes en matière de
logements.
• Répression
contre toute forme de luttes sociale et urbaine par l’usage de la
la violence appliquée dans les cadres de la loi, et celle
extralégale (Chemises Noires).
L'idéologie
anti-urbaine du régime fasciste, comme plus tard celle de
l'apartheid, reposent sur des interventions urbanistiques, des lois
et des mesures restrictives portant sur l’immigration intérieure
qui selon Colette Vallat, « sont autant au service d’une campagne
qu’il faut rendre productive, que de la ville à laquelle il faut
garder son caractère élitiste.» Les principaux objectifs sont de
limiter une trop grande concentration ouvrière dans les villes
industrielles, d'assainir les centres historiques et les quartiers
anciens de la plèbe, et d'y interdire la venue et l'installation de
populations rurales migrantes pauvres, et en particulier du sud du
pays. Calza Bini, dirigeant fasciste des IACP (Institut autonome
pour les maisons populaires) estimait qu'il fallait « chercher à
conduire vers la périphérie et au-delà tous ceux qui n'ont rien à
faire en ville. » Dans le même ton, la Native Affairs Commission en
1925, en Afrique du Sud, est un parfait écho:
« La ville est une aire européenne dans laquelle il n'y a pas de place pour l'indigène superflu, qui est sans travail pas plus qu'il ne rend service à sa communauté, mais forme une classe avec les agitateurs professionnels, les logeurs des taudis, les vendeurs d'alcool, les prostituées et toutes les autres sources indésirables. »
En
1928, Mussolini proclamait dans l’article Sfollare le città :
« Le mot d’ordre qui est donné à toutes les hiérarchies du régime, de celles du centre à celles des périphéries est celui-ci : empêcher par tous les moyens, y compris, si nécessaire, les moyens coercitifs, l’abandon des campagnes ; refouler par tous les moyens l’immigration qui déferle dans les villes. Pour ce qui est de l’industrie du bâtiment, il y a des millions de maisons rurales inhabitables, à démolir et à refaire, ce qui est compris dans les plans de l’assainissement intégral ».
L'urbanisme
de ségrégation sociale-politique consista donc, en Italie comme en
Afrique du Sud, à expulser les classes pauvres des villes et à
refouler l'assaut des ruraux par la destruction de quartiers anciens
et d'îlots de pauvreté, offrant par la même occasion à la
spéculation des terrains d’une valeur inestimable. En théorie,
car faute de moyens conséquents et de temps (la guerre), la classe
ouvrière italienne, potentiellement dangereuse, devait être
cantonnée, selon des catégories sociales-politiques bien précises
:
• L'aristocratie ouvrière, les employés de l'administration fasciste, étaient admis dans l'enceinte de la ville, mais épurés de leurs éléments communistes, syndicalistes et autres opposants au régime ; les plus méritants sont logés dans les nouveaux quartiers ouvriers « modèles » modernes et bien équipés, à la périphérie des villes, comme le très agréable quartier Garbatella à Rome.
• La plus grande majorité des expulsés des quartiers centraux anciens sont déplacés dans des bourgades uniformes sordides, en zone péri-urbaines souvent proches des centres industriels.
• Le sous-prolétariat et les migrants ruraux pauvres sont concentrés dans les borgete [bourgades], simples noyaux urbains implantés en lointaine périphérie, étroitement surveillés par la police, composés d’une succession de baraquements sommaires, distribuée par des voies de terre, ne disposant d’aucun équipement public. Boncompagni Ludovisi, déclarait à propos de la borgata Gordiani à Rome :
«... les maisons n’ont pas d’eau ni de cabinets. Ces derniers et les fontaines (qui doivent servir aussi pour la toilette) sont répartis en plusieurs points de la zone et doivent servir à un nombre déterminé de logements. Les constructions fabriquées en toute hâte et dans l’économie sont détériorées. Les toits n’arrivent pas à empêcher l’eau de filtrer dans les pièces de séjour entraînant une humidité funeste aggravée par l’eau qui affleure et remonte du sol étant donnée l’absence de fondation et de plancher ».
• Le lumpenproletariat des bidonvilles, considéré comme ennemi de la nation fasciste, est relégué par la force hors des agglomérations ; les zones de taudis sont systématiques détruites par les Chemises Noires, et reconstruites toujours plus loin.
• Enfin, des Nuclei Edilizi, des villes nouvelles sont construites dans les campagnes, et participent au développement d'une région [assèchement des marais Pontins, par exemple] en « fixant » dans des centres urbains, les populations rurales pauvres.
MADE IN
USA
Les
lois raciales made in USA contre la communauté Noire et les
peuplades Indiennes constituaient un formidable réservoir d'idées
et d'expériences pour les architectes de l'apartheid. Mais outre les
réserves Indiennes, ces lois ne concernaient pas ou peu les domaines
de l'urbanisme et moins encore de l'aménagement du territoire. Cela
étant, un modèle d'urbanisation intéressa les planificateurs
sud-africains, celui des company towns érigées dans la seconde
moitié du 19e siècle, ces cités-casernes industrielles isolées,
implantées en campagne le long des voies de chemin de fer, loin des
centres villes, dont l'objectif est ainsi résumé par le fabriquant
de piano Steinway :
« Nous espérions échapper ainsi aux menées des anarchistes et des socialistes, qui déjà à cette époque passaient leur temps à susciter le mécontentement parmi nos ouvriers et à les inciter à se mettre en grève. Ils semblaient nous prendre pour cible et nous pensions que si nous pouvions éviter tout contact entre nos ouvriers et ces hommes, ainsi qu'avec d'autres tentateurs de la ville dans les quartiers ouvriers, ils seraient plus heureux et que leur sort serait meilleur. »
Une
stratégie urbaine déjà à l’oeuvre en Afrique-du-Sud, où
s’érigeaient les compounds et hostels destinés aux ouvriers qui
visaient à les séparer de l'environnement social et politique
instable de la grande ville, et d'autre part, prétendaient exercer
sur les travailleurs un contrôle rigide aussi bien sur le plan
politique, en soumettant à discrimination les membres des
organisations syndicales, qu'économique, en contrôlant la mobilité
et la dynamique salariale.
L'URBANISATION DE
L'APARTHEID
L'idéologie
anti-urbaine du fascisme, comme celle plus tardive du nazisme, qui
prônent une politique de programmes d'assainissement des grandes
villes et d'incitations au « retour à la terre » purificateur, ont
sans doute inspiré ou influencé, bien plus que les théories de la
Garden city de Howard, les politicens pro-fascistes-nazis de
l'apartheid de l'entre-deux guerre. Cette dimension d'anti-urbanité
était déjà sous-jacente dans l'idéal des fermiers Boers, ils la
glorifieront, au moment même où la société s'urbanise et
s'industrialise, y compris l'agriculture.
Mais si
l'on remarque des similitudes parfaites, les théoriciens de
l'apartheid formuleront une idéologie, ou une utopie tout à fait
inédite, celle d'une « société séparée », ou de «
développement séparé » : le grand apartheid, défini ainsi par
R. Davies :
« C’est à partir de l’héritage d’une ségrégation pragmatique que s’est développée une tentative pour créer des sociétés ethniques séparées verticalement dans lesquelles les contacts horizontaux seraient réduits au minimum (en théorie) et dans lesquelles chaque société serait identifiée à son propre territoire.»
Le
séparatisme des races devait ainsi « protéger » la culture
africaine des méfaits de la détribalisation et de l'urbanisation –
blanche - présumées acculturantes, voire déstabilisatrices car peu
adaptées aux modes de vie clanique : le véritable foyer, en
particulier la famille, doit être à la campagne, au sein des
tribus, sous l'autorité du Chef. Ceci justifia pendant longtemps le
grand apartheid auprès de la communauté internationale, et les
argumentations pseudo-anthropologiques avancées pour tenter de le
fonder scientifiquement prouvaient l'inaptitude des Noirs – tout du
moins sa masse rurale – à s'adapter aux conditions de vie urbaine,
et leur préférence à rester hors de la modernité.
Interdire
donc l'urbanisation des populations Noires non méritantes, et les
consacrer à « stagner », selon les lois de l'apartheid, dans la
tradition des coutumes ancestrales rurales, les condamnent à
l'anti-modernité. Nelson Mandela évoquait particulièrement ce
point :
« Malgré son aspect infernal, le township d’Alexandra était aussi une sorte de paradis, C’était un des rares endroits du pays où les Africains pouvaient devenir propriétaires et diriger leurs propres affaires, où les gens n’avaient pas à faire de courbettes devant la tyrannie des autorités municipales blanches, une terre promise urbaine, la preuve qu’une partie de notre peuple avait rompu les liens avec les régions rurales pour devenir des habitants permanents de la ville. Le gouvernement, afin de maintenir les Africains à la campagne ou au travail de la mine, soutenait qu’ils formaient par nature un peuple rural, inadapté à la vie citadine. Malgré ses problèmes et ses insuffisances, Alexandra lui apportait un démenti. Sa population, issue de tous les groupes linguistiques africains, était parfaitement adaptée à la vie citadine et politiquement consciente. La vie urbaine tendait à estomper les distinctions tribales et ethniques, et au lieu d’être des Xhosas, des Sothos, des Zoulous ou des Shangaans, nous étions des Alexandriens. Cela créait un sentiment de solidarité qui inquiétait beaucoup les autorités blanches. Vis-à-vis des Africains, le gouvernement avait toujours utilisé la tactique du diviser-pour-régner, et il comptait sur la force des divisions ethniques. Mais dans des endroits comme Alexandra, ces différences s’effaçaient. Alexandra tient une place de choix dans mon coeur. »
Ce type
de raisonnements racistes n'est pas l'apanage des politiciens
sud-africains Blancs car une fraction de l'élite Noire, issue des
familles royales et princières, attachées à leur pouvoir, estimait
la prolétarisation urbaine des Noirs comme étant le plus grave
danger pouvant mettre en danger leur suprématie ancestrale, et comme
étant un élément perturbateur d'émancipation des femmes, « les
porteuses naturelles des traditions.» Certains chefs de tribus
étaient ainsi des serviteurs zélés de l’administration.
C'est
ainsi que les planificateurs radicalisèrent l'urbanisme colonial qui
avait dominé jusqu'alors, dont la conception oppose la ville Blanche
aux zones indigènes, mais imbriquées : l'apartheid les sépare
physiquement, en fragmentant la ville en deux entités-villes
distinctes, ayant chacune leurs propres caractéristiques, leurs
propres lois et leurs propres fonctionnements.
Pour la
ville blanche, les planificateurs reprennent en grande partie les
théories d'aménagement du territoire se référant aux principes de
l'idéologie anti-urbaine, sur le modèle des banlieues tentaculaires
des villes californiennes : un type d'urbanisme de dé-concentration
par nature expansif : il doit s'agir d'occuper physiquement le
territoire, l'extension urbaine blanche, à l'image de Los Angeles,
devait pallier la minorité numérique. Dans leur forme urbaine très
étendue, ces tissus pavillonnaires, en propriété individuelle,
représentaient autant de bastions à prendre que de zones de
surveillance placées sous l'autorité de milices urbaines formées
de réservistes de l'armée. La ville blanche n'est cependant pas
interdite en tant que lieu de résidence aux Noirs : les dérogations
sont très nombreuses concernant notamment les employés de maison,
domestiques, servantes, nounous, cuisinières, chauffeurs,
jardiniers, gardiens et policiers, etc., qui sont autorisés à
résider dans les zones blanches. À Johannesburg, chaque immeuble
d'habitations du centre-ville abritait sur son toit les gardiens et
employés domestiques, et les maisons individuelles des banlieues
aisées disposaient d'une ou plusieurs chambrettes destinées aux
employés de maison.
Les
centres-villes hérités qui concentrent les institutions du pouvoir,
et de la finance, les monuments historiques rappelant l'histoire de
la conquête coloniale, sont des zones stratégiques et une large
Buffer Zone de plusieurs kilomètres les isolent et les protègent
des quartiers résidentiels noirs. Ici, le « Petit » apartheid [ou
le mesquin] instaure comme aux USA, la ségrégation de tous les
espaces urbains concernés par les flux de population (transports),
les lieux et services publics (parcs, gares, postes, trottoirs et
même bancs) et semi-publics (commerces).
GROUP
AREAS ACT
Pour la
ville Noire, le principe général est de concentrer-consigner les
populations urbaines dans des zones résidentielles bien délimitées
et isolées, parfait contraire du modèle des zones résidentielles
blanches cherchant à occuper le territoire et à s'étendre à
l'infini. Le Group Areas Act, loi instaurée en 1950, pilier de
l'apartheid (Malan la désigne d'« essence même de l’apartheid »)
concerne en premier lieu les populations métis et indiennes, celles
africaines dont les lieux de résidence étaient déjà bien
contrôlés, ou isolés en périphérie. La loi est ainsi expliquée
par Nelson Mandela :
« Le Group Areas Act constituait la base de l’apartheid résidentiel. D’après cette loi, chaque groupe racial ne pouvait posséder de la terre, occuper des locaux et avoir une activité que dans une zone séparée. Par conséquent les Indiens ne pouvaient vivre que dans des zones réservées aux Indiens, les Africains dans des zones africaines et les métis dans des zones réservées aux métis. Si des Blancs voulaient le terrain ou les maisons d’autres groupes, il leur suffisait de déclarer la zone blanche et d’en prendre possession. Le Group Areas Act a ouvert l’ère des déplacements forcés, quand les communautés africaines, des villes et des villages situés dans des zones urbaines considérées comme “blanches”, ont été violemment déplacées parce que les propriétaires blancs voisins ne voulaient pas que les Africains vivent à côté d’eux ou parce qu’ils voulaient simplement prendre leur terre. En haut de la liste des déplacements forcés, il y eut Sophiatown, une communauté très vivante de 50.000 personnes, un des plus anciens quartiers noirs de Johannesburg. Malgré sa pauvreté, Sophiatown débordait d’une vie très riche et donnait naissance à beaucoup de choses nouvelles et de valeurs dans la vie et la culture africaines. »
Diagram of the spatial organisation of the Segregation City, by Professor R.J. Davies (“The Spatial Formation of the South African City.” GeoJournal Supplementary, Issue 2, 1981) [CBD = Central Business District]
Mais la
déconcentration ou l'éclatement des populations urbaines ne pouvait
se concevoir dans une nation industrialisée en plein développement,
et la découverte de fabuleuses veines minières d'or et de matériaux
rares, nécessitaient une main-d'oeuvre toujours plus nombreuse : le
capitalisme moderne exigeait des concentrations urbaines massives,
d'armées de réserve d'ouvriers et d'employés. Cette demande du
grand capital plaida en faveur de l'urbanisation des Noirs, ayant un
droit « temporaire » à la ville, subordonné, sauf cas
spécifiques, à leur « utilité économique ». Lindsay Bremner,
architecte sud-africain concédait :
« Black people were reduced to being temporary, labouring sojourners in a white world. Their presence was a constant reminder that a creolised, heterogeneous world was only an administrative slip away. »
Ainsi,
le droit de résider en ville est contraint à un contrat de travail,
et la durée de ce dernier conditionne la durée de location d'une
maison municipale. Ce système autorise la constitution d’une force
de travail captive et soumise aux employeurs, qui sont invités à
établir des contrats de travail à durée déterminée. Et plus
particulièrement pour les travailleurs « temporaires », au
contraire des classes aisées, de la bourgeoisie, de l'aristocratie
ouvrière et de la classe moyenne en constitution qui peuvent obtenir
sans grande difficulté le renouvellement des baux de location. Il ne
s'agissait donc pas uniquement de concentrer une population Noire
pauvre, mais au contraire, de favoriser l'émergence d'une élite
dans chaque classe sociale, acceptant la collaboration avec le
système en échange du Droit de pouvoir vivre à proximité
[relative] des grandes villes. Cette politique de cooptation [ou de
collaboration] sera renforcée au fil des années, notamment après
les grandes grèves ouvrières Noires de 1973, et les émeutes de
Soweto en 1976.
