Comité Invisible
Organe
de liaison au sein du Parti Imaginaire
Rapport à la S.A.S.C. concernant un dispositif impérial.
Reportage rédigé en juin 2001 sur la base
d'observations réalisées en juillet 1999.
Chapitre extrait de :
Tiqqun 2
Chaque
fois que je séjourne à Londres me vient la même question : comment
tant de gens peuvent-ils encore supporter de vivre dans une telle
ville ? Rien de ce qui fait le quotidien de ses habitants ne semble
fonctionner. Ici, chaque jour, des millions de personnes risquent
absurdement leur vie en empruntant des moyens de transport à bout de
souffle. Si elles ne finissent pas leur trajet dans quelque hôpital
crasseux et surpeuplé et qu'elles arrivent à destination, ce ne
sera qu'au prix d'inéluctables retards ; ces transportés (pour
employé un terme qui évoque d'autres galères) ont perdu jusqu'à
la force de se plaindre ; ils tournent leur mauvais sort en dérision
et plaisantent sur le fait qu'en 1950, par exemple, se rendre à York
ne prenait que deux heures et quart et qu'il en faut plus de six
aujourd'hui. Dans un autre ordre de réjouissance, pour célébrer
l'avènement du nouveau millénaire, des réalisations festives et
culturelle ont été entreprises à grands frais ; le résultat est
édifiant : la grande roue, bien nommée The
London Eye,
oeil unique de ce cyclope cannibale qu'est devenue la métropole, est
fermée sine
die pour
vice de construction la veille de son inauguration ; le Millenium
Dome, ce
flan avachi hérissé de gressins qui s'étale à l'Est du quartier
branché des anciens docks, soulève une répulsion esthétique
générale et s'avère techniquement déficient que ses concepteurs
ont dû avouer, peu après son ouverture, que ses structures ne
résisteraient pas plus de cinquante ans et qu'alors il sera
nécessaire de la démolir ; quant au Millenium
Bridge,
nouvelle passerelle jetée sur la Tamise, le chantier accuse un tel
retard qu'on a même parlé de l'abandonner. Tous ces ratés fleurent
bon les anciens pays de l'Est et un désenchantement fataliste
s'empare des esprits. L'héritage de l'humour soviétique va-t-il
bientôt donner un second souffle à l'humour anglais ?