C'est
pour ces raisons que nous avons préféré établir une chronologie
détaillée et thématique plutôt qu'une explication forcément
subjective, méthode plus objective qui laisse apparaître à la fois
les différences profondes entre les acteurs, leur éloignement ou
leur distanciation, leurs contradictions et leurs intersections, et
qui révèle toute leur complexité et leur pluralité. Ainsi, comme
à notre habitude, et à contre-courant, la chronologie que nous
présentons s’intéresse aux disciplines propres, extérieures et
lointaines gravitant autour du domaine de l’écologie urbaine et
architecturale, dans une synthèse relevant davantage du bazar, que
de la perfection scientifique rigoureuse.
Pourquoi,
en effet, ne pas mentionner Le domaine des Dieux (qui s'adressait aux
architectes) et Idefix (premier toutou écolo), créés par Goscinny
et Uderzo, pour mesurer l'état d'esprit d'une France critique envers
ses élites bâtisseuses de modernité... et ses architectes_! Une
France manifestement mécontente des grands travaux de l'Etat, du
laisser-faire spéculatif, qui donna naissance à deux mouvements de
lutte d'ampleur : la lutte pacifique et encore célèbre du Larzac,
et celle bien moins évoquée, car armée, des nationalistes corses ;
tandis qu'à Paris, les z-écolos exigeaient déjà , eux, la
vélo-libération des quais.
Dans
le titre général de cette brochure est stipulé EN FRANCE ; limite
qui aurait certainement réduit des deux tiers les pages de cette
brochure ; car en effet, si dans le monde de l'écologie
scientifique, philosophique, et donc de la contestation, la France
disposait d'un capital intellectuel de premier ordre, il n'en était
pas de même pour le monde de l'intelligentsia architecturale et
urbaine ; cette pénurie française, et intellectuelle et de
praticiens accordant un grand intérêt - à nos yeux en tout cas -
aux questions environnementales et écologiques, nous a donc conduit
à franchir des frontières pour y trouver les sources de
l'architecture écologique, de l'urbanisme environnemental, théorisés après la seconde guerre mondiale.
Le Corbusier
Ville parc
1930
Le Corbusier
Ville parc
1930
INTRODUCTION
Présenter
pêle-mêle chronologiquement une succession d'événements comporte
le risque, aussi, de perturber les néophytes en architecture, et de
laisser de côté des enchaînements primordiaux, même si pour les
plus importants événements, une rédaction plus longue marque leur
importance, pour nous, tout du moins. Cette introduction nous semble
ainsi nécessaire pour parcourir en mode résumé, les grandes lignes
de l'histoire écologique de l'urbanisme et de l'architecture de
l'après guerre, s'étendant à la fin de l'opulence, en 1973-74.
Idéologies
Anti-Urbaines
Tenter
de comprendre les expériences architecturales et urbaines de l'après
guerre, passe par un retour, ici bref, sur les idéologies
architecturales anti-urbaines : la ville parc de Le Corbusier, les
Siedlungen de Weimar, les Garden Cities d'Howard, la ville dispersée
de Franck Lloyd Wright, les Green Cities du New Deal aux USA, les
villes utopiques linéaires et les Cités Spoutnik réalistes
soviétiques, ces projets, préludes précurseurs expérimentaux ont
inventé l'architecture écologique et l'urbanisme environnemental,
inspirés par les propos savants des hygiénistes, et les études
scientifiques opposant aux maux des grandes villes, une nature
bienfaitrice ou rédemptrice selon, pour l'Homme.
Mais
au-delà de leurs prétentions à organiser de manière harmonieuse
la relation homme-ville-nature, de répondre à la question cruciale
de l'opposition ville-campagne, elles ont été élaborées, à
divers degrés selon le régime politique ou l'étendue du
territoire, afin d'atteindre cet objectif de supprimer la
spéculation, de briser ses mécanismes essentiellement urbains, et
pour y parvenir, les théoriciens socialistes posaient la condition,
outre des manifestes provocateurs irréalisables, de bâtir de
nouvelles cités au-delà des villes, dans leurs périphérie proche
ou éloignée, hors de portée des pratiques spéculatives,
inopérantes ici, ou aux effets moins destructeurs, moins nocifs pour
le bien commun. L'écologie moderne dans les domaines de l'urbain et
de l'architecture a ainsi été porté, aussi, en réaction contre
les malversations spéculatives, au-delà de l'idéal d'offrir aux
habitants des villes un environnement sain et hygiénique, de les
arracher de la grande ville inhumaine pour un cadre de vie verdoyant,
propice à leur élévation morale.