Diagram of the modernized apartheid city model by David Simon (“Crisis and Change in South Africa: Implications for the Apartheid City”. Transactions of the Institute of British Geographers, New Series, Vol. 14, No. 2 (1989)) (based on Professor R.J. Davies).
Les deux figures représentent l’évolution et la répartition des populations selon la race des villes entre les premières années du régime et les années 1970 : la plus notable différence est le SSSSS, c’est-à-dire, le “squatting”.
INFLUX
CONTROL
Assigner
à treize millions [en 1958] de sud-africains Noirs un lieu de
résidence « forcé » impliquait un contrôle bureaucratique total,
cependant parfaitement inefficace sans un instrument de contrôle de
la mobilité des populations. À cette fin, en 1952, le système
instaura le Natives Urban Areas Act, rendant obligatoire un Pass book
pour tous les hommes âgés de plus de 15 ans, étendu aux femmes en
1956 ; c'est un livret d'identité que chaque Noir doit porter en
permanence, renseignant sur le lieu de domicile et de travail :
justificatifs prouvant que le contrôlé dispose d'un contrat de
travail dont la durée détermine celui du contrat de location établi
par le black council local. En principe, les sud-africains Noirs
devaient justifier leurs moindres déplacements, et leur présence
dans une ville qu'il n'habite pas, où ils ne sont pas « enregistrés
», présence limitée à 72 heures légales. Le Natives Urban Areas
Act, est le principal instrument de régulation et de contrôle de
l'influx [Influx Control] des Africains Noirs dans les centres
urbains, qui désormais, avec d'autres lois, standardisent et
réglementent tous les aspects de la vie quotidienne.
Pour
cela, une incroyable administration est mise en place, un Central
Reference Bureau est chargé de l'identification et l'enregistrement
de la population (Population Registration Act), relayé par des Local
urban labour bureau dans les townships, et des District rural labour
bureau dans les campagnes. Et l'Etat recrute en masse des agents de
Police – Noirs – et des inspecteurs chargés de contrôler les
populations, et plus particulièrement les classes laborieuses et
dangereuses. Un paragraphe du Natives Urban Areas Act autorise les
barrages routiers, les contrôles dans les gares routières et
ferroviaires, partout, mais aussi les raids nocturnes dans les
townships, et de vérification d'identité jusque dans les résidences
des quartiers blancs où logent les employés de maison.
Margaret Bourke-White
God is Black
Johannesburg
1950
Margaret Bourke-White
Johannesburg
1950
Le
Natives Urban Areas Act aura comme conséquence la constitution d'un
formidable mouvement de résistance nationale inter-ethnique, et
pendant une dizaine d'années se succèdent les manifestations, les
grèves, la « campagne de défi » de 1952, les appels à la
désobéissance civile, notamment des leaders de l'ANC, qui brûlent
en public leur Pass, comme son président Albert Luthuli, Prix Nobel
de la Paix en 1961. La même année, le massacre carnage de
Shaperville mettra un terme à cette longue campagne pacifique... et
donnera naissance à la branche armée de l'ANC, Umkhonto weSizw,
dirigée par Nelson Mandela, premier commandant en chef.
Au
début des années 1950, commence le cycle des grandes expulsions des
communautés Noire, Métis et Indienne, des quartiers proches des
centres villes et des zones résidentielles réservées à la
population Blanche, vers de nouveaux quartiers de concentration,
parmi les plus emblématiques : Sophiatown à Johannesburg, Cato
Manor (Durban), District Six (Le Cap), Marabastad (Pretoria) et des quartiers
bien moins connus dans des villes secondaires : partout les locations
ont été rasées.
BANTU
AUTHORITIES ACT
Les
planificateurs, architectes de l'apartheid, dépasseront l'échelle
par trop restreinte de l'urbanisme des villes, pour aborder celle,
essentielle, de l'aménagement du territoire. Le gouvernement de
Daniel François Malan votait en 1951 le « Bantu Authorities Act »
qui instaurait les bantoustans, territoires ou réserves allouées
aux groupes ethniques noirs ; selon Nelson Mandela :
« Cette loi abolissait les conseils représentatifs indigènes, le seul forum de représentation nationale des Africains, et elle les remplaçait par un système hiérarchique de chefs tribaux nommés par le gouvernement. L’idée était de redonner le pouvoir aux chefs ethniques traditionnels, essentiellement conservateurs, afin de perpétuer les différences ethniques qui commençaient à s’estomper. Ces deux lois résumaient l’ethos du gouvernement nationaliste, qui prétendait protéger ce qu’il essayait de détruire. Il présentait les lois qui dépouillaient les gens de leurs droits comme voulant les restaurer. […] Il s’agissait en fait d’un projet de « développement séparé » ou grand apartheid. Le système des bantoustans avait été conçu par le Dr. H.F. Verwoerd, le ministre des Affaires indigènes, afin de faire taire les critiques internationales sur la politique raciale de l’Afrique du Sud, mais en même temps afin d’institutionnaliser l’apartheid. Les bantoustans, ou les « réserves » comme on les appelait parfois, seraient des enclaves ethniques séparées, ou des homelands (foyers nationaux) pour tous les citoyens sud-africains. Les Africains, disait Verwoerd, « devaient avoir les deux pieds dans les réserves » où ils « se développeraient en suivant leur propre voie ». L’idée était de préserver le statu quo selon lequel trois millions de Blancs possédaient 87 % du pays et de reléguer les huit millions d’Africains dans les 13 % restants. Le rapport avait comme thème central le rejet de toute idée d’intégration entre les races, au profit d’une politique de développement séparé des Noirs et des Blancs. Dans ce but, il recommandait l’industrialisation des zones africaines et insistait sur le fait que tout programme qui n’avait pas pour objectif de fournir aux Africains des possibilités de développement dans leurs propres régions était voué à l’échec. La commission faisait remarquer que la configuration géographique existante des zones africaines était par trop fragmentaire et recommandait leur consolidation en créant ce qu’elle appelait sept homelands « logico-historiques » des principaux groupes ethniques. Mais la création de bantoustans indépendants, comme le proposait la commission, était burlesque. Le Transkei, qui servait d’exemple pour étayer la démonstration du système des homelands, serait divisé en trois blocs géographiques séparés. Les bantoustans Swazi, Lebowa et Venda étaient composés chacun de trois morceaux ; le Gazankule de quatre, le Ciskei de dix-sept, le Bophuthatswana de dix-neuf et le KwaZulu de vingt-neuf. Les nationalistes dessinaient un puzzle cruel avec la vie des gens. En créant le système des homelands, le gouvernement avait comme intention de maintenir le Transkei – et les autres zones africaines – en réservoirs de main-d’oeuvre bon marché pour l’industrie blanche. En même temps, le gouvernement avait comme but caché de créer une classe moyenne africaine afin d’affaiblir l’attrait qu’exerçaient l’ANC et la lutte de libération. »
BANTU
SELF GOVERNMENT ACT
« En 1959, le Parlement a voté la Bantu Self Government Act (Loi sur l’autonomie bantoue) qui créait huit bantoustans ethniques séparés. Cette loi marquait la fondation de ce que le gouvernement appelait le groot ou grand apartheid. [...] En faisant adopter la Bantu Self Governement Act, De Wet, le ministre de l’Administration et du Développement bantous, dit que le bien-être de chaque individu et de chaque groupe de la population trouverait un meilleur développement dans sa propre communauté nationale. Les Africains, dit-il, ne pourraient jamais être intégrés à la communauté blanche. L’immoralité de la politique des bantoustans, à cause de laquelle 70 % de la population seraient regroupés sur 13 % du pays, sautait aux yeux. D’après cette nouvelle politique, même si deux tiers d’Africains vivaient dans les prétendues zones « blanches », ils ne pouvaient avoir que la citoyenneté de leur « homeland tribal ». Le projet ne nous donnait ni liberté dans les zones « blanches » ni indépendance dans ce qu’ils considéraient comme « nos » zones. Verwoerd dit que la création des bantoustans engendrerait tant de bien qu’ils ne deviendraient jamais des terrains favorables à la rébellion. En réalité, il se passa exactement l’inverse. Les zones rurales étaient en ébullition. Peu d’entre elles résistèrent avec autant d’obstination que la région de Zeerust, où le chef Abram Moilwa (avec l’aide de l’avocat George Bizos) poussa son peuple à s’opposer aux soi-disant Autorités bantoues. En général, la presse ignore ces régions, et le gouvernement se sert de leur caractère inaccessible pour cacher la cruauté de ses actions. Des quantités de gens innocents furent arrêtés, condamnés, emprisonnés, bannis, frappés, torturés et assassinés. Les habitants du Sekhukhuneland se révoltèrent également, et le chef suzerain Moroamotsho Sekhukhune, Godfrey Sekhukhune, et d’autres conseillers furent arrêtés et bannis. Un chef sekhukhune, Kolane Kgoloko, considéré comme un laquais du gouvernement, fut assassiné. En 1960, la résistance dans le Sekhukhuneland était devenue ouverte et les habitants refusaient de payer leurs impôts. A Zeerust et au Sekhukhuneland, les branches locales de l’ANC jouèrent un rôle essentiel dans les manifestations de refus. Malgré la sévère répression, un très grand nombre de nouvelles branches de l’ANC apparurent dans la région de Zeerust, l’une d’entre elles réunissant jusqu’à 2 000 membres. Les régions du Sekhukhuneland et de Zeerust furent les premières d’Afrique du Sud où le gouvernement interdit l’ANC, preuve de notre pouvoir dans ces zones éloignées. Des manifestations éclatèrent dans le Pondoland où l’on agressa et tua des partisans du gouvernement. Le Thembuland et le Zululand résistèrent violemment, et furent parmi les dernières régions à céder. Les gens furent battus, arrêtés, déportés et emprisonnés. Au Thembuland, la résistance durait depuis 1955, avec Sabata qui appartenait aux forces d’opposition. Il m’était particulièrement douloureux de voir qu’au Transkei la colère du peuple était dirigée contre mon neveu et ancien mentor, K.D. Matanzima. Il ne faisait aucun doute qu’il collaborait avec le gouvernement. Il avait ignoré tous les appels que je lui avais lancés au cours des années. On racontait que des impis (guerriers traditionnels) du quartier général de Matanzima avaient brûlé des villages qui s’opposaient à lui. K.D. échappa à plusieurs tentatives d’assassinat. […] Très souvent, des membres de ma tribu ou de ma famille venaient du Transkei pour me voir à Orlando, pour se plaindre des chefs qui collaboraient avec le gouvernement. Sabata, opposé aux Autorités bantoues, refusait de capituler, mais ceux qui venaient me voir avaient peur que Matanzima ne le dépose, ce qui finit par arriver. »
LA
VILLE DE L'APARTHEID
Les
premiers townships des années 1950 étaient sensiblement différents
de ceux bâtis après le massacre de Shaperville, et les premiers
attentats de la branche armée de l'ANC en 1961 : la militarisation
des concepts urbains s'est effectuée graduellement au fur et à
mesure du développement de la résistance Noire ; si l’on décèle
encore dans les premiers plans idéaux des townships une once
d’humanisme, un effort certain pour le paysagement de ce qui devait
être une city-garden, tout ceci sera plus tard définitivement
compromis.
A la
demande du Pretoria-based Council for Scientific and Industrial
Research (CSIR), les fonctionnaires du National Building Research
Institute (NBRI) sont chargés de concevoir pour les Natives des
maisons modèles préfabriquées standards avec un coût minimum de
fabrication, et un model native township idéal avec également un
minimum de moyens financiers ; ces recherches étaient ainsi éditées
en brochures que pouvaient consulter les town planners, les city
Engeneers, les architectes fonctionnaires, etc. En fait, chaque ville
du pays à partir de 1948, expérimentaient et recherchaient, chacun
de leurs côtés, les meilleures économiques solutions, sans
concertation sinon lors des symposiums traitant d’urbanisme et
d’archhitecture. Mais un architecte Douglas McGavin Calderwood
diplômé en 1943, nommé au poste de Chief Research Officer,
personnage clé du National Building Research Institute (NBRI) puis
nommé à la Head of the Architectural Division, tenta d’y mettre
bon ordre, non pas par la conception et le dessin d’un township
idéal, mais par les nouvelles méthodes qu’il suggère pour y
parvenir et en donnant toute son amplitude au Research Institute,
devenant un acteur incontournable, l’assistant privilégié dans le
processus projectuel des townships, en particulier pour les villes
moyennes ne disposant pas de personnel suffisant ou qualifié comme
dans les grandes cités de Capetown ou Johannesburg.
Calderwood
avait pris pour sujet de diplôme pour le titre d’architecte
urbaniste, en 1953 : “An Investigation into the Planning of Urban
Native Housing in South-Africa”, qui deviendra un rapport faisant
référence car en effet, il y analysait avec précisions, ce qu’il
considérait comme étant les premiers Native townships à caractère
expérimental ayant des qualités qu’il convenait de prendre pour
modèle :
Le
Witbank Native township et le Spring Native township, Kwa-Thema.
