Les aventures de Red Rat


Johannes van de Weert
Les aventures de Red Rat
1980

Ré-édition Le monde à l’envers & Black-star (s) éditions
traduit du néerlandais par Willem
sélection patrimoine du festival d'Angoulème 2017 
2016 - 2017


Présentation de l’éditeur :

En 1980, Johannes van de Weert publia le premier volume de Red Rat, une BD sur un rongeur infortuné pris dans les émeutes survenues à Amsterdam lors du couronnement de la reine des Pays-Bas. Red Rat avait quelque chose du Néerlandais moyen. Il fut un temps un rat de bureau qui rejoignait la résistance basque pendant les vacances, à un autre moment squatter ou bien punk voyageur, mais souvent juste un passant outragé.
Van de Weert a été l’un des initiateurs de la scène punk néerlandaise. Il a chanté dans le groupe les Rondos, a participé au lancement du centre social autogéré de la Huize Schoonderloo à Rotterdam et pris part au collectif qui édita et produisit le journal Raket, mais fut également dans beaucoup d’autres projets politiques et culturels
toujours autour de l’humour, de la confrontation, du combat.

Interview de l’auteur :



Johannes van de Weert a été interviewé au printemps 2010 par le premier numéro de la revue américaine signal.

Red Rat apparut pour la première fois en 1980. Pouvez-vous nous dire comment cette BD est née ? Quelles étaient vos intentions ?

C’était principalement la colère contre la violence policière durant les émeutes du 30 avril 1980, le jour du couronnement de la reine Beatrix, qui généra la première BD de Red Rat. Avec tous les membres des Rondos, nous avions pris part aux manifs de ce jour contre la police à Amsterdam. La police utilisa des hélicos, des armes à feu, le gaz lacrymogène contre les manifestants. Ce jour-là, il y avait des rumeurs de gens matraqués à mort par la police, cela laissa une marque… À cette époque, nous vivions ensemble, les Rondos et quelques autres, à la Huize Schoonderloo à Rotterdam. Nous étions sur le point de mettre un terme aux Rondos et nous finissions les deux derniers volumes de notre fanzine Raket quand je commençai Red Rat.

Red Rat a été créé quand votre groupe des Rondos s’arrêtait mais l’expression politique est la même bien que la tonalité soit complètement différente. Les Rondos étaient militants et caustiques alors que Red Rat est souvent idiot. Était-ce délibéré ?

Je ne pense pas que Red Rat soit lui-même idiot. Il vit dans un monde idiot et chaotique et essaye de faire de son mieux. J’ai essayé de comprendre l’enfer que devenait la société et le mouvement de gauche qui était bien souvent à la fois idiot et chaotique. Et bien sûr, c’était sympa d’illustrer la stupidité de cette période par une BD comme Red Rat. C’était très marrant… Jouer dans un groupe punk, composer de la musique furieuse est vraiment autre chose mais tout aussi fun…


Quelle était l’inspiration derrière le personnage de Red Rat ? Vous le décrivez comme « profondément confus ». C’est un personnage très sympathique, il est curieux, gentil, certainement un peu naïf, et facilement scandalisé.

Je pense que la meilleure façon de raconter une histoire est de prétendre que vous ne comprenez absolument pas ce qui se passe… Red Rat essayait désespérément de comprendre ce qui se passait autour de lui et il devenait confus pendant cette période mais restait très fidèle à lui-même. Ce qui le rend bien sympathique, je pense. Les gens le reconnaissent comme tel. C’est ce que nous essayons tous de faire tout le temps. Ces caractéristiques sont apparues pendant que je travaillais sur cette BD – je n’y avais pas vraiment pensé au préalable – il n’y avait pas de plan, ça s’est juste présenté de cette façon. Il n’y avait pas urgence à dessiner une BD sur ces évènements et j’ai simplement poursuivi cette histoire à partir des observations que j’ai faites dans la rue pendant cette période.

Votre style est très abouti et cohérent depuis le début. Avez-vous la passion des BD ? Aviez-vous dessiné des BD auparavant ?

Oui, j’ai fait quelques livres pour enfants, dans un style similaire (l’un d’eux a fait l’objet d’une traduction en anglais par Chumbawamba en 1987). Mais je n’étais pas passionné par la BD à ce moment-là. J’aimais beaucoup Tintin quand j’étais enfant, qui m’a beaucoup influencé, bien que je n’y ai pas pensé quand je faisais Red Rat. La grande découverte à ce moment-là était Krazy Kat de George Herriman – absolument brillant, et d’une certaine façon, très proche de Red Rat.

Chaque épisode relate un fait politique. Qu’espériez-vous en faisant des BD sur les luttes politiques ? Pensiez-vous vous faire connaître à travers vos BD sans autre intérêt dans le débat politique ou bien Red Rat était-il simplement une mascotte pour le mouvement squatter ?

Je n’ai jamais cherché à réaliser un objectif politique. Et quand Red Rat est devenu une mascotte pour le mouvement punk et squatter, j’ai arrêté la BD. Ce n’était pas l’objectif… comme pour les Rondos. J’ai été surpris à cette période que tant de gens apprécient le caractère de Red Rat. La première partie de Red Rat à été ronéotypée à seulement 250 exemplaires mais, peu de temps après, nous avons vendu 5 000 exemplaires de Red Rat – Part. 1 & 2. Mon principal objectif, s’il devait y en avoir un, était de montrer qu’il était relativement facile de faire sa propre BD (spécialement pour les jeunes), simplement en dessinant dans un style naïf. Do It Yourself (DIY) pour ainsi dire.

Vous avez utilisé Red Rat comme un tremplin pour raconter des histoires de nazis, l’occupation, la Seconde Guerre mondiale et la Résistance. Pouvez-vous nous dire comment ces BD sont nées et quelle a été votre source d’inspiration pour les faire ?

Je voulais faire une comparaison entre l’Allemagne nazie de 1933 (donc le début du mouvement national-socialiste) et l’Europe à cette époque (1981) qui se dirigeait vers une forme d’« États policiers unis ». Et ils essayaient quelques unes des tactiques de répression nazies, comme le contrôle gouvernemental de la presse, et autres… Bien sûr, il y avait une différence notable entre 1933 et 1981, mais même avec le temps, la contre-insurrection présentait des points communs entre les deux périodes. C’est ce que je voulais mettre en lumière. Je retenais le principe de l’album photo pour le rendre plus personnel. Plus tard, en 1984, j’ai édité la BD Uitverkoop! [Soldes !] sur la montée du mouvement national-socialiste néerlandais en Hollande durant la Seconde Guerre mondiale. Cette histoire était inspirée par les histoires de personnes que nous avions interviewées dans Rood Rotterdam [Rotterdam rouge].




Quel était le projet de Rood Rotterdam et comment s’est-il déroulé ?

La conception de Rood Rotterdam nous a pris, pour trois d’entre nous, deux années. Nous avons interrogé quinze activistes de gauche – hommes et femmes – qui étaient actifs dans des groupes anarchistes, communistes et révolutionnaires avant la Seconde Guerre mondiale. Pour notre ouvrage nous nous sommes servis de leurs histoires, images, lettres, poèmes, etc. Ce fut beaucoup de travail mais cela en valait la peine. À ma connaissance, tous étaient ravis de notre travail. Pour quelques-uns d’entre eux c’était la première fois qu’ils témoignaient de leur histoire. Avec le livre, ils allaient avoir quelque chose à montrer à leur famille et amis. C’était le premier livre publié sur des militants « ordinaires » de la classe ouvrière de Rotterdam dans les années 30. Nous en avons vendu 4 000 exemplaires, principalement à Rotterdam.

Pouvez-vous nous décrire votre fanzine Raket ? Combien de numéros avez-vous publiés ? Quelle était votre inspiration pour faire ce fanzine ? Je sais que vous avez collé des affiches dans les environs de Rotterdam, combien d’affiches ? Combien de temps restaient-elles en place dans les rues ? Cela a-t-il eu un impact dans Rotterdam ?

Au début Raket était une affiche que nous collions sur les murs de Rotterdam. Les réactions aux trois premières affiches étaient comme nous le pressentions : les punks adoraient et la police essayait de les arracher des murs. Chacun pouvait écrire ou dessiner quelque chose pour ces affiches. Après trois numéros, nous étions tellement contents que nous avons décidé d’en faire un fanzine en format A4. Nous avons, tous ensemble, fait quatorze numéros. Le premier livret (n°4) contenait deux pages pour un tirage de 350 copies. Le dernier (n°14) se composait de 232 pages pour un tirage de 1 000 exemplaires, tous faits main. Lorsque j’ai pressenti qu’il était devenu le fanzine le plus influent de Hollande, nous avons arrêté.

Les Rondos, le projet de la Huize Schoonderloo et le fanzine Raket sont de votre inspiration et de quelques étudiants de l’École d’art ? Que faisiez-vous ensemble ? Étiez-vous intéressé par des artistes en particulier ? Vous intéressiez-vous à la politique quand vous étiez jeune ou bien avez-vous découvert la politique à travers vos recherches sur ces projets ? Quelle était votre pratique de l’art avant les Rondos ?

Nous étions alors, en 1977, tous étudiants en art et nous avions en commun l’ennui à cause de l’ambiance monotone de l’Académie. Aussi nous faisions nos propres projets et un groupe de musique qui dans un premier temps s’appelait « Tirez… Utilisez… Jetez » (nom trouvé sur une notice de détergent) et plus tard les Rondos. Nous étions plus intéressés par la musique que par l’art en général. Mais nous aimions beaucoup Dada et nous étions sensibles à leur moyen d’expression. Et, oui, venant d’un milieu ouvrier, j’étais intéressé par la politique. À mes 17 ans, j’ai rejoint un petit groupe marxiste-léniniste, composé essentiellement d’étudiants, mais je n’appréciais pas leur amateurisme (et ils n’avaient aucun sens de l’humour). J’étais plutôt branché par la lutte armée et j’étais sympathisant de la Fraction armée rouge (RAF) en Allemagne… La lutte armée me semblait plus profitable que la distribution de tracts ; ma pratique artistique traduisait cette façon de penser.

Dans votre biographie des Rondos, vous écrivez : « Nous avions nos propres idées sur l’art. D’abord et avant tout, ça devait être sans valeur. Tout cela pour dire que l’art ne devrait pas représenter de valeur financière. Il vaut mieux un millier de mauvais tirages qu’une édition unique mais onéreuse avec une valeur éternelle. Pour nous, l’art n’était pas une marchandise, un investissement ou un symbole. L’art devait être reproductible, temporaire, accessible à tous et de préférence exhibé dans la rue. Notre anti-art avait la forme de nos idées, de notre mécontentement et de nos sentiments antiautoritaires. Notre travail était anonyme et avant-gardiste. À cette époque, nous nous fichions complètement de la dimension spirituelle de l’art. » Que pensez-vous de tout cela à présent ?

Eh bien, c’est une autre histoire. Je crois que notre déclaration sur l’art tient toujours. Le tout faire soi-même (DIY) est énorme et toujours d’actualité en particulier chez les jeunes engagés dans les mouvements de la jeunesse ou dans la culture underground. Et bien sûr, j’ai toujours plaisir à travailler dans ce sens quand je réalise des projets avec d’autres personnes, comme la réédition des Rondos et la nouvelle BD de Red Rat. Mais, me concernant, quand je travaille dans mon petit studio à l’étage, c’est différent… Faire de l’art, si vous souhaitez appeler cela ainsi – pour moi, ce sont surtout des dessins au crayon ou à l’encre sur papier – est surtout une expérience religieuse ou spirituelle. Dans mon travail je me rapporte au zen – comme un effort sans effort – une approche non mentale, sans but précis, sans attente, mais juste en prenant les choses comme elles viennent. Mais c’est personnel (ou impersonnel si vous voulez) et je ne souhaite pas en faire l’éloge.

J’ai vu que la dernière BD sur laquelle vous aviez travaillé traitait des Brigades internationales néerlandaises dans la guerre civile espagnole. Il me semble que votre habileté graphique a vraiment été développée, sans perdre de l’esprit original de Red Rat, mais était plus détaillée, sophistiquée et concrétisée. Puis, vous avez arrêté. Pourquoi ?

Je ne sais pas si j’ai vraiment développé ma dextérité si je compare à Red Rat ou No Pasaran!. C’était simplement une autre approche de travail comme Uitverkoop! Qui était aussi différente. En 1987, la maison d’édition Raket arrivait à sa fin mais j’avais déjà rejoint le groupe The Ex et je travaillais sur les singles et le livret du disque 1936 sur la guerre civile espagnole. Après j’ai dû arrêter avec The Ex parce que je devais m’occuper de mes petits garçons, Jan et Arie. Je suis également devenu de plus en plus intéressé par l’ésotérisme, ce qui m’apportait plus que ce que je cherchais en réalité.

Je voudrais être capable de témoigner de votre progression entre les Rondos, la Huize Schoonderloo, Raket et Red Rat. Tous ces projets étaient collectifs excepté Red Rat, qui était un projet individuel et plus léger. Cela vous a-t-il permis de vous libérer pour travailler vos propres projets ?

Notre collectif a toujours été un mix de projets communs et individuels, et ce depuis que nous avons démarré les Rondos, Raket, Red Rock, etc. Notre travail personnel a été mêlé aux projets collectifs. J’ai fait la BD Red Rat seul mais tout le monde m’a aidé pour l’impression, la confection et la distribution des livres.

Qu’avez-vous fait ces vingt dernières années ?

Toutes sortes de choses, mais essentiellement l’étude de l’ésotérisme (qui n’a rien à voir avec le New Age, quoi qu’il en soit !) et je me suis consacré à l’art une nouvelle fois. Et bien sûr, ces deux choses sont liées. J’ai également écrit de la poésie, des livres, des articles et j’en ai publié certains – toujours dans une démarche DIY – et j’ai donné des conférences sur la Chrétienté ésotérique, le Taoïsme et sur la tradition nordique y compris les runes (l’alphabet des anciens peuples germaniques). Et aussi sur les racines occultistes du national-socialisme. J’ai aussi fait une BD et joué avec le groupe The Bent Moustache. Dans l’immédiat, je viens juste de terminer les parties 13 & 14 de Red Rat. 

Interview en anglais

Red Rat n° 1 - octobre 1980 - en intégralité (néerlandais) sur le site du collectif RONDOS :


Le monde à l'envers

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38100 Grenoble
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