Playboy n° 1, 1953 |
Pornotopía
Arquitectura y sexualidad en Playboy durante la guerra fría
Anagrama Editorial
Edición : 2010
Prix Sade de l'essai, 2011
Beatriz Preciado, philosophe et activiste queer, nous offre un ouvrage brillant à propos de l'empire Playboy en analysant, de façon inédite, les rapports entre architecture, technologie notamment communicationnelle et sexualité, par le biais d'un questionnement qui échappe à toute catégorisation morale. L'empire Playboy, fondé en 1953, première industrie de loisirs sexuels du capitalisme global, n'est pas seulement un magazine, mais une bien une Pornotopia, ou une révolution des moeurs intentée par son créateur Hugh Hefner ; celui qui tenta de libérer l'homme des traditions puritaines et passéistes pour inventer a new way of life, le modèle de l’homme célibataire moderne. A sa manière, Hefner a lutté contre la morale sexuelle et certains conservatismes en vigueur dans les années 50 en créant un véritable manifeste pour "l'émancipation masculine".
Playboy Town House, mai 1962 |
La philosophe propose une autre version de l'utopie ludique de Hefner et de ses "dérivés spatio-médiatiques". D'un style de vie qui s'empara de tous les domaines de la vie quotidienne et notamment celui de l'habitat : terminé le triste pavillon de banlieue, Hefner recommande particulièrement le penthouse en ville, si possible au dernier étage d'une tour, comprenant en autres, lit rotatif, baignoire transparente, mobilier design ; ou bien les manoirs extravagants aux jardins exotiques comprenant quelques grottes tropicales et l'obligatoire piscine. Il sera également un fervent admirateur des maisons à la modernité affichée, plutôt rare, et selon Beatriz, Playboy sera aussi une revue d’architecture. Le Cobusier avait annoncé l'ère de la Machine à Habiter, Playboy préfère la Machine à Séduire, sans pour autant tomber dans la vulgarité d'un baisodrome. Les interviews de Jean-Paul Sartre [!] et de Truman Capote [!] qui paraissent dans Playboy marquent cette volonté de dépasser le cliché du séducteur/fornicateur, grand consommateur de femmes. De même cet article de mai 1962 présentant un projet de maison de ville playboien [Playboy Town House].
Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Playboy Town House, mai 1962 |
Playboy Town House, mai 1962 |
Playboy Town House, mai 1962 |
Playboy Town House, mai 1962 |
Playboy Town House, mai 1962 |
Expo Montréal, 1967 |
Pour l'historienne américaine Elisabeth Fraterrigo, auteur d'un ouvrage à propos de Playboy [Playboy and the making of the good life in modern America], le talent de Hugh Hefner a été de canaliser la pauvreté psychique de la vie de l'homme de la banlieue, vers une liberté sans entrave : le style de vie promu dans Playboy était ainsi une sorte de "réponse à la banlieue." Hefner a exalté la vie plus trépidante de la grande ville [exciting urban living], haut lieu de consommations, plus en mesure d'assouvir tous les désirs individuels et partagés avec la conquête, à une époque où les classes moyennes et supérieures s'exilaient en tranquille mais ennuyeuse banlieue.
Playboy a également inventé ou introduit le goût en matière de domesticité masculine. La décoration intérieure qui était considérée comme un domaine exclusivement et traditionnellement féminin sera dans Playboy une des activités auquel l'homme moderne doit faire face. A la féminité des couleurs pastels, motifs floraux et doubles rideaux, Playboy opposera des matériaux bruts [Pierre, brique, béton] et un design high-tech résolument moderne.
Un cadre propice pour, selon Hofner, analyser en bonne compagnie, la dernière oeuvre de Picasso, citer un passage de Nietzsche et aborder des thématiques sexuelles, sans honte ni tabou. Loin des clichés vulgaires du magazine, qui dans les années 1960, étaient encore plutôt subjectifs. Les années 60/70 qui sont justement celles du développement des mouvement féministes, de revendication des homosexuels et des hippies... Sujets peu sensibles, voire opposés à la rhétorique playboienne, si ce n'est la totale libéralisation de la sexualité dans une société encore puritaine. Playboy se place ainsi à la charnière de deux mondes ; mais le style de vie imaginé est aujourd'hui devenu courant pour nombre de célibataires, hommes et femmes...