The
First Experimental Town - Witbank New Native Township,
à
Witbank, une petite commune minière située à l’Est de Prétoria,
est donc le premier township construit selon les normes et méthodes
sous l’apartheid, “The Witbank new Native township is the first
of these experimentatal layouts”, le résultat de longues
recherches effectuées par une “teamwork which is so essential to
planning” selon Calderwood. Son rapport nous donne un aperçu des
modalités de leur conception et réalisation ; c’est en 1949 que
le Town Engineer du City Council soumet son projet à la National
Building Research Institute pour approbation ; le projet est refusé,
la densité n’étant pas assez élevé (3.9 dwellings/acre), et
demande sa révision pour une densité de 5 dwellings/acre ; et le
Research Institute suggéra une nouvelle méthode de travail
consistant à une coopération plus étroite entre les différents
acteurs du projet, entre le staff du Town Engineer, la Witbank
Municipality, le Location Superintendant, le Director of Parks &
Estates, le technical staf du National Housing & Planning
Commission, et enfin, l’architectural staff du Research Institute.
En considérant que le projet urbain ne peut pas, en aucune manière,
être conçu par un seul Town Planner mais par une teamwork composée
de professionnels de différents domaines - urbaniste, architecte,
technicien, économiste, sociologue, etc., et un public plus large au
contact avec les Natives, l’Advisory Board comme le chef de la
police...
Sur la
base des études minutieuses du Town Engineer, qui avait établi le
nombre de Natives présents sur la Location existante en partie
squattée et surpeuplée, compté vaches, cochons et poulets, et
vélos, estimé les besoins en logements pour une population en
croissance, le Research Institute, chargé d’assister le Town
Engineer, modifia en conséquence son premier projet, en fonction,
donc, des avis et recommandations des différents acteurs.
Le
premier township modèle proposait trois groupes résidentiels de 500
logements chacun, pour une population de 2.500 habitants avec tous
les équipements nécessaires, un civic center comprenant les bureaux
de l’Advisory board, un bureau de poste, un dispensaire, un poste
de police, des commerces - prévoyant que les Natives ne possédaient
pas de réfrigérateur -, et un marché, et disséminés sur le site,
trois écoles, nursery, églises, terrains de sports, etc. Un buffer
strip isolait le township, un open space green area inconstructible
faisant également fonction d’espace de transition paysagère avec
le township ; les parcs et squares occupaient près de 25% de sa
surface totale.
Construit
à partir de 1950, le rapport de Calderwood écrit en 1953 pointait
ainsi les qualités et les défauts, les dysfonctionnements urbains
de ce premier township expérimental de l’apartheid, encore en
chantier, où à cette date 900 maisonnettes avaient été
construites. Il célébrait en premier lieu, la nouvelle méthode de
conception inter-disciplinaire, il félicitait la collaboration
étroite entre les acteurs et leur enthousiasme et indiquait
également que les premiers habitants ex-squatters étaient
parfaitement heureux de vivre ici : aucune plainte ou réclamation ne
fut adressé à l’Advisory board. Sa seule remarque désobligeante
concernait le landscaping : pas assez d’arbres venaient agrémenter
le township, renforçant la monotonie d’un paysage composé de
maisonnettes identiques...
WITBANK, Native Township
Photo : Douglas Maud | National Building Research Institute
1952 - 1953
Calderwood
estimait ainsi que :
“By March 1952, Witbank had proved to themselve and the rest of South Africa that Native housing problems could be solved.”
The
Springs New Native Township of Kwa-Thema
Calderwood
prend pour second modèle expérimental ce Native township situé à
Springs, à l’Est de Johannesburg, destiné à reloger les
habitants de la location de Payneville, surpeuplée. En 1950, la
municipalité contacte le National Building Research Institute pour
une assistance pour la conception du nouveau Township. Avec la
première expérience de Witbank, la teamwork commence en 1951 par
une étude analytique sociologique, préalable nécessaire pour
l’établissement du programme, en concertation étroite avec le
town planner et les travailleurs sociaux :
“Without the social surveys, howewer, the planner is left in the dark and must base his decisions upon guesses and prejudices (often referred to as experience”.
Dans le
même temps, des études sont effectuées par des spécialistes -
town planners et engineers - concernant le site : nature et coût du
terrain, extension possible, infrastructures existantes (routes,
électricité, eau, transports, etc.) et à prévoir. Les conclusions
de ces différentes études permettent au town planner d’esquisser
un premier plan programme, à l’architecte les plans des
maisonnettes et édifices publics, tous deux assistés par le
Research Institute, dans l’objectif d’un “environment must be
created in which the inhabitants must be able to live a full and
happy life”, selon Calderwood.
L’étude
sociologique effectuée à Payneville établissait des records de
sur-population : pour une population estimée à 20.000 habitants,
892 maisons privées et 610 maisons louées par la ville : chaque
maison “contenait” 13.4 personnes. La municipalité, afin de
prévenir la croissance des squatters de Payneville érigea un camp
provisoire de 1.100 temporary houses, en attendant d’être relogés
dans le nouveau township de Kwa-Thema, programmé ainsi pour 30.000
habitants dans 6.000 logements dans une première phase, 40.000 dans
le long terme.
Etant
donné l’importance du township en terme de population, de sécurité
et surtout de coûts financiers à supporter, le plan programme a été
négocié par les autorités municipales, le National Housing &
Planning Commission et le Department of Native Affairs ; et
l’Advisory board de Peyneville fut également consulté, qui
d’ailleurs lui donna son nom.
Le
rapport de Calderwood soulignait en premier lieu, et insistait sur la
très grande qualité paysagère du site choisi pour Kwa-Thema, en
partie boisé et les effort des techniciens du Building Research
Institute pour préserver les arbres et les intégrer au projet :
“But as the trees were to be left to enhance the appearance a
detailled plan was essential.” La monotonie des maisonnettes
pouvait ainsi être estompée par la beauté des arbres de haute tige
et la plantation d’arbres prévue l’enthousiasmait, nous
indiquant cependant l’indifférence des enfants maltraitant les
nouvelles plantations.
Il
appréciait également le civic center programmé au centre de ce
vaste township concentrant toutes les facilités pour une ville de
40.000 habitants, comprenant une commercial arcade, une avenue
piétonne bordée de commerces et des offices de l’administration,
aboutissant d’un côté sur une imposante église...
Le
principal problème rapporté concernait les plus pauvres de la
Location, les squatters qui n’avaient pas les moyens suffisants
pour payer un loyer et les charges ; qui décidèrent les
planificateurs à programmer un modèle de maison-dortoir at the
lowest cost possible, des abris privés de tout confort, des one room
row houses regroupées dans un quartier spécifique de Kwa-Thema.
Springs
Kwa-Thema Native Township
Vers 1952 | Calderwood report 1953
Calderwood
s’employa également à effectuer des recherches sur le Native
Housing problem selon ces propres termes avec cet objectif de
concilier le Nationalist government's post-Second World War township
building programme et économie maximum. Il a été chargé à ce
titre de concevoir plusieurs modèles de maisonnette les plus
économiques possibles (NE 51/6, NE 51/8 and NE 51/9 (‘NE’ pour
non-European) ; il est aussi l’auteur d’une multitude d’études
détaillant avec précisions tous les coûts d’un projet : de la
poignée de porte jusqu’à l’emplacement même d’un township,
la meilleure disposition et la typologie des matchboxs, la largeur
idéale d’une voie de desserte, etc. De même s’appliqua-t-il à
comparer le dessin et le coût d’une multitude de matchboxs ayant
été construites avant 1948, et après. En conclusion :
“Housing plans cannot be based upon technical considerations alone, they are based upon known facts, technical contributions, administration and economic possibilities. The observations of thi work cannot produce a ready-made plan for future housing but certain conclusions can be drawn. One the facts are known in respect of population, rent paying ability and the costs and methods of building houses, then the chances or formulating a successful plan are good. The scientific investigations which have been undertaken by the National Building Research Institute have provided a great field of technical knowledge, and the social surveys being sponsered by the Council for social Research have turn unknows into knows - a housing plan is thus coming into sight. The two aspects which remain unsolved are finance and administration and it is beyond the author’s limited knowledge to discuss these fully. [...] As housing and people cannot be separated it is very important that administration is carefully considered in a housing plan. The ihabitants must becom conscious of their surroundings and interested in the development and maintenance of a scheme. They must feel responsible for its apparence and encouraged its improvment. The most sensitive and informed plan can be completely destroyed as the inhabitants take occupation unless administration is firm while inderstanding and sympathetic. One of the chief problems in this respect will be to determine the size of these towns. If administrator officers find the control over a few terraced houses so difficult how (in terms of their argument) can control by brought over a town of 400.000 people or even 100.000 people ? The ultimate size of these Native towns is important especially if the inhabitants are to receive more responsibility in their administration. [...] A housing plan will be limited by the national economy but in time economic progress may be retarted by the lack of housing. It is our duty to establish a housing plan, based upon facts and scientifics findings, which the children of today can grow up and become the responsible citizens of tomorrow.”
NATIVE
TOWNSHIP
Si les
townships des petites cités du pays posaient, à cette époque
relativement peu de problèmes, sinon celui de la surpopulation, il
n’en était pas de même pour les grandes villes. Là, le black
township idéal obéissait à des règles très strictes d'urbanisme
et d'architecture qui iront en se militarisant tout au long de la
guerre civile. En fait, les City Councils limitent les
investissements dédiés à la construction et gestion des townships
pour les consacrer aux aspects sécuritaires et administratifs
chargés de les contrôler. Les grandes règles générales
concernent plusieurs domaines :
Situation
en lointaine périphérie du centre ville blanc,
à 1 ou
2 heures de transport en commun (bus ou train). C'est la première
règle pour l'établissement des zones résidentielles réservées
aux Noirs : les éloigner le plus loin possible des villes blanches,
en respectant cependant un temps de trajet domicile-travail, «
raisonnable » mais abrutissant. L'éloignement des ghettos noirs
devait protéger les centre-villes d'une possible insurrection
organisée ou spontanée : le long temps de parcours des insurgés
avant d'y parvenir à pied [les sociétés de transports publics
étaient sous la direction de Blancs incorruptibles], permettait
l'intervention et l'organisation des forces de l'ordre. Parfois, des
townships réservés aux sud-africains Métis ou Indiens,
s'interposent entre les black townships et les quartiers blancs. Les
black townships ne sont pas reliés directement entre eux.
Isolé
de son environnement par une Buffer Zone inhabitable
[en
principe], les townships sont délimités par des infrastructures
routières [routes nationales puis autoroutes] ou ferroviaires, un
élément naturel [fleuves, rivières, zones inondables, marécages,
l’estuaire de la Swartkops à Port Elisabeth, terrils des anciennes
mines d'or à Johannesburg, etc.], une zone dédiée à des activités
industrielles, ou bien polluante [centrale thermique, etc]
constituant des barrières fortes. Entre ces limites et le township,
la Buffer Zone ou Buffer Strip — cyniquement appelée machine-gun
belt par les planificateurs eux-mêmes — est un vaste terrain vague
inconstructible (en principe) l’encerclant où sont parfois
implantés des installations sportives de plein air, le cimetière,
etc. La Buffer Zone protectrice limitait à la fois les possibilités
de son développement, constituait un plan remarquable pour son
contrôle, et une zone de tir idéale pour les surveillants. Des murs
de barbelés étaient érigés dans les zones sensibles [passage
clandestin, etc]. Michel Foucher en 1987, observait depuis l'avion :
« Pour se convaincre que l'apartheid est une réalité géographique, inscrite dans l'espace autant que sur les “pass books”, il suffit en quelque sorte d'”ouvrir l'oeil”, à travers le hublot, et ce, quel que soit l'axe du survol. Ce n'est pas dans les grandes agglomérations urbaines que, vus de haut, les contrastes sont les plus spectaculaires. Certes, le “zonage” est évident, les “townships” des périphéries apparaissent nettement séparés des centres par des aires tampon (terrils de matériaux jaunes du Reef, immenses centrales thermiques au charbon, larges emprises ferroviaires) tandis que dans les vastes banlieues “blanches” scintille l'eau bleue des piscines. […] Les choses se précisent lorsque, survolant les provinces, on constate que la moindre petite ville, bourg à fonctions rurales ou centre industriel secondaire, est composée de quartiers complètement séparés : un centre, des quartiers aérés et, de l'autre côté d'une route et d'une voie ferrée, un “township”. C'est ainsi que se présentent, dans le nord du Transvaal, Messina, Pietersburg, Nylstroom (référence calviniste au Nil biblique) ou Rayton (sur la route Pretoria-Maputo). Encore que, à Rayton, proche de Pretoria, la surface d'habitat spontané occupe, simple estimation, trois fois celle du township. »
Ces
Buffer Zones ont été les lieux privilégiés où s'érigèrent les
Shanty Towns des squatters.
Limitation
des points d'accès
faisant
offices de check points. Soweto, par exemple, ne disposait que de 4
accès pour une population estimée à plusieurs millions ! Lors de
soulèvement ou d'émeute, la police aidée de l'armée bloquait
facilement les accès et contrôlait les Pass des entrants et des
sortants. D'une manière générale, les gares routières sont
implantées hors des townships, les gares ferroviaires également
mais les exceptions sont nombreuses. La limitation du nombre des
accès avait été déjà faite dans la plupart des townships des
années pré-apartheid.
Extension
Les
planificateurs réservent aux alentours des townships des zones
permettant leur extension future, ou la construction d’un nouveau
township indépendant, ou bien encore, l’implantation d’une zone
industrielle, ou d’une activité polluante (centrale thermique,
usine de traitement des eaux usagées, aéroport, etc.).
Panoptique
Des
postes de police sont implantés au coeur des townships, généralement
à proximité du conseil municipal, ou d'une grande place centrale,
parfois complété par un mirador ou une tour de contrôle, qui
peuvent être également implantés aux accès et aux carrefours de
grandes avenues. Ils sont équipés de puissants projecteurs
éclairant les raids nocturnes des forces de l'ordre.
Le
système viaire principal est, le plus souvent, un quadrillage de
voies rectilignes, ou convergentes vers des rond-points assurant le
contrôle simultané de plusieurs grandes voies irriguant un
quartier. À ce système de grandes voies, les voies secondaires qui
s'y raccordent prennent le tracé d'un U : un seul axe peut ainsi
commander et contrôler plusieurs voiries. Les barrières et les
clôtures de jardin entre la rue et les maisons sont en principe
interdites.
Il
s'agit bien là d'une sorte de ville-panopticon, cher à Michel
Foucault, dont le principe même est de suggérer la présence
policière et de ses possibilités de pouvoir épier, surveiller sans
être vue, à tous moments.
Implantation
d'une caserne militaire
non
loin pour les plus grands townships.
Contrôle
total de la distribution des ressources vitales
en eau
potable, en électricité par les autorités. C'est un point d'une
extrême importance, ignoré par les géographes, mais envisagé par
les stratèges militaires en cas d'insurrection prolongée. Si
l'électricité importe moins jusqu'à une certaine époque, la
privation en eau potable d'une ville est synonyme de mort. De même,
les centres commerciaux, les grandes surfaces de vente indispensables
aux populations, sont situés en dehors de la Buffer Zone, ou
inexistants, et le plus généralement, concentrés près des gares
routières ou ferroviaires des centres-villes réservés aux Blancs,
parfois dans les zones réservées aux communautés Métis et
Indiennes. Les commerces informels, les épiceries et autres
boutiques dans l'enceinte du township ne peuvent pas assurer le
ravitaillement quotidien des populations. La taille des parcelles
est insuffisante pour cultiver un jardin potager, possibilité
d'auto-subsistance d'ailleurs parfois interdite.
Sous-équipements
structurels
Les
townships, en principe, ont toujours été censés s'autofinancer
[self-financing local authorities], leurs résidents locataires
devant « payer » la construction des équipements et assurer les
frais de leur fonctionnement. Mais les dérogations sont pléthores
afin de leur assurer un minimum vital concernant notamment l'hygiène
publique. Les revenus des municipalités dépendent essentiellement
des habitants : les grandes entreprises, les centres commerciaux
étaient dans tous les cas situées hors du périmètre administratif
des townships, les privant ainsi en matière fiscale de revenus.
Cette interdiction est accentuée par l'interdiction faite aux Noirs,
jusqu'en 1976, de posséder une entreprise.
Environnement
psychologique « urbain »
et
paysager, habitat, dégradant et humiliant pour les habitants. Une
forme de propagande par le fait de la suprématie et de la
supériorité de la race Blanche.
Selon
Bloke Modisane, romancier qui a connu la ville sud-africaine avant et
après la mise en place de la politique d’apartheid :
«
Physiquement, Meadowlands (quartier nord de Soweto) détruit l’âme,
c’est d’une monotonie déprimante, les maisonsressemblent à des
milliers de champignons sur la colline, des petites unités réparties
sans amour ni bon sens, un monstre monolithique du National Building
Research Institute. » (Blame on History |1963)
Droit
de propriétés foncière et immobilière
interdit
pour les populations Noires en dehors des homelands. Les systèmes de
construction et de gestion immobilière varient : ils s'intègrent
dans une économie de marché pour le logement des Blancs et des
Indiens, mais sont maîtrisés par les pouvoirs publics pour les
Métis et les Noirs. Les résidents des townships municipaux étaient
locataires de leurs matchbox houses, propriétés de la ville, comme
le foncier. Les baux de location sont temporaires, variables selon
les époques et les classes sociales, et peuvent être résiliés
sans préavis aucun. L'apartheid catégorisa – en théorie - deux
types de résidents : les travailleurs « temporaires », venus des
homelands ruraux, expulsés ou invités, selon les aléas économiques
et le besoin en main-d'oeuvre, et les résidents autorisés, sous
certaines conditions, à vivre en « permanence » dans l'enceinte
des townships.
Pour
les travailleurs temporaires, la résidence en township était
soumise à autorisation, accordée seulement si l'intéressé pouvait
se prévaloir d'un contrât de travail, et la durée autorisée de
son séjour ne devait pas excéder la durée du contrat. Le plus
souvent, il était refusé aux travailleurs de venir accompagné par
leurs familles, et ils étaient logés dans les hostels, foyers
réservés aux célibataires masculins. Une « variable » qui en
tant de crise devait retourner dans ses homelands.
Le «
Native Laws Amendment Act » établit les règles permettant de
résider de façon permanente (selon la section 10, seuls ceux y
ayant résidé 15 ans, ou ayant travaillé 10 ans sans interruption
pour le même employeur ont des droits urbains). L'autorisation pour
l'obtention d'un bail de location de longue durée d'une maison
municipale était accordée en fonction de l'emploi, et de la classe
sociale : la petite bourgeoisie (homme d'affaires, commerçants,
professions libérales, personnel du corps médical, universitaires,
etc.), les classes moyennes (employés de bureaux, personnels de
l'administration, instituteurs, policiers, domestiques, etc.), et
l'aristocratie ouvrière, issues de familles résidant depuis
plusieurs générations en ville bénéficiaient de baux renouvelés
sans grande difficulté, tout du moins pour ceux n'opposant aucune
résistance au régime.
Sous
Divisions sociales et ethniques
Les
townships étaient ainsi subdivisés en districts distincts pour les
différentes classes sociales. Les résidents permanents – l'élite
Noire bourgeoise - occupaient, en général, les districts les plus
anciens et les mieux équipés – en eau potable, électricité,
équipements publics, etc. - , tandis qu'à l'opposé, les
travailleurs temporaires célibataires s'entassaient dans les foyers
de travailleurs, les hostels, regroupés dans des districts bien
délimités. Pour compléter ce dispositif de ségrégation urbaine,
l'Etat instaure le « Prevention of Illegal Squatting Act » en 1951,
contre les les installations sans autorisation en zone urbaine sous
peine d'expulsion. Mais cette loi n'a jamais empêché les squatters
illégaux de construire leur habitat de fortune dans les arrières
cours, puis dans les Buffer Zones.
Les
planificateurs avaient également établi le découpage résidentiel
entre groupes ethniques différenciés, en fonction de leur homeland
d'origine ou de rattachement : dans le vaste township de Soweto les
différents groupes africains se voyaient attribuer des zones
différentes. L'ethnicisation de la ségrégation résidentielle ne
s'appliqua en réalité qu'aux hostels, même si de nombreuses
exceptions confirment la règle (notamment au Natal Zulu).
Contrôle
total administratif policier
Les
résidents locataires Noirs ne disposent d'aucun droit en matière de
gouvernement local. Jusqu'en 1983, les townships étaient gérés
directement par la municipalité blanche, ou par le gouvernement
central, grâce à un « superintendant » résidant sur place, qui
consultait un conseil de résidents et de notables, l’Advisory
Board. Ce n’est qu'en 1983 que les Noirs des townships purent élire
les conseillers municipaux Noirs des Black Local Authorities.
Celles-ci, perçues comme des valets du régime d’apartheid et
n’ayant aucun moyen financier de gouverner, furent boycottées par
l’immense majorité de la population. Ainsi, ce n’est qu’à
partir des élections de 1995 et 1996 qu’un pouvoir local légitime
et efficace s’est mis en place.
Les
loyers et les charges étaient perçus par les conseils municipaux
blancs, puis par les black councils à partir de 1983, qui assuraient
une mission de contrôle total des populations. La moindre opposition
[participation à une grève de loyer, syndicaliste connu, etc.]
pouvait être sanctionnée par l'expulsion immédiate du « locataire
» et d'une obligation de s'exiler ad vita eternam dans un homeland.
Dans le cas des salariés de l'administration (instituteurs, employés
de bureau, etc.), une opposition trop soutenue était passible
également de la perte de l'emploi, donc du logement.
Sur-population
Le
nombre de matchboxs construites ne répond pas à la demande, et le
nombre de pièces limité condamne les familles avec de nombreux
enfants à vivre sans intimité aucune. Selon Eiselen, secrétaire
d’état aux Native Affairs sous Verwoerd :
« only by the provision of adequate shelter in properly planned townships can full control over urban natives be regained ». Ainsi, « The standard NE (‘NonEuropean’) 51/6s, which constituted the least expensive of the series of plans the National Building Research Institute (NBRI) had developed in 1951 for housing Africans. In their original guise, the 51/6s were made of concrete blocks and brick, with 40 square metres of space spread over four rooms, encompassing two bedrooms, a kitchen and lounge. A backyard toilet completed the structural picture. »
La
surface des matchbox Houses est minimum, la qualité du bâti
dérisoire, et le plus souvent les habitations ne sont pas raccordées
aux réseaux d'eau, d'électricité, etc. À partir de 1967, avant
pour certaines villes, le système de planification cessa
complètement la construction de logements publics dans les
townships, pour tenter de stopper l'hémorragie rurale vers les
villes, au profit de la concentration des subventions publiques dans
les homelands. Dans l'agglomération de Cape Town, par exemple,
Myriam Houssay-Holzschuch indique qu'entre mai 1968 et 1981 aucun
logement familial n'a été construit pour les familles Noires, à
l’exception de quelques hostels pour des travailleurs migrants. Les
conséquences sont dramatiques :
« Ce qui, ajouté à l’accroissement naturel, à l’obligation légale d’habiter dans les townships et à l’interdiction de construire sa propre maison, a créé une crise du logement sans précédent. À Nyanga comme dans les autres townships noirs, l’espace est un luxe et la maison est surpeuplée. La multiplication des backyard shacks, ces cabanes d’arrière-cour construites comme pièces d’appoint, est une conséquence directe de cette politique. Bien souvent, les situations sont dramatiques : ainsi, les enfants de familles “autorisées”, eux-mêmes nés au Cap et légalement autorisés à y résider, n’ont pas de logement. Certains habitent encore aujourd’hui avec leurs parents, souvent dans les backyard shacks. D’autres ont contribué à former les camps de squatters des années 1970.»
Le seul
habitat collectif reste l’Hostel pour les travailleurs célibataires
; peu d’immeuble d’habitations collectives pour des familles
africaines a été bâti, alors que ce type de construction est plus
économique, en principe, que l’habitat isolé.
Standard NE (‘NonEuropean’) model 51/9
National Building Research Institute (NBRI)
1951
Standard NE (‘NonEuropean’) model 51/8
National Building Research Institute (NBRI)
1951
En haut : plans des maisons standards non-European fournis par l’Etat.
En bas : les possibilités d’adjonction faites par les locataires.
En
1953, un article de le revue d’architecture SA Architectural
Record, présentait le projet d’un immeuble collectif
d’habitations, imaginé par les architectes May & Partners de
Nairobi. L’architecte défendait l’idée que les constructions
individuelles sans qualité et bâti dans l’urgence étaient en
fait :
“All
attempts to save money by temporary houses have proved failures as
the initial saving, after a short period, is lost completely owing to
the expensive upkeep of the buildings, especially in cases where a
primitive type of occupant inhabit them.”
Pour
minimiser les coûts de construction, selon l’architecte, le
bâtiment est limité à deux étages. Les logements pour les
familles - ou étudiants, au choix, se composent d’une salle
commune, d’un coin cuisine, et d’un dortoir comprenant quatre
lits donnant sur un balcon ; ils sont distribués par des coursives ;
wc et bains sont en commun à chaque extrémité des étages ; comme
la recherche de la moindre économie : ainsi, les “cellules” ne
disposent pas de fenêtres, mais d’une porte d’entrée non
vitrée, et une d’accès au balcon, pour des raisons de diminution
des coûts, mais aussi parce que :
“Windows of the conventional type have been omitted. Not only are windows costly, but glass panes are easily broken. In many cases windows are closed by the primitive inhabitants with newsprint or hessian, etc.”
JOBURG
Comme
dans maintes grandes villes, le flot des Africains ruraux venant
s’installer à Johannesburg ne s’interromp pas, malgré les lois,
les raids de la police et des milices. Les bidonvilles se
construisent aux abords des townships, notamment aux portes
d’Orlando, à Soweto. Le City Council interviendra bien longtemps
après l’installation des squatters pour les évacuer.
Dans
une conférence (Architecture as part of the broader concept of Town
Planning), en 1953, le Mayor de Johannesburg, Councillor H. Miller,
exprimait que le temps était à présent venu, pour le non-European
housing, de planifier des townships comprenant tous les services et
équipements nécessaires pour ses habitants. Le location system
était devenu anachronique pour la vie économique du pays et
favorisait l’intégration des non- European dans the economic life
of South Africa, et the time for proper town planning for
non-Europeans is essential and also vital to efficient economic
progress. Cependant, précisait-il, a great deal of capital monies
will be required. Il est vrai que la re-territorialisation, ou la
déportation des non-Européens hors des villes et hors des
bidonvilles allaient requérir quelques dizaines d’années...
En
1955, Moroka contenait près de 60.000 personnes, en dépit de sa
vocation à n’être que temporaire ; démantelé en 1960, il a été,
selon les observateurs de l’époque, le plus sordide slum de
l’Afrique du Sud, et le plus dangereux.
Claire
Benit observe que :
« à cette époque s'exacerbe le conflit entre le gouvernement central et les municipalités accusées de saboter le “plan d'apartheid” par leur politique trop laxiste. La municipalité de Johannesburg (à majorité United Party, plus “libéral” que le National Party qui dirige le pays) est souvent réticente au “remodelage urbain” jugé trop coûteux, au point que le pouvoir central dut nommer un Conseil du Relogement pour déplacer les 58.000 noirs des quartiers mixtes (Sophiatown, Pageview, Martindale et Newclare) en cours de destruction vers les townships de Meadowlands et Diepkloof à Soweto. »
Margaret Bourke-White
A group of children (and a few men) gaze from behind a barbed-wire fence that marks the boundary of the Moroka township in Soweto, Johannesburg, South Africa, April 21, 1950. The LIFE Picture Collection.
Margaret Bourke-White
Johannesburg, Moroka
1950
Margaret Bourke-White
Johannesburg, Moroka
LIFE MAGAZINE
1950
Ainsi
en février 1955, les résidents de Sophiatown apprennent par
courrier que :
« Il vous est présentement demandé, dans les termes du Native Resettlement Act de 1954, de libérer les lieux où vous résidez. Vous avez jusqu'au 12 février. Un logement vous sera proposé dans le nouveau quartier de Meadowlands. [Soweto].»
Mais la
résistance s’organise. Nelson Mandela relatait dans ses mémoires
:
« A Johannesburg, le projet de déplacement des zones ouest prévoyait l’évacuation de Sophiatown, de Martindale et de Newclare, dont la population totale se situait entre 60 000 et 100 000 personnes. En 1953, le gouvernement nationaliste avait acheté une étendue de terre appelée Meadowlands, à une quinzaine de kilomètres de la ville. Les gens y seraient réinstallés en sept « groupes ethniques » différents. Le gouvernement avançait comme excuse la suppression des bidonvilles, un écran de fumée pour dissimuler la politique gouvernementale qui considérait que toute zone urbaine était blanche et que les Africains n’étaient que des résidents temporaires.
Le gouvernement subissait la pression de ses partisans des environs, de Westdene et Newlands, qui étaient des zones blanches relativement pauvres. Ces Blancs de la classe ouvrière lorgnaient sur les belles maisons que possédaient certains Noirs à Sophiatown. Le gouvernement voulait contrôler les déplacements de tous les Africains et cela se révélait beaucoup plus difficile dans les townships urbains où les Noirs étaient propriétaires et où les gens allaient et venaient à leur guise. Bien que le système fût toujours en vigueur, on n’avait besoin d’aucune autorisation particulière pour entrer dans un township de propriétaires, contrairement aux locations municipales. Les Africains habitaient et étaient propriétaires à Sophiatown depuis plus de cinquante ans ; et maintenant le gouvernement envisageait impitoyablement de reloger tous les Africains de Sophiatown dans un autre township noir. Le plan du gouvernement manifestait un tel cynisme que le déplacement était prévu avant même que les maisons qui devaient accueillir les gens aient été construites. Le déplacement de Sophiatown fut la première grande épreuve de force pour l’ANC et ses alliés après la Campagne de défi.
Le projet de déplacement de Sophiatown avait débuté en 1950, mais les efforts de l’ANC pour s’y opposer n’ont pas commencé vraiment avant 1953. Vers le milieu de l’année, les branches locales de l’ANC, le Transvaal Indian Congress et l’Association des contribuables ont mobilisé les gens pour résister. En juin 1953, la direction provinciale de l’ANC et le TIC ont organisé une réunion publique au cinéma Odin de Sophiatown pour discuter de la mobilisation. La réunion a été animée et exubérante et a rassemblé plus de 1 200 personnes qui ne semblaient pas intimidées par la présence de plusieurs douzaines de policiers armés jusqu’aux dents. […] A l’intérieur, les policiers étaient provocateurs et méprisants. Armés de pistolets et de fusils, ils déambulaient dans la salle en bousculant les gens et en faisant des remarques insultantes. […] A ce moment-là, l’ANC tenait des réunions chaque dimanche à Freedom Square, au centre de Sophiatown, pour mobiliser l’opposition au déplacement. Il y avait des moments vibrants, ponctués par les cris sans cesse répétés de « Asihambi ! » (Nous ne bougerons pas !) et la chanson « Sophiatown likhaya lam asihambi » (Sophiatown, c’est chez moi ; nous ne bougerons pas). Des membres de l’ANC, des propriétaires, des locataires, des conseillers municipaux et souvent le père Huddleston, qui ignorait les avertissements de la police de s’en tenir aux affaires de l’Eglise, prenaient la parole. » La campagne contre le déplacement de Sophiatown fut une bataille de longue haleine. Nous restions sur nos positions, le gouvernement aussi. Tout au long de 1954 et au début de 1955, des réunions ont eu lieu deux fois par semaine, le mercredi et le dimanche soir. Les orateurs dénonçaient les uns après les autres les projets du gouvernement. L’ANC et l’Association des contribuables, sous la direction du Dr. Xuma, protestaient auprès du gouvernement avec des lettres et des pétitions. Nous avons conduit la campagne contre le déplacement avec le slogan « sur nos cadavres », un thème souvent crié du haut des tribunes et repris par la foule. Un soir, cela poussa même le Dr. Xuma, d’habitude fort prudent, à hurler le slogan mobilisateur utilisé au siècle dernier pour entraîner les guerriers à la bataille : « Zemk’inkomo magwalandini ! » (L’ennemi a pris le bétail, bande de lâches !)
Jurgen Schadeberg
Johannesburg
Sophiatown
1955
Dan Weiner
Johannesburg | Sophiatown
1955
Le gouvernement avait prévu que le déplacement aurait lieu le 9 février 1955. Au fur et à mesure que la date approchait, Oliver et moi allions chaque jour dans le township, pour rencontrer les responsables locaux, discuter les plans et agir dans notre domaine professionnel en faveur de ceux qui étaient expulsés ou poursuivis en justice. Nous cherchions à prouver au tribunal que la documentation du gouvernement était souvent incorrecte et que beaucoup d’ordres d’expulsion étaient par conséquent illégaux. Mais ce n’était qu’une mesure temporaire ; le gouvernement ne laisserait pas quelques illégalités lui faire obstacle. Peu avant la date prévue, une réunion de masse particulière fut organisée à Freedom Square. Dix mille personnes se réunirent pour entendre le chef Luthuli. Mais au moment de son arrivée à Johannesburg, on lui remit un ordre d’interdiction qui l’obligeait à retourner au Natal.
La veille du déplacement, Joe Modise, un des responsables locaux de l’ANC les plus engagés, prit la parole devant un rassemblement de plus de 500 jeunes militants qui attendaient un ordre de l’ANC. Ils espéraient qu’on leur dirait d’engager la bataille avec la police et l’armée. Ils étaient prêts à dresser des barricades dans la nuit et, le lendemain, à attaquer la police avec des armes et tout ce qui leur tomberait sous la main. Ils prenaient notre slogan au pied de la lettre : on ne déplacerait Sophiatown qu’en passant sur nos cadavres.
Mais après des discussions avec la direction de l’ANC, y compris avec moi, Joe dit aux jeunes de ne pas bouger. Ils étaient furieux et se sentaient trahis. Mais nous pensions que la violence aurait conduit au désastre. Nous avons insisté sur le fait qu’une insurrection exigeait une organisation minutieuse sinon cela tournait au suicide. Nous n’étions pas encore prêts à nous engager sur le même terrain que l’ennemi. Le 9 février, dans la brume du petit matin, 4 000 policiers et soldats ont évacué le township tandis que des ouvriers rasaient les maisons vides et que les camions commençaient à transporter les familles de Sophiatown à Meadowlands. La nuit précédente, l’ANC avait regroupé plusieurs familles dans des locaux préparés avec l’aide de familles pro-ANC, à l’intérieur de Sophiatown. Mais c’était insuffisant et trop tardif et ce ne pouvait être qu’un pis-aller. L’armée et la police se montrèrent d’une efficacité impitoyable. Au bout de quelques semaines, notre résistance s’effondra. La plupart de nos responsables locaux avaient été interdits ou arrêtés et, à la fin, Sophiatown est mort non pas dans les détonations des fusils mais dans le bruit des camions et des marteaux-piqueurs.
En fait, l’ANC n’y était pas du tout préparé. Nous n’avons jamais proposé d’autre solution. Quand les habitants de Sophiatown se sont rendu compte que nous ne pouvions ni arrêter le gouvernement ni leur fournir de logements ailleurs, leur propre résistance a faibli et le flot de ceux qui allaient à Meadowlands n’a cessé de croître. Beaucoup de locataires sont partis volontairement quand ils ont découvert qu’à Meadowlands ils auraient des logements plus grands. Nous n’avions pas pris en considération les situations différentes des propriétaires et des locataires. Les propriétaires avaient des raisons de rester, mais beaucoup de locataires étaient incités à partir. L’ANC était critiqué par beaucoup de ses membres africanistes, qui reprochaient aux responsables de protéger les intérêts des propriétaires aux dépens des locataires. J’ai retiré de cette campagne la leçon qu’au bout du compte nous n’avions pas d’autre choix que la résistance armée et violente. Nous avions utilisé toutes les armes non violentes de notre arsenal – discours, délégations, menaces, arrêts de travail, grèves à domicile, emprisonnement volontaire –, tout cela en vain, car quoi que nous fassions, une main de fer s’abattait sur nous. Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autre recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur. A un certain moment, on ne peut combattre le feu que par le feu. »
Eliot Elisofon
Johannesburg
Sophiatown
1959
Jürgen Schadeberg
Joburg | Sophiatown
1959
Jürgen Schadeberg
Joburg | Sophiatown
1959
CAPE
TOWN
Map of Cape Town illustrating the proposed group areas for whites, coloured, Indian, Malay, and natives. Also shows names of places and an undefined area, roads and railway lines. 1950.
En
1948, le City Council de Capetown déplorait la présence de très
nombreux bidonvilles - des Black Spots - dans les quartiers
périphériques et l’agglomération. L’un des plus anciens et
étendus Windermere était habité, selon un recensement effectué en
1945, par 14.235 personnes (557 Blancs, 7.138 Métis, 104 Asiatiques
et 6.436 Noirs) ; chiffre nettement sous-estimé car d’autres
comptages de la population antérieurs, l’évaluaient à près de
20.000 habitants (1943, l’Inspector of Native Locations) ou entre
25 et 35.000 personnes (Organisation Food Control).
Phyllis
Ntantala, dans un article intitulé “African Tragedy” les
décrivait ainsi :
“Cape Town has its Windermere the beauty of whose name sneers at the cluster of dun-coloured beaten-out oil drums, beaten-out motor car shells, rusty bits of iron—all put together to form a roof over so many heads—a confusion of illconstructed, badly-ligmed shacks surrounded by pools of mud, urine and excreta. It has its Blouvlei, Cook’s Bush, Vrygrond, Eureka Estate, Rylands Estate, Sakkiesdorp — all death-traps winter and summer alike, for the rickety structures cannot stand the Cape Peninsula winter floods and in summer they are too hot to live in. [...] In the Cape Peninsula in 1954 there were at least thirty-eight of these pondokkie villages on the Cape Flats and in Goodwood, Parow and Bellville, “ Black Spots” with about 17,000 people living in them. All 17,000 had moved to these villages because they could not find accommodation in the slums of Cape Town, nor in Langa and Nyanga locations. Here they built their own shacks on someone’s ground at a rental o f about five to ten shillings a month ; many, however, were sub-tenants. There are no amenities even of the barest kind—no water, no lights, no sanitation. Water they buy at a penny per four-gallon tin from a hawker, the bush and sand dunes serve as latrines. In a few like Eureka Estate, whose Xhosa name is “ Kwa Qhobosh ’ imfene” —meaning “ at the place where a baboon is knee-haltered” —and Windermere, known to the people as “ e Mtsheko” “ purging with belly-ache” , there is some form of bucket sanitation, but these are always overflowing and with the pools of water, mud, excreta, there is a foul-smelling slough that for ever surrounds these pondokkies. In all of them life is insecure, for these are hot-beds o f vice and crime. In winter these flimsy shacks are beaten by storms and rivers of water form right inside the pondokkies, washing away kitchen utensils, household goods and other possessions. During the winter o f 1954 the whole of Cook’s Bush was flooded neck-high and most o f the pondokkies were submerged, and nearly 600 people rescued from the floods lost everything they had. And summer with its strong South-Easter in the months of October and November is equally dreaded. A fire breaking out in one of these iron and paper shacks spreads so quickly to the others, and fanned by the South-Easter, the flames leap from structure to structure so easily that often fifty to sixty of these structures are eaten up by flames within a few minutes and hundreds of people rendered homeless with everything lost. Many a man, woman and child has been burnt to death in these fires; many a savings o f many years of hard toil have been lost in these fires and many a hard-earned wardrobe has been burnt to ashes in these fires...” (Africa South, n°3, 1957).
Le
Parti national est bien décidé à évacuer ces foyers de pauvreté
indigne de la Mother City, dont en particulier Windermere, mais en
attendant la construction de township permettant leur relogement, la
police y effectue des fréquents raids afin de contrôler les
passeports intérieurs, opérations suivies d’arrestations et
d’expulsions vers les homelands. En 1953, l’occasion leur ait
offerte avec une bagarre opposant des centaines de Xhosa à autant de
Mfengu, pour le « nettoyage » définitif de Windermere : les «
célibataires » sont envoyés autoritairement dans les hostels de
Langa ; les familles sont envoyées vers le camp de transit de
Nyanga, puis à Gugulethu. En 1960, le camp de squatters de
Windermere a cessé d’exister.
Nous
retrouvons le Black Township Nyanga, bâti en 1946, qui s’est
agrandi et continuera à l’être, mais sous d’autres auspices car
en effet, les coûts de construction des - sordides - baraques
étaient encore trop élevés et les grèves de loyers à répétition
plombaient le mince budget du Township. Dès lors, les autorités
décident d’abaisser encore les standards, le niveau de
confortabilité, ou plutôt d’habitabilité des baraques. Les
maisonnées nouvelles construites dans le quartier Mau-Mau en 1953
présentaient une surface habitable réduite, de moins bonne qualité,
sans plancher ni plafond, avec des toilettes communes à plusieurs
familles, et n’étaient pas pourvu en électricité. Mau-Mau
servait en fait de dépotoir aux squatters de l’agglomération de
Bellville, Parow et Goodwood.
Mais
loin de se tarir, l’exode des ruraux venant s’établir en ville
se poursuit tout au long de ce début des années 1950. L’offensive
générale contre les Africains dans la région du Western Cape
débutera en 1954 avec la nouvelle loi intitulée
Coloured
Labour Preference Policy, accordant une primauté à l’emploi aux
métis. Inventée par le Minister of Native Affairs, Dr W.W.M.
Eiselen, cette loi devait à terme évacuer tous les ressortissants
Africains “inutiles” de la région ; à commencer en premier lieu
par les Noirs venus de l’étranger, reconduits aux frontières ;
pour les Sud-Africains Africains, on procéda à leur expulsion vers
leurs homelands, les raids policiers devant traquer les illégaux.
Entre janvier 1954 et mars 1962, près de Africanmen et 5975 African
women seront expulsés de la région : ce qui est, en fait,
relativement peu.
Le Cape
Divisional Council est de la partie, et décide donc de la
construction, dans l’enceinte de Nyanga, d’un camp de
concentration, nommé d’urgence (emergency camp), rebaptisé camp
de transit puis Kaffir Transit Camp, destiné aux squatters, qui
étaient ici parqués pour être contrôlés (screened), soit
renvoyés dans leurs homelands pour les illégaux, soit en attente
d’un logement dans un township. Incroyablement, ce site &
services proposait un minimum vital - latrines communes et des
fontaines d’eau -, un dessin de voiries sommairement viabilisées,
et laissait les ex-squatters bâtirent leurs masures - les pondoks -
sans restriction aucune : l’économie était ainsi fabuleuse pour
l’administration ! En fait, les résidents eux-mêmes, dans leur
grande majorité, étaient satisfaits de pouvoir bâtir leur
maisonnée selon leurs besoins car aucune limite n’était fixée,
et ainsi, au contraire des maisonnettes de l’administration, chaque
enfant pouvait, par exemple, avoir sa chambre.
En
1959, les Black Spots de Goodwood, Parow, Bellville, Kraaifontein
étaient évacués, leurs habitants déportés vers Nyanga ; qui
enfle avec la construction sommaire de la zone de Zwelitsha, «
Nouveau lieu », entre 1957 et 1962, sur le modèle Mau-Mau. Nombre
de résidents du Kaffir Transit Camp refusent cependant d’habiter
les nouvelles maisonnettes : le loyer y est trois fois plus cher,
pour une surface habitable de deux à trois fois réduite. Certains
acceptent sous peine d’être exilés dans leurs homelands, mais
pendant deux années, nombreuses étaient vacantes les maisonnettes
de Zwelitsha. Une forme de résistance, ou de désobéissance que
l’on retrouve avec le boycott rent des habitants de la zone Old
Location de Nyanga lorsque l’administration décide d’une nette
augmentation des loyers. Le Cape Divisional Council y répond en leur
proposant un relogement dans une maisonnette plus petite avec un
loyer plus bas, et pour les plus récalcitrant, un exil dans leurs
homelands... Ils contre-attaquent en justice, qui leur donne raison,
le Cape Divisional Council ayant décidé l’augmentation sans
prévenir les résidents dans le délai légal et obligatoire d’un
mois. Qui sera chose faite, mais même après avoir reçu cette
notification d’augmentation, la résistance perdure, on s’attaque
en justice, les résidents boycotteurs trouvant là un long répit.
Finalement en 1959, des familles sont évacuées ou décident d’un
relogement dans le camp de transit ; en 1960, la résistance
s’emploie à boycotter les charges concernant l’électricité et
l’eau...
Mais ce
ne sont pas seulement des squatters, des locataires ou des
sous-locataires qui sont évacuées des “zones blanches” : les
propriétaires sont aussi tout simplement expropriés ; leurs actes
de propriété ne les protègent en aucune manière, la justice ne
peut être saisie, et l’unique compensation qu’ils obtiennent est
d’être les premiers relogés - en tant que simple locataire - dans
une matchbox dans un sordide township ! Les plus aisés ne s’en
trouvent guère mieux : pour eux, comme pour les autres, il leur est
interdit de posséder un terrain en dehors des homelands, de louer un
bien en dehors d’un township - ou d’un hostel -, et d’agrandir
une matchbox - tout du moins pour cette époque - en considérant que
les risques étaient bien réels de perdre ses droits de résider en
ville... Hildegarde Helene Fast rapporte dans sa thèse qu’elle
consacra à Nyanga, cet entretien de Daniel Ngo y résidant :
“Maintenant dites-moi, qu’est-ce que peux faire un mec avec son fric ? Le mec a de l’argent, il fait du business, il se fait du fric, (mais) il peut pas acheter une propriété à Cape Town, il n’est pas autorisé... Qu’est-ce ce qu’il peut faire avec, il n’y a rien à faire, équiper sa maison ou acheter une voiture ? Il ne peut pas acheter de fourniture pour sa maison parce qu’il habite un pondok (masure), alors la meilleure chose à faire pour se faire plaisir avec son fric, c’est d’acheter une (Mercédès) Benz.”(A History of Nyanga 1946-1970, 1995).
En
fait, cet argent inutilisable dans le domaine du logement, pouvait
cependant servir à soudoyer un employé du City Council, ou du Cape
Divisional Council, afin d’obtenir une Four rooms House. Une
pratique de corruption qui sera courante, en particulier pour les
classes moyennes africaines depuis longtemps “urbanisées” se
retrouvant à Nyanga, au contact de populations plus dangereuses.
Notons cependant, que Cape Town ne se vide pas de ses populations de
couleur : la ville même abrite encore nombre d’entre eux employés
de maison, et la journée une armée de fonctionnaires et d’employés
municipaux y viennent.
En
1957, le City Council décide de la consruction d’un nouveau
Township, Gugulethu (Nyanga West), voisin de Nyanga, soit, en fait le
premier township du Cap à avoir été conçu et construit selon
l’idéologie de l’apartheid, telle qu’elle est systématisée
et appliquée par le gouvernement du Parti national après 1948 :
Langa en 1923 et Nyanga en 1946 ne répondaient qu’aux exigences de
l’idéal ségrégationniste. Les contemporains en sont conscients :
« Le
développement de ce township ne répondra pas seulement aux demandes
du Conseil municipal et aux besoins du commerce et de l’industrie
mais (. . .) sera aussi conforme à la politique gouvernementale de
logement des indigènes. » (Mayor Minutes, 1954).
Selon
Myriam Houssay-Holzschuch :
“Les maisons sont attribuées au fur et à mesure de leur construction à ceux des squatters concentrés dans le camp de transit de Nyanga qui sont à la fois autorisés à résider au Cap et employés dans la juridiction du Cape Town City Council. La majorité d’entre eux vient des camps de squatters de Windermere. Le parc de logements de Gugulethu est constitué d’hostels et de logements familiaux construits soit par la municipalité, soit par le secteur privé. Le paysage de Gugulethu est particulièrement peu varié : le modèle NE 51/6 y prédomine largement. Ces maisons de briques, comprenant trois pièces et une cuisine ainsi qu’une salle de bains dans l’arrière-cour, sont le plus souvent construites en série comprenant jusqu’à huit maisons mitoyennes. Les aménagements intérieurs sont minimaux : pas de plafond, de plancher, d’électricité, de portes intérieures ou d’évier dans la cuisine. L’absence d’électricité jusqu’à la fin des années 1970 a forcé les résidents à utiliser des réchauds de paraffine, dont la suie a longtemps maculé les murs. De l’extérieur, ces maisons stéréotypées, souvent en mauvais état, forment de longues rangées monotones. De plus en plus souvent pourtant, les habitants de Gugulethu ont apporté des modifications : une pièce ou deux ont été ajoutées, électricité et téléphone sont désormais installés ainsi que planchers, plafonds et portes intérieures.”
Pour
beaucoup d’Africains, l’ultime solution pour échapper à ces
enfers urbains, aux raids et contrôles policiers est de trouver
refuge « en brousse » (in the bush), c’est-à-dire d’établir
un campement caché illégal et de fortune d’une ou plusieurs
familles à l’abri des regards, dans les terrains vierges et les
dunes des Cape Flats. Selon Josette Cole, la population concernée
par ce type de présence invisible concernait 150.000 fantômes.
Sinon, l’alternative est d’être employé en tant que Black
Policeman chargé de faire régner l’ordre au sein d’un
township...
Mais
Nyanga sera surtout un véritable réservoir pour l’African
National Congress et son bras armé MK, de recrues bien décidées à
s’engager dans la guerre civile. Car en effet, à Nyanga, comme
dans tant d’autres townships, à la fin des années 1950, la
situation humaine et sociale se déteriore : l’alcool y fait des
ravages tandis que les gangs armés font ou tentent de faire régner
leurs lois, crimes, vols et prostitution sont monnaie courante,
depuis longtemps, mais la situation empire avec à présent les
adolescents qui pour la plupart privés d’école errent et forment
eux-aussi sous le modèle de leurs aînés des bandes de délinquants
: à Nyanga, près de 3000 jeunes âgés entre 6 et 16 ans, pour une
raison ou une autre, étaient privés de scolarité, notamment dans
le camp de transit où aucune école n’avait été construite, ni
même d’ailleurs d’équipements sportif ou de loisirs.
Ironiquement, et sans rire, le dirigeant du Cape Divisional Council
expliquait que les terrains de sport étaient autant d’occasions
pour que les bandes se disputent, en viennent aux mains et aux
couteaux... Et accusait : "the absence of general interest in
youth by the community as a whole." (Manager Divco to Department
of Bantu Administration and Development, 24 July 1961). D’autre
part, n’ayant aucune formation professionnelle, et donc sans avenir
- sans emploi, les jeunes adultes étaient forcés de travailler dans
les Transvaal labour farms -, la tentation était forte pour les plus
âgés, terrible même, d’embrasser la délinquance menant
directement au gangstérisme, activité plutôt dangereuse mais ô
combien lucrative, en sachant que les plus grands chefs de gang
étaient assimilés à des héros.
L’ANC
aura d’ailleurs bientôt maintes difficultés avec ceux ayant
réussi leur carrière professionnelle dans le gangstérisme. L’ANC
qui accusait cette politique d’anti-scolarisation-émancipation des
Africains ; Nelson Mandela dans ses mémoires l’expliquait :
“Les Afrikaners ont toujours été défavorables à l’éducation des Africains. Pour eux, il s’agissait d’un simple gaspillage, car les Africains étaient ignorants et paresseux de nature et aucun enseignement ne pouvait y porter remède. Traditionnellement, les Afrikaners étaient hostiles à ce que les Africains apprennent l’anglais, car c’était pour eux une langue étrangère et pour nous la langue de l’émancipation. En 1953, le Parlement à majorité nationaliste vota la Bantu Education Act (Loi sur l’éducation bantoue), une tentative pour marquer l’éducation du sceau de l’apartheid. La loi transférait le contrôle de l’éducation des Africains du ministère de l’Education nationale au ministère des Affaires indigènes que tout le monde méprisait. D’après la nouvelle loi, les écoles primaires et les collèges pour Africains dirigés par les Eglises et les missions avaient le choix entre transférer leurs établissements au gouvernement ou voir chaque année une diminution de leurs subventions ; soit le gouvernement prenait en main l’éducation des Africains, soit il n’y aurait plus du tout d’éducation pour les Africains. Toute activité politique était interdite aux enseignants africains et ils ne pouvaient pas critiquer le gouvernement ni aucune autorité scolaire. C’était un « basskap » intellectuel, une institutionnalisation de L’infériorité. Le Dr. Hendrik Verwoerd, le ministre de l’Education bantoue, expliquait que l’éducation « devait former et instruire les gens en fonction des possibilités qui leur étaient offertes dans la vie. » Dans sa bouche cela voulait dire que les Africains n’avaient aucune possibilité ; en conséquence, pourquoi fallait-il les éduquer ? « Il n’y a pas de place pour les Bantous dans la communauté européenne au-dessus du niveau de certaines formes de travail », déclara-t-il. En un mot, les Africains devaient être formés pour occuper des emplois non qualifiés, pour rester éternellement subordonnés à l’homme blanc. Pour l’ANC, cette loi était une mesure extrêmement menaçante destinée à retarder le développement de la culture africaine dans son ensemble et, si elle était mise en pratique, à faire reculer la lutte pour la liberté du peuple africain. L’avenir intellectuel des générations futures était en jeu. Comme l’écrivit alors le professeur Matthews : « L’éducation pour l’ignorance et pour l’infériorité dans les écoles de Verwoerd est pire que pas d’éducation du tout. »
Ernest Cole
1960 - 1966
Ceci
peut nous paraître inconcevable dans une société, et un township
placé sous l’autorité permanente d’une féroce dictature,
surveillé jours et nuits, réveillé la nuit par les raids de police
effectuant des contrôles inopinés, sans compter leurs informateurs,
et la bureaucratie d’une administration implacable, que l’on
puisse échapper à l’ordre.
Mais
les lois de l’apartheid ne leur laissaient guère d’alternative :
les jeunes adolescents passés 16 ans étaient tenus de s’enregistrer
au bureau administratif de leur township qui pouvait vérifier leur
inscription à une école ou leur statut de salarié ; à défaut,
l’adolescent obtenait un pass d’une semaine qu’il devait
régulariser ; au-delà de quelques semaines, le jeune chômeur ou le
non scolarisé était tout bonnement condamné aux champs des fermes
! Mieux ! Passé 18 ans, sans emploi ou non scolarisé, le jeune
adulte se voyait dans l’obligation de quitter la maisonnette
familiale pour aller rejoindre un sordide hostel ! Dans sa grande
générosité, l’Etat admettait des exceptions : si la famille
avait plus de 14 enfants - chose rare -, l’aîné était autorisé
à demeurer au sein de sa famille pour l’aider.
Alors
oui, dans ces conditions, les jeunes adolescents non scolarisés
devenaient par obligation, dirait-on, des hors-la-loi, rejoignant la
délinquance, d’autant plus facilement que l’étendue des
townships leur permettait d’enfreindre les lois et d’échapper à
la police, et pour les autres de vivre dans leurs marges. Et ce sont
les parents qui tenteront non sans difficultés à éloigner leurs
enfants de cet avenir en organisant des streets committees, chargés
de surveiller les rues de leur township afin de le débarrasser et
d’éradiquer ces bandes de délinquants. Les administrations des
townships du pays approuvèrent cet exercice d’ordre et de
prévention. Les militants de l’ANC sont parties prenantes : afin
d’éradiquer la délinquance et d’offrir un palliatif à la
violence, les militants de l’ANC de Nyanga, Oscar Mpetha et Samuel
Majadi, fondaient le Flying Eagles Rugby Club en 1960, comme dans
d’autres townships du pays, et prévenaient les gangsters qu’ils
seraient en guerre avec eux. C’était évidemment le moyen idéal
de les politiser et de les embrigader, et une fois cette tâche
accomplie, de les envoyer, selon les prescriptions de
l’administration, dans les campagnes, en tant que missionnaires
révolutionnaires. La campagne de l’ANC porta ses fruits avant et
après les premiers attentats commis par MK : en novembre 1963, le
manager de Nyanga se rendait responsable d’un "very low crime
record", alors que nombreux sont ceux et celles ayant rejoint
les rangs de l’armée discrète de MK ayant choisi la voie
révolutionnaire plutôt que celle du gangstérisme, même si
subsistaient des factions grassement rémunérées par la police
chargées d’éliminer leurs leaders.
LES
CAMPAGNES
Margaret Bourke-White
LIFE MAGAZINE
1950
La vie
des travailleurs agricoles Noirs n’était guère préférable ; en
1959, la rédactrice en chef de la revue pro-communiste New Age, Ruth
First (épouse de Joe Slovo, cadre de l’ANC), édita un pamphlet
intitulé “Exposure! The Farm Labour Scandal”, illustré de
photographies qui démontraient les inhumaines conditions de vie et
de travail dans les grandes fermes du pays, et comme d’autres
reportages depuis l’apartheid, faisait état d’actes de
maltraitance - allant jusqu’au décès - commis par les gardiens,
les “bossboys”, des journées de travail de 12 heures, le
recrutement - interdit par les lois - d’enfants, l’imposition de
sacs de patate comme seul vêtement, la confiscation de leur argent
et des salaires de misère, l’interdiction de sortir le soir venu,
etc., et dans la région du Transvaal, notamment, la complicité de
la police et de la justice laissant le choix à leurs prisonniers
ayant commis de petits délits, entre la prison ou le labeur dans les
champs, forme de travail forcé non rémunéré, bien sûr, en
particulier lors des saisons des récoltes, notamment des patates,
qui provoqua la campagne de boycott des pommes de terre par l’ANC
en 1959. Ruth First écrivait :
“This is the main decision of the weekend’s National Anti-Pass Conference which snatched the initiative from a banning-mad government to start the first lap of the economic boycott, closely tied to a new round in the anti-pass struggle. The Conference also announced that June 26 this year will be marked as a day of self-denial by the oppressed people and freedom fighters. On this day no buying of any kind should take place; nobody should go to any place of entertainment, from cinema to beerhall. On June 28 mass meetings should be held throughout the country. Fresh targets in the economic boycott are also to be announced on June 26. The potato boycott has been launched now as a protest against the horrifyingconditions of farm labourers on the big potato farms in the Transvaal. The National Anti-Pass Planning Council puts forward the potato boycott as the first use of the economic boycott weapon in the struggle against the pass laws. The potato boycott announcement was the climax of the weekend Conference and received a great ovation from the packed hall.”
(POTATO BOYCOTT LAUNCHED
Congress protest against farm slavery
No potatoes from midnight on 31 May to 26 June, New Age, 4 June 1959)
Des
manifestations furent organisées sous les slogans : “Potatoes are
produced with slave labour” et “Don’t eat potatoes – Don’t
buy chips”. En juillet 1959, l’ANC organisa des funérailles en
lui donnant une propagande nationale pour un travailleur agricole,
Cornelius Mokgoko, décédé dans une ferme, sans doute des suites
des coups prodigués par les “bossboys” et de son employeur. La
campagne de boycott des patates, prit ainsi, dans de tristes
conditions, visage humain.
Le
résultat de ce long boycott fût mitigé, sans grande incidence
économique : les producteurs avaient, par exemple, exporté leurs
sacs de patates à l’étranger ; la commission du gouvernement
chargée d’enquêter dans le Eastern Transvaal se borna à recenser
quelques irrégularités, sans plus. Néanmoins, le succès de cette
campagne a été prouvé par l’immense solidarité des Africains
urbains avec les travailleurs ruraux du pays qui n’avaient pas
autant de moyens pour exprimer leurs souffrances et leurs doléances.
De même, les médias sud-africains les moins radicaux donnèrent un
écho à leurs propos, qui sonnèrent jusqu’aux oreilles publiques
de l’Angleterre.
Margaret Bourke-White
1950
Les fermiers Afrikaners payaient parfois en partie le salaire de leurs employés en vin, qui comme en ville faisait des ravages...
En
1949, le gouvernement y répondit en instaurant une censure
interdisant purement et simplement ce type de reportages (“false
reporting”), ainsi que les photographies - et les dessins - de
prisonniers travailleurs agricoles - et de prisons... Persona non
grata en Afrique du Sud, Ruth First s’exile en Angleterre en 1964,
puis au Mozambique dans les rangs de l’ANC : en 1982 elle est
assassinée par les services secrets sud-africains par un colis
piégé.
MANDELA
LE
TERRORISTE
Les
chefs historiques de l’ANC défendaient l’idéal de la
non-violence, en prenant modèle sur Gandhi qui avait réussi avec
ses partisans et tout un peuple, le merveilleux exploit d’obtenir
l’indépendance sans guerre civile. Mandela pensait depuis fort
longtemps, que cette forme de lutte innocente serait totalement
inopérante en Afrique-du-Sud et avec ses partisans songeaient-ils,
sur le modèle de Fidel Castro, à Cuba, à préparer la guérilla,
forcément victorieuse par l’écrasante supériorité numérique
des Africains. Mais le courant Mandela de l’ANC était jusqu’en
1959 minoritaire et nombreux étaient ses homologues à le convaincre
qu’une guerre civile serait longue et plutôt désastreuse - ce qui
arriva - notamment parce que le peuple Africain n’était pas
préparé et que les différentes tribus le composant n’était pas
uni par cet idéal, chacune défendant ses propres intérêts.
C’est
un événement survenu en 1960 qui bouleversa les convictions des
militants et dirigeants de l’ANC, le pays et le monde entier, une
manifestation contre l’instauration du pass qui se termina en
drame, ainsi relaté par Nelson Mandela :
“Sharpeville était un petit township à une cinquantaine de kilomètres au sud de Johannesburg, dans la banlieue industrielle sinistre qui entoure Vereeniging. Les militants du Pan African Congress y avaient fait un excellent travail d’organisation. En début d’après-midi, une foule de plusieurs milliers de personnes entoura le commissariat de police. Les manifestants étaient contrôlés et sans armes. Les forces de police, qui comptaient 75 hommes, se sentirent dépassées par le nombre et paniquèrent. Personne n’entendit de coups de semonce ni l’ordre de tirer, mais brusquement les policiers ouvrirent le feu sur la foule et ils continuèrent à tirer alors qu’elle s’enfuyait effrayée. Quand la place fut dégagée, 69 Africains étaient morts, la plupart touchés dans le dos pendant leur fuite. Plus de 700 coups de feu avaient été tirés dans la foule en blessant 400 personnes dont des dizaines de femmes et d’enfants. C’était un massacre et, le lendemain en première page, les photos publiées dans la presse du monde entier en montrèrent la sauvagerie. Les coups de feu de Sharpeville entraînèrent une agitation dans tout le pays et une crise gouvernementale. Des protestations indignées arrivèrent du monde entier, y compris du Département d’Etat américain. Elles condamnaient le gouvernement pour la fusillade et exigeaient qu’il prenne des mesures pour réaliser l’égalité raciale. La Bourse de Johannesburg chuta et les capitaux commencèrent à s’enfuir du pays. La gauche demanda au gouvernement Verwoerd de faire des concessions aux Africains. Le gouvernement affirma que Sharpeville était le résultat d’une conspiration communiste.”
Le
gouvernement procèda à l'instauration de la loi martiale, et à
l'interdiction des organisations opposées à l'apartheid, dont bien
sûr, l'ANC, et le Pan African Congress qui passait aux premiers
rangs de la lutte, en Afrique comme dans le monde entier. Ces
évènements vont jouer en faveur d'un changement radical dans la
stratégie de l'ANC.
“Le débat sur l’utilisation de la violence durait entre nous depuis le début de 1960. J’avais parlé pour la première fois de la lutte armée avec Walter dès 1952. Je lui en parlai à nouveau et nous fûmes d’accord pour reconnaître que l’organisation devait s’engager dans une nouvelle voie. Le Parti communiste s’était secrètement reconstitué dans la clandestinité et envisageait de former sa propre branche militaire. Nous avons décidé que je poserais le problème de la lutte armée au Comité de travail et je le fis au cours d’une réunion en juin 1961.”
Umkhonto
weSizw, [Fer de Lance], l'alliance armée de l'African National
Congress [ANC] et du South Africa Communist Party [SACP], est créée
en 1961 sous l'initiative de la jeune garde menée par Nelson
Mandela, son premier commandant. Refusant le modèle de Gandhi d'une
lutte pacifiste de désobéissance civile, Nelson Mandela préférait
les conquêtes militaires de Ho Chi Minh, du Front de Libération
d'Ahmed Ben Bella, de Fidel Castro et du commandant Guevara, qu'il
citait en exemples. Nelson Mandela, futur prix Nobel de la Paix,
lance ses guérilleros :
“Sur l’ordre du Haut Commandement, aux premières heures du 16 décembre (1961) – le jour où les Blancs d’Afrique du Sud célébraient la fête de Dingane –, des bombes artisanales explosèrent dans des centrales électriques et des bureaux du gouvernement à Johannesburg, Port Elizabeth et Durban. Un de nos hommes, Petrus Molife, fut tué par mégarde – la première mort d’un soldat de MK. Mourir à la guerre est une chose malheureuse mais inévitable. Chaque homme qui rejoignait MK savait qu’on pouvait lui demander le sacrifice ultime. [...] Les attentats prirent par surprise le gouvernement, qui les condamna comme des crimes odieux tout en les ridiculisant comme l’oeuvre d’amateurs stupides. Ces sabotages firent également prendre dramatiquement conscience aux Sud-Africains blancs qu’ils étaient assis sur un volcan. Quant aux Sud-Africains noirs, ils comprirent que l’ANC n’était plus une organisation de résistance passive, mais une lance puissante qui porterait.” (Long Way to Freedom, 1995).
La
guerre civile débute ainsi ; elle se terminera en 1994,
victorieuse, du moins en partie.
UTOPIE
DE L'APARTHEID
Les
architectes de l'apartheid estimaient que l'ensemble de ces lois
seraient en mesure de favoriser la cooptation de l'élite et des
familles royales et princières, de contraindre à la soumission
passive les classes moyennes urbaines, les résidents permanents, et
d'endiguer un possible exode rural, en reléguant les classes
laborieuses et dangereuses, c'est-à-dire la majorité, dans les
bantoustans, admises temporairement dans les centres urbains.
Le
Natives Urban Areas Act, constituait la clé de voûte du système en
tant qu'instrument de contrôle total bureaucratique et policier des
populations Noires, et il fût particulièrement efficace, voire
redoutable, contre les membres des organisations politiques opposées
au régime (dont l'African National Congress et le South Africa
Communist Party). Mais il s'avéra parfaitement incapable d'endiguer
le flot des populations rurales pauvres vers les centres urbains :
les bantoustans, zones de relégation, se dépeuplaient tandis que
l'urbanisation Noire des villes connaissait un développement sans
précédent, la pauvreté et les conditions de vie des zones rurales
incitèrent leurs populations à défier le contrôle de flux et à
venir s'installer illégalement dans les zones urbaines, malgré,
selon Michel Foucher, les 235.000 fonctionnaires chargés de gérer
I'apartheid, assistés de 619.000 agents de l'administration des
provinces, des districts, des townships et des homelands, et de 82
500 militaires, de 44 000 policiers, engloutissant 40 % du budget de
I'Etat.
L'échec
du « contrôle des flux » est reconnu dès le milieu des années
1960, et l'arrêt de la construction de logements publics dans les
townships est une première tentative de contrarier l'exode rural. De
même l'apartheid se radicalise, les contrôles policiers se
multiplient, sans résultats probants : le Pass Book fût ainsi
abrogé dans le milieu des années 1980, le régime de l'apartheid
reconnaissant, avouant de fait, sa défaite à contrôler les flux.
Le Natives Urban Areas Act marque la plus fondamentale contradiction
de l'apartheid urbain, celle entre les impératifs d'inclusion en
tant que force de travail essentielle au capitalisme industriel et
d'exclusion en tant que « Swart Gevaar ». L'objectif ultime de
l'apartheid d'atteindre l'inaccessible - maximiser l'exploitation du
travail urbain noir, tout en minimisant la présence des ouvriers
dans les villes, ne sera jamais réalisé, la contradiction étant
trop fondamentale pour être résolue, et financée : le coût en
moyens humains et financiers pour bâtir l'utopie de l'apartheid
urbain s'avéra bien trop imposant. Lutte Ouvrière caractérise
ainsi l'apartheid sud-africain :
“L’Afrique du Sud n’est pas une aberration du capitalisme. Elle est au contraire son produit, son image directe, sans fard, et en quelque sorte concentrée.”
La
formule est peut-être exacte pour la période de naissance de
l'apartheid, mais il est certain que le capitalisme financier
post-moderne sud-africain, face à la menace d'une guerre civile et à
la mondialisation des capitaux, joua dès 1985 un rôle prépondérant
dans les pressions faites pour la fin du régime de l'apartheid, bien
trop coûteux à entretenir ; le mouvement syndical sud-africain, à
l'avant-garde de la lutte sociale et politique du pays, résumait la
situation de la façon suivante :
« La crise dévoile les contradictions du “capitalisme de l'apartheid” (apartheid capitalism). Les mêmes capitalistes qui ont profité du système de main-d'oeuvre à bon marché mis en place par l'apartheid demandent maintenant que celui-ci soit réformé. Le coût de maintenir l'apartheid sous sa forme actuelle est devenu trop élevé pour le Système.» (COSATU, The Economy of South Africa, Second National Education Conférence, Johannesbourg, 1989).
De même
que moralement indéfendable à présent au niveau international, à
cette époque où les pays communistes se délitaient et s’ouvraient
au libéralisme et à l’international, l’apartheid capitalism
entravait la consommation de vingt millions d'individus Noirs : soit
un fabuleux marché à conquérir, une nouvelle mine de diamants ou
d’or...
INTERNATIONAL
DE
L'APARTHEID
L'histoire
de l'apartheid est celle des grandes puissances étrangères alliées
au régime de l'Afrique du Sud, disposant de fabuleuses richesses
minières (dont le précieux uranium), et d'une position
géo-stratégique – seul point de passage entre l'Europe et
l'Orient avec le canal de Suez – qui conféraient à ce pays
semi-industrialisé – le seul sur le continent pendant longtemps -
une importance internationale. Le maintien de l'apartheid pendant des
décennies s'est fait grâce, selon un rapport de l'ANC :
« aux appuis financiers des grandes puissances impérialistes comme la Grande-Bretagne, l'Allemagne de l'Ouest, la France et les Etats-Unis et le Japon qui ont d'énormes enjeux dans l'économie de notre pays et qui constituent un appui formidable pour le régime de l'apartheid. Les partenaires impérialistes de l'Afrique du Sud ont fait beaucoup pour développer l'économie et le programme d'armement de l'Afrique du Sud. »
Ils
évoquent le rôle majeur des banques américaines et du Fonds
Monétaire International [FMI] accordant des prêts considérables
aux banques ainsi qu’au gouvernement sud-africains, en dépit des
sanctions et des embargos internationaux établis progressivement.
L'administration Reagan en particulier n'aura de cesse de limiter les
sanctions de l'ONU, du Conseil de Sécurité, etc., ou de les
contourner, afin de protéger l'apartheid. Et durant toute la guerre
froide, le régime, pour justifier l'apartheid, s'octroyait le rôle
de bouclier contre les États de la région gouvernés par des partis
pro-soviétiques ou engagés dans un processus de transformation
socialiste, constituant une menace directe:
« Nos principaux ennemis sont les communistes, le comité anti-apartheid, les groupes de pression aux Etats-Unis et en Europe, certaines personnes de la direction des Nations unies, certains éléments du Conseil mondial des églises, les Joe SIovo (...). Nous avons d’autres ennemis, mais ceux que j’ai mentionnés, et, qui sont les plus puissants, ont tous en commun d’être blancs. J’affirme que la couleur des principaux ennemis des Blancs de l'Afrique du Sud est le blanc.» [Defense White Paper, 1977 (Livre Blanc de la Défense)]
La
rhétorique de l'apartheid et de ses alliés, agitant le spectre de
l'URSS armant le peuple sud-africain Noir pour une Révolution
socialiste, explique les bonnes dispositions des pays capitalistes à
accepter l'inacceptable. Le régime de l'apartheid ne cachait pas ses
sympathies et sa coopération militaro-policière avec le Chili
[dictature Pinochet] et l'Argentine [dictature Videla]. Car contre le
péril noir, et la menace soviétique « rouge », le « système »,
instaura un Etat policier et un terrorisme d'Etat n'ayant rien à
envier aux dictatures, qui culmina avec la militarisation du pays.
L’Afrique
du Sud de 1948, en votant les premières lois de l'apartheid ne
différait pas, outre mesure, des politiques raciales des Empires
colonisateurs, de l'Australie [lois raciales contre les Aborigènes],
et dans la multitude des cas, des USA avec les lois raciales
anti-Négres, le sort des tribus indiennes confinées dans des
réserves, des travailleurs mexicains, et plus tard, le phénoménal
niveau de répression contre les militants du Black Panthers Party ;
peu après avoir été élu Prix Nobel de la Paix, en 1984, Desmond
Tutu accusait l'apartheid d'être une "reminiscent of Hitler's
Aryan madness" soutenue et encouragée par Ronald Reagan :
« In my view, the Reagan administration's support and collaboration with it is equally immoral, evil, and totally un-Christian... You are either for or against apartheid and not by rhetoric. You are either in favor of evil or you are in favor of good. You are either on the side of the oppressed or on the side of the oppressor. You can't be neutral. »
Le
président Nelson Mandela, admirateur et partisan de Yasser Arafat,
eut quelques peines avec Israël, un des principaux fournisseurs de
technologies militaires et méthodes policières anti-terroristes ;
et il accusait de même, l’Etat Hébreu de construire un véritable
apartheid contre les Palestiniens :
«
L’apartheid est un crime contre l’humanité. Israël a privé des
millions de Palestiniens de leur liberté et de leur propriété. Il
perpétue un système de discrimination raciale et d’inégalité.
Il a systématiquement incarcéré et torturé des milliers de
Palestiniens, en violation du droit international. Il a déclenché
une guerre contre une population civile et en particulier contre des
enfants. » [2].
La
France faisait tout pareil et même davantage que l’apartheid : à
Madagascar (massacre de 1947, 90.000 morts), en Nouvelle Calédonie,
aux Antilles (massacre civil en Guadeloupe de mai 1967), et bien sûr
des atrocités commises en Indochine (1946 1954) puis en Algérie
(1954 1962, sans oublier les 45.000 morts de Sétif en 1945),
colonies où la torture était pratiquée sans retenue, les villages
détruits et les paysans déplacés de force. De même, le
néo-colonialisme présentait des formes aussi grossières,
d'injustices, de racisme « inné », voire de rancoeurs contre les
vainqueurs de Dien Bien Phu, et les indépendantistes Algériens,
dont les conditions de vie en France dans les bidonvilles des années
1960-1980 [et des foyers Sonacotra] s'apparentaient, ou plutôt
étaient inférieures à celles des habitants des townships
sud-africains (qui profitaient eux, de l’eau courante et
d’électricité), le commun d'ouvriers sur-exploités n'ayant aucun
droit de vote, et que l’on pouvait se débarrasser en les renvoyant
sans grande peine : d’ailleurs, selon les ministres, une fois la
reconstruction et l’industrialisation modernes achevées, les
immigrés devaient - en théorie - retourner dans leurs contrées,
leur présence sur le sol de la métropole était considérée comme
provisoire et non définitive - et à ce titre tolérée... L’essence
même de l’apartheid sud-africain. Les industriels français en
décidèrent autrement, soucieux de conserver un si bon salariat
moins coûteux et moins vindicatif que leurs homologues européens.
Claude DITYVON
Bidonville Nanterre
1967
Pierre BOULAT
Contrôle de police, bidonville de Gennevilliers
1955
Les
relations diplomatique et commerciale avec le pays de l’apartheid
étaient excellentes. En 1975, le Centre Français du Commerce
Extérieur (CFCE) faisait ce bilan :
« La France est considérée comme le seul véritable soutien de l’Afrique du Sud parmi les grands pays occidentaux. Non seulement elle lui fournit l’essentiel des armements nécessaires à sa défense, mais elle s’est montrée bienveillante, sinon un allié, dans les débats et les votes des organisations internationales.»
Pourtant,
les Nations Unies s'étaient ouvertement engagées dans la lutte
contre l’apartheid en Afrique du Sud à partir de 1963 : la
résolution 181 du 7 août 1963 du Conseil de sécurité appelant
tous les États à arrêter la vente et la livraison d'armes, de
munitions et de véhicules militaires à l'Afrique du Sud ; la
résolution 1899 de l’Assemblée générale du 13 novembre 1963 qui
engage instamment tous les États à s'abstenir de fournir du pétrole
à l'Afrique du Sud. La France s’y opposera fermement et ignora
l’embargo sur les livraisons d’armes. Le gouvernement français
se justifiait par l’argumentaire faisant la distinction entre les
armes défensives et offensives. Sous De Gaulle et Pompidou,
l’Afrique du Sud était le 3° client pour l’armement, qui en
contrepartie, fournit à la France de l’uranium, acheté hors du
contrôle de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, via
sa filiale la COGEMA. Valery Giscard accepte avec enthousiasme ce
profitable commerce, multiplie les contrats d’armements, augmente
les importations d’uranium [en ces temps de choc pétrolier, la
France n'a pas de pétrole mais des idées...], et signe un contrat
pour la construction de centrales nucléaires sud-africaines en mai
1976, provoquant un tollé international, tout du moins des pays
socialistes et anti-apartheid. Au service de cette complicité
odieuse, s’activait un puissant lobby diabolisant l'ANC,
organisation jugée terroriste-communiste au service de l'URSS, dont
le groupe parlementaire d'amités France Afrique du Sud présidé par
le gaulliste Raymond Schmitlein. La présidence échoua au député
et maire de Nice Jacques Médecin, qui en Juillet 1974, signa en
grandes pompes le jumelage entre Nice et Cape Town. Le député
communiste Virgile Barel s'insurge, mais le jumeleur pro-apartheid
sera en 1976 nommé secrétaire d’Etat au tourisme. La crise
économique n'incita pas Mitterrand à suspendre les relations
commerciales avec l'apartheid, bien au contraire, Nécessité faisait
Loi, toutefois son ministre Laurent Fabius freina les flux.
L'histoire – connue - se termine le 29 mars 1988, lorsque Dulcie
September, représentante de l'ANC pour la France, la Suisse et le
Luxembourg, est assassinée à Paris. L'ANC soupçonne fortement
l'implication des services secrets français - Dulcie enquêtait en
effet sur un trafic d'uranium et d'armes entre les deux pays -,
version reconnue par un ancien agent de la DGSE qui accusa
publiquement en 2010 ses services d'avoir collaboré à ce meurtre
resté impuni.
SUITE
UMKHONTO
WE SIZWE | Guérilla Urbaine
Partie
2 [1961 - 1964]
« Pendant les moments les plus tristes, Amnesty International ne faisait pas campagne pour nous parce que nous avions utilisé la lutte armée et cette organisation ne défendait aucune personne qui avait choisi la violence. C’était pour cette raison que je pensais que le comité Nobel ne retiendrait jamais pour le prix de la paix le nom de l’homme qui avait créé Umkhonto weSizwe. »
Nelson Mandela | Prix Nobel de la Paix
Sur
notre site :
Http://laboratoireurbanismeinsurrectionnel.blogspot.com/2013/09/umkhonto-we-sizwe-guerilla-urbaine.html
NOTES
[1] Les
principales lois de l'apartheid avant 1961 :
1949
Prohibition
of Mixed Marriage Act
Interdiction
des mariages entre membres de différentes races.
1950
Renforcement
de l’Immorality Act
Les
relations sexuelles hors mariage entre personnes de race différente
sont sévèrement punies.
Population
Registration Act
Chaque
personne est définie par sa race.
Group
Areas Act
Des
zones résidentielles différentes sont attribuées à chaque race.
Separate
Representation of Voters Bill
Première
tentative pour établir une liste électorale séparée pour les
Métis.
Suppression
of Communism Bill
Interdiction
du parti communiste. La définition donnée du communisme est si
vague que cette loi permettra de poursuivre de nombreuses
organisations anti-gouvernementales.
1951
Bantu
Authorities Act
Mise en
place d’un système politique autonome dans les réserves.
Prevention
of Illegal Squatting Act
Donne
le droit au Ministre des Affaires Indigènes d’expulser des
squatters du terrain qu’ils occupent, qu’il soit public ou privé.
1952
Native
Laws Amendment Act
Limite
le droit des Africains à résider en ville : selon la section 10,
seuls ceux y ayant résidé 15 ans, ou ayant travaillé 10 ans sans
interruption pour le même employeur ont des droits urbains.
Natives
(Abolition of Passes and Coordination of Documents) Act
Tous
les Africains doivent porter un passeport intérieur.
1953
Reservation
of Separate Amenities Act
En
réponse à la Defiance Campaign, organisée par les mouvements et
organisations anti-apartheid, la ségrégation des espaces publics
(bus, plages, bancs, toilettes, postes, etc.) est renforcée.
Public
Safety Act
Permet
au gouvernement d’instaurer l’état d’urgence.
Criminal
Law Amendment Bill
Renforce
les peines pour ceux ayant troublé l’ordre public.
Bantu
Education Act
Le
Department of Native Affairs est seul responsable de l’éducation
des Noirs, laquelle se fait selon un cursus particulier.
1957
State-Aided
Institutions Act
Permet
au gouvernement de mettre en place la ségrégation dans les
bibliothèques, les
stades et les salles de spectacle.
Native
Laws Amendment Bill
Le
gouvernement peut interdire toute réunion (y compris des services
religieux) ayant lieu dans une zone résidentielle blanche si des
Noirs y assistent.
Extension
of University Education Act
Des
universités spécifiques sont crées pour les Noirs, les Indiens et
les Métis : ils n’ont plus le droit de s’inscrire dans les
autres universités.
[2]
Lors d'une visite en Israël en 1999, Nelson Mandela déclarait :
«
Cette visite a été faite pour guérir les vieilles blessures
causées par les liens entre l'État juif et l'ancien régime de
l'apartheid en Afrique du Sud » [BBC News, 19 octobre 1999]
En
2001, dans une lettre adressée à Thomas L. Friedman, éditorialiste
au New York Times, Nelson Mandela écrivait :
«
Israël ne pensait pas à un "Etat" mais à une
"séparation". La valeur de la séparation se mesure en
terme de la capacité d’Israël à garder juif l’Etat juif, et
pas d’avoir une minorité palestinienne qui pourrait devenir une
majorité, dans l’avenir. Si cela arrivait, cela forcerait Israël
à devenir soit un Etat laïque ou bi-national, soit à devenir un
Etat d’Apartheid, non seulement de fait, mais aussi de droit.
Thomas, si vous suivez les sondages israéliens au cours des 30-40
dernières années, vous verrez clairement un racisme grossier, avec
un tiers de la population qui se déclare ouvertement raciste. Ce
racisme est de la nature de "Je hais les Arabes", et "Je
souhaite que les Arabes meurent". Si vous suivez également le
système judiciaire en Israël, vous verrez qu’il y a
discrimination contre les Palestiniens, et si vous considérez plus
particulièrement les territoires occupés en 1967, vous verrez qu’il
y a déjà deux systèmes judiciaires à l’œuvre, qui représentent
deux approches différentes de la vie humaine : une pour la vie
palestinienne et l’autre pour la vie juive. De plus, il y a deux
approches différentes pour la propriété et pour la terre. La
propriété palestinienne n’est pas reconnue comme propriété
privée puisqu’elle peut être confisquée. Pour l’occupation
israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, il y a un facteur
supplémentaire à prendre en compte. Les soi-disant "Zones
autonomes palestiniennes" sont des Bantoustans. Ce sont des
entités restreintes au sein de la structure de pouvoir du système
israélien d’Apartheid. L’Etat palestinien ne peut pas être un
sous-produit de l’Etat juif, juste pour garder la pureté juive
d’Israël. La discrimination raciale d’Israël est la vie
quotidienne de la plupart des Palestiniens. Parce qu’Israël est un
Etat juif, les Juifs israéliens ont des droits particuliers dont les
non Juifs ne bénéficient pas. Les Arabes palestiniens n’ont
aucune place dans un Etat "juif".”
SOURCES
Nelson
Mandela
Long
Way to Freedom
1995
Disponible
au format PDF en anglais :
https://docs.google.com/viewer?a=v&pid=sites&srcid=ZGVmYXVsdGRvbWFpbnxkcmVhbXNjYXBlemltfGd4OjQwMmMzOGY3YjQ4NWY4OWE
Mc
Gavin Douglas Calderwood
An
Investigation into the Planning of Urban Native Housing in
South-Africa. Thesis submitted for the degree of doctor of
architecture.
1953
Myriam
Houssay-Holzschuch
Le
Territoire volé
Une
Géographie culturelle des quartiers noirs de Cape Town
Thèse
de doctorat de l’Université Paris-Sorbonne.
1997
South-Africa
Architectural Record
Archives
en ligne :
Http://wiredspace.wits.ac.za/handle/10539/7333/recent-submissions?offset=40
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