En
République de Weimar, les expériences de construction des
Siedlungen sont exemplaires tant par leurs qualités spatiales
architecturales, leur relation avec l'environnement naturel, que dans
la méthode, la stratégie, pour y parvenir, car elles symbolisent,
concrétisent dans l'espace, la convergence idéologique, ou
d'intérêts communs, entre tous les acteurs impliqués : politique,
théoricien, concepteur, technicien, syndicat ouvrier, et souvent,
grand industriel. Cet équilibre, ce consensus général plutôt que
compromis, est sans doute unique dans l'histoire de l'architecture,
car ici, ce sont les avant-gardes architecturales, anti-académiques,
socialistes ou humanistes qui ont imaginé la ville verte de demain
et leurs édifices. Mais comme l'analysait le critique et historien
de l'architecture italien Manfredo TAFURI, dans Progetto e Utopia_:
«_L’idéologie
anti-urbaine se présente bien sûr toujours sous des dehors
anti-capitalistes, qu’il s’agisse de l’anarchisme de Bruno
taut, de l’éthique socialiste des désurbanistes soviétiques, ou
de la «_bohème_» de Wright. Mais cette révolte angoissée contre
la "métropole anti-humaine" dominée par le mouvement du
flux monétaire n’est rien d’autre qu’une nostalgie, un refus
d’accepter les formes les plus avancées du capitalisme, un désir
de régresser vers l’enfance de l’humanité. Et quand cette
idéologie vient s’inscrire dans une perspective progressiste
d’aménagement du territoire et de réorganisation du secteur de la
construction, elle est inévitablement destinée à être récupérée
et déformée par les impératifs contingents des mesures
anti-conjoncturelles._» (1973).
Utopies
d'Hier
Le
cas de l'Angleterre de l'après guerre est exemplaire à ce titre car
malgré une politique volontariste et interventionniste impulsée par
le Parti travailliste au pouvoir, associée elle-aussi à
l'avant-garde architecturale et intellectuelle, dans la grande
tradition culturelle britannique naturaliste paysagiste, le programme
de planification de rééquilibrage du territoire, comportant la
construction de Green New Towns, puis de New Cities, de Green Belt
Rings, cette riposte territoriale aboutit à un échec : la
concentration d'employés exigée par l'industrie, puis le tertiaire,
la spéculation, l'avènement de l'automobile, les fluctuations de
l'économie, achèveront, ruineront les efforts des pouvoirs publics
: les nouvelles cités effectivement vertes deviendront des Green
Suburbs sans vie, des sous-utopies, des cité-dortoirs, contraignant
leurs habitants à de longs déplacements pendulaires en automobile,
les villes continuèrent d'enfler, de même que la demande en
logements.
La
planification territoriale en France après la guerre, avec d'autres
instruments, tenta également un rééquilibrage de son territoire,
avec, notamment la décentralisation de Paris (1945-65) ; une
politique là aussi très interventionniste, conjuguant incitations
et interdictions, grandes lois, appels aux industriels à s'implanter
en province, etc. Une planification contrariée par la spéculation,
et le laisser-faire de l'urbanisme des dérogations, mais également
par la faiblesse des moyens financiers accordés au regard des
objectifs à atteindre, près de vingt années de guerre (1945, 1962)
en Indochine et en Afrique du Nord, et la course à l'armement
nucléaire, auront la priorité de l'Etat. Restrictions budgétaires
et avidité des constructeurs donnèrent naissance à la plus grande
catastrophe urbano-architecturale, celle des grands ensembles et des
infrastructures des ingénieurs technocrates des Ponts &
Chaussées, farouches adversaires des écolos.
Ruptures
Les
frondes des écologistes, des naturalistes et des
environnementalistes, qui avaient inspiré les propositions des
idéologies anti-urbaines, se poursuivent dès l'après guerre,
mouvements de contestations renforcés par le front parallèle des
anti-nucléaires mené par les plus grands savants de l'époque,
Einstein, Joliot-Curie en particulier s'y distinguent. Mais, en
France, ces avant-gardes n'opèrent plus sur la conscience, les
travaux et les théories des avant-gardes architecturales, qui les
considèrent avec dédain comme des anti-modernes nostalgiques de
l'époque pré-industrielle, des apôtres du retour à la terre
rappelant l'idéologie pétainiste, écologistes sans le savoir qui
s'opposent à leurs projets.
Dès
lors se produit une première rupture entre les protagonistes des
sciences de l'environnement et de la pensée, de la philosophie
écologiques, puis les intellectuels, et les professionnels de
l'urbain et de l'architecture, divorce que les élites
technocratiques de l'Etat, en France, tentent d'apaiser, voire de
ré-concilier. En d'autres termes, l'intelligentsia architecturale
renonce à jouer son rôle historique d'avant-garde, c'est-à-dire de
pré-voir un avenir et d'opposer aux contradictions de la société,
des instruments capables, véritablement, de les amortir, au mieux de
les surmonter. Il est sidérant de constater le décalage,
historique, entre les écrits des écologistes et les théories des
architectes les plus influents, qui mènent un combat d'arrière-garde
par la stricte application, avec des adaptations majeures, des thèses
modernistes de l'avant-guerre, c'est-à-dire inactuelles : la
ville-parc radieuse, et les cité-jardins qu'ils défendent comme les
immeuble-villas, sont dé-naturés, le mot est juste, ne ressemblant
en rien à ce qu'ils avaient imaginé vingt ans plus tôt. Et
pourtant, en Inde, l'équipe de Le Corbusier s'occupe de bâtir la
ville nouvelle de Chandigarh, qui est considérée comme une
véritable réussite par, notamment, la qualité urbaine accordant
une large place, et un large éventail à la Nature omniprésente,
traitements ayant vocation, également, écologiques...
En
France, c'est au contraire une dénaturation dénaturalisation des
programmes consacrés en particulier à l'habitat que les architectes
observent en silence, voire qu'ils approuvent sur l'autel économique
d'un certes dommageable mais nécessaire équilibre financier.
Silence signifiant consentement, engageant, incitant et confortant
les ingénieurs et technocrates de l'Etat à poursuivre leurs
oeuvres, car les échos des écologistes peinent également à
convaincre la population du bien-fondé de leurs préoccupations ;
cependant, progressivement enfle au fur et à mesure des massacres
urbano-architecturaux, le mécontentement puis la contestation
populaire que tentent d'intégrer, notamment, le Parti socialiste
Unifié (1960) et les Groupes d’action municipale (1963).
Si
la pensée écologiste française disposait dès l'après guerre de
grandes personnalités, avec Joliot-Curie, Roger Heim, Jacques Ellul
qui publie La Technique ou l’Enjeu du siècle en 1954, et son ami
Bernard Charbonneau, Jean Dorst et le commandant Cousteau, etc., elle
s'intéresse peu à l'urbanisme, sinon pour déplorer, rarement pour
proposer. Dans ce domaine, ce sont les penseurs américains et
anglais qui alimentent la critique, concentrée en particulier dans
un premier temps, sur la dévastation des paysages. Au sein de cette
critique, figurent des architectes, dont Buckminster Fuller, et le
ouest-allemand, Frei Otto, pères de la nouvelle architecture
écologique de l'après guerre, et futurs idoles des hippies. En
France, Guy Debord et les Situationnistes s'emparent de la question
urbaine, avec l'artiste Constant, imaginant la cité infinie New
Babylon, projet utopique post-révolutionnaire, où l'environnement
occupe une place non négligeable mais non centrale ; les premiers
projets utopiques de l'architecte Yona Friedman concernent la
ville-suspendue écologique ; mais au-delà de leurs qualités
exceptionnelles, leurs propositions utopiques peinent, elles-aussi à
convaincre. De même que les projets utopiques des architectes
partisans de la méga-structure, écologique affirment-ils, mais aux
accents totalitaires.
Henri
Lefebvre
Le
salut viendra du philosophe sociologue et marxiste Henri Lefebvre qui
exprimait ses premières critiques sur le mode interrogatif dès le
début des années 1960, puis d'articles en livres, théorise sur la
question de l'opposition ville-campagne, d'où ressort les questions
d'environnement. Il appelle une révolution urbaine, la participation
des habitants, à l'auto-gestion, et il insiste sur la prise en
compte de l'environnement et de l'importance de l'utopie
architecturale urbaine. Son influence prédomine après 68 la pensée
des nouvelles avant-gardes architecturales refusant le modernisme, et
les mégastructures, autour des idées de participation citoyenne et
d'auto-gestion appliquée à la ville, mais elles évacuent
complètement son appel à imaginer la ville de demain, et surtout,
les préoccupations écologiques, pour se concentrer sur les
questions sociales, et en particulier, du mal-logement.C'est bien une
avant-garde architecturale stérile, qui ne dessine rien, qui
n'invente pas, qui théorise une possible révolution urbaine, et
pour les plus radicaux, les questions écologiques appartiennent à
la pensée petite-bourgeoise, et ce, malgré l'indécente multitude
de luttes urbaines qui occupe le terrain de l'écologie, préparant
le terreau de son avenir politique, luttes urbaines considérées
comme un front mineur ou secondaire par rapport aux luttes d'usine.
Ainsi
cette avant-garde stérile - qui se préoccupe des luttes pour le
droit au logement ouvrier - se coupe des aspirations, de certaines
tout du moins mais majoritaires, du peuple, luttes urbaines que
tentent de récupérer la gauche. Mais comme l'observait Henri
Lefevbre :
«"La
crise de la gauche" ne s'expliquerait-elle pas, entre autres
causes et raisons, par son incapacité à analyser les questions
urbaines, par sa façon étroite de les poser ? Le problème urbain a
cessé d'être municipal pour devenir national et mondial. La
réduction de l'urbain au logement et aux équipement fait partie des
étroitesses de la vie politique devenue étouffante, à droite comme
à gauche. Un vaste programme urbain, qui serait aussi un projet de
transformation de la quotidienneté, qui n'aurait plus aucun rapport
ni avec l'urbanisme répressif et banal ni avec l'aménagement
contraignant du territoire, telle est la première vérité politique
à faire pénétrer dans ce qui reste de la "gauche"
française pour la renouveler.»
Architecturales
Radicales
La
passivité stérile, voire l'inexistence d'une avant-garde
architecturale en France est compensée par celles de l'étranger,
d'Angleterre, d'Autriche et d'Italie, qui elles révolutionnent les
domaines de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et de
l'architecture, en s'appuyant sur ce que refuse les architectes
français, l'écologie et l'environnement, comme l'avaient fait
auparavant les architectes de l'entre-deux guerre. Ces avant-gardes
radicales, et fécondes, se proposent d'adapter les villes aux
nouvelles technologies et de répondre aux questions essentielles que
posent l'opposition ville-campagne. La Green Smart City est inventée,
déjà, en 1970. Ils tentent de coller à la réalité, et notamment,
d'imaginer villes et édifices, ou bien au contraire, leurs propres
disparitions, susceptibles de contenter les idéaux d'une jeunesse
critique qui s'exprime dans le mouvement hippy, et les courants
alternatifs, qui eux, dès le milieu des années 1960 aux USA,
s'étaient confrontés à l'écologie expérimentale réalisée : ce
sont les premiers concepteurs usagers de l'architecture écolo. En
parallèle, en Europe, aux Pays-Bas, naît le mouvement Provo qui
organise la résistance contre les projets de rénovation urbaine, et
place l'écologie urbaine au coeur de leurs propos et de leurs
revendications. Leurs contre-propositions écolo seront en grande
partie satisfaites, puis récupérées par les partis politiques
traditionnels, y compris conservateurs.
Deuxième
divorce
Dans
le domaine des luttes victorieuses, la fière Corse entame un long
cycle d'opérations terroristes contre les projets de planification
urbaine devant à terme la métamorphoser en ilot touristique
bétonné, les Corses nationalistes ou régionalistes, dont certains
groupuscules se réclamant de la gauche, en pratiquant le plasticage
à outrance sauvera son patrimoine naturel.
En
France, cette seconde rupture entre avant-garde architectural, pensée
critique intellectuelle et scientifique est encore plus remarquable
que la précédente, car ce divorce concerne également le monde
culturel et contre-culturel. Car si la population gronde et peste
contre l'urbanisme technocratique capitaliste, le monde des livres,
du documentaire et du cinéma, de la photographie, de la bande
dessinée, de la musique, etc., s'en amuse ou s'en désole, de
manière critique. Front hétérogène actif très critique qui
compense l'anesthésie quasi générale et l'incompétence notable de
la presse et de l'édition qui accordaient une place minime et
irrégulière à l'architecture et à l'urbanisme, ou faisaient la
propagande naïve, par exemple, des grandes opérations urbaines
décidées par l'Etat, sans pertinence, sans jamais une véritable
réflexion critique que l'on retrouve dans la presse anglo-saxonne ou
italienne, conséquence, peut-être, de l'absence d'une véritable
pensée architecturale novatrice, car de leur côté, les
avant-gardes architecturales radicales anglaises, italiennes sont
sous les feux de leurs médias nationaux, et exposent de musées en
biennales, dans le monde entier.
Dans
ce contexte, l'émission télévision La France défigurée diffusée
à partir de 1971 renforcera cette carence de pensée et critique et
féconde, par le recours à un passéisme de pacotille, une nostalgie
des temps anciens, en évitant soigneusement la chose politique :
l'environnement y est traité comme une question locale d'un domaine
particulier, non comme un problème politique d'ordre général.
Pénurie intellectuelle !
L'Etat,
face à un contexte de pénurie intellectuelle, où les architectes
sont incapables - les premiers reproches contre les architectes
modernes éclatent au sein des grandes institutions de l'Etat,
réveillées par un personnel jeune sensibilisé aux oppositions
populaires - ou refusent de renouveler la pensée urbaine et
architecturale, d'inventer, l'Etat, donc, va devoir lui-même créer
sa propre avant-garde, pour pallier cette carence imaginative et
d'inventivité attribuée, en grande partie à l'enseignement hors
d'âge prodigué par les Beaux-Arts académiques. A la création de
l'institut de l'Environnement, puis du premier Ministère de
l'Environnement en 1971, objet démagogique, s'ajoutent d'autres
institutions chargées elles d'architecture et d'urbanisme dont la
mission politique est de relancer la production intellectuelle
(culturelle comme technique) en France, tournée vers la recherche
fondamentale et une recherche plus appliquée, ouverte à
l’expérimentation. Ce ne sont plus les intellectuels des
avant-gardes qui proposent, mais l'Etat qui les incitent ainsi à en
formuler !
Le
modèle USA
Ces
institutions, relayées par des fondations privées, auront à charge
d'envoyer tous frais payés, de distribuer de généreuses bourses à
de jeunes architectes, des étudiants même, de préférence dans le
pays qu'elles considèrent être en avance, un laboratoire historique
où se créent des phénomènes intriguant ou s'y invente des
expériences novatrices : les USA, où officient de grandes agences,
et des personnalités reconnues, dont Louis Kahn, ainsi que les
grands penseurs dont les travaux théoriques et critiques en
urbanisme comptent parmi les plus significatifs, dont Lewis Mumford,
Christopher Alexander, Kevin Lynch, etc. Le ministre de la culture
André Malraux, dans un entretien réalisé par le journaliste Yves
Mourousi, le 18 décembre 1968 :
« Rome n'a rien d'essentiel à enseigner à nos architectes. De même que nous devons réformer la profession, nous devons remplacer les Prix de Rome par des bourses de voyage dans les pays où se crée l'Architecture moderne ; la Finlande, les États-Unis, le Brésil, peut-être le Japon. Alors l'enseignement de l'architecture doit subir une transformation radicale. Il doit commencer par la connaissance réelle des grandes réalisations architecturales dans le monde et avoir pour but de préparer les élèves à rivaliser avec elles. Voilà évidemment le fond de toute la question. Il s'agissait naguère de savoir si nous aurions un jeune architecte qui deviendrait plus tard le rival disons de Michel-Ange, n'est-ce pas. Il s'agit aujourd'hui de savoir si nous pouvons avoir une architecture moderne française qui soit la rivale de l'architecture américaine, la rivale et non pas le disciple.»
De
ses échanges franco-américains, retenons ici le français Max
Falque, étudiant de lan Mac Harg, auteur de l'essai Design with
Nature, publié en 1969, à l'Institute of Environmental Studies de
l'université de Pennsylvanie, qui importera en France, la
planification écologique, méthode inventée aux USA dès le début
des années 1960.
Autonomie
disciplinaire
La
seconde mission que se donne l'Etat, dont les technocrates
spécialistes et experts de l'urbain cogitaient sur la forme des
futures villes nouvelles, sera d'intégrer la critique en son sein,
en accordant aux architectes critiques, récalcitrants, subversifs
même, d'une part, des postes d'enseignants dans les Unités
Pédagogiques d'Architecture, dans les structures de
l'administration, etc., et d'autre part en leur ouvrant plus que
largement, l'accès à la commande publique, aux concours
presqu'exclusivement réservés, il y avait peu, aux agences
reconnues. Là, il s'agit bien d'une forme d'institutionnalisation de
la critique architecturale, incitations multiples auprès des jeunes
architectes, invités à inventer, à construire. Stratégie destinée
à les intégrer au mieux et rapidement dans le cycle marchand de la
production urbaine et architecturale, donc, qui oeuvra au mieux : les
architectes exprimèrent leur passivité au sein d'une discipline
considérée comme devant être autonome
Futur nostalgique Made in Italy
Futur nostalgique Made in Italy
André Malraux avait tort, le renouveau de la pensée urbaine et
architecturale en France, au point mort depuis la reconstruction,
vint de Rome, ou plutôt de Bologne, car en effet, si les architectes
contestataires de France refusaient les utopies des groupes radicaux
italiens, ils s'intéressèrent aux théories passéistes
nostalgiques rétrogrades de l'architecte Aldo Rossi, à
l'architecture urbaine, dont nous ferons l'exposé en fin d'ouvrage,
mais dont on peut dire ici, qu'elle ignore superbement les questions
écologiques et environnementales, pour se consacrer à la ville
traditionnelle, avec des méthodes dignes de l'antiquité, encore que
leurs ingénieurs inventèrent les premiers éléments
architectoniques écologiques, égouts et aqueducs.
Mais, au fond, pourquoi pas ? Les problèmes écologiques,
environnementaux avant 1973, certes graves, pouvaient être atténués
avec la fin des grands ensembles, le recentrage sur la ville
ancienne, existante, pouvait contribuer à contrer l'expansion
urbaine, les parcs et squares urbains redonner une place et un sens à
la nature urbanisée, autre que les espaces verts modernes, etc.
Ainsi, pouvait-on abandonner les questions environnementales aux
ingénieurs territoriaux, aux techniciens, et celles écologiques aux
paysagistes, d'ailleurs incompétents car n'ayant reçu aucune
formation autre qu'empirique.
1974, Fin de cycle
Cependant, ces raisonnements conjugués à d'autres d'ordre politique
volèrent en éclats, à partir de 1974, avec les conséquences
dramatiques de la crise économique liée à la substantielle
augmentation du pétrole : l'économie écologique appelait à
nouveau, à une refonte des théories en urbanisme, à leur
nécessaire adaptation. Mais, en France, la pensée émergente de
l'intelligentsia architecturale et paysagiste, qui avaient trouvé
une occasion de renaître de leurs cendres après des années
d'errance et un mea culpa anti-moderniste, ou post-moderne, n'y
étaient pas [pré]-disposée. Au contraire même, les acteurs de
l'intelligentsia, tous, participèrent à la conception des villes
nouvelles, et des Nouveaux villages, aux concours des Maisons de
ville, et Immeubles de ville, malgré les critiques expertes
s'interrogeant sur leurs qualités de sociabilité et écologiques,
et esthétiques comme le soulignait le critique de l'architecture
Jacques Lucan :
« le caractère le plus souvent nostalgique et passéiste des
réalisations a tendance à rendre difficile ou à décourager la
poursuite de la réflexion urbaine.»
Ainsi, au moment même où le regard se tourne vers un futur
incertain, plus lourdes se font les chaines de la tradition. L'on
s'interroge sur leurs qualités environnementales et écologiques car
les villes nouvelles, et en particulier celles de la région
parisienne, reprennent en l'adaptant, le modèle de la New Town
britannique, dont on reprend le nom ; modèle expérimenté dès
l'après guerre, et qui selon les analyses érudites des critiques
mettaient en question non pas la nature des intentions, la prétention
de l'Etat, mais le mythe même du déterminisme écologique.
Ce renouveau aurait également pu accompagner la naissance des
organisations écologiques politiques, qui s'observe peu avant 1973,
et qui se développent notamment grâce aux luttes anti-nucléaires
contre le plan de nucléarisation porté par l'Etat. Mais si
l'intelligentsia architecturale n'aimait guère les z-ecolos, le
désintérêt des écologistes pour l'architecture, en général,
était tout aussi prodigieux, une sorte de Je t'aime, moi non plus
réciproque. Si dans le domaine de l'urbain, les écologistes
proposent et contre-proposent, rien n'est pensé pour ce qui concerne
l'architecture écolo. L'affiche dessinée par l'écologiste Brice
Lalonde est à ce point affligeante et révélatrice d'une pensée
archaïque en architecture, qui reprend tout pareil le mythe convenu
de la ville ancienne, un quartier populaire de Paris, mais dont les
maisons sont bardées de symboles écologistes : éoliennes, verdures
verticales envahissantes et potagers urbains, vélos, piétons, etc.,
et même les quais de Seine devenus piétons ! Ces mêmes symboles,
d'ailleurs, se retrouveront une trentaine d'années plus tard dans
les illustrations de l'intelligentsia architecturale, obligée, à
nouveau, de répondre aux invectives de l'Etat, des Etats, en matière
de DD, Développement Durable.
Architecture Ecologique
Et pourtant, quelques architectes de France, une poignée, avaient
échappé à l'incurie intellectuelle dictée par les passéistes,
comme aux dogmes du modernisme, et mieux, pensaient leur travail dans
une relation intime avec sinon l'écologie, mais le milieu naturel,
paysager où s'inscrivaient leurs réalisations. Une architecture
respectueuse du Genuis Loci offert par la nature. Parmi les premiers
aventuriers de l'architecture sculpture, organique ou naturelle,
Jacques Couëlle et Antti Lovag comptent parmi les plus talentueux,
mais ils seront tout au long de leurs carrières critiqués car leur
production toute entière s'adressait à une clientèle fortunée Aga
Kahn, Bettencourt, Cardin, etc.) ; Jacques Couëlle, en particulier,
était affabulé du titre d'architecte des milliardaires, ce qui est
exact, tant il se désintéressait de la chose sociale. D'autres
encore, parmi les moins inspirés, étaient critiqué pour la qualité
esthétique plutôt mièvre de leurs réalisations, ce qui est
également exact.
Or, deux architectes appartenant à cette famille, Jean Renaudie et
Vladimir Kalouguine signeront dans les années 1970, les permis de
construire de trois opérations de logements HLM, à Angers,
Ivry-sur-Seine et Givors. Leurs réalisations ne présentent pas
véritablement un caractère écologique, écologie d'ailleurs
absente dans leurs rares commentaires, mais elles proposent un
rapport différent entre végétal et architecture, entre nature et
urbanisme, entre artificiel et naturel. Jean Renaudie, marxiste,
inspiré par Henri Lefebvre, ajoutera à ces édifices verdoyants, une
dimension sociale et culturelle, très, très éloignée des
préoccupations de Green Washing des architectes d'aujourd'hui,
camouflant tout au plus de choucroute - le terme appartient à la
tradition Beaux-Arts - verte les façades verticales et les toitures
horizontales de leurs édifices, dans l'espérance futile d'être
dans l'air du temps, mais incontestablement, il manque dans leurs
projets, une autre dimension. A y regarder de plus près, convenons
que celles de Renaudie et Kalouguine, précurseurs de l'architecture
écologique destinée au social, ne s'embarrassent pas de questions
esthétiques, simplement, leurs architectures ne sont ni laides ni
belles, peu importe : l'éthique en architecture peut se passer
d'esthétique. Là encore, malgré la crise de 1973, puis de 1979,
qui auraient pu déclencher l'avènement de l'architecture
écologique, solaire, expérimentale, être le support du renouveau
de la pensée architecturale, les architectes reconnus - les
star-chitectes - préférèrent les exercices de style, plutôt que
d'y répondre, et d'en débattre..
La lecture est réservée à nos donateurs
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