Playboy's House Party |
Preciado explore avec un talent philosophique rare la relation de l'archipel Playboy aux maisons de plaisir et aux utopies sexuelles architecturales de Sade, Ledoux ou Restif de La Bretonne, révélant le coeur de la pornotopie Playboy, dans laquelle l'architecture devient espace de théâtralisation de l'hétérosexualité.
Ainsi, en pleine guerre froide, Hefner, dans son manoir, invente la première utopie érotique de l'ère de la communication de masse : un temple du plaisir où l'homme, divorcé, célibataire et polygame, vit accompagné d'une trentaine de femmes déguisées en bunnies, filmées en permanence dans un parc à thème sexuel. Une sorte de Disneyland pour adultes. Qui n'est pas sans rappeler certaines émissions TV, Facebook et autres médias d'aujourd'hui : Hefner aura été un des précurseurs.
Plan de l'Oikema [Maison du plaisir], Architecte Claude-Nicolas Ledoux [vers 1780] |
Étrangement, la traduction du titre en français ne reprend pas le titre de l'ouvrage paru en espagnol : Architecture a disparu ! Serait-ce un signe qui prouve que l'architecture n'est pas un domaine vendeur en France ?
ENTRETIEN AVEC BEATRIZ PRECIADO
Propos recueillis par Alice Coffin
20 Minutes
Octobre 2011
Pourquoi avoir enquêté sur Playboy?
J’ai habité aux Etats-Unis. Une nuit j’étais devant ma télé et il y avait un documentaire sur Playboy. J’ai été très étonnée de voir le fondateur Hugh Hefner, dans son manoir, en peignoir et chaussons en train de parler de l’empire Playboy et d’expliquer qu’il s’agissait d’une reconquête de la domesticité pour les hommes!
C’est sûr que ce n’est pas trop l’image qu’on se fait de Playboy!
Et pourtant… Playboy est né dans les années 50. Une époque où aux Etats-Unis on fait tout pour bien séparer la sphère privée, domestique, et la sphère publique, du travail. Cela se matérialise par l’essor du pavillon familial de banlieue, alors que les villes sont désertées. Hefner, lui, dit aux hommes: prenez un appartement de célibataire en ville. Il en fait la promotion dans Playboy qui est aussi une revue d’architecture!
En quoi cela vous intéressait-il?
Il y a beaucoup d’ouvrage qui travaillent sur la féminité. Pour expliquer que c’est une construction. Que cela n’a rien de naturel. Moi je voulais faire pareil pour la masculinité et l’hétérosexualité. Expliquer que ces normes n’ont rien de naturel, qu’elles changent selon les époques. Hugh Hefner était un bon exemple. Quand vous le voyez au milieu de vingt playmates déguisées en lapines, on est assez loin de la nature, non?
Comment avez-vous enquêté?
On se fait très mal voir lorsqu’on arrive dans une bibliothèque et qu’on demande 60 numéros de Playboy! C’est une galère terrible de travailler sur la pornographie. Il faut aussi s’adresser aux amis d’amis qui ont une collection chez eux. Je suis aussi allée travailler à Playboy, à Los Angeles, où il y a un fond d’archives.
Vous avez été bien reçue?
Au début Hugh Hefner était enchanté. Mais travailler sur Playboy c’est comme travailler sur Mac Donald. C’est une grande entreprise donc la surveillance est extraordinaire. Les avocats savent très bien ce que vous faites, ils contrôlent énormément. Par exemple, ils ne voulaient pas que je parle de pornographie mais d’art concernant Playboy…
Où en est l’entreprise?
Elle tire désormais la majeure partie de ses revenus des produits dérivés. Les acheteuses sont d’ailleurs surtout des femmes. Le lapin de Playboy c’est un peu devenu Hello Kitty.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire